le musée imaginaire ou la quête de l`immortalité

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le musée imaginaire ou la quête de l`immortalité
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CNR S I NFO • N ° 397
OCTOB RE-NOVEMBR E 2001
LE MUSÉE IMAGINAIRE OU LA QUÊTE DE L’IMMORTALITÉ
André Malraux (Paris, 1901 - Verrières-le-Buisson, 1976)
L’auteur de La condition humaine, de L’Espoir et des Antimémoires, infatigable
militant anti-colonialiste, témoin de la lutte républicaine en Espagne, résistant puis
chantre inspiré du gaullisme, aurait eu cent ans cette année. Janine Mossuz-Lavau,
directrice de recherche au Centre d'étude de la vie politique française1 (CEVIPOF)
retrace dans le Dictionnaire des politiques culturelles2 le parcours sans faute
d’un homme de lettres épris de culture dont le programme ambitieux a largement
contribué au rayonnement de la France. Extraits.
En 1958, André Malraux, ministre délégué à la présidence du Conseil du premier gouvernement du général de Gaulle, se voit chargé « de la réalisation de divers projets et notamment
de ceux ayant trait à l'expansion et au rayonnement de la culture française »3. En 1959, il devient
ministre d'État chargé des Affaires culturelles. « Le ministère chargé les Affaires culturelles a pour
mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au
plus grand nombre possible de Français ; d'assurer la plus vaste audience à notre patrimoine
culturel, et de favoriser la création des œuvres d'art et de l'esprit qui l'enrichissent »4.
Le projet est ambitieux, mais les débuts difficiles se caractérisent par une quasi-inexistence
de moyens, un dénuement à peine imaginable, un entourage administratif sceptique et souvent
hostile. Pourtant, la « magie Malraux » va opérer. À ses détracteurs, André Malraux oppose une
certaine conception de la culture. Obsédé par la mort, il se tourne vers une méditation intemporelle où l’art et la mort tiennent les rôles titres.
1
CNRS-FNSP.
2 Référence :
Dictionnaire des politiques
culturelles de la France
depuis 1959.
Sous la direction
de Emmanuel de Waresquiel.
Conseillers : Laurent Le Bon
et Philippe Régnier.
CNRS ÉDITIONS/Larousse,
avril 2001. 608 p. - 150 images
in texte et 50 hors texte - 360 F.
Voir CNRS Info n° 392,
avril 2001, p. 39.
3
Journal officiel, 26 juillet 1958.
4
Journal officiel, 26 juillet 1959.
Les grands chantiers
Nombre de réalisations5 sont à mettre à son actif comme la réorganisation ou la création des
instances en charge de la culture. En 1962-1963, une Commission nationale pour la musique est
constituée. Marcel Landowski est nommé inspecteur général de l'enseignement musical et André
Malraux lui confie le Service de la musique, ce qui provoque des réactions fortes de la part
des partisans de Pierre Boulez qui voient en Marcel Landowski un « conservateur ». L'Orchestre
de Paris voit le jour et son premier concert en octobre 1967 sera dirigé par Charles Munch.
À l'actif du ministère des Affaires culturelles, il faut également signaler l'Inventaire. « L'idée
d'un recensement gigantesque de tout ce que la France recèle et a recelé en édifices, en œuvres
d'art, avec une vision large, nouvelle, ouverte, moderne de l'activité artistique saisie dans son
contexte topographique […] et dans l'épaisseur chronologique - tout se superpose ici depuis
deux ou trois mille ans »6.
5 Le Centre national d'art
contemporain qui contribuera
à préfigurer Beaubourg est créé
en octobre 1967.
6 In André Malraux, ministre d’État
(page 70). Ouvrage collectif.
La Documentation française.
1996. 514 p. - 21,34 Euros.
Dans cette volonté, sans cesse réaffirmée, de mettre le public au contact des œuvres d'art,
André Malraux fait organiser de grandes expositions. Il fait installer des statues de Maillol aux
Tuileries, rend aux monuments parisiens leur blancheur, commande un nouveau plafond à
André Masson pour le théâtre de l'Odéon et à Marc Chagall pour l'Opéra. Il fait entamer un cycle
de travaux dans les musées et les cathédrales. Il y aura quelques fausses notes, voire quelques
scandales, comme l'éviction d'Henri Langlois du poste de directeur de la Cinémathèque française
ou encore son silence lors de l'interdiction du film « La Religieuse » de Jacques Rivette.
Les maisons de la culture
La mise en œuvre des maisons de la culture - où chacun pourrait disposer gratuitement de
reproductions et de livres -, reste le projet le plus attaché à son nom. Ces maisons, il y en aura
douze, étaient chargées d'assumer la diffusion des œuvres capitales ; de favoriser la création des
œuvres de l'art et de l'esprit ; de favoriser la rencontre entre le créateur et son public ; de mettre
le public en contact non seulement avec les grandes œuvres du passé mais aussi avec l'image
inachevée de la culture vivante6.
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La politique d’André Malraux sera contestée lors des « événements » de mai 1968. Les directeurs de maisons de la culture, des centres dramatiques et des troupes permanentes rendent
publique une déclaration qui énonce que leur attitude à l'égard de la culture apparaît « à une
quantité considérable de [leurs] concitoyens comme une option faite par des privilégiés en
faveur d'une culture héréditaire, particulariste, c'est-à-dire tout simplement bourgeoise ».
La fraternité planétaire de la culture
André Malraux ne borne pas son action en faveur de la culture à la seule France. Le mythe
culturel serait seul assez fort pour faire de chaque individu vivant sur la Terre un citoyen de
la communauté mondiale. Aussi œuvre-t-il en faveur d’une fraternité planétaire.
Si André Malraux assume pleinement sa charge de ministre des Affaires culturelles, il est l'un
des ambassadeurs privilégiés du général de Gaulle jusqu'en 1962, année qui marque la fin de
la guerre d'Algérie. Il fait en 1959 un voyage dans plusieurs pays d'Amérique latine et déclare
à Rio de Janeiro : « La France, dans des conditions atroces, marche avec une plaie au flanc.
Si on la fait trébucher, Brésiliens, que ce ne soit pas vous. » (Le Monde, 29 août 1959). Épousant
les positions du général de Gaulle, il demeure suspect aux yeux de certains hommes d'extrême
droite et reçoit d'âpres critiques venues de la gauche.
À l’automne 1960, les artistes qui ont signé le « Manifeste des 121 » (sur le droit à l’insoumission dans la guerre d'Algérie) se voient interdire l’accès aux scènes parisiennes publiques.
À propos d'une représentation théâtrale,Tête d'or de Claudel, donnée quelques mois plus tôt au
Théâtre de France, on peut lire dans l’Observateur (13 octobre 1961) : « Cette séance mémorable
ne pourrait plus avoir lieu. Ni André Masson, le décorateur, ni Alain Cuny, qui paraissait ce soirlà n'avoir vécu que pour jouer Tête d'or, ni Laurent Terzieff, ni Pierre Boulez ne pourraient plus
paraître sur la scène de l’Odéon. Ils ont été interdits [...]. Je ne puis croire qu'André Malraux,
s'il ne les approuve pas, ne se sente responsable des signataires de ce Manifeste. »
Après les accords d'Évian, une autre menace surgit : de 1962 à 1967, l'opposition de gauche
gagne du terrain et André Malraux monte en première ligne pour la combattre, en prenant
la défense du général de Gaulle et en mettant en cause François Mitterrand, à qui il reproche
d'être non pas un homme de gauche mais un politicien. Le 23 avril 1969, il intervient au Palais
des Sports à la veille du référendum. Le « non » l'emportera entraînant la démission du général
de Gaulle. André Malraux pour qui le « gaullisme sans de Gaulle » n'avait pas de sens, le suit
dans sa retraite. Il ne fera pas partie du gouvernement de Jacques Chaban-Delmas et Edmond
Michelet lui succédera au ministère des Affaires culturelles.
André Malraux va alors voyager, écrire, et toujours s’intéresser au monde qui l'entoure.
En 1971, il offrira ses services aux Bengalis en guerre contre le Pakistan. À diverses reprises,
il apparaîtra publiquement pour commémorer la Résistance. Il prononcera aussi, le 23 novembre
1975, un long discours pour le cinquième anniversaire de la mort du général de Gaulle. Il meurt
le 23 novembre 1976 à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil. Vingt ans plus tard, sa dépouille sera
transférée au Panthéon, rejoignant, Place des Grands Hommes, celle de Jean Moulin pour lequel
il avait déclamé une oraison funèbre encore gravée dans les mémoires.
Contact chercheur :
Janine MOSSUZ-LAVAU,
Centre d'étude de la vie
politique française (CEVIPOF),
CNRS-FNSP,
tél. : 01 49 54 22 96
mél : mossuz-lavau@
msh-paris.fr
Contact département
des Sciences de l’homme
et de la société du CNRS :
Annick TERNIER,
tél. : 01 44 96 43 10
mél : annick.ternier@
cnrs-dir.fr
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