Infections bactériennes et fongiques après transplantation rénale
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Infections bactériennes et fongiques après transplantation rénale
MISE AU POINT Infections bactériennes et fongiques après transplantation rénale Bacterial and fungal infections after kidney transplantation M.F. Mamzer-Bruneel* L * Service de transplantation et de soins intensifs néphrologiques, hôpital Necker, Paris. Infections nosocomiales Transplantation Infections dérivées du donneur es pathologies infectieuses sont les complications les plus fréquentes après transplantation rénale. Les micro-organismes susceptibles d’être en cause sont innombrables, et même si la fièvre est très fréquente, les tableaux cliniques sont souvent tronqués et peu spécifiques (1). L’enquête étiologique est guidée par les données épidémiologiques spécifiques à cette population de malades et par une analyse rigoureuse des facteurs de risque individuels. La nature du risque infectieux évolue en fonction du délai écoulé depuis la transplantation ; ce risque prédomine au cours du premier mois (figure) [2]. Les autres déterminants du risque infectieux sont le degré d’immunodépression et les expositions aux agents pathogènes, incluant celles qui ont concerné le donneur, en raison du risque d’infections transmises par le greffon (3). Le dépistage soigneux des antécédents infectieux des donneurs comme des receveurs est donc un préalable indispensable à la greffe, permettant notamment de rechercher une contre-indication formelle au prélèvement (tableau). Infections opportunistes, rechutes, réactivations Infections communautaires Infections opportunistes 1 mois 6-12 mois Influence des traitements prophylactiques Long cours Figure. Évolution de la nature du risque infectieux après transplantation rénale (2). 160 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 4 - juillet-août 2012 La plupart des infections transmises par le greffon s’exprimeront au cours du premier mois qui suit la greffe, sachant que durant cette période, les infections bactériennes nosocomiales, notamment urinaires (4, 5), prédominent. La deuxième période, du deuxième au sixième mois qui suivent la greffe, est historiquement celle des premières infections opportunistes et des réactivations d’infections virales, qu’elles soient latentes chez le donneur ou chez le receveur. Ce risque est aujourd’hui très fortement diminué par la prescription de prophylaxies antiinfectieuses ciblées. Après le sixième mois, le poids de l’immunosuppression diminue, et les transplantés rénaux sont surtout exposés au risque d’infections Tableau. Infections du donneur contre-indiquant le prélèvement d’organes en vue d’une greffe. Avec documentation microbiologique -- Virus de l’immunodéficience humaine (VIH) -- Hépatite B active -- Infection par le virus West Nile -- Encéphalite à virus Herpes Simplex (HSV) -- Infection par le virus de la chorioméningite lymphocytaire -- Infection par le virus Chikungunya en cas de PCR positive -- Paludisme lorsqu’il est la cause du décès -- Tuberculose disséminée -- Infection fongique disséminée -- Rage -- Infections dues à des bactéries multirésistantes en l’absence d’antibiogramme permettant d’ajuster le traitement ou si aucun traitement adapté n’a été donné -- Maladie de Chagas lorsqu’elle est la cause du décès -- Leishmaniose lorsqu’elle est la cause du décès Sans nécessité de documentation microbiologique formelle -- Encéphalite de cause indéterminée -- Rage -- Défaillance multiviscérale liée à un sepsis non déterminé -- Maladie de Creutzfeldt-Jakob Points forts Mots-clés »» Les infections sont les complications les plus fréquentes après transplantation rénale. »» La nature du risque évolue en fonction du délai écoulé après la greffe. »» La plupart d’entre elles sont bactériennes et les 2 localisations les plus fréquentes sont urinaires et respiratoires. »» Malgré de nouveaux traitements, les infections fongiques, plus rares, restent graves. »» Les greffons sont une source potentielle d’infection bactérienne ou fongique héritée du donneur, qui justifie une vigilance particulière. communautaires courantes, bien que le risque d’infections opportunistes reste réel en cas d’exposition massive, ou à l’occasion d’un état d’immunodépression plus intense lié au traitement d’un rejet ou à une insuffisance rénale avancée, par exemple (6, 7). Les taux d’incidence de chaque type d’infection ne sont pas définis formellement, et sont soumis à une grande variabilité épidémiologique, notamment géographique, qui s’oppose à l’établissement de taux d’incidence universels pour la plupart de ces infections. Par ailleurs, les patients transplantés rénaux usent volontiers de leur autonomie pour voyager et sont donc régulièrement exposés aux infections endémiques dans les régions qu’ils visitent. Il est néanmoins établi que les infections les plus fréquentes après la transplantation rénale sont d’origine bactérienne chez l’adulte, suivies par les infections virales (plus fréquentes en revanche chez les enfants), puis par les infections fongiques (8). L’incidence globale des infections après la greffe est maximale au cours du premier mois, pour décroître ensuite rapidement (7). Les infections opportunistes, qui sont numériquement “anecdotiques”, sont malgré tout préoccupantes, car elles peuvent engager le pronostic vital. Infections bactériennes après transplantation rénale Les infections bactériennes sont les plus fréquentes des complications infectieuses de l’adulte après transplantation rénale. Leurs caractéristiques épidémiologiques sont variables dans le temps (9, 10), leur incidence globale étant maximale au cours du premier mois qui suit la greffe, période dominée par le risque d’infections nosocomiales (7). Les germes en cause sont surtout des germes pathogènes, mais le risque d’infection à germes non pathogènes est réel, que ce soit à partir de la flore endogène commensale ou à partir de bactéries opportunistes environnementales. Tous les organes ou tissus peuvent être infectés, et les présentations cliniques sont volontiers peu spécifiques, voire atypiques. Les prélèvements microbiologiques sont souvent difficiles à interpréter lorsqu’ils sont négatifs, lorsqu’ils isolent une bactérie de la flore commensale, ou lorsque le site prélevé est suscep- tible d’être colonisé (vessie, cavité buccale, voies aériennes supérieures). La première difficulté est donc diagnostique, en particulier lorsque le tableau clinique est celui d’une fièvre nue ; la deuxième réside dans la décision et le choix d’une antibiothérapie. En effet, les interactions pharmacologiques avec les traitements immunosuppresseurs, la toxicité rénale ou le risque, aujourd’hui sous-estimé, de sélectionner une flore résistante chez ces patients soumis à une forte pression antibiotique tout au long de leur existence représentent autant de difficultés pratiques. Les indications d’antibiothérapie chez les patients transplantés rénaux doivent donc être pesées, et les traitements ciblés. Épidémiologie des infections bactériennes après transplantation rénale ◆ ◆Infections bactériennes nosocomiales Les sources d’infections bactériennes après transplantation sont très nombreuses et incluent le greffon, la flore endogène, l’environnement et les personnes-contact. Le risque d’infection nosocomiale est conditionné par la nature et le nombre des procédures invasives, l’exposition aux agents pathogènes (incluant les colonisations ou infections antérieures) et la durée d’exposition à ces risques. La rupture des barrières naturelles par les sondes urinaires, les abords vasculaires et la chirurgie de transplantation favorisent la survenue des infections bactériennes, qui peuvent se développer soit à partir de la flore endogène du patient, soit par transmission inter humaine, le plus souvent manuportée. Les patients hospitalisés sont alors exposés à des transmissions épidémiques, souvent croisées, de bactéries multirésistantes (BMR) telles que les bacilles à Gram négatif sécréteurs de bêtalactamases à spectre élargi (BLSE), voire totorésistants, les entérocoques résistants à la vancomycine (ERV), ou encore les Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (SARM). La description récente de telles épidémies, dans le contexte de la transplantation rénale, plaide pour l’application stricte des règles d’hygiène hospitalière et pour le développement systématique de politiques de maîtrise de l’antibiothérapie, bien que la prévalence des colonisations de la flore endogène des patients Transplantation rénale Infections bactériennes Infections fongiques systémiques Infections transmises par le greffon Highlights »»Infectious diseases are the most common complications in renal transplant recipients. »»Type and risk of infectious diseases change with time. »»Bacterial urinary tract and respiratory tract infections remain the most frequent. »»Despite new treatments, systemic fungal infections, although rare, remains severe. »»The risk of graft transmitted infections, both bacterial or fungal, requires special attention. Keywords Renal transplant recipients Bacterial infectious diseases Systemic fungal infectious diseases Graft transmitted infections La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 4 - juillet-août 2012 | 161 MISE AU POINT Infections bactériennes et fongiques après transplantation rénale transplantés rénaux par ces BMR soit mal connue. Des données récentes suggèrent que le pic d’incidence des septicémies à bacilles à Gram négatif se situe au cours du premier mois qui suit la greffe, que ces septicémies sont majoritairement de nature nosocomiale et que les voies urinaires sont à l’origine de 70 % de ces infections (11). C’est aussi durant cette période que les épisodes de colites à Clostridium difficile, une des principales causes de diarrhée bactérienne après transplantation rénale, sont les plus fréquents (12), favorisés par l’exposition aux antibiotiques ou par le contact avec un patient infecté. ◆ ◆Infections bactériennes communautaires à germes pathogènes Après le premier mois, la fréquence des infections nosocomiales diminue au profit des infections communautaires, qui peuvent se déclarer chez les patients transplantés rénaux ambulatoires et concerner tous les tissus et organes, y compris le système nerveux central, la peau et le tube digestif. Ce sont néanmoins encore les infections urinaires qui restent les plus fréquentes, talonnées de près par les infections des voies respiratoires. Une attention toute particulière doit être portée aux infections tuberculeuses, dont la fréquence est plus élevée que dans la population générale, avec une prévalence variant de 1,2 à 15,0 %, selon le niveau d’endémie du pays considéré (13). Le délai de survenue par rapport à la transplantation est variable, mais les deux tiers des cas surviennent au cours de la première année, avec une médiane autour du neuvième mois. Dans la plupart des cas, il s’agit de la réactivation d’un foyer latent méconnu. Les difficultés du diagnostic sont nombreuses, car les tableaux cliniques sont atypiques, et les tests diagnostiques particulièrement peu sensibles sur ce terrain (test de réaction cutanée à la tuberculine ou examen direct des crachats). Les atteintes pulmonaires excavées classiques sont exceptionnelles dans ce contexte où les formes disséminées ou extrapulmonaires sont largement majoritaires (14). Les nouveaux tests diagnostiques fondés sur la libération spécifique d’interféron gamma par les lymphocytes T mémoire spécifiques de Mycobacterium tuberculosis (QuantiFERON®, T-Spot® TB) semblent intéressants dans le bilan prétransplantation (15). Leur positivité signe un contact préalable avec M. tuberculosis, sans permettre de distinguer une tuberculose ancienne guérie d’une tuberculose latente ou active. Le traitement antituberculeux est désormais bien défini (14), mais son maniement difficile plaide contre les traitements “d’épreuve”, qui doivent rester exceptionnels 162 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 4 - juillet-août 2012 dans les pays de faible endémie où la probabilité du diagnostic est faible. En effet, la toxicité, notamment hépatique, de l’isoniazide, combinée aux interférences entre les antituberculeux (en particulier la rifampicine, très fortement inductrice du cytochrome P450 CYP3A4), et les traitements immunosuppresseurs qui en sont le substrat exposent au rejet de greffe et justifient une restriction de ces traitements aux indications formelles. ◆ ◆Infections bactériennes opportunistes La rareté des infections bactériennes opportunistes chez les patients transplantés rénaux contraste avec la multitude des germes susceptibles d’être incriminés et la variabilité de leur délai de survenue après transplantation. Plus rares que les infections virales ou fongiques opportunistes, ces infections ne bénéficient d’aucune mesure prophylactique médicamenteuse spécifique. Leur gravité repose autant sur les difficultés du diagnostic que sur celles de leur traitement. Leur survenue témoigne souvent d’un niveau d’immunodépression particulièrement intense, et il n’est pas rare d’avoir à diminuer le traitement immunosuppresseur pour contrôler ces infections. Il s’agit volontiers de bactéries environnementales, voire saprophytes, ce qui contribue à la variabilité géographique des espèces rencontrées. Parmi les bactéries le plus fréquemment isolées dans nos régions, citons les mycobactéries atypiques mais aussi les Nocardia sp. et les Listeria sp. Aspects cliniques des infections bactériennes après transplantation Les manifestations cliniques des infections bactériennes après transplantation rénale sont dénuées de toute spécificité et laissent généralement peu de place à l’examen clinique pour le diagnostic étiologique. ◆ ◆Infections urinaires Ce sont les plus fréquentes des infections bactériennes après transplantation rénale, notamment au cours de la première année (10), juste avant les pneumo pathies (8). Les bactéries à Gram négatif représentent plus de 70 % de ces infections, qui sont très souvent dues à des Escherichia coli uropathogènes et associées à un risque important d’insuffisance rénale aiguë. Plus rarement, elles sont en rapport avec d’autres souches bactériennes comme Pseudomonas sp., Klebsiella sp. ou des germes sécrétant l’uréase comme Proteus mirabilis (qui peut être associé à des lithiases MISE AU POINT phospho-ammoniaco-magnésiennes). La résistance aux antibiotiques est fréquente, en particulier chez les malades ayant des infections urinaires à répétition. Les signes fonctionnels associés sont inconstants, mais peuvent être évocateurs d’une cystite, d’une pyélonéphrite du transplant ou des reins natifs, voire d’une prostatite. La pyélonéphrite aiguë du greffon se manifeste typiquement par des frissons, de la fièvre, éventuellement une hématurie. Une sensibilité en regard du greffon est possible, et le rein peut être augmenté de taille et douloureux. ◆ ◆Infections respiratoires bactériennes après transplantation rénale Environ 1 patient transplanté rénal sur 10 nécessitera une hospitalisation pour un épisode d’infection respiratoire basse grave, d’origine bactérienne dans plus de la moitié des cas, et dont la précocité du traitement conditionnera le pronostic. Le risque après transplantation rénale est durable, et les germes responsables sont habituellement ceux des pneumopathies communautaires : pyogènes (pneumocoque, Haemophilus), germes atypiques (Mycoplasma, Chlamydia, légionnelle), bien que les infections à Gram négatif (Pseudomonas, entérobactéries) ou à staphylocoque représentent de 10 à 85 % des cas. La tuberculose pulmonaire se différencie de celle du sujet immunocompétent par une présentation radiologique volontiers atypique, une fréquence accrue des atteintes disséminées et extrathoraciques, et une mortalité attribuable à l’infection significative. Les infections à mycobactérie atypique (Mycobacterium xenopi, Mycobacterium kansasii, Mycobacterium avium) sont rares. Les infections bactériennes à croissance lente sont encore plus rares et semblent liées à l’intensité du déficit immunitaire : les nocardioses sont les plus fréquentes, souvent associées à une atteinte cérébrale, puis viennent les infections à Rhodococcus et, plus exceptionnellement, les actinomycoses. Leur recherche doit être spécifiée lors des prélèvements microbiologiques ou anatomopathologiques. ◆ ◆Autres sièges d’infections bactériennes Tous les organes ou tissus peuvent être concernés, notamment la peau, le tube digestif et le système nerveux central. La conduite à tenir devant une fièvre chez un patient transplanté rénal est dominée par la recherche d’arguments en faveur d’une infection bactérienne susceptible de mettre en jeu rapidement le pronostic vital. En cas d’état de choc, de sepsis sévère ou de détresse respiratoire aiguë, l’hospitalisation est indispensable. La pauvreté de l’examen clinique rend le plus souvent indispensable le recours à des examens complémentaires, incluant des examens biologiques usuels, des examens d’imagerie et des examens à visée microbiologique. Le recours à la radiographie du thorax à la recherche d’un foyer pulmonaire cliniquement muet doit être large. Très souvent, d’autres examens d’imagerie sont nécessaires afin d’orienter ou de préciser le diagnostic et, le cas échéant, de diriger des prélèvements à visée étiologique. La technique d’imagerie la plus appropriée (échographie, examen tomodensitométrique ou examen en résonance magnétique nucléaire) est choisie selon le site exploré en fonction de sa sensibilité et de sa spécificité, mais aussi en tenant compte de ses risques (allergique et toxique, notamment rénal). La numération formule sanguine peut orienter vers une infection bactérienne en cas d’hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles. Les dosages des marqueurs d’inflammation systémiques tels que la protéine C réactive (CRP) ou la procalcitonine, utiles dans la population générale hospitalisée, n’ont pas démontré leur intérêt pour différencier les infections bactériennes des infections virales ou des autres états inflammatoires chez les transplantés rénaux (16, 17). La documentation microbiologique préalable à l’antibiothérapie, toujours souhaitable, est indispensable en contexte nosocomial, ou lorsqu’il existe des signes de gravité qui justifient la prescription rapide d’une antibiothérapie empirique. Ce sont ces prélèvements qui permettront, s’ils sont positifs, d’ajuster ensuite l’antibiothérapie. Ils comportent un examen cytobactériologique des urines (ECBU), des hémocultures, et des coprocultures en cas de diarrhée. Des prélèvements aux sites profonds suspects d’infection peuvent être nécessaires ; le cas échéant, ils seront effectués par des techniques invasives (ponctions ou biopsies sous échographie, scannographie, endoscopie, cœlioscopie, voire abord chirurgical direct). Dans certains cas d’infections rares ou torpides, telles que les tuberculoses extrapulmonaires, ou encore certaines mycobactérioses atypiques, le diagnostic n’est obtenu que par l’examen anatomopathologique et la culture des biopsies tissulaires. Infections fongiques après transplantation rénale Il est classique de distinguer 2 types d’infections fongiques systémiques : les mycoses liées à des micro-organismes pathogènes, dont la distribution géographique est limitée et endémique (telles les La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 4 - juillet-août 2012 | 163 MISE AU POINT Infections bactériennes et fongiques après transplantation rénale histoplasmoses, les coccidioïdomycoses, les blastomycoses ou les pénicillioses), et les mycoses opportunistes, bien plus fréquentes après transplantation rénale, et qui regroupent essentiellement les candidoses, les cryptococcoses, les aspergilloses et les pneumocystoses, mais aussi les mucormycoses et les infections à Fusarium, à Scedosporium ou à Alternaria. La prise en charge de ces mycoses opportunistes est particulièrement délicate, car leurs manifestations cliniques, protéiformes et non spécifiques, ne permettent pas de les distinguer facilement des infections non fongiques, notamment bactériennes, plus fréquentes. Évoquées de principe sur un faisceau d’arguments cliniques, biologiques et épidémiologiques, elles doivent être rapidement documentées, car tout retard de traitement augmente le risque de dissémination. Candidoses après transplantation rénale Les infections à Candida comptent pour environ 2 % des infections après transplantation rénale. L’espèce le plus fréquemment responsable des candidoses profondes après transplantation rénale reste C. albicans, mais d’autres espèces émergent (C. tropicalis, et surtout C. glabrata et C. krusei). L’infection du liquide de transport du greffon par un Candida sp. peut être à l’origine d’infections chez le receveur, allant de l’infection simple de la loge de transplantation jusqu’à l’artérite intimale destructrice de l’artère du greffon (18). Cette infection justifie une prise en charge précoce et rationnalisée des patients concernés, associant un traitement antifongique préemptif et la recherche d’une contamination de la loge de transplantation (19). Aspergillose après transplantation rénale La forme la plus préoccupante est l’aspergillose pulmonaire invasive, qui complique entre 0,7 et 4,0 % des transplantations rénales. L’espèce le plus fréquemment responsable est Aspergillus fumigatus. La dissémination passe par l’invasion de la paroi des vaisseaux à l’origine des 3 caractéristiques de cette infection : infarctus tissulaire, foyers hémorragiques et métastases septiques par voie hématogène. Les facteurs de risque associés sont l’intensité du traitement immunosuppresseur, la prise prolongée de fortes doses de stéroïdes, ainsi que la défaillance du greffon requérant l’hémodialyse. La mortalité associée est voisine aujourd’hui de 35 % (20). La 164 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 4 - juillet-août 2012 présentation clinique est celle d’une pneumonie aiguë d’aspect radiologique non spécifique, dont le diagnostic étiologique est délicat, compte tenu des faibles spécificité et sensibilité des cultures d’échantillons respiratoires. Les signes cliniques, principalement fièvre, toux et dyspnée, ou plus tardivement hémoptysie, sont tout aussi peu spécifiques. Ces difficultés diagnostiques, associées au pronostic catastrophique, ont conduit à l’application des stratégies de prise en charge validées chez les patients d’onco-hématologie, fondées sur une classification répartissant les tableaux clinico-biologiques compatibles avec le diagnostic d’aspergillose en 3 catégories : aspergillose prouvée, probable ou possible. Le traitement doit être instauré dès lors que l’aspergillose est probable (21). L’imagerie de choix est le scanner thoracique, plus sensible que la radiographie du thorax pour objectiver le ou les foyers, volontiers nodulaires et pouvant évoluer vers une excavation et des images d’infarctus segmentaires. La détection d’antigènes constitutifs de la paroi cellulaire du champignon dans le sérum des patients (galactomannane, ou les β-D-glucanes) a une bonne valeur diagnostique. Le traitement de première intention est désormais le voriconazole, plus efficace et moins toxique que l’amphotéricine B, dont la toxicité rénale limite encore la tolérance après transplantation rénale. En cas de résistance au voriconazole, l’amphotéricine B liposomale, mieux tolérée que l’amphotéricine B conventionnelle, peut être intéressante, de même que la caspofungine (21). À côté de ces formes invasives, il existe des atteintes nécrosantes chroniques (aspergilloses semi-invasives) et des formes “saprophytes” (aspergillomes pulmonaires ou sinusiens) dont la prise en charge peut être délicate, et repose autant sur les antifongiques que sur la chirurgie d’exérèse en cas d’aspergillome. Cryptococcose après transplantation rénale Les cryptococcoses peuvent être transmises par le greffon ou acquises après la transplantation, mais il s’agit le plus souvent de la réactivation d’une infection latente ancienne (22). Elles sont dues à un champignon ubiquitaire, Cryptococcus neoformans, dont la voie de pénétration dans l’organisme est respiratoire. La dissémination se fait à partir du poumon vers le sang et de nombreux organes périphériques : peau, système ostéoarticulaire, appareil urinaire, et surtout système nerveux central. Entre un tiers et la moitié des patients atteints de cryptococcose développent une MISE AU POINT forme disséminée ou une atteinte cérébroméningée. La fongémie n’est pas systématique. Les manifestations pulmonaires sont variables, depuis le chancre d’inoculation asymptomatique jusqu’à la détresse respiratoire aiguë, de mauvais pronostic. Les atteintes cutanées sont variées : papules, nodules, lésions ulcérées ou cellulites. Le pronostic est conditionné par l’atteinte du système nerveux central. La recherche de l’antigène cryptococcique est utile dans le sérum, mais la ponction lombaire est l’examen central du diagnostic en cas de suspicion d’atteinte du système nerveux central. Le traitement d’urgence repose sur l’amphotéricine B liposomale et la flucytosine pour les formes graves. Un traitement prolongé et à doses décroissantes par fluconazole (400, puis 200 mg/j) est ensuite nécessaire. La diminution du traitement immunosuppresseur peut être utile dans les formes graves, au risque de développer un syndrome de reconstitution immunitaire (23). Pneumocystose après transplantation rénale Pneumocystis jirovecii (anciennement P. carinii) est un champignon ubiquitaire. La contamination se fait par voie aérienne et peut être responsable, en l’absence d’une prophylaxie adaptée chez les patients transplantés rénaux, d’une pneumopathie interstitielle susceptible d’engager le pronostic vital. La présentation clinique de la maladie associe asthénie, fièvre, toux sèche, dyspnée, douleurs thoraciques. L’hypoxémie est la règle, alors que la radiographie du thorax peut être normale ou révéler des infiltrats interstitiels diffus bilatéraux. Le diagnostic repose sur l’isolement du champignon dans le tissu pulmonaire ou les sécrétions bronchiques obtenues par expectoration induite ou lavage bronchoalvéolaire (24). Le traitement de première ligne est le triméthoprime-sulfaméthoxazole à fortes doses par voie intraveineuse, éventuellement associé à une corticothérapie adjuvante (24). Conclusion La complexité de l’éventail des pathologies infectieuses non virales après transplantation rénale impose des connaissances spécifiques et ouvre un champ de recherche encore en friche, dont les perspectives évolutives sont nombreuses. L’arrivée de nouvelles techniques issues de la recherche fondamentale ouvre notamment la voie à des diagnostics plus précoces et plus précis (10, 25-27), voire à des traitements novateurs reposant sur la préservation (ou la restauration) d’une immunité anti-infectieuse spécifique vis-à-vis de micro-organismes ciblés. De telles approches, couplées à plus de rigueur dans les stratégies de vaccination, et à de nouveaux traitements antiviraux et antifongiques, permettraient d’envisager plus sereinement les risques liés à l’augmentation du niveau d’immunosuppression et l’augmentation des risques infectieux inhérents aux stratégies d’élargissement du pool des greffons. ■ Références bibliographiques 1. Mamzer Bruneel MF. Infections chez les transplantés rénaux (à l’exclusion des infections virales). In: Lesavre P (ed). Actualités néphrologiques - Jean Hamburger - Hôpital Necker 2008. Paris : Médecine-Sciences Flammarion, 2008. 2. Fishman JA, Rubin RH. 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