Shelley ente Mary et Clara
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Shelley ente Mary et Clara
Shelley ente Mary et Clara LafamilleFrankenstein PAR MICHEL COURNOT La monumentale biographie de Richard Holmes, plus quelques rééditions : l'occasion est belle de rendre visite à l'étrange clan formé par le plus grand poète lyrique anglais, safemme Mary, la romanciere, et la demi-sœur de celle-ci, Clara ous voici à Paris, hôtel de Vienne. Mary m'a fait voiries papiers qu'elle a emportés avec elle: tous ses écrits, et les lettres de son père et de ses amis, mes lettres. Elle m'a promis de me donner à lire tout ce qu'elle a écrit avant notre rencontre, lorsque nous serons en Suisse. Le soir nous sommes allés nous promener dans les jardins des Tuileries. Ils sont très compassés. Peu attachants. Il n'y a pas d'herbe dans ces jardins. Mary ne se sentait pas bien, nous sommes rentrés à l'hôtel. » C'est le journal intime du poète Shelley, à la date du mardi 2 août 1814 (les Anglais visitent paisiblement la France, Napoléon est en résidence dans l'île d'Elbe). Quatre nuits plus tôt (à3 heures du matin), Shelley a enlevé Mary Godwin, à Londres. Shelley a 22 ans, il est marié, Mary a 17 ans. Au couple de fugitifs s'est jointe, au dernier moment, la demi-soeur de Mary, Clara. La page du journal de Shelley que nous venons de citer appelle trois remarques. Premièrement, c'est vrai, Shelley, très sensible au gazon anglais, a joué de malchance : il était descendu juste à côté des Tuileries, le jardin le moins « herbu » de Paris. Deuxièmement, Shelley passe sous silence la présence de sa belle-soeur Clara, qui ne va pas quitter le couple, que Shelley va aimer. Troisièmement, dans son inventaire des papiers de Mary, Shelley oublie de noter les livres, manuscrits, lettres, de la maman de Mary : l'écrivain Mary Wollstonecraft, qui en 1792, à 38 ans, juste après avoir publié une « Défense des droits de la femme », vint s'installer à Paris, au coeur de la Révolution. Venue en principe pour un reportage de six semaines, elle ne repartit pour l'Angleterre qu'en avril 1795, écrivit une « Histoire de la Révolution ». En septembre 1797, onze jours après la naissance de sa fille Mary, la future femme de Shelley, Mary Wollstonecraft mourut d'une septicémie. Aujourd'hui paraît en France la traduction d'une monumentale biographie de Shelley, qui est tenu par les écrivains de son pays comme le plus grand poète lyrique anglais — le plus grand poète dramatique étant Shakespeare. Les lecteurs auront intérêt à ne pas se décourager, car les 930 pages de cette bio, dues à l'historien Richard Holmes, gagnent à être complétées par quelques 134 LE NOUVEL OBSERVATEUR /LIVRES chapitres d'un autre livre du même Holmes, « Carnets d'un voyageur romantique », où l'auteur s'attache à raconter plus longuement l'amour de Shelley et de sa belle-soeur Clara. Vérité au-delà de la Manche, erreur en deçà : ici, en France, nous ne lisons pas Shelley. Peutêtre parce que la substance spirituelle et musicale' de cette poésie n'est pas transmissible d'une langue dans une autre. Il n'existe aucun recueil de poèmes de Shelley disponible dans la librairie française. En revanche, plusieurs livres de Mary Shelley sont édités, distribués : e Frankenstein », « Mathilda », « le Dernier Homme ». « Frankenstein », que Mary Shelley a écrit en Suisse, en 1816; à 19 ans, est un très grand livre, passionnant, et pas assez lu parce que les adaptàtions cinématographiques, qui lui sont très inférieures et assez infidèles, lui ont fait du tort. Ce roman, d'une lecture aisée, dénote par moments l'emprise d'auteurs comme Platon, ou Dante. Il s'y trouve aussi des choses communes à Mary Shelley et à son époux : les glaciers, le vent d'Ouest, transporteur de vie et de mort, voyageur opposé à l'immobilisme des montagnes, l'île... Mais l'histoire du savant Frankenstein et de son monstre qui vient lui demander de lui créer une compagne est bien la seule imagination créatrice, prodigieuse, de Mary Shelley, il y a là des rappels de ses rêves d'enfant, il y a aussi, très étrangement, plusieurs prémonitions des douleurs qu'allait devoir affronter cette jeune femme auprès de Shelley, en Italie. Le plus étrange est que ce chef-d'oeuvre du roman « fantastique » reprend aussi, d'une façon nette, des lieux, des événements que Mary, lorsqu'elle l'écrivit, venait de traverser avec Shelley. Des décors comme Plainpalais et Bellerive, à côté de Genève, ou Chamonix, des navigations sur des lacs sont autant de promenades récentes du couple. Mais surtout le monstre mis au point par le docteur Frankenstein a des points de ressemblance avec Shelley. Sur Mary, surtout sur Clara, Shelley s'était ingénié à exercer des « terreurs », particulièrement la nuit, apparaissant dans le noir avec des rictus affreux, combinant des mises en scène qui suscitaient la présence dans la maison d'un être redoutable... Accord pour accord, Shelley publiera en 1821 un poème disant le même crime que Mary a raconté dans « Frankenstein » (paru en 1817) l'assassinat d'une jeune femme, sur son lit, le soir de ses noces. Mais Mary raconte dans une prose simple, très retenue, alors que Shelley exerce une grande poésie visionnaire : Avant que le soleil traversant les cieux ait, une fois encore, tourné, Les rats dans son coeur auront créé leur nid, Et les vers se loveront Dans sa chevelure d'or. Tandis que l'Esprit qui éclaire le soleil Retrouvera son trône de flammes, Elle dormira.