actualité stratégique en Asie N°13 Afghanistan.pub

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actualité stratégique en Asie N°13 Afghanistan.pub
N°13
30 mai
07
ACTUALITE STRATEGIQUE en ASIE
AFGHANISTAN : l’OTAN en pays Taliban
Reconstruction et interrogations. A l’invitation de l’OTAN, l’auteur a eu le privilège d’effectuer fin mai 2007 un séjour d’une dizaine de
jours dans la patrie déchirée de feu Shah Massoud. De Kaboul à Hérat,
de Kandahar à Mazar-e-Sharif, l’opportunité de saisir quelques instantanés, quelques saveurs, de rencontrer personnalités afghanes et officiels
étrangers, en uniforme ou en complet veston. L’occasion de mesurer le
chemin parcouru ces six dernières années, depuis la chute des obscurantistes talibans et les challenges, multiples et complexes, à venir.
Saveurs pakistanaises. Après avoir quitté le siège bruxellois de
l’OTAN et avant de prendre pied en terre afghane, une brève escale chez
le voisin pakistanais, observateur zélé des questions afghanes, s’imposait. Elle éclaira sans détour (ni surprise) les visiteurs sur la position ô
combien tranchée d’Islamabad sur le sujet : vue d’ici, plus encore en patrie pachtoune (NWFP ; zones tribales), la présence étrangère (entendez
occidentale) sur le sol afghan n’est ni plus ni moins qu’une « énième for-
ce d’occupation, pas très différente de ses devancières soviétiques ou
anglaises ». Aux yeux de la communauté stratégique d’Islamabad, c’est à
peine si le mandat de l’OTAN est « légal »… Plus tôt cette force bigarrée
prendra le chemin du retour, mieux cela sera … pour l‘Afghanistan ; en
effet, selon la thèse en vogue dans la capitale pakistanaise, cette voisine
sise de l’autre côté de la Ligne Durand pâtirait plus qu’elle ne profiterait
de cet élan civilo-militaire piloté par l’ISAF. La « résistance » des talibans
contre ces éléments hexogènes serait « légitime », leur motivation
« compréhensible ». Nul besoin de chercher ailleurs meilleur soutien. Vu
d’Islamabad toujours, l’activisme de l’Inde sur le sol afghan (plus de 500
millions $) entend enserrer le Pakistan en fragilisant son flanc occidental, forgeant une « tenaille potentiellement hautement belligène ».
Le « Pachtounistan ». Peu avares en scenari catastrophes, les
cercles stratégiques d’Islamabad gardent pour le terme de l’entretien le
meilleur (si l’on ose dire) : l’ambition de l’ISAF à reconstruire l’Afghanistan exacerbe les comportements belliqueux au sien de la fière population
pachtoune, rétive à l’autorité de l’Etat (quel qu’il soit). Afghans ou Pakistanais, les Pachtounes récusent cette frontière artificielle qu’incarne la
fameuse Ligne Durand (établie en 1893 par « l’occupant » britannique).
Les dizaines de milliers de soldats étrangers déployés en Afghanistan,
les opérations menées de part et d’autres de la frontière, leur inévitable
lot de victimes collatérales, renforcent la conviction des Pachtounes que
leur salut viendra du remembrement du mythique Pachtounistan (voir
carte ci-dessus). D’après nos interlocuteurs, une menace très concrète
pesant sur l’existence même du Pakistan...
Sécurité. Reconstruction. Gouvernance. Une fois quitté le pays
des purs, dès votre 1er briefing au quartier général (surprotégé) de l’ISAF
à Kaboul, votre interlocuteur (militaire) vous le dira : la mission de l’OTAN
en Afghanistan repose sur 3 piliers cardinaux indissociables : rétablir la
sécurité (pour la population et les acteurs étrangers), engager la reconstruction (matérielle, des infrastructures notamment, dans l’ensemble des 34 provinces), et enfin, insuffler à l’Etat afghan, meurtri par trois
décennies de conflits et de crise, la matrice d’une bonne gouvernance. 3
authentiques défis.
Regional Commands et PRT. Nous sommes déjà loin de Kaboul.
Hérat tout d’abord, dans l’ouest afghan, région pour l’heure encore relativement paisible. Ici, le Regional Command (RC) ouest est confié à un
contingent italien, sous l’autorité d’un général transalpin familier des
théâtres de crise (Balkans, Liban, etc.). Dans cette région confinant avec
l’Iran (dont la lecture du jeu se trouble ces derniers temps), notre hôte
1
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Le « Pachtounistan »
ne
Lig
ran
Du
d
PAKISTAN
République Islamique
d’AFGHANISTAN
Capitale
Kaboul
Superficie
647 500 km²
Population
31 millions
groupes
ethniques
Régime
Pachtounes 38% ; Tadjiks 25% ;
Hazaras 19% ; Ouzbeks 6%
République islamique
Religion
PIB
PIB / capita
Croissance 2006
islam (sunnite 84 %)
9 milliards $
355 $
+ 8,4 %
Pauvreté (% pop)
55 % sous le seuil de pauvreté
Chronologie
1919
Indépendance après le 3eme conflit anglo-afghan
1933
Instauration de la monarchie.
1964
Monarchie constitutionnelle
1973
Coup d’état ; instauration de la République
1978
Nouveau coup d’état
1979
Invasion des troupes soviétiques
1989
Retrait de l’armée rouge
Poursuite de la guerre civile
1993
Gouvernement formé par les Mujahideens
1996-01 Régime obscurantiste taliban.
Oct. 01 Frappes aériennes US et GB (Enduring freedom)
Déc. 01 Chute des talibans
2003
OTAN en charge de la sécurité à Kaboul
2004
Hami Karzai élu Président
2006
OTAN en charge de la sécurité du pays
N°13
30 mai
07
ACTUALITE STRATEGIQUE en ASIE
AFGHANISTAN : l’OTAN en pays Taliban
nous compte son optimisme, livre sa fierté : ici, les PRT, ces entreprises civilo-militaires associant sécurisation militaire (patrouilles,
« neutralisation », opérations, formation) et reconstruction (cf. écoles, dispensaires, ponts, barrages, etc.) donnent des résultats patents : « the italian way » plairait aux populations locales, au point,
lors de la visite de la ville d’Hérat (une des rares à ne pas nécessiter une protection militaire pléthorique), d’étonner les visiteurs :
commerces florissants, bâtiments neufs (hôtels, résidences !), feux
de croisement en activité ! Nous sommes, à maints égards, à des
années lumières de Kaboul, figée dans la peur du prochain attentat
où, pour parcourir les 4 km séparant l’aéroport international de
Kaboul (KAIA) — sa reconstruction se fait par ailleurs attendre —
du RC centre, votre escorte armée n’hésitera à fendre la foule, sirène hurlante libérée, doigt fébrile sur la gâchette.
En pays taliban. La visite du RC sud de Kandahar révèle une
ambiance tranchant avec le charme (pour ne pas dire le calme) de
l’ouest afghan et des succès de « l’Italian way ». Ici, en terre talibane,
tensions et fatigue se lisent sur les traits de vos interlocuteurs. Les
missions et opérations se succèdent dans cette région méridionale
stratégique. Début mars, l’OTAN a engagé dans la province voisine du
Helmand (1ère province mondiale pour la production d’opium à pavot)
4500 soldats de l’ISAF et 1000 soldats de la jeune ANA dans l’opération Achilles, la plus importante initiée ces six dernières années. « Les
talibans avaient martelé tout l’hiver qu’ils nous réservaient une terrible
offensive de printemps : nous n’avons pas accepté leur menace et ne
les avons pas davantage attendu » résume simplement le comman-
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RC nord
RC
centre
RC ouest
RC est
RC sud
OTAN / ISAF : repères afghans
Mission. Sous mandat de l’ONU, la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) aide les autorités afghanes à exercer et à étendre leur pouvoir, leur influence sur l’ensemble du
pays afin de créer les conditions propices à la stabilisation et à
la reconstruction. Depuis le 9 août 2003, l’OTAN assume la
direction des opérations de l’ISAF en Afghanistan.
Effectifs. 36750 hommes (mai 2007) provenant de 37 nations
contributrices, dont USA (15000), UK (5200), Allemagne (3000),
Canada (2500), Pays-Bas (2200), Italie (1950), France (1000).
dant en second du RC sud. Dans ce contexte régional fébrile, les 3
piliers de la mission otanienne (sécurité ; reconstruction ; gouvernanArticulation. Division du pays en 5 regional commands (RC ;
ce) sont particulièrement mis à l’épreuve.
voir carte ci-dessus). RC nord (Allemagne ; 3000 h), RC ouest
La preuve par l’image. Selon certains sceptiques, l’engagement (Italie ; 2100 h), RC Est (USA ; 13 500 h), RC sud (Pays-Bas ;
de l’OTAN en Afghanistan manquerait de sérieux, de crédit. Jetez un Canada ; 11 500 h), RC centre (5 000 h).
œil aux traits tirés de vos interlocuteurs dans le sud et dans l’Est, aux Dans chaque Regional command oeuvrent des provincial reappareils Tornado de la Luftwaffe basés à Mazar-e-Sharif ou encore, construction teams (PRT) ; 25 PRT en mai 2007.
laissez-vous surprendre par l’invraisemblable hôpital militaire de Ma- Réalisations. Parmi d’autres, relevons notamment :
zar-e-Sharif, établissement flambant neuf doté de la dernière technolo- • la Ring Road (2400 km) reliant les grandes villes afghanes
gie médicale, installé à grands frais (18 millions $ sans les équipe- entre elles ainsi que vers le Pakistan, l’Iran et l’Asie centrale.
ments) par les Allemands. L’OTAN reconnait une carence en person- • Création de l’ANA (Afghan National Army), forte de 30000 h,
quasi-inexistante 3 ans plus tôt.
nel civil expatrié pour mener à bien les divers projets des PRT ; mais
pas en résultats, ainsi que le résume le tableau ci-contre.
• Création de l’ANP (Afghan National Police) ; 40 000 h.
Quid d’Osama Ben Laden ? Impossible de ne pas invoquer, lors • 83% de la pop. a désormais accès aux soins (9 % en 2004).
d’un ultime entretien avec le général américain (4 étoiles) Dan McNeil, • 76% des enfants de cinq ans vaccinés.
le « patron » de l’ISAF, la traque du leader historique d’Al-Qaïda. • 4000 hôpitaux et dispensaires ouverts depuis 2004.
«L’ISAF se concentre sur la reconstruction du pays, une tâche d’une • 1 milliard de m² déminés.
incroyable complexité » répond le général, avant de conclure, facé- • Scolarisation de 7 millions d’enfants.
• Ouverture de 10 campus universitaires.
tieux : « Et puis, sait-on seulement s’il est encore de ce monde ? ».
Gagner les cœurs et les esprits. C’est l’enjeu que se sont fixés, • Accès de 100 000 femmes au microcrédit.
pour accomplir au mieux leurs missions, les responsables de l’ISAF, • PIB per capita a doublé (355 $) en 3 ans.
ces 40 000 hommes et femmes, civils et militaires, éparpillés sur un territoire plus grand que la France, balayé depuis des décennies par le chaos.
A l’issue d’un bref séjour, et s’il convient de ne sous-estimer ni l’importance
des diverses résistances (talibans, Pakistan) ni le scepticisme des nations
contributrices, l’objectif parait bien engagé. Souhaitons qu’il le demeure encore longtemps.
Olivier GUILLARD
Directeur de recherches ASIE
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