RoNeonat – Projet suisse pour la néonatologie roumaine
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RoNeonat – Projet suisse pour la néonatologie roumaine
... ... RoNeonat – Projet suisse pour la néonatologie roumaine Rev Med Suisse 2006 ; 2 : S71-S74 R. E. Pfister A. Stanescu N. Fota M. E. Berner Drs Riccardo Pfister et Michel E. Berner Service de néonatologie et soins intensifs Hôpital des Enfants HUG, 1211 Genève 14 [email protected] Dr Alin Stanescu Institute of Mother and Child Care «Alfred Rusescu» Bd. Lacul Tei 120 Bucharest, Romania Dr Nicusor Fota CRED Foundation Romanian-Swiss Centre for Health Sector Development Dr Burghelea n° 8 Bucharest, Romania A childhood mortality of 20‰ sadly places Romania at the top of all European countries with approximately 45% of it attributable to neonatal mortality. Supported by a very young Romanian Neonatology Society, the Ministry of Health of the country requested support from the Swiss Government through the Swiss Agency for Development and Cooperation (SDC) to help reducing this gap, encouraged by the plans to join the European Community. On site visits of experts from the University Hospital Geneva and Zurich and numerous meetings with Romanian specialists and go- S0 vernmental bodies set the base for the development of a support program aiming at regionalization of neonatal care, training in neonatology for medical specialists and nurses, development of quality guidelines and public awareness campaigns.The project was implemented by an executive agency and locally coordinated through a newly created foundation. In addition to a general support to the new Romanian neonatology, two regions were chosen to deploy a collaborative neonatology project, one in Transylvania and the other in Moldavia.The Romanian Ministry of Health demonstrated its profound involvement by creating a specific ministerial board for neonatology and by supporting the proposed regionalization, but also in updating neonatology infrastructures (buildings, medical gazes and sanitary systems) throughout the two pilot districts. In addition to strategic and training support, the Swiss project finally also provided a considerable amount of equipment to improve and complete what was available but very decrepit. During 2003/4, four specialized physicians and four head nurses from level III hospitals of the two chosen regions spent three training months at the University Hospital Geneva, in teams of two. During their training, Romanian participants joined daily activities in the neonatology unit but, most importantly, prepared under supervision an extensive teaching support. The aim was the training of local trainers for clinical teaching at their return, supported by modern teaching equipment consisting in PC, beamer and modern mannequins. Based on the experience in the two pilot districts, the Romanian Ministry of Health decided to consolidate and scale up this project on a national level, as part of the Health Sector Reform Program financed by the World Bank, which is now an ongoing project. INTRODUCTION E Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 août 2006 n Europe, la Roumanie figure tristement en tête de liste en ce qui concerne la mortalité infantile qui avoisine 20‰.1,2 Avec 45%, la mortalité néonatale représente la majeure contribution à cette mortalité. La Roumanie a trois fois plus de nouveau-nés que la Suisse (230 000 naissances par année) alors que la néonatologie en tant que spécialité médicale pour cette population n’en est qu’à ses débuts. En 1997, le ministère de la Santé et la toute jeune Société de néonatologie roumaine (fondée à la fin des années 90) ont demandé l’aide du gouvernement suisse, par le biais de la Direction du développement et de la coopération, DDC, déjà active en Roumanie dans d’autres projets d’entraide, afin d’élaborer, avec une agence exécutive, un projet de modernisation de la néonatologie roumaine pour réduire la mortalité néonatale. Ce travail a conduit en 2001 à une visite d’experts dans le domaine de la néonatologie de Genève et Zurich pour déterminer les besoins et évaluer les ressources nécessaires à un projet réaliste. L’ÉTAT DES LIEUX Les visites d’évaluation de différentes régions roumaines effectuées en 2001 ont permis de choisir deux régions dans lesquelles initier le projet d’entraide. La région de Mures en Transylvanie a été choisie pour sa situation géographique centrale (cette région couvre deux districts, Mures et Harghita où naissent environ 10 000 nouveau-nés par année) ; la région de Iasi en Moldavie a été choisie en raison d’un taux de natalité très élevé dans une région de grande pauvreté. Cette dernière couvre trois districts, Iasi, Vaslui et Neamt où naissent environ 20 000 nouveau-nés par année. L’expertise basée sur la première visite en 2001 avait comme but d’identifier les principaux problèmes dans les soins aux nouveau-nés, en vue d’élaborer des stratégies pour réduire la mortalité néonatale. Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – août 2006 S71 ... ... Statistiques de mortalité Lors de cette première prise de contact, les statistiques de mortalité néonatales paraissaient très fortement biaisées, vestige probable des années de répression du communisme. La déclaration des nouveau-nés à l’état civil, différée souvent d’une dizaine de jours, permettait de cacher la mortalité néonatale précoce. Les statistiques de mortalité néonatale ne pouvaient donc pas être utilisées comme outil d’évaluation du projet. Bien pire, une amélioration de la qualité des statistiques dans le cadre du projet, en incluant tous les nouveau-nés vivants selon les critères de l’OMS,3 devait obligatoirement conduire à une apparente augmentation de la mortalité, même en face d’une amélioration de la qualité des soins. Organisation et régionalisation Alors que certains centres universitaires visités fournissaient déjà des soins néonataux d’assez bonne qualité, un manque évident de planification régionale et nationale de la médecine néonatale laissait apparaître des différences énormes entre ceux-ci et les hôpitaux périphériques éloignés. La centralisation des grossesses à haut risque dans des cliniques d’obstétrique disposant d’une unité de néonatologie de type III, ainsi que les transferts de nouveau-nés gravement malades dans ces mêmes unités étaient exceptionnels. L’absence quasi complète d’un système de transport adéquat pour nouveau-nés tant à l’intérieur des hôpitaux qu’entre hôpitaux d’un district rendait cette collaboration utopique. Les rares transports étaient effectués par une ambulance sans équipe néonatale spécifique. Parallèlement, à l’intérieur des centres, la communication entre la néonatologie et ses partenaires directs tels que l’obstétrique, la pédiatrie ou la chirurgie pédiatrique semblait problématique, sans véritable partenariat et très éloignée du concept de périnatalogie. Image de la néonatologie En Roumanie, la spécialité de néonatologie a pris naissance dans les maternités. Académiquement, elle s’est rapidement séparée de la formation des pédiatres qui l’avaient pourtant pratiquée les premiers. Ce faisant, les néonatologues se sont rapidement retrouvés dans une relation de dépendance administrative et financière S72 ... ... face à leurs supérieurs hiérarchiques obstétriciens. Spécialité à bas revenus et de peu de prestige, la néonatologie n’a été quasiment assurée que par des femmes médecins. Les demandes tant en personnel qu’en matériel n’aboutissaient souvent pas et la décision des priorités médicales restait du ressort de l’obstétricien, peu conscient des besoins du néonatologue. Dans ce contexte, il était frappant de voir cohabiter dans plusieurs des hôpitaux un service d’obstétrique des plus modernes, doté d’une unité de procréation médicalement assistée, à côté d’un service de néonatologie pauvrement équipé. Personnel soignant Le manque de personnel soignant apparaissait comme un problème brûlant, source de difficultés majeures. Aucune unité ne disposait du nombre d’infirmières suffisant pour assurer des soins spécifiques et le support pour les petits patients et leur mère. On peut se demander si, dans une certaine mesure, ce fait a contribué au nombre important d’enfants mis en adoption après leur naissance. La disponibilité du personnel semblait insuffisante dans bien des endroits, probablement parce que celui-ci devait se limiter aux soins élémentaires de l’alimentation et de la propreté. Peu de temps pouvait être consacré à la surveillance ou à l’évaluation des changements d’état des nouveau-nés et à la relation mère-enfant, malgré un dévouement hors du commun de tout le personnel soignant. Du côté médical, le nombre de médecins ne permettait souvent pas d’assurer la présence continue réclamée par l’état des nouveau-nés malades et, dans les centres les mieux lotis, l’organisation ne favorisait pas cette continuité, pour des raisons économiques. Construction et équipement L’état vétuste des hôpitaux était impressionnant, révélateur du manque de soutien des années passées. Les petites maternités étaient parfois dans l’impossibilité de garantir un chauffage hivernal en raison de l’équipement et des coûts d’entretien. Les équipements sanitaires étaient souvent en mauvais état et seuls quelques grands centres disposaient de gaz (air comprimé, oxygène) et de vide au mur. L’état de propreté et d’hygiène des lieux dénotait cependant le souci cons- Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – août 2006 tant d’éviter les infections tant redoutées. Le manque d’équipement de base était général et seules quelques unités répondaient aux standards actuels. Une bonne partie de l’équipement provenait de dons de différentes organisations humanitaires. Il en résultait une très grande disparité de matériel, marques, conception et année de fabrication avec des difficultés dans l’utilisation et l’entretien du matériel. Le système de sponsoring compliquait également le développement de concepts locaux et prioritaires dans l’équipement nécessaire. Quelques appareils de valeur étaient abandonnés par manque de consommables (réactifs pour analyseur de gaz sanguin) ou d’entretien ; d’autres étaient inutilisés, parce qu’inappropriés au niveau de soins de l’hôpital. Par exemple, un grand nombre de ventilateurs n’étaient pas employés ou hors d’usage en raison du manque de personnel expérimenté. Simultanément, manquaient des équipements de base tout à fait indispensables, tels que les appareils de mesure de la glycémie ou de la bilirubinémie. De même, le manque d’équipement pour la prise en charge des nouveau-nés en salle d’accouchement (surface chauffée, gaz médicaux, ballons et masques de ventilation) pour des soins médicaux simples et la réanimation primaire était frappant. De nombreux incubateurs défectueux (chauffage, bruit) étaient utilisés pour des nouveau-nés qui auraient pu être soignés dans un lit, vraisemblablement dans un but d’isolement, par crainte d’infection. Prise en charge médicale Dans la plupart des hôpitaux visités, à l’exception de la Moldavie où le roomingin est très répandu, les nouveau-nés sains étaient séparés de leur mère peu après la naissance pour être surveillés transitoirement dans une chambre d’observation, rendant le contact mère-enfant durant ces premières heures de vie insuffisant selon nos critères actuels. En Moldavie, les problèmes médicaux identifiés les plus fréquents étaient la détresse respiratoire précoce et les complications neurologiques associées à l’asphyxie et aux hémorragies cérébrales. Dans les autres régions, les infections étaient mentionnées comme problème médical le plus urgent. Ces affirmations ne pouvaient être que difficilement ob- Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 août 2006 S0 ... ... jectivées par des chiffres, parce que les technologies pour les confirmer (gazométrie, ultrasonographie cérébrale et culture bactérienne) n’étaient disponibles que dans certains des grands centres. La mortalité et les infections néonatales étaient reprochées publiquement aux soignants par le gouvernement, entraînant d’une part l’emploi libéral d’antibiotiques à très large spectre malgré le risque bien connu de développement de souches hautement résistantes et d’autre part une séparation entre unités «propres» et unités «septiques», source de gaspillage du peu de personnel et de matériel à disposition. L’AIDE APPORTÉE Sur la base des plans issus des travaux préparatoires et des visites d’experts, l’agence exécutrice (Corporate Dynamics 1999-2002 ; Institut de médecine tropicale 2003-actuel) a mis sur pied une antenne roumaine à Bucarest et concrétisé la mise en œuvre du projet en engageant les autorités sanitaires roumaines et les centres de néonatologie dans la planification de la régionalisation des soins dans les deux régions pilotes et dans la réalisation des nouvelles infrastructures.4 Parallèlement les formations médicale et infirmière étaient mises en route avant que l’apport d’équipement ne vienne améliorer le parc roumain très décrépit et vétuste. Régionalisation Le gouvernement roumain a témoigné de son engagement en créant un conseil de néonatologie au sein du ministère de la Santé et en acceptant d’appliquer la régionalisation proposée. Plusieurs ateliers organisés à Bucarest et à Genève entre dirigeants du ministère de la Santé roumaine, autorités suisses et l’équipe médico-infirmière genevoise ont progressivement permis de concrétiser ces plans en déterminant notamment les différents niveaux de fonction des hôpitaux de chacun des deux réseaux. ... ... et 2005 (associées à une participation genevoise au congrès annuel de la Société roumaine de néonatologie), les travaux réalisés ont impressionné par leur qualité. Comme convenu au départ, la fin des travaux devait coïncider avec l’arrivée du nouvel équipement (figure 1). L’augmentation promise de personnel ne semble cependant pas avoir suivi la même évolution. Seuls quelques centres ont, avec insistance, réussi à obtenir une meilleure adéquation. Formation Le Service de néonatologie et des soins intensifs des HUG a reçu en 2004 quatre équipes roumaines composées chacune d’un médecin et d’une infirmière provenant d’hôpitaux de niveau III. Plusieurs modules de formation ont été proposés concernant la prévention et la prise en charge des principales pathologies (réanimation, pathologies respiratoires, cardiovasculaires et neurologiques). Pendant trois mois, ces binômes se sont fondus au sein de l’équipe de l’unité de néonatologie genevoise et ont préparé chacun, deux à trois modules d’enseignement pour devenir formateurs à leur retour en Roumanie. Chaque module devait aboutir à la constitution d’un dossier d’enseignement, incluant un fichier électronique «Powerpoint» permettant de dispenser la formation théorique ainsi que le matériel nécessaire pour un enseignement pratique dans leur propre institution et dans les régions dépendantes, aux équipes des A hôpitaux de niveau II et I. Plus d’une centaine de personnes ont ainsi pu bénéficier de cette formation donnée à l’aide d’un équipement d’enseignement moderne (PC, projecteur, mannequins de réanimation, matériel de démonstration). Dans le but d’améliorer l’adhésion à cette formation parfois en conflit avec d’anciens concepts, les dirigeants médicaux des équipes roumaines ont été invités à visiter plusieurs unités de néonatologie en Suisse, dont notamment celle de Genève. Finalement, pour contribuer à la formation postgraduée des néonatologues roumains, les responsables de la néonatologie genevoise se sont également engagés à participer aux congrès annuels roumains de cette spécialité. Dans cette même perspective, a été mis sur pied un site de discussion sur web (http://telemed. ipath.ch/) avec un accès restreint qui permet une communication plus aisée à l’intérieur du pays et constitue une plate-forme de discussion avec des correspondants étrangers pour des cas problématiques. Equipement La donation d’un important parc d’équipement par le gouvernement suisse représentait un certain bras de levier pour promouvoir les transformations des infrastructures et assurer les besoins des équipes formées en Suisse et celles des formateurs locaux. Ce parc d’équipement composé avant tout d’incubateurs, tables B Infrastructure et personnel soignant Le ministère de la Santé a octroyé les moyens pour mettre à jour les infrastructures (locaux, fluides et sanitaires) dans les régions pilotes durant les années 2002 à 2004. Lors de visites ultérieures en 2004 S0 Figure 1. Incubateur A. Incubateur ouvert non fonctionnel utilisé comme lit pour enfant habillé et couvert sous cloche d’oxygène dans une unité de néonatologie de niveau III (2002). B. Equipement similaire mais fonctionnel dans une unité de néonatologie modernisée de niveau III dans une région pilote ayant bénéficié du projet (2004). Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 août 2006 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – août 2006 S73 ... ... de réanimation, d’appareils de support ventilatoire (CPAP et respirateurs), de moniteurs et gazomètres, a, en plus de son utilité évidente, donné une image et une crédibilité nouvelles au néonatologue roumain, particulièrement face à son directeur d’hôpital. Un équipement plus simple, visant surtout à l’amélioration de la réanimation primaire, a été prévu pour les hôpitaux périphériques. BILAN Les efforts des gouvernements, des agences d’exécution suisse et roumaine, et de toutes les équipes hospitalières pour amener la prise en charge des nouveaunés à un standard international sont en train de porter leurs fruits. Le concept si important de régionalisation des soins, appliqué dans les deux régions pilotes grâce à l’aide de la Suisse, est en voie de généralisation dans tout le pays, soutenu cette fois par un prêt de la Banque mondiale. Plus important à nos yeux, les mentalités sont en train de changer et on peut espérer que la rénovation des infrastructures, l’équipement moderne et l’amélioration de la formation donnent une image crédible de la néonatologie à la population et aux médecins des autres spécialités, obstétrique et chirurgie pédiatrique. La pérennisation de ces progrès dépend maintenant aussi de l’entretien des infrastructures et du matériel, et de l’amé- S74 ... ... lioration des conditions de travail qui sont dépendantes du développement général des services dans le pays. Remerciements Nous aimerions remercier la Direction du développement et de la coopération (DDC) qui nous a impliqués dans ce magnifique projet ainsi que les Hôpitaux universitaires de Genève d’avoir permis notre participation. Nos remerciements vont aussi à M. M. Zahorka, de l’Institut tropical suisse qui a fonctionné en tant qu’agence exécutive et les deux néonatologues chefs des régions de Moldavie et Transylvanie Dr M. Stamatin et Dr M. Cucerea. Bibliographie 1 Hoyert DL, et al.Annual summary of vital statistics : 2004. Pediatrics 2006;117:168-83. 2 Nadezhda A, Redmond G. How high is infant mortality in Central and Eastern Europe and the commonwealth of independent states ? Population Studies 2005; 59:39-54. 3 The World Health Report.WHO, 2005. 4 Zahorka M. Health care reform in Romania : Reorganisation of neonatology services. Bulletin von Medicus Mundi Schweiz 2003;88:30-2. Fiche technique > Titre du Projet : RoNeonat – Projet suisse pour la néonatologie roumaine > Responsables genevois : Pr M. Berner, Dr R. E. Pfister > Institutions partenaires : DDC : Direction du développement et de la coopération Institut tropical suisse – Centre suisse de santé internationale Romanian Swiss Centre for Health Sector Development (CRED) Romanian Ministry of Heath Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) > Contact e-mail : [email protected] > Soutien financier : Swiss Agency for Development and Cooperation (SDC) Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) > Début de la collaboration : 2001 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – août 2006 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 août 2006 S0