Planète Océan
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Bulletin UICN Numéro 1 2004 Planète Conservation REDÉCOUVRIR LA Planète Océan 25e anniversaire de la CMS SOMMAIRE Redécouvrir la Planète Ocean Qu’il est mal à propos d’appeler «Terre» cette planète qui est clairement «Océan» – Arthur C. Clarke JOSE ANTONIO MOYA C’est en 1985 qu’un programme marin embryonnaire a fait ses premières armes au Siège de l’UICN. Vingt ans se sont écoulés, vingt ans de collaboration avec les groupes marins de la Commission mondiale des aires protégées (CMAP) et de la Commission de la sauvegarde des espèces (CSE) de l’UICN. Aujourd’hui, le programme a 12 employés, 15 comités et un grand nombre de partenaires actifs. Le présent numéro de Planète Conservation présente quelques aspects des travaux du Programme de l’UICN pour le milieu marin appliqués, main dans la main, par le Secrétariat, les membres et les Commissions de l’Union, les partenaires internationaux et les «bergers» des ressources marines. SOMMAIRE 3 Planète Conservation INTRODUCTION Améliorer la gouvernance de l’océan William Jackson (anciennement Bulletin de l’UICN) Une publication de l’UICN-Union mondiale pour la nature rue Mauverney, 28 CH-1196 Gland, Suisse Tél.: +41(22) 999 0001 Téléc.: +41(22) 999 0002 Site Web: www.iucn.org Des eaux troublées 4 La conservation de la haute mer : au-delà de toute juridiction nationale Kristina M. Gjerde et Graeme Kelleher 6 Extinction dans les grands fonds Matthew Gianni 8 S’enflammer pour les coraux d’eau froide Kirsten Martin et Alex Rogers 10 Récifs tropicaux : la réalité en face Kristin Sherwood 12 Les grands écosystèmes marins - Gérer Benguela : un partenariat africain Mick O’Toole et Claire Attwood 14 Les petites îles : une question de survie Pedro Rosabal Gonzales Rédactrice en chef Nikki Meith Rédacteur adjoint Peter Hulm Chef du Programme pour le milieu marin Carl Gustaf Lundin Tracer la voie Rédactrice adjointe, Programme pour le milieu marin Kirsten Martin 16 Construire un réseau mondial d’APM, parc après parc Charles N. Ehler et Arthur Paterson Responsable photos, Programme pour le milieu marin James Oliver Encart spécial : 25e anniversaire de la CMS 18 18 19 20 21 22 24 Les extinctions marines au grand jour Roger McManus et Amie Bräutigam Mérous et labres – la conservation en action Yvonne Sadovy Requins : le point de non-retour? Rachel Cavanagh La fièvre de l’or biologique Imène Meliane Aquariums marins : de la connaissance au respect François Simard Sus aux envahisseurs! Imène Meliane et Chad Hewitt Tanzanie : trois chemins qui mènent de la pauvreté à la prospérité Andrew K. Hurd et Melita A. Samoilys Chef du service de la communication Corli Pretorius Chef du service des publications Elaine Shaughnessy Responsable des publications Deborah Murith Édition française Danièle Devitre © 2004 Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources Les rivages futurs 26 Droit international de la mer : de la rétrospective à la prévoyance Lee A. Kimball 28 Le prix à payer pour les changements climatiques Herman Cesar 29 La mort des coraux dans l’océan Indien Olof Lindén 30 Le Programme de l’UICN pour le milieu marin : de la nécessité à l’action Carl Gustaf Lundin 31 Nouveau groupe sur le droit de l’océan David VanderZwaag Volume 35, N°1, 2004 ISSN : 1027-0973 Maquette couverture: L’IV COM Sàrl Maquette/Mise en page: Maximedia Ltd. Produit par : la Division des publications de l’UICN, Gland, Suisse et Cambridge, R.-U. Imprimé par: Sadag Imprimerie 32 Publications 2 Souscription annuelle: (3 numéros par an) USD 45 (non-membres) envoi par avion compris JOSE ANTONIO MOYA Couverture : cette photo d’hétérocongers de Gorgasia sillneri a été prise par Laurent Ballesta (Andromede Environment Ltd) durant une mission d’étude et de renforcement des valeurs naturelles des récifs coralliens du Parc marin de la paix d’Aqaba, en Jordanie. Andromede Environment Ltd offre, aux organes de gestion, toute une gamme de services pour l’étude et la promotion/communication des aires protégées marines. Adresse : [email protected] Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles de l’UICN ou de ses membres. Pour tout renseignement sur la souscription, contactez : [email protected] Veuillez adresser toutes les autres demandes de renseignements concernant cette publication à : [email protected] Planète Conservation 1/2004 UICN/CARL GUSTAF LUNDIN INTRODUCTION Les cultivateurs de varech de la province de Fujian, en Chine, ont appris à gérer durablement cette ressource, mais l’exploitation des écosystèmes naturels cède peu à peu la place à l’aquaculture. LE PROGRAMME DE L’UICN POUR LE MILIEU MARIN Améliorer la gouvernance de l’océan William Jackson Dans le secteur marin, la force de l’Union réside dans les efforts persistants qu’elle fait pour améliorer la gouvernance mondiale de l’océan par l’intermédiaire des Nations Unies et d’autres processus internationaux. Efforts repris en écho par le Programme pour aider les nations à trouver un terrain d’entente afin d’élaborer des régimes de gestion universellement acceptables et jouissant de bonnes connaissances scientifiques. Ils se traduisent par l’élaboration de bonnes pratiques de gestion et par leur mise à l’essai, en particulier pour les aires protégées marines (APM). La nouvelle publication How is your MPA doing? (Comment va votre APM?) en est un exemple. L’UICN soutient des activités marines pratiques dans le monde entier, et en particulier en Afrique de l’Est, dans les Caraïbes et en Asie du Sud. Les programmes de développement d’APM ont été particulièrement couronnés de succès en Afrique de l’Ouest, en Tanzanie, au Viet Nam et au Samoa. Parmi les principales réalisations, on peut citer le recueil de connaissances et d’avis experts qui ont servi à publier l’atlas Coral Reefs of the World en 1988 et en 2002; à préparer A Global Representative System of MPAs en 1995; Guidelines for Marine Protected Areas en 1999; MCPAs: A guide for planners and managers (3e édition) en 2000; International Ocean Governance et Towards a Strategy for High Seas Marine Protected Areas en 2003. L’évolution rapide de la technologie et son application dans le domaine marin nous permet aujourd’hui de gérer des zones qui étaient autrefois hors de nos possibilités d’intervention courantes. Désormais, il n’existe plus de Planète Conservation 1/2004 lieux sur la carte où des activités illicites seraient acceptables ou passeraient inaperçues. La lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée est capitale. Notre connaissance scientifique de certaines ressources augmente de manière exponentielle mais il faut encore, dans bien des cas, appliquer le principe de précaution lorsque le manque de connaissances limite notre capacité de prévoir le résultat de nos actions. Depuis 2002, l’UICN est le témoin de l’expansion rapide des efforts de conservation marine (ce n’est d’ailleurs peut-être pas une coïncidence, 30 ans après la Conférence des Nations Unies sur l’environnement), et nous nous réjouissons de l’avènement d’une gouvernance améliorée de l’océan. Le regain d’intérêt pour la conservation marine peut être observé dans de nombreux pays et de nombreuses organisations internationales mais aussi dans l’engagement pris, au niveau international, à travers les objectifs fixés par le Sommet mondial pour le développement durable. Ce nouvel engagement est l’expression d’un consensus : nous vivons une crise de la gestion des ressources marines. Mais il reflète aussi une prise de conscience : nous avons de grandes possibilités de rectifier certaines des erreurs. L’UICN s’efforcera de faciliter ce travail et de faire en sorte que tous les acteurs, y compris les générations futures, puissent profiter d’un écosystème marin en bon état. William Jackson est Directeur du Programme mondial de l’UICN 3 JEREMY STAFFORD-DEITSCH NATIONAL OCEANS OFFICE/VANCE WALLIN DES EAUX TROUBLÉES En déclin à cause de la surpêche et de la grande valeur de ses ailerons et autres produits, y compris l’huile hépatique, le requin pèlerin se trouve sur la Liste rouge de l’UICN des espèces menacées (Vulnérable au plan mondial, En danger dans l’Atlantique nord-est et le Pacifique nord) et il est également inscrit à l’Annexe II de la CITES. Il fait partie des nombreux requins victimes de captures accidentelles par les navires de pêche hauturiers (encart). conservation de la haute mer : L aau-delà de toute juridiction nationale Kristina M. Gjerde et Graeme Kelleher De vastes étendues océaniques échappent à la juridiction des pays riverains. La haute mer recouvre 64% de la superficie des océans et comprend les grands fonds marins – le ‘patrimoine commun de l’humanité’ défini dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer – et la colonne d’eau se trouvant au-delà de toute juridiction nationale. Avec une profondeur moyenne de près de 4000 m, la haute mer est le plus vaste des habitats de la planète, constituant plus de 80% de la biosphère mondiale. Ces 30 dernières années, les scientifiques ont découvert que les grands fonds marins contiennent quelque 100 millions d’espèces, plus de coraux que les eaux tropicales et des écosystèmes exotiques tels que des bouches hydrothermales, des suintements d’eau froide et des hydrates de méthane dissociés de l’énergie solaire. Et cependant, malgré les efforts déployés pour connaître l’océan et ses habitants, nous n’avons fait qu’écumer la surface. Selon une étude récente publiée dans Science, quelques gorgées d’eau de la mer des Sargasses – dont on estime que la diversité spécifique est comparativement faible – contiennent au moins 1800 nouvelles espèces de microbes marins et plus d’un million de gènes autrefois inconnus de la science. Forts de ces découvertes, les scientifiques pensent que plus de 99% des espèces vivant en haute mer n’ont pas encore été découvertes. 4 Il est difficile de croire que l’activité humaine puisse menacer cette immensité, ce réservoir mondial de diversité et de productivité biologiques mais les preuves sont là et déjà concluantes. Il n’y a plus de refuge Il est une menace plus grave que les autres : la pêche. La pêche industrielle a déjà réduit de plus de 90% les populations d’espadons, de marlins, de thons, de requins et d’autres grands prédateurs marins. Les captures accidentelles d’albatros et d’autres animaux marins menacent certaines espèces d’extinction. Le matériel électronique perfectionné de détection du poisson et les équipements de pêche de fond modernes ouvrent de nouvelles zones de pêche et donnent accès à d’anciens refuges, de sorte que des habitats des fonds marins riches en espèces, tels que les mont sous-marins et les récifs coralliens d’eau froide risquent désormais d’être détruits (voir page 8). D’autres activités anthropiques sont aussi menaçantes, par exemple les déversements terrestres de plastiques et de polluants; la navigation; le rejet de déchets; les émissions des centrales électriques; les activités militaires; l’exploitation minière des grands fonds marins et les constructions; la production d’énergie et le piégeage mécanique du CO2 et, enfin, la bioprospection et la recherche scientifique. Tous ces Planète Conservation 1/2004 DES EAUX TROUBLÉES facteurs se conjuguent pour mettre en danger les espèces, les écosystèmes et les processus des grands fonds et de la haute mer. Et pour couronner le tout, on peut déjà observer les incidences des changements climatiques. Tous ces efforts, entrepris avec différents partenaires commencent à porter leurs fruits. L’UICN se réjouit de collaborer avec une gamme toujours plus vaste de partenaires en vue de protéger et de gérer rationnellement les 64% de la superficie des océans qui se trouvent en dehors de toute juridiction nationale. Améliorer la conservation et la gestion Il est essentiel, pour faire face à ces menaces, de mieux appliquer les accords en vigueur pour le milieu marin. Et pour pouvoir conserver la diversité et la productivité biologiques de la haute mer en adoptant une approche intégrée et prudente, à l’échelle de l’écosystème, nous devons aussi mettre à jour et renforcer ces accords (voir page 27). Les dispositions de la Convention sur le droit de la mer relatives à la protection du milieu marin et à la conservation des ressources marines biologiques ont été appliquées sans grande logique en haute mer, même aux activités les mieux réglementées telles que la pêche pélagique et la navigation hauturière. En outre, la plupart des activités qui touchent les grands fonds marins s’effectuent encore sans surveillance ni contrôle au niveau mondial; c’est le cas notamment de la plupart des pêcheries hauturières de poissons pélagiques et de nouvelles activités autres que l’exploitation minière qui pourraient affecter le lit marin, par exemple les projets de production commerciale d’énergie, d’aquaculture, de stockage du CO2, de bioprospection et de recherche. Kristina M. Gjerde est Conseillère, politiques de la haute mer, pour le Programme de l’UICN pour le milieu marin. Elle est basée en Pologne. Courriel : [email protected] Graeme Kelleher est Conseiller principal auprès de la Commission mondiale des aires protégées (CMAP) de l’UICN et Président du Groupe de travail de la CMAP sur la haute mer. Il est basé en Australie. Courriel : [email protected] En février 2004, les décisions des Parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB) ont mis en place une action rapide de lutte contre les menaces pesant sur la diversité biologique marine au-delà de toute juridiction nationale. La Conférence des Parties (COP) à la CDB a appelé l’Assemblée générale des Nations Unies et d’autres organisations internationales et régionales compétentes «…à prendre d’urgence toutes les mesures à court, moyen et long terme nécessaires pour éliminer/éviter les pratiques destructrices», y compris en instaurant une «interdiction temporaire» des pratiques destructrices dans les zones où il y a des monts sous-marins, des bouches hydrothermales, des communautés coralliennes d’eau froide et d’autres écosystèmes vulnérables. La COP a également engagé un processus participatif international en vue d’établir et de gérer efficacement des aires protégées marines (APM) en haute mer. Un groupe de travail sur les aires protégées a été chargé d’étudier les possibilités de création d’APM au-delà de toute juridiction nationale, dans le respect du droit international et en prenant appui sur les connaissances scientifiques. Le nouvel horizon de l’Union Afin d’encourager l’étude de nouveaux outils de conservation de la haute mer, en particulier les APM, la Commission mondiale des aires protégées (CMAP) de l’UICN a lancé un vaste projet pour la haute mer et un groupe de travail sur la haute mer a été établi en partenariat avec le WWF. Le groupe parraine des ateliers et des publications sur les APM de la haute mer (voir encadré), les monts sous-marins, les communautés coralliennes d’eau froide et les activités de pêche en haute mer. Il participe à des conférences internationales telles que le récent Ve Congrès mondial sur les parcs de l’UICN et il a organisé des activités pédagogiques dans le cadre de grandes réunions internationales, par exemple à l’occasion de la COP de la CDB en février 2004. Planète Conservation 1/2004 NOAA FISHERIES/A LINDNER La haute mer à la CDB Forêt corallienne près des îles Aléoutiennes, au large de l’Alaska. Bien qu’ils soient habituellement associés aux îles tropicales, certains coraux durs et mous prospèrent dans les eaux froides et profondes de l’Alaska et de l’Antarctique, parfois jusqu’à 3000 m de profondeur. Ces communautés coralliennes complexes offrent un habitat important à une grande diversité d’espèces, y compris des poissons d’importance commerciale tels que l’hoplostète orange et la scorpène. Une stratégie pour la haute mer Le Programme de l’UICN pour le milieu marin, la Commission mondiale des aires protégées (CMAP) de l’UICN et le Programme du WWF sur les mers en danger ont élaboré une stratégie en vue de mettre sur pied un réseau mondial représentatif d’APM de haute mer et de protéger des zones particulièrement vulnérables tels que les monts sous-marins, les coraux d’eau froide et autres écosystèmes qui subissent les effets de la pêche hauturière. En s’appuyant sur des instruments juridiques internationaux et régionaux existants, la stratégie se concentre sur la constitution d’une coalition, la reconnaissance mondiale du concept d’APM de haute mer et la désignation des premières «zones-tests». La stratégie a été rédigée par des experts juridiques, scientifiques et administratifs à l’occasion d’un atelier international sur les AMP de haute mer qui a eu lieu en janvier 2003 à Malaga, Espagne, puis elle a été discutée et adoptée au Ve Congrès mondial sur les parcs de l’UICN, à Durban. La mise en œuvre se fera sous l’égide du Groupe de travail sur la haute mer de la CMAP, récemment ouvert à des experts des gouvernements, de l’industrie, de l’université, d’ONG de la conservation et autres partenaires. L’atelier d’experts a été organisé par l’UICN, la CMAP et le WWF en coopération avec le Centre UICN de coopération pour la Méditerranée à Malaga. Le Centre du droit de l’environnement de l’UICN a fourni l’étude juridique de base. Pour d’autres informations, consultez www.iucn.org/themes/marine/ et en particulier http://www.iucn.org/themes/marine/pubs/pubs.htm. 5 DES EAUX TROUBLÉES E xtinction dans les grands fonds Depuis toujours, les profondeurs océaniques inspirent crainte et émerveillement à l’humanité et ont été tour à tour considérées comme des lieux sombres et mystérieux, hostiles à la vie, le sanctuaire de monstres marins légendaires ou l’origine de la vie elle-même. Les récents travaux scientifiques ont permis de confirmer et de révéler l’étendue remarquable du mystère et de la diversité de la vie dans les fonds océaniques. Selon les estimations actuelles, il y aurait entre 500 000 et 100 millions d’espèces vivant dans les fonds marins. On y trouve plus d’espèces de coraux que dans les mers tropicales peu profondes. Sur les pentes supérieures et les pics des monts sousmarins – des montagnes et chaînes de montagnes sousmarines que l’on trouve dans les océans Atlantique, Pacifique et Indien – on a découvert des espèces qui semblent n’exister nulle part ailleurs. En une seule expédition dans les mers de Corail et de Tasman, dans le sud Pacifique, les scientifiques ont signalé que 16 à 36% des 921 espèces de poissons et autres espèces de la macrofaune benthique prélevées sur 24 monts sous-marins étaient nouvelles pour la science. On estime qu’il y a au moins 100 000 monts sous-marins océaniques et beaucoup, si ce n’est la plupart, pourraient être des îlots uniques de diversité biologique des profondeurs marines. Leur destruction pourrait entraîner l’extinction de groupes d’organismes entiers sans que nous n’en sachions rien. La technologie a le bras long Anémone attrape-mouche (Hormatiidae) sur le versant du mont sous-marin de Davidson (1874 m). 2000 m ou plus. Les pêcheries côtières et les écosystèmes pélagiques étant surexploités, les grands navires de pêche et les usines flottantes des pays industrialisés se tournent vers de nouvelles pêcheries et de nouveaux marchés pour les espèces des profondeurs. En conséquence, les chalutiers de fonds qui traînent de lourdes chaînes, des filets, des câbles et des plaques d’acier sur les fonds marins ciblent de nouvelles espèces pour satisfaire la demande de poissons et de fruits de mer en augmentation en Europe, en Amérique du Nord et au Japon. La destruction d’écosystèmes uniques qui en résulte est une source d’inquiétude notamment pour les biologistes des fonds marins et les spécialistes de la conservation. AUSTRALIAN FISHERIES MANAGEMENT AUTHORITY Malheureusement, la capacité d’atteindre les profondeurs de l’océan n’est pas limitée à la seule science. L’industrie de la pêche est équipée pour exploiter le lit marin jusqu’à NOAA/MBARI/ERICA BURTON Matthew Gianni Le chalutage de fond pour pêcher l’hoplostète orange Hoplostethus atlanticus ne laisse que dévastation dans son sillage. 6 Planète Conservation 1/2004 DES EAUX TROUBLÉES Il est presque certain que l’expertise, la technologie et les marchés nécessaires à ces nouvelles pêches prendront de l’expansion dans les années à venir. En l’absence de surveillance et de contrôle, il faut s’attendre à des extinctions irrémédiables et sans précédent. La responsabilité internationale CSIRO/KEITH SAINSBURY Au regard du droit international, chaque pays est essentiellement responsable de la gestion de la pêche dans ses eaux. En haute mer – les deux tiers des océans qui échappent au contrôle de tout pays – chacun fait ce qu’il veut. Protéger la diversité biologique des profondeurs océaniques est une responsabilité qui doit incomber à la communauté internationale. L’UICN, le Fonds mondial pour la nature – WWF, Conservation International et le Natural Resources Defense Council (États-Unis) ont demandé à l’auteur d’évaluer l’ampleur de la pêche au chalut de fond en haute mer et la marge d’action de la communauté internationale dans le cadre du droit international. J’ai pu constater, entre autres, que la valeur économique de la pêche au chalut de fond en haute mer est aujourd’hui relativement faible par rapport à la pêche mondiale – pas plus de USD 300 à 400 millions par an pour USD 75 milliards par an pour l’ensemble des pêcheries marines. En outre, les prises au chalut de fond en haute mer constituent environ 0,2% de la capture totale de poissons et n’apportent pratiquement aucune contribution à la sécurité alimentaire mondiale. Aux taux actuels de capture, la pêche de fond pour des espèces telles que l’hoplostète orange, le béryx et le grenadier pourrait bien être non durable, du point de vue de ses incidences sur les espèces ciblées. En 2001, 13 pays au maximum obtenaient environ 95% des prises au chalut de fond en haute mer. Les pays de l’Union européenne capturaient entre la moitié et les deux tiers des prises. Le nombre total de navires de pêche qui participent à la pêche au chalut de fond en haute mer ne dépasse pas quelques centaines. Par comparaison, 3,1 millions de navires de pêche sont aujourd’hui opérationnels selon les estimations de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Cela signifie qu’une poignée de pays met en péril un réservoir mondial de diversité biologique qui appartient au patrimoine commun de l’humanité. Il faut agir Comme il est probable que le chalutage de fond hauturier prendra de l’expansion dans les années à venir, la communauté internationale a clairement l’obligation de prendre des mesures légales (voir pages 26 et 27). La bonne nouvelle, c’est qu’en octobre 2003, puis en février 2004, un groupe important de biologistes éminents, spécialistes de la haute mer et d’autres scientifiques concernés a appelé l’Assemblée générale des Nations Unies à déclarer un moratoire temporaire sur la pêche au chalut de fond en haute mer. De leur côté, les Parties à la Convention sur la diversité biologique ont demandé de prendre des mesures à court terme, de toute urgence, et d’instaurer, notamment, une «interdiction intérimaire» des pratiques destructrices dans les grands fonds. Planète Conservation 1/2004 CSIRO/KEITH SAINSBURY Un coût élevé pour un gain dérisoire Les grands fonds intacts au large du nord-ouest de l’Australie présentent des populations denses de coraux et d’éponges que le chalutage élimine. Photos : les fonds intacts (en haut) et après le passage du chalut. Le décor est ainsi planté pour l’action internationale. Il est maintenant du ressort des gouvernements, individuellement et collectivement, par l’intermédiaire de l’Assemblée générale des Nations Unies, de prendre les mesures nécessaires pour enrayer la perte peut-être irréversible de la diversité biologique dans les profondeurs. Il est de plus en plus évident que la Terre fait face à une autre grande extinction et que le taux d’érosion des espèces s’accélère. Les activités humaines ont aujourd’hui atteint les fonds marins et il semble que sur notre planète, il n’y ait plus aucun lieu à l’abri de nos mains. Toutefois, par comparaison avec la prévention de la destruction des forêts pluviales et des récifs coralliens, empêcher la perte de biodiversité due à la pêche au chalut de fond hauturier est relativement facile. Il faut agir tant qu’il est encore temps. Matthew Gianni est un consultant indépendant qui travaille pour le Programme de l’UICN pour le milieu marin. Voir High Seas Bottom Fisheries and their Impact on the Biodiversity of Vulnerable Deep-Sea Ecosystems: Summary Findings par Matthew Gianni, 2004, dans la rubrique Publications (www. iucn.org/themes/marine). 7 DES EAUX TROUBLÉES S ’enflammer pour les coraux d’eau froide Kirsten Martin et Alex Rogers Des jardins sous-marins Depuis quelques décennies, grâce à la mise au point d’instruments de recherche très perfectionnés, les scientifiques ont beaucoup enrichi leur connaissance des milieux des grands fonds marins. Ils découvrent une pléthore de nouveaux écosystèmes, y compris des jardins de coraux mous et des récifs coralliens d’eau froide extraordinairement divers et colorés. Les connaissances acquises à ce jour ne sont que la pointe de l’iceberg – il faudra rassembler et analyser beaucoup plus de données avant de pouvoir comprendre ces habitats riches en biodiversité et les moyens de les protéger contre tout ce qui les menace. Les coraux des grands fonds sont fréquemment associés à des agrégations d’éponges et d’autres invertébrés sessiles. Grâce à leur structure tridimensionnelle, ils hébergent et abritent des communautés d’animaux associés, distinctes et extrêmement diverses. Avec les écosystèmes des monts sous-marins, ils sont les jardins féconds de la diversité et de l’endémisme des espèces. Du fait de la densité des grands animaux que l’on y trouve, le contraste est frappant avec le lit marin environnant où il n’y a que de rares détritivores. Dans les eaux du nord-est de l’Atlantique par exemple, la densité de la grande faune, dans les récifs de Lophelia, est trois fois plus élevée que dans les sédiments alentours, avec des éponges, des anémones, des bryozoaires, des gorgones, des vers, des mollusques, des crustacés, ainsi que des espèces de poissons de grand fond d’importance commerciale. Certains l’aiment froide Les coraux d’eau froide ne fonctionnent pas comme les coraux tropicaux bâtisseurs de récifs. Entre 10 et 3000 m de profondeur, ils peuvent vivre sans lumière et ne possèdent donc pas les algues symbiotiques qui assurent, pour les autres coraux, la photosynthèse libérant l’oxygène. Mais les coraux d’eau froide disposent quand même de beaucoup de nourriture sous forme de matière organique particulaire en suspension – essentiellement du zooplancton – apportée par les courants océaniques. Les coraux des grands fonds sont formés de grandes accumulations de madrépores. Ils sont généralement présents sur des reliefs géologiques sous-marins et sur les bancs marins tels que les talus continentaux, les dorsales et les monts sous-marins. Comme ils poussent très lentement, la construction d’un récif peut durer des milliers d’années et, en cas de dégâts graves, il leur faut autant de temps pour se remettre. Bulldozers des profondeurs Il semblerait que les dommages causés par la pêche soient la principale menace pour les récifs coralliens d’eau froide. On a observé des traces de chalut tout le long de la lisière du talus continental du nord-est de l’Atlantique, entre 200 et 1400 m et l’on estime que 30 à 50% des récifs de Lophelia ont été endommagés dans les eaux norvégiennes uniquement. En conséquence, certains récifs ont été interdits au chalutage en 2003, notamment le récif de Sula – un énorme récif de 13 km de long, 35 m de haut et 300 m de profondeur. Les dommages mécaniques ne se contentent pas de tuer les coraux et de casser la structure du récif, ils altèrent les processus aquatiques et sédimentaires et éliminent des zones qui servent d’abri et d’habitat à une vie marine prospère. Le chalutage peut aussi aplanir le lit marin – comme si l’on passait le lit marin au bulldozer – ce qui détruit le substrat dur nécessaire aux coraux pour se reconstituer et croître (voir page 7). Prendre la mesure de notre ignorance NOAA FISHERIES/ROBERT STONE Nous exploitons les ressources des récifs coralliens d’eau froide et des monts sous-marins dans l’ignorance la plus totale des limites de l’exploitation durable, des incidences sur l’habitat et des conditions requises pour que les espèces et les écosystèmes se reconstituent. Cependant, pour étudier les écosystèmes des profondeurs, il faut disposer de la dernière technologie et avoir des «poches profondes» pour la payer. Dans les pays «développés», les projets de recherche et d’étude se multiplient (voir encadré) mais la nécessité de cartographier et de surveiller la répartition des coraux des grands fonds et l’impact des activités humaines sur ces coraux reste cruciale. Scientifiques avec du corail des grands fonds dans les îles Aléoutiennes, Alaska. Certains coraux des grands fonds mesurent 10 m de haut. 8 Appel à l’action au niveau mondial Les initiatives collectives prises par les scientifiques et les spécialistes de la conservation commencent à influer sur les processus décisionnels au niveau mondial. En février 2004, par exemple, plus de 1100 experts des sciences marines et de la biologie de la conservation, parmi les plus éminents du monde, ont exprimé leur inquiétude en Planète Conservation 1/2004 DES EAUX TROUBLÉES rédigeant une déclaration consensuelle qui appelait les gouvernements et les Nations Unies à protéger les coraux des grands fonds et les écosystèmes d’éponges en péril (voir http://www.mcbi.org/). Le WCMC-PNUE a compilé une publication complète sur l’état des connaissances et la gestion des récifs coralliens des eaux profondes et froides. L’UICN collabore étroitement avec des scientifiques éminents dans ce domaine afin d’apporter des informations vitales dans les forums internationaux tels que la Convention sur la diversité biologique et l’Assemblée générale des Nations Unies (voir publications du Programme pour le milieu marin, page 32). ANDRÉ FREIWALD Régimes de gestion à développer À mesure que nos connaissances sur les écosystèmes coralliens d’eau froide s’enrichissent, il devient clair qu’il faut adopter des mesures de précaution pour les protéger. La Norvège, les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont déjà accordé une protection aux récifs coralliens d’eau froide au large de leurs côtes. L’Union européenne a interdit définitivement le chalutage sur les habitats coralliens d’eau froide des Darwin Mounds, au large de l’Écosse, en mars 2004. D’autres négociations sont en cours dans certaines régions d’Europe (par exemple, au large de la côte ouest de l’Irlande, aux Açores, à Madère et dans les îles Canaries) suite à un changement récent de la politique commune de la pêche dans l’Union européenne. La Commission OSPAR a inscrit les récifs de Lophelia sur sa liste préliminaire d’espèces menacées et en déclin et a décidé de protéger des habitats coralliens du large dans le cadre de son programme d’aires protégées marines. Le but est de les intégrer dans un réseau européen de zones Un mur de Lophelia pertusa, corail bâtisseur de récif que l’on trouve dans tous les océans du monde, entre 55°S et 70°N. Le récif de Sula photographié ici serait vieux de 8000 à 8500 ans. ANDRÉ FREIWALD de conservation spéciales, dans le contexte de la Directive Habitat de la Commission européenne, le principal mécanisme européen de conservation de la nature. L’Union européenne cherche actuellement des moyens d’intégrer la conservation de l’environnement dans sa politique commune de la pêche et l’on espère que cela permettra de résoudre les conflits entre l’application de la Directive Habitat et la pêche au chalut dans les eaux de l’UE. Lorsque les mesures de protection seront en place, la conservation des récifs dépendra encore d’une application réelle par les organes de gestion régionaux (voir pages 26 et 27). Plusieurs progrès récents peuvent faciliter leur travail, par exemple le repérage et le suivi des navires par satellite et la modification des équipements de pêche pour réduire les incidences sur l’habitat. Il sera également essentiel d’appliquer des accords internationaux et régionaux d’inspection des navires au port et d’exercer le suivi des captures. Enfin, la volonté et l’engagement nécessaires doivent être ancrés dans la prise de conscience du public de la nécessité de protéger ces écosystèmes remarquables. Rien n’arrivera tant qu’ils resteront «loin des yeux, loin du cœur». Telle est la tâche des scientifiques et des spécialistes de la conservation concernés : ils doivent extraire les problèmes des profondeurs pour les planter fermement dans la conscience du public. Kirsten Martin est responsable de programme marin, Programme de l’UICN pour le milieu marin. Alex Rogers est chercheur principal, Biodiversity Research, Natural Environment Research Council, British Antarctic Survey, Cambridge, Royaume-Uni. Courriel : [email protected] WWF-CANON / JÜRGEN FREUND La science des profondeurs En raison de leur structure tridimensionnelle, les récifs coralliens d’eau froide fournissent une multitude d’habitats à d’autres animaux. Photos : polyplacophores Hanleya sp. (mollusques) broutant sur une éponge (en haut); comatule Lamprometra sp. dans l’Indo-Pacifique. Planète Conservation 1/2004 Deux grands projets de recherche sont en cours dans les écosystèmes des grands fonds de l’Atlantique nord : Le projet OASIS (OceAnic Seamounts: an Integrated Study) est une étude scientifique européenne qui intègre la recherche physique, biogéochimique et biologique afin d’améliorer la connaissance des monts sousmarins de la région (www.rrz.uni-hamburg.de/OASIS). MAR-ECO est un projet de recherche multinational et décennal qui vise à identifier les processus écologiques des écosystèmes des grands fonds médio-océaniques de l’Atlantique nord (www.mar-eco.no). Le projet fait partie de l’Initiative Census of Marine Life. 9 DES EAUX TROUBLÉES R écifs tropicaux : la réalité en face Kristin Sherwood objectifs de subsistance des communautés locales, d’autre part. Des facteurs tels que la dispersion des larves, le recrutement et la connectivité sont des Corail mou, Fidji principes écologiques essentiels de la conception efficace des APM, tandis que les valeurs culturelles et le déplacement de communautés de pêcheurs sont des exemples de facteurs socio-économiques importants dont on commence à tenir compte. La construction de réseaux représentatifs d’aires protégées marines interconnectées, qui se réapprovisionnent mutuellement, est une stratégie qui a retenu l’attention mondiale. Le Sommet mondial pour le développement durable (SMDD), en 2002, a appelé à la mise en place de réseaux représentatifs d’APM avant 2012, et le Ve Congrès mondial sur les parcs de l’UICN en 2003 a approuvé cet objectif. En Australie, le Parc marin du récif de la GrandeBarrière – la plus grande aire protégée marine du monde – a récemment fait un grand pas en avant en vue de garantir la conservation des habitats nombreux et de la diversité biologique incroyable de la Grande-Barrière. En décembre 2003, les autorités ont annoncé que le pourcentage de zones «interdites à la pêche» dans le parc passait de 4,5% à 33% et que tous ces sanctuaires constituaient un réseau représentatif de chaque biorégion et habitat du parc. La République des Palaos a également entrepris un plan ambitieux de création d’un réseau national d’APM. En novembre 2003, le gouvernement a adopté la Loi sur le réseau d’aires protégées qui prévoit la mise en place d’un réseau d’APM intégrant spécifiquement les principes de la résilience des récifs coralliens face aux changements climatiques mondiaux. CHUCK SAVALL Il y a 10 ans, le débat faisait rage sur le déclin réel ou non des récifs coralliens tropicaux. Aujourd’hui, ce débat est dépassé. Plus de 10% des récifs coralliens du monde ont succombé à la maladie, au blanchissement, à la pollution et à la surpêche et plus de 58% sont considérés comme «menacés» par des activités humaines (Status of Coral Reefs of the World, 2002). Comme il est généralement reconnu que les récifs coralliens continuent de disparaître, des efforts de conservation novateurs continuent d’être lancés dans le monde entier, dans l’espoir de mettre un terme au déclin de la santé des récifs. Aires protégées marines (APM) gérées par des communautés aux Philippines ou gigantesques programmes de suivi des récifs coralliens aux ramifications mondiales, les nouvelles initiatives de conservation tracent la voie de la reconstitution des récifs coralliens. Les APM de récifs coralliens : le bon équilibre À l’échelle mondiale, il y a plus de 400 parcs, réserves et sanctuaires marins qui possèdent des récifs coralliens. La création d’aires protégées marines est encore, bien souvent, circonstancielle et beaucoup d’APM n’existent que sur le papier mais il est de plus en plus admis que la mise en place d’APM efficaces est tributaire d’un bon équilibre entre les principes écologiques fondamentaux, d’une part et le développement économique et les «Un seul mot peut expliquer ce que Darwin et nous tous avons ressenti en présence du récif : ‘émerveillement’. Face au récif, il est sans doute normal de s’émerveiller. C’est probablement dans notre nature. Comme c’est aussi, apparemment, dans notre nature de détruire ce qui nous émerveille.» Évolution positive de la gestion – Osha Gray Davidson, The Enchanted Braid Différentes techniques de gestion des récifs coralliens, appliquées dans le monde entier, ont donné des résultats intéressants et fournissent aussi la possibilité d’appliquer les solutions trouvées dans un pays aux problèmes d’un autre pays. GCRMN : trouver les réponses GBRMPA/PAUL MARSHALL Dans le monde entier, les dommages causés aux récifs coralliens et la destruction se poursuivent à un rythme alarmant. Il faut donc obtenir des informations précises sur leur état. Le suivi des récifs coralliens est un outil de gestion essentiel de l’écosystème récifal. 10 Le Global Coral Reef Monitoring Network (GCRMN) est une unité opérationnelle de l’Initiative internationale pour les récifs coralliens (ICRI) et vise à fournir des informations sur l’état mondial des récifs coralliens, puis à utiliser cette information pour sensibiliser à la nécessité d’appliquer des mesures de conservation. Voir http://www.gcrmn.org/ – Carl Gustaf Lundin, Chef du Programme de l’UICN pour le milieu marin et Président du GCRMN Planète Conservation 1/2004 Il est de plus en plus admis que la gestion collective de l’environnement par les communautés joue un rôle vital dans la gestion des récifs coralliens. L’île d’Apo, aux Philippines, est l’un des exemples les plus anciens et les plus intéressants de gestion communautaire. En 1985, la communauté de l’île et le conseil local décidèrent, d’un commun accord, de créer une réserve marine autour de l’ensemble du récif frangeant de l’île. En 1992, les pêcheurs locaux confirmèrent que la réserve marine améliorait de manière significative les prises de poissons en dehors de la réserve. Le succès d’Apo a été contagieux aux Philippines et ailleurs dans le monde et il existe aujourd’hui de nombreux exemples d’engagements locaux envers la conservation des récifs coralliens. JAN POST Le prélèvement excessif d’organismes marins peut entraîner l’appauvrissement et même l’extinction de populations locales. Renforcer la résilience des récifs Les gestionnaires des récifs et les communautés locales sont de plus en plus alarmés par les incidences des changements climatiques sur les récifs coralliens qui s’expriment, par exemple, par des phénomènes massifs de blanchissement des coraux (voir page 29). Un partenariat mondial entre l’UICN, The Nature Conservancy, NOAA et la Wildlife Conservation Society aide à transformer la conservation des récifs coralliens en fournissant des outils et une formation sur les moyens d’intégrer la résilience dans la gestion des récifs coralliens. Deux nouveaux outils, The Reef Resilience (R2) Toolkit et The Reef Manager’s Guide to Coral Bleaching ont été élaborés pour aider les gestionnaires des AMP et des récifs coralliens, les formateurs et les décideurs à renforcer la planification et la gestion stratégiques. Pour obtenir des copies gratuites, contactez Kristin Sherwood : [email protected]. Le suivi commence à gagner du terrain Les récifs coralliens tropicaux ont déjà fait l’objet de milliers de projets de recherche depuis quelques décennies mais le suivi systématique et général de la santé des récifs coralliens est relativement récent. Or, il est essentiel d’avoir une connaissance claire de l’ampleur mondiale du déclin – et de la reconstitution – des récifs coralliens. Le suivi à long terme est la première étape pouvant révéler ces tendances. Il existe de nombreuses méthodes de suivi – efforts purement bénévoles ou programmes gouvernementaux et universitaires bien financés. La pierre angulaire du suivi international des récifs coralliens est le Global Coral Reef Monitoring Network (GCRMN) et son partenariat avec Reef Check, ReefBase et CORDIO (voir page 29). Cette coalition de groupes de suivi met un accent égal, dans sa cueillette de données, sur les aspects écologiques et les facteurs socio-économiques et a produit des manuels et des protocoles où les deux domaines sont associés. Les groupes reconnaissent qu’il y a plusieurs niveaux de suivi qui se recouvrent, des approches communautaires larges au suivi scientifique à haute résolution. Différents niveaux de suivi sont essentiels, à la Planète Conservation 1/2004 fois pour fournir des données et des informations sur l’état et les tendances des récifs coralliens et pour améliorer la sensibilisation de tous les acteurs à la nécessité de gérer ces ressources précieuses pour la conservation. Les ressources des récifs coralliens subissent de plus en plus de dommages mais il est également clair que les efforts de conservation des récifs se multiplient. L’expansion des réseaux d’APM, l’amélioration des stratégies de gestion et l’enrichissement des données de suivi économiques et sociales nous permettront de ralentir le déclin des récifs. Cependant, il existe d’autres menaces fondamentales qu’il faut freiner : les changements climatiques, la surpêche, les sources telluriques de pollution, la pêche destructrice et la nécessité d’améliorer l’application des règlements. Une volonté et un appui politique forts sont essentiels pour éliminer les principales menaces et leurs causes profondes. Kristin Sherwood est responsable de programme marin, UICN-États-Unis, Bureau multilatéral, Washington. 11 CLAIRE ATTWOOD Environ 20 000 petits pêcheurs angolais capturent suffisamment de poissons pour fournir un revenu direct à 100 000 personnes, y compris les femmes qui sèchent et transforment le poisson mis sur le marché. LES GRANDS ÉCOSYSTÈMES MARINS G érer Benguela : un partenariat africain Mick O’Toole et Claire Attwood Malgré une histoire mouvementée, les trois pays frontaliers du grand écosystème marin du courant de Benguela (GEMCB) collaborent pour gérer leurs ressources marines communes de manière intégrée et durable en associant une approche par écosystème à la coopération transfrontière. L’Afrique du Sud, l’Angola et la Namibie se partagent l’un des écosystèmes les plus productifs de la Terre. Le courant de Benguela est un système étroit, sorte de ruban qui s’étend de la province de Cabinda en Angola, au nord, jusqu’à l’est de Port Elizabeth en Afrique du Sud. C’est l’un des quatre grands écosystèmes de remontée d’eau, en zone côtière, au monde. Il se singularise par le fait qu’il est limité au nord et au sud par des eaux chaudes d’origine tropicale. Qu’est-ce qu’un grand écosystème marin? Les grands écosystèmes marins (GEM) sont des régions de l’océan qui englobent les zones côtières depuis les bassins fluviaux et les estuaires jusqu’aux limites maritimes des plateaux continentaux et aux marges extérieures des principaux systèmes de courants. Ils mesurent en général de l’ordre de 200 000 km2 ou plus et sont caractérisés par des conditions géographiques, physiques et biologiques et des populations distinctes qui sont reliées à travers une chaîne alimentaire commune. À l’échelle mondiale, le nombre total de 64 GEM actuellement décrits produit 95% de la biomasse halieutique marine annuelle mondiale, entre autres ressources. 12 Une récolte abondante L’écosystème entretient plusieurs populations de poissons d’importance commerciale tels que le merlu, l’anchois, la sardine, le chinchard et le thon. On pêche des langoustes au sud du courant de Benguela tandis qu’au nord les crevettes et les crabes des profondeurs sont une source importante d’alimentation et de rémunération pour les pêcheurs artisanaux. Dans la région de Benguela, la pêche est la principale activité économique et compte pour 10% du produit intérieur brut (PIB) de la Namibie, 4% de l’Angola et 0,37% de l’Afrique du Sud. Il y a aussi de riches réserves de pétrole, de gaz et de minerais dans les sédiments du courant de Benguela. En Namibie et en Afrique du Sud, l’industrie d’exploitation du diamant marin fournit un rendement de près d’un million de carats chaque année et l’Angola est le deuxième producteur de pétrole de l’Afrique subsaharienne. La Namibie et l’Afrique du Sud sont en train de développer activement leurs propres industries pétrolière et gazière. Menaces et obstacles L’intégrité du courant de Benguela est encore essentiellement intacte mais l’écosystème fait face à des menaces croissantes qui, si elles ne sont pas maîtrisées, mettront en péril des valeurs économiques et écologiques vitales. La perte d’habitat et la pollution – en particulier dans les zones proches des centres urbains – ainsi que l’exploitation croissante des stocks de poissons chevauchants sont les principales menaces. Les industries pétrolière, gazière et Planète Conservation 1/2004 DES EAUX TROUBLÉES minière pourraient polluer des milieux marins fragiles si elles ne s’exercent pas dans le respect de l’environnement. Tous ces problèmes environnementaux sont exacerbés par le fait que le colonialisme, l’apartheid et la guerre civile ont laissé à la région de Benguela un héritage de ressources appauvries, d’infrastructures déficientes et, surtout, de faibles capacités humaines de tenir compte de la complexité et de la variabilité de l’écosystème. Malgré ces difficultés, les gouvernements de l’Afrique du Sud, de l’Angola et de la Namibie collaborent pour résoudre les problèmes environnementaux présents de part et d’autre des frontières nationales de façon que l’écosystème de Benguela puisse être géré dans son entier. Leurs efforts sont soutenus par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) qui a investi USD 15 millions dans le Programme pour le grand écosystème marin du courant de Benguela, par l’intermédiaire du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Le financement du FEM complète un investissement d’environ USD 16 millions par les trois pays et de plus USD 7 millions versés par la Norvège (NORAD) et l’Allemagne (GTZ). le bras consultatif de la Commission intérimaire du courant de Benguela pour les aspects de la gestion des pêcheries, de la recherche scientifique et de la formation. Des débuts prometteurs Grâce au ferme engagement des trois gouvernements et de leurs partenaires internationaux, le Programme du GEMCB est en train de devenir rapidement une initiative concrète et constructive qui traite et soutient clairement certains des objectifs généraux du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Il s’agit d’une initiative pilotée par les pays pour résoudre certains des problèmes environnementaux les plus pressants dans la région de Benguela et contribuer de façon matérielle au développement durable et responsable des riches ressources océaniques de l’Afrique australe. Mick O’Toole est Conseiller technique en chef du Programme du GEMCB basé à Windhoek, Namibie. Claire Attwood est consultante du GEMCB pour la presse, basée à Cape Town, Afrique du Sud. Consultez http://www.bclme.org Durant les trois prochaines années, quelque 80 projets seront financés par le Programme du GEMCB dans le but de constituer des informations scientifiques et économiques de référence sur le grand écosystème marin du courant de Benguela, son évolution avec le temps et les meilleurs moyens de résoudre les problèmes de gestion transfrontière associés à la pêche, à l’exploitation minière, à la prospection pétrolière, au développement côtier, à la diversité biologique et à la pollution dans toute la région de Benguela. La moitié des projets sont déjà entamés et quelquesuns sont presque terminés. La plupart ont été conçus principalement pour traiter des questions de gestion transfrontière essentielles telles que : ➤ Quels sont les effets cumulatifs de l’exploitation minière du milieu marin sur l’environnement? ➤ Est-il possible d’établir un système d’alerte rapide afin que les trois pays soient prêts à lutter contre des proliférations dangereuses d’algues et des phénomènes d’appauvrissement de l’eau en oxygène, deux des phénomènes marins les plus graves qui se produisent dans la région? ➤ Comment la Namibie et l’Afrique du Sud peuvent-elles dériver le maximum d’avantages socio-économiques de leurs ressources communes de merlus tout en garantissant, en même temps, la durabilité à long terme des stocks dans le GEMCB? La Commission du courant de Benguela Un des principaux objectifs du Programme est d’établir une Commission du courant de Benguela qui permettra aux trois pays de résoudre de manière constructive et pacifique les questions transfrontières qui menacent l’intégrité du GEMCB. Une Commission intérimaire du courant de Benguela sera mise en place dans quelques années et complétera les travaux des deux organisations régionales des pêches qui réglementent les pêcheries en haute mer et les pêcheries au thon dans la région de Benguela, l’Organisation des pêches de l’Atlantique sud-est (SEAFO) et la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique. Il est prévu que les programmes actuels de formation et de recherche des pêcheries régionales (BENEFIT) deviennent Planète Conservation 1/2004 MARINE AND COASTAL MANAGEMENT, SOUTH AFRICA Comment fonctionne le Programme? Une marée rouge a changé la couleur de l’eau au large de la péninsule du Cap, en Afrique du Sud. Le Programme du GEMCB finance des projets visant à établir un système d’alerte rapide dans le cas de phénomènes aussi destructeurs. Le rôle de l’UICN Par l’intermédiaire de son Programme pour le milieu marin, l’UICN a soutenu le Programme du GEMCB afin de démontrer qu’il est possible d’appliquer une approche par écosystème et inter-États à la conservation marine. Le Programme pour le milieu marin contribue à l’application du GEMCB sur le plan technique, notamment en apportant des avis sur le développement d’APM et en fournissant un appui financier au portefeuille de programmes GEM en collaboration avec ses partenaires internationaux tels que la US National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). Un nouveau projet du FEM permettra à l’UICN d’ajouter un élément d’apprentissage structuré à l’ensemble de 17 programmes GEM actuellement en cours, y compris le GEMCB. Cela facilitera l’échange d’expériences entre programmes et renforcera l’applicabilité du concept de grand écosystème marin. Récemment, l’UICN a soutenu des initiatives en vue d’inclure une mise à jour de l’état et des efforts de gestion des 64 GEM existants. Consultez www. edc.uri.edu/lme/ pour des informations sur les GEM, ainsi que des cartes, des programmes en cours et le concept global. Le Programme de l’UICN pour le milieu marin, en collaboration avec la Commission de gestion des écosystèmes de l’UICN prévoit de promouvoir l’application pratique du concept de GEM à l’occasion du 3e Congrès mondial de la nature de l’UICN à Bangkok (17 au 25 novembre 2004). – Kirsten Martin ([email protected]) 13 DES EAUX TROUBLÉES L es petites îles : une question de survie Pedro Rosabal Gonzales Les petites îles posent un défi écologique et socio-économique. Elles sont dotées d’une diversité biologique exceptionnelle et de très hauts niveaux d’endémisme, résultat de leur isolement géographique. Cette richesse est pourtant extrêmement fragile. Et les cultures humaines qu’elles abritent, également importantes – et extrêmement fragiles – dépendent de manière vitale des écosystèmes insulaires uniques pour leur développement. Pour les petits États insulaires, trouver l’équilibre entre conservation et développement n’est pas simple rhétorique mais une question de survie. Leur tâche est fortement compliquée par les incidences écologiques et économiques des changements climatiques qui poussent des écosystèmes insulaires vulnérables à leurs extrémités et mettent en péril l’avenir de leurs populations. Pour la communauté de la conservation et du développement, il est une question clé : les petites îles peuvent-elles trouver leur voie vers le développement durable? La difficulté est d’utiliser ce qui a été appris au fil des ans sur l’équilibre entre conservation et développement tout en reconnaissant à sa juste valeur le savoir traditionnel des insulaires. Protéger les centres de biodiversité BAHAMAS NATIONAL TRUST Les habitats fragiles et souvent uniques des îles se trouvent aussi bien sur terre que sous la mer. Leurs récifs coralliens rivalisent en diversité spécifique et productivité avec les forêts ombrophiles et jouent un rôle essentiel pour le maintien de pêcheries durables. Il n’est donc guère surprenant que bien des centres de biodiversité mondiale se trouvent dans des îles. Et pourtant, beaucoup d’îles ont déjà connu des extinctions d’espèces en raison de la surexploitation, de l’introduction d’espèces envahissantes et de la fragmentation de l’habitat. Et l’escalade des pressions se poursuit. La croissance démographique, le tourisme en expansion, la transformation des littoraux pour le développement des infrastructures, la pêche non durable et les changements climatiques sont source de nouvelles menaces et exacerbent les anciennes. Les ressources des îles et leur développement économique sont en péril. Un plongeur observant les coraux columnaires d’Exuma Cays, aux Bahamas. 14 Programme d’action Les petits États insulaires en développement ont capté l’attention de la communauté internationale au début des années 1990. Aujourd’hui, le principal modèle d’action en leur nom est le Programme d’action de la Barbade pour le développement durable des petits États insulaires en développement, adopté en 1994 à la Conférence mondiale sur le développement durable des petits États insulaires en développement sous les auspices de la Commission du développement durable de l’ONU. En août 2004, la communauté internationale se réunira à l’île Maurice afin de discuter de recommandations pour l’application future du Programme d’action de la Barbade (Barbade +10). Cet examen décennal offre l’occasion de faire correspondre l’approche du Programme aux stratégies de développement durable, en particulier pour les politiques océaniques et marines. Les îles et l’UICN L’Union a placé les questions relatives aux petites îles tout en haut de son agenda pour le milieu marin et beaucoup de ses activités ont directement trait à leurs préoccupations. La Commission mondiale des aires protégées (CMAP) de l’UICN et le Programme de l’UICN pour le milieu marin collaborent à la promotion de la création d’aires protégées marines (APM) pour les petites îles. Un projet conjoint avec la Fondation des Nations Unies s’efforcera sd’évaluer les possibilités d’étendre la couverture du système du patrimoine mondial aux sites tropicaux marins et côtiers. D’autres efforts conjoints portent sur des problèmes connexes tels que le blanchissement des coraux et le renforcement des capacités des APM. Le Bureau régional de l’UICN pour l’Afrique de l’Est participe à un projet financé par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) afin d’établir le premier parc marin des Comores. Un exemple de cette collaboration au sein de l’UICN est notre travail avec le FEM et ses partenaires afin de concevoir des projets qui feront naître des approches originales de la conservation de la diversité biologique marine et du développement communautaire. Des projets sont en train d’être appliqués au Samoa (voir page 15), en Tanzanie (voir page 24) et au Viet Nam (voir page 17), qui ont tous pour objectif d’instaurer une gestion communautaire de la diversité biologique marine et une utilisation durable des ressources marines. Le but ultime est de démontrer que le renforcement des capacités des communautés locales d’établir et de gérer des APM aura des avantages pour les insulaires et pour la communauté mondiale dans son ensemble. Les exemples qui suivent illustrent quelques approches de promotion du développement durable des écosystèmes insulaires. C’est une petite contribution à l’expérience pratique et aux connaissances que l’Union, ses membres et partenaires devraient diffuser largement s’ils veulent résoudre avec succès les nombreuses difficultés que rencontrent les petites îles. Pedro Rosabal Gonzales est responsable principal de Programme, Programme de l’UICN pour les aires protégées. Planète Conservation 1/2004 DES EAUX TROUBLÉES Dans l’île de Samoa, dans le Pacifique, la récolte de fruits de mer, dans les zones côtières, les lagons et les récifs côtiers a diminué depuis 10 ans. La surexploitation et l’utilisation de techniques de pêche destructrices telles que les explosifs, les produits chimiques et les poisons traditionnels extraits de plantes en sont les raisons principales. En 1995, le Département des pêches du Samoa a lancé un projet communautaire dans 65 villages. Trente-huit d’entre eux ont choisi de créer de petites réserves de poissons dans certains secteurs de leurs zones de pêche traditionnelles et ont décidé de soutenir et d’appliquer les lois gouvernementales interdisant le recours aux explosifs et aux produits chimiques pour la pêche. Certains ont même établi des limites de taille minimale pour le poisson capturé. Quelques années plus tard, les stocks de poissons avaient augmenté de 30 à 40% et l’on pouvait observer des signes de reconstitution des récifs affectés par la pêche destructrice. Les réserves de poissons étant gérées par les communautés qui ont directement intérêt à leur succès, les perspectives de durabilité à long terme de cette initiative sont élevées. UICN/PEDRO ROSABAL GONZALEZ SAMOA Ces représentants du Comité de district d’Aleipata ont travaillé au projet dès le début. Ils sont photographiés lors d’une séance de planification des APM de leur district. CRAIG DAHLGREN BAHAMAS Réserve interdite à la pêche à Exuma Cays, Bahamas : elle a permis la reconstitution de nombreuses espèces exploitées. En photo : badèche bonaci. L’archipel des Bahamas, aux Antilles, possède des récifs bien développés et 500 espèces de poissons. Le Parc terrestre et marin d’Exuma Cays, établi en 1958, est devenu une réserve interdite à la pêche en 1986, la première de ce genre dans la région des Grandes Antilles et l’une des premières du monde. La recherche a prouvé que la concentration de strombes dans le parc est 31 fois plus élevée qu’a l’extérieur et fournit chaque année plusieurs millions de strombes pour la pêche au-delà des limites du parc. Des mérous bagués dans le Parc d’Exuma Cays ont été capturés à 240 km de là et des langoustes baguées ont été récupérées à Cat Island, à 110 km de là. Le succès de la reconstitution de la ressource halieutique dans le Parc d’Exuma Cays a conduit le gouvernement à décider, en 2000, de protéger 20% de l’écosystème marin des Bahamas, doublant ainsi les dimensions du réseau national d’aires protégées. PALAOS PATRICIA DAVIS La Réserve de nature sauvage des îles Ngerukewid aux Palaos, créée en 1956, protège un échantillon représentatif des écosystèmes de lagons et d’îles calcaires, ainsi que leur diversité biologique marine exceptionnelle. Des études réalisées dans la Réserve montrent qu’elle contient 200 à 300 espèces de poissons – soit 15 à 20% des quelque 1400 espèces – et 22% des espèces de coraux durs signalés dans ces eaux. Après environ un demi-siècle de protection associée à une absence relative d’espèces introduites telles que des rats ou des nuisibles marins, les îles sont intactes. La région est un laboratoire naturel unique pour l’étude de la biodiversité terrestre et marine et des processus écologiques, ainsi qu’une zone de référence importante pour la recherche et l’évaluation des effets des changements climatiques sur les écosystèmes insulaires du Pacifique. L’environnement intact des Palaos est le résultat d’un demi-siècle de protection. Planète Conservation 1/2004 15 TRACER LA VOIE un réseau mondial d’APM, C onstruire parc après parc Charles N. Ehler et Arthur Paterson VERENA TUNNICLIFFE Les pays côtiers reconnaissent généralement que les aires protégées marines (APM) couvrant toute la gamme des catégories de l’UICN, sont des outils souples et utiles pour la gestion scientifique et intégrée des sites. Réserves marines intégralement protégées ou zones gérées dans un but multifonctionnel, elles permettent de conserver des habitats d’importance critique, favorisent la reconstitution d’espèces en danger et surexploitées, maintiennent des communautés marines et encouragent l’utilisation durable. Riches de leur expérience en conservation marine, les planificateurs et gestionnaires des APM ont saisi l’occasion de plusieurs événements internationaux importants, ces dernières années, pour apprendre différentes méthodes d’élaboration et de gestion d’APM et pour concevoir des stratégies garantissant la pérennité et le renforcement des acquis de la conservation marine. Le résultat est la création d’un réseau mondial d’APM, une APM à la fois. Un réseau mondial… Les efforts vont bon train pour remplir l’objectif fixé par le Sommet mondial pour le développement durable (SMDD) en 2002, à savoir établir un réseau représentatif d’APM basé sur des informations scientifiques et compatible avec le droit international. Les participants au Ve Congrès mondial sur les parcs de l’UICN (Durban, 8 au 17 septembre 2003) et les gouvernements, par l’intermédiaire de la Convention sur la diversité biologique (CDB), ont pris de nouveaux engagements en vue d’établir et de maintenir des réseaux d’APM nationaux et régionaux complets, efficacement gérés et écologiquement représentatifs avant 2012. Tous les parcs marins ne se trouvent pas dans des eaux peu profondes. Cette pieuvre a été photographiée près d’une bouche hydrothermale dans l’APM Endeavour (Canada) à plus de 2000 m de profondeur Cette décision intervient 16 ans après la Résolution de l’UICN qui, en 1988, demandait la création d’un «réseau mondial représentatif» d’APM. Elle s’appuie sur des réalisations solides : l’établissement d’APM ainsi que de réseaux nationaux et régionaux représentatifs dans de nombreux pays. GREAT BARRIER REEF MARINE PARK AUTHORITY … s’appuyant sur l’expérience locale La gestion des APM exige que l’on collabore avec tous les acteurs pour garantir le respect du parc marin. 16 Un réseau n’est pas meilleur que chacun des éléments qui le composent et si les stratégies s’efforçant de garantir la conservation d’un réseau mondial représentatif d’APM sont importantes, la création et la gestion pratique des APM sont la ligne de front réelle de la conservation marine. Aujourd’hui, les APM sont confrontées à des myriades de difficultés, en particulier dans les pays en développement où la pauvreté endémique peut gravement limiter la capacité des communautés et des gouvernements de profiter réellement de la valeur de la conservation marine et de la gestion côtière. Afin de résoudre ces problèmes, parmi d’autres, et d’améliorer l’efficacité de chaque APM, plusieurs outils spécifiques sont en train d’être mis au point. Planète Conservation 1/2004 TRACER LA VOIE Une gestion plus efficace Le programme marin de la CMAP/UICN, le WWF et la US National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) ont conçu un manuel destiné aux gestionnaires d’APM pour les aider à évaluer l’efficacité de leurs APM et, d’après cette évaluation, à procéder aux changements nécessaires pour améliorer la gestion. How is your MPA doing? A Guidebook of Natural and Social Indicators for Evaluating Marine Protected Area Management Effectiveness permet au personnel des APM de réaliser une évaluation à l’aide d’indicateurs qui mesurent l’efficacité des activités de gestion pour la réalisation des buts et objectifs particuliers de chaque APM, du milieu marin et des communautés côtières. Il propose une méthode souple, applicable à de nombreux types d’APM, telles que les zones multifonctionnelles ou les zones interdites à la pêche qui peuvent avoir des buts et objectifs très différents. Il propose aussi une diversité d’indicateurs reflétant la diversité des buts et objectifs des APM. Le manuel est disponible en ligne (http://effectivempa.noaa. gov/) et sous forme imprimée (voir page 32). Une gestion adaptée à l’évolution des besoins et des circonstances Les écosystèmes marins sont complexes et évoluent constamment. Il en ressort que la gestion des APM doit aussi être suffisamment souple pour que l’on puisse détecter les changements d’ordre juridique, politique, économique, culturel ou climatique et y réagir de manière opportune et pertinente. La gestion adaptative est un processus cyclique de mise à l’essai des hypothèses, qui permet de tirer des enseignements en évaluant les résultats des essais, puis de réviser et d’améliorer les pratiques de gestion. Les résultats de la gestion adaptative dans le contexte des aires protégées marines sont : une plus grande efficacité et des progrès plus marqués vers la réalisation des buts et objectifs. Gestion adaptative des APM, façon vietnamienne L’APM de Hon Mun, dans le centre-sud du Viet Nam, près de Nha Trang est composée d’habitats côtiers et marins divers autour de neuf îles, dans une zone relativement réduite (160 km2). Il s’agit d’une APM multifonctionnelle qui protège d’importants exemples des meilleurs écosystèmes restants de récifs coralliens, de mangroves et d’herbiers marins du Viet Nam. Le projet d’APM de Hon Mun, financé par le Fonds pour l’environnement mondial (par l’intermédiaire de la Banque mondiale), le Gouvernement royal danois (par l’intermédiaire de DANIDA), le Gouvernement vietnamien et l’UICN permet à des communautés insulaires locales d’améliorer leurs moyens d’existence et, en partenariat avec d’autres acteurs, de protéger efficacement et de gérer durablement la biodiversité marine de Hon Mun en tant que modèle de gestion adaptative d’APM au Viet Nam. Le projet s’est montré particulièrement original en assurant la promotion d’activités rémunératrices de substitution pour les communautés locales, en particulier les pêcheurs, qui ont été ou seront affectées par le classement de l’APM de Hon Mun. Le projet a aussi établi l’accès au crédit pour les résidents locaux qui ne sont peut-être pas admissibles à l’attribution de prêts par des institutions traditionnelles. Son approche originale de la protection de la diversité biologique par le zonage tout en améliorant les moyens d’existence des populations locales servira de modèle de gestion participative non seulement au Viet Nam mais dans le monde entier. Garantir l’intégration dans le contexte local Arthur Paterson est spécialiste des affaires internationales, The National Ocean Service, NOAA. Planète Conservation 1/2004 UICN VIET NAM Charles N. Ehler est Vice-président pour le milieu marin, Commission mondiale des aires protégées de l’UICN et Directeur du Bureau du Programme international, The National Ocean Service, US National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). BERNARD O’CALLAGHAN Nul n’ignore aujourd’hui qu’une APM incorporée dans une stratégie générale de développement durable a de plus grandes chances de remplir ses objectifs de conservation qu’une APM planifiée et créée en dehors du contexte local. Il est impératif que les communautés locales soient considérées comme des participants actifs de la planification et de la gestion des APM et non comme des récepteurs passifs d’un régime de conservation conçu et appliqué depuis l’extérieur. Nous avons aussi besoin de l’engagement et de la collaboration des agences municipales et provinciales ainsi que des institutions nationales telles que les services des parcs et de la pêche. Ce n’est qu’en améliorant l’efficacité des APM existantes et futures par des techniques de gestion adaptative et par des synergies avec des stratégies de développement générales que nous pourront atteindre l’objectif de mise en place d’un réseau mondial fonctionnel d’APM. La population locale de Hon Mun a entrepris de protéger et de gérer durablement la biodiversité marine. En haut : élimination de couronnes d’épines; en bas : culture d’algues marines dans l’Aire protégée marine de la baie de Nha Trang. 17 TRACER LA VOIE L es extinctions marines au grand jour Roger McManus et Amie Bräutigam Dans la Liste rouge de l’UICN des espèces menacées, les espèces terrestres et d’eau douce se taillent la part du lion tandis que les espèces marines font figure de parent pauvre. Les efforts d’évaluation des espèces marines sont à la traîne, en partie parce qu’on sait fort peu de choses sur ces espèces mais surtout à cause de la croyance, répandue et erronée, qui veut que les espèces marines résistent mieux à l’extinction. Les évaluations réalisées par les experts de la Commission de la sauvegarde des espèces (CSE) de l’UICN, entre autres, ont prouvé que le risque d’extinction et le danger existent bel et bien pour les espèces marines et pourraient même être beaucoup plus communs que la Liste rouge et d’autres listes d’espèces menacées ne le laissent supposer. Durant les cinq dernières années uniquement, l’UICN, entre autres, a déclaré des centaines d’espèces marines en danger d’extinction au niveau local ou mondial. Il est donc impératif de multiplier les évaluations pour la Liste rouge, d’identifier les espèces menacées, de mettre en évidence les facteurs responsables et d’en tirer des conclusions pour le milieu marin. Augmenter le nombre d’évaluations des espèces marines pour la Liste rouge est un des axes de travail de la nouvelle initiative de la CSE intitulée «Détruire le mythe». Il s’agit de détruire l’idée erronée selon laquelle les espèces marines ne peuvent s’éteindre et de renforcer la sensibilisation aux problèmes du milieu marin. Le but général est d’aider les décideurs et les gestionnaires de la pêche à améliorer la gestion des ressources marines. La CSE participe depuis plusieurs décennies aux efforts d’évaluation de l’état des espèces marines et à l’étude des facteurs responsables de leur déclin. Cependant, jusqu’à l’adoption des Catégories et Critères révisés pour la Liste rouge, en 1994, la CSE ne s’était pas particulièrement intéressée au risque d’extinction des BAHAMAS NATIONAL TRUST Mérous et labres – la conservation en action UICN/CHRISTIAN LAUFENBERG Mérou rayé. Le napoléon est une espèce emblématique de l’action et de l’éducation pour la conservation. 18 Les mérous et les labres (Serranidae et Labridae) sont deux familles de poissons de récif qui comprennent des espèces à la fois recherchées sur le plan commercial et naturellement vulnérables à la surexploitation. Comme ce sont des espèces à vie longue, à maturité sexuelle tardive, hermaphrodites, qui se rassemblent en bancs de reproducteurs et qui ont un taux de mortalité naturellement faible, elles sont, dans bien des cas, en déclin et menacées selon les critères de la Liste rouge de l’UICN. Le Groupe CSE/UICN de spécialistes des mérous et des labres s’intéresse aux évaluations d’espèces et aux espèces particulièrement vulnérables ainsi qu’à leurs caractéristiques biologiques. Le commerce alimentaire des poissons de récif vivants qui cible de nombreuses espèces du groupe, a fait l’objet de nombreux débats et de mesures de suivi. Le napoléon, Cheilinus undulatus (photo du bas) fait l’objet d’une campagne de sensibilisation et d’éducation dans le but d’attirer l’attention sur les menaces que constituent la pêche au harpon de nuit et la pêche des juvéniles pour alimenter le marché d’exportation mondial en expansion des poissons de luxe vivants (www.humpheadwrasse.info). Beaucoup d’espèces de grande taille peuvent être perturbées, en particulier lorsqu’elles se rassemblent pour se reproduire. Nous travaillons en étroite collaboration avec la Society for the Conservation of Reef Fish Aggregations (SCRFA) afin d’encourager l’amélioration des mesures de gestion et de conservation des bancs de reproducteurs. La SCRFA encourage aussi la science de la conservation et est en train de créer une base de données mondiale sur les bancs de reproducteurs (www.scrfa.org). – Yvonne Sadovy, Présidente du Groupe CSE/ UICN de spécialistes des mérous et des labres. http://www.hku.hk/ecology/GroupersWrasses/ iucnsg/index.html Planète Conservation 1/2004 GALAPAGOS NATIONAL PARK AUTHORITIES TRACER LA VOIE Quelques espèces de requins sont menacées par la pêche industrielle pour les ailerons. JEREMY STAFFORD-DEITSCH Requins : le point de non-retour? Le grand requin blanc Carcharodon carcharias est considéré Vulnérable sur la Liste rouge de l’UICN. animaux marins, sauf pour les mammifères, les oiseaux et quelques autres espèces. Avant 1994, les paramètres sur lesquels s’appuyait essentiellement l’évaluation des risques d’extinction, tels que l’aire de répartition réduite ou les effectifs limités, n’étaient pas considérés applicables aux espèces marines. L’introduction d’un nouveau critère d’évaluation du risque d’extinction – le déclin des populations – dans le système de la Liste rouge de l’UICN reflète les progrès importants accomplis depuis 20 ans dans la connaissance scientifique de l’extinction. Ce critère a également fourni une base pour évaluer l’état des espèces qui, bien qu’elles aient des effectifs nombreux ou qu’elles soient largement répandues, peuvent néanmoins être sur la voie de l’extinction. À l’aide du système révisé pour la Liste rouge, l’UICN a inscrit plus de 100 poissons marins, beaucoup d’entre eux d’importance commerciale, dans la Liste rouge de l’UICN des animaux menacés, 1996. Cette publication a marqué la première grande expansion des évaluations des espèces marines pour la Liste rouge. Elle a également déclenché un débat international sur le risque d’extinction des organismes marins qui n’est toujours pas conclu et qui a, lui-même, encouragé les efforts d’expansion des évaluations des espèces marines pour la Liste rouge. À l’avant-garde de ce mouvement, on trouve le Groupe CSE/UICN de spécialistes des requins pour les poissons chondrichtyens (cartilagineux), le Groupe de spécialistes des mérous et les labres (voir encadrés) et le Planète Conservation 1/2004 Les requins et espèces apparentées vivent sur la Terre depuis plus de 400 millions d’années. Il y a plus de 1000 espèces de ces poissons chondrichtyens – requins, poissons-scies, raies et chimères – et malgré leur évolution réussie, beaucoup d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction. Le Groupe CSE/UICN de spécialistes des requins (GSR) a pris la tête des efforts mondiaux d’évaluation de l’état de tous les poissons chondrichtyens pour la Liste rouge. Des scientifiques du monde entier participent au processus dans le cadre d’ateliers régionaux et de consultations, dans le but d’éclaircir l’état de conservation, les menaces, les mesures de gestion nécessaires et les priorités en matière de recherche et de conservation. À ce jour, 262 espèces ont été évaluées au niveau mondial et 65 évaluations ont eu lieu au niveau régional ou au niveau des sous-populations. Cinquante-six espèces (plus de 20%) sont menacées à l’échelon mondial (En danger critique d’extinction, En danger et Vulnérable), et 26 sous-populations évaluées sont menacées au niveau régional. Les taxons qui présentent le risque d’extinction le plus élevé comprennent des espèces d’intérêt commercial de requins des profondeurs qui sont capturés dans les pêcheries multi-espèces, les espèces inféodées aux eaux douces et aux eaux saumâtres, les espèces endémiques côtières dont toute l’aire de répartition fait l’objet d’une pêche intensive et quelques espèces affectées par les activités de pêche au requin pour les ailerons. – Rachel Cavanagh, responsable de programme, Groupe CSE/UICN de spécialistes des requins. Consultez : www.flmnh.ufl.edu/fish/organizations/ssg/ssgchond.htm Le Plan d’action pour les requins actualisé sera publié à la fin de l’année. Projet Hippocampe pour les poissons syngnathidés. Les évaluations réalisées par le Groupe de spécialistes des tortues marines, le Groupe de spécialistes des Cétacés et BirdLife International, le partenaire de la Liste rouge de l’UICN pour les oiseaux, ont également porté au grand jour de nouvelles espèces, tendances et menaces qui appellent une action de toute urgence. Dans le cadre de son nouveau projet quinquennal d’évaluation de l’état des espèces marines, la CSE déterminera la distribution, la biologie et d’autres paramètres clés des espèces évaluées. Ces données serviront à diverses initiatives de conservation et fourniront des informations vitales sur l’état et les tendances de la biodiversité marine en général. La mise en place d’une plate-forme SIG et de protocoles pour la cartographie des aires de répartition, en particulier de la «zone d’occupation» (habitat minimal 19 TRACER LA VOIE critique) est tout particulièrement importante. Le Service d’information sur les espèces (SIS) de l’UICN joue un rôle fondamental en matière d’acquisition et de gestion des données en vue d’autres applications. L’expansion du processus de la Liste rouge a une importance stratégique phénoménale pour la conservation et la gestion des espèces marines et de leurs habitats. Le Programme marin de la CSE cherche, d’une part à trouver un financement pour cet effort et, d’autre part à collaborer avec des institutions et particuliers intéressés pour pouvoir aller plus loin dans l’expansion. Roger McManus est Directeur, Division des programmes marins, Conservation International. http://www.conservation.org. Amie Bräutigam est Directrice pour les espèces menacées, Perry Institute for Marine Science, et responsable exécutive, CSE/UICN. http://www.iucn.org/themes/ssc/marine/resource.htm L a fièvre de l’or biologique Imène Meliane Il y a environ 20 ans que l’on prospecte les ressources marines pour la production de substances médicales et pour la biotechnologie. Pour l’instant, un nombre relativement restreint de plantes, d’animaux et de microbes marins sont à l’origine d’un chiffre impressionnant de plus de 12 000 nouveaux produits chimiques. L’océan qui contient 34 des 37 phyla taxonomiques (par rapport à 17 en milieu terrestre) est une source quasi inexploitée de composés à découvrir pouvant avoir des applications utiles pour l’homme. Les produits dérivés d’organismes marins sont faciles à utiliser et à commercialiser en technologie et dans l’industrie, par exemple en tant que composés technologiques, outils de laboratoire ou ingrédients pour cosmétiques. Dans le domaine pharmaceutique, malgré de lourds investissements et des travaux de recherche intensifs, aucun composé n’est encore parvenu sur le marché mais plusieurs produits sont en phase finale de leurs essais cliniques (voir encadré). JOSE ANTONIO MOYA Armes chimiques La plupart des expériences de bioprospection ont eu lieu dans les mers tropicales. Les écosystèmes de récifs coralliens qui se caractérisent par une biodiversité élevée et une compétition intense pour l’espace, à l’origine d’une guerre chimique entre organismes sessiles, ont été des cibles privilégiées. Les écosystèmes des grands fonds, tels que les monts sous-marins, les communautés coralliennes des profondeurs et les bouches hydrothermales offrent un potentiel de bioprospection supplémentaire parce qu’ils accueillent des communautés d’organismes Les anémones sont parmi les cnidaires qui utilisent un arsenal chimique pour se défendre. Le yondelis, un biocomposé ayant des propriétés antitumorales a été découvert dans l’ascidie Ecteinascidia turbinata (à droite). Originaire des Antilles, ce tunicier marin est aujourd’hui cultivé dans les eaux peu profondes de la mer Méditerranée. C’est en 1969 que l’activité antitumorale a été observée pour la première fois, dans des extraits bruts de ces organismes, mais il a fallu attendre 1990 pour découvrir, purifier et élucider la structure chimique de ET-743, la molécule à l’origine de cette activité. Une entreprise privée espagnole a développé la substance et commencé des études cliniques qui sont actuellement en cours en Europe et aux États-Unis en collaboration avec un détenteur de licence basé aux États-Unis. La molécule, décrite comme «un nouvel agent antitumoral très prometteur et extrêmement puissant» n’a pas encore reçu l’autorisation de mise en marché. On continue de la tester pour le traitement de plusieurs cancers tels que le carcinome ovarien et le sarcome des tissus mous. La bioprospection des ressources marines à des fins médicinales peut prendre beaucoup de temps et être une entreprise économiquement risquée. 20 © PHARMAMAR Lutter contre le cancer grâce aux tuniciers Planète Conservation 1/2004 TRACER LA VOIE essentiellement non identifiés mais extrêmement spécialisés. Certains d’entre eux (en particulier les micro-organismes) dépendent, pour vivre, d’interactions chimiosynthétiques. Les invertébrés sessiles à corps mou en particulier, tels que les éponges, les coraux mous, les gorgones et les ascidies sont célèbres pour le raffinement de leur arsenal chimique de composés bioactifs parce qu’ils n’ont aucun moyen de défense mécanique. Ils sont parmi les organismes marins les moins étudiés et l’on découvre de nouvelles espèces pratiquement chaque jour. La biotransformation : quelques contraintes Lorsqu’on a réussi à déterminer, dans une espèce, des propriétés chimiques intéressantes et prometteuses, le processus d’utilisation commerciale se met en branle. Bien des produits pharmaceutiques marins bioactifs issus de sources naturelles ont une structure extrêmement complexe et leur synthèse nécessite des processus multiétapes intensifs qui ne se prêtent pas à une production économiquement viable, à grande échelle. Obtenir des quantités suffisantes de l’organisme source est une contrainte majeure pour le développement de produits biologiques marins. Dans la phase de développement, s’il est impossible de synthétiser le composé ou si l’on ne peut l’obtenir par une technique de fermentation, la seule solution consiste à le prélever dans la nature. Comme les produits bioactifs sont habituellement présents en quantités très faibles dans les organismes sources, obtenir les quantités requises peut poser de graves problèmes, notamment pour les invertébrés encore peu étudiés. Lorsque ce sont des espèces rares et endémiques qui sont concernées, il faut pouvoir appliquer des procédures garantissant la durabilité de l’utilisation. Avant de procéder à la récolte dans la nature, il serait bon que des études de faisabilité déterminent les facteurs tels que les peuplements de l’organisme ciblé, son taux de croissance, le niveau approprié de prélèvement et la reconstitution après-récolte. Pour citer E.O. Wilson, «on ne peut récolter de produits utiles sur des espèces éteintes». Il y va aussi de l’intérêt de l’industrie de conserver le biote mondial afin que des espèces toujours plus nombreuses puissent être étudiées en quête de nouvelles molécules. Nous devrions aussi faire en sorte que les composés intéressants soient produits par des procédés qui n’ont pas recours à un prélèvement, non durable et écologiquement préjudiciable, de la vie marine. Ces questions, parmi d’autres, seront examinées lors de l’atelier intitulé Les médicaments de l’avenir, qui aura lieu lors du prochain Forum mondial de la nature (18 et 19 novembre 2004). L’objectif sera de tirer des enseignements fondamentaux, de bonnes pratiques et des moyens d’encourager la conservation et l’utilisation durable d’espèces animales et végétales sauvages qui sont les sources de bien des médicaments d’aujourd’hui et dont l’humanité continuera d’avoir besoin à l’avenir. Imène Meliane est responsable de programme marin, Bureau régional de l’UICN pour l’Amérique du Sud, Quito, Équateur. marins : de la connaissance A quariums au respect François Simard Planète Conservation 1/2004 des outils importants qui permettent de générer une prise de conscience du public de la nécessité de protéger les habitats naturels, marins et côtiers, de la planète. François Simard est Coordonnateur de programme marin, Centre UICN de coopération pour la Méditerranée, Malaga, Espagne. Y ABE Les aquariums sont globalement des « zoos marins », c’està-dire des endroits où des organismes vivants sont gardés en captivité dans le but d’être montrés au public. De même que leurs homologues terrestres, ils provoquent la controverse. De nombreuses personnes se posent la question du droit de maintenir ainsi des animaux hors de leur milieu naturel. C’est effectivement un défi qui mérite d’être revu régulièrement à la lumière de l’évolution de l’attitude du public, des progrès technologiques et scientifiques. Les aquariums ont plusieurs fonctions dans la société : loisirs, business, recherche scientifique, éducation. En tant qu’institutions détentrices de connaissances, ils étaient, à l’origine, orientés vers les questions de classification dans le cadre de l’exposition des espèces aquatiques. De nos jours, l’accent est mis sur les communautés écologiques dans lesquelles ces espèces vivent. Avec l’augmentation de la concentration des populations humaines en milieu urbain, les hommes se trouvent de plus en plus déconnectés de la nature. Les aquariums marins offrent donc aux citadins une chance de se « reconnecter »avec l’environnement marin. Ce n’est que par ce contact direct avec des créatures vivantes que les hommes peuvent apprécier pleinement la beauté, la diversité et la fragilité de la vie marine. Une meilleure connaissance de la nature inspire un plus grand respect. C’est pour cela que les aquariums sont Aquarium de Fukushima, Japon. 21 TRACER LA VOIE S us aux envahisseurs! Imène Meliane et Chad Hewitt Les invasions d’espèces exotiques aquatiques sont parmi les plus graves menaces pour le milieu marin. Les exemples ne manquent pas, dans le monde entier, pour illustrer comme il est facile à certaines espèces introduites de s’établir dans de nouveaux habitats. Sans ennemis naturels, elles sont en mesure de transformer des écosystèmes, de menacer d’importantes pêcheries commerciales et de causer d’énormes préjudices aux économies. Les espèces envahissantes peuvent déclencher des floraisons d’algues dangereuses, souiller les jetées et les marinas, proliférer sur les plages et perturber des pêcheries déjà menacées. Dans certains écosystèmes, elles peuvent devenir si dominantes qu’il devient difficile de repérer les espèces indigènes. Les écosystèmes aquatiques et marins sont particulièrement vulnérables aux invasions. Souvent, les nouveaux envahisseurs marins échappent à la détection, se répandent rapidement et, une fois établis, se révèlent difficiles à éradiquer et même à contenir. Tandis que d’autres menaces écologiques telles que les marées noires ne résistent pas aux efforts de nettoyage ou à la reconstitution naturelle, les effets des espèces marines introduites sont généralement persistants et irréversibles. C’est la raison pour laquelle les instruments qui traitent des espèces aquatiques envahissantes devraient se concentrer sur la prévention et la détection rapide des espèces introduites. Les données quantitatives montrent que le taux de bio-invasions continue de croître de manière alarmante – dans bien des cas, exponentielle – et que de nouvelles régions sont envahies à tout moment. Il est fort possible que le problème n’ait pas encore atteint son apogée. De nouvelles introductions ont lieu régulièrement sur les côtes de tous les bassins océaniques et provoquent des dommages immédiats ainsi que la nécessité de consacrer des millions de dollars à la recherche, à la lutte et à la gestion. Et le problème pourrait bien s’aggraver avec l’expansion du commerce maritime et la plus grande vélocité des moyens de transport qui raccourcit le temps écoulé entre la source et le port d’arrivée. JOSE ANTONIO MOYA Le facteur humain Les effets catastrophiques de l’invasion de Caulerpa en Méditerranée ont conduit les pays riverains à adopter un plan d’action régional pour faire face aux introductions d’espèces. Le groupe de travail sur les espèces marines envahissantes Le Groupe de spécialistes des espèces envahissantes (GSEI) de la Commission de la sauvegarde des espèces de l’UICN compte 146 membres, experts scientifiques et politiques du domaine des espèces envahissantes. Plus de 20 membres ont formé un nouveau groupe de travail exclusivement consacré aux espèces exotiques envahissantes dans les milieux marin et saumâtre. Le groupe servira de forum pour l’élaboration de politiques et s’attaquera à différentes questions y compris les théories des invasions, l’évaluation des risques, les objectifs et les lignes directrices et la conception d’études et de systèmes de suivis. http://www.issg.org/ 22 La dispersion d’espèces marines dans de nouveaux habitats procède naturellement par l’expansion de l’aire de répartition d’une espèce au moyen de mécanismes tels que la migration et le transport sur des courants de débris marins. La vitesse et l’échelle de ces mouvements ont toutefois été fortement amplifiées par les débuts de l’exploration humaine, de la colonisation et du commerce. Beaucoup d’introductions se produisent lorsque des humains libèrent accidentellement ou intentionnellement des espèces non indigènes – et leurs maladies – dans des eaux libres ou dans la mer elle-même. La voie la plus importante est le déplacement autour de la planète de milliers d’espèces (adultes et larves) attachées à la coque des navires et embarquées dans les eaux de ballast des cargos. Les scientifiques estiment que plus de 7000 espèces – flore, faune et micro-organismes – sont transportées chaque jour dans les eaux de ballast. D’autres espèces éventuellement envahissantes sont les poissons et invertébrés ornementaux des aquariums; les espèces qui servent à la recherche scientifique; les poissons utilisés pour peupler les étangs privés ou les pêcheries récréatives (libérés par des inondations et des barrières qui se rompent); ainsi que les poissons, les mollusques et les crustacés d’aquaculture. Le rôle des changements climatiques Depuis quelques décennies, il faut tenir compte d’un autre facteur. Alors que l’expansion naturelle d’une aire de répartition peut se produire en réaction à des conditions environnementales changeantes, il est clair que les changements climatiques et le réchauffement de la planète peuvent fortement accélérer le processus. Par exemple, l’arrivée d’espèces exotiques de l’Atlantique tropical dans la mer Méditerranée, par le détroit de Gibraltar, est un phénomène relativement commun depuis quelques décennies. Les scientifiques estiment que cela reflète l’expansion d’une répartition naturelle due au réchauffement des eaux de la mer. Que faire? La gestion des espèces envahissantes, y compris l’éradication et la lutte, est extrêmement coûteuse, consommatrice de temps et difficile. Dans certains cas, il faudra peut-être Planète Conservation 1/2004 BELLA GALIL La méduse Rhopilema nomadica dans les filets de pêche. Les espèces envahissantes perturbent les pêcheries qui connaissent déjà des problèmes. Les obstacles politiques Il est évident que des programmes de gestion des espèces envahissantes sont nécessaires qui traitent de tous les aspects des introductions, que ce soit à l’intérieur ou au-delà des frontières nationales et aux niveaux local, national, régional et mondial. Les espèces et les écosystèmes marins ne connaissent pas de frontières politiques. Il est donc essentiel d’élaborer des programmes régionaux et sous-régionaux pour lutter contre les espèces exotiques envahissantes et faciliter l’échange d’informations et d’expertise comme c’est le cas en Méditerranée. Après la propagation de l’algue Caulerpa taxifolia dans tout le bassin méditerranéen, les pays riverains ont adopté un plan d’action régional pour faire face à cette espèce envahissante et aux introductions d’espèces en Méditerranée. Malheureusement, lorsque les pays ont réagi, le mal était déjà fait. Cet exemple illustre l’importance des systèmes d’alerte et de réaction rapide et la nécessité de poursuivre la recherche sur les espèces envahissantes et Planète Conservation 1/2004 la lutte contre ces espèces. Et surtout, il importe d’apprendre comment prévenir les introductions – ce qui est un moyen beaucoup plus sûr et beaucoup moins coûteux de gérer le problème – puis de diffuser les connaissances par l’éducation et la sensibilisation du public. Imène Meliane est responsable de programme marin pour le Bureau régional de l’UICN pour l’Amérique du Sud à Quito. Chad Hewitt est responsable technique en chef, Sécurité biotechnologique marine auprès du ministère néo-zélandais de la Pêche et Coordonnateur du Groupe de travail sur le milieu marin de l’UICN et du GSEI. La question des espèces envahissantes dans les récifs coralliens sera traitée dans le cadre d’un projet soutenu par la Fondation Total aux Seychelles. Gérer les eaux de ballast Le transport international d’espèces éventuellement envahissantes dans les eaux de ballast fait l’objet de débats depuis plus de 10 ans au sein du Comité de protection de l’environnement marin de l’Organisation maritime internationale (OMI). Le processus a culminé le 13 février 2004 avec l’adoption de la Convention internationale pour Passagers clandestins du ballast : le contrôle et la gestion des eaux zoés de crabes et sédiments de ballast. La Convention énonce un régime réglementaire normalisé pour la gestion mondiale des eaux de ballast et exige de tous les navires qu’ils appliquent le plan de gestion des sédiments et des eaux de ballast. Les normes fixées par la Convention sont un compromis entre la rigueur et le possible. Durant la période d’essai, le suivi sera exercé au moyen d’un processus d’évaluation dans le but d’apporter des ajustements. La mise en œuvre de la Convention dans les pays en développement se fait avec l’aide du Programme Global Ballast Water Management (GloBallast) du FEM/PNUD/OMI. http://globallast.imo.org/ GLOBALLAST/ROGER STEENE des décennies, voire des siècles, pour que les écosystèmes s’en remettent – éventuellement. L’éradication d’espèces introduites, une fois qu’elles sont répandues et abondantes, s’est jusqu’ici, soldée par des échecs dans le milieu marin. Un des rares succès est le cas de la moule Mytilopsis sallei dans le Territoire du Nord, en Australie. Proche parente de la moule zébrée connue pour ses effets catastrophiques dans les eaux douces d’Europe et d’Amérique du Nord, Mytilopsis a été découverte dans une marina de Darwin durant une inspection de routine du port, dans le cadre d’une étude de suivi scientifique et d’un système d’alerte rapide. Comme elle a été détectée rapidement et qu’il y a eu un consensus immédiat entre les gouvernements et les acteurs pour mettre en place des mesures de réaction rapide, l’espèce a pu être éradiquée pour un coût estimé à plus de USD 1,6 million. Malheureusement, il y a peu d’instruments juridiques en vigueur pour réglementer les introductions dans le milieu marin qu’il s’agisse de prévention, de lutte ou d’éradication. 23 TRACER LA VOIE T anzanie : trois chemins qui mènent de la pauvreté à la prospérité Andrew K. Hurd et Melita A. Samoilys Gestion participative de la pêche à Tanga Aire protégée marine dans la baie de Mnazi – estuaire de la Ruvuma La Tanzanie a créé sa deuxième aire protégée marine en 2000. Situé au sud du pays, le Parc marin de la baie de Mnazi – estuaire de la Ruvuma couvre une superficie totale de 668 km2 dans laquelle vivent 30 000 personnes réparties en 17 villages. En raison de la grande taille et du grand nombre d’habitants du Parc marin de la baie de Mnazi – estuaire de la Ruvuma – c’est un plan de zonage multifonctionnel qui est appliqué pour gérer les ressources marines et côtières. ERIC VERHEIJ ERIC VERHEIJ À Tanga, le déclin des prises de poissons, les méthodes de pêche destructrices et la coupe illicite des mangroves ont conduit à élaborer le Programme de mise en valeur et de conservation de la zone côtière de Tanga, un projet lancé en 1994 à partir d’une stratégie de développement préparée par le Programme de l’UICN pour l’Afrique de l’Est et la Coopération irlandaise au développement (anciennement Ireland Aid). Aujourd’hui, une méthode de gestion participative de la pêche, pilotée par la communauté et basée sur l’utilisateur de la ressource permet aux villages de pêcheurs et aux pouvoirs publics locaux d’améliorer la gestion des récifs coralliens, des mangroves et autres ressources côtières au sein de réserves multifonctionnelles qui portent le nom de zones de gestion participative (ZGP). Six ZGP fonctionnent maintenant et couvrent toutes les eaux côtières de la région de Tanga, au total 1604 km2. Les villages participants ont volontairement fermé certains récifs pour permettre la reconstitution des stocks de poissons et des récifs en général et ont pris part au suivi et à l’application des fermetures. Cinq ans plus tard, les récifs fermés étaient en meilleur état que les récifs restés ouverts et la couverture corallienne ainsi que les densités de poissons étaient en augmentation dans tous les récifs grâce à la disparition des méthodes de pêche destructrices et illicites. En outre, les progrès réalisés du point de vue du renforcement des capacités et de l’établissement d’un climat de confiance mutuelle entre les communautés locales et le gouvernement ont créé d’excellentes conditions pour améliorer les moyens d’existence locaux en milieu côtier et garantir la santé de l’écosystème côtier de Tanga pour les générations futures. Consultez http://www.iucn.org/places/earo/projs/ tanga.htm MELITA SAMOILYS Les pays en développement côtiers tendent à dépendre de manière disproportionnée de leur diversité biologique marine et des ressources côtières pour faire marcher leur économie nationale et pour satisfaire les besoins de subsistance des communautés côtières pauvres. En Tanzanie, trois approches différentes de la conservation marine sont appliquées. Chacune emprunte un chemin différent vers un but commun – la gestion durable des ressources côtières et marines. Chacune, si elle réussit, contribuera énormément à la réduction de la pauvreté et à la prévention de la dégradation du capital de ressources marines. 24 Les communautés de Tanga participent étroitement à tous les aspects de la cogestion de leurs écosystèmes côtiers et marins. De haut en bas, sens des aiguilles d’une montre : Des pêcheurs participent au suivi; apiculteurs dans la mangrove; application des règlements de pêche et confiscation de seines illicites. Planète Conservation 1/2004 Zanzibar : sous l’angle du secteur privé La plupart des programmes de conservation marine de Tanzanie sont dirigés par des ONG et des organismes d’aide au développement qui collaborent avec le gouvernement. Cependant, une réserve marine privée fête son 10e anniversaire sur une petite île au large de la côte de Zanzibar. Le Parc corallien de l’île de Chumbe a été fondé par le gouvernement de Zanzibar en 1994, à l’initiative de Sybille Riedmiller, sociologue et spécialiste de la conservation, par l’intermédiaire d’une entreprise privée créée pour gérer le parc. Le but est de mettre sur pied un modèle de gestion durable d’une aire de conservation où l’écotourisme soutient la conservation ainsi que l’éducation de la population locale et des touristes. Les objectifs ne sont pas commerciaux mais le fonctionnement du parc obéit à des principes commerciaux. Environ les deux tiers des frais d’investissement, qui s’élèvent à quelque USD 1 million, ont été financés à titre privé et différents donateurs fournissent le solde. Les revenus du parc sont investis dans la conservation et la recherche et servent aussi à enseigner aux communautés de Chumbe les avantages de la gestion durable des récifs coralliens. Les pêcheurs locaux sont employés comme gardes pour surveiller les limites du parc. Le Parc corallien de l’île de Chumbe est aujourd’hui reconnu comme un des projets d’écotourisme les plus avant-gardistes et les plus réussis du monde, dépendant d’un financement privé : il a gagné différents prix décernés par des organisations internationales et l’industrie des voyages. Consultez http://www.chumbeisland.com/ Andrew K. Hurd est Associé de programme marin, Programme de l’UICN pour le milieu marin. Melita Samoilys est Coordonnatrice de l’UICN pour les questions marines en Afrique de l’Est, basée au Kenya. Planète Conservation 1/2004 JAVEED JAFFERJEE CRAIG ZENDEL Le parc est géré par des employés de l’Unité nationale des réserves et des parcs marins et fait l’objet d’une surveillance exercée par un conseil d’administration centralisé. Les représentants des pouvoirs publics locaux et des villages sont membres d’un comité consultatif du parc. Pour les gestionnaires, outre la création et le fonctionnement du parc, une des plus grandes difficultés consiste à empêcher les pratiques de pêche illégales et destructrices et à trouver et mettre en place d’autres moyens d’existence pour la population locale qui a toujours utilisé et continue d’utiliser les ressources du parc pour sa subsistance et ses activités économiques. Il est difficile de mettre un terme à l’usage répandu d’engins de pêche illicites tels que les seines lorsque la coopération et la participation active des pêcheurs concernés est essentielle au succès du parc. En 2002, le FEM-PNUD a financé un projet de mise en valeur du parc et de préparation d’une stratégie pour sa gestion avec l’aide technique du Programme de l’UICN pour l’Afrique de l’Est. Dans le cadre du projet, on est en train de réaliser différentes évaluations socio-économiques et études de la diversité biologique de la région, de préparer un plan de gestion, des mesures de renforcement des capacités et de sensibilisation et de mettre au point des activités rémunératrices supplémentaires. Consultez http://www.iucn.org/places/earo/projs/ mnazi.htm En haut : les bungalows écologiques de Chumbe. En bas : le garde Omari avec des écoliers de Zanzibar. Lutte contre la pauvreté en milieu côtier : on demande partenaires! Dans les pays en développement, la conservation de l’environnement nécessite au moins une compréhension globale du contexte de pauvreté locale, et en particulier des moteurs et manifestations de l’absence de revenu et de biens autres que le revenu. Une étude récente sur la pauvreté dans les zones de récifs, intitulée Poverty and Reefs, a utilisé l’approche des moyens d’existence pour évaluer la valeur plus générale et plus qualitative des récifs coralliens pour des communautés côtières vulnérables. Une des conclusions intéressantes est qu’à moins de comprendre et de résoudre la multitude de problèmes que rencontrent les communautés côtières pauvres, par exemple l’isolement du pouvoir politique, l’absence d’organisations locales, l’infrastructure et les services sociaux insuffisants et la vulnérabilité aux variations saisonnières, les populations côtières ne peuvent profiter des possibilités et des incitations qu’offrent des projets conçus pour promouvoir la conservation des ressources naturelles. L’étude estime que la conservation des récifs coralliens ne peut remplir ses objectifs si l’on ne comprend pas mieux les questions relatives à la pauvreté et aux moyens d’existence durables des populations qui dépendent des récifs. Toutefois, l’expérience de la Tanzanie, entre autres, a montré que l’allégement systématique de la pauvreté des communautés locales dépasse les possibilités de la plupart des programmes, qu’ils soient publics ou privés, conçus pour conserver les ressources marines et côtières. Pour s’attaquer à la pauvreté en milieu côtier, il faut une approche complète, à long terme et générale, une approche qui établit des partenariats solides entre les organisations de conservation et les autres partenaires du développement. Ces partenariats sont mutuellement bénéfiques – les outils de conservation marine soutiennent les moyens d’existence côtiers tandis que les améliorations dans d’autres secteurs de développement tels que la gouvernance, l’éducation et l’infrastructure créent un environnement porteur qui aide les mêmes outils à réussir. 25 UICN/CARL GUSTAF LUNDIN LES RIVAGES FUTURS La gouvernance de l’océan doit être appliquée. Photo : la police de la pêche chinoise appliquant les règlements sur la pêche. international de la mer : D roit de la rétrospective à la prévoyance Lee A. Kimball Pour mesurer le succès du droit international de la mer, il suffit d’imaginer dans quel état seraient nos pêcheries ou nos eaux côtières s’il n’existait pas. Mais qu’en est-il, en réalité, de son efficacité? L’ennui c’est que, généralement, lorsqu’on adopte des règles de droit national et international, les problèmes sont déjà là. Avec le recul, les incidences cumulatives du développement côtier et de la pollution tellurique sur le milieu marin ne sont pas évidentes, et peut-être même encore peu comprises, car les premières évaluations mondiales datent seulement des années 1980. Et il y a encore moins de temps que l’on reconnaît l’état déplorable des pêcheries mondiales. À ce jour, il est probable que le plus grand succès du droit international de la mer soit d’avoir maîtrisé la pollution marine provenant des navires grâce à un ensemble de conventions élaborées sous les auspices de l’Organisation maritime internationale (OMI). La mauvaise nouvelle, c’est que la pollution provenant des navires ne représente pas plus de 12% de la pollution marine, alors que près de 80% peuvent être attribués à des sources telluriques. Aujourd’hui, la communauté internationale essaie au moins de prévoir les conditions et les tendances marines 26 afin de préparer sa réaction avant que les problèmes ne lui échappent. Les enjeux techniques sont déconcertants. À mesure que l’on met au point de nouvelles technologies pour réduire les incidences écologiques (par exemple, les prises accidentelles dans les opérations de pêche ou les déversements d’eau de pluie dans les systèmes municipaux de gestion des eaux usées), d’autres progrès technologiques créent de nouveaux problèmes en augmentant la capacité humaine d’exploiter les ressources de l’océan (par exemple, exploitation des poissons démersaux ou des minerais des grands fonds). Le droit de la mer, pour rester à flot, subit d’énormes pressions. Où aborderons-nous ? Le droit international de la mer est placé devant deux grands défis. Dans le cadre de la juridiction nationale, il s’agit de maîtriser la pollution d’origine tellurique et de trouver un accord sur la conservation des ressources dans la zone économique exclusive (ZEE) des 200 milles où se pratique environ 70% de la pêche. Pourtant, la plupart des États rechignent à accepter des engagements internationaux précis sur l’une et l’autre questions. Au-delà de la juridiction nationale, le rôle des accords internationaux est encore plus vital. Peu de pays acceptent Planète Conservation 1/2004 LES RIVAGES FUTURS de limiter leurs propres activités à moins que d’autres États n’en fassent autant, comme c’est le cas pour le transport maritime international. La crise la plus immédiate est celle de la gestion des pêcheries internationales – où les pêcheries non réglementées se conjuguent à la pêche illicite, non réglementée et non déclarée (IUU) pour décimer les stocks de poissons et porter préjudice à la biodiversité marine (voir page 8). Cependant, les impacts anthropiques croissants exposent au grand jour les liens entre les États – stocks de poissons transfrontières ou pollution, espèces migratrices ou écosystèmes partagés – de sorte que les avantages des accords internationaux se font aussi plus apparents. Ces accords encouragent la mise en commun des données de recherche pour améliorer l’évaluation, l’échange d’informations sur ce qui fonctionne et pourquoi, les initiatives conjointes et rentables, et les solutions équitables et harmonisées. Les engagements internationaux aident aussi à mobiliser l’appui pour les pays qui ne disposent ni du savoir-faire, ni des ressources financières nécessaires pour les appliquer et les faire respecter. La Convention sur le droit de la mer La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS), entrée en vigueur en 1994, est le cadre universellement accepté, du droit international de la mer. Le texte encourage d’autres accords, à tous les niveaux. Les régions qui se trouvent à l’intérieur des ZEE nationales ou qui sont contiguës, mettront sans doute l’accent sur les accords régionaux qui intègrent mieux la gestion des pêcheries avec la protection des habitats et de l’environnement marins sur la base de l’écosystème, au moyen d’accords qui reflètent la gestion écosystémique des pêcheries et par une meilleure coordination entre les organismes responsables des mers régionales et des pêcheries régionales. Les réseaux nationaux et régionaux d’aires protégées marines (APM) seront une pierre angulaire vitale de cette activité de conservation. Pour les régions qui se trouvent au-delà de la juridiction nationale, l’Accord de 1995 sur les stocks chevauchants et les stocks de poissons grands migrateurs (Accord sur les stocks de poissons-ASP), négocié sous les auspices de l’UNCLOS couvre la majeure partie des pêcheries de la haute mer mais ne s’applique pas aux stocks de poissons distincts qui, on le sait maintenant, se concentrent autour de reliefs sousmarins particuliers tels que les monts sous-marins et les dorsales, en dehors de toute juridiction nationale (ce sont des stocks de poissons qui ne sont ni chevauchants ni grands migrateurs). Il est temps de procéder à une expansion de l’ASP afin de couvrir ces populations et d’accélérer l’élaboration d’accords régionaux pour les conserver et les gérer, en s’appuyant sur le cadre de l’UNCLOS. En outre, beaucoup d’organisations de gestion régionale de la pêche doivent encore intégrer le principe de précaution et l’approche par écosystème énoncés dans l’ASP ou ses dispositions renforçant l’application en haute mer. Il serait bon de viser à remplir ces objectifs d’ici à 2006 lorsque se réunira la conférence d’évaluation de l’ASP. Celle-ci pourrait aussi recommander que soient précisés Planète Conservation 1/2004 le principe de précaution et l’approche par écosystème de l’Accord pour guider la conduite de nouvelles pêcheries ou de pêcheries exploratoires, et définir des zones où les activités de pêche seraient soit rigoureusement gérées soit interdites pour protéger la diversité biologique, garantir la pérennité des pêcheries et maintenir l’intégrité, la structure et le fonctionnement des écosystèmes. Au-delà des pêcheries internationales Une des nouvelles «recrues» prometteuses, parmi les accords de droit international sur la mer, est l’adoption récente d’une Convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux et sédiments de ballast (13 février 2004) qui s’attaque aux effets éventuellement dévastateurs de la propagation d’organismes aquatiques envahissants et nocifs transportés dans les eaux de ballast des navires. Les dommages causés à la diversité biologique des grands fonds par les incidences physiques de la recherche scientifique marine et de la prospection pour des ressources génétiques marines soulèvent d’autres inquiétudes. Les forums internationaux sur les océans et la biodiversité commencent tout juste à s’interroger sur les moyens de répondre à ces inquiétudes dans le cadre du droit international de la mer. La mise au point d’un code de conduite volontaire sur l’utilisation durable des bouches hydrothermales par les chercheurs et les agents de tourisme est actuellement au centre des activités d’un groupe de travail. Le problème de l’application des règlements en haute mer pour lutter contre les activités illicites des navires va bien au-delà de la pêche illicite. Il faut une action concertée pour garantir que les États du pavillon contrôlent plus efficacement leurs navires. Cela doit être renforcé par une inspection au port et une application des règlements beaucoup plus stricte. Les technologies modernes de l’information et de la communication doivent servir à mettre à jour et à relayer l’information en temps réel sur l’enregistrement des navires, le propriétaire, l’armateur, l’assurance, la certification, l’inspection et les résultats des systèmes de surveillance des navires. L’exercice des libertés en haute mer ne donne pas le droit d’agir en toute impunité; il est soumis aux obligations de coopérer avec les autres États, de protéger et de préserver le milieu marin et de conserver les ressources marines biologiques. Nous ne devons pas seulement améliorer notre respect du droit international de la mer en vigueur mais aussi prévoir l’expansion des utilisations de l’océan, en particulier au-delà de la juridiction nationale et concevoir de nouveaux accords pour compléter le cadre de l’UNCLOS. Lee A. Kimball est Conseiller auprès du Programme de l’UICN pour le milieu marin en matière de gouvernance des océans et d’institutions internationales. À lire : International ocean governance: using international law and organizations to manage marine resources sustainably. 2e éd. rév. Kimball, Lee A. UICN, 2003. Anglais et espagnol. ISBN 2-8317-0630-3, xii + 123 p. £20. CD-ROM : ISBN 2-83170617-3. Bons de commande anglais : B1121 ; espagnol : B1172 27 JOSE ANTONIO MOYA LES RIVAGES FUTURS Depuis 10 ans, on observe une accélération spectaculaire de la fonte des glaces polaires. prix à payer pour les changements L eclimatiques Herman Cesar La presse tend à présenter le réchauffement climatique comme un phénomène à long terme, donnant l’impression que nous avons tout le temps de vérifier les preuves scientifiques et de concevoir des stratégies et technologies pour y remédier. Mais les scientifiques et les chercheurs qui modèlent le climat commencent à peindre un tableau bien différent. Il faut s’attendre bientôt à des changements spectaculaires et abrupts. Bien sûr, pour la Terre, il n’y a rien de nouveau. Des données obtenues récemment dans l’Arctique montrent qu’il y a déjà eu, par le passé, des changements brusques des températures moyennes. Le déplacement des courants océaniques Les océans et l’atmosphère terrestre sont intimement liés. Nous en prenons conscience périodiquement à travers les répercussions d’El Niño sur tout le système climatique, les écosystèmes et les communautés humaines, même loin à l’intérieur des continents. Une des nombreuses catastrophes associées au phénomène El Niño de 19971998 a été l’inondation de villages côtiers de Colombie, qui a obligé à réinstaller les populations. Les échanges océan-atmosphère ne se font pas vraiment sur un pied d’égalité. Les vents aident à diriger les courants marins et les échanges thermiques, humides et Gulf Stream 28 gazeux avec l’eau, toutes interactions qui sont à l’origine de changements météorologiques à court terme. Les océans, pour leur part, exercent une influence beaucoup plus lente et beaucoup plus durable sur le climat. On pensait que les fonds océaniques étaient à l’abri des échanges de surface. Or, il y a de quoi s’inquiéter : au début de l’année, une équipe de scientifiques japonais et canadiens a confirmé que les eaux les plus profondes du Pacifique nord s’étaient réchauffées à l’échelle du bassin entier (Nature 427, 825-827; 2004). Le Gulf Stream en partance pour le sud Il est un scénario perturbant et de plus en plus crédible qui concerne le Gulf Stream, cette gigantesque courroie de transmission océanique qui apporte la chaleur de l’Atlantique tropical aux rives de la côte est des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Europe. En bref, la théorie veut que la fonte de la calotte polaire arctique déplace la courroie vers une route plus méridionale et entraîne un refroidissement spectaculaire de l’Europe (voir schéma ci-dessous). Certains estiment qu’il s’agit d’un scénario du pire – donc improbable. Pourtant, cela s’est déjà produit : une fois, il y a environ 13 000 ans, à la fin du dernier âge glaciaire, lorsque l’arrêt de la courroie de transmission a plongé l’Europe dans 1300 années supplémentaires de climat glacial. Il y a 8200 ans, un changement brusque de la circulation océanique a refroidi et asséché la Terre durant environ un siècle. Le risque est réel que d’ici 2030, les changements climatiques provoquent un déplacement vers le sud de la «courroie de transmission» de l’Atlantique qui transporte la chaleur des tropiques vers le nord de l’océan. Flèches bleues : aujourd’hui; flèches rouges : 2030. Flèches claires : courants chauds peu profonds; flèches sombres : courants froids profonds. Planète Conservation 1/2004 LES RIVAGES FUTURS Blanchissement des coraux. Les récifs coralliens sont tout particulièrement sensibles aux changements climatiques et «blanchissent » souvent (c’est-à-dire qu’ils perdent leurs algues symbiotiques) en réaction au stress thermique associé à d’autres facteurs. En 1998, 75% des récifs coralliens du monde ont été affectés par le blanchissement et 16% en sont morts. Pour la première fois dans l’histoire de l’homme, nous avons pu assister à la destruction d’un écosystème à l’échelle mondiale par suite de changements climatiques (voir encadré). La production halieutique est un des nombreux services écosystémiques qui disparaît lorsqu’un récif meurt. Près de 500 millions de personnes vivent à moins de 100 kilomètres de récifs coralliens et beaucoup dépendent directement des récifs pour leur subsistance quotidienne et/ou pour leur revenu. Dans l’océan Indien central, il a été démontré que le blanchissement avait une incidence directe sur 90% des communautés de petits pêcheurs traditionnels. Des études initiales estiment que des récifs morts et en désagrégation peuvent perdre 50% de leur valeur halieutique. Dans l’océan Indien, l’épisode de blanchissement corallien de 1998 aurait coûté jusqu’à USD 8 milliards, du point de vue de la pêche et du tourisme ainsi que de la réduction de la protection des littoraux. Élévation du niveau des mers. Le niveau des océans pourrait s’élever d’un mètre dans les cent prochaines années (50 cm est l’hypothèse « la plus plausible ») mettant en péril 200 millions de personnes. Beaucoup de pays insulaires des océans Pacifique et Indien ne se trouvent qu’à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer et dépendent donc tout particulièrement des récifs coralliens qui forment des barrières naturelles. Les incidences des changements climatiques seraient surtout sévères pour les îles dont l’exposition naturelle à ces phénomènes serait renforcée par l’urbanisation croissante, la prolifération d’établissements sauvages, la dégradation des écosystèmes côtiers et l’expansion rapide de l’infrastructure côtière. Dans le Pacifique, Tuvalu et Kiribati sont particulièrement en danger et n’ont que peu de possibilités de s’adapter aux circonstances changeantes. Sur les continents, les côtes basses courent également un risque bien que, dans leur cas, l’image soit souvent compliquée par la subsidence côtière résultant de l’extraction d’eau douce (par exemple, le delta du Nil, Bangkok). Météorologie extrême. Selon les scientifiques, un réchauffement de l’atmosphère aggravera les sécheresses et les incendies forestiers dans certaines régions et provoquera des typhons, des ondes de tempête et des inondations beaucoup plus dévastatrices dans d’autres. Ces prédictions sont confirmées par les statistiques : les pertes économiques moyennes dues à des événements climatiques extrêmes ont été multipliées par six depuis les années 1960 et, en 2003, ont atteint USD 60 milliards. Les inondations de 2003 en Inde, au Bangladesh et en Chine ont tué des centaines de personnes parmi les plus pauvres du monde et en ont marginalisé des centaines de milliers d’autres. Qui paie le prix? Selon les modèles les plus prudents, ce sont les communautés vivant sur des îles et des littoraux bas qui subiront les plus graves conséquences des changements climatiques durant les cent prochaines années. Certes, les pays industrialisés subiront les coûts les Planète Conservation 1/2004 plus élevés pour les dommages causés à l’infrastructure et les préjudices financiers mais ce sont les populations des pays en développement qui sont physiquement et économiquement les plus vulnérables. Chacun des principaux effets environnementaux des changements climatiques aura une incidence disproportionnée sur les communautés démunies qui dépendent fortement et directement des ressources naturelles et qui n’ont guère de filets de sécurité économiques. Une étude récente a, par exemple, prévu des pertes annuelles de 13,8% du PIB total de la région des Caraïbes. Que pouvons-nous faire? Lorsque des populations animales sont confrontées à des changements environnementaux soudains, elles doivent soit s’adapter, soit émigrer, soit mourir. L’homme est placé devant le même choix. Sauf changement de situation miraculeux, l’adaptation et le déplacement sont les seules options acceptables. Toutes deux sont extrêmement coûteuses, exigeantes du point de vue technique, et politiquement controversées. Dans toute notre histoire, nous, les êtres humains, n’avons jamais été dans une situation où il faut agir de toute urgence, à l’échelle mondiale, pour relever un défi environnemental qui est, pour la plupart d’entre nous, littéralement incompréhensible. À mesure que nous progressons dans ce que l’on appelle aujourd’hui «l’ère de l’Anthropocène » nous pouvons au moins commencer à étudier comment réagir à la vulnérabilité croissante de ceux qui se trouvent sur la ligne de front – ces communautés qui dépendent d’un accès immédiat aux ressources naturelles. Ne pas le faire reviendrait à nous cacher la tête dans le sable tandis que les vagues nous engloutissent. Herman Cesar est un économiste de l’environnement qui travaille à l’Institut des études environnementales de l’université Vrije à Amsterdam (www.vu.nl/ivm). Il possède également sa propre firme conseil, Cesar Environmental Economics Consulting (www.ceec.nl). Pour un compte rendu complet sur les changements climatiques, voir http://www.climateark.org/ La mort des coraux dans l’océan Indien L’océan Indien a perdu entre 50 et 95% de ses récifs coralliens en deux mois durant le phénomène de blanchissement de masse de 1998. Les récifs soutiennent de vastes secteurs de la population et de l’économie nationales à travers la pêche artisanale, le tourisme et les investissements à grande échelle. CORDIO, Coral Reef Degradation in the Indian Ocean, est un programme régional et pluridisciplinaire de suivi et d’évaluation lancé en 1999 pour étudier les conséquences écologiques et économiques du phénomène de 1998. Le programme est actif dans 11 pays de l’océan Indien occidental. CORDIO a récemment signé un accord de collaboration avec le Programme de l’UICN pour le milieu marin concernant des activités s’étendant sur l’Afrique de l’Est et l’Asie du Sud. Soutenu par l’Autorité suédoise pour la coopération au développement, le Fonds néerlandais de la Banque mondiale, le gouvernement de la Finlande, l’UICN et le WWF, CORDIO est un élément majeur du GCRMN, le Réseau mondial de suivi des récifs coralliens (voir page 10). – Olof Lindén, Coordonnateur, CORDIO http://www.cordio.org 29 LES RIVAGES FUTURS Programme de l’UICN pour le milieu L emarin : de la nécessité à l’action Carl Gustaf Lundin Dans les pages qui précèdent, nous avons touché un certain nombre d’aspects du travail de l’UICN et de ses nombreux partenaires dans le domaine marin : espèces marines, espèces exotiques envahissantes et pêcheries, coraux d’eau froide et d’eau chaude, rôle des aquariums marins et gouvernance mondiale de l’océan. Nous construisons un réseau d’APM représentatives à l’échelle mondiale, qui englobent la haute mer, c’est-à-dire les 80% de la biosphère qui, actuellement, ne reçoivent aucune protection, tout en renforçant la gestion d’APM particulières telles que le Bien du patrimoine mondial d’Aldabra, aux Seychelles. Dans le droit fil de la Mission de l’UICN, nous avons donné plus de poids à la gestion qui tient compte des populations côtières pauvres. Nous avons renforcé les orientations politiques de l’UICN en contribuant à la préparation et à la négociation d’instruments internationaux pour le milieu marin et à la conception de leurs organes de gestion. Nous appliquons l’«approche par écosystème» à la gestion, à différentes échelles, comme on peut le voir dans l’élaboration et la mise en œuvre de portefeuilles de projets pour les grands écosystèmes marins qui comprennent actuellement plus de 15 projets pour un budget de plus de USD 600 millions. l’environnement. Pour les questions marines, cela comprend les conseils fournis à des conventions relatives à la diversité biologique telles que la CITES et la CMS pour l’inscription d’espèces marines, ou la participation aux audiences du Comité des pêches du Parlement européen à propos de la pêche hauturière. Jeter des passerelles Le statut d’observateur de l’UICN auprès de l’Assemblée générale des Nations Unies permet à l’Union de jeter des passerelles entre les nations et leurs ministères concernés, d’une part, et les ONG de l’environnement qui réclament des réformes politiques, d’autre part. Le rôle de médiateur de l’Union, lui permet d’associer des représentants du secteur privé à ses travaux – des petits pêcheurs aux grandes entreprises de pêche, des firmes de bioprospection marine à l’industrie pétrolière. Préserver les ressources Nous nous efforçons d’appliquer l’expertise de l’Union à l’élaboration de nouvelles approches des droits des usagers et des droits de propriété. Nous prenons pour principe que la santé à long terme de l’écosystème est une préoccupation fondamentale des usagers des ressources et incite ceux-ci à abandonner les formes d’exploitation qualifiées de «tragédie des biens communs» qui ont dégradé tant d’écosystèmes. Les travaux du Groupe européen d’utilisation durable de la Commission de la sauvegarde des espèces (CSE) de l’UICN concernant la pêche sont une des contributions qui améliorent la gestion des ressources de la pêche. Les forces de l’Union Les forces de l’Union résident dans son aptitude à déterminer les besoins dans une perspective mondiale et à les traduire en actions, tant au niveau mondial – par exemple par le biais des processus relatifs à la CDB – qu’au niveau local - par la mise en œuvre de projets. Depuis plus d’un demi-siècle, un des rôles fondamentaux de l’UICN consiste à appliquer des connaissances scientifiques et une compréhension technologique dans les domaines de la conservation et de la gestion de IFM-GEOMAR/RORY WILSON Tempêtes à l’horizon Les manchots papous sont équipés d’émetteurs autonomes qui fournissent des informations sur leurs mouvements et activités ainsi que sur l’état de l’environnement, là où ils se trouvent. 30 Deux nouvelles menaces planent sur le milieu marin. Elles ont été décrites dans les pages précédentes et donnent à l’UICN et à ses partenaires un nouveau sens d’urgence et d’engagement. Dans les deux cas, notre réaction sera fermement ancrée dans les résultats de la communauté scientifique. Les pratiques de pêche destructrices dévastent les écosystèmes fragiles des grands fonds, y compris les récifs coralliens. Heureusement, il existe des mesures immédiates que la communauté mondiale peut prendre de toute urgence pour enrayer cette destruction et la disparition d’écosystèmes entiers (voir pages 8 et 9). Dans les réseaux de l’UICN, des efforts ciblés sont consacrés à ce problème et les perspectives de le résoudre dans les années qui viennent sont bonnes. Pour ce faire, il faudra encourager une meilleure compréhension des décideurs. S’attaquer aux effets des changements climatiques dans le milieu marin est une question beaucoup plus complexe et controversée. Compte tenu de l’intransigeance des décideurs qui mettent encore en doute les preuves scientifiques, nous nous efforçons de défendre notre cause avec des connaissances et des preuves, notamment dans le cadre du suivi des récifs coralliens réalisé par CORDIO et le GCRMN (voir pages 10 et 29). Mais il ne suffit pas de décrire les événements. Il nous faut de meilleurs outils pour prévoir les changements et Planète Conservation 1/2004 leurs conséquences probables sur les écosystèmes; il nous faut des outils pour atténuer les effets des changements climatiques dans l’écosystème marin et sur les populations côtières; il nous faut mettre au point des outils pour la gestion à grande échelle des océans, y compris pour réagir au déplacement éventuel de la courroie de transmission mondiale (voir pages 28 et 29). Le défi est immense et appelle des solutions originales et même extrêmes. Par exemple, nous devrions envisager de rédiger des protocoles internationaux relatifs au piégeage de vastes quantités de CO2 dans les océans par l’utilisation d’engrais-retard. Dans ce domaine, les travaux de la Commission du droit de l’environnement, par l’intermédiaire de son Groupe du droit et de la gouvernance de l’océan, seront particulièrement importants (voir encadré). Une Union vraiment mondiale Il est temps pour l’UICN de cesser d’être l’Union mondiale pour la nature terrestre et de devenir un véritable réseau mondial qui traite des besoins de conservation en tout lieu, y compris dans les 95% de la biosphère formés par le milieu marin. Nous devons nous prévaloir de ce que nous avons appris de nos échecs passés pour construire de nouvelles structures de gestion du milieu marin et mettre équitablement en valeur le milieu océanique, dans l’intérêt de tous les êtres vivants. Il faudra pour cela faire des compromis et des choix difficiles. L’adoption de systèmes de gestion transparents et démocratiques est notre meilleure chance, peut-être la seule. Carl Gustaf Lundin est Chef du Programme de l’UICN pour le milieu marin. Personnel du Programme pour le milieu marin Siège Carl Gustaf Lundin, Chef James Oliver, assistant communication Kirsten Martin, responsable de programme marin Cherry Sword, assistante administrative Andrew K. Hurd, associé Programme marin Méditerranée François Simard, coordonnateur Programme marin Claudiane Chevalier, juriste Ameer Abdulla, responsable de programme marin États-Unis Nouveau groupe sur le droit de l’océan La Commission du droit de l’environnement de l’UICN vient d’approuver la création d’un Groupe de spécialistes du droit et de la gouvernance de l’océan dont les priorités sont : ➤ soutenir les contributions de l’UICN à la gouvernance internationale de l’océan, y compris au Processus consultatif informel sur les océans et le droit de la mer des Nations Unies; ➤ traiter les questions de gouvernance des régions situées au-delà de toute juridiction nationale, y compris l’exploitation minière des fonds marins et la biodiversité de la haute mer; ➤ renforcer les accords/arrangements mondiaux relatifs aux pêcheries durables et au contrôle de la navigation, des activités telluriques et des activités qui ont lieu sur les fonds marins; ➤ faciliter l’apprentissage interrégional et l’élaboration progressive de la coopération régionale; ➤ renforcer les arrangements juridiques et institutionnels régionaux à la lumière des principes clés du développement durable tels que l’intégration, la précaution, la prévention de la pollution, la gestion par écosystème et la participation du public. Le premier sous-groupe, le Groupe de spécialistes du droit de la mer relatif à la Méditerranée est déjà actif et d’autres sous-groupes devraient être créés. – David VanderZwaag, Président du Groupe de spécialistes du droit et de la gouvernance de l’océan et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le droit de la mer et la gestion des océans, Programme marin et du Droit de l’environnement, Université Dalhousie Planète Conservation 1/2004 Kristin L. Sherwood, responsable de programme marin Lee A. Kimball, conseiller en gouvernance de l’océan et institutions internationales Brésil Marcio Barroso Santa Rosa, conseiller technique en chef, projet TAGUBARbaie de Guanabara Afrique de l’Est Melita A. Samoilys, coordonnatrice régionale, Écosystèmes marin et côtier Pologne Kristina M. Gjerde, conseillère pour les politiques de la haute mer Amérique du Sud Imène Meliane, responsable de programme marin Asie du Sud Jerker Tamelander, coordonnateur milieu marin 31 PUBLICATIONS Ouvrages sur la mer How is your MPA doing? A Guidebook of Natural and Social Indicators for Evaluating Marine Protected Area Management Effectiveness. Un guide publié par la CMAP/ UICN, le WWF et la NOAA sur les indicateurs biologiques, socio-économiques et de gouvernance spécifiques de mesure de l’efficacité des actions de gestion pour la réalisation des buts et objectifs des APM. ISBN 2-8317-0735-8, 2004; xvi + 216 p., ill; £16,50, USD 24,75. Bon de commande No B2016 Towards a Strategy for High Seas Marine Protected Areas, Kristina Gjerde, Charlotte Breide. Bien qu’il s’agisse du plus vaste habitat de la Terre, la haute mer n’est toujours pas représentée dans un réseau mondial d’aires protégées. En 2003, 38 experts mondiaux se sont réunis à Malaga, en Espagne, afin d’esquisser un ensemble de mesures qui permettront de rectifier cette situation. ISBN 2-8317-0732-3, 2003, ix + 181 p., ill. Gratuit + frais d’envoi et d’emballage. Bon de commande No B2031 De la Commission de la sauvegarde des espèces Les publications de la Commission de la sauvegarde des espèces de l’UICN contiennent une multitude d’informations sur les espèces marines telles que les dauphins, les dugongs, les oiseaux d’eau, les loutres, les phoques, les ours blancs, les esturgeons et les strombes géants. Pour une liste complète, voir http://www.iucn. org/themes/ssc/publications.htm ou consulter le World Conservation Bookstore http://www.iucn. org/bookstore/ CD-ROMs La diversité biologique et la taxonomie dans l’océan Indien Ces cinq guides interactifs d’identification des coraux, des crabes, des échinodermes, des poissons, des mangroves et des herbiers marins et des coraux mous de l’océan Indien peuvent être demandés au Programme de l’UICN pour le milieu marin Courriel : [email protected] Prix : 10 euros le CD. Publications en cours d’impression et en ligne sur le milieu marin Consultez le IUCN Bookstore pour des publications sur les milieux marin et côtier. http://www.iucn.org/bookstore/Marine-and-Coastal-index.htm Pour les publications téléchargeables en PDF, consultez : http://www.iucn.org/themes/marine/pubs/pubs.htm http://www.iucn.org/themes/wcpa/pubs/biomes.htm#marine 32 Status of coral reefs of the world: 2002 Édité par Clive Wilkinson 27% des récifs coralliens de la planète ont disparu et 14% devraient disparaître d’ici 10 à 20 ans. Ce sont les prévisions du document qui fait le plus autorité sur la santé des récifs coralliens et qui est publié par le Global Coral Reef Monitoring Network (GCRMN) en partenariat avec l’UICN, entre autres. ISBN 0-642-32216-3, 2002, x + 378 p., cartes. À commander à Science Communication, Australian Institute of Marine Science, PMB No 3, Townsville Mail Centre, Townsville Q 4810, Australie. Courriel : [email protected] Guidelines for Marine Protected Areas Édité et coordonné par Graeme Kelleher, Directeur de collection : Adrian Phillips Destinées aux décideurs, planificateurs et gestionnaires, ces lignes directrices présentent les mesures à prendre pour créer des APM efficaces depuis les tout premiers stades de la planification jusqu’à la mise en œuvre. ISBN 2-8317-0505-3, 1999, xxiv + 107 p., cartes en couleur. £16,50, USD 24,75. Bon de commande No B542 Marine and coastal protected areas: a guide for planners and managers, 3e éd. Rodney V. Salm; John R. Clark; Erkki Siirila Édition mise à jour du manuel classique sur la gestion des aires protégées marines (APM) dans les tropiques. Il reflète de nouvelles approches de la gestion des APM telles que des mécanismes originaux de financement, des partenariats avec le secteur privé et les ONG et la cogestion entre les gouvernements et les communautés côtières. ISBN 2-8317-0540-1, 2000, xxi + 370 p., ill. £20,50. Bon de commande No B563 World Atlas of Seagrasses Edmund P. Green et Frederick T. Short Publié en association avec le WCMC-PNUE par University of California Press. Les herbiers marins, groupe d’environ 60 espèces de plantes à fleurs sous-marines poussent dans les milieux marins estuariens et peu profonds de tous les continents à l’exception de l’Antarctique. Ils constituent une source alimentaire primaire pour de nombreuses espèces marines et jouent un rôle important dans la production halieutique Cet atlas offre une synthèse mondiale complète de la répartition et de l’état des habitats marins critiques. ISBN 0-520-24047, 2003, xii + 298 p., ill. £39,95. Bon de commande No 2052 Planète Conservation 1/2004