Le texte du livre au format PDF

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Le texte du livre au format PDF
LÉON-FRANÇOIS HOFFMANN
Professeur, Department of French and Italian, Princeton University,
Princeton, N.J., (1964), spécialiste de la littérature haïtienne
(1973)
LE NÈGRE
ROMANTIQUE
Personnage littéraire
et obsession collective
Un document produit en version numérique par Pierre Patenaude, bénévole,
Professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—Saint-Jean.
Courriel: [email protected]
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Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
2
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Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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Cette édition électronique a été réalisée par Pierre Patenaude, bénévole,
professeur de français à la retraite et écrivain,
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Léon-François HOFFMANN
LE NÈGRE ROMANTIQUE.
Personnage littéraire et obsession collective.
Paris : Les Éditions Payot, 1973, 302 pp. Collection : Le regard de
l’histoire.
[Autorisation formelle accordée par le Professeur Hoffmann le 29 novembre
2010 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]
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Ville de Saguenay, Québec.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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DU MÊME AUTEUR
Romantique Espagne, P.U.F., 1961.
La Peste à Barcelone, P.U.F., 1964.
L'Essentiel de la grammaire française, New York, Charles
Scribner's Sons, 1964.
Répertoire géographique de « La Comédie humaine »,
Vol. I : L'étranger, J. Corti, 1965.
Vol. II : La Province, J. Corti, 1968
La Pratique du français parlé, New York, Charles Scribner's Sons, 1973.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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Léon-François HOFFMANN
Le nègre romantique
Personnage littéraire et obsession collective
Paris : Les Éditions Payot, 1973, 302 pp. Collection : Le regard de
l’histoire.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
[303]
Table des matières
Avant-propos pour le lecteur blanc [5]]
Introduction [9]
Chapitre premier : Les Ancêtres [13]
Chapitre deux : Le Siècle des Lumières [49]
Chapitre trois : Révolutions et fins d'empires [99]
Chapitre quatre : Le Nègre romantique [147]
Le Noir [172]
Le Mulâtre [229]
Le Blanc [251]
Conclusion [267]
Bibliographie [269]
Index [297]
6
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
[3]
Pour mes fils Jacques et Philippe
I sigh that kiss you,
For I must own
That I shall miss you
When you have grown.
(W. B. Yeats)
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Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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[4]
ESPÈCES, eau-forte de Mme Migneret, in J.-J. Virey, Histoire naturelle du
genre humain, 1824, Tome II, p. 42. (Cliché Bibl. de l'Université de Princeton.)
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[5]
Le nègre romantique
Personnage littéraire et obsession collective
AVANT-PROPOS
POUR LE LECTEUR BLANC
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Je sais qu'il n'est plus de mode, après les aberrations nazies, de tenir des propos discriminatoires. Le Français se targue de ne pas être
raciste, c'est bien connu. Et pourtant, lequel d'entre nous est certain de
n'avoir jamais écouté la voix du mépris ? Ouvertement ou secrètement
fier de la « mission civilisatrice de la France », lequel d'entre nous
pense à ce que cette formule implique de dédain pour ceux qui ont été
« civilisés », Gide et d'autres ont montré comment ?
Du mépris à la persécution, le pas est vite franchi. Dénoncer les
lois de Nuremberg et l'apartheid, affirmer que les hommes sont frères
et devraient avoir les mêmes droits n'est pas suffisant. Si la discrimination raciale a pu être érigée en système par certains pays occidentaux, c’est non seulement parce qu'elle s'appuyait sur une conviction
explicite chez les uns, mais parce qu'elle n'a provoqué chez les autres
que de timides protestations, laissant indifférents la majorité de ceux
qui n'en étaient pas les victimes directes. Citoyens d'un pays qui fournit des armes au gouvernement de Pretoria, nous sommes bien placés
pour le savoir.
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Tout Blanc porte sa part de responsabilité dans l'entreprise d'avilissement dont les Noirs ont été – et continuent d'être – les victimes. Les
réserves d'Afrique du Sud, les taudis de Chicago ne sont peut-être plus
que des anachronismes appelés à disparaître. Le niveau de vie du Noir
antillais ou nord-américain rattrapera peut-être celui de ses compatriotes blancs. Les ressources naturelles des pays indépendants d’Afrique
enrichiront peut-être les populations locales plutôt que les actionnaires
occidentaux. L'équité triomphera... mais ce n'est sans doute pas pour
demain. Ni même pour après-demain.
[6]
Parallèlement au long combat pour l'égalité économique, il importe
d'extirper cette gangrène qu'est le racisme : il faut que les Blancs deviennent capables de considérer les peuples de couleur et particulièrement les Noirs, comme des hommes à part entière. Et ce ne sera pas
facile. Car depuis plusieurs siècles le Noir est tenu par le Blanc pour
un inférieur. On se demandait, il n'y a pas longtemps encore, s'il ne
constituait pas une espèce intermédiaire entre l'homme et les anthropoïdes. L'Encyclopedia Britannica de 1911 affirme :
Mentally, the Negro is inferior to the White.
Préjugé d'anglo-saxons ? Notre propre Grand Larousse universel est encore plus catégorique :
C'est en vain que quelques philanthropes ont essayé de
prouver que l'espèce nègre est aussi intelligente que l'espèce
blanche. Quelques rares exemples ne suffisent point pour prouver l'existence chez eux de grandes facultés intellectuelles. Un
fait incontestable, et qui domine tous les autres, c'est qu'ils ont
le cerveau plus rétréci, plus léger et moins volumineux que celui de l'espèce blanche, et [...] ce fait suffit pour prouver la supériorité de l'espèce blanche sur l'espèce noire.
(P. LAROUSSE, Grand Dictionnaire universel, 1866-1880,
art. Nègre).
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Les choses ont-elles vraiment changé depuis le temps de nos
grands-pères ? L'homme continue à se définir lui-même en fonction de
groupes, raciaux, nationaux, sociaux, religieux, etc. et à postuler que
les groupes qui ne sont pas les siens sont inférieurs et hostiles. Pour le
Français de ma génération, l'endoctrinement commençait dès l'école
primaire. On nous apprenait en particulier à considérer les hommes et
les choses d’Afrique comme puérils et retardés, tandis que les media
nous en offraient la caricature. Pour les besoins de la politique coloniale ? Bien sûr, mais ce mélange de crainte, de mépris et de bienveillance condescendante qui caractérisait, qui caractérise encore notre
vision du Noir s'est formé il y a bien longtemps. Un lourd atavisme
pèse même sur ceux d'entre nous qui nous prétendons délivrés de tout
sentiment raciste envers le Noir. Nos habitudes de pensée, notre langage nous trahissent à chaque instant. Et que nous soyons conscients
et satisfaits de notre largeur d'esprit au lieu de l'exercer tout naturellement est un signe troublant.
Il ne s'agit pas de masochisme intellectuel, et la mauvaise conscience ne va généralement pas plus loin. Il s'agit d'exorciser le racisme, d'en dépister et d'en dénoncer toutes les manifestations.
Je voudrais montrer comment nos ancêtres à nous voyaient les [7]
ancêtres de ces Noirs qui revendiquent aujourd'hui la dignité qu'on
leur a si longtemps refusée. Comme l’écrit Etiemble : « tout humanisme est dérisoire qui ne se propose pas, pour premier objectif, de
mettre hors-la-loi le racisme ». Si elle apporte quelques lumières sur
l'origine et le développement du préjugé de couleur, je souhaite que la
présente étude puisse (combien modestement, j'en suis bien conscient)
contribuer à sa disparition.
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[9]
Le nègre romantique
Personnage littéraire et obsession collective
INTRODUCTION
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Dans l'imagination collective française, le mot nègre est associé à
la notion d'esclave jusqu'à ce que Lamartine, Président de la République, signe en 1848 le décret qui émancipe les Noirs des colonies.
Avec l'expansion française en Afrique, une nouvelle image se forme :
le Noir est identifié au colonisé. Enfin, après la deuxième guerre
mondiale et l'accession des pays d'Afrique à l'indépendance, le Noir
est classé parmi les « sous-développés », tout comme les Asiatiques,
les Arabes ou la majorité des Hispano-américains ; il partage avec eux
la qualité de citoyen du Tiers Monde, de ce Tiers Monde que les deux
blocs industrialisés considèrent avec un mélange de mépris, de remords et d'inquiétude.
La présente enquête essaye de dégager les facteurs historiques et
psychologiques qui ont contribué à la formation de l'image du Noir
avant l'émancipation. Quels éléments de cette première image persistent, quels éléments se sont effacés, quels éléments ont été modifiés
ou ajoutés, c'est ce qui pourra faire l'objet d'autres recherches.
Je me propose de passer en revue les personnages noirs présents
dans la littérature romantique, et d'expliquer pourquoi tant d'écrivains
les ont pris pour héros. Par personnages noirs j'entends non seulement
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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les Africains et leurs descendants « pur sang », mais également les
Mulâtres ou « sang-mêlés », ces derniers posant, nous le verrons, des
problèmes spécifiques.
Je ne prends pas ici l'adjectif « romantique » dans son acception
académique : l'essentiel de mon étude portera sur la période comprise
entre la Révolution de 1789 et celle de 1848. Ces dates marquent deux
moments importants dans l'histoire des rapports entre Blancs et Noirs.
La France révolutionnaire a été le premier pays à décréter l'abolition
de l'esclavage colonial et à étendre aux ci-devant esclaves [10] la
jouissance des Droits de l'Homme et du Citoyen. Napoléon s'étant
empressé d'abroger le décret (qui n'avait d'ailleurs été que très imparfaitement appliqué), il faudra attendre la chute de Louis-Philippe pour
que l'esclavage soit définitivement aboli.
Les hommes de la Constituante qui décidèrent la première émancipation étaient bien entendu les enfants des Lumières. J'ai cru bon de
consacrer un chapitre à l'image du Noir au XVIIIe siècle. J'y reprends
les conclusions des chercheurs qui se sont penchés avant moi sur la
question, et je complète certaines de leurs analyses à l'aide d'une série
de textes « mineurs » dont ils n'ont pas tenu compte. Ce chapitre m'a
paru indispensable car il traite de l'époque où le Noir devient « problématique », où il éveille non plus seulement une curiosité amusée
mais la mauvaise conscience d'un peuple à la fois civilisé et esclavagiste, c'est-à-dire vivant dans la contradiction.
Enfin, il m'a semblé opportun de consacrer quelques pages à l'image du Noir depuis les origines jusqu'au Siècle des Lumières. Je me
rends parfaitement compte qu'un tel survol est insuffisant. Mais il fallait signaler l'identification du Diable à un Nègre, la légende du Prêtre
Jean, le mythe du Bon Sauvage, qui sont à la source de l'image qui
m'intéresse. Ces premiers éléments persistent : les années ne font que
les modifier, les déformer et les enrichir. En plus, c'est au XVIIe siècle
que naît avec la traite le racisme systématique, qui cherche à la justifier en se réclamant d'une prétendue vérité scientifique.
Mon travail se veut en somme contribution à l'étude de l'opinion
publique et de la sensibilité collective. Simple contribution, et comment aurait-il pu en être autrement ? Sans remonter à nos ancêtres les
Gaulois, qui connaissaient les Nubiens de l'armée romaine et des
équipes de gladiateurs, les contacts entre Français et Noirs vont en se
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multipliant depuis que la France est France. Les conclusions auxquelles j'ai cru pouvoir arriver constituent un dégrossissement, proposent
une série d'hypothèses de travail. Même en ce qui concerne la littérature proprement dite, elles demandent à être rigoureusement contrôlées. On sait les difficultés auxquelles se heurte toute recherche en
sociologie de la littérature : René Rémond les a résumées dans l'Introduction de son excellent livre sur Les États-Unis devant l'opinion
française 1815-1852. Pour chaque texte ou série de textes signalés, il
importerait de connaître le milieu social de l'autour, la sûreté de son
information, les préjugés qui lui sont propres, l'idéologie à laquelle il
se rattache, le public qu'il vise, la diffusion de son œuvre, l'accueil
qu'on lui a fait... C'est dire que l'enquête sur le Nègre « personnage
littéraire » ne sera pas achevée dans les pages qui suivent. Puissentelles servir de point de départ à des travaux précis, portant sur des sujets plus limités, et donc passibles d'être traités dans le détail. L'article
d'Yvan Debbasch sur le concours de poésie de l'Académie [11] française qui, en 1823, prit pour thème l'abolition de la traite, me semble
un excellent exemple du genre de monographies qu'il importe d'entreprendre.
En outre, l'étude sur le « personnage littéraire » ne prend son sens
que si elle débouche sur l'« obsession collective ». Elle risquerait autrement de n'être que pur exercice d'érudition, que promenade anecdotique dans le royaume des lettres. Voilà pourquoi, bien que mes sources principales soient littéraires, je n'ai pas hésité à puiser dans les récits de voyages, les essais, les dictionnaires, les pamphlets de toute
sorte dans cette plus large optique, l'intérêt d'un document ne dépend
guère du genre auquel il se rattache.
De l' « obsession collective », la littérature n'est qu'une composante
parmi tant d'autres : elle l'exprime, en partie, elle la détermine et la
modifie, en partie, mais en partie seulement. La politique et la mode,
les arts plastiques et les recherches scientifiques, l'évolution du langage et les préoccupations religieuses, l'enseignement scolaire et les réalités économiques et sociales, la persistance des mythes et les mystères du subconscient, toutes les productions de la conscience de
l'homme prennent ici valeur de témoignage. Or, la présence de
l'homme noir dans les manifestations de la Weltanschauung française
n'a suscité, jusqu'à ces dernières années, que des travaux fragmentaires et peu nombreux. En particulier, il n'existe, à ma connaissance du
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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moins, aucune étude d'ensemble sur le racisme anti-noir (ou sur la lutte contre ce racisme) dans le domaine français. Ce n'est que très récemment que des travaux comme ceux de Michèle Duchet (sur l'anthropologie au Siècle des Lumières), de Simone Delesalle et Lucette
Valensi (sur les
dictionnaires d'Ancien régime), de Gabriel Debien (sur la vie coloniale à Saint-Domingue) sont venus apporter de précieux éléments
d'information. Une fois qu'un nombre suffisant de ces éléments auront
été réunis, l'historien des idées pourra procéder à des travaux de synthèse. Je souhaite qu'il trouve dans Le Nègre romantique une série de
textes intéressants, certains célèbres, d'autres tout à fait ignorés. Ce
sont ces textes qui forment l'armature de mon argumentation. Plutôt
que de les condenser, j'ai préféré en faire de nombreuses citations ;
elles m'ont paru trop éloquentes pour être résumées ou paraphrasées.
Et l'on ne saurait trop répéter que l'étude du passé ne se justifie que
.si elle permet de mieux comprendre le présent et de préparer l'avenir.
Ces textes enfouis dans les bibliothèques, à quoi bon les déterrer si ce
n'est pour nous reconnaître en eux, pour y retrouver la trace de notre
bêtise ou de notre générosité, pour que les erreurs et les intuitions de
ceux qui nous ont précédés ne tombent pas dans le néant de l'inutilité ? Ces pages jaunies par le temps, je me refuse à les considérer
comme des curiosités littéraires, avant que les problèmes qu'elles posent n'aient été résolus. Le jour où le racisme ne sera plus qu'un mauvais souvenir, [12] nous pourrons nous permettre de les oublier. Mais
dans cette attente, qui risque d'être longue, historiens et critiques, sociologues et psychologues, chercheurs de tous les bords et de toutes
les disciplines doivent, me semble-t-il, en faire la découverte et l'analyse.
Trop de collègues, trop d'amis français et américains m'ont signalé
qui une étude critique, qui une œuvre originale pour que je puisse les
remercier individuellement. La longueur de ma bibliographie témoigne de leur généreuse obligeance. Si l'intérêt possible de mon étude
réside dans la variété des textes présentés, c'est grâce au dévouement
de cette équipe. Je la prie de trouver ici l'expression de ma très profonde gratitude.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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Je tiens cependant à dire combien je dois à mon camarade Jean
Macary. Il a vu et revu mon manuscrit page par page, m'a fait les critiques les plus judicieuses et m'a suggéré la solution à bon nombre de
problèmes.
Je remercie également la Commission de recherches de l'Université de Princeton, qui a subventionné mes recherches des deux côtés de
l'Atlantique. Enfin, j'ai pu une fois de plus apprécier la grande compétence et la patiente amabilité du personnel de la Bibliothèque Nationale, des archives de l'Institut de France et de la Bibliothèque de l'Université de Princeton.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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[13]
Le nègre romantique
Personnage littéraire et obsession collective
Chapitre I
LES ANCÊTRES
(MOYEN AGE, RENAISSANCE, XVIIe SIÈCLE)
Les anciens ne connaissaient point l'absurde aristocratie
de la peau ; c'est une invention des maîtres modernes.
(S. LINSTANT, Essai sur les moyens d'extirper les
préjugés des Blancs, 1841, p. 16.)
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L'homme noir est présent dans les lettres françaises dès la Chanson
de Roland. Mais, jusqu'au début des Lumières, c'est de façon épisodique et peu précise : on ne distingue pas clairement les Éthiopiens des
Maures, des Hindous, voire des Indiens d'Amérique. Avant que le Nègre n'arrive à devenir un personnage littéraire en même temps qu'une
obsession collective, il faudra que l'Afrique noire soit explorée, sinon
systématiquement, au moins suffisamment pour faire partie des régions connues des Européens. Il faudra également que l'on prenne
conscience de la vie menée par les esclaves dans les colonies
d’Amérique.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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La Grèce et Rome avaient légué au premier christianisme l'absence
de préjugé de couleur. Il semble bien établi que
The Greco-Roman view of Blacks was […] a fundamental
rejection of color as a criterion for evaluating men. […] There
is nothing in the evidence, however, to suggest that the ancient
Greek or Roman established color as an obstacle to integration
into society 1.
(F. M. SNOWDEN, Blacks in Antiquity, 1970, p. 216-218.)
L'Hellène se considérait certes supérieur au barbare, le civis romanus à celui qui ne l'était pas, mais l'infériorité des Cycambres, des Perses ou des Éthiopiens était culturelle et non pas raciale. Et c'est sans
[14] distinctions de race que les Anciens méprisaient leurs esclaves.
Mépris qui aurait dû disparaître d'Europe en même temps que l'esclavage, mais dont la littérature classique transmettait le souvenir : il se
réveillera plus virulent que jamais lorsqu'il s'agira de faire la traite des
Noirs, et viendra renforcer le préjugé de couleur qui est l'apanage des
temps modernes. Il reste que, si certains penseurs grecs avaient essayé
de justifier par la biologie les différences de caste ou de classe, cet
embryon de racisme systématique ne semble pas avoir pénétré dans la
conscience collective de l'Antiquité.
1
L'attitude des Grecs et des Romains envers les Noirs comportait [...] le rejet
fondamental de la couleur comme critère de l'évaluation de l'humain. [...]
Rien ne permet de supposer que les Grecs et les Romains aient pu considérer
les différences de pigmentation comme un obstacle à la parfaite intégration
sociale. (Sauf indication contraire, les traductions en bas de page sont de
moi.)
Sur la présence du Nègre dans la pensée et la littérature de l'Antiquité et
de la France jusqu'au siècle des Lumières, on pourra consulter entre autres :
F. M. SNOWDEN, Blacks in Antiquity, 1970 ; C.-V. LANGLOIS, La
Connaissance de la nature et du monde au Moyen Age, 1911 ; J.K.
WRIGHT, The Geographical Lope of the Time of the Crusades, 1965 ; H.
BAUDET, Paradise on Earth, 1965 ; C. COQUERY, La Découverte de
l'Afrique, 1965 ; R. GONNARD, La Légende du bon sauvage, 1946 ; G.
CHINARD, L'Amérique et le rêve exotique dans la littérature française au
XVIIe et au XVIIIe siècles, 1913; R. MERCIER, L'Afrique noire dans la littérature française, 1962.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
19
De la même façon, l'ennemi au Moyen Age ne paraît guère avoir
été défini comme appartenant à une autre espèce humaine, mais bien
plutôt comme le représentant de l'idolâtrie, serviteur de Mahumet,
d'Apollin et d'autres fausses divinités. Différentiation moins absolue :
puisqu'il est possible de se convertir, tout païen est un chrétien en
puissance. Les barrières dressées au nom de la biologie ne laissent,
elles, aucune échappatoire : pour nos racistes modernes, l'appartenance à une ethnie indésirable condamne sans rémission, puisqu'elle est
inscrite dans les gènes, les chromosomes ou – comme on dit – dans le
« sang » 2. Dans la pensée médiévale, par contre, les Musulmans,
noirs, basanés ou parfaitement blancs pouvaient abjurer l'erreur, accepter le baptême et s'intégrer ainsi (du moins théoriquement) à la
chrétienté. Aussi n'est-ce pas dans une optique raciste au sens moderne du terme que l'auteur de la Chanson de Roland (Ms. d'Oxford)
évoque les Noirs qui servent dans les troupes de l’Islam :
…Marganices
Ki tint Kartagene, Alfere, Garmalie
E Ethiope, une tere maldite.
La neire gent en ad en sa baillie;
Granz unt les nés e lees les oreilles,
E sunt ensemble plus de cinquante milie 3. (Laisse CXLIII.)
Deux laisses plus loin, le poète décrit l'ennemi :
2
3
Voir M. F. ASHLEY-MONTAGU, Man's Most Dangerous Myth : The Fallacy of Race, 29, éd., New York, Columbia University Press, 1945, p. 8 et
suiv.
Édition Joseph Bédier, H. Piazza, 1937. L'éditeur traduit : Marganice, qui
tient Carthage, Alfere ( ?) et Garmalie et l'Éthiopie, une terre maudite : il a
en sa seigneurie l'engeance des Noirs. Leurs nez sont grands, leurs oreilles
larges : ils sont là plus de cinquante mille ensemble.
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... la contredite gent
Ki plus sunt neirs que n'en est arrement
Ne n'unt de blanc ne mais que sul les denz 4.
[15]
Et enfin, au vers 3229, nous apprenons que le huitième corps de
l'armée levée par les rois Torleu et Dapamont est de Nigres.
Tout comme les preux chevaliers chrétiens étaient originaires des
diverses provinces de l'Empire, les troupes de l'Islam se composaient
de felons paiens Sarrazins, Affricans, Sulians (Syriens), Persis (Persans), venus d'Arabie, de Barbarie, de Cappadoce ou de Babylone. La
noirceur plus ou moins prononcée de leur teint était une notation plus
symbolique que réaliste. L'auteur de la Chanson de Roland avait décrit Abisme le Sarrazin comme neirs cume peiz qui est demise, c'est-àdire aussi noir que poix fondue, et l'on peut admettre que les Sarrasins
aient effectivement eu le teint plus foncé que les Francs. Ce ne saurait
par contre être le cas pour les guerriers saxons, et pourtant, un siècle
plus tard, Jehan Bodel emploie tout naturellement la même image en
décrivant un des protagonistes de la Chanson des Saisnes (i. e.
Saxons)
Atant ez vos VII rois Saisnes de pute guise
Chascuns la lance el fautre et la targe avant mise !
Li uns ot non Burnof plus noir qe poiz remise...
(Jean Bodels Saxenlied, éd. F. MENZEL et E. STENGEL,
Marburg, I, 1906, laisse CXXXVI. C'est moi qui souligne.)
4
Idem : la gent maudite, qui est plus noire que l'encre et qui n'a rien de blanc
que les dents.
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C'est que l'adjectif noir avait, autant et plus que de nos jours, une
valeur péjorative qui remonte sans doute aux origines même du langage. Le noir évoque les terreurs nocturnes, est associé au mal et au crime. Il s'oppose au blanc, signe lumineux, associé à la candeur et à
l'innocence, et les poètes du Moyen Age ont tout naturellement employé ce symbolisme élémentaire des couleurs. Leurs héros sont souvent des blonds aux yeux bleus, tandis que les traîtres ont la chevelure
foncée et les yeux sombres. Si la blancheur de la peau est emblème de
pureté et de vertu, la noirceur du teint n'appelle pas à l'intolérance et à
la persécution. C'est une convention littéraire commode, qui permet de
dramatiser les mauvaises passions de l'âme. Répétons-le, cette
convention littéraire n'a pas mené, pour autant que l'on sache, au préjugé de couleur.
Que les Nigres de la Chanson de Roland relèvent d'un vague exotisme ou même de la pure imagination, comment s'en étonner, étant
donné les connaissances très limitées que le Moyen Age avait de
l'Afrique ? Jusqu'au XVe siècle au moins, c'est surtout chez Hérodote
ou chez Pline l'Ancien que l'on cherchait des renseignements sur les
peuples de couleur et les pays qu'ils habitent. Ces connaissances géographiques et anthropologiques étaient rudimentaires et souvent fabuleuses. Le littoral méditerranéen avait été exploré, mais l'arrière-pays,
généralement désigné en bloc sous le nom d'Éthiopie, restait inconnu.
Les documents de l'époque attestent de bien singulières notions de
géographie. Par exemple Gossouin, auteur d'une Image du Monde
[16] composée dans la première moitié du XIIIe siècle, n’hésite pas à
placer en Aufrique non seulement Surie et Jherusalem mais aussi l'Italie, la Grèce, Rome et la ville de Troie. Cette étrange géographie, qui
repose sur des sources latines, reflète une opinion assez répandue à
l'époque. Quant à l'Ethyope, Gossouin la décrit comme suit :
Ethyope siet vers la fin d'Aufrique, et prent la fin. En cel
pays a unes genz qui sont plus noir que poiz ne arrement. Car il
fait si chaut cele part qu'il samble que la terre y arde. Dela
Ethyope n'a riens fors que deserz et terre sanz nul bien, plainne
de vermine et de bestes sauvages.
(GOSSOUIN, L'image du monde, éd. Prior, 1913, II, iv, p.
129-130.)
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On retrouve une fois de plus ces gens qui sont plus noirs que la
poix ou que l'encre ; ils sortent tout droit des chansons de geste. Dans
les chansons, cependant, c'est la méchanceté que la comparaison souligne, tandis qu'il s'agit chez Gossouin d'une description réaliste : il
décrit la couleur de la peau, pas celle de l'âme.
Brunetto Latini a des notions géographiques plus orthodoxes, mais
qui n'excluent pas une certaine fantaisie :
Dedens les parties d'Aufrique [est] ... l'ille de Menne ou est
li fleuves Letheu ; de qui les anchienes istores dient ke c'est li
fleuves d'infier [...]. La sont les gens de Namazoine et de Trogodite et les gens des Amans, ki font les maisons de sel.
(B. LATINI, Le Livres dou Tresor, éd. Carmody, 1948, p.
120.)
On trouve quelques lignes plus loin une étymologie inattendue du
mot Maure qui vient, d'après Brunetto Latini, du fait que ces gens sont
noirs comme des mûres :
Encore i est la terre d'Etyope et del mont Athalant, ou sont
les gens noires come meure, et por ce sont il apelé mors, por la
prochaineté du soleil (idem, p. 120-121.)
Ce n’est qu'au XVe siècle que l'Afrique noire commence à être découverte, grâce aux navigateurs portugais 5. Avant eux, elle était surtout connue par les traditions et les légendes : c'est dire qu'elle était en
fait méconnue. En attendant que les récits de voyageurs remplacent
peu à peu les légendes rapportées par les géographes de l'Antiquité,
5
Cent ans plus tard, on estime que 10 000 des 80 000 habitants de Lisbonne
sont des esclaves africains. C'est probablement en 1531, soit une trentaine
d'années après la découverte du pays que le premier bateau de traite arrive
au Brésil. (R. S. SAYERS, The Negro in Brazilian Literature, 1956, p. 15 et
suiv.).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
23
les Africains tels qu'on les imaginait semblaient sortis des cauchemars
d'un Brueghel ou d'un Bosch : selon les uns, les Africains sont des
Cyclopes de plusieurs mètres de hauteur ; pour d'autres, ils ont des
queues au bas du dos et des cornes au front ; d'aucuns ont un seul œil
au milieu de la poitrine ; on en connaît même qui changent périodiquement de sexe. En 1572, Jean Bodin signale que les habitants des
régions [17] méridionales ont de forts penchants à la lubricité, et que
cette luxure incontrôlable donne en Afrique d'inquiétants résultats :
Ils ne peuvent d'ailleurs que très difficilement se contenir, et
une fois lancés dans la débauche, ils se livrent aux voluptés les
plus exécrables. De là ces rapports intimes entre les hommes et
les bêtes qui donnent encore naissance à tant de monstres en
Afrique.
(J. BODIN, La Méthode de l'histoire, trad. et présentée par
P. MESNARD, 1941, p. 88 [1re éd. 1572].)
Non seulement l'Afrique noire était-elle imaginée comme un repère de monstres, mais on identifiait ses habitants à des sorciers et même
au Démon. Le Diable, cette obsession de l'âme médiévale, est appelé
par certains occultistes Le Grand Nègre ; Jacques Collin de Plancy
rapporte une anecdote tirée de Legenda aurea Jacobi de Voragine :
Les sorciers appelaient quelquefois le diable le grand nègre.
Un jurisconsulte, dont on n'a conservé ni le nom ni le pays,
ayant envie de voir le diable, se lit conduire par un magicien
dans un carrefour peu fréquenté, où les démons avaient coutume de se réunir. Il aperçut un grand nègre sur un trône élevé,
entouré de plusieurs soldats noirs, armés de lances et de bâtons.
Le grand nègre, qui était le diable, demanda au magicien qui il
lui amenait : – « Seigneur, répondit le magicien, c'est un serviteur fidèle. – Si tu veux me servir et m'adorer, dit le diable au
jurisconsulte, je te ferai asseoir à ma droite. »
(J. COLLIN de PLANCY, Dictionnaire infernal, 1845, rubrique « Négre » [1re éd., ca. 1820].)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
24
Et le démon qui ramène Cyrano de Bergerac sur terre à la fin de
son Voyage dans la lune est présenté sous les traits d'un « grand
homme noir tout velu », d'un « Éthiopien ».
Pratiquement inconnu dans la vie courante, le Nègre apparaît rarement dans la littérature médiévale. Personnage mythique et monstrueux, identifié à l'ennemi musulman, vaguement associé par les superstitieux à la figure du diable, il jouissait néanmoins, auprès de
l'imagination collective, d'une sorte de préjugé favorable. L'historien
hollandais Henri Baudet a analysé ce paradoxe avec beaucoup de pénétration dans son essai Het Paradijs op Aarde 6. Baudet remarque en
particulier l'importance du Prêtre Jean et de son royaume fabuleux
situé quelque part dans les régions inconnues à l'est du Nil, au sud du
Caucase et aux frontières de l'Inde : royaume d'hommes peut-être
noirs, mais chrétiens, précieux alliés en puissance dans la lutte défensive contre l'Islam. On sait que du XIIe au XVe siècle circulaient de
nombreuses versions d'une lettre supposée que le Prêtre Jean aurait
envoyée à Fedri, l'empereour de Rome. Une des versions françaises
de ce document est publiée par Achille Jubinal 7 : Après avoir affirmé
sa [18] foi chrétienne et son orthodoxie, le Prêtre Jean décrit son immense royaume où abondent or, argent et pierres précieuses ; cinquante-deux rois chrétiens, et de nombreux autres, sont ses obéissants vassaux ; il a fait vœu de vissiter et rescourre le sépulcre de nostre Signour qui est en Jhérusalem ; dans ses états, outre des éléphants, des
dromadaires, des unicornes et des oiseaux merveilleux se trouvent
houmes cornus et autres gens hi n'ont c'un œl, et gens hi ont ieux et
devant et derière, des anthropophages, des hommes qui ont piés reons
aussi coume kamel, et des gent hi sont aussi grant com enfant de vi
ans on de vii. Merveilleux royaume que celui du Prêtre Jean, où l'on
ne commet guère le péchiet de luxure [...] car celui hi est pris en aoutire nous l'ardons sans demourance. On a voulu croire, on a cru à ces
Indiens-Étbiopiens fraternels, au point qu'en 1486 les navigateurs Pe6
7
Royal Van Gorcum Ltd., 1959. J'ai consulté la traduction anglaise de B.
Wentholt publiée en 1965 à New Haven par Yale University Press sous le titre Paradise on Earth.
Dans son édition des Œuvres complètes de Rutebeuf, Daffi, 1875, Tome III,
p. 855-875.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
25
dro de Covilha et Alfonso de Paiva furent envoyés en ambassade auprès du Prêtre Jean par son homonyme Jean II de Portugal.
Lorsque les voyageurs parviendront au royaume chrétien d'Abyssinie, la légende s'avèrera non entièrement dénuée de fondement. Mais
la réalité est décevante ; le Prêtre-Jean tombe au rang de simple Négus
et son empire se révèle moins opulent qu'on ne l'avait imaginé :
L'Empereur des Abissins, que l'on connoit aujourd'hui sous
le nom du Grand-Négus, n'a été connu autrefois que sous celui
de Preste-Jean [...] Les Abissins vivent très mal-proprement [...]
Leurs vêtements ne sont pas plus riches que leur table [...] On
ignore en Abissinie la manière de bâtir : il n'y a presque point
de villes [...]. Les maisons sont fort basses, et si mal appuyées,
qu'il n'y a rien de si facile que de les renverser.
(A. BRUZEN de la MARTINIÈRE, Introduction à l'histoire... de l'Afrique, 1738, vol. II, ch. ler.)
Déjà pour nos écrivains classiques, mentionner le royaume du Prêtre-Jean c'était évoquer sur le mode ironique les régions du globe les
plus éloignées de toute civilisation, Dans La Comtesse d'Escarbagnas
(1671), le Vicomte parle d'un fâcheux qu'il a rencontré :
Ses intelligences même s'étendent jusques en Afrique, et en Asie,
et il est informé de tout ce qui s'agite dans le Conseil d'en haut du Prêtre-Jean et du grand Mogol (Acte I, se. i.).
L'année suivante, Louis XIV déclare la guerre aux Hollandais et le
bon La Fontaine leur conseille de fuir le courroux du Roi-Soleil en se
réfugiant aux limites du monde connu, c'est-à-dire :
... a l'Indostan
Dans quelque Isle de Sauvage
De Negre ou d'Anthropophage
Allez chez le Prête-Jean
Debiter l'orvietan...
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
26
(J. de LA FONTAINE, Virelay, Œuvres, 1877, vol. V, p. 97
[1 éd., 1672].)
re
[19]
Pour l'imagination collective médiévale, le Noir joue également un
rôle religieux. Selon une tradition populaire, les Abyssins descendent
de Salomon par les enfants que ce roi avait eus de la reine de Saba, et
la famille royale d'Éthiopie du Roi Mage Gaspar. Henri Baudet résume le développement du personnage : l'évangile selon saint Matthieu
mentionne « des mages d'Orient » ; avec le temps, leur nombre fut
fixé à trois ; au vie siècle, ils portent des noms : Melchior de Perse,
Gaspar des Indes et d'Éthiopie et Balthazar d'Arabie ; des différences
raciales entre les trois personnages apparaissent au XIIIe siècle ; deux
siècles plus tard, Gaspar le benjamin, est décrit dans l'art et la littérature sous les traits d'un Africain. Ainsi, le Nègre est en quelque sorte
canonisé avant la découverte du Nouveau Monde.
On aurait pu s'attendre à ce que la littérature du XVIe siècle assigne
au Noir une place dans sa galerie de personnages. Or, il n'en est rien.
Très peu de Nègres et, du moins à ma connaissance, aucun chez Rabelais, ni chez les poètes de la Pléiade, ni chez Montaigne, ni chez Marguerite de Navarre, ni dans les œuvres de l'école lyonnaise. Absence
d'autant plus surprenante que le XVIe siècle est un des grands moments de l'exotisme, fasciné comme il l'était par les pays et les hommes qui n'appartiennent pas à la civilisation occidentale.
En fait, les Français jouèrent à cette époque un rôle secondaire
dans l'exploration des côtes africaines, réalisée en grande partie par les
marins portugais et hollandais, à qui d'ailleurs l'Afrique servait avant
tout d'escale sur la route menant aux trésors des Indes. En comparaison avec ces pactoles féériques qu'étaient les civilisations raffinées de
l'Orient, la Guinée et Mozambique ne tentaient guère la cupidité des
trafiquants : l'Afrique avait un climat meurtrier (surtout pour des marins atteints presque toujours de scorbut), de richesses minières ou
autres, peu ou pas... (sauf près du Cap de Bonne-Espérance, que les
Hollandais s'empressèrent de coloniser) et, du point de vue humain,
elle n'offrait à la curiosité des navigateurs que des tribus « primiti-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
27
ves », ignorant l'écriture, l'architecture, les techniques scientifiques,
bref le sine qua non de la culture telle que la définissent les Blancs.
Certes les récits des voyageurs furent traduits en français. Mais ces
rapports de capitaines marchands ne sont pas des impressions de touristes : hommes positifs, leurs auteurs décrivent les points de repère,
signalent les dangers pour la navigation. Ils se soucient fort peu du
pittoresque, moins encore de comprendre des sauvages dont il n'y a
pour l'instant pas grand-chose à tirer du point de vue commercial. Cela
ne changera que lorsque l'exploitation de la canne à sucre, et plus tard
celle du coton, exigeront le transport outre-Atlantique d'une maind'œuvre nombreuse, docile et bon marché.
[20]
Un autre facteur qui contribue à expliquer l'absence du Nègre dans
la littérature du XVIe siècle est, de toute évidence, la découverte de
l'Amérique. Car on savait depuis toujours que des hommes noirs habitaient l'Afrique. La découverte d'un nouveau continent et d'une nouvelle race dont l'existence n'avait pas même été soupçonnée frappa
l'imagination de façon autrement profonde. D'autant plus que Mayas,
Aztecs et Incas avaient élaboré de véritables civilisations au sens européen du terme, et que l'Amérique possédait les richesses cherchées
en vain dans l'Éthiopie du Prêtre-Jean. Et cette fois la présence française s'affirma très tôt, au Brésil et aux Antilles comme au Canada.
Que chez loi ; Français du XVIe siècle l'Afrique réveillait moins
d'intérêt que les autres pays lointains, Geoffroy Atkinson l'a bien montré ; les statistiques qu'il établit sur les livres « géographiques » sont
concluantes :
Il résulte, pour les livres « géographiques » de la Renaissance [1480-1609] par nombre d'impressions et sans considérer les
brochures, le bilan suivant : 80 sur les Turcs, plus de 50 sur les
Indes Orientales, plus de 50 sur les autres pays de l'Asie, 40 sur
l'Amérique, 5 sur l'Afrique et 4 sur les Pays Septentrionaux.
(G. ATKINSON, Les Nouveaux horizons de la renaissance
française, 1935, p. 11.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
28
Roger Mercier est encore plus catégorique :
Quel est donc l'état des connaissances sur l'Afrique noire en
France au début du XVIIe siècle ? Malgré les hypothétiques
voyages des Dieppois au XIVe siècle, malgré la découverte des
Canaries par Jean de Béthencourt en 1402 [...], il n'existe aucun
ouvrage français sur cette région.
(R. MERCIER, L'Afrique noire dans la littérature française,
1962, p. 17.)
On a vu que le Moyen Age ne différenciait guère les Arabes des
Noirs. Le mot nègre, d'origine ibérique, n'est d'ailleurs pas attesté en
français avant 1516, et c'est dans le récit de voyage des frères Parmentier, que Frédéric Godefroy signale sa première apparition 8. Le mot
est rare jusqu'au XVIIIe siècle. Jusque-là, on se contentait de Maure,
Africain, éthiopien, adjectifs purement géographiques, ou d'hommes
noirs, adjectif descriptif qui n'est pas explicitement péjoratif. Quand
on en viendra à parler de Nègres, c'est qu'on voudra marquer clairement l'appartenance à une race autre, et inférieure. La découverte des
Peaux-Rouges mis le comble à la confusion, car ils commencèrent,
eux aussi, par être assimilés aux Maures. Bonaventure [21] Des Périers, en 1557, regrette le manque de précision de ses contemporains
qui confondent dans le même vocable habitants d'Afrique noire et
Peaux-Rouges des Indes Occidentales nouvellement découvertes :
Ce que les anciens Latins appeloient jadis Africa, nous l'appelons aujourd'hui Barbarie : de laquelle la partie où est le coin
que fait la mer Méditerranée avec l'Océan, s'appeloit Mauritania, et l'homme de ce pays-là, Maurus. Je ne doute point que
notre More et le Moro des Espagnols ne soient venus de ce
Mourus ; mais si en abusons-nous toutefois, et eux aussi. Car
nous, nous appelons More tout homme qui est noir comme les
Éthiopiens et Indiens delazone chaude, et autres des terres nou8
F. E. GODEFROY, Dictionnaire de l'ancienne langue française... du IXe au
XVe siècle, vol. 10, Bouillon 1902.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
29
vellement trouvées, ores que les Mauri ou Mores de Mauritanie
ne soient communément guères plus bruns que les Espagnols,
qui sont leurs voisins ...
(B. DES PÉRIERS, Discours non plus mélancoliques...,
1557, Ch. III : « Que c'est que More ».)
Ce qui n'empêche pas Furetière d'illustrer, encore en 1690, les
mots noir et noirastre par les exemples suivants : « Les Mores ont le
visage noir », « Les Espagnols ont le teint noirâtre ».
C'est que l'on a longtemps pensé que la proximité du soleil assombrissait la peau de tous ceux qui étaient nés sous les Tropiques. Ainsi,
même pendant la Renaissance, il ne semble pas que les Noirs aient été
généralement considérés comme appartenant à une race différente. Le
mot race, dans son acception de groupe ethnique différencié, n'est
d'ailleurs pas attesté avant 1684. Nous lisons à la rubrique Afrique du
Dictionarium, historicum, de Charles Étienne (1553, traduit et adapté
par Juigné Broissinière en 1643) :
Les hommes de l'Afrique sont noirs, blancs ou basannez, selon la diversité du terroir, et de quelque vertu secrette de l'air, et
non à cause du voisinage du Soleil, comme l'estime le vulgaire.
(D. de JUIGNÉ BROISSINIÈRE, Dictionnaire théologique,
historique…, 1643, p. 100.)
Qu'elle découle du voisinage du soleil, de la diversité du terroir ou
de la vertu de l'air, la pigmentation des Africains est considérée comme une conséquence du milieu ambiant. Elle n'implique ni différence
essentielle, ni infériorité héréditaire. Et pas non plus la notion de malédiction divine que l'on s'empressera de découvrir dans la Bible lorsqu'il faudra concilier christianisme et esclavage.
Lorsque les Européens débarquèrent dans le Nouveau Monde, le
Bon Sauvage, cette obsession de l'imagination occidentale, semble
enfin découvert. Il a fasciné Rabelais, Montaigne, les poètes de la
Pléiade. Mais le Noir n'a guère profité de cet engouement pour les
primitifs. Ce n'est pas lui, c'est l'Indien que l'on imagine paré de toutes
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
30
les vertus, menant une vie idyllique au sein d'une nature bienveillante.
Ce n'est pas chez le Noir, c'est chez l'Indien que la civilisation [22]
corrompue cherche le modèle d'une innocence perdue. A cela, deux
raisons, me semble-t-il. D'abord, le peu que l'on savait sur l'Afrique ne
correspondait pas à l'Utopie recherchée. Ensuite, le statut juridique
des Noirs dans le Nouveau Monde est différent de celui des indigènes.
Grâce au père Bartholomé de Las Casas il avait été interdit de réduire
les autochtones indiens en esclavage ; cet admirable souci d'humanité
ne joua malheureusement pas en faveur des Africains, systématiquement transplantés après la découverte. A tel point que bientôt :
Au Pérou, il est expressément défendu aux Noirs et aux Négresses d'avoir aucune communication personnelle avec les Indiens et les Indiennes, sous peine aux mâles d'être mutilés des
parties naturelles, et aux Négresses d'être rigoureusement fustigées.
(Dictionnaire... de Trévoux, 1721, article « Nègre ».)
L'esclave est, depuis l'Antiquité, inférieur par définition ; le Noir
est esclave, donc le Noir est inférieur. Le préjugé de couleur est né,
favorisé peut-être par le fait que les Noirs de la côte occidentale semblent plus éloignés que les Indiens du type physique blanc. Pour que
le Noir bénéficie de la sympathie dont jouit le Bon Sauvage, il faudra
attendre les Philosophes du XVIIIe siècle. À ce moment, et pour les
besoins de la polémique, on reviendra à l'ancienne ambiguïté qui
confond Noirs, Hindous et Indiens. Dans le Cleveland de l'abbé Prévost, le héros reçoit en cadeau du gouverneur de La Havane un Nègre,
le fidèle Iglou. Ils passent en Amérique du Nord, où il s'avère tout à
coup qu'Iglou est en réalité de race indienne. Voilà qui tombe à merveille : il va pouvoir servir d'interprète à son maître auprès des PeauxRouges Abaquis 9. Dans un roman écrit en 1821, un vertueux Nègre
9
Signalé par G. CHINARD, L'Amérique et le rêve exotique, 1913, p. 286 et
suiv.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
31
antillais nommé Salem invoque, comme s'il était Huron ou Mohican,
les « bienheureux manitous » 10.
Si les contacts entre Français et Africains restèrent presque inexistants jusqu'à vers 1650, il n'en va pas de même dans le cas de l'Angleterre, par exemple, ou de l'Espagne. La vocation coloniale, la présence
en Afrique de ces pays s'affirmèrent avant celle de la France. C'est
donc bien plus tôt et bien plus souvent que l'homme de race noire
trouve une place importante dans leur littérature 11. Par contre, le Noir
apparaît dans la littérature française du Moyen Age et de la Renaissance trop rarement et de façon trop épisodique pour avoir mérité
d'être étudié. Et le fait est qu'il est difficile, pour [23] autant que faire
se puisse, d'estimer sa place dans l'imagination collective. En ce qui
concerne la Renaissance, consulter les livres géographiques est indispensable, mais ne résout pas le problème. Les auteurs chez qui l'on
trouve des renseignements se contredisent les uns les autres, non pas
tant sur les questions de faits que sur tout ce qui touche à l'interprétation de l'humain. Le jugement de valeur sur les autochtones porté (si
toutefois il en porte) par chaque capitaine s'explique souvent par la
difficulté de telle négociation commerciale ou au contraire par la
bienveillance de l'accueil de telle tribu pacifique. En plus, l'Afrique
noire n'avait pas d'Histoire. Point de langue écrite, point de chroniques : voilà qui la rendait encore plus mystérieuse pour les Européens,
dont la Weltanschauung repose sur la notion de temps et la conscience
du passé :
Les lumières que nous avons sur ces Côtes, [...] offrent peu
de faits à ceux qui sont curieux de faits. Les marchands, occupés de leur commerce, ne se sont pas embarrassés d'étudier
l'histoire des pays où ils commerçoient ; les missionnaires qui
ont été y porter l'Évangile, occupés de leurs fonctions importantes, n'ont pu connoître que les événements qui se passoient sous
10
11
H. de LATOUCHE et L.-F. L'HÉRITIER, Dernières lettres de deux amans
de Barcelone, 1821.
Luis Morales-Oliver a pu consacrer deux volumes à Africa en la literatura
espailola (Madrid, 1958), en se bornant au Moyen Age et au SigIo de Oro,
tandis que sous le titre Othello's Countrymen (Oxford, 1965), Eldred Jones a
publié une longue étude des personnages noirs dans le théâtre elizabéthain.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
32
leurs yeux. Les Africains vivent pour la plûpart au jour le jour,
si nous pouvons nous exprimer ainsi. Ils ne songent ni au passé
ni à l'avenir ; & comme leurs ancêtres ont été peu curieux de
leur laisser des annales, ils ne sont pas plus disposés à en laisser
à leur postérité.
(J. DUBOIS-FONTANELLE, Anecdotes africaines, 1775,
« Anecdotes des Côtes de l'Afrique », Avant-propos, p. 2.)
Et l'on comprend l'embarras de Rousselot de Surgy qui, après avoir
rassemblé neuf volumes de Mélanges intéressans et curieux sur les
autres parties du monde, ne trouve pas de quoi remplir son dixième
volume, consacré à l'Afrique noire :
Personne n'ignore que [...] certaines contrées n'étant connues
que par des relations de marchands ou de navigateurs, elles
n'offrent le plus souvent que des détails géographiques et itinéraires, dont il n'est guère possible de tirer autre chose que des
notions sur la situation et l'étendue des lieux : notions intéressantes, sans doute, pour le commerce et la navigation, mais
d'une triste ressource pour quelqu'un qui veut employer agréablement son temps, ou contribuer à l'amusement des autres.
(J. ROUSSELOT de SURGY, Mélanges intéressans et
curieux..., 1763-1765, vol. X, p. 69-70.)
Entre les premières expéditions portugaises et l'aube du Grand Siècle, les connaissances relatives à l'Afrique et aux Africains se sont
malgré tout sensiblement enrichies. Le Nègre n'est tout de même plus
un personnage mythique originaire de quelque fabuleuse Terra Incognita. La circumnavigation du continent avait permis d'en dresser la
carte ou, plus exactement, d'en dessiner la silhouette. Les Noirs et leur
façon de vivre semblaient curieux, sans doute, mais on n'avait pas
trouvé les monstres imaginés par le Moyen Age. Les nouvelles [24]
découvertes, marchant de pair avec les progrès du rationalisme et de
l'esprit scientifique, permirent d'abandonner certaines notions fantai-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
33
sistes qui n'étaient trop souvent que des traditions déformées ou de
pures superstitions. En 1617 paraît le livre de Jean Mocquet Voyages
en Afrique, Asie, Indes Orientales et Occidentales 12. Mocquet, « Garde du Cabinet des singularitez du Roy, aux Tuilleries », avait entrepris
ses longs et dangereux voyages à la demande d’Henri IV. Dans
l'Avant-propos, il entreprend d'inculquer à ses lecteurs quelques éléments de géographie. Voici ce qu'il écrit de l'Afrique :
La dernière partie de ceste premiere Terre ferme est l'Afrique, separee de l'Europe par la mer Mediteranee, et de l'Asie
par l'Isthme d'Egypte et la mer rouge, faisant comme une peninsule environnee de mer par tout fors par ceste encouleur de terre
qui est entre l'Egypte et la Palestine. Ses Provinces principales
sont Égypte, Barbarie, Fez et Maroc, Ethiopie ou Abyssine,
Nubie, Lybie, Guinee, Congo, Monomotapa et autres de la coste du Midy. Ceste partie est bonne et fertile en quelques endroits, mais elle contient de grands deserts et sablonnieres sans
eau. La partie d'Afrique incogneue aux anciens et decouverte
par les Portugais environ l'an 1497 es tappellee par les Arabes
Zanzibar, et s'estend depuis les lacs d'où le Nil prend son origine, iusqu'au Cap de bonne esperance, contenant en soy de tres
bons pays voisins du grand Monomotapa, comme est entr'autres
Cefala et Couama, d'où se tire grande quantite d'or tres pur et
fin.
(J. MOCQUET, Voyages en Afrique, Asie, Indes Orientales
et Occidentales, Rouen, 1645, p. 27-28 [1re éd., 1617].)
Cette description sommaire est dans l'ensemble exacte. A peu de
détails près, elle représente en tout cas la somme des connaissances
que l'on a eues sur l'Afrique jusqu'au XIXe siècle. Pour que les larges
espaces en blanc disparaissent de la carte, pour que la silhouette se
remplisse, il faudra d'abord l'action des explorateurs du XIXe siècle,
ensuite celle des soldats fondateurs d'empires coloniaux. Les leçons de
12
Paris, J. de Heuqueville, 1617. Je cite l'édition de Rouen, chez Jacques Cailloue, 1645. L'ouvrage a été réédité à Paris, en 1830, aux frais du gouvernement.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
34
géographie africaine qu'apprenaient les écoliers sous Napoléon ler ne
différaient en attendant guère de celles que leurs ancêtres avaient apprises sous Louis XIII. Sur les bancs de l'école primaire, nos écrivains
romantiques avaient sans doute ânonné, eux aussi, le poème mnémotechnique suivant :
L'Afrique a douze parts. Le Caire, Alexandrie,
Et Damiette et Suez en Égypte ; Barca
Tripoli près Tunis, Alger et puis Ceuta,
Fez, Maroc sous l'Atlas sont de la Barbarie,
Le Biledulgeril, le désert ou Zara,
Nigritie et Guinée, Cafres, Éthiopie,
On trouve à l'orient le Monomotapa,
Le Zanguebar, l'Ajam, enfin l'Abyssinie.
(Cité par R. CORNEVIN, Histoire de l'Afrique, 1966, vol.
II, p. 478.)
[25]
Si pendant la Renaissance la France n'a pas joué un rôle de premier
plan en Afrique, Richelieu et Colbert favoriseront au XVIIe siècle une
politique maritime et coloniale plus active. Plusieurs compagnies à
chartre sont créées pour l'exploitation des côtes africaines. Elles font
d'ailleurs faillite l'une après l'autre. Les Français s'installent néanmoins à Saint-Louis du Sénégal. Ils prendront l'île de Gorée à leurs
prédécesseurs hollandais. D'autres comptoirs commerciaux sont également fondés. En outre – et ceci est plus intéressant dans notre optique – les Français entrent dans la compétition négrière. On sait que
l'esclavage n'existait pas en France métropolitaine :
Un capitaine normand ayant exposé des nègres pour la vente
à Bordeaux, un arrêt du parlement proclame (1571) que « La
France, mère de liberté, ne permet aucun esclave », ce que reprend dans ses institutes coutumières le jurisconsulte Antoine
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
35
Loisel (1536-1617) disant que « Toutes personnes sont franches
en ce royaume : si tost qu'un esclave a atteint les marches d'icelui se faisant baptiser il est affranchi. »
(R. CORNEVIN, Histoire de l'Afrique, 1966, vol. II, p. 362.)
La France n'est d'ailleurs pas le seul pays à connaître cette tradition
de liberté. Dans sa monumentale étude White over Black, American
Attitudes Towards the Negro (1550-1812), l'historien Winthrop Jordan
cite le Britannique William Harrison qui écrivait en 1577 :
As for slaves and bondmen we have none, naie such is the
privilege of our countrie by the especiall grace of God, and
bountie of our princes, that if anie come hither from other
realms, so soone as they set foot on land they become so free of
condition as their masters, whereby all note of servile bondage
is utterlie remooved from them (p. 49) 13.
Ce principe semble avoir été respecté pendant tout le XVIIe siècle.
En 1691, le capitaine commandant l'Oiseau ayant débarqué des Nègres antillais en France, se voit blâmé par le Ministre de la Marine ;
quant aux esclaves :
Elle [Sa Majesté] n'a pas jugé à propos de les renvoyer aux
îles, la liberté étant acquise par les lois du royaume aux esclaves, aussitôt qu'ils en touchent la terre.
13
Quant aux esclaves et aux serfs, nous n'en connaissons point, et c'est même
le privilège de notre pays, par la spéciale grâce de Dieu et la générosité de
nos princes, que s'il en arrive chez nous d'autres royaumes, aussitôt qu'ils
ont posé pied à terre ils deviennent aussi libres que leurs maîtres et ainsi toute trace de condition servile leur est parfaitement ôtée.
Qu'il me soit permis de dire toute mon admiration pour le travail de
Winthrop Jordan, modèle d'érudition, de rigueur méthodologique et de clarté. J'y ai trouvé bon nombre de sujets de recherche et d'interprétations. Il
faut espérer que son remarquable ouvrage ne tardera pas à être traduit en
français.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
36
(Cité par L. PEYTRAUD, L'Esclavage aux colonies françaises avant 1789,1897, p. 375.)
Mais, s'étant installés à la Guadeloupe en 1626 et à la Martinique
en 1635, les Français auront nécessairement recours, comme les [26]
autres colons européens, à la main-d'œuvre africaine. La tradition veut
que l'on ait eu toutes les peines du monde à persuader Louis XIII d'autoriser la traite et de permettre l'esclavage aux îles. Si le roi finit par se
laisser convaincre, c'est
parce qu'on lui remontra que c'était un moyen infaillible, et
l'unique qu'il y eut, pour inspirer le culte du vrai Dieu aux Africains, les retirer de l'idolâtrie, et les faire persévérer jusqu'à la
mort dans la religion chrétienne, qu'on leur ferait embrasser.
(J.-B. LABAT, Nouveau voyage aux isles de l'Amerique,
1724, vol. II, p. 38. Cité par Gisler et d'autres.)
À cet effet, le Code Noir prévoyait l'obligation pour les propriétaires de faire baptiser et instruire leurs esclaves dans la religion catholique. Chambon conseille aux capitaines négriers de ne pas attendre
l'arrivée au port pour commencer à catéchiser leur cargaison. Au chapitre intitulé La police qu'il faut faire observer dans un Navire chargé
d'Esclaves, tout de suite après avoir recommandé de séparer les mâles
pour des raisons qui n'ont pas besoin d'explication, Chambon écrit :
Enfin, quoique ces infortunés Esclaves n'ayent pour la plûpart aucune idée de la véritable Religion & du culte que le vrai
Dieu exige de ses créatures, il ne faut rien négliger pour leur
inspirer le respect dû à l'Etre suprême. A cet effet on ne manquera point de faire trois prières publiques chaque jour, l'une le
matin, l'autre à midi, & la troisième le soir.
(CHAMBON, Traité général du commerce de l'Amérique,
1783, vol. II, p. 407 [1re éd., 1764].)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
37
On dirait du Voltaire, sauf que Chambon n'a hélas rien d'un ironiste.
Le commerce de « bois d'ébène » était une oeuvre pie très profitable, et les négriers de Nantes ou de Bordeaux, encouragés par le gouvernement, firent une concurrence active à leurs collègues espagnols,
portugais, danois, hollandais et britanniques. En 1675 paraît la première édition du Parfait négociant de Jacques Savary, qui sera réédité
périodiquement jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Dans son chapitre intitulé « Du Commerce des Isles Françoises, de l'Amérique, Canada, Sénégal & côtes de Guinée », Savary expose les modalités de la traite.
La justification qu'il donne de ce triste commerce sera reprise inlassablement par ceux qui voudront l'excuser aux yeux de la morale. Certains détails sinistrement pittoresques sur la mentalité des Africains et
sur les mesures à prendre, tant pour empêcher les suicides à bord que
pour remonter le moral des esclaves, sont intéressants : on les retrouvera constamment dans l'importante « littérature négrière » du XIIIe et
du XIXe siècles :
Il s'y porte aussi [dans les Isles Françoises de l'Amerique]
des Negres que l'on va acheter en Afrique sur les côtes de Guinée : ce commerce est [27] d'autant plus avantageux qu'on ne
peut se passer de Negres dans lesdites Isles pour travailler aux
sucres, tabacs & autres ouvrages. [...]
Ce commerce paroît inhumain à ceux qui ne sçavent pas que
ces pauvres gens sont idolâtres, ou Mahometans, & que les
Marchands Chrétiens en les achetant de leurs ennemis, les tirent
d'un cruel esclavage, & leur font trouver dans les Isles où ils
sont portez, non seulement une servitude plus douce ; mais
même la conoissance du vrai Dieu, & la voye du salut par les
bonnes instructions que leur donnent des Prêtres et Religieux
qui prennent le soin de les faire Chrétiens, & il y a lieu de croire, que sans ces considérations, on ne permettroit point ce
commerce. Ceux qui l'entreprennent doivent donner de si bons
ordres pour la nourriture, transport & bon gouvernement de ces
pauvres misérables, qu'il n'en meure aucun par leur faute, &
dont ils ayent un jour à rendre compte. [...]
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
38
Il faut remarquer que dès le moment que l'on a fait la traite
des Negres, & qu'ils sont embarquez dans les Vaisseaux, il faut
mettre les voiles au vent. La raison en est, que ces esclaves ont
un si grand amour pour leur Patrie, qu'ils se désespèrent de voir
qu'ils la quittent pour jamais, ce qui fait qu'il en meurt beaucoup
de douleur, & j'ai oui dire a des Negocians qui font ce commerce de Negres, qu'il en meurt plus avant que de partir du Port,
que pendant le voyage : les uns se jettans dans la Mer, les autres
se battans la tête contre le Vaisseau, les autres retenans leur haleine pour s'étouffer, & d'autres qui ne veulent point manger
pour se laisser mourir de faim, & quand ils ont perdu leur Pays
de vûë, ils commencent à se consoler, & particulierement quand
on les regale de l'harmonie de quelque instrument ; c'est pourquoi il seroit bon pour la conservation des Negres d'embarquer
quelque personne qui sçût joüer de la Musette, de la Vieille,
Violon, ou de quelqu'autre instrument pour les faire danser &
tenir gais le long du chemin ; car c'est un bon moyen pour les
transporter en santé, & quand on les expose en vente, on les
vend toùjours davantage, quand ceux qui les achetent les voient
gais & gaillards.
(J. SAVARY, Le Parfait negociant, Seconde partie, Œuvres,
1736, p. 228-229.)
Au fil des années, le Nègre ne sera donc plus seulement, dans
l'imagination collective, le Sauvage vivant en tribu dans quelque jungle africaine, mais aussi l'indigène en contact plus ou moins permanent avec les avant-postes « civilisés » de la côte, le païen à convertir
proposé au zèle des missionnaires, l'esclave sur lequel marins, armateurs et actionnaires réalisent de coquets bénéfices, le travailleur agricole dont dépend la prospérité des colonies d'Amérique. Et, outre les
souffrances des malheureux dans les cales des bateaux négriers, les
problèmes de la vie commune entre Blancs et Noirs aux Antilles deviendront matière à littérature. Il est significatif à cet égard que les
relations aux îles entre maîtres et esclaves aient été réglementées dès
1685 par le Code noir, dont certains articles s'appliquaient en principe
aux Protestants et aux Juifs aussi bien qu'aux Nègres. Les droits des
uns et des autres (si l'on peut dire) y sont fixés : tout au moins le législateur a-t-il voulu protéger l'esclave des, abus d'un maître sadique, et
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
39
prescrit-il le baptême et l'instruction religieuse des Noirs. Il a également prévu l'imposition de lourdes peines aux esclaves [28] marrons
(c'est-à-dire ceux qui s'enfuyaient pour trouver la liberté loin des habitations), des peines plus lourdes encore à ceux qui, par le feu ou par le
poison, attentaient aux biens ou à la personne des Blancs. Le Nègre
marron et le Nègre criminel seront parmi les premiers à trouver place
dans les ouvrages d'imagination. Le Code noir règlemente également
les rapports sexuels entre les races. On se doute que ces rapports inspireront plus tard les faiseurs de romans et de mélodrames 14.
Avant de passer aux sources littéraires, l'on peut se demander si le
Français moyen avait jamais l'occasion de rencontrer des Noirs sur le
territoire métropolitain. Charles de la Roncière parle d'une certaine
Cazaïs, fille d'un roi du Niger, que le Toulousain Anselme d'Ysalguier
aurait épousée et ramenée en Languedoc en 1413 15. Des sondages ont
également été effectués par J. Mathorez 16, mais il est évident qu'ils ne
pouvaient mener qu'à des résultats très approximatifs. Il cite le Portugais Alvarez d'Almeda qui écrivait en 1594 : Beaucoup de nègres parlent très bien le français et ont même été en France. Mathorez mentionne lui aussi les Africains dont la vente à Bordeaux avait été interdite par le Parlement ; on ne sait ce qu'ils sont devenus. Il signale plus
tard que :
À dater du règne de Henri IV, les arrivées de nègres se multiplient en France. Les registres des paroisses des ports maritimes ne sont pas seuls à relater les actes de baptême de noirs
originaires d'Afrique ; on en rencontre également mentionnés
sur les registres tenus par les curés des paroisses des villes de
l'intérieur. Les capitaines de navires, nos ambassadeurs en
14
15
16
Pratiquement tous les ouvrages sur l'esclavage mentionnent le Code noir et
en résument les principaux articles. On pourra consulter le curieux ouvrage
d'Émilien PETIT, Traité sur le gouvernement des esclaves, 1777, qui compare la législation française à celle en vigueur dans les colonies espagnoles
et anglaises.
C. de la RONCIÈRE, Nègres et négriers, 1933, p. 11.
J. MATHOREZ, Les Étrangers en France sous l'ancien régime, 2 vols,
1919. Voir en particulier vol. 1, p. 387-403.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
40
Orient, les amiraux de la flotte royale en introduisent en France ; ils les utilisent de maintes manières.
(J. MATHOREZ, Les Étrangers en France sous l'Ancien
Régime, 1919 vol. I, p. 389.)
On peut rappeler, à titre de curiosité, l'aventure de Zaga-Christ. Ce
soi-disant prince détrôné d'Éthiopie arriva à Paris en 1634 et acquit
une sorte de célébrité par ses prouesses amoureuses, qui firent l'admiration de Tallemant des Réaux. On prit moins au sérieux ses prétentions au trône de Salomon. Il mourut en 1638 à Rueil, dans la résidence du cardinal de Richelieu, qui lui avait octroyé une pension. La légende dit que l'on grava sur sa tombe l'épitaphe suivante :
Ci-gît du roi d'Éthiopie
L'original ou la copie.
[29]
Le nom de Zaga-Christ figure au palmarès des Imposteurs insignes
dressé par Jean-Baptiste Rocolès en 1683 ; sous son portrait gravé qui
n'a d'africain qu'un vague turban, on lit le quatrain suivant :
Zaga Christ publié pour Roy d'Éthyopie
Ayant imbu Paris de ses grands accidens,
Fut cru tant seulement en estre la copie
Et non l'original par les hommes de sens.
Rocolès confirme que :
Cet Imposteur n'ayant peu se signaler en son pays a la teste
des armées fit beaucoup parler de luy a Paris pour estre un tres
vaillant Champion en la Lice de Venus.
(J. B. ROCOLÈS, Les Imposteurs insignes, 1683, p. 401.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
41
Jean de Giffre de Rechac s'était néanmoins fait l'avocat du prétendant, pour qui il avait composé en 1635 Les Estranges événemens du
voyage de Son Altesse Sérénissime Prince Zaga-Christ d'Éthiopie.
Nous y retrouvons le vieux rêve médiéval d'alliance entre les chrétiens
d'Occident et ceux d'Abyssinie dans leur guerre contre l'Islam. Mais
ce qui fut jadis un espoir merveilleux n'est plus qu'une fleur de rhétorique, donnée par Giffre de Rechac pour une tradition exotique :
Qui sçait MADAME si le temps de ceste Prophetie que les
Abyssins ont par tradition depuis un temps immemorial, n'est
point arriué. Que le Preste-Jean s'unissant à un Monarque de
l'Europe renuerseront tous deux le Sepulchre et la Couronne de
Mahomet.
(J. de GIFFRE de RECHAC, Les Estranges événemens...,
1635, « Dédicace à la Reine » 17.)
Monsieur d'Avaux, ministre plénipotentiaire au congrès de Munster en 1644 avait cent quarante Nègres parmi ses serviteurs. Sur leur
origine et la suite de leur vie, Mathorez n'a rien trouvé. Il y eut des
Noirs à la cour de Louis XIV, généralement envoyés à Versailles par
des monarques africains ou des administrateurs français. On reçut par
exemple à la cour une ambassade du roi d'Ardra qui
choisit Matheo Lopez qu'il envoya en 1670 au Roi de France
[…]. Cet Ambassadeur avoit avec lui trois de ses enfants, trois
de ses femmes & plusieurs Esclaves. Un spectacle si nouveau à
la Cour de France, divertit beaucoup dans le commencement
par sa singularité ; mais on ne tarda pas à être convaincu que les
Noirs ne different des Blancs que par la couleur, qu'ils sont des
hommes comme nous, & que l'esprit ne leur manque pas.
(CHAMBON, Traité général du commerce de l'Amérique,
1783, vol. II, p. 159. [1re éd., 1764].)
17
L'histoire de Zaga-Christ est également rapportée par J. Dubois-Fontanelle
dans ses Anecdotes africaines en 1775. Voir au chapitre « Anecdotes abyssiniennes », p. 41-42.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
42
[30]
Et il faut rappeler la mémoire du sympathique mousquetaire Aniaba, fils du roi de Judà, baptisé en 1701 à Notre-Dame en présence de
Bossuet :
La Compagnie de Guinée l'avoit amené en France, & l'avoit
présenté au Roi, qui l'avoit fait instruire dans la Religion, &
dans tous les exercices convenables à un homme de sa qualité.
Il lui avoit fait l'honneur de le tenir au Baptême, & de lui donner son nom. Il l'avoit entretenu avec sa magnificence ordinaire
au College, à l'Académie, & l'avoit fait servir dans ses Armées
comme Capitaine de Cavalerie, afin de le rendre parfait dans la
science des armes, comme il lui avoit donné moyen de le devenir dans les autres. Enfin, la Compagnie de Guinée ayant donné
avis au Roi, que le Peuple de Juda le demandoit, pour occuper
le Trône de son Pere [...], Sa Majesté lui permit de retourner
dans ses Etats. Elle voulut bien qu'il signalât la pieté dans laquelle on l'avoit élevé depuis tant d'années, en instituant l'Ordre
de l'Etoile en l'honneur de la Sainte Vierge, & qu'un grand Tableau representant cet évenement, fût posé dans l'Eglise NôtreDame à Paris, comme un monument de sa foi & de sa devotion.
Elle lui donna deux Vaisseaux de Guerre pour le conduire chez
lui, avec un superbe Equipage, des officiers, des Meubles, des
Provisions, & generalement tout ce qui pouvoit contribuer à faire respecter ce nouveau Roi.
Mais la suite fit bien connoître la verité du proverbequi dit,
que l'Éthiopien ne change point de peau quoiqu'on le lave. À
peine eût-il mis pied à terre, qu'il quitta les habits François dont
il étoit vêtu, il se mit tout nud comme les autres Negres, avec
une simple pagne autour des reins, & se dépoüilla en mêmetems des sentimens de Chrétien, & d'honnête homme qu'on lui
inspiroit depuis tant d'années. Il oublia les obligations de son
Baptême, & ne songea plus à faire aucun acte de sa Religion, il
prit cinq ou six femmes idolâtres, avec lesquelles il s'abandonna
à tous les excès les plus honteux ; & pour couronner son apostasie par un crime presque aussi grand, il eut la lâcheté & l'in-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
43
gratitude de faire tous ses efforts pour exciter un soulevement
contre les François, en faveur des Hollandais & des Anglois.
(J.-B. LABAT, Nouveau voyage aux isles de l'Amerique,
1724, vol. II, p. 43, [1re éd., 1722].)
Le texte du père Labat est tout à fait intéressant. Nous y voyons
Louis XIV agir en monarque du Moyen Age ; ayant accepté le baptême, le noble païen est parfaitement intégré à la cour, où il occupe un
rang digne de sa haute naissance ; Charlemagne était prêt à accorder
les mêmes honneurs à son ennemi le Musulman Marsile. Aniaba renie
sa conversion et renonce à la culture occidentale ; le père Labat aurait
pu y voir une apostasie individuelle, la trahison d'un homme indigne.
Mais c'est à sa race qu'il impute les crimes de l'Africain. Mieux, il
postule que rien ne peut combattre la corruption innée des Nègres ;
elle est aussi impossible à effacer que la noirceur de leur peau. Incapable de considérer la nudité et la polygamie simplement comme des
coutumes étrangères, il les avance comme des preuves d'infériorité. Et
l'alliance d'Aniaba avec les ennemis de la France [31] indigne ce nationaliste. Raciste et chauvin, le père Labat est un homme moderne.
Les Français ne furent pas les seuls à avoir des ennuis avec les indigènes qu'ils voulurent assimiler. Dans les Remarques... d'un cosmopolite, nous trouvons à la rubrique « Maladie du pays » :
Elle est commune à toutes les nations si miserables soient elles ; en voicy une preûve assurée ; un jeune Caffre venu en Europe, de sa bonne volonté, avec un Capitaine Hollandois, &
ayant assés longtems resté dans Amsterdam, pour en aprendre
la langue & les coûtumes, ne vescut jamais content qu'il ne fust
retourné au Cap de Bonne Esperance, ou l'on croyoit qu'il resteroit dans le Comtoir des Hollandois ; mais il n'eut pas plùtôt
mis pied à terre, qu'il decampa, & revint quelque tems après se
faire voir tout nud, avec des boyaux de mouton en ceinture à
demy cuits au Soleil, qui est la nouriture la plus delicate des
Houtantaux.
(ANON., Remarques historiques, critiques et satiriques d'un
cosmopolite, Cologne, 1731, p. 4-5.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
44
Il n'est pas impossible que le Roi-Soleil ait eu une fille illégitime
d'une domestique noire au service d'Anne d'Autriche. Selon une autre
version, c'est la reine Marie-Thérèse qui aurait accouché de cette enfant, issue des œuvres de Nabo, le nain de sa Majesté 18. Ce qui est
certain, c'est qu'une « Mauresse » entra au couvent de Moret en 1695,
qu'elle fut protégée par le roi et qu'elle affirma être sa fille. SaintSimon, Voltaire et Michelet, parmi d'autres, parlent de cette religieuse, qui mourut en 1732. Elle inspira deux romans historiques : La Folle d'Orléans, de Paul Lacroix, le bibliophile Jacob, en 1836 et L'Orpheline de Moret, de Teste d'Ouet en 1835 19.
À la fin du XVIIe siècle les Noirs débarquent en France de plus en
plus nombreux. La vue d'un Nègre n'aura bientôt plus rien d'insolite,
surtout dans les ports et à Paris.
Cette meilleure connaissance de la géographie, cette nouvelle politique coloniale qui entraîne l'importation d'esclaves noirs dans les îles
du Nouveau Monde, cette familiarité relative avec les Noirs en France
métropolitaine se reflète-t-elle dans la littérature du XVIIe siècle ?
Guère, selon Roger Mercier :
Les Africains que l'on y voit passer, dans les lettres de Voiture, dans le Polexandre de Gomberville (1629-1638), dans une
ou deux comédies de Molière (le Sicilien), dans diverses « histoires africaines », dans la Provençale de Regnard, sont des
Maures, des Barbaresques. La Fontaine situe bien au Monomotapa l'action de sa fable les Deux Amis (1678), mais le [32] sujet
est emprunté à Pilpay, et le nom du pays est le seul détail qui ait
rapport à l'Afrique.
(R. MERCIER, L'Afrique noire dans la littérature française,
1962, p. 49.)
18
19
Sur l'état présent de cette intéressante question, voir J. A. ROGERS, Sex and
Race, 1942, vol. I, p. 246-253, qui donne plusieurs références bibliographiques supplémentaires.
J. MATHOREZ, Les Étrangers..., p. 394. Le roman de Paul Lacroix n'a guère d'intérêt pour nous. Je n'ai pas réussi à trouver celui de Teste d'Ouet.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
45
Mercier signale également les Lettres diverses à M. le chevalier
d'Her..., roman de jeunesse de Fontenelle publié en 1683. Il cite la
lettre d'un galant envoyant à sa dame « un More et un Singe » :
L'Afrique s'épuise pour vous, Madame ; elle vous envoie les
deux plus vilains animaux qu'elle ait produits... Voilà le plus
stupide de tous les Mores, et le plus malicieux de tous les singes. Je vous assure qu'il y a une de ces bêtes-là qui respecte fort
l'autre, et qui en admire tous les traits d'esprit. Vous jugez bien
que l'admirateur est le More... Tous ceux de sa nation croient
que les singes ont autant d'esprit qu'eux, mais qu'ils s'en cachent
le plus qu'ils peuvent en ne parlant point, de peur qu'on ne les
fît travailler (idem, p. 49-50).
L'identification burlesque du Nègre au singe deviendra au XIXe
siècle un des leitmotive du racisme littéraire. Nous aurons l'occasion
d'y revenir. Quant à la prétendue naïveté des Nègres qui pensent que
les singes ne font semblant d'être des animaux que pour ne pas être
obligés de travailler, elle avait déjà été signalée une cinquantaine
d'années plus tôt par le Père Colombin de Nantes, missionnaire en
Guinée 20. Elle deviendra un lieu-commun.
Je n'ai rien relevé de très important à ajouter à la liste dressée par
Roger Mercier. Tout au plus pourrait-on rappeler qu'en 1650 Corneille
situe la scène de sa tragédie Andromède « en Éthiopie, dans la ville
capitale du royaume de Céphée, proche de la mer ». L'Éthiopie d'Andromède n'est évidemment pas plus africaine que la Numidie où Corneille placera Sophonisbe en 1663. Et ses personnages sont aussi peu
africains que les deux amis du Monomotapa de la fable.
Dans La Précaution inutile, nouvelle tirée par Scarron des Novelas
amorosas y ejemplares de doña Maria de Zayas y Sotomayor (1634),
c'est par contre bien d'un Noir qu'il s'agit. Le gentilhomme grenadin
Dom Pèdre tombe amoureux de l'Andalouse Elvire, jeune, veuve et
20
N.-C. FABRI DE PEIRESC, Correspondance avec plusieurs missionnaires
capucins, 1631-1637, 1891. Cité par B. de Vaulx, En Afrique, 1960, p. 85.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
46
prude, qui lui refuse les moindres faveurs. Introduit par une servante
dans la maison de sa belle, Dom Pèdre la voit se lever en pleine nuit
pour aller retrouver à l'écurie
un Nègre malade, qui parroissoit avoir trente ans, mais si
laid et si effroyable qu'il en eut horreur.
(P. SCARRON, « La Précaution inutile », (Œuvres, 1752,
vol. III, p. 327 [1re éd., 1655].)
[33]
Elle soigne et console le palefrenier, l'assurant de son amour et le
conjurant de guérir. Mais le pauvre homme réplique :
Que me voulez-vous, Madame, & que ne me laissez-vous
mourir en repos ? Ne vous suffit-il pas de m'avoir mis en l'état
où je suis, & prétendez-vous qu'encore à l'heure de ma mort je
donne le peu de vie qui me reste à vos appétits déréglés ? Mariez-vous, Madame, mariez-vous, & n'attendez plus rien de moi
(idem, p. 328-329).
Il meurt le lendemain. Dom Pèdre indigné quitte la région et
la fausse prude se résoudra à épouser un homme de la ville.
Non qu'elle n'ait pensé à remplacer son Amant de Guinée mais,
pour l'usage qu'elle veut en faire, les Mores semblent décidément bien fragiles :
Ce n'est pas qu'elle ne pût trouver des Nègres à choisir ;
mais elle avait ouï dire qu'il y avoit Nègres & Nègres, & qu'ils
ne sont pas tous si diables qu'ils sont noirs (idem, pp. 332-333).
Il faut signaler également Les Amours de Psiché et de Cupidon, de
La Fontaine. Au livre second, la belle-fille de Vénus rapporte des Enfers une botte mystérieuse qu'on lui a défendu d'ouvrir. Sa curiosité
est trop forte, elle soulève le couvercle et, par la vertu d'une vapeur
fulgineuse, une fumée noire et pénétrante, se voit transformée en
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
47
la plus belle More du monde. Elle n'avoit ny le nez ny la
bouche comme l'ont celles que nous voyons, mais enfin c'estoit
une More.
(J. de LA FONTAINE, Psiché, Œuvres, 1869, vol. III, p.
163 [1re éd., 1689].)
Il est amusant de voir que seuls la figure et le sein de Poiché ont
changé de couleur. Présentée à la cour de Vénus, elle remporte un
franc succès :
on auroit bien donné derny-douzaine de blanches pour cette
noire ce visage d'Éthiopienne enté sur un corps de Grecque,
sembloit quelque chose de fort estrange [...] Les uns assuroient
qu'elle estoit fille d'un blanc et d'une noire, les autres, d'un noir
et d'une blanche (idem., p. 171-172).
Amour, son mari, la console de sa mésaventure. Il l'assure que son
visage noir lui donne un certain piquant : l'essentiel est que ses traits
ne soient pas épaissis comme ceux des Africaines. Les écrivains français semblent s'accorder à ne pas être rebutés par la pigmentation noire, bien au contraire. Ce sont plutôt les cheveux crépus et les lèvres
très charnues qui leur semblent incompatibles avec les canons de la
beauté féminine.
Chez La Fontaine également, apparaît Un More très-lippu, trèshideux, très-vilain qui sodomise un grave avocat de Mantoue ; la [34]
femme infidèle du magistrat n'a plus à cacher ses amants car, dit-elle à
son mari :
Du moins n'ay-je pas pris un more pour Galant.
(J. de LA FONTAINE, « Le petit chien qui secoue de l'argent et des pierreries », Contes et Nouvelles, (Œuvres, 1869,
vol. II, p. 233 [1re éd., 1671].)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
48
Mentionnons pour mémoire Orcan, l'esclave noir que le sultan
Amurat envoie porter à Roxane l'ordre d'exécuter Bajazet dans la pièce de Racine. Il est vrai qu'Orcan reste dans les coulisses mais il n'y a
pas de doute qu'il s'agit d'un Noir, puisqu'en annonçant son arrivée à
Roxane, Zatime précise :
Oui, de tous ceux que le Sultan emploie,
Orcan, le plus fidèle à servir ses desseins,
Né sous le ciel brûlant des plus noirs Africains
(Acte III, scène viii).
Cette fidélité absolue, et presque animale, se retrouve chez les eunuques noirs des Lettres persanes. Elle deviendra traditionnellement
la grande – et souvent la seule – qualité morale du Nègre littéraire.
La lecture systématique de tous les romans, de toutes les pièces de
théâtre, de tous les poèmes écrits au XVIIe siècle permettrait bien entendu d'ajouter des titres à notre bibliographie. Cet énorme travail apporterait-il des révélations inattendues ? Il est permis d'en douter. Je
voudrais cependant mentionner les six volumes de Ballets et Mascarades de cour de Henri III à Louis XIV, réunis et publiés par Paul Lacroix, le bibliophile Jacob, entre 1868 et 1870. Ces ballets mettent en
scène les personnages les plus divers ; certains appartiennent à la mythologie, comme Cacchus ou Junon, d'autres à la littérature, tels Don
Quichotte ou Ogier le Danois. On voit danser les représentants des
professions libérales, procureurs, docteurs en Sorbonne, et des petits
métiers de Paris, laitières, savetiers, etc. Les étrangers figurent sous
les costumes de chevaliers espagnols, hollandais, allemands, polonais.
Enfin, les pays exotiques sont amplement représentés par des Chinois,
des Persans, des Indiens Topinambous, des Maures et des Nègres.
Dans le Grand Ballet des effects de Nature (1632), de Guillaume Colletet, Saturne, Jupiter et Mars viennent danser tour à tour, escortés
respectivement de « saturniques » déguisés en Lapons, de Siciliens et
de guerriers. Apparaît alors le Soleil
accompagné de quatre Neigres, qui en dansant luy rendront de
semblables honneurs que les Perses ont accoustumé de rendre à
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
49
ce bel Astre lorsqu'il est au poinct de son Orient (vol. IV, p.
201).
Les compliments adressés par les Africains aux dames prennent
volontiers pour thème l'ardeur du soleil, qu'ils affirment trouver [35]
moindre que celle de leurs beaux yeux : c'est ainsi que dans le Ballet
de la Marine (1635) l'auteur anonyme fait dire au Marquis de Coaslin
« représentant un More » :
De ces barbares lieux où le flambeau du jour
Des rayons de sa belle flamme
Me noircit, en faisant son tour,
Le teint, mais non pas l'âme,
Je viens confesser devant tous
Que si le soleil a chez nous
Des feux qui teignent le visage,
Vos yeux, pour un plus doux effet,
Et pour un plus aimable usage,
En ont qui bruslent tout-à-fait. (Vol. V, p. 87.)
Remarquons en passant l'antithèse formée sur le modèle « Son
corps est noir, mais pas son âme », figure de rhétorique sur laquelle
reposera, au XVIIIe et au XIXe siècles toute une littérature négrophile.
Il va de soi que lorsqu'il s'agira au contraire de présenter un Nègre
malfaisant, on va prétendre que la noirceur de son teint reflète celle de
son cœur. Mais pour l'instant l'auteur n'a évidemment pas voulu faire
de la littérature engagée : il ne faut pas donner à sa métaphore des prolongements qu'elle n'avait pas à l'époque.
Partant de la peau noire, du soleil, des feux de la canicule et de
ceux de l'amour, les auteurs de ballets trouvent facilement des concetti. La peau calcinée par la chaleur tropicale appelle tout naturellement
le cœur brûlé par la passion. Dans le ballet du Naufrage heureux, les
Mores chantent :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
50
Beautez à qui rien n'est pareil,
Vos yeux plus beaux que le soleil,
Plus que luy nous ont fait d'outrages ;
Cet astre a bien moins de rigueurs
Il n'a noircy que nos visages,
Et vous avez brusié nos coeurs. (Vol. III, p. 127.)
Et dans le Grand bal de la Douairière de Billebahaut (1626), on
croirait entendre Oronte quand Monsieur le Grand Prieur, « représentant un Afriquain », déclame ce sonnet :
De ces lieux où le chaud seche la terre et l'onde,
De ces champs où l'hyver ne fait jamais pleuvoir,
Le renom d'Uranie, et l'honneur de la voir
M'ont fait conduire icy ma barque vagabonde.
C'est la seule clarté que je cognois au monde ;
Seule, elle fait les loix que je veux recevoir,
Ses yeux sont les seuls Roys dont je crains le pouvoir
Et la seule fortune où mon espoir se fonde.
[36]
Ils tiennent pour jamais mon destin arresté,
Je renonce à ces champs dont l'éternel esté
Noircit nostre couleur de son ardeur extresme
Mais qu'esperoit mon cœur, ou qu'est-ce qu'il a craint ?
Le Soleil qu'il fuyoit ne brusloit que mon teint,
Et ceux qu'il a trouvés le brusleront luy-mesme.
(Vol. III, P. 185.)
Les divertissements de cour n'étaient pas toujours d'une telle galanterie, et leurs auteurs ne reculaient pas devant la gauloiserie. Dans le
Recueil de plusieurs mascarades (1628 ?), de jeunes Maures amoureux chantent une chanson où l'on trouve des couplets assez lestes :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
51
L'Amour qui superbe en tous lieux
Commande aux hommes et aux Dieux,
Exerce sur nous sa puissance,
Et nous donne des appetits,
Encor que nous soyons petits
Non moins qu'aux plus grands de la France.
Car comme nostre nation,
Ardente est notre affection,
Et nul n'a demy lustre d'aage
Qui n'ait esprouvé mille fois
Ce qu'à quinze ans aux villageois
Vous appelez le picotage.
L'Amour gelle icy volontiers
Lorsqu'elle brusle en nos quartiers
Icy la chaude canicule
Fait fuir les amoureux esbats,
Quand chacun de nous aux combats,
Pour mieux en approcher recule.
Si toute noire est nostre peau,
Chacun de nous n'en est moins beau,
Cela nous provient de nature ;
Plus blanc n'estoit le Charbonnier
Auquel la Dame à son grenier
Voulut bien servir de monture.
D'ailleurs cet amoureux déduit
Ne se fait gueres que de nuit,
Qui de ressentimens semblables,
Égalle les noirs et les blancs ;
Tant seulement les plus galans
Sont trouvez les plus agreables. (Vol. IV, p. 95-96.)
La locution proverbiale « A blanchir un Nègre on perd son savon »
pour dire qu'il est inutile d'entreprendre l'impossible, est attestée en
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
52
ï633 dans la Boutade du temps perdu. Le développement de cette
image est prétexte à des doubles-sens passablement joyeux :
[37]
LA DAME QUI VEUT BLANCHIR UN MORE
Quelle fantaisie lassive
Me porte à blanchir un charbon ?
J'y perds ma peine et ma lessive,
J'y perds mon temps et mon savon.
Mais à rendre constants les amants, c'est encore
Un plus penible essay que de blanchir un More.
(Vol. IV, p. 334.)
Nous venons de voir qu'un siècle plus tard, à propos du mousquetaire Aniaba, le père Labat donnait du proverbe une interprétation bien
différente.
Pour en finir avec les grivoiseries, citons enfin le Ballet de l'amour
de ce temps (1620), où les Mores chantent aux dames :
Bruslez par le soleil d'une ardeur excessive,
Mes Darnes, nous voicy qui bruslons de vos feux ;
Si nos corps sont atteints de sa chaleur si vive,
Nos coeurs sont consumés par l'esclat de vos yeux.
Si nous sommes tout noir d'habit et de visage,
Ne nous regardez point d'un regard dédaigneux
Nous n'en sçavons pas moins l'art d'amour et l'usage
Sont ceux de nostre teint qui l'entendent le mieux.
(Vol. II, p. 256.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
53
À partir du moment où le Noir commence à être connu et que, dépouillé de ses attributs mythiques, il entre dans la famille humaine,
rien d'étonnant à ce que son image comporte des éléments érotiques.
Par ailleurs, les auteurs racistes, des origines à nos jours, dénoncent à
qui mieux mieux l'immoralité et la lubricité des Nègres. A lire les citations qui précèdent, on serait tenté de croire que l'imagination collective au temps de Louis XIII était déjà obsédée par l'hyperérotisme
supposé des Africains. Mais ce serait une interprétation abusive ; replaçons les citations dans leur contexte : la grande majorité de ces
spectacles prennent pour thème l'amour poli ou l'amour drolatique.
Tous ceux qui viennent déclamer sur scène assurent le beau sexe de
leur admiration et de leur constance... quand ils ne lui vantent pas carrément leur dextérité et l'excellence de leurs attributs naturels. Le
peintre propose sa brosse, l'arracheur de dents son instrument, l'écrevisse sa queue, le vendeur de friandises son cornet sucré et ainsi de
suite. Grands et petits, riches ou pauvres, Parisiens et étrangers font,
autant et plus que les Nègres, figure de joyeux lurons. Ce qui me semble digne d'être remarqué c'est précisément que le Noir prend tout naturellement sa place dans ces quadrilles. Il soupire tout comme les autres auprès des belles. Il lance, tout comme les autres, les plus paillardes énormités. À mesure que la traite des Noirs prend de l'ampleur
cette belle liberté devient impossible. La crainte et le dégoût [38] succéderont à la bonne humeur gauloise. Aimer un Nègre frisera la perversion à partir du moment où l'on imaginera ceux de sa race comme
des êtres inférieurs dont la vie sexuelle est placée sous le signe de la
violence et de la bestialité.
Ils méritent de ne pas être oubliés, ces ballets et ces mascarades qui
nous semblent si lointains et qui furent si éphémères, où le Noir est
vu, sans problèmes et sans complexes, ni plus ni moins que comme un
homme.
Une étude du Noir dans la littérature du xviie siècle ne saurait se
borner aux genres principaux : roman, théâtre et poésie. Comme le
signale très justement François de Dainville :
On ne peut avoir une idée complète sur les honnêtes gens du
xviie siècle, si l'on n'a lu quelques-unes des nombreuses relations, dans lesquelles les voyageurs ont rapporté leurs aventures
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
54
et les observations faites durant leurs voyages. Aucun genre littéraire, peut-être, n'est plus largement représenté dans la littérature de cette époque.
(F. de DAINVILLE, article VOYAGES in Dictionnaire des
lettres françaises, XVIIe siècle, publié sous la direction du Cardinal Grente, 1954, p. 1016.)
L'intérêt pour nous de ces relations de voyages est évident. Autant
et plus que les ouvrages de fiction, elles ont influencé l'opinion publique et l'imagination collective. On sait par ailleurs que les écrivains
s'en inspiraient ; ils y trouvaient et des sujets d'intrigues et des renseignements sur les mœurs des peuples étrangers. Les historiens de la
littérature ont abondamment documenté la dette de Prévost et de Voltaire, de Chateaubriand et de Bernardin de Saint-Pierre, de Victor Hugo et de Mérimée envers les récits de voyages et les essais de toutes
sortes qui traitaient des pays exotiques. Les ouvrages de ce genre publiés sous Louis XIII et Louis XIV ne seront utilisés comme sources
que bien après leur parution, les Noirs africains ou créoles étant pratiquement absents des lettres françaises avant le XVIIIe siècle. Néanmoins, ces volumes méritent d'être lus comme ils l'ont été par les
contemporains, plutôt que comme points de départ d'œuvres postérieures. S'ils ont eu un tel succès, c'est qu'ils faisaient plus que fournir
des renseignements et décrire la réalité objective. Ils stimulaient
l'imagination autant que l'Astrée ou les drames héroïques de Corneille,
en évoquant un monde qui semblait plus merveilleux encore que s'il
avait été inventé. Car, après tout, l'Espagne du Cid ou l'Arcadie des
romans pastoraux restait de convention ; les Grecs et les Romains de
Racine portaient perruque bouclée et habits de cour ; les bourgeois de
Molière n'avaient rien d'exotique, pas plus que les aristocrates tourmentés de Madame de Lafayette. Pour se dépayser, pour trouver des
mœurs étranges et une nature inconnue, il fallait faire appel aux récits
de voyages. Les aventures vécues, les descriptions [39] curieuses qui
s'y trouvaient rapportées n'avaient pas à se conformer, comme les ouvrages d'imagination, à des conventions littéraires : des épisodes que
les règles du bon goût auraient rejetés comme invraisemblables ou
trop vulgaires y avaient droit de cité. Et dans les récits qui ont pour
cadre les îles ou l'Afrique, les Nègres jouent le rôle que la littérature
proprement dite ne leur confiait pas encore. Un exemple est fourni par
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
55
le Père Du Tertre : dans son Histoire générale des Antilles (16671671), il raconte les luttes qui opposèrent à la Guadeloupe des factions
rivales. Combats, chasses à l'homme, évasions, tortures, péripéties de
toutes sortes... le récit du chroniqueur semble annoncer les plus noirs
romans du vicomte d'Arlincourt. Les raisons de ces luttes intestines
nous importent peu. Si ce sont des Blancs qui en sont les protagonistes
principaux, les esclaves nègres s'y trouvaient mêlés par la force des
choses. Sous la conduite de leurs maîtres, ils forment une sorte d'infanterie coloniale avant la lettre. Ils ne partagent guère les fruits de la
victoire ; les châtiments infligés aux vaincus leur sont par contre distribués sans hésitation. Ainsi les esclaves du Sieur de La Fontaine, qui
apportaient en secret des vivres à leur maître, caché dans la jungle
pour échapper aux persécutions de son ennemi, M. de Poincy :
Les Negres du sieur de la Fontaine ayans esté surpris en portant des vivres à leur Maistre, furent battus avec outrage ; on
leur déchira tout le corps à coups de Liannes, & on les mit tout
en sang pour leur faire confesser où ils estoient : ils demeurerent inébranlables dans leur fidélité ; & quoy qu'on les menaçât
de la roüe & du feu, ils ne voulurent jamais rien déclarer. Ce
qui mit les Officiers en telle fureur, qu'ils leur firent cruellement
couper les doigts des pieds, pour les empescher d'aller contintier davantage ce charitable office, & pour reduire ces deux
pauvres Capitaines à apporter eux-mesmes leurs testes à M. de
Poincy.
(J.-B. Du TERTRE, Histoire générale des Antilles, 1668,
vol. I, p. 306.)
Tous les Noirs ne se résignaient pas au rôle qui leur avait été attribué dans la société coloniale. Beaucoup fuyaient les plantations et allaient mener dans les mornes la vie précaire des marrons. Du Tertre
parle de l'un d'entre eux, qui avait appartenu à M. de Marseille. Ce
précurseur de Makandal et de Boukman 21
21
Makandal : chef d'une rébellion d'esclaves à Saint-Domingue en 1758.
Boukman : chef nègre pendant la révolution de Saint-Domingue.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
56
épouventoit par sa seule voix tous ceux qui l'approchoient, bien
qu'il n'eust pour toutes armes, qu'une méchante épée courte.
[M. de Poincy] envoya six hommes pour tascher de le prendre ; ceux-cy l'ayant rencontré & ne le pouvant joindre, se mirent en devoir de décharger sur luy leur mousquetons & leurs
fusils, mais pas un ne prit feu ; de sorte que faisant face il courut sur eux avec sa seule épée, les mit en déroute, & gagna sur
eux un fusil et un chapeau, qu'ils avoient laissé tomber en
fuyant.
(J.-B. Du TERTRE, Histoire générale des Antilles, 1668,
vol. 1, p. 154.)
[40]
Enfin abattu, son corps fut mis par quartiers, qui furent attachez à
des arbres aux lieux de l'Isle la plus frequentez.
Dès le début de la traite, les révoltes d'esclaves constituèrent un
danger permanent. Le soulèvement qui finit par chasser les Français
de Saint-Domingue fut le dernier d'une longue série. L'histoire des
colonies d'Amérique est une suite d'horreurs, un cercle infernal où les
vengeances des Noirs étaient invariablement suivies de punitions
exemplaires. Viols, empoisonnements, incendies, savantes tortures par
le fouet, le fer ou le feu sont décrits en détail dans les Histoires et les
récits de voyages. Point n'est besoin d'attendre le Marquis de Sade.
Les habitués des salons parisiens trouvaient déjà là de quoi satisfaire
la curiosité morbide et le goût de l'horreur qui sommeillent en chaque
homme. Du Tertre raconte comment, en 1656, des esclaves marrons
se soulevèrent à la Guadeloupe et firent cause commune avec ceux
des indigènes qui n'avaient pas encore été massacrés :
Deux mechans Negres, l'un appelé Pedre, & l'autre lan le
Blanc, disposerent de longue main & fort secrettement tous les
Negres d'Angole, à massacrer tous les Maistres de cases, à garder leurs femmes, & à créer deux Roys de leur Nation dans
l'Isle, l'un à la Basse-terre, & l'autre à la Capsterre. [...]
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
57
Pendant douze ou quinze jours ces esclaves fugitifs firent
des courses le long des habitations, pillant tout ce qu'ils pouvoient attraper, tuant tous les François qui tomboient entre leurs
mains, & menaçant de mettre toute l'Isle à feu & à sang. La
consternation fut si grande, qu'on ne sçavoit quelle voye prendre pour les ranger à leur devoir, chacun craignoit la premiere
furie de ces desesperez. [ ...]
[Les Blancs se resaississent, font la chasse aux Marrons]
presque tous furent pris, les deux Roys prétendus furent écartelez, quelques uns furent rompus tous vifs, d'autres pendus, &
pour les plus jeunes on se contenta de leur couper les oreilles &
de les bien foüetter.
(J.-B. Du TERTRE, Histoire générale des Antilles, 1668,
vol. I, p. 500-502.)
Le chroniqueur n'étudie guère la psychologie de Pèdre et de Jean le
Blanc ; c'est dommage : notre sensibilité moderne réclamerait des détails sur leur vie et sur leurs exploits.
Pour que les descendants de ces Nègres marron et de ces Nègres
fidèles deviennent des héros de romans ou de pièces, il faudra certes
attendre une centaine d'années. Mais devant l'héroïsme et la cruauté de
ces ancêtres, devant l'atrocité de leur destin, les contemporains de
Louis XIV devaient ressentir les mêmes émotions fortes que leurs arrière-petits-neveux à la lecture des aventures de Bug-Jargal ou de Tarnango.
Dans son Epistre chagrine, qui date de 1652, Scarron rêve aux Vénus noires. L'écrivain avait projeté de partir pour l'Amérique du Sud
avec un groupe d'émigrants ; il se voit déjà sous les palmiers :
[41]
Nos indiennes et nos Negres,
Autant que des Basques alegres,
Vallent bien, en leur nudité,
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
58
Tes Dames en leur propreté 22
Leur teint poli d'Ebene noire
Vaut bien un teint blanc comme yvoire
Qui, de blanc fade frelaté,
Devant qu'estre vieil est gasté
(P. SCARRON, « Epistre chagrine », in Poésies diverses,
éd. Cauchie, 1960, vol. II, p. 67 [1re éd., 1652].)
C'est une méchanceté dirigée contre les femmes blanches plutôt
qu'une véritable louange des beautés indigènes. Scarron imagine, et
n'a guère dû connaître les « nudités » au « teint d'ébène noire ». Le
voyageur François Bernier sait par contre de quoi il parle. À vrai dire,
il n'a aucun préjugé en matière de beauté féminine : de la Chine à
l'Afrique, de la Moscovie à l'Inde, il les a admirées toutes, avec le
même enthousiasme sympathique. La couleur de l'Africaine ne le gêne
nullement, mais il préfère lui aussi celle qui a le nez fin et les lèvres
bien dessinées :
J'en ay aussi veu parmi les noires d'Afrique quelques-unes
de tres-belles, & qui n'avoient point ces grosses lévres & ce nez
écaché. Sept ou huit entr'autres que j'ay rencontrées en divers
endroits estoient d'une beauté si surprenante, qu'elles effaçoient
à mon avis la Venus du Palais Farnese de Rome. Ce nez aquilin, cette petite bouche, ces yeux grands & vifs, cette douceur
de visage, ce sein & le reste s'y trouvoient dans la derniere perfection. J'en ay veu à Moka plusieurs toutes nues qui étoient à
vendre, & je puis dire qu'il ne se peut rien voir au monde de
plus beau ; mais elles étoient extremément cheres, car on les
vouloit vendre trois fois plus que les autres.
(F. BERNIER, « Nouvelle division de la terre », Journal des
Sçavans, 24 avril 1684, p. 152.)
L'exotisme érotique a toujours été de mode, et les récits de voyages
permettaient d'y sacrifier.
22
Il faut bien entendu comprendre ici « élégance ».
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
59
C'est dans les récits de voyages que se trouvent les premières remarques sur le patois créole et sur les incorrections particulières du
français parlé aux îles par les esclaves. Lorsque avec le temps les
écrivains en viendront à créer des personnages noirs, leur souci de réalisme exotique les amènera à essayer de transcrire le français « petit
nègre », et même à inventer des langages tout à fait fantaisistes. Près
d'un siècle et demi avant que des acteurs grimés ne viennent divertir le
public par leur baragouin, le père Pelleprat en avait déjà noté quelques
caractéristiques ; gageons qu'elles ont fait sourire ses lecteurs :
Nous nous accommodons cependant à leur façon de parler,
qui est ordinairement par l'infinitif du verbe ; comme par exemple : Moi prier Dieu ; moi aller à l'Église, moi point manger ;
pour dire j'ai prié Dieu, je suis allé à [42] l'Église, je n'ai point
mangé. Et y ajoutant un mot qui marque le temps à venir ou le
passé, ils disent : Demain moi manger, hier moi pier Dieu ; et
ainsi du reste.
(PELLEPRAT, S.J., Relation des missions... dans les îles de
l'Amérique, (1655) in Voyages et travaux des missionnaires de
la Compagnie de Jésus, 1857, p. 46-47.)
Si le bon Jésuite dénonce sans hésitation le manque de charité de
maîtres qui se disent chrétiens, il n'en idéalise pas pour autant leurs
victimes :
Les nègres ordinairement n'ont pas beaucoup d'esprit, et sont
fort pesants ; aussi faut-il bien de la patience et bien du travail
pour leur apprendre quelque chose. Outre tous ces désavantages, ils exhalent une odeur infecte, et sont si hideux et si mal
faits qu'ils causent de l'horreur ; mais il n'y a rien que la charité
de Jésus-Christ ne rende aimable (idem, p. 49).
Cette première ébauche du Nègre grotesque sera plus tard complaisamment développée par des auteurs moins naïfs. Mais des personna-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
60
ges noirs remarquables de beauté et d'intelligence vont également faire leur apparition.
Dans le cas des ouvrages qui nous intéressent, il ne convient pas de
différencier trop rigoureusement ceux qui se donnent pour des documents objectifs de ceux qui ne prétendent pas être autre chose que des
fictions. D'autant plus que l'on rencontre souvent, insérées dans les
récits de voyage, de véritables nouvelles, qui auraient pu trouver place
dans l'Heptameron ou quelque autre recueil de ce genre. L'auteur interrompt son récit pour raconter une histoire, recueillie dans les pays
lointains, se rapportant à la région qu'il traverse et aux hommes qui
l'habitent. Ainsi, lors de son passage en Mozambique, Jean Mocquet
parle des Portugais qui s'y sont établis et des difficultés auxquelles-ils
se heurtent. Il évoque en guise d'illustration l'Histoire tragique
d'Emanuel de Sosa. Elle mérite d'être citée en entier malgré sa longueur :
Histoire tragique d'Emanuel de Sosa.
Je ne veux pas oublier de faire recit de ce qui me fut conté là
de l'estrãge fortune ariuee autrefois à vu Emanuel de Sosa dit
Sepulueda gentil-homme Portugais, & comme il se perdit en
ceste mesme coste d'Etiopie. Ce seigneur riche & de bonne
maison, estãt aux Indes deuint amoureux de la fille d'vu Garsias
Sala Capitaine de Bombain, forteresse des Portugais, estimee
l’vne des plus belles dames d'Orient, & la rechercha fort en mariage : mais n'en ayant pù venir à bout à cause du pere qui n'y
vouloit entendre en aucune façon, bien que la fille en fut fort
contente, il se resolut de se depescher secrettement du pere, &
pour cet effet partit vn iour de Goa auec quelques siens compagnons afidez qu'il embarqua dans vu batteau, & arriuans sur le
tard à Bombain espierent tant qu'ils trouuerent ce Capitaine se
promenant le soir le long de la marine selon sa coustume, & le
tuerent. Cela demeura tellemẽt caché, que Sosa n'eut pas beaucoup de peine apres à venir à ce qu'il pretendoit, espousant ceste belle orpheline nomee Leonor, qu'il amena à Goa, où ayant
demeuré quelque temps en grand plaisir auec elle, & en ayãt
[43] eu deux enfãs, il eut desir de s'en aller en Portugal auec sa
famille pour obtenir du Roy quelques charges plus grãdes que
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
61
celles qu'il auoit aux Indes : & pour ce faire ayant acheté vu bon
nauire, & s'estant embarqué à Cochim auec sa femme & ses enfils, force esclaues, & autres gens de son train, il cingla quelque
temps fort heureusemẽt : mais estans arriuez vers le Cap des
Courantes, & leur vaisseau s'estant eschoué, ils furent contrains
tous de se sauuer en terre auec le batteau du mieux qu'ils peurent. Ils pensoiẽt arriuer à la petite Cefala qu'ils appellent, où y
a vn fort de Portugais ; car la grande est vers Mozambique :
mais ils se trouuerent en vne terre entre le Cap des Courantes &
celuy de bonne Esperance, où ils eurent à faire contre les Noirs
du Pays qui les molesterent fort parmy les bois le long de la marine. Les Portugais se defendoiẽt du mieux qu'ils pouuoient,
mais ils estoient encor combatus du chaud extresme, de la faim,
de la soif & de la lassitude, & y en eut beaucoup qui demeurerent là à la mercy des ennemis & des bestes farouches. Ces
Noirs sans se soucier des harquebuzades en firent mourir bon
nombre : le reste entre lesquels fut Sosa, sa femme & enfans se
sauuerent en gagnans pays du mieux qu'ils peurent, & vindret
enfin en la puissance du Roy de ces Noirs plus humains et ami
des Portugais, qui les traita fort bien : mais au partir de là comme ils s'acheminoient vers Mozambique, ils tomberent és mains
des ennemis de ce Roy, qui leur firent tous les maux du monde,
en tuans la pluspart & despoüillãs le reste tous nuds : si bien
que ce fut vne grande pitié du pauure Sosa & de sa femme &
enfans en ce miserable estat de s'en aller ainsi errans tous nuds,
parmy les deserts & les arenes brulantes d'Ethiopie, sans avoir
de quoy boire ny manger, à la mercy des bestes sauuages, & de
toutes sortes de mesaises qu'on sçauroit s'imaginer. Ce fut lors
que le iuste iugement de Dieu, qu'on ne sçauroit euiter, cõmença à bon escient à tõber sur ce miserable meurtrier Sosa, & que
le sang de son beau-pere excitoit les furies vengeresses contre
luy, qui s'en alloit çà & là par les bois cherchant quelques racines de quoy nourrir luy, sa fème & ses enfans : mais la compassion plus grande estoit de ceste pauure dame innocète, qui se
voyât nuẽ, de honte s'enterroit dans le sable, pour n'estre veuë
en cet estat de ceux qui estoient restez auec eux : & faisoit les
plus grandes pleintes du monde, en remonstrant plusieurs fois à
son mary que la cause de tant de maux, estoient leurs tresgrands pechez : mais ayans demeuré quelques iours en ceste
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
62
misere, en fin ceste infortunee fâme ayant veu desia mourir ses
enfans, acablee d'ennuis, de faim, & de toute autre sorte d'incommoditez, fut trouuee mourãte par le desastré Sosa retournant de sa queste : il en receut encor les derniers souspirs, auec
tant de plaintes & de regrets de sa perte, & plus encor d'estre
seul cause de tous ces malheurs, qu'il s'en alla comme vu desesperé par les bois, & depuis n'en sceut on aucunes nouuelles, soit
qu'il eust esté mãgé des bestes, tué par les Noirs, ou mort
autremẽt de desplaisir & de foiblesse. Tous les autres de sa
compagnie, moururent qui çà qui là de mesme, excepté vu Portugais qui en rechapa à grand peine, & fit tant par ses iournees
qu'il arriua à Mozambique où il fit le recit de ceste piteuse
auenture, dont depuis les Portugais firẽt vn Romã.
(J. MOCQUET, Voyages en Afrique, Asie, Indes Orientales
et Occidentales, 1645, p. 274-278 [1re éd., 1617].)
L'Histoire tragique d'Emanuel de Sosa, telle qu'elle est rapportée
par Jean Mocquet, semble être le résumé de quelque roman d'aventures ou – anachronisme mis à part – le scénario de quelque film édifiant. Pour autant que je sache, aucun écrivain français n'a brodé [44]
sur le canevas que propose Mocquet. Mais il est exact que « les Portugais firent un Roman de cette piteuse aventure 23 ».
Les indigènes africains jouent chez Mocquet un rôle secondaire,
tout comme les Indiens louisianais qui tuent Manon Lescaut. Mais le
voyageur raconte au même chapitre une histoire dont le héros est un
Mulâtre. C'est à ma connaissance la première fois qu'un Mulâtre apparaît dans les lettres françaises. Personnage promis à un bel avenir : la
cruauté d'un père blanc envers son enfant de couleur et la révélation
que l'esclave est le fils du maître serviront de thème à bien des écrivains romantiques :
23
Il s'agit du Naufragio... de Sepulveda de Jeronimo de Corte-Real, Lisbonne,
Simão Lopez, 1592. Camoẽns fait également mention de l'aventure au Ve
chant des Lusiades, strophes 46 à 48.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
63
Histoire d'un Noir Geneuois.
Il y eut vu riche Geneuois marié à vue fort honneste & vertueuse femme, de l'vue des meilleures maisõs de Genes, laquelle ayant conçu quelque fascherie à cause d'vue sienne esclaue
Noire qui s'estoit laissé engrosser à vn autre esclaue Noir, imprima si bien cela en son imagination, qu'estant grosse elle
mesme, & venant à acoucher, elle eut vn enfant noir, dont le pere irrité, & croyant qu'elle eut forfaiet à son honneur auec quelque Negre, la voulut tuer, mais elle s'enfuit chez ses parens.
Cependant il donna charge à vn sien seruiteur d'aller exposer
cét enfant quelque part au loin, où le faire mourir en quelque
sorte : mais le seruiteur meu de compassion, aussi que la mere
le luy fit recommander, sauua cét enfant, & le fit nourrir secrettement, faisant acroire au mary qu'il s'en estoit deffait : peu de
temps apres ce Geneuois outré de despit & de colere du desastre
honteux qui luy estoit arriué ce luy sembloit, abandonna Genes,
& se retira en Barbarie, se resoluât malheureusement à se faire
Turc, & s'habitua en Arger. Pendant cela la pauure mere desolee eut soin de faire eleuer secrettement cét enfant noir, lequel
estant paruenus à aage de discretion, elle luy donna des moyens
pour aller chercher son pere par le monde ; car on ne sçauoit
qu'il estoit deuenu. Ce ieune Noir s'estât mis sur mer fut pris
des Corsaires, & mené vêdre en Arger, où de bonne fortune il
fut acheté par son propre pere : mais comme il se tourmentoit
merueilleusement d'estre ainsi esclaue miserable, le pere voulut
sçauoir d'où il estoit, & aprit de luy toute l'histoire de sa naissance, dont estonné, & rauy d'aise quant & quant, le recogneut
pour son fils, & se resolut de quitter ce pays, pour s'en retourner
auec luy à Genes, & se recôcilier auec sa femme ; sur quoy
ayant donné ordre secretement à son partement, & à embarquer
ce qu'il auoit de plus beau & de meilleur, ils sortirent vue nuict
d'Arger dans vu batteau : mais le malheur voulut pour eux qu'ils
furent pris par quelques Corsaires qui les massacrerent cruellement tous deux. Telle fin eut la piteuse auenture de ce pauure
Noir.
(J. MOCQUET, Voyages en Afrique, Asie, Indes Orientales
et Occidentales, 1645, p. 255-257 [1re éd., 1617].)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
64
Notre Mulâtre Génois n'est pas le fils d'un Noir. C'est qu'on pensait
à l'époque qu'une obsession ou une émotion forte subie par une femme
enceinte pouvait laisser des traces visibles sur l'enfant qu'elle porte.
Dans Le Moyen de parvenir (1612 ?), Béroalde de Verville [45] raconte l'histoire bouffonne de Madame Livet, femme d'un Procureur au
Châtelet, qui est si impressionnée par un gay, gaillard & jeune Maure
que, venue à terme, elle en met un au monde. Comme le procureur
risque de trouver une explication prosaïque à ce singulier événement,
on lui fait croire que, lors de la conception, la proximité de son encrier
a déterminé la pigmentation de son enfant. Béroalde de Verville se
moque, bien sûr, mais tout le monde n'est pas si sceptique que lui. En
1746, Maupertuis, dans sa fameuse Vénus physique, a pris la défense
des Africains accusés de n'avoir jamais créé de civilisation : cela ne
l'empêche pas de noter dans le chapitre intitulé « Des accidents causés
par l'imagination des mères » que
On craint d'ordinaire qu'un nègre, qu'un singe, ou tout autre
animal dont la vue peut surprendre ou effrayer, ne se présente
aux yeux d'une femme enceinte.
(P.M. de MAUPERTUIS, Venus physique, Œuvres, 1756,
vol. II, p. 75 [1re éd., 1746].)
Vingt ans plus tard, Claude-Nicolas Le Cat, dans son Traité de la
couleur de la peau humaine en général, de celle des nègres, en particulier, publié à Amsterdam en 1765, affirme avec le plus grand sérieux :
... une femme blanche enceinte, vivement frappée d'un chien
noir ou de tout autre objet de cette couleur, peut faire un enfant
nègre, au moins par la couleur. [...] L'imagination n'agit pas
seulement sur les couleurs de la peau, elle opère sur la figure,
sur la conformation et du visage et de tous les membres [...]. Il
est donc possible qu'à ce même enfant, auquel elle aura donné
la couleur noire, elle lui ait formé un nez écrasé, épaté, de gros-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
65
ses lèvres etc. parce que quelque singe, quelque figure, quelque
portrait de cette espece aura frappé la vue de la mère.
(C.-N. LE CAT, Traité de la couleur de la peau humaine...,
1765, p. 21-22.)
Si une femme blanche particulièrement émotive est capable de
donner le jour à un enfant noir, la réciproque est vraie. C'est du moins
ce que pense Jean Mocquet : il a rencontré en Mozambique un albinos
dont la mère, femme d'un chef de tribu éthiopien, aurait été tellement
impressionnée en apprenant l'existence d'hommes blancs que l'enfant
qu'elle portait en changea de couleur. Passionnés par les singularités et
les bizarreries de la nature, les savants du XVIIIe siècle feront grand
cas des albinos. Et un rapide survol de leurs idées sur la question nous
servira de transition avec le prochain chapitre, où sera examinée la
littérature du siècle des Lumières.
Selon la rubrique que leur consacre l'Encyclopédie, l'origine des
albinos est controversée :
Quelques uns ont cru que les negres blancs venoient du
commerce monstrueux des gros singes du pays avec des negresses ; mais ce sentiment ne paroit pas probable, vu qu'on assure
que ces negres blancs sont capables de se propager.
[46]
En 1745, Voltaire publie sa Relation touchant un Maure Blanc
amené d'Afrique en France. Il donne la description de l'albinos, et
l'admet dans le genre humain :
Cet animal s'appelle un homme, parce qu'il a le don de la parole, de la mémoire, un peu de ce qu'on appelle raison, et une
espèce de visage.
(éd. Moland, Tome XXIII, p. 189-190).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
66
Dans l'Essai sur l'Histoire, éd. 1761, Tome IV, p. 69, notre philosophe n'est plus tellement sûr de leur humanité :
la nature les a peut-être placés après les Nègres & les Hotentots,
au-dessus des singes, comme un des degrés qui descendent de
l'homme à l'animal.
Enfin, quand l'Essai sur l'Histoire devient l'Essai sur les mœurs,
Voltaire a entièrement refait le paragraphe ; il pense à présent que
ils n'ont d'homme que la stature du corps, avec la faculté de la
parole et de la pensée dans un degré très éloigné du notre.
(éd. POMEAU, 1963, vol. I, p. 7).
Buffon parle d'eux dans le Supplément de son Histoire naturelle,
ainsi que Maupertuis dans sa Dissertation à l'occasion du nègre
blanc. Le 28 juin 1780, L.-A. Dorvigny fait jouer au théâtre des Variétés une comédie en un acte et en prose intitulée Le Nègre blanc 24.
Cet intérêt pour les albinos s'inscrit dans un contexte plus général
la cause de la couleur des Noirs sur laquelle les intellectuels ont commencé à s'interroger dès le XVIIe siècle. Le problème n'a guère occupé les esprits pendant le Moyen Age et la Renaissance. Les théologiens avaient trouvé une explication, la noirceur du teint étant selon
eux la marque de la malédiction divine. Pour les uns, les Noirs constituent la progéniture de Cain ; pour les autres, les Africains sont les
descendants de Canaan, fils de Cham et petit-fils de Noé, qui les avait
maudits et condamnés à la servitude :
24
Cette pièce, signalée par C. BRENNER, A Bibliographic al List of Plays in
the French Language, 1700-1789, 1947, aurait été publiée à Amiens par la
Veuve Godard en 1774. Je n'ai pas réussi à en trouver un exemplaire. Je ne
sais donc pas s'il s'agit d'un albinos ou bien – et ceci me paraît plus probable
– d'un Blanc qui se déguise en Nègre pour les besoins d'une intrigue amoureuse.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
67
Maleductus Chanaan, servus servorum erit fratribus suis !
(Genèse, 9. 25).
Tant que les contacts entre Blancs et Noirs restent pour ainsi dire
inexistants, l'interprétation théologique n'entraîne guère de conséquences pratiques immédiates. Par contre, à partir du moment où la
traite se développe, la situation change. On se doute que les négociants ne se privèrent pas d'invoquer les livres saints pour justifier leur
commerce : ils auraient en somme voulu passer pour les [47] instruments de la volonté divine. Mais le rationalisme et l'esprit scientifique
étaient en train de s'imposer, et il ne se trouvera bientôt personne pour
prendre ce genre d'explication au sérieux. Il fallait trouver à la couleur
des Nègres d'autres explications, peut-être tout aussi fausses, mais qui
aient au moins une apparence scientifique. Déjà en 1572, Jean Bodin
écrivait :
J'ai peine à croire l'opinion que nous transmet certain docteur, que ces hommes soient devenus noirs par la malédiction
de Cham.
(J. BODIN, La Méthode de l'Histoire, 1941, p. 70 [1re éd.,
1572].)
Diverses solutions sont proposées. Les uns reviennent à la vieille
théorie selon laquelle ce serait l'action du soleil qui noircit l'épiderme :
la descendance d'un Éthiopien émigré en zone tempérée blanchirait
peu à peu ; de même, les Blancs noirciraient après un séjour prolongé
sous le soleil d'Afrique. Cette hypothèse postule donc qu'il n'y a aucune différence fondamentale entre Blancs et Noirs. Pour sa part, François Bernier n'en est pas tellement sûr, qui écrit en 1684 :
Il faut donc en chercher la cause [de la couleur des Noirs]
dans la contexture particulière de leur corps, ou dans la semence, ou dans le sang qui sont néanmoins de la même couleur que
partout ailleurs.
(F. BERNIER, « Nouvelle division de la terre », Journal des
Sçavans, 1684, p. 150.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
68
C'est bien l'avis de Jean-Baptiste Souchay, qui déclare en 1738 :
La cause n'est pas moins obscure que les effets, et par
conséquent j'ouvre un vaste champ à la dispute. On assigne
d'ordinaire deux causes principales de cette noirceur, l'ardeur du
soleil ou la malédiction divine sur Cham et sa postérité ; mais
ces raisons ne satisferont point les personnes.
(J.-B. SOUCHAY, Essai sur les erreurs populaires, 1738,
vol. II, p. 207.)
R. P. Jameson signale un grand nombre d'écrits sur la question 25.
La noirceur de la peau a été attribuée à l'humidité ambiante, à l'excès
de sécrétion biliaire, à l'usage de certains aliments. Ce qui est significatif, c'est que les causes de la blancheur des Blancs ne semblent avoir
inquiété personne. L'Européen constitue la norme, l'homme de couleur
l'anormal. Le Nègre appartiendrait-il en fait à une autre espèce ? C'est
ce que suggère Jean Meckel, après avoir disséqué deux Noirs :
Mais il y avoit aussi une grande différence à remarquer, par
rapport à la couleur, entre le sang du Nègre et celui du Blanc.
Car le premier étoit si noir, qu'au lieu de rougir le linge, comme
le sang le fait ordinairement, il le noircissoit. Il semble donc
que les Nègres fassent presque une autre espèce d'hommes par
rapport à la structure intérieure ; et il n'est pas surprenant que,
[48] d'un sang aussi noir, il se porte vers la peau des particules
de la même couleur, qui contribuent à la noirceur de la mucosité
souscuticulaire 26
(J. MECKEL, Nouvelles observations..., 1757, p. 71.)
25
26
R. P. JAMESON, Montesquieu et l'esclavage, 1911, p. 172-182. Voir également W. JORDAN, White over Black, 1968, p. 11-20 et 512-538.
Il est amusant de remarquer que ce même Meckel soutenait, après Hérodote,
que le sperme des Africains est plus foncé que celui des Blancs. La méthode
expérimentale ne devait pas être encore tout à fait au point.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
69
Une étude complète et systématique des théories sur la noirceur
des Noirs serait du plus grand intérêt : c'est là qu'on trouve les premières manifestations du racisme pseudo-scientifique. À partir du moment où la différence de pigmentation entre les Blancs et les Noirs est
perçue comme fondamentale, comme appartenant à l'ordre des essences et non des apparences, la tentation de porter des jugements de valeur et d'établir une hiérarchie raciale est presque irrésistible. Nous
venons de voir que Voltaire n'a pas hésité à le faire. S'il était devenu
impossible de justifier l'esclavage par la religion, une « infériorité raciale » déduite abusivement d'observations anatomiques allait faire
l'affaire encore mieux. Et il est bien certain que cette curiosité scientifique n'est pas désintéressée : la pigmentation des jaunes, dont on ne
trafiquait pas, n'intéressait personne. À partir du XVIIe siècle, c'est la
pigmentation des Noirs que l'on étudie. Les savants du XIXe, au service de l'idéologie colonialiste, se pencheront plutôt sur les mensurations crâniennes, dont les théoriciens de notre époque tireront les
conclusions que l'on sait.
Au XVIIIe siècle, nous allons voir se développer la traite et le racisme, son alibi. Nous verrons également s'élever les protestations des
hommes de bonne volonté.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
70
[49]
Le nègre romantique
Personnage littéraire et obsession collective
Chapitre II
LE SIÈCLE
DES LUMIÈRES
(1700-1789)
Frédéric :
– « L'espèce humaine, c'est nous, nous dont la couleur
est pure et belle, nous qui savons comprendre et agir... Des
nègres !... des nègres !... Le nègre est l'animal le plus stupide et le plus laid de nos ménageries. »
Léonard :
– « Je sais qu'on cherche à les abrutir par l'esclavage et
les mauvais traitements ; mais tôt ou tard ils montreront
qu'ils sont des hommes et qu'ils savent se battre et se venger comme nous.
(C. DESNOYER et D. ALBOIZE, La Traite des
Noirs, 1835, Acte II, scène ii.)
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Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
71
Au Siècle des Lumières on assiste à un développement et à une
évolution rapides de la conscience collective. Les temps modernes
sont là, avec le mouvement pour ainsi dire uniformément accéléré du
rythme de la vie, donc de la pensée. Les livres se multiplient, le nombre des lecteurs s'accroît ; l'opinion publique se passionne pour tous
les aspects de la vie intellectuelle.
À partir de 1700, rares sont les écrivains qui, sous une forme ou
sous une autre, n'ont pas fait au Noir une place dans leurs écrits 27.
Montesquieu et Prévost, Rousseau et Voltaire, Diderot et Condorcet,
Parny et Saint-Lambert, Buffon et l'abbé Raynal, Madame de Staël et
Bernardin de Saint-Pierre, tant d'autres moins célèbres ont parlé du
Nègre, que ce soit par souci d'humanité ou pour sa valeur pittoresque... [50] l'un n'étant d'ailleurs nullement incompatible avec l'autre.
Une série d'ouvrages importants et largement diffusés vont modifier
l'image qui nous intéresse. On s'est enfin rendu à l'évidence : l'existence de l'homme noir pose de multiples problèmes à la pensée européenne problème religieux (comment concilier l'Évangile et l'esclavage problème scientifique (comment expliquer les différences de pigmentation ?), problème esthétique (les canons de la beauté « blanche »
peuvent-ils s'appliquer aux Africains ?), problème économique (comment exploiter les colonies sans le travail forcé des esclaves ?)... L'esclavage des Noirs sera pour la première fois, et de plus en plus violemment, attaqué, et ceux qui en profitaient mis en demeure de le justifier. Pour cela ils inventeront le racisme ou plutôt, si l'on peut dire,
ils activeront le racisme latent de l'homme occidental. C'est ainsi que
27
Trois chercheurs se sont penchés, pour le XVIIIe siècle, sur le problème qui
nous intéresse. Russell Parsons Jameson opéra un premier dépouillement en
1911 dans Montesquieu et l'esclavage, étude sur les origines de l'opinion
anti-esclavagiste en France au XVIIIe siècle. Pour la deuxième moitié du
siècle, on doit consulter la remarquable étude de Edward D. Seeber : AntiSlavery Opinion in France during the Second Half of the Eighteenth Century, publiée en 1937. Seeber a catalogué et analysé les très nombreux écrits
de ceux qui protestèrent contre l'esclavage, traduisirent les ouvrages des
abolitionnistes anglais et mobilisèrent peu à peu l'opinion publique.. J'ai déjà
cité à plusieurs reprises la mise au point de Roger Mercier : L'Afrique noire
dans la littérature française, les premières images, XVIIe-XVIIIe siècles, publiée en 1962.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
72
certains auteurs essayeront de prouver l'infériorité naturelle des fils de
Cham, de justifier leur exploitation en se réclamant sinon de la théologie, au moins de l'économie politique, d'une certaine psychologie,
voire d'une biologie aberrante. D'autres écrivains, plus nombreux,
prendront la défense des Nègres au nom des principes fondamentaux
de liberté, égalité et fraternité. Jadis simple objet de curiosité, le Noir
s'insinuera dans la mauvaise conscience collective des Français. Sa
longue revendication de la dignité humaine dans un monde dominé
par les Blancs commence. Et tant les révolutionnaires que les conservateurs feront désormais de lui une arme politique et un sujet de littérature.
Mercier a bien résumé l'évolution qui se produit au cours du
XVIIIe siècle : d'abord la curiosité envers le Noir, qui mène éventuellement à la mauvaise conscience, puis à l'engagement, enfin, grâce à
la crise révolutionnaire, à l'abolition de l'esclavage par la Convention
(décret du 16 pluviôse an 11, 4 février 1794) 28.
Dans la lutte pour (ou contre) le progrès des Lumières on fait flèche de tout bois : il s'agit de stimuler la réflexion et de convaincre,
autant que de susciter la rêverie et d'amuser. Nombreux sont les cas où
la forme littéraire importe moins que l'intention didactique, comme le
prouve une bonne partie de la production poétique du siècle, ou du
théâtre à l'époque de la Révolution. Les auteurs cherchent volontiers à
propager les idées nouvelles sous forme de romans telles les Lettres
persanes ou de poèmes comme Le Désastre de Lisbonne. Et même
sous les formes plus sévères de l'essai ou du discours, la diffusion des
idées ne s'est jamais faite avec plus d'élégance, de fantaisie, de finesse, bref avec un tel souci d'esthétique. Il est donc indispensable pour le
[51] XVIIIe siècle de continuer à ne pas limiter la recherche du personnage noir aux œuvres qui se disent d'imagination.
Les contacts entre Noirs et Blancs se multiplient au XVIIIe siècle,
et le nombre des Français qui ont visité l'Afrique s'accroît peu à peu.
28
Adoptant un ordre chronologique, Mercier divise la partie de son ouvrage
qui traite le XVIIIe siècle en quatre chapitres dont les titres couvrent des périodes de temps bien définies : « L'Éveil de la curiosité intellectuelle, 17001735 », « Du système colonial à la mauvaise conscience, 1735-1769 », « La
Campagne pour l'humanité, 1769-1788 », « La Crise révolutionnaire ».
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
73
Ce sont des commerçants, partis troquer cotonnades, alcools et fusils
de traite contre les produits coloniaux tels l'ivoire et les épices destinés aux marchés européens, et surtout contre les esclaves que réclament les plantations antillaises. Paris envoie quelques administrateurs
et quelques soldats occuper les comptoirs où passent parfois des missionnaires. Mais on ne pense nullement à mettre le pays en valeur. Pas
de capitaux engagés, pas de cultures, pas d'industries de transformation, et par conséquent pas de colons.
Des relations de voyages continuent à paraître, mais elles resteront
peu nombreuses en regard de celles qui traitent l'Extrême-Orient, les
Indes, les pays de l'Islam ou le Nouveau Monde. L'Afrique ne représente encore qu'une série d'escales sur la route de l’Asie, qu'une série
de comptoirs commerciaux somme toute assez rudimentaires. Comme
l'écrivait Usbek à son compatriote Rhedi dans la CXVIIIe Lettre persane :
Passons à l'Afrique. On ne peut guère parler que de ses côtes, parce qu'on n'en connoit pas l'intérieur.
C'est ce que confirme le Père Jean-Baptiste Labat dans sa Nouvelle
relation de l'Afrique Occidentale :
Il est certain que des quatre parties du monde l'Afrique est
celle dont la circonference est connuë aussi exactement que le
dedans, l'est peu.
(J.-B. LABAT, Nouvelle relation..., 1728, vol. I, p. 6.)
La plupart des relations de voyages et des essais sur l'Afrique apportent d'ailleurs peu de nouveaux renseignements et n'hésitent pas à
démarquer les écrits plus anciens. C'est en particulier le cas du Père
Labat qui avoue n'avoir jamais mis le pied en Afrique. Les cinq volu-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
74
mes de sa Nouvelle relation... n'en feront pas moins autorité et seront
systématiquement pillés pendant plus de cent ans 29.
Les colonies d'Amérique, par contre, connurent au XVIIIe siècle
un développement économique rapide. Les descendants des rudes
boucaniers, grands chasseurs et volontiers pirates, vont se faire planteurs tout comme les colons qui commencent à arriver de la Métropole. La culture de la canne à sucre, celles de l'indigo, du tabac et, plus
tard, du café, exigent une main-d'œuvre bon marché que les négriers
se chargent d'importer aux îles.
[52]
On ne rencontre pas d'esclaves antillais dans la littérature avant
1730 environ ; la raison en est fort simple : ils étaient rares dans les
possessions françaises jusqu'au début du siècle. Le Père Charlevoix,
en parlant de la première révolte des Nègres à Saint-Domingue, dirigée par un certain Padrejean en 1679, explique que les Noirs furent
facilement écrasés sous le nombre, car
il y avoit en ce têms-là assés peu de Negres dans la Colonie, &
ceux, qui y étoient, avoient été presque tous enlevés aux Espagnols.
(P. F.-X. de CHARLEVOIX, Histoire de l’isle Espagnole,
1731, vol. II, p. 123.)
Employé de la Compagnie du Sénégal, qui détenait le monopole de
la traite, Monsieur Ducasse débarque à Saint-Domingue en 1691, avec
pour mission
de procurer à la Colonie de Saint-Domingue un avantage, qu'elle ne connoissoit pas encore bien, dans la multiplication des
Negres (idem, p. 230).
29
Sur la présence française en Afrique au XVIIIe siècle, voir Robert CORNEVIN, Histoire de l'Afrique, Payot, 1966, vol. II, p. 341 et suivantes.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
75
M. Ducasse se montra persuasif, et les commandes affluèrent au
Bureau que la Compagnie avait ouvert au Cap-Français pour les recevoir. Le nombre des esclaves dans tous les établissements français
d'Amérique en 1698 a été estimé à vingt mille, ce qui est relativement
peu 30. Mais les armateurs de Nantes et de Bordeaux feront désormais
une sérieuse concurrence à leurs collègues anglais, espagnols, portugais, hollandais et danois. D'après les estimations les plus sérieuses,
sur vingt-quatre millions d'Africains déportés, neuf millions ne survécurent pas à ces camps de concentration flottants qu'étaient les vaisseaux négriers. Mais de grosses fortunes furent réalisées et, comme
l'écrit joliment Eugène Augeard :
Retracer l'histoire de la traite des noirs, c'est donc retracer
l'histoire d'une des pages les plus brillantes [sic] de notre histoire commerciale.
(E. AUGEARD, La Traite des noirs avant 1790 au point de
vue du commerce nantais, 1901, p. 12.)
La société coloniale s'organise. Trois groupes humains en viendront à cohabiter dans un climat moral de crainte, de mépris et de haine : les Noirs, les Blancs et, avec le temps, les Mulâtres ou gens de
couleur. C'est surtout en fonction de la pigmentation que se forment
les classes sociales : la pureté de sang compte en tous cas beaucoup
plus que la richesse... même si l'une dépend normalement de l'autre.
La situation est identique dans l'Ile de France et dans les autres îles
de l'Océan Indien colonisées par les Français. Les relations entre lei ;
races y sont les mêmes qu'Outre-Atlantique et sont également régies
par le Code noir. L'adjectif « créole » qualifie d'ailleurs, quelle [53]
que soit leur pigmentation, les natifs de l'île Bourbon aussi bien que
ceux de la Guadeloupe ou de Saint-Domingue.
Ces colonies « créoles » sont beaucoup mieux connues que l'Afrique. D'après des modalités qui varient quelque peu selon l'époque et
30
G. T. RAYNAL, Histoire... des deux Indes, Genève, Pellet, 1781, vol. VII,
p. 13. [1re éd. 1770].
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
76
les franchises locales, les îles dépendent de la Métropole, qui se réserve, en principe, le monopole du commerce colonial et fournit aux colons prêtres et fonctionnaires, capitaines et ingénieurs, voire maîtres à
danser et perruquiers. Les riches « habitants » envoient leurs fils faire
leurs études en France et rêvent d'un voyage à Paris pour y dépenser
leurs économies. Leur opulence et leur prodigalité deviennent proverbiales : le personnage de « l'Oncle d’Amérique », promis à un bel
avenir littéraire, naît au XVIIIe siècle. Les livres de vulgarisation sur
les Antilles se multiplient : Guide du voyageur, Manuel des habitants,
Conseils sanitaires destinés aux nouveaux colons, sans compter les
nombreux ouvrages de géographie, tant physique qu'humaine, probablement destinés à encourager les futurs pionniers : on y insiste en
effet sur la fertilité du sol ou la commodité des installations portuaires,
mais les inconvénients du climat et le danger permanent des insurrections d'esclaves sont pudiquement minimisés. Et ce danger était très
réel, nous l'avons vu. À Saint-Domingue, par exemple, Anna J. Cooper relève des révoltes importantes en 1679, en 1691, en 1703, sans
parler de la révolte menée par le célèbre Makandal en 1758 31. À propos de ce dernier, il existe une brochure anonyme de 8 pages, publiée
en 1758, sans nom de lieu, qui s'intitule : Relation d'une conspiration
tramée par les Nègres, dans l'Isle de S. Domingue ; défense que fait le
Jésuite Confesseur, aux Nègres qu'on supplicie, de révéler leurs fauteurs & complices 32. À moins que ce soit un faux pur et simple – et il
n'y a aucune raison de le penser – il s'agit en fait d'une lettre personnelle adressée par un colon à un sien correspondant français lequel
décide de la publier en la faisant précéder d'une brève présentation. Il
décrit la campagne d'empoisonnement dirigée par Makandal, sa dénonciation par une jeune esclave soumise à la torture et l'exécution
horrible du rebelle. La jeune esclave aurait déclaré que
le Pere JÉSUITE, qui étoit venu quelque temps auparavant
la confesser en prison, lui avoit défendu, sous peine de damna31
32
Anna J. COOPER, L'Attitude de la France à l'égard de l'esclavage pendant
la Révolution, Impr. de la Cour d'Appel, 1925.
Le Père Antoine Gisler cite une partie de cette lettre dans L'Esclavage aux
Antilles françaises, XVIIe-XIXe siècles, Fribourg, éd. Universitaires, 1965, p.
54.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
77
tion éternelle, de révéler ses complices, & de souffrir plutôt
tous les tourmens qu'on pourroit lui faire endurer.
À la suite de quoi, le Gouverneur interdit aux R R. PP. Jésuites
l'entrée de la prison. Et la personne à qui ce récit est adressé de
conclure :
Est-il donc possible qu'il ne se commette plus de crime sur la
terre où les Jésuites n'aient quelque part. Pour conserver leur
Colonie dans le [54] Maragan, ils conseillent à leurs Sujets d'assassiner tous les Blancs, & de leur couper la tète, & ils leur en
donnent l'absolution. Pour se rendre maîtres de celle du Cap, ils
protegent les empoisonneurs, & menacent les coupables de la
damnation éternelle s'ils révèlent leurs complices. [...] On les
soupçonne d'autant plus, que dans cette multitude effroyable de
Negres qui ont péri par le poison, on remarque qu'ils n'en ont
pas perdu un seul. Eux & leurs Negres sont seuls en sûreté.
Cette brochure, qui intéresserait l'historien de la Compagnie de Jésus, nous concerne ici à un autre chef : l'auteur n'est pas un écrivain de
métier et ne semble aucunement écrire en vue d'une publication. Sa
description de la colonie du Cap (c'est-à-dire de la région du Cap
Français, aujourd'hui Cap Haïtien) est celle d'un habitant, non pas d'un
touriste. Sous sa plume aucun souci d'exotisme, aucun effort pour
dramatiser la situation. Mais son témoignage confirme certaines particularités de la vie aux Antilles rapportées également dans les récits de
voyages, et que les écrivains romantiques monteront en épingle : le
thème du Nègre empoisonneur, par exemple, qui se venge de son maître en faisant mourir ses bestiaux, ses esclaves et même sa famille :
Des Negres qui ont été exécutés, les uns ont déclaré avoir
fait périr parle poison 30 & 40 blancs, même leurs Maîtres,
leurs femmes & leurs enfans ; d'autres 200 & 300 Negres appartenans à différens maîtres.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
78
Il y a des habitants qui avoient sur leur habitation 50 & 60
Negres travaillant à la place. En moins de 15 jours il ne leur en
restoit que quatre ou cinq, & quelquefois pas un. J'en connois
beaucoup qui ont eu ce malheur.
On comprend que les Blancs aient vécu dans la crainte
Nous sommes effrayés de voir que presque tous les coupables, sont ceux qui travaillent à la grande caze, & en qui l'on a
le plus de confiance, le cocher, le cuisinier & les autres domestiques dont nous nous servons.
Ils prenoient précisément le temps où leurs Maîtres avoient
15 ou 20 Blancs à table & donnoient des festins. Ils mettoient le
poison dans le thé, dans la soupe ou d'autres mets [...].
Nous tremblons d'aller les uns chez les autres, & nous ne savons à qui nous fier, étant impossible de se passer du service de
ces misérables.
Ce climat de terreur dans lequel vivaient deux communautés pétries de haine était fait pour satisfaire les amateurs d'émotions fortes.
La cruauté de la répression blanche fait penser aux beaux jours de
l'Inquisition :
... on en brùle quatre ou cinq tous les mois mais à mesure
qu'on les met à la question, la Maréchaussée en arrête neuf à dix
autres qu'ils déclarent être leurs complices. Ainsi le nombre des
prisonniers augmente à mesure qu'on exécute un criminel.
[55]
Et notre colon de terminer en déplorant qu'un supplice d'esclave finisse par revenir si cher :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
79
Notez que tous ces coupables sont des Negres de prix, & de
4 à 5 000 liv. on ne les épargne pas pour cela. Mais leurs Maîtres sont d'autant plus malheureux, que le Roi ne leur accorde
que 600 liv. par tête de Negre supplicié.
Cette valeur marchande d'un être humain, chiffrée avec exactitude,
reparaîtra inlassablement dans la littérature « négrière », soit pour susciter l'indignation, soit pour défendre les colons contre les « calomnies » des « négrophiles », à qui l'on demande : est-il raisonnable de
penser qu'un propriétaire méconnaisse ses propres intérêts au point
d'estropier ou de tuer un esclave qu'il lui faudra remplacer a prix d'or ?
Le fait est, comme le montre notre anonyme, que dans le système colonial tel qu'il s'instaure, la terreur s'avère indispensable, même si elle
finit par coûter très cher : on aura beau faire des exemples, la révolte
éclatera à nouveau, suivie d'une inévitable répression. Par ailleurs, si
pour un Blanc la possession d'esclaves est le sine qua non de la réussite, ce ne peut être qu'une réussite pourrie. Le Père Charlevoix l'a bien
vu, et l'exprime par une formule lapidaire :
Malheureux dans les Colonies, qui a beaucoup d'Esclaves ;
c'est pour lui la matiere de bien des inquiétudes, & une occasion
continuelle d'exercer la patience. Malheureux, qui n'en a point
du tout, il ne peut absolument rien faire. Malheureux enfin, qui
en a peu, il faut qu'il en souffre tout, de peur de les perdre, &
tout son bien avec eux.
(P. F.X. de CHARLEVOIX S. J., Histoire de l’isle Espagnole, 1731, vol. II, p. 498.)
L'esclavage rend le bonheur impossible dans l'univers démentiel
des îles. Il ne va pas tarder à devenir sujet de littérature. Quelle place
l'Afrique et les îles (et surtout leurs habitants noirs) occupent-elles
dans la littérature d'imagination ? Jusqu'à 1750 environ, elle est négligeable. En 1731 Terrason donne Sethos ; en 1740, un anonyme publie
l'Histoire d'Anniaba, roi d'Essénie en Afrique ; en 1746 paraît Angola,
de La Morlière. Mercier résume et commente ces trois romans et en
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
80
signale quelques autres 33. Ils ne présentent pas grand intérêt : Angola
n'a de noir que le nom du héros. Anniaba est un roi si peu africain
qu'en changeant quelques noms de lieu on pourrait transporter l'action
dans pratiquement n'importe quelle autre région du globe. Le VIIe
livre de Sethos décrit la colonie hollandaise du Cap en imaginant de la
faire fonder par un navigateur de l'ancienne Égypte 34.
[56]
Quant au théâtre de la première moitié du siècle, la seule pièce que
l'on pourrait à la rigueur mentionner ici illustre une fois de plus la
confusion que certains continuaient à faire entre Nègres et Indiens. Il
s'agit de la parodie d'Alzire que Romagnesi et Riccoboni firent jouer le
5 mars 1736 sous le titre Les Sauvages. Bien que l'action se passe en
Amérique, chez les Missouris (qui parlent huron, on se demande
pourquoi) le confident du chef Matamore s'appelle Négrillon ; il aime
Negritte, suivante de la belle sauvagesse Alzire, que l'on veut marier à
Garnement, fils du gouverneur Bonhomme's. Ce dernier, en parlant
des indigènes proclame bien que : Pour être un peu plus noirs, ils n'en
sont pas moins hommes (I, i) mais il s'agit d'Indiens, et nullement
d'esclaves nègres. Négrillon et Negritte sont moins africains qu'Angola ou Anniaba.
Je pense qu'il faut faire une exception pour l'ouvrage que l'abbé
Prévost a intitulé Voyages du capitaine Robert Lade en différentes
parties de l'Afrique, de l'Asie et de l’Amérique, et qui paraît chez Didot en 1744. L'auteur le donne pour la traduction d'une relation de
voyage mise en ordre depuis plusieurs années, sur les Journaux et les
Mémoires de l'Auteur (I, p. xi-xii) et pousse la coquetterie jusqu'à prétendre avoir retranché du manuscrit certains épisodes qui lui paraissent merveilleux sans vraisemblance. Il s'agit en réalité d'une sorte de
compilation de récits de voyages, présentée d'une manière agréable et
33
34
Voir Roger Mercier, « Les Débuts de l'exotisme africain en France », Revue
de littérature comparée, 36, 1962, p. 191-209.
Je pense cependant que Baudet a raison de considérer Sethos comme un
texte important, non pas tellement dans notre optique, mais pour l'histoire du
colonialisme (voir Paradise on Earth, New Haven, Yale Univ. Press, 1965,
p. 45 et suivantes).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
81
partiellement romancée 35. Une vague intrigue sert de fil conducteur :
le marchand britannique Robert Lade voyage pour faire, ou plus exactement pour refaire sa fortune. Les hasards du négoce le conduisent
dans tous les recoins du monde exotique, avant de le ramener en Angleterre jouir en paix des richesses gagnées au péril de sa vie. Il fait
escale en « Négritie » et en Afrique du Sud pendant le premier voyage
d'Angleterre à Batavia. Le deuxième voyage nous mènera dans les
Antilles et les colonies anglaises de l'Amérique du Nord.
Dans la partie « africaine », la prise de contact entre l'équipage anglais et les indigènes censés voir des Blancs pour la première fois, me
semble imaginée de façon intéressante. Le navire mouille au large ; le
premier moment de terreur passé, les Africains s'approchent en pirogue et finissent par monter à bord. Ils s'étonnent de ce qu'ils voient,
acceptent de menus cadeaux. Amitié est faite, les Blancs débarquent ;
ayant remarqué que les Noirs portent au nez et aux oreilles des anneaux d'or, ils s'arrangent pour en troquer une grande quantité contre
de l'eau-de-vie et de la verroterie. Le chef indigène se révèle jaloux et
méfiant ; il capture traîtreusement une partie de l'équipage. Le capitaine et quelques hommes vont palabrer avec les Sauvages. La discussion s'envenime et des coups de fusils partent, [57] à la grande terreur
des indigènes qui ne connaissent pas les armes à feu. Le roi nègre est
pris comme otage ; il est forcé d'ordonner à ses hommes de libérer les
prisonniers anglais. Les Européens se rembarquent, un peu attristés
par la tournure qu'ont pris les événements, mais chargés d'or, et c'est
le principal. Sauf erreur, voilà la première apparition dans un ouvrage
français d'imagination de ce scénario type qui servira de base aux innombrables romans d'explorateurs de notre jeunesse. Les studios
d'Hollywood auraient pu le filmer sans y changer grand-chose et même, pour corser le spectacle, y incorporer un autre épisode des Voyages... qui a lieu quelque temps plus tard, sur les côtes de la Négritie du
sud. Dans la tribu des Paraga
Les femmes ont une sorte de beauté dans leur laideur [...]
Leurs levres sont d'un rouge éclatant, & leurs dents de la plus
parfaite blancheur. Elles ont aussi la gorge fort bien faite [...] La
35
Jean SGARD, Prévost romancier, J. Corti, 1968, p. 487. On consultera avec
profit la discussion des Voyages... qui occupe les pages 485 à 494.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
82
continence passe si peu pour une vertu dans les deux sexes,
qu'ils cherchent à se marier dès que la nature les avertit qu'ils
peuvent l'être. Tous les gens de notre Équipage se trouvèrent
fort bien de ce préjugé, par la facilité qu'ils eurent à se lier avec
les jeunes filles et les veuves.
(A. F. PRÉVOST, Voyages.... vol. I, p. 192-193.)
L'une de ces jeunes filles s'appelle Jenli et
si l'on met à part la noirceur, avoit le visage et la taille de nos
plus belles filles de l'Europe (idem., p. 195).
Comme tout est relatif, ses compatriotes la trouvent affreuse voilà
qui explique que lorsque l'Anglais Linter la séduit, il la trouve vierge.
Linter, fort amoureux, apprend l'anglais à Jenli ; il veut l'épouser et la
ramener en Angleterre. Mais le capitaine refuse catégoriquement sa
permission, vu l'indécence d'un tel mariage et les dangers que la présence de Jenli à bord ferait courir à la bonne discipline. D'ailleurs Linter se lasse rapidement de Jenli, dont le personnage est à peine esquissé. Mais c'est sans doute la première fois dans notre littérature d'imagination qu'une femme Noire est considérée de façon objective, et que
l'éventualité d'un mariage mixte est envisagée, avec tous les problèmes qu'il pose 36.
Il est curieux de voir que si Prévost mentionne des Noirs dans la
deuxième partie de l'ouvrage, qui se déroule dans le Nouveau Monde,
il ne les choisit pas pour héros ou même pour figurants d'épisodes romancés. Il se borne à faire une description de la vie aux Antilles britanniques qu'il a visiblement composée d'après quelque récit de [58]
36
Car, contrairement à ce qu'écrit Mercier, Linter ne fait pas instruire Jenli
dans la religion chrétienne et il ne l'épouse pas. De même, je ne vois pas que
la « corruption du civilisé » suscite « le mépris et l'horreur » (Mercier, p.
90). Le narrateur dit simplement :
Mais ce que j'admirai beaucoup plus, c'est que Linter eut commencé à
s'en dégouter, lorsqu'étant capable de se faire entendre, elle devoit lui paroitre beaucoup plus digne de son affection (I, 199-200).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
83
voyage. L'accent est mis sur les relations entre maîtres et esclaves ; de
ces derniers :
La plûpart sont perfides & dissimulés ; leur nombre qui est
de trois pour un blanc, les rend si dangereux, qu'on est obligé,
pour les tenir dans la soumission, de les traiter avec beaucoup
de rigueur.
(A. F. PRÉVOST, Voyages.... 1744, vol. II, p. 273.)
L'idée que les brutalités sont hélas rendues nécessaires par la situation démographique aux colonies sera reprise mainte et mainte fois.
Un siècle plus tard, on trouve encore ce genre d'explication, mais vue
sous un éclairage différent : les mauvais traitements seraient à présent
exigés par la nature essentiellement vicieuse et l'infériorité congénitale
des Noirs :
Si lorsqu'on a résidé dans les colonies, on convient que
beaucoup d'habitants traitent les nègres avec trop d'inhumanité,
on est forcé de convenir aussi que pour être obéi des esclaves, il
faut les mener avec la plus grande sévérité. [...] Les penchans
vicieux les entraînent généralement, sans doute par suite de
l'esclavage, qui est la source de tous les vices, mais sans doute
aussi par l'effet d'une organisation primitive qui, quoi qu'en disent les négrophiles, est inférieure à celle de la race blanche.
(H. FURCY de BRÉMOY, Le Voyageur poète, 1833, vol. II,
p. 141.)
Prévost se montre sceptique devant les arguments de ceux qui –
surtout dans les pays anglo-saxons – veulent prouver à tout prix que
les Noirs sont des créatures inférieures. Doit-on regarder comme une
opinion si peu vraisemblable celle qui les suppose d'une autre espèce
que nous ? se demande Prévost au sujet des Africains : il le pense, et
suggère que la distance qui sépare un maître blanc de son esclave noir
n'est peut-être pas plus grande que celle qui existe entre deux hommes,
l'un né & instruit à Paris, l'autre dans un Village de Picardie ou de
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
84
Cévennes. (Le Pour et Contre, vol. XII, 1737, p. 176-177). Il décrit la
condition des Noirs africains et créoles avec une certaine objectivité et
en évitant dans la mesure du possible de porter des jugements de valeur. On ne le voit pas condamner l'esclavage et il semble bien que,
même pour les âmes sensibles, la condition des esclaves nègres relevait encore de la curiosité intellectuelle plus que de la mauvaise conscience. Dans Cleveland, le gouverneur de La Havane fait cadeau au
fils de Cromwell du « nègre » Iglou (qui pour les besoins de l'intrigue
sera plus tard métamorphosé en Peau-Rouge). Cleveland semble trouver naturel le présent qu'on lui fait ; tout au plus désire-t-il se montrer
bon maître. Dans les Appalaches, nos deux voyageurs souffrent du
froid :
Iglou m'offrit tous ses habits pour me garantir du moins de
l'excessive fraîcheur de la nuit ; mais je m'obstinai à les refuser,
par un sentiment d'humanité. Je ne voyois point que ma qualité
de maître lui fît perdre [59] celle d'homme, ni qu'elle pût lui
ôter par conséquent le droit naturel qu'il avoit à des secours qui
lui étoient aussi nécessaires qu'à moi.
(A. F. PRÉVOST, Cleveland, Œuvres, 1823, vol. V, p. 49
[1 éd. 1731-1739].)
re
Le droit naturel dont parle Prévost ne comprenait apparemment pas
encore le droit à la liberté.
Dans le roman jusqu'en 1750, tout se passe pratiquement comme si
les seuls Nègres de la terre étaient des rois et des nobles africains
n'ayant d'exotique qu'un nom de fantaisie et risquant tout au plus de ne
pas être habillés à la mode de Paris et d'invoquer les fétiches plutôt
que les saints. Leurs aventures martiales et amoureuses se rattachent
directement à la tradition du roman précieux ; pour trouver un tant soit
peu de réalisme, c'est encore aux récits de voyages ou aux ouvrages
scientifiques que l'on doit avoir recours. Les modalités de la traite et la
vie sur la plantation ne semblent pas avoir stimulé l'imagination des
écrivains. Avec une exception, toutefois, mais qui est intéressante. En
1745 paraît « à Amsterdam, aux dépens de la Compagnie » un roman
intitulé Oronoko, de Mrs Aphra Belin, traduit de l'anglais par Antoine
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
85
de Laplace. L'original, Oroonoko, or, the Royal Slave 37, paru en
1688, avait été adapté pour la scène par Southerne huit ans plus
tard 38.
Petit-fils et héritier d'un roi du Coramantien, en Afrique, Oronoko
aime la belle Imoinda. Le vieux monarque tombe lui aussi amoureux
de la jeune fille. Elle résiste à ses avances et, dépité, il la vend à un
marchand d'esclaves. Oronoko cherche à oublier son désespoir en
guerroyant ; il gagne une bataille importante, vend ses prisonniers à
un négrier espagnol, comme le veut la coutume. Le négrier l'ayant invité à bord complète sa cargaison en kidnappant le général et ses officiers. La deuxième partie du roman a pour cadre Surinam, à l'époque
colonie britannique. Sous le nom de César (on sait que les esclaves
étaient volontiers affublés de noms tirés de l'histoire et de la mythologie, comme les boeufs et les chiens), Oronoko est acheté par le généreux Trefry, qui fait de lui son confident... car Oronoko a eu un tuteur
français et parle couramment l'anglais, le français et l'espagnol. Trefry
lui avoue sa passion pour la belle esclave Climène, qui reste désespérément fidèle à quelque amour perdu. Inutile de dire que Climène est
le nom d'esclave d'Imoinda. Les retrouvailles des deux [60] amants et
le récit de leurs malheurs touchent le vertueux Trefry ; il permet leur
mariage et se propose même de rapatrier Oronoko et Imoinda en Afrique sur la promesse d'un dédommagement qu'Oronoko s'engage à verser aussitôt monté sur le trône. Mais le marché doit être approuvé par
Milord Willoughby, gouverneur de la colonie, pour lors absent en
tournée d'inspection. Son adjoint, l'hypocrite et libidineux Byam,
convoite Imoinda et travaille à perdre Oronoko. Ce dernier s'impatiente et n’hésite pas à soulever les esclaves noirs, qui seront vaincus par
les Blancs malgré une défense héroïque. Pour sauver la vie de sa
femme, Oronoko dépose les armes lorsque Byam lui promet l'immuni37
38
Les auteurs anglais écrivent Oroonoko, les auteur français Oronoko.
p. 82 : Sur Oronoko, on consultera l'article de Edward D. Seeber, « Oroonoko in France in the XVIIIth Century », P.M.L.A., Dec. 1936, p. 953-950. La
traduction de Laplace fut publiée à plusieurs reprises au XVIIIe siècle, Seeber suggère l'influence. possible du roman sur les ouvrages postérieurs qui
prennent un Noir pour héros L'importance d'Oronoko comme source de BugJargal est signalée par Servais Etienne, Les Sources de « Bug-Jargal », Liège, Vaillant-Carmann, 1923. Une traduction partielle de la pièce de Southerne fut publiée par l'abbé Leblanc en 1745 et une traduction complète par Fiquet du Bocage en 1751.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
86
té. Le traître ne tiendra pas parole ; Oronoko sera cruellement fouetté.
Une fois remis, il poignarde Byam et s'enfuit dans la jungle. C'est
alors qu'arrive enfin le gouverneur ; il gracie Oronoko et accepte de le
faire retourner en Afrique avec Imoinda et le fils dont elle vient d'accoucher. Oronoko deviendra roi et tout finit le mieux du monde.
Seeber a bien signalé que nombre des traits de caractère de ces héros se retrouveront dans la littérature qui mettra en scène des personnages noirs. Le sang royal qui coule dans les veines de l'esclave César
coulera dans celles de Tamango et de Bug-Jargal. On comprend pourquoi : d'une part la tradition littéraire choisissait de préférence ses personnages parmi les nobles ou les princes ; de l'autre, l'orgueil des
Blancs exigeait que leurs adversaires noirs fussent des êtres exceptionnels, leur supériorité sur leurs frères africains les assimilant en
quelque sorte à la race des Seigneurs. L'initiation du héros à la culture
européenne se fait souvent en Afrique (grâce à quelque missionnaire,
ou à un négociant), et la jalousie pousse ses ennemis à le vendre à un
négrier avare, perfide et cruel. Le noble esclave voudra se suicider. Il
rencontrera un Blanc compréhensif, sinon fraternel. Il retrouvera sa
fierté pour se mettre à la tête d'une révolte d'esclaves. La femme qu'il
aime – invariablement fidèle – sera convoitée par un maître blanc...
refusant le concubinage, elle souffrira les persécutions, parfois le
viol... Dans les romans qui finissent mal, le héros est tué. Dans ceux
qui finissent bien, il est émancipé avec son épouse et s'intègre, sans
que l'on comprenne très bien dans quelles conditions, au monde des
Blancs.
Étant donné la grande popularité d'Oronoko dans la deuxième moitié du siècle, Seeber a raison de l'avancer comme une source importante du « roman créole » à personnages nègres qui se développe à
partir des années 1750.
Comparer l'original d'Oronoko à la traduction qu'en donne Laplace
se révèle intéressant ; les changements apportés tant à l'intrigue qu'à la
psychologie des personnages sont nombreux et significatifs. Oronoko
a fait ses premières armes aux côtés d'un compatriote, vieux [61] guerrier qui tombe au champ d'honneur en laissant une fille : Imoinda, que
Mrs Behn appelle « the beautiful Black Venus to our young Mars »
(Belin, p. 88. Je cite la septième édition, Londres, 1723). Laplace, par
contre, fait du général
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
87
un Européen âgé, que quelques infortunes avoient conduit dans
ce pays Ce vieux guerrier n'avoit laissé d'autres enfans après lui
qu'une jeune fille, qui n'étoit âgée que de quelques mois, lorsqu'il étoit arrivé au Coramantien.
(A. de LAPLACE, Oronoko, 1745, vol. I, p. 13 et 20.)
Dans la version française, l'héroïne serait donc blanche ? Et il ne
s'agit pas d'une inadvertance du traducteur. Chaque fois que la romancière anglaise mentionne la couleur d'Imoinda, Laplace supprime la
référence : ainsi Trefry parle à son esclave César de Climène : the
most charming Black qui lui paraît plus belle que all the White Beauties he had seen (Behn, p. 142). Dans la traduction française, il l'appelle simplement une jeune et belle esclave (Laplace, II, 12). Non que
Laplace souligne la blancheur de Climène ; il se contente de supprimer toute référence à sa race. Mais Laplace écrit, sans autre commentaire, que beaucoup de Jeunes Nègres appartenant à Trefry sont amoureux de cette belle esclave. Or les lecteurs en savaient tout de même
assez long sur la vie aux Antilles pour ne pas ignorer qu'« esclave » et
« blanc » y étaient depuis longtemps des termes contradictoires. On en
arrive à la conclusion absurde que Laplace a fait d'Imoinda à la fois
une Blanche et une Négresse, c'est-à-dire en fin de compte ni l'une ni
l'autre. Par ailleurs, l'importance du personnage est bien plus grande
dans la traduction que dans l'original. Pour Mrs Belin, c'est une fille
belle, certes, vertueuse, sans doute, mais dont le rôle principal est de
motiver les hauts-faits d'Oroonoko. Si le prince africain est assez
cosmopolite pour traiter de pair à compagnon avec les aristocrates anglais, Imoinda reste malgré tout assez simple. Lorsque son mari, désespéré, veut la tuer et se suicider ensuite, elle se soumet avec joie,
croyant qu'après la mort ils retourneront dans leur patrie, africaine, for
that's their notion of the, next World 39, explique Mrs Belin. Dans la
version française, par contre, la jeune femme joue le rôle de conseillère de son mari et la croyance nègre à la résurrection au pays natal n'est
même pas mentionnée. Imoinda s'entretient sans difficulté avec les
Européens, car elle possède l'éloquence d'une Parisienne du XVIIIe
39
Car c'est ainsi qu'ils imaginent l'autre monde.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
88
siècle pour qui la rhétorique de la sensibilité n'a pas de secrets. Nos
deux héros se sont en quelque sorte dénaturés à la traduction. Ces
deux Noirs, ces nobles Africains, ces Sauvages revendiquant leur ethnie sont devenus des honnêtes gens, [62] disserts et bien élevés, fins
psychologues, mais sans signes distinctifs particuliers.
On voit ce qui s'est passé : Mrs Behn avait écrit un roman en deux
parties ; la première se passe en Afrique et s'adapte facilement au goût
français : le Coramantien est un pays abstrait où des aristocrates miment le jeu des passions. Cela aurait aussi bien pu se passer dans la
pseudo-Afrique de Terrason ou de La Morlière. Dans la deuxième
partie, nous sommes à Surinam. Mrs Behn connaît le pays pour y
avoir séjourné, et en brosse un tableau d'un réalisme sans compromis.
Les coups de fouet sur lesquels son traducteur passe rapidement sont
longuement décrits, ainsi que les plaies qu'ils font sur la chair et le
raffinement sadique qui consiste à les saupoudrer de poivre. Et dans
l'original le dénouement avait une autre densité que celui de Laplace.
Oroonoko tuait sa femme d'un coup de poignard, lui coupait la tête
qu'il enterrait dans les fleurs. Les Anglais, guidés par l'odeur du cadavre en putréfaction, parvenaient à recapturer l'esclave roi. Son supplice est horrible : on lui coupe les doigts, le nez et les oreilles, puis on
lui scie les membres. La pipe aux dents, Oroonoko meurt sans sourciller. Son cadavre découpé en morceaux est exposé aux quatre coins du
pays, afin de donner à réfléchir aux Nègres qui songeraient à la liberté.
Laplace a édulcoré la fin du roman pour les lecteurs français,
qu'une traduction trop fidèle aurait choqués. L'adaptateur a mis la
deuxième partie du roman au diapason de la première. De la première
œuvre littéraire occidentale qui prenne nettement parti contre la traite
et l'esclavage, il a presque réussi à faire un roman insignifiant... au
sens étymologique du mot. Sans doute ne faut-il pas trop l'en blâmer,
il était bien forcé de se plier au goût du jour. Mais le goût du jour va
changer. L'abolitionnisme en littérature est sur le point de se manifester en France. L'Afrique purement fantaisiste, les quelques Parisiens
grimés et costumés qui l'habitent vont disparaître peu à peu. Une littérature engagée se manifestera. Souvent avec maladresse, parfois sans
envisager les prolongements logiques de certains postulats et les
conséquences possibles de certains réquisitoires, les auteurs dénonceront le scandale de l'esclavage. Ils auront le mérite de cerner la réalité
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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sociale d'un peu plus près : on ne sera plus tenté de confondre la côte
africaine et le Pays de Tendre, les plantations antillaises et le Royaume de Dame Tartine.
Il faut mentionner, en marge de cette prise de conscience, un autre
contexte dans lequel apparaissent des personnages noirs : la littérature
qui prend pour cadre les pays de l'Islam. Marie-Louise Dufrénoy en a
montré la vogue et l'intérêt dans son étude sur L'Orient romanesque
en France 1704-1789 (Montréal, 1946-1947, 2 vols.). Les Mille-etune-nuits dans la traduction de Galland et les travaux de Boulainvilliers [63] sur Mahomet et sur les Arabes avaient contribué à mettre
l'Islam à la mode. Le Noir ne va guère profiter de cet engouement :
dans ces œuvres (j'entends dans celles qui différencient clairement la
race des personnages) sa place est normalement subordonnée et décorative. Subordonnée, en ce que son rôle est généralement celui de serviteur plus ou moins esclave, comme pour l'Ebène du Blanc et le Noir
de Voltaire, qui est le mauvais génie de son maître le prince Rustan. Il
peut être soldat dans la garde noire de quelque sultan, exécuteur des
hautes œuvres ou, le plus souvent, eunuque préposé au harem. Nous
avons évoqué l'Orcan de Racine ; il est à peine besoin de rappeler les
eunuques noirs des Lettres persanes (1721) ou les domestiques nègres
appartenant – dans les deux acceptions du terme – aux femmes du sérail dans Le Sopha de Crébillon (1745). Esclave des Européens dans
le Nouveau Monde, le Nègre est l'esclave ou à la rigueur le serviteur
des émirs, pachas et autres mamamouchis littéraires. Sa négritude est
décorative ; de là les accessoires orientaux qui caractérisent ses représentations picturales au XVIIIe siècle et qui reprennent en gros ceux
du roi-mage Gaspar : culotte bouffante, large ceinture en toile, gilet
brodé, cimeterre au côté et turban sur la tête. Assimilé à une bête de
somme aux colonies, le Noir faisait simplement partie du décor dans
l'Orient que l'imagination collective s'était créé.
La mode orientale et peut-être l'exemple des colons revenus habiter
Paris firent qu'au Siècle des Lumières chacun voulut avoir des serviteurs nègres. Dans la littérature comme dans la vie réelle, ces domestiques ou esclaves reçoivent souvent des noms commençant par Z, qui
auraient tout aussi bien pu servir à des personnages de turqueries :
Zambo, Zingha, Ziméo, Zulmé, Zoflora, Zizi, Zéphir, sans oublier
Zamor, le fameux serviteur (et certains disent amant) de Madame du
Barry qui, la Révolution venue, s'inscrivit au club des Jacobins. Par sa
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
90
déposition au procès de sa ci-devant maîtresse, il contribua à l'envoyer
à l'échafaud 40.
On peut se demander d'où venait la main-d'œuvre ancillaire qui satisfaisait aux exigences de ce snobisme. Je n'ai pas trouvé de renseignements très précis à ce sujet. Il semble en tout cas que la majorité
des Noirs habitant la France au xviiie siècle ont été des Créoles et no n
pas des Africains. Certes, les capitaines négriers devaient de temps en
temps prélever une « pièce d'Inde » sur leur cargaison, et les administrateurs et les missionnaires devaient former en Nigritie quelque valet
de chambre ou quelque cuisinière. Mais le plus grand nombre venaient des îles. Des édits royaux datés du 8 octobre 1716, puis du 15
décembre 1738 autorisaient les habitants des colonies à envoyer [64]
en France leurs Nègres « pour y être instruits dans la religion catholique et y apprendre un métier » 41. Outre les esclaves que les colons
envoyaient dans la Mère-patrie pour les y mettre en apprentissage, il
faut compter la nombreuse domesticité dont ils se faisaient accompagner lorsqu'ils traversaient l'Atlantique. Enfin, il arrivait aux planteurs
riches d'envoyer en France les enfants qu'ils avaient eus de leurs
concubines négresses ou mulâtresses. Sans nécessairement aller jusqu'à les reconnaître juridiquement, ils voulaient leur éviter, selon le
cas, le statut d'esclave ou les vexations auxquelles étaient soumis les
hommes libres au « sang mêlé ». La condition civile de ces Créoles
noirs et mulâtres posait des problèmes. Juridiquement, ils devenaient
libres en débarquant en France. On comprend que la majorité de ceux
qui, d'une façon ou d'une autre, avaient appris les dispositions de la loi
aient choisi la liberté, préférant se faire gens de maisons à Paris que de
rentrer au Cap Français vivre à la merci de leur propriétaire... car il ne
semble pas qu'ils aient pu conserver la liberté en retraversant l'Atlantique. Liberté relative d'ailleurs ; les malheureux semblent bien avoir
été exploités, échangés, vendus même par leurs patrons presque comme ils l'avaient été par leurs maîtres ; les domestiques du XVIIIe siècle
n'étaient pas syndiqués ; du moins étaient-ils exemptés du fouet ou du
carcan. Ces difficultés que les Créoles rencontraient à Paris pour se
faire servir ne sont d'ailleurs pas près de disparaître. Encore en 1834 :
40
41
Zamor est l'un des personnages du Joseph Balsamo de Dumas père.
Voir M. Besson, « La Police des Noirs en France sous Louis XVI », Revue
de l'histoire des colonies françaises, oct. 1928, p. 433-446.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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La plupart de ces familles [créoles] y avaient amené [en
France] un beau nègre cuisinier ou domestique, et souvent aussi la nourrice de leur dernier enfant ; mais le beau nègre [...], a
bien vite appris que sur le sol français tous les hommes sont libres, et un matin il est venu déclarer à son maître qu'il se retirait
de son service ; la négresse ou la mulâtresse ne tarde pas à le
suivre.
(S. DANEY, « Les Créoles à Paris », in Le Livre des cent-etun, XIVe livraison, 1834, p. 160.)
Dans un roman historique intitulé Le Chevalier de Saint-Georges,
Roger de Beauvoir évoque cette mode du domestique noir, et plus particulièrement du négrillon familier :
Après les singes, dont les femmes du XVIIIe siècle raffollèrent, la mode, cette grande conseillère, leur avait insinué les nègres comme un contraste habile à leur blancheur. Le petit noir
l'emporta bientôt sur l'épagneul, la perruche ou la levrette, il
donnait la patte aussi bien qu'un angora. Né dans l'esclavage, il
devait se montrer doux et soumis. Bientôt la folie du jour inventa pour eux mille caprices, les tailleurs remontèrent à Paul Veronèse pour les habiller ; le pinceau des peintres de Louis XV
les représentent escaladant les genoux des belles marquises,
chiffonnant de leurs mains d'ébène les broderies des duchesses.
De l'antichambre, ils sautèrent bien vite dans le salon, leurs mutineries, que l'on eut châtiées à Saint-Domingue [65] par la perte d'une oreille, semblaient en France un attrait de plus ; au lieu
du fouet d'un nègre commandeur retombant à coups pressés sur
leurs épaules, c'était la main caressante d'une comtesse ou d'une
fille d'opéra qu'ils sentaient glisser sur leurs durs cheveux de
laine.
(R. de BEAUVOIR, Le Chevalier de Saint-Georges, 1840,
vol, I, p. 268-269.)
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Roger de Beauvoir n'invente pas. Dans son Tableau de Paris, Sébastien Mercier avait déjà – et de manière combien plus mordante –
commenté l'engouement des femmes pour les enfants noirs :
Tandis que l'enfant noir vit sur les genoux des femmes passionnées pour son visage étranger, son nez aplati ; qu'une main
douce et caressante punit ses mutineries d'un léger châtiment,
bientôt effacé par les plus vives caresses, son père gémit sous
les coups de fouet d'un maître impitoyable ; le père travaille péniblement ce sucre que le Négrillon boit dans la même tasse
avec sa riante maîtresse.
(L.-S. MERCIER, Tableau de Paris, 1783, vol. VI, p. 291.)
Mercier s'est visiblement inspiré de Jacques-Vincent Delacroix qui
intitule un chapitre de sa Peinture des mœurs du siècle : « Sur le goût
des Femmes pour les petits Nègres. » La critique de l'esclavage s'y
mêle d'un érotisme quelque peu surprenant. Quand les jolies Parisiennes jettent les yeux sur les enfants esclaves :
Au même instant leurs fers ont été brisés, la honte s'est effacée de dessus leur front, vous les avez enlevés au mépris et à la
servitude. Humanité malheureuse, essuie tes larmes, et vois ces
enfans que l'on te ravissoit si cruellement, que l'on abaissoit à la
condition des bêtes, élever avec orgueil leurs petites têtes lanugineuses, appuyer leurs lèvres sur celles de la beauté, serrer de
leurs foibles mains un col éblouissant, et découvrir hardiment
des charmes que la pudeur avoit voilés aux regards de l’amour
[...] Heureux enfant, ton père éloigné gémit peut-être à présent
sous les coups [...] et toi tu es sur les genoux de la Beauté ; ta
tête repose sur un sein agité par le plaisir, une main douce et caressante se promène sur tes joues. Ah ! prie le ciel qu'il prolonge ton enfance, et l'heureux caprice qui fait ton bonheur.
(J.-V. DELACROIX, Peinture des mœurs du siècle, 1777,
vol. I, p. 148-150.)
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Le négrillon du XVIIIe siècle va devenir le « tigre » des dandys du
XIXe, et le XXe à son tour l'adoptera sous forme de groom.
Les colons ne pouvaient manquer de s'émouvoir devant la désertion de leurs Nègres ; leur lobby fit passer des édits qui conservaient
aux Noirs leur condition d'esclave – du moins temporairement – même sur le territoire métropolitain. Dans quelle mesure ces édits furentils appliqués ? La chose n'est pas claire, et des recherches systématiques dans la jurisprudence de l'époque révèleraient bien des histoires
tragiques. Celle du Nègre Roc, par exemple, né libre à la Guyane, capturé par des marchands espagnols, vendu et revendu aux Antilles et
amené en France par son dernier maître, le sieur Poupet, négociant.
[66] Roc cherche à redevenir libre et avec l'aide de l'avocat Henrion
de Pansey, plaide sa cause devant les tribunaux. De Pansey publia un
Mémoire, intéressant par la condamnation catégorique de l'esclavage
qui s'y exprime sans précautions oratoires. Après avoir dénoncé l'esclavage des anciens, l'avocat déclare :
[L'esclavage] des anciens dégradoit l'humanité ; le nôtre est
pis encore, il est contraire à la religion qu'il a joué, à l'autorité
royale qu'il a surprise, aux mœurs qu'il détruit, en autorisant le
plus grand des crimes, celui d'enlever et de vendre un homme
libre.
(P. HENRION de PANSEY, Mémoire pour le nommé Roc...,
1770, p. 7.)
Heureusement pour Roc, le sieur Poupet avait négligé de remplir
une des nombreuses formalités administratives que nécessitait l'importation en France d'un esclave nègre :
Les habitans et officiers de nos Colonies qui voudront amener ou envoyer en France des esclaves Nègres, seront tenus d'en
obtenir la permisson des gouverneurs généraux, ou commendans dans chaque île ; [et] seront tenus de faire enregistrer ladite permission, tant au greffe de la juridiction ordinaire ou de
l'amirauté de leur résidence [...] et faute par les maîtres des esclaves d'observer les formalités prescrites par les précédents ar-
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ticles, lesdits esclaves seront libres, et ne pourront être réclamés.
(Édit d'octobre 1716 cité par HENRION de PANSEY, Mémoire pour le nommé Roc..., 1770, p. 21.)
L'un des documents manquant au dossier, Roc, aux termes de
l'édit, se retrouva libre.
Un autre exemple nous est rapporté par Paul d'Estrée dans son article sur « Le Nègre de Beaumarchais ». En 1766, le futur créateur de
Figaro avait pris à son service un Mulâtre nommé Lucas. Or ce dernier appartenait à M. de Chaillou, de la Martinique, qui porta plainte.
Quand la police vint saisir le malheureux, Beaumarchais voulut s'y
opposer et des coups de poing furent échangés. La justice suivit son
cours ; le pauvre Lucas se retrouva dans les prisons du Havre. M. de
Chaillou le vendit alors au chevalier de Saint-Victor, qui l'expédia
sans doute à son frère aux îles. Beaumarchais remarque amèrement :
Un pauvre garçon, nommé Ambroise Lucas, dont tout le
crime est d'avoir le teint presque aussi basané que la plupart des
hommes libres de l'Andalousie, et de porter des cheveux bruns
naturellement frisés, de grands yeux noirs et des dents fort belles, ce qui est pourtant bien pardonnable, a été mis en prison à
la réquisition d'un homme un peu plus blanc que lui, qu'on appelle M. Chaillou, qui avait à peu près les mêmes droits sur le
basané, que les marchands israélites acquirent sur le jeune Joseph, lorsqu'il l'eurent payé à ceux qui n'avaient nul droit de le
vendre ; mais notre religion a des principes sublimes, qui s'arrangent admirablement avec la politique des colonies.
(Cité par Paul d'ESTRÉE, « Le Nègre de Beaumarchais »,
Nouvelle revue rétrospective, 10 septembre 1896, p. 190.)
[67]
Il semble d'autre part que
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en pleine France du XVIIIe siècle, mère de Voltaire et patrie
adoptive de l'auteur du Contrat social, on vit vendre à Paris des
hommes au plus offrant et dernier enchérisseur.
(J. MATHOREZ, Les Étrangers en France..., 1919, vol. I, p.
397-398.)
Le scandale atteint des proportions telles, que l'on prend des mesures pour limiter l'entrée des Noirs en France. Mesures qui se transforment rapidement en véritables lois de Nuremberg, puisque l'édit du 5
avril 1778 prévoit le recensement des Nègres et Mulâtres, et l'obligation pour eux de porter un certificat ; l'édit interdit à tout officier
d'état-civil de qualifier « aucun gens de couleur de sieur et dame » et
défend formellement à tout curé ou notaire de célébrer de mariages
entre Blancs et Noirs ou Mulâtres. D'autres règlements interdisent aux
gens de couleur certaines régions du pays et tentent de les concentrer
dans les ports 42. Paris était en train de se mettre à la mode de Port-auPrince, et les aberrations nazies ne sont décidément pas tout à fait sans
précédents. La notion de pureté de sang, cette gangrène de l'âme collective qui se traduit par des visions apocalyptiques et délirantes,
n'était pas inconnue. C'est précisément en 1789 qu'un certain Dominique Harcourt L'Amiral, ancien agent de commerce en Affrique, publie
un essai de quatre cents pages sur L'Affrique et les Affricains. Il était
question de donner la liberté et la qualité de citoyens français aux
Noirs des colonies. A cette idée, le spectre du métissage se dresse devant notre agent de commerce et, comme le militant nationalsocialiste à l'idée du Juif, L'Amiral a un haut-le-cœur à l'idée du Noir.
L'un voulait faire de l'Allemagne un pays Judenfrei, l'autre veut que la
France reste Negerfrei :
Le Nègre qui aura acquis des richesses, même ceux qui n'en
auront pas, useroient du droit de venir en France, de s'y marier
42
S'il existe d'excellents travaux sur l'esclavage aux colonies françaises, comme ceux de Gaston-Martin et du Père Gisier, ou sur les relations entre la
couleur et la condition juridique aux Caraïbes, comme ceux d'Yvan Debbasch, je ne connais pas d'étude systématique sur l'esclavage des gens de
couleur dans la France métropolitaine du XVIIIe siècle.
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& ils auroient des enfans, ces enfans hériteront du caractère de
leur père & ils auront en partie sa couleur ; dans vingt ans on ne
verra plus que des Noirs et des Mulâtres en France. Et au comble où est porté parmi nous la corruption des mœurs de l'un et
l'autre sexe, il est moralement démontré que le mélange du sang
Affriquain influera bientôt dans nos actions, en infectant de
plus en plus la source de notre origine. Ce germe pestilentiel,
attaquant également notre moral et notre physique, deviendra en
cela plus funeste que cette maladie honteuse et meurtrière que
nous a procurée la découverte du nouveau monde.
(D. H. L'AMIRAL, L'Affrique et les Affricains, 1789, p. 210211.)
Ce genre de texte, qui mériterait une analyse serrée, est plutôt rare,
il est vrai. On s'attriste cependant à la pensée que rien n'a [68] vraiment changé, qu'un Céline aurait pu signer ces élucubrations, et que
certains lecteurs d'aujourd'hui trouvent sûrement que L'Amiral n'avait
pas tout à fait tort. Mais revenons à notre sujet.
Il existe donc au XVIIIe siècle toute une littérature d’imagination
pour laquelle les personnages noirs ne sont pas problématiques. Dans
les romans précieux ils sont tout aussi honnêtes gens et Parisiens que
les pasteurs d'Arcadie. Dans les fictions pseudo-orientales, ils sont
purement décoratifs. Mais pendant la deuxième moitié du siècle, le
Noir littéraire prendra une autre épaisseur. Non certes qu'if se soit
produit un brusque retournement : l'honnête homme grimé en Noir et
l'athlétique gardien de sérail ne disparaîtront pas ; témoin La Reine de
Benni (1766) de Luchet, qui n'a d'africain que le nom du royaume de
Benin, maladroitement déformé. Témoin également Les Nègres, comédie en un acte publiée par Billardon de Sauvigny en 1793. Dans cet
agréable marivaudage qui a Saint-Domingue pour théâtre, Thompson,
colon anglais de la Jamaïque, aime Mademoiselle Camille, fille d'un
colon français. La guerre entre les deux pays rendait leur mariage impossible, mais la paix de 1783 est heureusement signée et tout finit
bien. Les deux amants sont aidés par leurs esclaves nègres, qui rivalisent de gentillesse, d'ingénuité et d'amusante malice. Bref, c'est un
monde idyllique qui nous est présenté, comme celui que montrent certaines gravures de l'époque où des Noirs épanouis chantent, dansent et
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se content fleurette sous les regards indulgents et amusés des bons
maîtres blancs. Et s'il y a affrontement entre les races, la ronde finale
des Nègres nous apprend à quel sujet :
Pour danser, vivent nos amans,
Les noirs dansent mieux que les blancs.
Pour danser, vivent nos amans,
Tous ensemble :
Les noirs dansent mieux que les blancs.
Les blancs ont plus de gentillesse,
C'est le beau jour qui brille aux yeux ;
Une négresse :
Mais belle nuit vaut encor mieux
Pour la danse et pour la tendresse.
En amour, vivent nos amans,
Tous ensemble :
Les noirs dansent mieux que les blancs.
Une négresse :
Étant donnée la condition faite aux esclaves noirs dans les Antilles,
ce genre de représentation lénifiante et mensongère frisait l'obscénité.
En même temps que ces ouvrages de pur divertissement vont bientôt perdre la faveur du public, d'autres œuvres vont donner du Noir
une image plus réelle et plus troublante. Plus réelle, parce qu'il s'agira
le plus souvent de Nègres esclaves... et non pas d'esclaves-icoglans de
quelque pays merveilleux, mais d'esclaves agricoles des colonies antillaises. Les écrivains se décideront à décrire les atrocités de la traite
et les horreurs des plantations. Ce faisant, ils troubleront la conscience
des lecteurs qui se disent chrétiens ou Philosophes.
[69]
On a vu que les Noirs n'eurent pas que des défenseurs. C'est même
une image stéréotypée et nettement péjorative qui dominait sans doute
dans l'esprit des Français. Certains théologiens avaient justifié l'esclavage des Africains par l'argument passe-partout de la punition divine :
les uns prétendant que la pigmentation foncée était la marque mise par
Dieu sur Caïn, les autres, passant au déluge, l'adjugeaient aux descendants de Cham, maudits par leur aïeul Noé. Pour justifier l'usage du
fouet, par exemple, J. Bellon de Saint-Quentin n'hésite pas à se réclamer des Écritures :
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[les Nègres sont] une espèce d'hommes naturellement lourds
et engourdis, enclins à l'inaction et portés à la révolte, qui demandent à être poussés & contenus dans le devoir. Le SaintEsprit le dit en termes formels, au 33e Chapitre du livre de l'Écclésiastique.
(J. BELLON de SAINT-QUENTIN, Dissertation sur la traite..., 1764, p. 73.)
Les capitaines marchands, plus remarquables par leurs talents de
navigateurs que par leur largeur d'esprit, n'avaient généralement que
mépris pour les Nègres « primitifs » (et souvent dégénérés par l'alcool) des côtes africaines. De leur côté, les trafiquants et les propriétaires d'esclaves n'avaient aucun intérêt à proclamer l'humanité de leur
gagne-pain.
Plutôt que de multiplier les textes, citons un long passage des Mélanges intéressants... que J. Ph. Rousselot de Surgy publia en 1765. Il
a le mérite de distiller les opinions des esclavagistes et des racistes, et
de les exprimer sans ambages et sans précautions oratoires :
Ces Nègres [d'Amérique] se trouvant transportés dans un
climat presque aussi chaud que celui où ils sont nés, n'ont d'autres travaux que ceux qu'ils peuvent faire, & auxquels ils seroient obligés dans leur propre pays pour y subsister ; d'ailleurs,
on sçait assez quels avantages ils rapportent à nos colonies, où
les Blancs sont beaucoup moins propres à la culture des terres
par la grande différence de leur climat. On verra mieux encore,
d'après l'examen du caractere moral des Nègres, si réellement
ces peuples sont faits pour une condition supérieure à celle où
ils sont réduits.
Tous les voyageurs qui les ont fréquentés, tous les écrivains
qui en ont parlé, s'accordent à les représenter comme une nation
qui a, si l'on peut s'exprimer ainsi, l'âme aussi noire que le
corps. Tout sentiment d'honneur & d'humanité est inconnu à ces
barbares : nulles idées, nulles connoissances qui appartiennent à
des hommes. S'ils n'avoient le don de parole, ils n'auroient de
l'homme, que la forme. [...]
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Point de raisonnement dans les Nègres, point d'esprit, point
d'aptitude à aucune sorte d'étude abstraite. Une intelligence qui
semble au-dessous de celle qu'on a admirée dans l'éléphant, est
le guide unique de toutes leurs actions ; l'intérêt de leur conservation, de leurs plaisirs, est le seul mobile de tous leurs mouvemens. Lui seul les tient éveillés ; lui seul les porte au travail,
& leur fait vaincre l'extrême paresse à laquelle ils sont sujets.
Livrés à leurs passions comme des brutes, ils ne connoissent
que la jouissance. Leur attachement à leurs enfans, à leur famille, ne dure qu'autant [70] que dans les bêtes, jusqu'à ce que
leurs petits puissent se passer d'eux. La force seule peut les
contenir dans le devoir, & la crainte est le seul motif qui les fasse agir ; ils n'ont réellement point de cœur, & par conséquent le
germe des vertus leur manque. La brutalité, la cruauté, l'ingratitude, voilà ce qui forme leur caractère. Leur naturel est pervers ;
toutes leurs inclinations sont vicieuses. Depuis le premier Roi
Nègre jusqu'au dernier esclave, il n'en est pas un seul qui ne se
plaise à voler, & qui ait la force de s'en abstenir dans l'occasion ; pas un seul, qui, dans l'excès de sa passion pour l'eau-devie, ne vendit sa femme et ses enfans pour en acheter. On seroit
tenté de croire, d'après ce portrait, que les Nègres forment une
race de créatures qui est la gradation par laquelle la nature semble monter, des Orang-Outangs, des Pongos, à l'homme. Si leur
espèce est un peu perfectionnée & policée sur les côtes, & du
côté de la Barbarie, ils doivent cet avantage à la fréquentation
des Européens et des Maures.
(J. Ph. ROUSSELOT de SURGY, Mélanges intéressans...,
vol. X, 1765, p. 164-166.)
Rousselot de Surgy ne mâche pas ses mots. Fontenelle s'amusait à
comparer un Africain à un singe. Le théologien protestant David
Boullier prétendait en 1728 que certains singes paraissent avoir plus
d'esprit que les Nègres leurs compatriotes 43. On n'arrête pas le progrès : la plaisanterie est devenue hypothèse, en attendant de passer au
rang de vérité de la pseudo-science raciste. Il va de soi que l'infériorité
43
David BOULLIER, Essai philosophique sur l'âme des bêtes, Amsterdam,
1728. (Cité par Roger MERCIER, L'Afrique noire..., 1962, p. 87.)
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des Nègres est affirmée avec le plus de véhémence par ceux précisément que la traite et l'esclavage enrichissaient : les colons et les armateurs, qui faisaient fortune en réduisant au minimum le prix de revient
de cette main-d'œuvre exploitée à volonté. Les Philosophes l'avaient
bien compris. Dans un texte capital, le fameux chapitre XV de L'Esprit des lois, Montesquieu ironise :
Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique,
ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir
à défricher tant de terres. [...] Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les
supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne
sommes pas nous-mêmes chrétiens.
(MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, 1748, XV, 5.)
Plus tard, les philanthropes proposeront une analyse plus rigoureuse
Les systèmes qui supposent une différence essentielle entre
les Nègres et les Blancs, ont été accueillis [...] par ceux qui, intéressés aux cultures coloniales, voudroient dans l'absence supposée des facultés morales du Nègre, se faire un titre de plus
pour les traiter impunément comme des bêtes de somme.
(Abbé H.-B. GRÉGOIRE, De la littérature des nègres,
1808, p. 30-31.)
Il n'y avait d'ailleurs pas que les fanatiques et les coquins à considérer les Noirs comme des inférieurs. Jean-Jacques Rousseau dans
[71]
Émile explique pourquoi il a choisi son élève parmi les Français
plutôt que dans un pays situé dans un des « deux extrêmes », c'est-àdire dans la zone torride ou la zone polaire :
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Il paraît encore que l'organisation du cerveau est moins parfaite aux deux extrêmes [i.e. la zone torride et la zone polaire].
Les Nègres ni les Lapons n'ont pas le sens des Européens.
(Émile, Livre Ier, 1762. Cité par Mercer Cook, « J.-J. Rousseau and the Negro », The Journal of Negro History, 1936, p.
294-303.)
Quant à Voltaire, son attitude est pour le moins ambiguë. Il semble
avoir considéré l'esclavage comme un scandaleux anachronisme, et
surtout comme une preuve de l'hypocrisie de la religion. Le fameux
dix-neuvième chapitre de Candide en est une preuve. On se souvient
que Candide et Cacambo arrivent à Surinam, où ils rencontrent le Nègre de M. Vanderdendur, jadis vendu par sa mère aux négriers. Il porte un caleçon de toile pour tout vêtement et explique aux voyageurs
que :
Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous
attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons
nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les
deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe.
[...] Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous
les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et
noirs. [...] Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec
ses parents d'une manière plus horrible.
(VOLTAIRE, Candide, 1759, Ch. XIXe.)
Il n'est pas impossible que Voltaire ait pensé à Oronoko en évoquant Surinam. Par ailleurs, les colons hollandais étaient réputés pour
la sévérité de leur calvinisme et leur cruauté envers les esclaves :
[The cruelty of the slave trade was] paralleled across the
Atlantic, on the plantations of Surinam and the depot-island of
Curacao. Dutch planters and their wives – most particularly, it
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was noted by foreign observers, their wives – became a byword for their revolting treatment of their slaves 44.
(J. POPE-HENNESSY, Sins of the Fathers, 1968, p. 69-70.)
Ce qui indigne surtout Voltaire, c'est l'hypocrisie des pasteurs qui
proclament l'égalité en pratiquant l'esclavage. Mais si le philosophe
n'était pas partisan de l'esclavage, il est peu probable qu'il ait cru à
l'égalité. Il répète comme tant d'autres la vieille légende selon laquelle
les parents africains n'hésitent pas à vendre leurs enfants, et [72]
d'avoir prêté son talent à la cause abolitionniste ne l'a cependant pas
empêché d'étaler ses préjugés 45 :
Si leur intelligence [aux Noirs] n'est pas d'une autre espèce
que notre entendement, elle est fort inférieure.
(Essai sur les mœurs, 1756, chap. CXLI.)
Nous n'achetons des esclaves que chez les Nègres. On nous
reproche ce commerce : un peuple qui trafique de ses enfants
est encore plus condamnable que l'acheteur ; ce négoce démontre notre supériorité ; celui qui se donne un maître était né pour
en avoir (idem, chap. CXCVII.)
On serait tenté de voir là un plaidoyer pro domo : une légende tenace veut que Voltaire ait été actionnaire d'une compagnie qui faisait
le commerce de « bois d'ébène ». C'est une calomnie, échafaudée sur
une lettre supposée de Voltaire à un capitaine négrier, et composée de
44
45
[L'inhumanité de la traite] se manifestait également outre-Atlantique, sur les
plantations de Surinam et dans Vile-entrepôt de Curaçao. Les planteurs hollandais et leurs femmes – surtout leurs femmes, d'après les observateurs
étrangers – devinrent légendaires par la façon révoltante dont ils traitaient
leurs esclaves.
Sur « Voltaire et les Noirs », en plus du survol de Mercier (L'Afrique noire..., 105 à 108), il est indispensable e consulter le chapitre « L'Anthropologie de Voltaire » dans l'ouvrage de Michèle Duchet.
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toutes pièces par Eugène de Mirecourt en 1877 46. Absolument rien ne
permet d'avancer que Voltaire ait directement profité de la traite, volontairement ou sans le savoir, de près ou de loin. On se demande
donc à qui l'abbé Bergier fait allusion dans l'article NÈGRE de son
Dictionnaire de théologie :
Nous ne faisons guères plus de cas des déclamations de nos
Philosophes depuis qu'il est constant que quelques-uns qui affectoient le plus de zèle pour l'humanité, faisoient valoir leur
argent en le plaçant dans le commerce des Nègres.
(N. S. BERGIER, Dictionnaire de théologie, 1790.)
L'abbé pense peut-être à Beaumarchais qui, deux ans avant de
plaider pour le pauvre Lucas, rêvait de s'assurer Pasiento, c'est-à-dire
le monopole de la traite pour les colonies espagnoles 47.
Mesures répressives et préjugés raciaux largement répandus d'un
côté, mauvaise conscience et appels à la réforme de l'autre : une série
d'œuvres-clés marquent les étapes de la lutte contre l'esclavage. L'Esprit du lois en 1748, l'Encyclopédie à partir de 1751, De l'Esprit de
Helvetius en 1758, les Réflexions sur les richesses de Turgot en 1766,
l'Histoire philosophique et politique des... deux Indes de Raynal en
1770 48, le Voyage à l'Ile de France de Bernardin de Saint-Pierre deux
ans plus tard et finalement les Réflexions sur l'esclavage [73] des nègres de Condorcet en 1781 en sont les plus importantes. Chacune d'elles apporte bien entendu une optique légèrement différente, des exemples nouveaux d'iniquité coloniale, un autre dosage d'arguments logiques et d'appels aux bons sentiments. Montesquieu avec ironie, Turgot
46
47
48
Sur ce faux de Mirecourt, voir SEBBER, Anti-Slavery Opinion..., p. 65-66n
et Voltaire's correspondence éd. Bestermann, Genève, 1960, vol. LVIII,
Appendix 179 : « A Forged Voltaire Letter on Slavery. »
Pierre RICHARD, La Vie privée de Beaumarchais, 1951.
On sait qu'il s'agit d'un ouvrage collectif. De nombreux chercheurs ont étudié le texte et ont signalé les changements significatifs apportés à chaque
édition successive. Les articles de Michèle Duchet « Le Primitivisme de Diderot » et d'Yves Benot : « Diderot, Pechmeja, Raynal et l'anticolonialisme », publié dans Europe, jan.-fév. 1963 sont particulièrement intéressants.
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avec le réalisme des gens de finance, Raynal avec la chaleur de l'indignation, Bernardin avec sa sensibilité un peu larmoyante, Concordet
avec l’impeccable logique du grand juriste, tous ces philanthropes
proclament le même principe fondamental : le dogme de la dignité
humaine entraîne nécessairement celui de la liberté juridique.
Jameson, Seeber, Mercier, Michèle Duchet ont cité et analysé les
textes-clefs de la lutte philosophique contre l'esclavage. Ils ont très
justement remarqué que, à l'exception de Bernardin de Saint-Pierre,
peu de philosophes connaissaient vraiment les Noirs. Non seulement
n'avaient-ils visité ni l'Afrique ni les îles, mais ils avaient une vision
très schématisée de leurs habitants. Ce qui les intéressait, c'était
d'abord la condition d'esclave, symbole et scandale de l'obscurantisme
des temps passés, et ensuite la qualité générale de « sauvage », autrement dit de « bon sauvage » en puissance. D'un côté donc, la victime
noire témoigne des vices et de l'hypocrisie d'une société blanche qu'il
s'agit de réformer ; de l'autre, n'ayant pas été contaminé par cette société qui lui refuse la condition d'homme à part entière, le Nègre est
qualifié pour devenir le porte-parole de la réforme... ou de la révolte.
Il va sans dire que, dans la plupart des cas, c'est le voyageur ou
l'écrivain français qui prend la défense des Noirs, plutôt que de leur
donner la parole. Déjà au XVIIe siècle, le Père Du Tertre, pourtant peu
suspect de jacobinisme ou d'excessive sensibilité, écrivait :
C'est véritablement en la personne des Nègres, que nous déplorons les misères effroyables qui sont attachées à la servitude
[...] comme si la noirceur de leur corps estoit le caractère de
leur infortune, on les traite en esclaves, on les nourrit comme on
veut, on les pousse au travail comme des bestes, et l'on en tire
de gré ou de force jusqu'à leur mort, tout le service dont ils sont
capables.
(J. B. Du TERTRE, Histoire générale des Antilles, vol. II,
1667, p. 493.)
La condition des esclaves ne va guère s'améliorer. Le père Charlevoix écrit en 1731 :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
105
[Le travail de l'esclave] est presque continuel, son sommeil
fort court, nul salaire, vingt coups de foüet pour la moindre faute : voilà où l'on a sçu réduire des Hommes, qui ne manquent
point d'esprit, et qui ne peuvent ignorer qu'ils sont absolument
nécessaires à ceux qui les traittent de la sorte.
(P. F.-X. de CHARLEVOIX, S. J., Histoire de l’isle Espagnole, 1731, Vol. II, p. 497.)
[74]
Après les ecclésiastiques, le savant. Buffon décrit longuement les
différents peuples d'Afrique, d'après les rapports de voyageurs européens. Qu'il signale la beauté des Sénégalaises et la facilité de leurs
mœurs, la stupidité des habitants de Guinée ou les connaissances des
Aradas en matière d'agriculture, Buffon se veut objectif et s'abstient
de juger. Mais lorsqu'il en arrive à parler de l'esclavage, force lui est
de se départir de sa sérénité scientifique. Les Noirs, affirme-t-il, ont
le cœur excellent ; ils ont le germe de toutes les vertus 49. Je ne
puis écrire leur histoire sans m'attendrir sur leur état : ne sont-ils
pas assez malheureux d'être réduits à la servitude ? [...] faut-il
encore les excéder, les frapper et les traiter comme des animaux ? L'humanité se révolte contre ces traitements odieux que
l'avidité du gain a mis en usage [...] On les force de travail ; on
leur épargne la nourriture, même la plus commune. ils supportent, dit-on, très-aisément la faim : [...] Comment des hommes à
qui il reste quelque sentiment d'humanité, peuvent-ils adopter
ces maximes, en faire un préjugé, et chercher à légitimer par ces
raisons les excès que la soif de l'or leur fait commettre ?
(G.-L. BUFFON, De l'Homme, Ch. « Variétés de l'espèce
humaine, O. C., 1819, vol. X, p. 481-482 [1re éd. 1749-1804].)
49
Buffon répond évidemment à Rousselot de Surgy, qui avait prétendu que les
Nègres n'ont réellement point de cœur, et par conséquent le germe des vertus leur manque (voir supra, p. 70).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
106
Maupertuis rappelle le passé glorieux des Africains en invoquant le
témoignage de Diodore de Sicile :
Si les premiers hommes blancs qui en virent de noirs les
avoient trouvés dans les forêts, peut-être ne leur auroient-ils pas
accordé le nom d'hommes. Mais ceux qu'on trouva dans de
grandes villes, qui étoient gouvernés par de sages Reines, qui
faisoient fleurir les Arts et les Sciences dans des temps où presque tous les autres peuples étoient des barbares, ces Noirs-là auroient bien pu ne pas vouloir regarder les Blancs comme leurs
frères.
(P. M. de MAUPERTUIS, Vénus physique, Œuvres, 1756,
vol. II, p. 97 [1re éd. 1746].)
Le poète Claude Sacy brode sur le thème du Bon Sauvage avili par
les Blancs. Il apostrophe ses compatriotes et, comme tant d'autres abolitionnistes, les met en garde contre de possibles révolutions noires :
Le Nègre n'est point tel que l'ont peint tes caprices
Il auroit eu nos arts, s'il avoit eu nos vices ;
Aussi brave que nous, mais moins industrieux,
Le fer a manqué seul à son bras généreux.
Son bien fut la santé, son code la nature
Il vécut sans besoins, il mourut sans murmure
Adorant sa compagne, & par elle adoré,
Heureux d'ignorer tout, heureux d'être ignoré
Son âme par degrés se seroit agrandie,
[75]
Si ton joug odieux ne l'eût pas avilie.
Tremble, tremble qu'un jour dans son cœur abattu
Il ne trouve encor un reste de vertu.
En vain dans tes cachots ta crainte le renferme,
L'excès du despotisme en présage le terme.
L'homme naît citoyen, & maître de son choix,
Sa fière volonté ne dépend que des lois.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
107
Où l'on reçoit des fers il n'est plus de patrie
L'honneur ne descend point dans une âme flétrie.
Rois, craignez un mortel sous le joug avili,
L'État est à ses yeux son premier ennemi.
(C. SACY, L'Esclavage des Américains et des Nègres, 1775,
p. 10-11.)
Remarquons au passage l'habile rapprochement que fait le poète
entre l'esclave juridique et l'esclave politique, entendons le citoyen
français qui s'estime opprimé par le gouvernement de Louis XVI.
La Navigation, poème en quatre interminables chants, est le seul
texte connu d'un certain Grée, qui le publia en 1781. Au deuxième
chant l'Océan, sous les traits d'un fantôme effrayant, d'une horrible
figure, se dresse devant Christophe Colomb et vaticine. Il prédit les
crimes que les Européens commettront contre les Indiens, et les luttes
intestines qu'ils se livreront pour la possession du Nouveau Monde. Il
en arrive ensuite au moment où
Le Sauvage égorgé dans la vaste Amérique
Fait place aux noirs enfans de la brûlante Afrique.
Du point de vue esthétique, les vers qui suivent méritent amplement l'oubli où ils sont tombés. Ils ont cependant l'avantage d'énumérer de façon relativement concise plusieurs thèmes importants de la
littérature anti-esclavagiste : 1) Les guerres entre tribus africaines,
fomentées par les négriers qui s'engagent à acheter les prisonniers
vaincus. 2) Les liens du sang bafoués sous l'influence des Blancs, qui
encouragent les parents à vendre leurs enfants. 3) Le Code noir considéré comme une iniquité, en ce qu'il donne force de loi aux préjugés
raciaux. 4) L'alcool utilisé par les Européens pour pervertir les Africains. 5) Le Noir vu comme un frère, simplement bronzé par le soleil
équatorial. 6) Les horreurs du travail forcé aux colonies. 7) La révolte
qui couve.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
108
(l'Océan s'adresse à Colomb) :
Les tiens vont s'avilir par des forfaits nouveaux ;
Leur main, de la Discorde empruntant les flambeaux,
Ira parmi ce Peuple éterniser la guerre ;
Les enfans malheureux sont vendus par leur père
L'humanité frémit, on étouffe sa voix :
L'intérêt dicte un Code, & fabrique des loix ;
L'homme est mis à l'encan ... toi seul en es coupable,
Qui trafiques du sang, marchandes ton semblable,
[76]
Qui vas d'un peuple doux égarer la raison
Dans les perfides flots d'une ardente boisson.
Eh quoi ! son teint noirci par l'astre qu'il adore,
Te fait-il oublier qu'il est ton frère encore ?
L'Esclave revendu dans un climat lointain,
Tombe sous le pouvoir d'un Despote inhumain
Enseveli vivant dans la mine effrayante,
Déchiré sous les coups d'une verge sanglante,
A de cruels travaux pour jamais condamné,
Il meurt en déplorant le malheur d'être né.
Mais enfin, je le vois ce jour où la Nature,
De ses fils opprimés viendra venger l'injure ;
La raison dans leurs cœurs, après un long sommeil,
Fera parler ses droits ... qu'on craigne son réveil.
(Grée, La Navigation, 1781, p. 47-48.)
La littérature anti-esclavagiste du XVIIIe siècle tend à dénoncer
dans le même souffle les atrocités commises dans le Nouveau Monde
contre les Indiens et contre les Noirs ; au rang des accusés, elle distingue à peine les Conquistadores espagnols des négriers britanniques ou
des planteurs français. Dans une figure de rhétorique qui n'a rien de
très original, Jean-Antoine Roucher évoque la violence de la nature
américaine, dont les ouragans, les éruptions volcaniques et les tremblements de terre lui semblent exprimer le courroux d'un Dieu indigné :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
109
Eh bien ! qu'un Dieu vengeur des enfans de l'Afrique,
Et du sang, dont le glaive inonda l'Amérique ;
Qu'un Dieu dans ces climats vous poursuive ; & sur vous,
Des vents, des feux, des eaux déchaîne le courroux ;
Que sous vos pas, la terre ébranlée, entr'ouverte
S'abyme dans la mer de vos débris couverte
Et que votre supplice épouvante à jamais
L'avare imitateur de vos laches forfaits !
(J. A. ROUCHER, Les Mois, 1779, p. 91-92.)
Cette éloquence sagement académique risquait-elle de frapper les
imaginations ? Il est permis d'en douter. Plus intéressante me semble
l'anecdote que Dominique-Joseph Garat, le futur Conventionnel et
Ministre, rapporte dans la Remarque... sur l'Esclavage des Nègres,
qu'il a publiée en note aux Mois de Roucher :
Un Colon accuse un Nègre d'une faute ; le Nègre innocent se
justifie de ce ton ferme, qui n'appartient qu'à l'innocence, &
qu'elle ne pardonne point qu'on méconnaisse. Le Colon n'écoute
rien ; & il fait appliquer le Nègre à la torture. Celui-ci la souffre
sans pousser un cri, sans dire un mot. Bien-tôt après, le Colon
sort de chez lui : le Nègre se saisit de trois enfans de son Maître, & monte avec eux sur les toîts de la maison. Il voit rentrer
son tyran ; il lui jette un de ses enfans. Le Colon épouvanté lève
la tête, & c'est pour voir tomber son second enfant : il se jette à
genoux & demande en [77] larmes la vie du troisième ; le Nègre
se précipite du haut du toît avec le troisième.
(D.-J. GARAT, « Remarque... sur l'esclavage des Nègres »,
in J. A. ROUCHER, Les Mois, 1779, p. 92.)
Nous retrouvons cette anecdote incorporée en 1804 par A. B. Pinière à son roman Les Colons. Garat l'avait sans doute tirée de l'Histoire... des deux Indes de Raynal. D'ailleurs, Henrion de Pansey en
avait déjà fait mention en l'attribuant à l'humaniste italien Jovius Pon-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
110
tanus (1426-1503) 50. Quoi qu'il en soit, l'impassibilité du Nègre dans
les tourmente est en voie de devenir un poncif littéraire ; par sa haine
réfléchie, par sa vengeance longuement mûrie et cruellement exécutée, l'homme noir donnera au lecteur français ce petit frisson de crainte à moitié admirative que produit volontiers le héros romantique.
Selon la mode de l'époque – et c'est une mode qui va durer longtemps – les réformateurs choisissent souvent le Discours comme forme littéraire. En vers ou en prose, les diatribes contre les négriers alternent avec les apologies des Noirs vertueux. L'égoïsme criminel des
Blancs est attaqué sur tous les tons, quoique le mode pathétique prédomine. On fait appel au bon sens comme aux bons sentiments, à la
pitié comme à la logique. Si c'est généralement un Blanc (ou une personnification mythologique, telle que l'Océan) qui s'adresse aux lecteurs blancs, il y a pourtant des Discours où l'auteur a donné la parole
à un Noir, a essayé de se placer du point de vue de la victime. Celui de
Doigny du Ponceau a concouru pour le prix de l'Académie françoise,
en 1775 51. On y trouve le passage traditionnel sur l'existence idyllique des Africains avant la venue des négriers, la dénonciation de l'hypocrite horreur de l'Européen devant l'esclavage... imposé aux chrétiens de bonne souche par les Barbaresques ou les Turcs, et l'inévitable récit des travaux forcés aux colonies :
Enfermés dans le sein des plus profonds abymes,
Nous cherchons ces métaux, ces aliments de crimes
Que l'orgueilleuse Europe a bientôt épuisés,
En insultant aux pleurs dont ils sont arrosés.
(DOIGNY du PONCEAU, Discours d'un Nègre à un Européen, 1775, p. 11.)
50
51
P. HENRION DE PANSEY, Mémoire pour le nommé Roc..., 1770, p. 2627.
J'ignore combien de poèmes sur le même thème ont été présentés à l'Académie le dossier du concours de poésie pour l'année 1775 manque aux Archives de l'Institut de France.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
111
Un grand nombre d'auteurs du XVIIIe siècle ont signalé que l'esclavage, avec toute la dépravation qu'il entraîne tant chez celui qui le
subit que chez celui qui l'inflige, est le résultat direct de la cupidité. La
soif de l'or est à l'origine du génocide des Indiens, des déportations
[78] massives d'Africains. Aussi les poètes n'hésitent pas à peindre les
esclaves travaillant dans la mine, quoique les mines d'or ou d'argent
aux Antilles et dans les régions côtières du continent (où étaient
concentrés les esclaves noirs) aient été rapidement abandonnées. Il
s'agit d'une licence poétique, les souffrances des mineurs étant plus
impressionnantes que celles des travailleurs agricoles.
Doigny du Ponceau mentionne aussi l'avortement et l'enfanticide
qui, selon tous les voyageurs, étaient largement pratiqués par les
femmes esclaves :
Et loin de consoler, d'adoucir nos misères,
Nos femmes, dans les pleurs, gémissent d'être mères,
Au berceau, par pitié, ravissent nos enfans,
Leur prodiguent la mort dans leurs embrassemens,
Ou déchirent, bravant le Maitre qui nous brave,
Les flancs infortunés qui portoient un Esclave (p. 11-12).
Le Nègre de Doigny prévoit ensuite la Révolution noire :
... un jour ... un jour, j'en crois mon cœur,
L'Europe enfin verra s'éclipser sa splendeur,
.............................
Et par la liberté l'Afrique couronnée,
A vous assujettir à son tour destinée,
Vous rendra tous les maux que nous avons soufferts,
Et vous accablera du poids des mêmes fers ... (p. 14).
Le Discours s'achève par un éloge des Quakers qui venaient d'abolir l'esclavage en Pennsylvanie.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
112
Il serait facile d'ironiser sur les vers médiocres de Doigny et sur les
envolées rhétoriques de son porte-parole. Il est sans doute ridicule de
prêter à un esclave africain le langage d'un concurrent au prix d'éloquence de l'Académie ; mais d'un autre côté, quelle est l'alternative ?
Celle d'un faux réalisme, qui consiste à lui faire baragouiner le patois
petit-nègre ? On y viendra, d'ailleurs, avec de piteux résultats. Les
écrivains sont conscients du problème et nous verrons plus loin comment ils ont tenté de le résoudre. En attendant, je pense que l'on peut
remarquer dans le Discours de Doigny une sorte de vérité psychologique : le héros nègre passe sans transition par les émotions les plus diverses : la revendication hautaine de sa liberté naturelle et inaliénable :
Tu viens de m'acheter : mais je n'ai pu me vendre.
Dans tes fers, de moi seul tu me verras dépendre (p. 7)
le désespoir d'être à jamais séparé de sa famille, la révolte devant la
violence des Blancs, le rejet indigné du Dieu des civilisés :
[79]
Ton Dieu !... c'est ton complice, il permet tes forfaits (p.
9)
le nihilisme qui appelle l'apocalypse :
Esclaves, oppresseurs, expirons tous ensemble
Que la destruction de ce séjour d'horreur
À tous les malheureux offre un jour de bonheur (p. 9)
la complainte du travailleur forcé et enfin l'appel à la fuite en Pennsylvanie où
Il nous sera permis de sentir qui nous sommes,
Et nous pourrons enfin redevenir des hommes (p. 15).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
113
La valeur littéraire du Discours de Doigny réside précisément dans
ce désordre voulu, dans ces abrupts changements de registre, dans ces
passages brutaux d'un thème à l'autre : incohérence pathétique qui
suggère la perte de la raison sous l'effet du désespoir, et donne ainsi à
l'œuvre une dimension de tragédie.
En 1759, Le Monnier publie son Discours d'un Nègre marron, qui
a été repris, & qui va subir le dernier supplice (s. l., 8 p.), pièce reproduite par Fréron au Tome XXII de L'Année littéraire, et mise en
vers par Nicolas Camus-Daras en 1790. L'esclave Agathon s'adresse
aux Blancs qui vont l'exécuter et aux Noirs auxquels, selon l'usage des
colonies, cette mise à mort doit servir d'exemple. Son crime est d'être
parti marron, après avoir dissuadé ses camarades de massacrer les
Blancs. Agathon se réclame du Dieu des chrétiens, qu'un « vénérable
vieillard » lui a appris à connaître en Afrique, avant l'arrivée des négriers. Il montre les cicatrices qui ont récompensé sa bonne volonté et
ses traits de vertu. Et Le Monnier introduit un thème nouveau : le refus de l'accouplement, par crainte de procréer des enfants esclaves :
Quand mon cadavre sera exposé nu à tous les regards [...]
vous y verrez des incisions que j'ai endurées pour avoir refusé
l'accouplement que vous me proposiez sous le nom de mariage.
Vous me le proposeriez encore, vous mettriez ma vie à ce prix,
je le refuserois ; je le refuserois toujours. [...]
Pourquoi unir mon esclavage à l'esclavage d'une compagne ?
[...] Devois-je doubler une existence que vous me forciez de
maudire ? [...] Un esclave a-t-il des enfans ? Le nom de père
peut-il jamais flatter son cœur ? Non. Il fait des petits, il multiplie le bétail des Blancs ; mais des enfans ! il n'en a point.
(Le MONNIER, Discours.... s. l., 1759, p. 5-6.)
La jeune Africaine qui refuse le « mariage » pour ne pas être mère
d'esclaves se rencontre souvent dans la littérature, et devait exister
également dans la réalité. Le R. P. Du Tertre parle déjà d'une jeune
Négresse de la Guadeloupe qui refusait tous les partis que son maître
lui présentait. Ce dernier finit par la traîner à l'Église pour l'unir à [80]
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
114
un esclave qu'il lui avait choisi. Au lieu de prononcer le oui sacramental,
elle respondit avec une fermeté qui nous étonna, non mon Pere,
je ne veux ny de celuy-la, ny meme d'aucun autre : je me côtente d'estre miserable en ma personne, sans mettre des enfans au
monde, qui seroient peutestre plus malheureux que moy [...] Elle est aussy touiours constamment demeuree dans son estat de
fille, & on l'appelloit ordinairement la Pucelle des Isles.
(J. B. Du TERTRE, Histoire générale des Antilles, vol. II,
1667, p. 505.) 52
Mais, que je sache, Le Monnier est le seul à avoir imaginé un esclave mâle qui choisit l'abstinence volontaire 53. Et son texte est également le seul qui pousse l'analogie esclave-bétail jusqu'à ses conséquences logiques : l'élevage d'hommes. Il semble bien que, ni dans les
possessions françaises ni dans celles des autres pays européens l'élevage systématique d'esclaves n'a été ni pratiqué ni envisagé 54. Chambon écrit, il est vrai :
Si la population des Noirs en Amérique étoit encouragée,
nous n'aurions bientôt plus besoin du secours de la Guinée. [...]
La trop fréquente fuite des Nègres, & les accouchements des
Négresses avant le terme, semblent insinuer qu'ils sont traités
trop durement. Un peu plus de complaisance préviendroit bien
des maux.
52
53
54
Chateaubriand cite ce passage dans Le Génie du Christianisme, livre IV, ch.
VII : « Missions des Antilles ».
Le cas semble pourtant s'être produit : Yvan Debbash cite un document d'archives selon lequel un Nègre est parti marron parce que sa maîtresse voulut
luy faire donner dix coups de fouet ainsi qu'aux nègres et négresses pour ne
vouloir plus faire d'enfans. (« Le Marronnage », L'Année sociologique 1961,
p. 23, note 4.)
Maurice Lengellé affirme le contraire en ce qui concerne le Brésil et les
États-Unis (L'esclavage, 1967, p. 25-26). Les textes qu'il cite me semblent
trop vagues et trop peu nombreux pour emporter conviction.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
115
(Chambon, Traité général du commerce de l'Amérique,
1783, vol. II, p. 240.)
Quelques années auparavant, Jacques Delacroix avait avancé la
même idée :
Si par l'effet d'une sage politique les Cultivateurs adoucissoient le sort de ces malheureux, & les invitoient à la population par la bienfaisance, il en résulteroit un bien immense pour
la Colonie ; les Habitans ne donneroient pas leurs denrées en
échange contre les Noirs que le Commerçant avide leur amène
[...] ; leurs Ateliers se rempliroient d'esclaves forts & robustes,
parcequ'ils auroient pris naissance sur la terre à laquelle la servitude les attache.
(J.-V. DELACROIX, Mémoires d'un Américain, 1771, vol.
II, p. 135.)
Certains planteurs avaient en effet calculé qu'il était plus rentable
de tuer leurs Noirs à la tâche, quitte à les remplacer au fur et à mesure
grâce aux nouveaux arrivages. A la Jamaïque, par exemple, on comptait 40 000 esclaves en 1690 et 340 000 en 1820 ; dans l'intervalle,
[81] on en avait importé 800 000 55. La mortalité était donc presque le
triple de la natalité. Chambon et Delacroix soutiennent qu'on obtiendrait un meilleur rendement en ménageant les Nègres. Ils ont été sincèrement scandalisés par la cruauté des colons, et ont voulu les encourager à traiter plus humainement leurs esclaves. Ayant fait, sans grand
espoir, appel aux sentiments chrétiens, ils avancent l'argument économique, sachant parfaitement que c'est le seul à avoir une chance de
produire quelque effet.
Les voyageurs s'accordent pour signaler que les propriétaires encourageaient ou tout au moins toléraient le libertinage de leurs esclaves ; mais sans doute était-ce plutôt comme dérivatif à la tentation de
déserter et à l'esprit de révolte que pour accroître leur cheptel humain.
Il faudra attendre notre époque de science sans conscience pour voir
55
La Grande encyclopédie, S. A. G. E., sd., Article « Traite des noirs ».
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
116
les théoriciens du Herrenvolk pratiquer l'eugénisme aberrant. Cette
horreur au moins aura été épargnée aux Noirs du Nouveau Monde.
Nos écrivains des Lumières et leurs neveux romantiques ne l'ont imaginée que comme figure de rhétorique ; sancta simplicitas.
Nous avons vu un Nègre s'adresser à un Européen, un Nègre
s'adresser à une foule blanche et noire... quelqu'un a-t-il pensé à composer le discours d'un Noir à ses frères de race pour les pousser à la
révolte ? Une telle harangue se trouve dans l'Oronoko de Laplace, où
le héros vilipende les Blancs :
Vendus, comme des animaux étrangers, ce sont des hommes
qu'on assujettit aux fonctions les plus viles, pour enrichir de misérables vagabonds, forcés, peut-être, de fuir leur patrie, pour
éviter les châtiments dûs à leurs crimes ! Ne les entendez-vous
pas, chaque jour, se reprocher leurs mauvaises actions les uns
aux autres, & s'imputer des traits, qui feroient horreur au Sauvage, le plus féroce ? Continuerons-nous, mes amis, d'obéir à
une race d'hommes si méprisables ? Leur connoissez-vous des
vertus capables de leur donner quelque supériorité sur nous ?
(A. de LAPLACE, Oronoko, 1745, vol. II, p. 76-77.)
Il est intéressant de remarquer le mépris qu'affichent Mrs Behn et
Laplace pour les colons européens, ces misérables vagabonds, cette
race d'hommes si méprisables. Ils ne sont pas les seuls : en étudiant la
population blanche de 1'Ile de France, Bernardin de Saint-Pierre explique que :
La dernière guerre de l'Inde y jeta, comme une écume, des
banqueroutiers, des libertins ruinés, des fripons, des scélérats,
qui, chassés de l'Europe par leurs crimes, et de l'Asie par nos
malheurs, tentèrent d'y rétablir leur fortune sur la ruine publique.
(Voyage à l'Ile de France, in Œuvres complètes, 1818, vol.
I, p. 143-144 [lire éd., 1773].)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
117
[82]
Quant à l'auteur anonyme du roman La Négresse couronnée, il décrit Saint-Domingue comme un pays où :
Tant d'hommes de néant qui firent des fortunes à la hâte ont
des manières tyranniques, et des airs de mépris.
(ANON., La Négresse couronnée, 1787, vol I, p. 19-20.)
Quant on se mit en France à parler de droits de l'homme et d'abolition de la traite, un fossé commença de se creuser entre colons et
« Français de France ». Et comment s'en étonner, puisque :
Les habitants de l'Amérique se sont si bien accoutumés à se
faire servir par des Esclaves, que le seul doute, si l'esclavage
peut être admis dans le Christianisme, & s'il ne répugne point à
la justice & à la liberté que l'homme tient de Dieu, leur paroit
d'un ridicule outré.
(CHAMBON, Traité général du commerce de l'Amérique,
1783, vol. II, p. 145.)
Vers la fin du siècle, surtout après la sanglante révolution de 1791
à Saint-Domingue, les Créoles blancs ne seront plus ainsi condamnés
en bloc. C'est qu'ils auront à leur tour connu le sort des victimes, et
qu'il est malséant d'insulter le malheur. Nous verrons plus loin que là
n'est pas la seule raison de ce revirement d'attitude. D'ailleurs, pour
revenir au texte, Laplace a sensiblement atténué la virulence de l'original anglais où Oroonoko-Caesar déclarait :
We are bought and sold like Apes or Monkeys, to be the
sport of Women, Fools and Cowards ; and the Support of Rogues and Runagades [sic], that have abandoned their own
Countries for Rapine, Murders, Theft and Villanies. Do you not
hear every Day how they upbraid each other with Infamy of Life, below the wildest Salvages ? And shall we render Obedience
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
118
to such a degenerate Race, who have no one human Vertue left,
to distinguish them from the vilest Creatures ? Will you, I say,
suffer the Lash from such Hands 56 ?
(A. BEHN, Oroonoko, 1722, p. 173-174 [1re éd., 1688].)
Laplace traduisait en 1745 et la violence indignée de Mrs Behn aurait choqué les lecteurs français qui ne semblaient pas avoir une idée
très nette des réalités de la vie quotidienne aux Antilles. Vingt-cinq ou
trente ans plus tard, la prise de conscience était en train de se faire.
Une traduction plus fidèle aurait été possible et n'aurait pas [83] détonné à côté des vers de Doigny ou de la prose de Le Monnier. Déjà
en 1735, l'abbé Prévost avait publié dans le numéro XC de Le Pour et
contre, le discours de Moses Bom-Saam, Chef des Negres révoltés de
la Jamaïque. Moses Bom Saam a été émancipé pour bons et loyaux
services. Mais, ému par la souffrance de ses frères esclaves, il n'hésite
pas à se mettre à leur tête dix ans plus tard lorsqu'ils se soulèvent. Les
marrons vont fonder une république dans les mornes de la Jamaïque.
Moses – convaincu que son nom biblique est un signe d'élection – les
exhorte à la lutte, et surtout à la sagesse politique une fois hors de portée de l'ennemi. Cultivez ces terres arides, leur conseille-t-il, élevez
des bestiaux, enrichissez-vous et un jour les Blancs renonceront à
l'idée de vous ramener à l'esclavage. Ils préfèreront vous traiter en
hommes libres, car à négocier avec vous ils trouveront leur compte.
Une fois de plus, Prévost ne s'engage pas. Il se borne à donner le Discours pour un exemple de ces œuvres difficiles à classer car l'on ne
sait si elles appartiennent à l'histoire ou à la fiction. Le Discours est
56
Je traduis en restant aussi fidèle que possible au texte :
On nous achète et on nous vend comme des macaques ou de grands singes, pour amuser les femmes, les imbéciles, ou les poltrons, ou pour faire
vivre les coquins et les renégats qui ont abandonné leur patrie afin de piller,
d'assassiner, de voler et de débaucher. Ne les entendez-vous pas chaque jour
se reprocher les uns aux autres la vie infâme qu'ils mènent vie indigne des
plus sauvages barbares ? Et prêterons-nous obéissance à une race aussi dégénérée, qui n'a plus une seule vertu humaine pour la distinguer des plus viles créatures ? Allez-vous tolérer, je vous le demande, d'être fouettés par de
telles mains ?
Si l'on veut bien comparer ma version à celle de Laplace (vide supra p.
81) on verra combien ce dernier a adouci l'original.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
119
certes intéressant, puisque Moses Bom-Saam revendique fièrement sa
négritude :
Quel avantage croyent-ils tirer de leur fade & dégoûtante
blancheur, sur la couleur noble et majestueuse que nous avons
reçue de la nature ?
(A. F. PRÉVOST, Le Pour et le Contre, vol. VI, 1735, p.
343.)
Viennent ensuite la dénonciation de l'esclavage, contraire à la loi
naturelle, la description des tortures quotidiennement subies, l'appel à
la révolte et surtout l'exhortation au travail, seul base de la richesse et
de la liberté.
Il faut signaler que ces deux déclarations subversives, le discours
du Moïse de la Jamaïque et celui du César de Surinam, sont des traductions. Prévost ne cite pas ses sources, mais David B. Davis mentionne le texte original, qui parut en 1735 dans le Gentlemans Magazine de Londres 57. Bien moins que Laplace, il est vrai Prévost modère
néanmoins la violence du texte qu'il traduit. Un exemple : Moses
Bom-Saam exhorte ses frères de race à prendre conscience de leur
beauté, à ne pas craindre de se comparer aux Blancs du point de vue
esthétique :
Consider your Shape, your Strength, and your Movement !
All easier, firmer and more graceful 58.
Ce qui donne chez Prévost :
57
58
p. 113 : David BRION DAVIS, The Problem of Slavery in Western Culture,
Ithaca, Cornell'Univ. Press, 1966, p. 478-479. En réalité, le texte du Gentleman's Magazine est lui-même tiré verbatim du Prompter du 10 janvier 1735.
Considérez votre tournure, votre force et votre grâce ! Elles sont plus agréables, plus fermes et plus harmonieuses.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
120
Considérez vos tailles, & vos forces. En quoi vous surpassent-ils ?
[84]
Tandis que l'Anglais proclame la supériorité des Noirs, Prévost,
plus prudent, se borne à mettre en doute la supériorité des Blancs.
Ce premier en date des Discours anti-esclavagistes publiés en langue française est tout à fait intéressant, et l'on aurait aimé savoir s'il
impressionna les contemporains et s'il inspira d'autres ouvrages. Je ne
pense pas que ç'ait été le cas autour de 1735. Le problème de l'esclavage, s'il commençait à inquiéter sérieusement l'opinion publique anglaise, n'intéressait pas encore les Français à l'époque de Louis XV.
Peut-être, comme le suggère Jameson :
Ce document peut marquer le commencement de l'infiltration de la pensée des abolitionnistes anglais qui était destinée à
exercer une influence énorme en France.
(R. P. JAMESON, Montesquieu et l'esclavage, 1911, p.
212.)
mais, en l'absence de preuves, cela n'est que conjecture. On peut également penser que cette harangue, qui tient à la fois du prêche méthodiste et de l'apologie de la libre entreprise a dû dérouter les lecteurs
français, habitués à de plus nobles envolées rhétoriques. Le texte de
Prévost trouvera néanmoins place dans le Nouveau choix de pièces
tirées des anciens Mercures (Tome 54, 1761, p. 75-92), une trentaine
d'années plus tard, alors précisément que les idées antiesclavagistes et
les théories de libéralisme économique commencent à travailler l'opinion publique et donnent au discours de Moses Bom-Saam un nouvel
à-propos.
Certains abolitionnistes prétendent que l'esclavage est économiquement néfaste pour la Métropole. Il serait bien plus rentable, selon
eux, d'émanciper les esclaves et de leur payer des gages, afin de mettre leur nouveau pouvoir d'achat aux services des manufactures. C'est
ce qu'explique le philanthropique et astucieux Sir Bevil à son ami Sir
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
121
Darnley, planteur à la Jamaïque, dans le roman Lettres africaines, de
J.-F. Butini. Et de préciser combien l'industrie textile profiterait de
l'émancipation :
Observez, et cette remarque serait plus frappante peut-être,
si vous étiez Français, observez que les passions des Nègres
concourent à l'utilité de ces projets : la parure est leur goût dominant, et une belle étoffe est un aimant qui les conduit où l'on
veut. Par conséquent la paye, la rétribution qu'ils recevraient de
leurs maîtres, serait destinée à l'achat des étoffes, des modes et
des manufactures de la Métropole, et irait assez rapidement enfler les trésors du Souverain.
(J.-F. BUTINI, Lettres africaines, 1771, p. 158-159.)
Mais ce raisonnement ne semble pas avoir convaincu grand monde. Sûrement pas les planteurs, qui ont toujours postulé qu'en matière
d'esclavage la moindre modification du statu quo entraînerait à brève
échéance la ruine certaine des colonies et la décadence rapide [85] de
la Métropole. Le commun des lecteurs ne devait pas se passionner
pour ces discussions arides, préférant le pathétique des inventions romanesques. Butini est en tous cas le seul à ma connaissance qui ait
avancé cet argument économique, et encore l'a-t-il mis dans la bouche
d'un Anglais qui cherche à résoudre le problème de la Jamaïque.
Dans son roman Le Philosophe nègre, publié en 1764, Gabriel
Mailhol essaye de répondre à ses confrères abolitionnistes. Toujours à
propos des rapports entre l'économie et l'esclavage, on trouve sous sa
plume un texte surprenant. Il s'agit une fois de plus d'un discours, prononcé par un Noir peu banal en l'occurrence, puisqu'il accepte, ou tout
du moins explique et justifie l'esclavage dont il est lui-même la victime. Comme il se doit pour un héros africain, Tintillo est le fils de
Mauritan, roi des Mitombos. Le Français Bellefont, prisonnier de
guerre et ancien conseiller de son ennemi Felipe, roi de Bouré, lui apprend la langue de Racine et l'initie à la culture occidentale. Mais un
jour Bellefont est tué dans une embuscade et Tintillo vendu à un négrier qui l'emmène à la Martinique. Pendant la traversée, les mauvais
traitements et les suicides par désespoir réduisent le nombre des dé-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
122
portés de quatre cents à cent quatre-vingt-neuf. Tintillo est acheté par
un bon maître, employé à la bibliothèque municipale. Il participe à
une chasse aux nègres marrons, et lorsque ces derniers capturent et
menacent de tuer le Blanc, Tintillo les harangue : il comprend qu'ils
aient pris le maquis, il conçoit même qu'ils se défendent contre leurs
anciens maîtres
mais n'avons-nous pas été pris en Afrique après quelque bataille
perdue ? Le vainqueur, suivant l'usage, avoit le droit de nous
égorger. En nous laissant la vie, il nous a fait une grâce que
nous avons pu refuser. Il a enfin vendu notre liberté à des
Blancs ; & nous y avons tous consenti, puisque nous vivons encore. Les Blancs devenus nos Maîtres, & qui peut-être ont sacrifié une partie de leur bien pour ne pas travailler eux-mêmes,
ont exigé que par nos travaux nous leur rapportassions l'intérêt
de ce que nous avons coûté. Ceux de nous qui ont refusé de
remplir en partie cette condition, se sont rendus, je crois, coupables d'une espèce de vol. On les en a punis sans doute : au
fond rien de plus naturel. Il y a dans tous les états des devoirs à
remplir, & j'ai toujours vu qu'on risquoit beaucoup plus en voulant s'en affranchir, qu'en les remplissant.
(G. MAILHOL, Le Philosophe nègre, 1764, vol. II, p. 6768.)
Rentrant en France avec son maître, ce Quisling de Tintillo fait
naufrage en vue des côtes. Il débarque à Biarritz, s'engage dans les
houssards et donne des exemples de vertu à ses camarades : notre soldat-philosophe s'abstient de piller et de violer, démontrant ainsi que la
race noire est perfectible et qu'à condition d'avoir reçu une bonne éducation, les Noirs ne sont pas nécessairement obligés de rester des inférieurs. Certains sont même capables de la plus touchante [86] sensibilité. C'est du moins ce qu'a voulu démontrer l'anonyme auteur de
Mourat et Iglou, ou Indamena, anecdote tirée des Mémoires sur l'Isle
de Saint-Christophe et publiée dans la Bibliothèque universelle des
romans en avril 1782. L'histoire est simple : Mourat et Iglou sont deux
esclaves unis par la plus solide amitié. Ils tombent tous deux amoureux de leur compatriote Indamena, jeune fille très belle à la couleur
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
123
près (p. 116). Aucun des deux amis ne peut se résoudre à choisir entre
l'amour et l'amitié. Ils préfèrent tuer Indamena et se suicider ensuite
sur son cadavre. L'anecdote avait déjà été contée par Addison dans le
Spectator du 6 novembre 1711, et par l'abbé Raynal dans l'Histoire...
des deux Indes en 1770. Les personnages n'ont certes rien de bien caractéristiquement nègre, mais c'est probablement chez Addison que
Prévost a trouvé le nom d'Iglou, l'esclave négro-indien de Cleveland.
Dans un conte intitulé Ziméo, le poète Saint-Lambert présente un
personnage quelque peu plus complexe. L'action se passe à la Jamaïque. Ziméo, fils d'un roi du Bénin, s'est mis à la tête des esclaves marrons qui ravagent l'île :
Le jour de la vengeance est arrivé pour les noirs. Les blancs
qui les avoient opprimés avec le plus de dureté, baisent avec
bassesse les pieds de leurs esclaves, dont les fers sont rompus,
& n'en obtiennent point de pardon.
(J.-F. de SAINT-LAMBERT, Ziméo, in Ephémérides du citoyen, 1771, vol. VI, p. 183. [1re éd., 1769].)
Mais Ziméo n'a rien du monstre primitif, c'est
un jeune homme de vingt-deux ans : les statues de l'Apollon &
de l'Antinoüs n'ont pas des traits plus réguliers & de plus belle
proportion (idem, p. 187).
Il épargne le colon Wilmouth, qui s'est toujours montré bon et généreux envers ses esclaves, et pour se justifier lui explique que
Vos hommes blancs n'ont qu'une demi-âme ; ils ne savent ni
aimer, ni haïr, ils n'ont de passion que pour l'or ; nous les avons
toutes, & toutes sont extrêmes. [...] Le nègre, né pour aimer,
quand il est forcé de haïr, devient un tigre, un léopard, & je le
suis devenu (idem, p. 191).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
124
On croirait avoir à faire à un héros d'Eugène Sue ou de Pétrus Borel. Quoi qu'il en soit, Ziméo raconte son histoire, où se retrouvent les
épisodes devenus traditionnels depuis la parution d'Oronoko : jeunesse
heureuse et laborieuse dans le paradis africain, amours chastes avec la
belle Ellaroé, perfidie des Portugais qui invitent les indigènes à bord
de leur bateau et les font prisonniers, séparation déchirante des amants
vendus à des maîtres différents, etc. Inutile de dire que Ziméo retrouve Ellaroé et son père sur la plantation de Wilmouth. Ellaroé a mis
entre-temps au monde le fils de Ziméo, conçu on ne comprend pas
très bien à quelle occasion. Ils repartent [87] pour les montagnes, et
les vertueux colons promettent de leur rendre visite aussitôt que l'armistice entre les Anglais et les marrons aura été signé. La moralité de
la fable est clairement, exposée : si les colons se conduisaient tous
comme Wilmouth, des hommes comme Ziméo ne seraient pas poussés
à la révolte. Ils se feraient une raison et travailleraient sans protester à
accroître la fortune de leurs maîtres. La philanthropie et l'intérêt se
trouveraient ainsi heureusement conciliés. Bref, l'esclavage en tant
qu'institution serait presque acceptable, si les planteurs étaient plus
bienveillants et les négriers moins cruels. Ceux de Ziméo avaient dépassé toute mesure puisque, venant à manquer de provisions, ils n'hésitent pas à faire égorger deux jeunes négresses pour nourrir les autres (idem, p. 200). Pathos qui fait sourire ? Des cas semblables de
cannibalisme se sont réellement produits à bords de négriers.
Mentionnons pour mémoire quelques autres romans « nègres »
d'avant la Révolution. En 1787, un anonyme publie La Négresse couronnée, roman picaresque, anticlérical et polisson, qui ne tire guère à
conséquence ; c'est une bluette sans prétentions et beaucoup trop longue. L'auteur l'a fait précéder d'une Épître dédicatoire aux Nègres à
moitié bouffonne :
Messieurs ou Messeigneurs, (comme il vous plaira) l'Héroïne qui fait le sujet de cet Ouvrage était noire comme vous ; et
parce que vous n'êtes pas blancs, il seroit bien singulier qu'on
ne put vous dédier un livre. [...] J'entends la fatuité qui murmure, elle qui vous regarde comme des retailles de l'humanité ;
mais que peuvent les plaintes de l'orgueil contre le langage de la
raison ? Vous êtes des hommes. Quel beau titre pour avoir part
à notre estime !
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
125
Aussi devez-vous être assurés que je suis avec autant de
considération que si vous étiez blancs comme des cygnes, votre
très-humble et très-dévoué serviteur.
(Anon., La Négresse couronnée, 1787, p. i.)
Deux ans plus tard, en 1789, paraissait Le Nègre comme il y a peu
de Blancs, roman de Joseph Lavallée qui eut un certain succès et fut
même adapté pour la scène et joué à l'Ambigu-Comique le 4 août 59.
[88] La préface de Lavallée constitue une sorte de profession de foi
sous forme de plaidoyer en faveur des Noirs. Pendant quelques années, ce genre de préface justificative sera pratiquement de rigueur en
tête des œuvres qui prennent des Nègres pour héros. On peut se demander dans quelle mesure les écrivains s'engageaient généreusement
en montrant dans leurs fictions l'enfer esclavagiste et la vertu des victimes, et dans quelle mesure ils profitaient d'un enthousiasme général
et éphémère pour les droits de l'homme, d'un attendrissement platonique pour les peuples opprimés. Un peu des deux, probablement, et il
faut tenir compte de ses bonnes intentions à Lavallée qui écrivait :
59
p. 118 : Cette pièce, en un acte et en prose, ne semble pas avoir été publiée.
Elle est signalée par Clarence D. BRENNER dans A Bibliographical List of
Plays in the French Language, 1700-1789, Berkeley, 1947, au numéro
1889. Le roman de Lavallée fut également republié dans la Nouvelle bibliothèque universelle des romans, Tome XVI, 30 prairial an VII. J. M. Chénier
en parle clans son Tableau de la littérature française depuis 1789, pp. 239240. Notre critique, comme c'est souvent le cas, évite de juger et se réfugie
dans un aimable badinage :
Le nègre comme il y a peu de blancs, roman de M. de Lavallée, offre
une action plus étendue et des personnages plus intéressants [que ceux de
« Primrose », par M. Morel de Vindé] : Itanako, par exemple, et la jeune
Amélie, parmi les noirs ; parmi les blancs, Germance et son amante Honorine. L'auteur semble persuadé qu'il est possible à un nègre d'avoir des vertus,
et que l'esclavage des noirs n'est pas tout à fait de droit divin. Ces deux opinions, propagées dans le dernier siècle, sont maintenant réfutées sans cesse
en des journaux qui seront peut-être immortels : il convient d'observer entre
eux et la raison une neutralité prudente, mais sans négliger de rendre justice
au talent et aux intentions philantropiques de M . de Lavallée.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
126
Je me suis donc chargé de faire aimer les Noirs […] Si l'on
me reproche de n'avoir écrit qu'un roman, je répondrai : les actions de mon Héros sont les traits détachés de la vie de différents Nègres [...] Ce n'est donc pas précisément un roman ; c'est
l'histoire d'un caractère national [...] cet homme a des vertus, et
il est aimable ; si ces vertus ne sont autres que celles de sa nation, on doit la respecter.
(J. LAVALLÉE, Le Nègre comme il y a peu de Blancs,
1789, vol. I, p. XIII-XIV.)
Le roman lui-même est l'histoire d'Itanako, de ses amours africaines, de son esclavage antillais, de son voyage en France et enfin de
son retour en Afrique. Itanako est l'incarnation de toutes les vertus, le
saint laïque incapable du moindre péché véniel. L'intrigue est d'une
telle complication, les péripéties se succèdent à un rythme tel qu'il est
presque impossible d'en faire le résumé. Remarquons simplement
qu'Amélie, la bien-aimée d'Itanako, fille d'un naufragé nantais, est
donc mulâtresse. Détail qui n'est pas entièrement sans importance : le
lecteur français croit plus facilement à la beauté d'une sang-mêlé qu'à
celle d'une Négresse. Et Lavallée a brossé un tableau particulièrement
réaliste de la vie à bord d'un vaisseau négrier.
Toujours en 1789, il faut mentionner de Lecointe-Marsillac Le More-Lack, histoire d'un Mulâtre affranchi par son maître à l'âge de trente ans, et dont la pigmentation est si claire qu'il pourrait passer pour un
Blanc. Gustave de Beaumont dans Marie (1835), Mme Charles Reybaud dans Les Épaves (1839), Alexandre Dumas dans Georges
(1848) prendront eux aussi pour héros ces personnages tragiques qui
n'ont de Nègre qu'un lointain ancêtre et qui, méprisés par les Blancs,
sont haïs des Noirs et méconnus des Mulâtres.
Juste avant la Révolution, nous retrouvons Makandal, protagoniste
de l'Histoire véritable qui porte son nom dans le Mercure de France
du 15 septembre 1787. Plus d'un quart de siècle s'est écoulé depuis sa
mort, et Makandal est entré dans la légende. Comme Oronoko, [89]
comme Itanako, comme Tintillo, Makandal est issu d'une famille distinguée :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
127
Il étoit sans doute d'un rang assez illustre dans sa patrie,
puisqu'il avoit reçu une éducation bien plus soignée que celle
qu'on donne ordinairement aux Nègres.
(M. de C..., « Histoire véritable », Mercure de France, 15
sept. 1787, p. 102.)
Effectivement, non seulement Makandal sait-il lire et écrire l'arabe,
mais il connaît la musique, la peinture, la sculpture et surtout la médecine. C'est l'homme de confiance, chargé de veiller à la santé des esclaves... et même de soigner la famille du maître. Makandal est très
porté sur les plaisirs de l'amour ; il désire une esclave que son maître
convoite également. La jeune fille donne la préférence à son compatriote. Le maître jaloux persécute Makandal et lui inflige sans motif
cinquante coups de fouet. Sur ce Makandal :
Jeta fièrement les instruments du labourage aux pieds de son
rival & lui dit que son ordre barbare était le signal de sa liberté
(idem, p. 105).
Il restera douze ans fugitif et, secondé par ses lieutenants Teyfello
et Mayombé, fera régner la terreur sur toutes les plantations de la région grâce à sa connaissance des poisons qu'il fait administrer par ses
partisans. L'un d'eux, le Sénégalais Zami, âgé d'environ dix-huit ans et
beau comme l'Apollon du Belveder, tombe amoureux de labelle Samba qui
allioit le regard le plus tendre & le plus voluptueux à la timide
modestie. Sa taille étoit élégante, souple, & semblable à ces roseaux flexibles que balancent les vents. Des étincelles s'échappoient à travers ses longues paupières à demi voilées. Ses dents
effaçoient la blancheur de la neige, & son teint, aussi noir que
l'ébène, donnoit un air plus piquant à sa rare beauté (idem, p.
109).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
128
Hélas, Makandal avait été éconduit par Samba. Il ordonne à Zami
de la tuer et, lorsque ce dernier refuse, Makandal s'arrange pour faire
empoisonner la jeune femme. Zami dénonce son chef, assiste à son
supplice et, une fois vengé, se suicide. Inutile de dire que tout cela est
pure fabulation. La véritable histoire de Makandal est rapportée par
Moreau de Saint-Méry dans sa Description de la partie française de
l'isle Saint-Domingue (1958, vol. II, p. 629-631, [1re éd., 1797].) Pour
en finir avec Makandal, signalons que l'Histoire véritable sera reproduite en 1813 avec quelques modifications de détail, dans le 20e volume des Annales du crime (p. 58-81), et que, dans ses Voyages d'un
naturaliste, Michel Étienne Descourtilz avait déjà signalé que :
Le roi d'Urba entretient à sa cour une réunion de magiciens
qu'on appelle assez généralement en Guinée Makendals.
(M. E. DESCOURTILZ, Voyages d'un naturaliste, 1809,
vol. III, p. 128.)
[90]
Et dans une note en bas de page, Descourtilz explique l'origine du
nom :
Nom d'un nègre empoisonneur qui commit à SaintDomingue des forfaits atroces ; ennemi des blancs, il avait juré
d'en éteindre la race. Ce second Cartouche fascinoit les yeux
des nègres, qui le regardoient comme un prodige ; il fut pris
plusieurs fois, et trompa la surveillance de ses gardiens, ainsi
qu'il l'avoit prédit : enfin il fut brûlé vif, en annonçant qu'il
s'échapperoit encore des flammes, sous la forme d'une mouche,
ce que les nègres croyent encore aujourd'hui (idem, ibidem).
Comment le nom d'un esclave antillais est passé dans le vocabulaire d'une tribu guinéenne, c'est ce que l'auteur n'explique pas. Quoi
qu'il en soit, Makandal est déjà un de ces pittoresques bandits dont les
écrivains romantiques peupleront les pays chauds, Espagne, Italie, Illyrie, etc. Il se met hors-la-loi par dignité humaine, il exerce sur ses
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
129
contemporains une fascination faite de peur et d'admiration ; il abuse
de ses pouvoirs, il est trahi par les siens et livré à la « justice ». Fou
criminel ou patriote avant la lettre, Makandal était au moins un homme : contrairement à la grande majorité des Noirs littéraires, il ne se
contente pas de subir son destin, il le forge.
Après le révolté sanguinaire, les bucoliques serviteurs pleins de zèle et d’affection : Domingue le Yolof et Marie la Malgache de Paul et
Virginie. Personnages secondaires et rassurants qui tout comme Fidèle, le chien de la maison, ne survivent pas longtemps à leurs maîtres.
Étant donné le grand succès du roman, et le fait que Bernardin
connaissait les Antilles et 1'Ile de France (aujourd'hui île Maurice) ses
personnages servaient, objectivement parlant, de dédouanement à l'esclavage. Non pas que Bernardin ait été insensible à la pitié, bien au
contraire ; l'épisode de la Négresse marronne en fait foi :
Elle était décharnée comme un squelette, et n'avait pour vêtement qu'un lambeau de serpillère autour des reins. [...] [Elle
montra à Virginie] son corps sillonné de cicatrices profondes
par les coups de fouet qu'elle en avait reçus.
(B. de SAINT-PIERRE, Paul et Virginie, 1964, p. 96 [1re
éd., 1788].)
Paul et Virginie donnent à la pauvre femme les provisions de leur
pique-nique et... la ramènent à son maître. On comprend donc mal
pourquoi leur conduite provoque l'admiration et la reconnaissance
d'une troupe de Nègres marrons, dont le chef leur déclare :
Bons petits blancs, n'ayez pas peur ; nous vous avons vus
passer ce matin avec une négresse de la Rivière-noire ; vous alliez demander sa grâce à son mauvais maître : en reconnaissance nous vous reporterons chez vous sur nos épaules (p. 106).
Dans son Voyage à l'Île de France, Bernardin avait dit toute son
horreur pour la façon dont les Noirs y étaient traités. Il décrit longue-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
130
ment [91] les abus dont ils sont victimes et la cruauté des tortures
qu'on leur inflige :
Ma plume se lasse d'écrire ces horreurs, mes yeux sont fatigués de les voir et mes oreilles de les entendre.
(B. de SAINT-PIERRE, Voyage à l'Ile de France, Œuvres
complètes, 1818, Vol. 1, p. 159 [1re éd., 1773].)
Ce qui prouve qu'il n'était pas sadique, mais pas grand-chose d'autre, puisqu'à la lettre XXIII du même Voyage, il écrit :
Pline [....] remarque que les animaux sont plus imbécilles à
proportion que leur sang est plus gras. [...] J'ai remarqué en effet sur des noirs blessés que leur sang se caillait trèspromptement. J'attribuerais volontiers à cette cause la supériorité des blancs sur les noirs (idem, II, p. 50).
La chose est claire : Bernardin est choqué moins par l'esclavage en
soi que par les abus dont il s'accompagne ; ce qu'il réclame avant tout,
c'est la suppression du fouet et l'amélioration de l'ordinaire. Il est en
somme d'accord avec l'abbé Raynal qui, après avoir signalé la peu banale humanité des Anglais dans leur colonie de Nièves, écrivait :
Peut-être ceux qui s'affligent le plus de la servitude des Africains, seroient-ils un peu consolés, si les Européens étoient partout aussi humains que les Anglois l'ont été à Nieves ; si les
isles du Nouveau-Monde étoient aussi-bien cultivées à proportion...
(G.-T. RAYNAL, Histoire... des deux Indes, 1781, vol. VII,
p. 250, [1re éd., 1770].)
Les esclavagistes vont prétendre, sous la Restauration, et la Monarchie de juillet, que les abus appartiennent au passé, que les rapports
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
131
entre esclaves et colons sont désormais ceux de Domingue et Marie
avec leurs maîtres, que l'esclavage est en somme la meilleure chance
de bonheur et la seule voie de promotion sociale pour les Noirs (à
condition bien sûr d'échoir à un bon propriétaire et d'y mettre du sien).
Domingue et Marie sont des personnages que les lecteurs blancs vont,
afin de se donner bonne conscience, élever au rang d'archétypes. Que
ce ne soit pas là ce que Bernardin ait voulu prouver, j'en suis persuadé. Mais qu'en s'attendrissant sur les rapports touchants qui s'établissent entre bons maîtres et bons esclaves les lecteurs français évitaient
de faire face au vrai problème me semble tout aussi évident. Les adaptations théâtrales de Paul et Virginie vont peut-être illuminer le texte
du roman : Edmond-François de Favières en tira une comédie en trois
actes et en prose, jouée le 15 janvier 1791 par les Comédiens Italiens.
Ce n'est plus une Négresse mais le Nègre Zabi que les enfants secourent Il ne fuit pas les mauvais traitements, mais la séparation d'avec sa
famille : son maître Dorval l'a vendu à M. de la Bourdonnais, le gouverneur de l'île, qui s'embarque pour [92] la France sur le même bateau que Virginie, en emportant l'esclave. C'est en sortant de la rade
que le bateau fait naufrage. Virginie est sauvée grâce aux efforts
conjugués de Paul et de Zabi. En récompense de son héroïsme, le
gouverneur donne au Noir la liberté et sa bourse. La pièce est inepte,
mais du point de vue qui est le nôtre, Favières a mieux compris le
problème que Bernardin de Saint-Pierre : les mauvais traitements sont
une conséquence, dramatique certes, de l'esclavage, mais c'est par
l'absence de liberté et le manque total de puissance économique qu'il
se définit. Ce que l'esclave réclame, ce n'est ni les bonnes paroles ni
les bons sentiments, mais l'émancipation légale et l'indépendance matérielle.
Dans une autre adaptation de Paul et Virginie, celle de Boulé et
Cormon, en 1841, les jeunes gens sauvent et rachètent la vieille marronne Zizine au marquis, mauvais maître qui bat ses esclaves. Mais il
n'y a là aucune condamnation du principe de l'esclavage : Paul se déclare tout prêt à s'en aller vendre une pacotille aux Indes, afin d'acheter quelques Noirs qui lui permettront de faire fortune. Il ne ferait en
cela qu'imiter feu son beau-père éventuel, puisque le père de Virginie
était mort à Madagascar, où il était allé
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
132
dans l'espérance d'y acheter quelques noirs, et de revenir promtement […] former une habitation. (Paul et Virginie, éd. cit., p.
81.)
Le personnage comique de la pièce est Martial, le domestique parisien du marquis ; il apprend que Domingue et Marie ne sont astreints
qu'à trois heures de travail par jour :
– « Comment, fainéans que vous êtes, vous ne travaillez que
trois heures par jour... et vous avez l'audace de vous plaindre !...
Mais qu'est-ce que je dirai donc, moi, moi être civilisé, être libre, doué d'intelligence et d'une peau blanche ?... [...] Mais je
renie ma couleur, je veux devenir nègre, métis, albinos ou mérinos, je m'en fiche !...
(A. BOULÉ et P. E. CORMON, Paul et Virginie, 1841, acte
I, s. iii.)
On voit fonctionner le mécanisme de la mauvaise foi : sauf rares
exceptions les esclaves noirs passent leur vie dans l'indolence et sont
mieux traités par leurs maîtres que les prolétaires blancs par leurs patrons. En somme, ils ont bien de la chance. Cet argument se retrouve
ad nauseam, mais il est significatif de le voir avancer dans le contexte
de Paul et Virginie.
En 1806, Paul et Virginie fournit le sujet de deux pantomimes en
trois actes, où l'on retrouve bien entendu les personnages noirs. L'œuvre de Pierre Gardel, représentée à Saint-Cloud le 12 juin, est calquée
sur la comédie de Favières. Virginie n'aura pas moins de trois sauveurs : Paul, Zabi et Domingo [sic]. Celle de Pierre Aumer jouée à la
Porte Saint-Martin le 28 du même mois, est intitulée Les Deux Créoles, et Paul et Virginie sont re-baptisés Théodore et Zoé ; [93] ils sauvent une Négresse et son enfant. Voilà au moins une esclave reconnaissante des bontés de nos jeunes héros, puisqu'elle
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
133
baise les pieds de ses bienfaiteurs, et leur donne toutes sortes de
bénédictions. [...] Théodore et Zoé jouissent du bonheur de soulager cette pauvre femme ; ils sont attendris.
(P. AUMER, Les Deux Créoles, 1806, acte I, se. iv.)
Comme on les comprend.
Toujours de Bernardin de Saint-Pierre, Empsael et Zoraïde est
pour nous bien plus intéressant que Paul et Virginie. C'est une sorte de
pièce ou plutôt de roman dialogué, publié pour la première fois dans
l'édition de 1818 des Œuvres complètes. Fernand Maury en donne le
résumé suivant :
Empsael, corsaire redoutable et premier ministre de Muley
Ismael, roi du Maroc, est un noir. Jadis heureux dans la Guinée,
sa patrie, il a été traîtreusement enlevé à ses parents par des Européens, cupides chercheurs d'or, à qui sa famille avait donné
l'hospitalité. Son père mort les armes à la main, sa mère tuée
par la douleur, son frère séparé de lui et réduit en esclavage, luimême vendu tour à tour à des hommes de diverse race, mais
maltraité surtout par son maître de Saint-Domingue, Don Ozorio, il est enfin devenu libre, à force de patience et d'énergie, et
il ne vit plus que pour se venger. Il croise en chaque parage de
la Méditerranée, combat tout pavillon, et ses exploits répandent
la terreur en Europe, comme la prospérité dans les États de son
souverain. Mais, aussi insatiable d'amour que d'abordages, ce
loup de mer est épris d'une de ses prisonnières, la Française Zoraïde. Il lui a fait bâtir, au pied du mont Atlas, une chaumière où
elle emploie son crédit à des fins d'inaltérable charité, secourt et
console les captifs de son époux, avec la complicité de femmes
de toute nationalité, prises sur des navires vaincus et devenues
ses propres servantes. Pour soulager les malheureux, elle vend
les bijoux que lui donne Empsael ; elle traite avec des juifs, accueille des missionnaires européens. Elle s'apitoie principalement sur un vieil Espagnol et son compagnon d'infortune, un
nègre, autrefois son esclave, maintenant son ami par reconnaissance d'anciens bons traitements. Celui-ci porte les fardeaux
dont on accable le vieillard, et tous deux cherchent à s'enfuir.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
134
Longtemps errants autour de ruines appelées la Ville des Lions,
traqués par des gardiens, ils tournent en cercle dans un pays inconnu, et reviennent, après de longs circuits, auprès de la demeure de Zoraïde. Ils comparaissent devant Empsael, qui, découvrant que le vieillard est son premier maître, veut le torturer
et le tuer, mais cède enfin aux prières de sa femme et à celles du
jeune noir, dans lequel il reconnaît son frère Almiri.
(F. MAURY, Étude sur la vie et les œuvres de Bernardin de
Saint-Pierre, 1892, p. 521.)
De tous les livres que j'ai été amené à lire pour la préparation de
cette étude, Empsael et Zoraïde est le plus curieux. Je m'étonne qu'il
n'ait pas été republié depuis l'édition médiocre donnée par Marcel
Souriau (Caen, 1905). Les données sont astucieuses : par un renversement de la situation habituelle, ce sont des Blancs qui sont esclaves
[94] des Nègres. Tous les arguments racistes traditionnels, placés dans
la bouche des Noirs, se retournent contre les Blancs avec une ironie
dévastatrice. Technique d'un comique éprouvé, mais toujours efficace.
La nudité des Africains, ou tout du moins la simplicité de leur costume a été avancée comme preuve de leur infériorité. Le Noir Annibal
explique qu'en voyant des Blancs :
J'ai quelquefois bien ri en les voyant débarquer de leur pays.
Il y en avait qui avaient sur leur tète de grands paquets de cheveux qui n'étaient pas à eux ; ils les avaient couverts de graisse
de porc, de farine, et d'une coiffure noire à trois cornes. Un
jour, j'en ai dépouillé un dans un vaisseau que nous prîmes ; je
trouvai dans son habillement, de la tête au pieds, vingt-sept pièces différentes, cinquante-deux boutons, six boucles, et dix poches remplies d'une multitude de choses dont ils ne sauraient se
passer. Ils sont obligés, le matin, de se revêtir de tout cet attirail, et de s'en dépouiller le soir. Les noirs, au contraire, avec
une pièce d'étoffe autour des reins, une lance à la main, et un
cimeterre au côté, sont prêts à tout, en paix comme en guerre :
en vérité, les blancs sont faits pour les servir.
(B. de SAINT-PIERRE, Empsael et Zoraïde, Œuvres complètes, 1818, vol. 12, p. 338-339.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
135
Les colons avançaient comme argument que l'abolition de la traite
causerait la ruine immédiate du Cap, de Fort-de-France, de Pointe-àPitre. Le Juif Jacob transpose le postulat :
La morale peut être bonne pour des particuliers ; mais elle
ne vaut rien en politique. Est-ce que l'Afrique pourrait se soutenir sans esclaves européens ? Il faudrait donc qu'Alger, Tunis,
Tétuan, Salé et tant d'autres villes florissantes mourussent de
faim (idem, p. 344).
On pourrait accumuler les exemples. Bornons-nous pour l'instant à
remarquer qu'un Nègre est amoureux d'une esclave blanche (laquelle,
pour comble d'ironie, porte un nom qui commence par Z). Annibal et
son camarade Balabou commentent la chose :
Balabou : Il ne faut pas mépriser Zoraïde parce qu'elle est
blanche : Dieu lui a donné une âme comme à moi et à toi.
Annibal : Je ne la méprise pas... [mais] comment peut-il
avoir eu si peu de goût ? on voit bien des blancs devenir amoureux de noires, mais bien peu de noirs aimer des blanches
(idem, p. 337-338).
Et si les personnages africains s'étonnent de voir Empsaël aimer
Zoraïde, c'est l'amour de Zoraïde pour Empsaël qui a dû paraître surprenant aux lecteurs. Nous avons bien rencontré un autre mariage
mixte, dans les Lettres africaines de Butini : Phédima résiste aux
avances de son maître qui s'en étonne, le goujat :
Vous êtes femme, esclave et Africaine ; je vous jugeais
d'après vos compagnes, qui cèdent aussitôt qu'on les attaque et
qui n'en rougissent pas.
(J.-F. BUTINI, Lettres africaines, 1771, p. 97.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
136
[95]
Sir Darnley finit par lui offrir sa main, qu'elle accepte pour mieux
protéger les autres esclaves. Et peu à peu elle apprend sinon à aimer
du moins à respecter son mari. Quand Darnley est massacré par erreur
au cours d'une révolte, Phédima épouse Abensar, son fiancé d'Afrique,
et tout rentre dans l'ordre.
Mais c'est sauf erreur dans l'œuvre posthume de Bernardin de
Saint-Pierre que l'on trouve le premier mariage mixte entre un Noir et
une Blanche. D'ailleurs, avec ou sans régularisation,s'il est considéré
tout à fait normal que les Blancs aient des concubines noires, les rapports sexuels entre un Nègre et une Blanche sont autrement rares.
Bien entendu, on trouve des viols, d'autant plus horribles que la victime a été forcée par un Noir. L'exemple classique se trouve dans Candide. Il s'agit du viol de la vieille, fille d'Urbain X et de la princesse de
Palestrine, capturée par une corsaire de Salé :
C'était un nègre abominable, qui croyait encore me faire
beaucoup d'honneur.
(Voltaire, Candide, 1759, ch. XI.)
Le deuxième, c'est celui dont est victime Ursule, La Paysanne pervertie de Restif de la Bretonne (1783). Kidnappée par un Italien qu'elle a trompé, Ursule est mariée de force à un porteur d'eau qui – tréfonds de l'ignominie – la prostitue au Nègre Antonini. Excédée par les
brutalités de ce dernier, Ursule le tue avec un gros clou. Il y a quelque
ironie à penser qu'avant ses malheurs Ursule avait, comme l'exigeait la
mode, un négrillon nommé Jacinthe à son service. Mais désirer un
Noir semblait être considéré pour une Française comme quelque
monstrueuse perversion, dont la pudeur empêchait de parler. Il est vrai
que dans Le Sopha de Crébillon (1745) apparaît Massoud, un nègre
mal fait, horrible à voir. La célèbre courtisane Amine qui vend ses
faveurs à prix d'or [ne 1’] eut pourtant pas plutôt aperçu, qu'elle vint
l'embrasser avec emportement. (Œuvres complètes, 1779, vol. III, p.
63.) Qui plus est, il se fait payer pour apaiser les ardeurs de la belle.
Mais tout cela est censé se passer au pays des Mille-et-Une-Nuits et
peut être mis sur le compte des mœurs asiatiques. Nous frôlons d'ail-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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leurs la littérature que l'on a longtemps cru dangereuse pour la jeunesse. Ainsi dans Le Diable au corps d'Andrea de Nerciat, Zamor, esclave-amant de la comtesse et Zinga, esclave-maîtresse du Tréfoncier
sont de toutes les orgies. Avec gentillesse, d'ailleurs, et sans qui on les
y force. Dans l'univers onirique des romans de Nerciat, l'égalité raciale et la fraternité sont enfin réalisées au sein de la pleine liberté érotique. Et il y a des Nègres chez Sade, au XXe chapitre de La Nouvelle
Justine, par exemple ; la sempiternelle victime va être torturée et violée par une nombreuse compagnie, qui compte deux [96] Noirs. L'un
s'appelle comme par hasard Zamor ; l'autre n'est jamais nommé :
nul monstre ne fut membré comme ces deux Africains ; l'âne le
plus célèbre du Mirebalais 60 n'eût été qu'un enfant auprès
d'eux ; et l'on ne pouvait croire en les voyant, que jamais aucun
être pût se trouver dans la possibilité d'employer de tels hommes.
(D. A. F. SADE, La Nouvelle Justine, in Œuvres Complètes,
1964, Vol. VII, p. 391 [1re éd., 1797].)
Ne nous empressons pas de voir ici l'expression de quelque complexe racial d'infériorité sexuelle. Les libertins de Sade, sans distinctions d'âge, de nationalité ou d'origine, présentent très souvent des hypertrophies anatomiques du même genre.
Au XVIIIe siècle, le Noir fait son entrée dans la littérature française. Il apparaît dans un nombre encore modeste mais déjà significatif
d'œuvres qui appartiennent à tous les genres... et ce nombre s'accroit
chaque année. Surtout, le Noir est devenu un être problématique qui
s'est imposé à la conscience collective. Jadis personnage purement
décoratif ou à la rigueur symbolique, il atteint une certaine dignité et
assume une certaine autonomie : il est sujet, non plus ornement. Ses
incarnations sont multiples, comme le sont ses rôles. A la veille de la
Révolution, il devient possible de faire son portrait-robot. Les élé60
Il ne s'agit pas du Mirebalais poitevin, mais de la petite ville haïtienne du
même nom, située au nord de Port-au-Prince, sur les bords de l'Artibonite.
Je n'ai pas idée d'où Sade connaissait les bourricots dont on fait effectivement l'élevage dans cette région.
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138
ments dont on dispose sont parfois contradictoires ; c'est précisément
parce que le Noir n'est plus seulement le serviteur du pacha ou le courtisan africain aux exquises manières : c'est également le ' chef de bande, le perfide empoisonneur, la jeune femme supérieure par sa moralité et son courage au Blanc qui la souille, le déporté pleurant ses enfants, l'esclave satisfait et reconnaissant d'une plantation d'opéracomique, la victime torturée dans la cale d'un vaisseau négrier, le capitaine corsaire barbaresque, l'amant brûlé de passion, le Philosophe
qui cultive son jardin dans une caserne de houssards, le saint laïque
Itanako... bref, ce n'est plus le Nègre, c'est l'Homme Noir.
Que s'est-il passé ? L'image mythique que le Moyen Age et la Renaissance se faisaient du Nègre a évolué dans le sens d'une plus grande exactitude. L'habitant de l'Afrique était vu soit comme un monstre
tenant du satyre, du singe et de l'ours, soit comme un fabuleux monarque, mi-roi mage mi-Prêtre Jean. Le XVIIe siècle le relèguera aux livres de voyages : c'est un sauvage, à peine un homme, et la vraie littérature n'a pratiquement pas à s'occuper de lui. Ses premières et timides
apparitions se feront dans de fades adaptations de romans pastoraux.
Mais avec le XVIIIe siècle arrivent les premiers [97] beaux jours de la
traite. Cette fois, plus de, doute, le Nègre a sa place et sa réalité : il est
esclave. Et toutes les incarnations dont nous venons de dresser la liste
se définissent par rapport à sa condition d'esclave et aux souffrances
de tous genres qu'elle comporte. Au départ, donc, le Noir est mis dans
une situation subordonnée souvent intolérable à laquelle il sera forcé
de réagir. Certains choisiront la violence, d'autres la diplomatie, d'autres encore la résignation ou le suicide. Et pour expliquer ces choix
individuels, l'auteur est forcé de donner à son personnage un début au
moins d'autonomie psychologique. Le personnage Noir est né.
Personnage, certes, mais personnage encore très « littéraire », illustration vivante d'un problème de morale. Au nom des droits naturels,
pour des raisons religieuses, par sensibilité, les plus grands esprits du
siècle déplorent l'esclavage et demandent son abolition. Ce qui ne veut
aucunement dire qu'ils considéraient les Noirs comme leurs égaux,
loin de là. Tout le monde semble à peu près d'accord : le Noir est un
inférieur, un cannibale, un vendeur d'hommes, un être lubrique et fort
laid, ignorant l'ABC de la civilisation et de la bonne philosophie. Bon
sauvage arraché au paradis terrestre ? Oui, pour les besoins de la poésie didactique et comme symbole attendrissant. Mais personne ne ris-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
139
que de prendre cette métaphore pour la réalité. Homme à peine mais
homme quand même, on réclame pour lui un minimum de bien-être.
Et le bel optimisme du siècle espère qu'à force de patience et de bonnes leçons, le Noir un jour – un jour lointain, s'entend – prendra sa
place parmi les civilisés. En attendant, bien des plaidoyers en faveur
des Nègres rappellent désagréablement les histoires d'animaux fidèles
et malheureux que la Société Protectrice des Animaux distribue aux
enfants pour leur inculquer l'amour des bêtes.
Les protestations des Philosophes annoncent une évolution de l'attitude envers les « primitifs » en général et les Noirs en particulier. A
l'exploitation intégrale et pour ainsi dire de droit divin va éventuellement succéder l'éthique colonialiste, avec son paternalisme plus ou
moins bénévole. Et, puisque le XVIIIe siècle est une mine intarissable
de documents surprenants, citons-en un qui devance les techniciens
modernes de la guérilla anticolonialiste. Il s'agit une fois de plus de
l'abbé Raynal qui, après avoir raconté comment les Nègres marrons de
la Jamaïque avaient tenu tête aux troupes britanniques, écrit :
Ainsi l'emportera tôt ou tard, sur des armées nombreuses,
aguerries, et même disciplinées, un peuple désespéré par l'atrocité de la tyrannie ou l'injustice de la conquête, s'il a le courage
de souffrir la faim plutôt que le joug ; s'il joint à l'horreur d'être
asservi, la résolution de mourir ; s'il aime mieux être effacé du
nombre des peuples, que d'augmenter celui des esclaves. Qu'il
cède la plaine à la multitude des troupes, à l'attirail des armes, à
l'étalage [98] des vivres, des munitions & des hôpitaux, & qu'il
se retire au cœur des montagnes, sans bagage, sans toit, sans
provisions ; la nature saura bien l'y nourrir & l'y défendre. Qu'il
y reste, s'il le faut des années, pour attendre que le climat, la
chaleur, l'oisiveté, la débauche aient dévoré ou consumé ces
camps nombreux d'étrangers, qui n'ont ni butin à espérer, ni
gloire à recueillir. Qu'il descende quelquefois avec les torrens,
pour surprendre l'ennemi dans ses tentes, & ravager ses lignes.
Qu'il brave enfin les noms injurieux de brigand et d'assassin,
que lui prodiguera sans honte une grande nation, assez lâche
pour s'armer toute entière contre une poignée d'hommes chasseurs, & assez foible pour ne pouvoir les vaincre.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
140
Telle fut la conduite des nègres avec les Anglois.
(G.-T. RAYNAL, Histoire... des deux Indes, 1781, vol. VII,
p. 283-284, [1re éd., 1770].)
On a beaucoup pleuré en France, au siècle des Lumières. Mais, en
l'occurrence, versait-on des larmes de pitié pour l'esclave noir fouetté,
ou d'attendrissement pour le Quaker blanc abolitionniste ? Dans un
sens, le XVIIIe siècle s'est intéressé, autant qu'aux Noirs, aux Blancs
qui les maltraitent ou les protègent. Les Noirs sont des barbares, mais
les Blancs, dans la mesure où ils les traitent cruellement, ne valent
guère mieux. Les Noirs sont des enfants, mais les Blancs, en assumant
le rôle de précepteurs bien intentionnés, les intègrent à la grande famille humaine. Les Noirs sont des esclaves, mais les Blancs peuvent
les émanciper et remplir ainsi leur mission : perfectionner l'humanité.
Bref, le malheur des Nègres avait au moins un avantage : il donnait
à la charité des Blancs une bonne occasion de s'exercer.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
141
[99]
Le nègre romantique
Personnage littéraire et obsession collective
Chapitre III
RÉVOLUTIONS
ET FINS D’EMPIRES
Les principes voyageurs de la révolution passèrent
comme un ouragan sur cette terre de privilèges et d'esclavage, semant quelques idées fécondes pour l'avenir, et laissant une grande ruine, monument de leur invasion.
(J. LEVILLOUX, Les Créoles, 1835, p. 51.)
Retour à la table des matières
La Révolution française semble marquer la victoire définitive des
abolitionnistes. La Constituante d'abord, la Convention ensuite prennent des mesures qui satisfont aux exigences de la raison comme à
celles de la sensibilité. Par décret du 28 septembre 1791, la Constituante déclare libre et assure la jouissance des droits civils et politiques à tout individu entrant en France quelle que soit la couleur de sa
peau. Le 16 pluviôse an II, l'article unique du décret abolissant l'esclavage dans les colonies est voté d'enthousiasme :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
142
La Convention nationale déclare que l'esclavage des nègres
dans toutes les colonies est aboli ; en conséquence elle décrète
que tous les hommes sans distinction de couleur, domiciliés
dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les
droits assurés par la Constitution.
(Cité par GASTON-MARTIN, Histoire de l'esclavage dans
les colonies françaises, 1948, pp. 228-229.)
Le problème semblait réglé. La liberté et l'égalité instaurées, on
pouvait espérer que la fraternité allait suivre. Il n'en fut rien.
Les colons blancs s'estimèrent sacrifiés par les avocats et les philanthropes rêveurs de la Métropole, légiférant dans l'abstrait. Dupont
de Nemours, avant Robespierre, n'avait-il pas exigé « le sacrifice
d'une colonie plutôt que d'un principe » 61 ? Entre les planteurs et les
commissaires envoyés par la République les relations ne tardèrent pas
à se gâter. Tandis qu'en France les factions ennemies [100] s'affrontaient, il en allait de même aux îles, où la situation était encore compliquée par les revendications des hommes de couleur libres et des
esclaves. Les premiers réclamaient la fin des mesures discriminatoires : interdiction pour eux de porter des armes, de devenir officiers,
d'exercer certaines professions, de participer à la vie politique... sans
compter les vexations continuelles dont ils étaient victimes dans la vie
sociale. Quant aux esclaves, ils demandaient tout simplement la liberté, l'application du décret du 16 pluviôse. Les intérêts des Mulâtres
libres, très imbus de leur supériorité sur les Noirs et quelquefois euxmêmes possesseurs d'esclaves, ne se confondaient pas nécessairement
avec ceux des Nègres. Entre 1789 et la Restauration, l'histoire des colonies françaises des Caraïbes, aussi confuse que sanglante, n'est
qu'une longue suite d'atrocités 62. Les monarchistes s'opposent aux
républicains, les envoyés de Paris aux assemblées locales, les colons
riches aux petits Blancs, les Blancs aux hommes de couleur, les Noirs
aux Mulâtres, les militaires aux civils, les troupes françaises aux soldats anglais. Les alliances se nouent et se dénouent à un rythme dé61
62
Cité par R. DOSSINVILLE, Toussaint-Louverture, 1965, p. 47.
On trouvera un survol historique de cette période dans l'étude de Roger
DORSINVILLE, Toussaint-Louverture, ou la vocation de la liberté, Julliard, 1965.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
143
concertant, les factions se forment et se combinent sur des bases tantôt
idéologiques, tantôt économiques, tantôt raciales. Blancs, Noirs et
Mulâtres tournent casaque avec la même fréquence. Les harangues
engendrent des proclamations qui suscitent des réquisitoires : la rhétorique règne tout autant qu'à Paris et s'accompagne d'autant de violence. La guillotine traverse l'Atlantique ; elle fonctionne à SaintDomingue, à la Martinique, à la Guadeloupe, en Guyane.
A Saint-Domingue, le Commissaire de la République, Sonthonax,
commence par s'appuyer sur les Mulâtres, qui se retournent contre lui
lorsqu'il prétend émanciper leurs esclaves nègres. En 1793, les Anglais, avec laide des colons et des Mulâtres occupent Port-au-Prince,
tandis que les Espagnols s'emparent du Cap et de la province du Nord.
Toussaint Louverture attaque et défait les envahisseurs et leurs alliés
esclavagistes. Au début de 1801, Toussaint est maître de l'île. Il ramène l'ordre et permet aux colons de relancer l'économie. Mais Bonaparte, premier consul, rétablit l'esclavage et la traite après la paix
d'Amiens. Le décret du 30 floréal an X est aussi laconique que l'avait
été le décret d'abolition :
ARTICLE PREMIER. – L'esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789. ART. 2. – La
traite des noirs et leur importation dans les dites colonies auront
lieu conformément aux lois et règlements existant avant cette
époque de 1789.
(Cité par GASTON-MARTIN, L'abolition de l'esclavage,
1948, p. 7.)
[101]
À la Guadeloupe, l'esclavage est rétabli par la force. Entre 1801 et
1802, huit mille Noirs sont tués, emprisonnés ou déportés par les
troupes de Richepanse. Pour imposer son autorité à Saint-Domingue,
le dictateur y envoie 20 000 hommes sous les ordres de son beau-frère
le général Leclerc. Ayant commis l'erreur de se fier aux promesses de
Napoléon, Toussaint Louverture est envoyé mourir dans un cul-debasse-fosse aux fins fonds du Jura. Noirs et Mulâtres s'unissent contre
les troupes blanches. L'aigle va connaître sa première défaite. Trois
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
144
ans après avoir débarqué, les survivants du corps expéditionnaire se
rendent à la flotte anglaise et sont évacués. Le 1er janvier 1804, JeanJacques Dessalines proclame l'indépendance d'Haïti. Pour créer le
drapeau de la première république libre d'Amérique latine, Dessalines
renverse un tricolore et lui arrache sa bande blanche. Avec cet acte
symbolique, la domination française prend fin, après treize années
d'une guerre internationale, civile et raciale, durant laquelle les différentes factions avaient rivalisé de cruauté.
Avant la Révolution française, la vie coloniale telle que la représentent les hommes de lettres paraît se dérouler hors du temps et en
marge de l'histoire. Seule l'existence de l'esclavage la rend problématique. Et encore, l'esclavage n'est souvent qu'une notation pittoresque ;
un peu comme les palmiers et les sucreries, il fait partie de cette vie
antillaise figée dans son immobilisme exotique. Changements dans les
mœurs, évolution sociale, progrès matériel et intellectuel sont des notions qui n'ont apparemment de sens qu'en Europe. Les écrivains n'en
tiennent pas compte lorsqu'ils décrivent les îles. Les périodiques révoltes d'esclaves ? Elles dont jamais rien changé à quoi que ce soit.
Elles représentent un danger, réel, bien sûr, mais sont considérées
comme faisant partie de la vie quotidienne, relevant de la nature des
choses, assimilées en quelque sorte aux violents cyclones tropicaux,
phénomènes saisonniers et inévitables souvent décrits par les voyageurs.
Les personnages qui habitent ces Antilles imaginaires sont des types figés se définissant uniquement les uns par rapport aux autres : le
bon maître a des esclaves vertueux, le méchant planteur est entouré de
victimes noires, le magnanime prince africain s'oppose au négrier perfide (et généralement espagnol ou anglais), la jeune esclave est obligée de défendre sa vertu contre un gérant luxurieux. Tout se passe
mutatis mutandis comme dans les contes de fées, où méchantes sorcières, princes charmants et belles princesses jouent leur rôle dans un
pays merveilleux sur lequel le Temps n'a pas d'emprise.
À partir de la Révolution, changement de perspective, l'Histoire
entre en scène. La propagande abolitionniste s'intensifie. L'abolitionnisme, [102] qui était jusqu'alors une doctrine défendue par les Amis
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
145
des Noirs aristocrates et grands bourgeois libéraux 63 devient tout à
coup la cause du peuple, qui assimile la tyrannie des colons à celle des
privilégiés et des rois assoiffés de sang. Félix Carteaux, ancien habitant de Saint-Domingue, rappelle que sous la Terreur
ces propos calomniateurs avaient infecté de leur venin toutes les
classes de la société ; les domestiques, les paysans, les ouvriers,
et jusqu'aux journaliers des champs. [... ] [Nous [les colons]
étions, dans leur esprit, pires que des antropophages ; ils s'imaginaient que nous mutilions, écorchions et massacrions nos esclaves, par plaisir.
(F. CARTEAUX, Soirées bermudiennes.... 1802, p. XXV.)
Les colons, qui n'avaient jusqu'alors guère pris ces attaques au sérieux, s'en inquiétèrent. Aux articles de journaux, aux pétitions, aux
diatribes attaquant l'inhumanité des despotes maîtres d'esclaves, les
représentants des planteurs répliquent en commanditant des ouvrages
d'explication et de justification. L'opinion publique est une force nouvelle, il s'agit de se la concilier. Il suffit de parcourir à la Bibliothèque
Nationale les catalogues spécialisés pour constater l'intensité de cette
lutte de pamphlets. Elle marque l'entrée des colonies dans l'histoire
vécue. Elle leur donne, dans l'imagination collective, le relief de pays
réels, placés en face de problèmes précis et complexes, habités par des
hommes enracinés dans leur temps et empêtrés dans leurs préjugés.
Lorsque l'on cherche à dégager l'image du Noir dans la littérature
révolutionnaire et impériale il faut, me semble-t-il, distinguer entre les
œuvres publiées avant et après les événements du 23 août 1791. C'est
à cette date que les Mulâtres et les Nègres s'insurgèrent dans les environs du Cap Français. Il est vrai que l'année précédente le mulâtre Ogé
avait revendiqué l'égalité pour sa caste, tout en déclarant qu'il ne réclamait rien pour les Nègres vivant dans l'esclavage... il n'en avait
d'ailleurs pas moins péri sur la roue... Mais en 1791 tous les hommes
63
Fondée en 1787, la Société des amis des Noirs comptait parmi ses membres
Brissot, Sieyès, Robespierre etc. Les esclavagistes formèrent en 1789 la Société correspondante des colons français, mieux connue sous le nom de
Club de l'hôtel Massiac. La plupart de ses membres émigrèrent en 1792.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
146
de couleur sont unis, cette fois ; qui plus est, ils prennent la ville, ils
massacrent les Blancs, pillent les maisons, brûlent le Cap Français. A
peine un semblant d'ordre a-t-il été rétabli que le Cap est à nouveau
brûlé en 1793. C'est en somme la première révolte d'esclaves qui ait
réussi : Saint-Domingue deviendra bientôt Haïti, et ne reviendra plus
jamais au statu quo ante.
Les rôles semblent soudain renversés : les colons deviennent des
victimes, et ce sont les Noirs qui deviennent les bourreaux. Aucun
doute, l'incendie du Cap a traumatisé les Français. Les viols de femmes [103] blanches, les mutilations d'enfants blancs ont porté un rude
coup à la cause abolitionniste. Les excès de la Terreur avaient donné
au pays la soif de l'ordre à tout prix et lorsque Bonaparte rétablit l'esclavage, personne ne proteste. Chateaubriand se fait l'interprète de la
majorité en déclarant :
Avec de grands mots on a tout perdu : on a éteint jusqu'à la
pitié ; car qui oserait encore plaider la cause des noirs après les
crimes qu'ils ont commis ?
(Le Génie du Christianisme, livre IV, ch. vii : « Missions
des Antilles », in Œuvres complètes, 1842, 111, p. 235 [1re éd.,
1802].)
Les œuvres composées pendant les trois ou quatre premières années de la tourmente révolutionnaire ne donnent pas du Noir une image radicalement différente de celle à laquelle on était habitué. Nous
retrouvons même de ces pseudo-Nègres qui ne se distinguent en rien
du plus blanc des Parisiens. Ainsi Coupigny, dans son Chant d'une
esclave affranchie par le décret de la Convention nationale sur le
berceau de son fils, ne mentionne nulle part la couleur de l'esclave,
qui s'exclame :
Quoi ! libre dès ton aurore,
Mon fils, quel destin plus beau !
De l'étendard tricolore
Je veux parer ton berceau...
...................
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
147
Dieu puissant ! à l'Amérique
Ta main donna des vengeurs ;
Répands sur la République
Tes immortelles faveurs ;
Fais dans les deux hémisphères
Que ses appuis triomphans,
Forment un peuple de frères,
Puisqu'ils sont tous tes enfans !
(in Poésies nationales de la révolution française, 1836, p.
260-261.)
Je n'ai pas trouvé d'autres poèmes célébrant l'abolition de l'esclavage. Les signes avant-coureurs de la tragédie haïtienne n'ont guère
donné lieu, eux non plus, à des œuvres de circonstance. Rien de surprenant à cela : les événements dramatiques qui se déroulaient en
France et en Europe accaparaient l'attention de ceux qui cultivaient ce
genre de littérature. Il y a cependant une exception, non dénuée d'intérêt : La Mort du colonel Mauduit, ou les anarchistes au Port-auPrince, de Benoît-Joseph Marsollier des Vivetières, fait historique en
un acte. C'est la dramatisation d'un incident qui s’est réellement déroulé à Saint-Domingue. Le colonel Mauduit, commandant le régiment de Port-au-Prince, n'ayant pas mis assez de zèle à appliquer les
instructions de la Convention, la troupe se mutina et tua [104] l'officier en chantant Ça ira et la Carmagnole 64. Les sympathies de Marsollier vont très évidemment à Mauduit ; notre auteur démontre que si
les soldats ont pu oublier un instant le devoir d'obéissance et le respect
de l'épaulette, c'est sous la mauvaise influence d'un mystérieux anarchiste au nom subtilement peu français de Miller. La pièce nous intéresse surtout par la présence d'un esclave nègre nommé Domingue
(Paul et Virginie avait mis ce nom à la mode), qui mourra en essayant
de défendre son maître, le colonel. Domingue est un sage : il reproche
doucement aux Blancs de maltraiter les Noirs :
64
Pour plus de détails sur l'assassinat de Mauduit, consulter l'article d'André
Delrieux « Souvenirs de Saint-Domingue. Insurrection de Port-au-Prince,
1791 Mercure de France, no 36,1832, p. 211-220.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
148
... vous, blancs, pas vouloir jusqu'ici de nous, pas assez aimer ...
pas assez estimer nous ... Les regarder comme espèce différente, pas vouloir qu'hommes de couleur soient jamais frères
d'hommes blancs... Jamais... pas juste, ça... Vin rouge, vin blanc
sont-ils pas bons tous deux ?
À quoi son interlocuteur blanc réplique :
Il a ma foi raison... Mais soyons vrais, mon ami Domingue.
... Si vous étiez les plus forts, comme vous êtes les plus nombreux...
Et Domingue de convenir :
Ah ! oui, oui ... peut-être bien... Passions terribles, vengeances cruelles... Sais, sais cela ... Indignes alors, nous, si abuser de
la confiance des blancs, si vouloir tout demander, tout obtenir ;
plus faire rien... Ah ! serions bientôt vaincus, bientôt punis avec
raison, bientôt plus malheureux qu'esclaves. [...] Beaucoup nous
ignorans, paresseux, ingrats, féroces [...] Liberté, pas être pain
pour tout le monde... Nourriture difficile, faut s'y faire peu-àpeu... [...] Faut encore mieux laisser hommes noirs esclaves que
d'en faire voleurs et assassins. (Sc. i.)
Faire avancer de tels arguments par un Noir est passablement machiavélique. Ce n'est ni la première ni la dernière fois qu'un écrivain
adopte ce système. Défendre l'esclavage en soi étant malaisé, la tactique des esclavagistes sera de le présenter comme un pis-aller, comme
un « abus-hélas-nécessaire », et appelé à disparaître. Mais quand ?
C'est là le hic ; comme dit Domingue, la liberté n'est pas le pain de
tout le monde. Le problème, bien entendu, est de savoir qui décidera
que l'estomac des Nègres est prêt à recevoir cette « nourriture difficile ». Les possesseurs d'esclaves s'estimant seuls juges compétents en
la matière, l'émancipation risquait de ne pas être imminente.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
149
La Mort du colonel Mauduit ne fut jamais représentée. A sa publication en l'an VIII, l'auteur déclare dans l'Avant-propos :
Des circonstances en ont toujours empêché la représentation : aujourd'hui même où tout annonce le retour du règne de la
justice et des principes, l'auteur, craignant encore ce qui pourrait causer du trouble dans un spectacle, [105] en donnant lieu à
l'esprit de parti de se manifester, aime mieux renoncer à l'avantage d'être joué ; il se contente de faire imprimer aujourd'hui sa
pièce.
Mais si le public n'eut pas l'occasion de voir Domingue en chair et
en os, il allait désormais voir bon nombre de personnages noirs sur la
scène. C'est une nouveauté : pendant les 90 premières années du
XVIIIe siècle, je n'ai trouvé que six pièces où paraissent des Nègres.
On a déjà relevé Les Sauvages, de Romagnesi et Riccoboni (1736), Le
Nègre blanc, de Dorvigny (1780) et Les Nègres, de Billardon de Sauvigny (1783). En 1774 paraît L'esclave, ou le marin généreux, intermède en un acte adapté de l'italien, dont l'auteur anonyme place l'action à Livourne, et où figurent des serviteurs nègres... et muets. En
1782, Nicolas Audinot publie Le Prince noir et blanc, féérie en deux
actes, jouée deux ans plus tôt à l'Ambigu-Comique : Un amant transformé en Nègre par la fée Diamantine retrouve sa beauté avec sa peau
blanche lorsque Rosine consent à l'aimer malgré sa laideur monstrueuse. On voit que, par leur nombre comme par leur contenu, ces
productions théâtrales ne tirent guère à conséquence. Une seule des
pièces publiées avant la Révolution retiendra notre attention : La Négresse, ou le pouvoir de la reconnaissance, comédie en un acte en
prose et en vaudevilles, mêlée de divertissements, de Radet et Barré,
jouée et publiée en 1787. L'argument, tiré d'une anecdote qui se trouve
dans l'Histoire... des Indes de Raynal, est simple : le Français Dorval
fait naufrage sur une île de l'Afrique. Pendant six mois, grâce au dévouement de la Négresse Zilia, à qui il a appris les rudiments de la
langue de Racine, Dorval vivra caché. Si les Noirs le trouvent, s'en est
fait de lui ; non pas que les Africains soient racistes, mais, comme
l'explique notre héros :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
150
Jadis, ils ont accueilli les Européens ; ils les ont reçus dans
leur Isle avec douceur et amitié. Enchantés de les voir, empressés à leur plaire, ils leur offroient des secours avec la plus naïve
joie ; mais les cruautés & les perfidies des blancs les ont bientôt
fait chasser sans retour par les habitants du pays, dont les
mœurs ne sont pas naturellement cruelles. (Scène i.)
Le père de Dorval débarque dans l'île. Il va ramener son fils au
pays et se propose d'acheter Zilia au chef de la tribu pour la donner à
la femme que le jeune homme épousera, car, d'après le valet Frontin :
Nos femmes blanches aiment beaucoup une femme noire à côté d'elles
(Sc. xii). Mais cela ne fait l'affaire ni de Dorval ni de Zilia qui préfèrent braver les préjugés et se marier. Le père Dorval se fait quelque
peu tirer l'oreille ; il finit par consentir et dans le vaudeville final
chante un couplet de la plus orthodoxe philosophie éclairée
Quelle est pourtant notre erreur,
Injustes que nous sommes !
S'ils sont d'une autre couleur,
[106]
Nous méprisons des hommes.
Soyons moins durs, daignons les voir
D'une âme plus humaine :
Du noir au blanc, du blanc au noir,
Que l'amitié nous mène.
Cette agréable bluette a été résumée dans la Correspondance littéraire de Grimm, qui remarque :
c'est à-peu-près le jargon de nos nègres de Saint-Domingue
que l'auteur a mis dans leur bouche, et ce jargon a, comme on
sait, une sorte d'énergie et de douceur assez originale.
(Correspondance littéraire.... éd. Tourneux, Tome XV,
1881, p. 101 [1re éd., 1812].)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
151
Voilà donc, à ma connaissance du moins, la première pièce de
théâtre où l'on se soit efforcé de reproduire les particularités du français parlé par les Noirs des colonies, de ce français que l'on appelle
encore « petit nègre » 65. Quelques recettes vont permettre de fabriquer sans difficultés ce pseudo-créole de convention : remplacement
de la forme atone du pronom personnel par sa forme tonique, réduction des temps du verbe au seul infinitif, suppression de l'article, etc.,
ce qui donne des phrases du genre Toi aller prendre femme chez ta
nation, et Zilia pour servir elle (se. xiv). A partir de 1787, on se croira
obligé de faire baragouiner les Noirs. Par souci de réalisme, peut-être :
il est exact que les esclaves des îles, auxquels toute instruction, même
primaire, était refusée, ne parlaient pas la langue des salons parisiens.
L'ennui étant que le jargon qui leur était imputé par les romanciers
finissait par être encore plus fatiguant que l'alsacien de Nucingen ou
du pianiste Schmucke. Moreau de Saint-Méry, agacé par le sabir que
l'on faisait passer pour du créole, critique l'auteur du Voyage d'un
Suisse dans différentes colonies d'Amérique, lequel avait prétendu que
« ce langage est misérable » :
Je me range à l'avis de l'auteur, mais il faut avouer que son
baragouin ne passera pour du créol [sic], qu'auprès de nos savans, qui en introduisent un du même genre sur les théâtres, et
qui persuadent aux Parisiens que c'est le véritable.
(M.-L. MOREAU de SAINT-MÉRY, Description ... de la
partie française de l’isle Saint-Domingue, 1958, p. 81 [1re éd.,
1797].)
Véritable ou pas, l'usage du baragouin est pour les auteurs de comédies une ficelle comique infaillible. Molière l'avait bien compris,
65
Pour être tout à fait exacts, signalons Les Veuves créoles, comédie anonyme
en trois actes et en prose, publiée en 1768, dont l'action se déroule à la Martinique. Des serviteurs Noirs y tiennent des rôles de figurants. S'adressant à
sa femme de chambre, une Créole, Madame Sirotin, lui demande d'apporter
du vinaigre afin de ranimer son prétendant qui s'est évanoui : « Marie Rose,
portez p'tit brin vinaigre, vous tende. » (Acte 11, scène vii.) L'auteur ajoute
en note : Ceci est un patois Negre. C'est la seule réplique en « patois nègre à
de toute la pièce.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
152
[107] quand il créait ses Mamamouchis ou ses médecins débiteurs de
latin macaronique.
Les écrivains qui font parler aux Noirs une langue simplifiée et incorrecte contribuent – consciemment ou non – à les présenter comme
des inférieurs. Une syntaxe ou un accent défectueux n'est trouvé comique que par quelqu'un qui pratique le bon usage, et qui peut ainsi
les juger du haut de sa supériorité. Il est par ailleurs généralement
convenu qu'une mauvaise façon de s'exprimer reflète une insuffisance
intellectuelle. Faire parler aux Noirs une langue rudimentaire, c'est les
traiter en grands enfants, c'est rendre leurs aspirations dérisoires, c'est
préparer le paternalisme colonialiste et son tirailleur sénégalais bafouillant Y'a bon Banania ! Barré et Radet ont inauguré une tradition
qui a la vie dure.
Un autre détail de leur pièce mérite d'être signalé : c'est la première
fois que, sur la scène française, un Blanc va épouser une femme noire.
Toujours d'après la Correspondance de Grimm, lorsque Dorval expose ses intentions matrimoniales à son père :
Le parterre, à la première représentation, paraissait même
assez disposé à défendre l'honneur du préjugé ; mais l'amant répond que si le public trouve Zilia intéressante, il approuvera le
mariage. Le père finit par consentir, le parterre aussi, et l'on
s'embarque pour revenir en France.
(Correspondance littéraire..., éd. Tourneux, tome XV, 1881,
p. 101 [1re éd., 1812].)
Dans les Lettres africaines (1770) de Butini, Sir Darnley épousait
bien Phédima. Mais en 1787, le préjugé de couleur est assez solidement enraciné pour qu'un mariage mixte soit considéré comme scandaleux et que son évocation (déjà osée dans un roman) risque de provoquer des désordres dans un théâtre 66.
66
On se souvient que le Noir Empsaël épouse son esclave blanche Zoraïde
dans l'Empsaël et Zoraïde de Bernardin de Saint-Pierre. Il est significatif
que l'œuvre soit restée manuscrite jusqu'à sa publication dans les (Œuvres
complètes en 1818.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
153
Henri Welschinger (Le Théâtre de la Révolution, 1880) et Eise
Van Bellen (Les Origines du mélodrame, 1927) remarquent la grande
mode, pendant les dix dernières années du siècle, des pièces exotiques
et, en particulier, de celles qui montrent des personnages noirs. Van
Bellen affirme même : « Depuis 1789 sévit une véritable négrophilie »
(p. 171). Il ne faut rien exagérer, mais il est certain que les statistiques
sont révélatrices 67 : six pièces pour les neuf premières décades du
siècle, douze pour la dernière, sans compter les retouches faites par les
dramaturges pour mettre leurs œuvres à la mode africaine du jour :
Beaumarchais, pour la représentation du 3 août 1790, apporte [108] à
son Tarare des changements « analogues aux circonstances, comme la
liberté des nègres » (Le Moniteur, 3 août 1790 ; cité par Van Bellen,
p. 171) ; Olympe de Gouges transporte l'action d'une de ses pièces des
Indes Orientales (en 1788) aux Indes Occidentales (l'année suivante),
après en avoir changé le titre de Zamor et Mirza à L'Esclavage des
Noirs. L'inepte pièce de Madame de Gouges nous intéresse moins que
ses Réflexions sur les hommes nègres, où elle remarque en particulier
que :
Plusieurs hommes se sont occupés de leur sort [des Nègres] ;
ils ont travaillé à l'adoucir ; mais aucun n'a songé à les présenter
sur la Scène avec le costume et la couleur.
(O. de Gouges, Réflexions..., 1788, p. 92.)
L'auteur avait résolu de remédier à cette carence. Sa pièce reçue à
la Comédie française, Madame de Gouges s'adresse aux acteurs et les
exhorte au réalisme dans le maquillage et le costume :
Je n'ai qu'un conseil à donner aux Comédiens François [...].
C'est d'adopter la couleur et le costume nègre. [...] J'espère que
67
Je ne retiens que les pièces qui ont eu les honneurs de la publication. On
trouvera dans la Bibliographie une liste d'œuvres théâtrales qui n'ont à ma
connaissance jamais été imprimées et dont le titre indique qu'elles auraient
pu nous intéresser. Mais les titres sont souvent trompeurs, et il aurait été
abusif d'en tenir compte.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
154
la Représentation de ce drame produira l'effet qu'on est en droit
d'attendre en faveur de ces victimes de l'ambition (idem, p. 97).
Madame de Gouges prétend que les colons, inquiets des effets que
risquait d'avoir sa pièce philanthropique, subornèrent les comédiens et
que la pièce fut sabotée. Quoi qu'il en soit, d'après le Moniteur du 31
décembre 1789 :
On citera peu de représentations aussi orageuses que celle de
ce drame. Vingt fois les clameurs opposées des deux partis ont
pensé l'interrompre. On a crié, on a ri, on a murmuré, on a sifflé...
(Cité par H. WELSCHINGER, Le Théâtre de la Révolution,
1880, p. 304.)
Les violentes réactions du parterre semblent indiquer que si les
Français, du moins dans la Métropole, acceptaient le principe de l'égalité des hommes sans distinction de race, ils n'étaient guère prêts à en
admettre l'application, ou tout du moins la représentation théâtrale.
Surtout, bien entendu, lorsqu'on osait montrer un Blanc amoureux
d'une Négresse. Quant à montrer un Noir amoureux d'une Blanche,
aucun auteur français ne s'y est risqué. Il fallait Shakespeare pour cela 68 : le 16 novembre 1792, le Journal de Paris publie [109] une let68
Au XVIIe siècle, certains critiques anglais furent choqués par l'amour de
Desdemone pour Othello. Dans l'article « Si l'on peut supposer une femme
blanche amoureuse d'un Noir , (Le Pour et Contre, XIV, 1738, p. 66-67),
Prévost rapporte qu'un certain Rymer accuse sans façon l'Auteur d'avoir
manqué de jugement dans le choix qu'il a fait d'un Nègre, pour son Héros. Il
n'y a personne, dit-il, qui ne traite de supposition monstrueuse, l'amour d'une
jolie femme, pour un objet moins capable de l'attendrir, que de l'épouvanter ;
& loin de s'intéresser au succès d'un si étrange mariage, on ne peut se défendre d'autant d'horreur que de dégoût.
D'autres critiques défendent Shakespeare ; quant à Prévost :
Il me semble, comme à M. Rymer, que ce qui suffiroit pour justifier
Desdemona, ou pour donner de la vraisemblance à sa passion, ne disculperoit pas Shakespear. Il est aisé d'en sentir la raison.
Notre auteur ne précise pas de quelle raison il s'agit.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
155
tre du citoyen Flins au citoyen Talma, qui venait de créer le rôle
d'Othello dans la version de Ducis 69 :
Je ne doute pas qu'il y a cinq ans les hommes de la cour se
fussent moqués tout haut d'Hédelmone, [Desdémone], qui, jeune et belle, est amoureuse d'un More : mais les hommes du 10
août, dont la philanthropie a combattu pour donner aux mulâtres les droits de citoyens, n'exerceront point au théâtre l'aristocratie de la couleur ; et ils trouveront fort bon qu'une femme
blanche aime un homme dont la couleur diffère un peu de la
sienne, lorsque cet homme est beau, jeune et passionné. [C'est
moi qui souligne.]
(Cité par M. GILMAN, Othello in France, 1925, p. 58.)
Le citoyen Flins avait peut-être raison ; il n'en reste pas moins que
Talma n'a pas osé se grimer en Noir pour interpréter le rôle ; dans
l'Avertissement à la troisième édition de sa pièce Ducis avoue avec
candeur :
J'ai pensé que le teint jaune et cuivré, pouvant d'ailleurs
convenir aussi à un Africain, aurait l'avantage de ne point révolter l'œil du public, et surtout celui des femmes...
(Cité par M. GILMAN, Othello in France, 1925, p. 59.)
C'était un progrès par rapport à la version d'Othello de J. F. Butini
(1785), lequel écrivait dans sa préface :
69
Quelques jours après la création, l'Othello de Ducis fut parodié par Sewrin
dans un vaudeville intitulé Le Maurico de Venise (Barba, 1793). Une rapide
allusion à la couleur noire : Arlequin (Othello) demande à Cassandre (Brabantio) « Monsieur Cassandre, ne vous désolez pas, le n'ai pas déshonoré
votre fille. Est-ce parce que je suis noir que vous la croyez perdu ? » A quoi
Monotone (Desdémone) répond : « Non, vraiment. »
Une autre parodie, Arlequin cruelle, de Barré, Radet et Desfontaines (Impr. des
Droits de l'homme, 1792) ne fait aucune allusion précise à la pigmentation
d'Othello.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
156
Je m'arrêterai à peine sur quelques changements indispensables dans la pièce de Shakespeare. On sent assez qu'il fallait
ôter à Othello sa figure basanée, adoucir le dénouement, élaguer quelques scènes, simplifier la marche et réduire le sujet
aux trois unités. [C'est moi qui souligne.]
(J. F. BUTINI, Othello, 1785, p. iv-v.)
Les pièces à personnages noirs sont négrophiles, certes, mais avec
prudence. Elles développent deux thèmes principaux, que l'on pourrait
résumer ainsi : le premier est que les Noirs sont naturellement bons, et
que prétendre, comme le font les esclavagistes, qu'ils sont stupides,
égoïstes et paresseux est pure calomnie. C'est la thèse de Les Africains, ou le triomphe de l'humanité, par Larivallière, comédie en un
acte et en prose jouée au théâtre de la République en vendémiaire
[110] de l'an III (1794). A Juda, sur la côte d'Afrique, le vieil Aga s'est
porté garant des dettes d'un ami. Son créancier, le négociant blanc
Comtar, lui conseille de s'acquitter en vendant son fils Zamor au capitaine négrier Derville, comme le lui permet la loi. Aga refuse, et se
vend lui-même. Zamor supplie le négrier de lui permettre de remplacer son père. Zélia, maîtresse de Zamor, accepte l'esclavage pour rester avec celui qu'elle aime. Touché par tant de vertu, Derville donne la
liberté à tout le monde, quelques instants avant qu'un navire n'arrive
de France apportant la nouvelle de l'abolition de la traite et de l'esclavage. Tout finit dans des larmes d'attendrissement, et Aga dégage pour
le parterre la moralité de la fable :
Vous êtes étonnés de trouver chez un noir quelques préceptes d'honneur vous nous croyez des brutes ; mais vos intérêts
vous abusent ; nous avons un cœur, nous sentons comme vous ;
vos richesses seules nous ont corrompus : jugez quels reproches
vous avez à vous faire. (Sc. vii.)
Nous trouvons un autre exemple de vertu noire dans Le Nègre aubergiste, de Charles-Jacob Guillemain, fait historique en un acte et en
prose, qui date de 1793. La scène se passe dans une auberge des Antil-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
157
les tenue par l'affranchi noir Antoine, qui a vraiment existé ; Dumont,
son maître, lui avait donné la liberté avant de rentrer en France. Or
voici que Dumont revient en Amérique ruiné ; les colons refusent de
l'aider et c'est Antoine qui le sauve de la misère car, explique-t-il :
Jadis ta main brisa mes chaînes
Reconnois ton vieux serviteur,
Permets que soulage les peines,
De celui qui fit mon bonheur,
Bien foible est ma reconnaissance
Du bien que tiens de ta bonté
Moi, ne t'offre que l'existence,
Toi m'as donné la liberté. (Sc. xiii.)
Et, dans le vaudeville final, le brave aubergiste de chanter :
De nous tous nature est la mère,
Sa devise est diversité,
Mon teint, qui du vôtre diffère,
Nous prouve sa variété.
Mais sçachons reconnoître un frère,
Sous l'une ou sous l'autre couleur,
Par-tout où nous trouvons un bon cœur.
Le deuxième thème que traitent les œuvres de théâtre est que les
Nègres ne se révoltent que lorsqu'ils sont poussés à bout par les abus
des colons. Bien traités, ils sont au contraire d'une fidélité à toute
épreuve et ne demandent qu'à servir et à admirer les Blancs. C'est ce
que Béraud et Rosny ont tenté de démontrer dans Adonis ou le bon
nègre, mélodrame en quatre actes avec danses, chansons, décors et
[111] costumes créoles, tiré d'un roman du même nom de J. B. Picquenard, et joué à l'Ambigu-Comique en 1798. D'heureux esclaves y
chantent :
Esclavage être supportable, oh ! oh ! oh !
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
158
Quand c'est comm' ça.
Maître à nous n'est pas moins aimable, Oh ! oh ! oh !
C'est vrai cela.
De la bonté, c'est le modèle,
Faut aimer li ben tendrement, Oh ! oh ! oh !
Nègre est sensibl', nègre est fidèle,
Quand maître à li n'est pas méchant, Oh ! oh ! oh !
(Acte I, sc. iii.)
La pièce est alourdie par l'emploi constant du français petit-nègre.
Il est vrai que les auteurs devaient avoir quelques connaissances du
créole, puisqu'on trouve sous leur plume des expressions telles que
Mirez yeux là (Regardez ces yeux), li gagner chagrins (il est soucieux), Baillez moi li (Donnez-le-moi) etc. mais, sauf pour qui s'intéresse aux premières transcriptions du créole haïtien, Adonis est d'une
lecture pénible. Signalons cependant qu'on y voit paraître pour la
première fois sur la scène française un personnage historique Nègre :
Biassou, chef d'esclaves révoltés, sous les ordres duquel Toussaint
Louverture avait fait ses premières armes. Il capture le vertueux planteur d'Hérouville, qu'il force à servir dans son état-major. Après de
nombreuses péripéties, d'Hérouville sera sauvé, grâce aux efforts
conjugués du Nègre Adonis, son ancien intendant, et de tous ses esclaves, qui l'aiment au point d'avoir refusé l'émancipation quand il
voulait la leur accorder. Quant à Biassou, c'est l'ambition, mais aussi
les mauvais traitements et la cruauté des colons envers les siens qui
l'ont poussé à leur faire une guerre sans merci. Cruel et impulsif, mais
non sans grandeur, Biassou est le seul Nègre de toute la distribution à
parler un français correct. Ayant capturé mme d'Hérouville, il lui laisse la vie sauve et lui permet même d'aller se réfugier au Cap :
Emporte ton or, tes bijoux, je n'en ai pas besoin, je suis assez
riche. Va au Cap, et prouve par ta présence, à ses perfides habitans, que Biassou est plus généreux et plus humain qu'eux. (Acte I, sc. ix.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
159
La plus significative des pièces « noires » de l'époque est sans
contredit celle que Pigault-Lebrun a intitulée Le Blanc et le Noir. Ce
drame en quatre actes et en prose, publié en l'an IV, portait en épigraphe une citation tirée de l'abbé Raynal :
Quiconque s'efforce de justifier le système de l'esclavage,
mérite du philosophe un profond mépris, et du nègre un coup de
poignard 70.
[112]
Pigault-Lebrun ne se borne pas, comme ses confrères en négrophilie, à se faire l'avocat des Noirs. Il se dresse en accusateur des Blancs,
et trouve les esclaves révoltés non seulement excusables mais aussi
admirables. L'intrigue de la pièce est banale. Beauval père, mal
conseillé par Mathieu, son commandeur, persécute Télémaque et sa
maîtresse Zamé qui refusent d'accepter leur condition et fomentent le
mauvais esprit parmi leurs camarades. Son fils est un jeune homme
éclairé, qui rêve d'émanciper les Noirs. Il est l'ami de Télémaque. Ce
dernier, croyant que Zamé va être vendue à un Blanc qui la désire,
soulève les esclaves. Mathieu est tué ; Beauval père, fait prisonnier, va
être exécuté. Mais Télémaque cède aux prières de Zamé et de Beauval
fils (lequel s'est engagé dans la lutte du côté des Noirs) et laisse la vie
sauve au vieux colon. Ayant enfin pris conscience de ses torts, Beauval propose aux révoltés de s'associer à lui pour cultiver librement une
terre qui fera leur richesse à tous. Et Télémaque – comme il se doit
dans ce genre de productions – dégage la leçon de la pièce :
70
Comme le signale Yves Benot (Diderot, Pechmeja, Raynal et l'anticolonialisme), la phrase « et du nègre un coup de poignard » est ajoutée dans l'édition de 1774 de l'Histoire des... Indes, à laquelle Diderot a collaboré. Le
passage est-il de lui ? Signalons en tout cas qu'en 1778 le philosophe écrivait :
« L'esclave a-t-il sur son maître le droit de vie et de mort ?... » Qui peut
en douter ? Puissent tous ces malheureux enlevés, vendus, achetés, revendus
et condamnés au rôle de la bête de somme, en être un jour aussi fortement
persuadés que moi !
D. DIDEROT, Essai sur les règnes de Claude et Néron, (Œuvres complètes, éd. J. Assézat, Garnier frères, 1875, vol. III, p. 206 [1re éd., 1778].)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
160
Braves compagnons, hâtons-nous de prouver à nos ennemis
que l'oisiveté, le brigandage, l'injustice, ne nous ont pas mis les
armes à la main. L'homme est né pour le travail. Retournons
dans la plaine, fertilisons ces champs que nous venons de ravager ; et puisse l'exemple de Beauval, en éclairant les colons sur
leurs véritables intérêts, les déterminer enfin à consolider leur
fortune par la justice et l'humanité. (Acte IV, sc. ix.)
Le Blanc et le Noir ne fut représentée qu'une seule fois, le 14 Brumaire an IV, et fut sifflée. Cela se comprend. Non pas que l'action et
le style en soient particulièrement détestables : bien des pièces autrement ridicules tinrent plus longtemps l'affiche. C'est plutôt que, abstraction faite d'un dénouement de convention, Pigault-Lebrun attaque
le principe même du système esclavagiste, et non plus seulement ses
abus. Il fait – comme tout le monde – appel aux bons sentiments, mais
en prédisant et en justifiant la violence si les bons sentiments ne s'imposent pas. Et ce, alors que le Cap avait brûlé et que les colons français avaient à défendre leurs propriétés et même leur vie ; ayant mis
tous les torts du côté des Blancs, Pigault-Lebrun ne pouvait manquer
de passer pour subversif et mauvais Français. Le jeune Beauval est le
porte-parole de l'auteur dans une longue tirade d'exposition théorique
qui n'a, tout compte fait, pas tellement vieilli :
Je hais, je condamne l'esclavage : qu'est-il en effet qu'un outrage à l'humanité ? De quel droit un homme enchaîne-t-il un
autre homme ? S'il a le droit de m'attaquer, j'ai donc celui de me
défendre.
............................................
C'est là [aux Antilles] que, sous le fouet toujours agité d'un
conducteur [113] féroce, on leur mesure le temps, la nourriture,
et jusqu'à l'air qu'ils respirent ; c'est là qu'on exige le sacrifice
absolu de leurs facultés morales, qu'on intercepte la pensée,
qu'un soupir est une faute, et qu'un geste est un crime. C'est là
enfin que l'homme, dégoûté de son être, fuit jusqu'aux douceurs
de l'amour, qu'il tremble d'être père ; et que la mère, excédée de
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
161
travaux, accablée de tourmens, ne présente à son enfant qu'une
mamelle desséchée et des larmes stériles. O blancs ! blancs ! si
ces images ne peuvent vous émouvoir, si votre âme ne se soulève pas contre elle-même, si vous ne sentez point le trait déchirant du remords, puisse la foudre purger la terre de votre détestable espèce.
........................................
Et pour colorer de telles atrocités, on affecte de calomnier
les Noirs, on les peint comme une espèce abâtardie, et cela parce que le crime, rougissant de lui-même, veut se cacher sa propre difformité. Non, les Nègres ne naissent pas vicieux, et vous
le savez bien. La nature leur a donné, comme à vous, des organes susceptibles d'intelligence, et un cœur capable d'aimer. Ils
sont donc, plus que vous, bons, sensibles, vertueux, quand l'esclavage ne dégrade pas leur âme et quand la soif de la vengeance ne les rend pas féroces. (Acte I, sc. vii.)
Télémaque est le premier personnage nègre à revendiquer sur la
scène sa pleine dignité humaine. Car les coups de fouet ne sont pas à
l'origine de sa rébellion : il est esclave de maison, les travaux pénibles
et les mauvais traitements lui sont épargnés. Ce qu'il veut c'est la liberté, pour lui et pour les siens, de disposer d'eux-mêmes, la possibilité de s'engager librement dans la vie politique, économique et sentimentale.
Il serait trop facile d'ironiser sur les faiblesses de la pièce. Qu'elle
constitue un document sociologique bien plus qu'une réussite littéraire
est indiscutable. Mais certains monologues de Télémaque ne manquent pas d'éloquence, et la scène où Mathieu et Barthélémi maquignonnent des êtres humains est d'un humour grinçant. La pièce est
tombée. La faute en est à Pigault-Lebrun et... à son public aussi, qui a
préféré se détourner de l'image maladroite mais réelle du racisme colonial.
La majorité des œuvres anti-esclavagistes consistent en une série
de variations sur un nombre limité de thèmes principaux. Ainsi, par
exemple, Télémaque s'écrie, en voyant ses frères noirs travailler sous
le fouet du commandeur :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
162
Les blancs, ces ennemis de la nature, n'apprendront-ils pas à
frémir, en voyant cette terre humectée du sang et des sueurs de
mes compatriotes ?... Européens, c'est à ce prix que vous mangez du sucre. (Acte I, sc. i.)
C'est là une image frappante mais qui n’a absolument rien de nouveau. Rares sans doute sont les abolitionnistes qui ne l'ont pas utilisée.
Déjà en 1758 Helvétius écrivait :
On conviendra qu'il n'arrive point de barrique de sucre en
Europe qui ne soit teinte de sang humain. Or quel homme, à la
vue des malheurs qu'occasionnent [114] la culture & l'exploitation de cette denrée, refuseroit de s'en priver, & ne renonceroit
pas à un plaisir acheté par les larmes & la mort de tant de malheureux ?
(C. A. HELVÉTIUS, De l'esprit, 1758, Discours I, ch. iii,
note (e), p. 25.)
Dans les Lettres africaines, Butini décrit ainsi le sort de l'esclave
aux colonies :
Froissé, déchiré de coups, son corps se couvrira de cicatrices, sa chair tombera en lambeaux, & les denrées qu'il manufacture seront arrosées de son sang.
(J.-L. BUTINI, Lettres africaines, 1771, p. 139.)
L'année de la prise de la Bastille, Lavallée reprend l'image :
Que de gens savourent avec volupté les parfums du café et
les douceurs du sucre, sans se douter que ce raffinement du luxe
a précipité dans la tombe des milliers de générations. [...] On
pourroit dire sans mensonge qu'il n'est pas entré un grain de ca-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
163
fé en Europe, pas une once de sucre, pas une pièce d'indigo qui
n'ait coûté une goutte de sang à un Nègre.
(J. LAVALLÉE, Le Nègre comme il y a peu de blancs,
1789, vol. III, p. 43.)
Lecointe-Marsillac lui fait écho :
Non, je ne crains pas de le dire, on ne boit pas en Europe
une seule tasse de café qui ne renferme quelques gouttes du
sang des Africains.
(LECOINTE-MARSILLAC, Le More-Lack, 1789, p. vii.)
Les abolitionnistes anglais avaient décidé de boycotter les produits
coloniaux, et tout particulièrement le café et le sucre, pour protester
contre l'esclavage. D'après le colon Félix Carteaux, certains Français
suivirent un temps leur exemple :
On me fit connaître des personnes qui s'abstenaient depuis
long-tems de boire du café, touchées du malheureux sort des
esclaves, et s'imaginant n'avaler dans cette boisson sucrée que
leur sang ou leur sueur.
(F. CARTEAUX, Soirées bermudiennes, 1802, p. xxvi.)
Et enfin, pour ne plus revenir sur ce thème, citons Le Chevalier de
Saint-Georges, où Roger de Beauvoir explique :
... au milieu même de l'esclavage, il y eut deux peuples chez
le peuple noir, le nègre esclave et le nègre bouffon ; le nègre
des Antilles, saisi, fustigé à la moindre faute, et le nègre parisien, heureux, impuni, buvant le sucre dans la tasse d'or de sa
maîtresse, pendant que son frère engraissait de ses sueurs le
champ africain d'où ce sucre était tiré.
(R. de BEAUVOIR, Le Chevalier de Saint- Georges, 1840,
vol. I, p. 269.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
164
Comme toute littérature de propagande, la littérature négrophile
répète inlassablement les mêmes arguments, revient encore et toujours
aux mêmes situations, emploie le même éventail d'images attendrissantes ou épouvantables. La pièce de Pigault-Lebrun est dans cette
optique un véritable inventaire, une sorte de Summa où l'on dégage
[115] des citations de L'Esprit des Lois, l'influence de l'abbé Raynal,
le souvenir des romans sentimentaux du XVIIIe siècle, l'écho de la
poésie ronflante et pathétique des naïfs hommes de bonne volonté.
À partir de 1800, le héros Noir disparaît de la scène française. Les
quelques rares personnages que j'ai pu relever sont les esclaves modèles des pantomimes tirées de Paul et Virginie en 1806 par Gardel, puis
par Aumer 71. En 1809, nous retombons dans la féérie avec Le Nègre
par amour, opéra en un acte de Godard d'Aucourt de Saint-Just. Le
livret n'a à ma connaissance jamais été publié, mais le compte rendu
du Magazin encyclopédique permet de s'en faire une idée :
Le nègre par amour est une jolie femme qui s'est barbouillé
le visage, poursuivre, sans être reconnue, un amant infidèle. [...]
On avait vu de belles délaissées se déguiser en jokeys et en pages ; mais on n'en avait pas encore vu en nègres : c'est là le nec
plus ultra de l'imagination.
(Magazin encyclopédique, 1809, vol. I, p. 391.)
Mentionnons enfin Elisca, ou l'habitante de Madagascar, de Favières et Grétry, publiée en 1812. L'action se passe à Fort-Dauphin en
1640. Elisca et son mari Ziméo font appel au marquis de Mondevergue, le bon gouverneur français et au brave flibustier Montauban pour
les protéger des méchants Ombis, espèce de sorciers du pays qui veulent forcer les habitants à sacrifier leurs enfants aux dieux. Les auteurs
71
Les événements ne semblent pas avoir affecté la popularité du roman de
Bernardin. D'après Balzac, ses personnages ont reçu l'ultime consécration :
En 1804, Paul et Virginie étant à la mode, on tapissa le Café de la Paix, à
Soulaqes de papier verni représentant les principales scènes de ce roman. On
y voyait (Les nègres récoltant le café.
(H. de BALZAC, Les Paysans, Pléiade, vol. VIII, p. 255 [1re éd., 1855].)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
165
distinguent entre le Madécasse Ziméo, l'Arabe Elisca et les Nègres
Jago et Zabi, serviteurs dont la naïveté est censée comique. On serait
tenté, en employant la terminologie de notre époque, de voir dans
Elisca un ouvrage d'intoxication destiné à justifier l'ingérence d'une
puissance coloniale dans les affaires intérieures d'un pays sousdéveloppé. En fait, cette pièce avait été jouée dès 1799 ; il faut plutôt
y voir une attaque, sous forme d'allégorie, contre le fanatisme des prêtres.
Cette soudaine disparition s'explique par la réaction du public
contre les principes révolutionnaires en général, qui avaient mené à la
Terreur, et le principe d'égalité raciale en particulier, qui avait mené
aux révolutions antillaises. Mine de Staël l'a bien vu. Dans sa Préface
aux œuvres du célèbre abolitionniste anglais Wilberforce, traduites en
1814, elle écrit :
Les excès de la révolution en France, qui répandoient une
grande défaveur sur un certain ordre d'idées, nuisirent à la cause
des pauvres nègres. On crioit à l'anarchie [...] on appeloit jacobins les hommes qui n'avoient pour motifs de leurs actions que
la religion et l'humanité.
(G. de STAËL, Œuvres complètes, 1821, vol. XVII, p. 358.)
[116]
Après le drame de Saint-Domingue, l'opinion publique perdit toute
sympathie pour les Noirs. Inutile de dire qu'elle était activement travaillée par les propriétaires d'esclaves et leurs porte-parole, qui donnèrent la plus large publicité aux spoliations et aux massacres de colons.
Ces tragiques événements furent une sorte d'aubaine pour la réaction.
Les philanthropes avaient prétendu que les Noirs étaient des hommes
comme les autres : les esclavagistes allaient pouvoir dépeindre les esclaves révoltés comme des bêtes féroces. Dans l'intérêt des colonies,
dans l'intérêt de la France, dans l'intérêt de la civilisation, et même
dans l'intérêt des Noirs, l'esclavage devait être rétabli, maintenu, renforcé. L'image du Noir bon et malheureux avait attendri l'opinion publique. L'image du Nègre lubrique et criminel allait l'effrayer. Et ce
n'est pas un hasard si la littérature franchement raciste, dont nous
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
166
avons vu quelques exemples isolés juste avant la Révolution, va
connaître un beau développement sous le Consulat et l'Empire. L'infériorité de l'homme de couleur en viendra à être postulée comme un fait
biologique, comme une vérité de la nature. Le mécanisme est véritablement infernal : avec l'esclavage était née la notion que le Nègre est
inférieur ; les conditions de vie faites à l'esclave l'empêchent d'atteindre toute égalité (intellectuelle ou autre) avec l'homme blanc ; la révolte de Saint-Domingue confirme pour les esprits indécis l'idée que,
laissés à eux-mêmes, les Noirs retombent dans la sauvagerie. Une fois
l'esclavage rétabli, il faudra un demi-siècle de luttes, et l'occasion pour
ainsi dire fortuite de la révolution de 1848 pour l'abolir définitivement. Et le préjugé de couleur a été si solidement ancré dans les profondeurs de la psyché blanche que sa disparition totale reste, aujourd'hui encore, un lointain espoir.
Les fournisseurs du théâtre de boulevard préféraient bien entendu
éviter les désordres dans la salle : choisir pour héros un personnage
dont les frères de race avaient causé le deuil de tant de familles françaises risquait de les provoquer. Par ailleurs, une fois l'esclavage rétabli et l'expédition du général Leclerc lancée, il est probable que la
censure fit le nécessaire pour empêcher toute représentation un tant
soit peu favorable de l'ennemi, comme ce sera le cas pour les personnages espagnols à partir de 1808. Il semble en tout cas que l'opinion
publique comme la censure se bornèrent à faire disparaître le Noir du
théâtre ; je n'ai trouvé aucune pièce qui donne du personnage une
image péjorative. Le Nègre criminel est réservé au pamphlet, au roman et au poème.
En 1789, Joseph Lavallée terminait son roman Le Noir comme il y
a peu de Blancs par un appel à la tolérance et à la fraternité :
O Blancs ! hâtez-vous, saisissez l'instant, ou la postérité
vous en ravira la gloire, où le retour de la barbarie en reculera
l'époque. Ne mettez point au hasard l'intérêt des générations futures. Ne calculez plus, mais agissez.
[117]
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
167
[...] Brisez ce mur d'airain dont le préjugé s'applaudit depuis
tant de lustres. Brisez-le : il vous cache des hommes ; il vous
cache des frères.
(J. LAVALLÉE, Le Noir comme il y a peu de Blancs, 1789,
vol. III, p. 189.)
Pendant quelques années encore, ces bons sentiments inspireront
les romanciers médiocres. L'anonyme auteur de Aza (1792), par
exemple. Aza est un malheureux Biafrais capturé par les négriers, qui
violent sa fiancée Narina. Elle se suicide. Aza arrive aux îles en même
temps que le décret d'abolition de l'esclavage. Les colons ayant refusé
d'obéir au décret, Aza soulève les Noirs. Leur révolte est écrasée, mais
Aza réussit à s'enfuir ; il vole un bateau et après six jours et six nuits
de navigation réussit à rejoindre l'Afrique... ce qui prouve que notre
auteur n'avait qu'une connaissance approximative de la géographie, ou
de la navigation. Remarquons au passage quelques réflexions anticléricales qui rappellent celles du Nègre marron dans Candide :
Un Marabou européen venait fréquemment nous entretenir ;
il voulait nous prouver que nous étions heureux, et que nous
irions après la mort je ne sais où, dans un lieu où son Dieu, qui
est celui des Blancs, nous attendait, disait-il, pour nous combler
de bienfaits.
(Anon., Aza, 1792, p. 38.)
La même année, Florian publie Sélico, histoire africaine, où les
Blancs ne jouent qu'un rôle épisodique. C'est le récit des souffrances
du bon Sélico et de sa fiancée Bérissa, persécutés par le cruel roi de
Dahomey. On y décrit avec complaisance une femme adultère ébouillantée, son complice rôti à petit feu : nous voici loin des Bons Sauvages. L'Afrique est présentée comme une terre d'horreur et de sauvagerie ; si elle mérite malgré tout l'attention du lecteur c'est que :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
168
Au milieu de ces dégoûtantes horreurs, parmi ces monstres
sanguinaires, dont les uns vendent leurs enfants, dont les autres
mangent leurs captifs, on trouve pourtant quelque-fois de la justice naturelle, de la véritable vertu, de la constance dans la douleur et un généreux mépris de la mort. Ces exemples, tout rares
qu'ils sont, suffisent pour nous intéresser à ces êtres dégradés,
pour nous rappeler que ce sont des hommes.
(J.-P. FLORIAN, Sélico, in Œuvres, an III (1792), vol. XIII,
p. 62.)
Non certes que les romanciers se soient tout à coup mis à décrire
les Noirs, toujours et systématiquement, comme des sauvages criminels. Non certes que, du jour au lendemain, les colons soient devenus
à leurs yeux de vertueux cultivateurs. Mais les événements de SaintDomingue et la propagande négrophobe ont eu un effet certain. Si les
plaidoyers de ceux qui avaient attaqué la traite et l'esclavage n'étaient
pas toujours des chefs-d'œuvre, ceux des défenseurs du système esclavagiste paraissent aujourd'hui relever de la pure démence. Les Surréalistes auraient pu y puiser pour leurs anthologies de l'humour noir
[118] (si j'ose cet exécrable calembour). En 1802 par exemple, le général Louis-Narcisse Baudry-Deslozières publie Les Egaremens du
nigrophilisme. Certains auteurs du XVIIe et du XVIIIe siècles avaient,
sinon justifié, du moins accordé à la traite des circonstances atténuantes : elle permettait la christianisation des Nègres païens. BaudryDeslozières va bien plus loin, il glorifie le commerce de bois-d'ébène :
Osons donc être vrais, et disons que le premier acte de la
traite des Nègres fut un bienfait. [...] Elle a sauvé la vie à un
milliard d'hommes malheureux, sans avoir ruiné ou fait égorger
un seul homme pour achever cet ouvrage immortel. Elle a fait
plus encore, elle a tourné tous les intérêts particuliers vers ce
grand but ; en sauvant les uns, elle a enrichi les autres, et tout le
monde, par ce système de la vraie sagesse, y a trouvé son avantage.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
169
(N.-B.BAUDRY-DESLOZIÈRES, Les Egarements du nigrophilisme, an X, 1802, p. 26.)
Et notre auteur de détailler les
avantages énormes qui en sont résultés pour la Marine en général ; ils ont formé de bons Matelots et d'excellents Officiers. [...]
Je ne parlerai pas non plus de la quantité des Manufactures que
cette traite a fait établir en Europe, et qui nourrissent tant de pères de famille, plusieurs millions d'ouvriers qui périroient de
misère aussitôt que cette traite seroit entièrement abolie (idem,
p. 27).
Tous les défenseurs de la traite n'ont pas la franchise militaire de
cet officier supérieur. Mais, comme un seul homme, ils la défendent
non plus au nom de la religion, mais au nom des intérêts économiques
et de la civilisation... termes rapidement devenus interchangeables
dans notre monde moderne :
Plus guerriers en Afrique que nous ne le sommes en Europe,
ils [les Noirs] sont presque toute leur vie ou vainqueurs inhumains, ou captifs malheureux. Un commerce étranger, et trèsétonnant, les arrache à des fers ensanglantés, pour les transporter ailleurs, toujours esclaves, mais plus laborieux et plus utiles.
(S.-J, DUCŒURJOLY, Manuel des habitans de StDomingue, 1802, vol. 1, p. 18.)
Les connaissances que les Français avaient de l'Afrique noire
étaient tout à fait rudimentaires, et les explorateurs s'étaient fort peu
aventurés dans l'intérieur du continent. Cela n'empêche qu'elle soit
présentée comme une partie du monde vierge de toute civilisation et
qui reste depuis toujours plongée dans la barbarie. En donnant de
l'Afrique une image aussi péjorative que possible, on prouve aux âmes
sensibles que les Noirs n'ont rien perdu à lui être arrachés. Ainsi, dans
Les Soirées d'hiver, ou entretiens d'un père avec ses enfans sur le gé-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
170
nie, les mœurs et l'industrie des divers peuples de la terre, de G. B.
Depping, un père explique à ses enfants que, contrairement à [119] ce
que l'on a longtemps cru, les mœurs des sauvages ne sont pas vertueuses, et qu'ils ne sont pas heureux. C'est la vocation du siècle que de les
civiliser peu à peu. La traite est déplorable, bien sûr, mais les enfants
doivent comprendre que l'esclavage et même l'anthropophagie existent
en Afrique :
Est-il étonnant que, chez un peuple où il règne tant de barbarie, l'insensibilité soit la qualité dominante du caractère ?
(G.-B. DEPPING, Les Soirées d'hiver, 1833, vol. I, p. 104
[1 éd., 1807].)
re
Il y a, selon Depping, des exceptions. Il fait l'éloge des Foulis du
Sénégal et des Kroomans de Sierra-Léone, qui préfèrent le suicide à
l'esclavage, mais
si l'on veut parler du Nègre en général, on est forcé de convenir
qu'il est enclin au vol, au mensonge, à l'ivrognerie, à la vengeance et à la cruauté (idem, ibid.).
Ce genre d'intoxication raciste de l'enfance est d'autant plus perfide
qu'elle se croit impartiale et qu'elle recherche une certaine élégance.
D'aucuns ne prendront pas de précautions oratoires et laisseront libre
cours à l'invective, à l'injure, à la haine virulente que suscite en eux
toute menace à la propriété privée. Ainsi, dans sa « Lettre sur l'esclavage des Nègres » publiée en 1806 à la suite d'un volume de ses Odes,
Cornillon imagine un dialogue entre un philanthrope rêveur et un
homme sensé, donc partisan de l'esclavage. Ce dernier décrit en détail
la catastrophe économique que représenterait l'abolition de la traite. Et
tout cela pour qui ?
Pour une foule éparse de petites peuplades de brigands ?
Pour des gens sans foi, loi, ni principes, et dans un éternel état
de guerre entre eux ? Pour une espèce chez laquelle une mère
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
171
vend ses propres enfans, dont la couleur semble tracer une ligne
de démarcation entre nous et elle, avec laquelle nous n'avons de
rapport que par l'utilité dont nous est sa naturelle abjection, et
qui diffèrant de nous par toutes ses habitudes, nous est aussi
étrangère, à la configuration près, que toutes les espèces de singes dont ses forêts sont peuplées ? [C'est moi qui souligne.]
(Ch. de CORNILLON, « Lettre sur l'esclavage », in Odes,
1806, p. 286-287.)
Nous y voilà. Finies les paraphrases et les allusions. Foin des sousentendus. Les Nègres sont inférieurs, un point, c'est tout. Inférieurs
par nature, inférieurs à tout jamais, bons tout juste à fournir la maind’œuvre à la race des Seigneurs. La nature l'a bien prévu, qui les a
créés capables de supporter facilement le climat des colonies et le travail des plantations, auxquels l'organisation plus raffinée, moins animale des Blancs ne saurait résister. À ceux qui prônaient la mise en
valeur des îles par les chômeurs blancs de la Métropole, [120] l'anonyme auteur de De la nécessité d'adopter l'esclavage en France répond que :
[le climat] est mortel pour une partie des Européens qui vont
chercher la fortune dans ces contrées lointaines ; et que les autres, abattus et languissans, respirent à peine dans l'intérieur des
maisons Les nègres, dont le sang paraît avoir reçu une préparation différente, sont plus propres à la culture des plantations qui
font la richesse de nos Colonies ; ils peuvent supporter sans
danger la fatigue qu'exige la manutention du sucre, de l'indigo
et des autres denrées coloniales.
(Anon., De la nécessité..., 1797, p. 13.)
L'auteur propose non seulement le rétablissement de l'esclavage
aux colonies, ce qui correspondait aux desiderata d'une bonne partie
de l'opinion publique, mais aussi son adoption en France même.
S'agit-il donc d'un fou... ou d'un mauvais plaisant ? Pas exactement.
Ce qu'il suggère, c'est une modification profonde de l'esclavage. Grâce
à une législation compliquée on arriverait à une sorte de travail sur-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
172
veillé, qui comporterait de savantes gradations, étant plus ou moins
volontaire, plus ou moins long, plus ou moins pénible, plus ou moins
rétribué selon les cas. Cette nouvelle institution devrait, d'après lui,
élever progressivement les Noirs au rang de citoyens à part entière,
éliminer le paupérisme en France, favoriser l'économie, et réformer le
système pénitentiaire, dont il signale avec raison l'absurdité et l'inhumanité. De la nécessité... est la vision utopique d'un utilitariste. Elle
ne manque pas d'intérêt, dans la mesure où elle annonce certains mécanismes que le grand capitalisme industriel élaborera par la suite.
Pour revenir à notre sujet, la liste est longue des arguments qui visent à démontrer l'infériorité naturelle des Noirs. Bornons-nous à en
dégager quelques-uns. Par exemple :
... leur odeur fétide et naturelle, leur malpropreté continuelle,
leurs mutineries, leurs grossièretés...
(L.-N. BAUDRY-DESLOZIÈRES, Les Egarements du nigrophilisme, 1802, p. 34.)
Répugnants et mal élevés, les Noirs sont également paresseux. Défaut impardonnable dans une France désormais bourgeoise, et qui fait
donc du travail une vertu cardinale :
Les nègres ne sont point faciles à conduire, et sont naturellement paresseux ; ils vivent chez eux dans la plus grande oisiveté. [...] Ainsi la plus grande peine de l'esclavage du nègre chez
le blanc, est le passage de la vie nonchalente qu'il coulait doucement sous un hangar, les jambes croisées, la pipe à la bouche,
et la tête soutenue dans ses mains oisives, à une existence active
et laborieuse, que notre intérêt lui prescrit.
(S.-J. DUCœURJOLY, Manuel des habitans de StDomingue, 1802, vol. I, p. 18-20.)
[121]
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
173
Les Noirs répugnent au travail manuel et sont carrément incapables
d'activité intellectuelle. Selon l'auteur de De la nécessité..., accepter
l'esclavage est de l'intérêt même des Nègres des Antilles. Mais quels
arguments employer pour en convaincre les révoltés de SaintDomingue, qui n'ont visiblement pas l'air d'être d'accord ?
La raison ? nous ne croyons plus à son pouvoir sur l'esprit de
ceux qui ne savent pas penser.
(Anon., De la nécessité..., 1797, p. 16.)
Le vieux La Bruyère avait donc tort qui affirmait : la raison est de
tous les climats ; les Noirs ne savent pas penser. Voilà ce qui explique
non seulement leur sauvagerie collective mais aussi leur incapacité
individuelle. Voilà pourquoi ils n'ont jamais produit d'écrivains, d'artistes, de savants, de gros industriels. La mauvaise foi de cette accusation ne l'empêche pas, aujourd'hui encore, de produire une forte impression sur les esprits simplistes :
Voyons-nous qu'aucun nègre ait montré, dans quelque genre
que ce soit, des talens distingués ? n'est-ce pas une preuve éclatante de leur infériorité ? [...] Comment peut-on se plaindre que
les nègres dans nos colonies fussent réduits à l'esclavage, la nature ne semblait-elle pas les y avoir condamnés avant nous ?
(idem, p. 12).
Avec quelle insistance souligne-t-on pour les besoins de la cause le
côté naturel, entendez primitif, des Noirs ! Le temps n'est plus où
l'Afrique est dépeinte comme un Eden et ses habitants comme de vertueux philosophes. Ça, c'était la vision des poètes. À présent, on adopte le point de vue des capitaines marchands. Pas de manufactures, pas
de commerce, pas de génie de l'organisation politique, rien en somme
pour valoriser ces hommes noirs faciles à exploiter. Il serait même si
commode de pouvoir se persuader que ce ne sont pas des hommes à
part entière... et pour cela, quel meilleur moyen que de les prétendre
dominés par leurs instincts ? L'instinct sexuel, en particulier. Le rai-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
174
sonnement implicite est que, au lieu de sublimer leurs appétits, les
Nègres ne cherchent qu'à les satisfaire. Comment s'étonner que ces
hommes et ces femmes n'aient pas su élaborer une civilisation, puisque avec la paresse, ils ont la lubricité dans le sang ? Une lascivité
irrésistible occupe tous leurs instants ; le Père Joseph-Romain Joly,
dans ses Aventures de Mathurin Bonice, le déplore dès 1783 :
Les Nègres [...] sont doux, traitables, hospitaliers mais ils
sont paresseux, et la paresse est la nourrice des voluptés charnelles.
(J.-R. JOLY, Aventures de Mathurin Bonice, 1783, vol. III,
p. 151.)
Le Père Joly leur accorde au moins quelques vertus. Écrivant après
les événements de Saint-Domingue, les esclavagistes n'auront [122]
pas tant d'indulgence pour les « voluptés chamelles ». Elles seront
pour eux la marque indélébile de la naturelle sauvagerie. Tant que les
Nègres fournissent le travail exigé, autant vaut laisser ces incorrigibles
à leur nudité et à leurs danses obscènes. Avec plus ou moins de complaisance, tous nos esclavagistes insistent sur cette dominante supposée de leur caractère, bientôt élevée au rang de vérité indiscutable.
Dans son Histoire naturelle du genre humain, J. J. Virey s'appuie sur
de nombreux témoignages de voyageurs et de colons pour affirmer
que :
Les nègres sont, pour la plupart, très ardents en amour, et les
négresses portent la volupté jusqu'à des lascivetés ignorées dans
nos climats.
(J.-J. VIREY, Histoire naturelle du genre humain, 1824,
vol. II, p. 150 [1re éd., 1801].) 72.
72
N'ayant pu me procurer la première édition de cet important ouvrage, c'est
l'édition augmentée de 1824 que je cite.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
175
L'auteur avait déjà expliqué que :
Si les nègres ont entre eux moins de relations morales, telles
que celles de l'esprit, des pensées, des connaissances, des opinions religieuses et politiques, en revanche ils ont plus de rapports physiques [...] les négresses s'abandonnent à l'amour avec
des transports inconnus partout ailleurs : elles ont des organes
sexuels larges, et ceux des nègres sont très volumineux proportionnellement ; car les parties de la génération acquièrent autant
d'activité dans les hommes, pour l'ordinaire, que les facultés intellectuelles perdent de leur énergie (idem, p. 45-46).
On sait le rôle fondamental que les obsessions sexuelles jouent
dans les manifestations de l'agressivité : le vocabulaire de l'injure se
retrouverait sans elles singulièrement appauvri. Phénomène universel,
vieux comme les hommes, qui caractérise aussi bien les relations entre
individus que les rapports entre communautés. L'hostilité envers
l'étranger (qu'il appartienne à une autre famille, une autre région, une
autre religion ou une autre race) s'acharne à trouver quelque chose de
répréhensible dans son comportement érotique. On l'accuse volontiers
d'avoir transgressé les tabous ancestraux défendant l'inceste ou l'homosexualité ou – plus simplement – d'avoir une activité sexuelle
anormalement développée. Base de la civilisation occidentale, le judéo-christianisme se méfie traditionnellement des plaisirs du corps qui
mettent en danger le salut de l'âme. L'éthique capitaliste dévalorisait
tout récemment encore la sensualité au profit d'activités économiquement plus rentables. Le puritanisme bourgeois a donc longtemps attribué une hypertrophie des capacités sexuelles à ceux qu'il lui importait,
pour des raisons pratiques, de pouvoir mépriser. Mécanisme de la
mauvaise foi d'une admirable simplicité : pour exploiter autrui tout en
gardant bonne conscience, [123] je dois me convaincre de son infériorité naturelle. Et pour mieux la prouver à mes propres yeux, je postule
que sa libido est, comme celle des bêtes, instinctive et irrésistible. Si
les prolétaires vivent misérablement, si les Nègres sont sousdéveloppés, c'est parce qu'ils se laissent dominer par des appétits que
la morale réprouve.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
176
Winthrop Jordan suggère fort justement que la lascivité supposée
des femmes noires servait d'excuse aux maîtres blancs qui se servaient
d'elles. Le moyen de résister à leur complaisance ? En somme ces relations dont les Blancs ne sont pas fiers seraient la faute des Négresses. Interprétation qui me paraît particulièrement valable pour les Anglo-saxons, dont le puritanisme en cette matière est amplement documenté (W. Jordan, White Over Black, p. 150 et suiv.).
Pour M. E. Descourtilz, le Blanc assez abandonné du Ciel pour
avoir des rapports avec une Négresse se rend coupable comme le sodomite ou le zoophile d'un péché contre l'esprit :
[le Créole] ne rougit plus, dans l'abandon où il est livré,
d'établir des rapports d'égalité par une intimité méprisable, en
s'associant à des négresses esclaves, machines animées, et instrumens de la brutalité, qu'il a l'impudeur de rendre dépositaires
de ses plus intimes affections. [Le colon qui délaisse son épouse
pour ses esclaves] c'est le papillon qui néglige la rose pour s'attacher au chardon.
(M. E. DESCOURTILZ, Voyages d'un naturaliste, 1809,
vol. II, p. 52-53.)
Ce genre d'hystérie est cependant rare, et il est certain que les colons français étaient moins obsédés que leurs confrères anglo-saxons
par la notion de péché charnel. Quant aux Espagnols (et surtout aux
Portugais) ils semblent avoir pris leurs esclaves pour concubines sans
se poser de problèmes de conscience.
Les Nègres sont également superstitieux, inconstants, incapables
de se gouverner, de fixer leur attention, rancuniers, impulsifs... on n'en
finirait pas de dresser la liste de leurs défauts. Et d'ailleurs, comment
mettre en doute la supériorité des Blancs, alors que les Noirs euxmêmes sont les premiers à la reconnaître ? C'est ce qu'affirme parmi
tant d'autres l'auteur anonyme du Catéchisme des Colonies pour servir
à l'instruction des habitans de la France. Comme son nom l'indique,
ce curieux ouvrage se compose d'une série de questions et de réponses, telles que celles-ci :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
177
Comment se peut-il que la couleur soit le signe de la valeur
intrinsèque des hommes ?
Elle l'est bien réellement, dans nos Colonies ; car le sort et
l'état des hommes ne s'y règle pas sur l'opinion, mais bien sur le
sentiment intime de leur valeur réelle, et sur une conviction profonde de la différence de valeur ; car les nègres ne se jugent
pacs inférieurs aux blancs parce qu'on leur dit, mais parce qu'ils
se sentent incapables de concevoir ce que le blanc [124]
conçoit, de faire ce qu'il fait : le génie, l'intelligence, l'activité
du blanc le confondent ; tous ses travaux sont pour lui des merveilles : aussi se persuade-t-il, par tout ce qu'il voit, par tout ce
qu'il sent, que le noir est une race incapable de perfection, et
que le blanc est l'homme par excellence, le type de la perfection
humaine.
(Anon., Catéchisme des Colonies..., 1791, p. 46-47.)
Et Ducœurjoly rassure les Blancs qui envisagent d'aller chercher
fortune aux colonies :
L'idée que le nègre s'est formée du blanc, est si élevée, qu'elle le confond : il l'admire dans tous ses travaux, qu'il exécute
souvent sans les concevoir, mais dont il se glorifie d'être l'instrument. Le nègre reconnoît dans le blanc un génie supérieur...
(S. J. DUCŒURJOLY, Manuel des habitans de 81Domingue, 1802, vol. I, p. 21.)
Pas Plus que les autres, ce dernier argument n'est une prouve scientifique. C'est une affirmation, un témoignage, dont la valeur objective
est pratiquement incontrôlable. Chacun peut, au gré de ses préjugés,
en tirer les conclusions qu'il préfère. De la même façon, chacune des
pièces versées au dossier négrophobe pouvait être discutée, voire réfutée. L'esclavagiste le savait bien, qui misait avant tout sur l'effet d'accumulation, principe fondamental de l'art de la propagande. On affecte
en somme de s'adresser au bon sens de tout un chacun, on le flatte, on
lui demande de partager un avis présenté comme raisonnable, et peu
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
178
importe que les arguments avancés soient tendancieux ou mensongers : à condition de les varier et de les répéter inlassablement, ils finiront par porter.
Plus tard, le racisme scientifique sera mis au point. Ses apôtres prétendront, à grand renfort de mensurations crâniennes et de calculs
d'angles faciaux, établir des relations mathématiques entre les particularités physiques et les facultés intellectuelles des groupes humains.
L'éloquence et la persuasion deviendront inutiles : on laissera parler
les chiffres. Que les mensurations soient fausses et les déductions
qu'on en tire insensées, n'est pas la question. Le racisme prendra le
masque de l'impartialité pour avancer des preuves apparemment irréfutables. Surtout lorsqu'elles semblent confirmer ses propres préjugés,
le commun des mortels aura tendance à les prendre pour argent comptant, manquant des connaissances techniques nécessaires pour en mettre en doute le bien-fondé. Le médecin et naturaliste J. J. Virey n'atteint pas encore au détachement du pure savant, et l'impressionnisme
domine encore son style. Mais, dans l'Histoire naturelle du genre humain, Virey a déjà le souci de faire reposer des conclusions évidemment tendancieuses sur des observations anatomiques incontrôlées.
C'est tout son chapitre intitulé :
[125]
« La Cinquième race – des Nègres ou Noirs » qu'il faudrait citer.
Voici d'abord une description d'ensemble :
[la conformation du nègre] se rapproche même un peu de celle
de l'orang-outang. Tout le monde connaît cette espèce de museau qu'ont les nègres, ces cheveux laineux, ces grosses lèvres
si gonflées, ce nez large et épaté, ce menton reculé, ces yeux
ronds et à fleur de tête, qui les distinguent et qui les feraient reconnaître au premier coup d'œil, quand même ils seraient blancs
comme des Européens. Leur front est abaissé et arrondi, leur tête comprimée vers les tempes ; leurs dents sont placées obliquement en saillie. Plusieurs ont les jambes cambrées ; presque
tous ont peu de mollets, des genoux toujours demi-fléchis, une
allure éreintée, le corps et le cou tendus en avant, tandis que les
fesses ressortent beaucoup en arrière. Tous ces caractères montrent véritablement une nuance vers la forme des singes, et s'il
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
179
est impossible de la méconnaître au physique, elle est même
sensible dans le moral. L'homme noir est né imitateur, comme
le singe ; il reconnaît la supériorité intellectuelle du blanc, supporte assez aisément son esclavage, est très insouciant et paresseux. Ces habitudes annoncent une mollesse naturelle ou innée
de l'âme.
(J.-J. VIREY, Histoire naturelle..., 1824, tome II, p. 3-4 [1re
éd., 1801].)
Voilà pour l'extérieur. Passons maintenant à ce que nous apprend
l'art du disséqueur :
Le sang de cette espèce d'hommes [est] plus foncé que celui
du blanc, [...] ses muscles ou sa chair [sont] d'un rouge tirant
sur le brun. La cervelle qui est grise ou cendrée à l'extérieur ou
par sa portion corticale dans l'homme blanc, est surtout noirâtre
dans les nègres ; leur moelle alongée présente une couleur jaune
grisâtre ; les corps striés sont bruns. Des observateurs ont même
assuré dès le temps d'Hérodote que ces nègres avaient le sperme
noirâtre ; toutefois, Aristote a reconnu formellement qu'il était
de couleur blanche. Leur bile est aussi d'une teinte plus foncée
que celle du blanc. Ainsi le nègre n'est donc pas seulement nègre à l'extérieur, mais encore dans toutes ses parties, et jusque
dans celles qui sont les plus intérieures (idem, vol. II, p. 38).
Quant au cerveau :
Soemmerring, Ebel, savants anatomistes allemands, ont fait
voir que le cerveau du nègre était comparativement plus étroit
que celui du blanc, et que les nerfs qui en sortaient étaient plus
gros dans le premier que dans le second. Plusieurs autres observateurs ont remarqué, en outre, que la face du nègre se développait d'autant plus que son crâne se rapetissait, ce qui donne
une différence d'un neuvième de plus entre la capacité de la tête
d'un blanc et celle d'un nègre, comme nous en avons fait aussi
l'expérience. Palisot de Beauvois, qui a voyagé en Afrique, et
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
180
moi, en comparant les quantités de liquides que peuvent contenir les crânes des blancs et ceux des nègres, nous avons observé
que, chez ces derniers, il se trouvait jusqu'à neuf onces de
moins que dans les crânes des Européens.
Le crâne des nègres est épais, avec des sutures serrées, et résiste mieux aux coups que celui des Européens ; mais leur encéphale a proportionnellement des hémisphères moins volumineux avec des circonvolutions cérébrales moins multipliées et
moins profondes que chez l'homme blanc, de grands [126] tubercules quadrijumeaux, une petite protubérance annulaire, un
cervelet à proportion très considérable, une large ouverture du
trou occipital, une grosse moelle alongée et épinière, une extrême disposition aux sensations et aux excitations nerveuses,
tous signes d'une plus grande animalité que chez le blanc (idem,
vol. II, p. 39-40).
Et notre savant naturaliste de conclure
Ces remarques sur les proportions entre le crâne et la face du
nègre, entre la grosseur comparative de son cerveau et de ses
nerfs, nous offrent des considérations très importantes. En effet,
plus un organe se développe, plus il obtient de puissance et
d'activité ; de même, à mesure qu'il perd de son étendue, cette
puissance est diminuée. On voit donc que si le cerveau se rapetisse, et si les nerfs qui en sortent grossissent, le nègre sera
moins porté à faire usage de sa pensée qu'à se livrer à ses appétits physiques, tandis qu'il en sera tout autrement dans le blanc,
Le nègre offre ses organes de l'odorat et du goût plus développés que le blanc. [...] le nègre sera donc plus adonné aux plaisirs
corporels, nous à ceux de l'esprit. [...] chez le nègre, le front se
recule, et la bouche s'avance, comme s'il était plutôt fait pour
manger que pour réfléchir (idem, vol. II, p. 41).
J'entends bien que ni le grand public ni les écrivains n'avaient nécessairement lu les travaux de Virey, ou de tel autre naturaliste. Si j'ai
cru devoir en donner de longues citations, c'est que l'Histoire naturelle
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
181
du genre humain illustre l'idéologie ambiante. Gobineau n'a rien inventé. Étudier les origines et le développement de la pseudoscience
raciste en France serait fort intéressant, mais ce n'est pas notre sujet.
Retenons simplement que, d'une façon générale, l'infériorité naturelle
des Noirs est admise. Certitude pour les uns, probabilité pour les autres, possibilité pour les plus sceptiques, rares sont les esprits éclairés
qui l'ont catégoriquement niée. Dans l'imagination collective, la couleur de la peau devient une valeur absolue, un signe inventé par la nature pour hiérarchiser l'espèce humaine. Le Catéchisme des Colonies
se prononce à ce sujet avec la limpidité des pures mathématiques :
Comment pouvez-vous régler la valeur des hommes sur la
couleur ?
Le noir est l'homme qui a le moins de valeur intrinsèque, le
blanc est celui qui en a le plus ; le produit du noir et du blanc
donne le mulâtre qui participe du moins et du plus dont il tire
son origine.
(Anon., Catéchisme des Colonies..., 1791, p. 47.)
La science de l'époque ne connaissait pas la génétique (le mot même date de 1846), et pensait que les caractères héréditaires étaient
transmis par le sang. Le concept de sang, dont la valeur affective n'a
pas besoin d'être soulignée, va donc prendre une importance encore
plus considérable avec l'apparition du racisme moderne. Celui des
Noirs – croyait-on – est différent par sa composition de celui des
Blancs, et de qualité inférieure. Le sang des Blancs a une valeur qualitative absolue ; il ne peut être amélioré, tout « mélange » ne [127]
peut que le corrompre, le dénaturer. Je n'exagère pas, BaudryDeslozières l'écrit en toutes lettres à propos des Mulâtres :
Hélas ! ce sang n'est que trop mélangé dans les Colonies, et
cette corruption ne gagne que trop toutes les parties de la France.
Un peu plus, et ce mélange, déjà trop commun, ira jusqu'à
dénaturer le caractère de la nation...
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
182
(L.-N. BAUDRY-DESLOZIÈRES, Les Egaremens du nigrophilisme, 1802, p. 29.)
Encore une fois, Gobineau n'a rien inventé. Désormais se pose le
problème du métis, du « sang-mêlé » comme on commence à dire à
partir de 1772 (date de la première attestation du terme). Sa place dans
l'échelle des valeurs sera purement et simplement fonction de la composition du liquide qui coule dans ses veines. Toute une terminologie
d'origine antillaise entrera dans le vocabulaire du Français moyen
pour désigner le degré d'impureté sanguine de chaque mulâtre. Virey
la résume :
Parents
Produits ou castes
Degrés de mélanges
Blanc et noir,
Mulâtre,
1/2 blanc 1 /2 noir
Blanc et mulâtre,
Terceron saltatras,
3/4 blanc 1 /4 noir
Noir et mulâtre,
Griffe ou zambo,
3/4 noir 1 /4 blanc
Blanc et terceron,
Quarteron,
7/8 blanc 1 /8 noir
Noir et terceron,
Quarteron saltatras,
7/8 noir 1 /8 blanc
Blanc et quarteron,
Quinteron,
15/16 blanc 1/16 noir
Noir et quarteron,
Quinteron saltatras,
15/16 noir 1/16 blanc
Pour les Français, les Mulâtres ne représentaient pas seulement un
problème abstrait de science hématologique. Ils manifestaient vigoureusement leur existence dans la vie politique et sociale. Dès avant la
Révolution ils avaient réclamé l'égalité, et ils continueront à la réclamer pendant toute la première moitié du XIXe siècle. Leur présence se
manifestera également, nous le verrons, dans la littérature.
L'infériorité des Nègres considérée comme démontrée de tous les
points de vue, il devient à la limite possible de défendre l'esclavage en
tant qu'institution. Mais cela ne justifie pas les mauvais traitements.
Après tout, même si les Noirs n'étaient que des bêtes de somme – et
même le plus fanatique des pamphlétaires, même le plus raciste des
pseudo-savants n'a osé les retrancher explicitement de l'espèce humaine – ce ne serait pas une raison de les maltraiter systématiquement. Or
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
183
ce sont précisément les sévices infligés aux esclaves qui inquiétaient
les âmes sensibles, bien plus que la légitimité de l'esclavage ou l'atteinte qu'il portait à la moralité chrétienne. Les esclavagistes se devaient de réfuter l'un après l'autre les arguments de leurs adversaires ;
ils ne pouvaient passer celui-là sous silence.
Il est évident qu'il n'y a pas une réponse esclavagiste à l'accusation
[128] de cruauté portée par les philanthropes. On leur oppose une série de dénégations, de demi-aveux, d'explications, de contreaccusations, on les ridiculise, on met leur bonne foi en doute, on proteste de sa propre sensibilité. Bref, toutes les ressources de la polémique sont utilisées. Nous en avons déjà rencontré plusieurs ; la Lettre
sur l'esclavage, de Cornillon, va nous en fournir quelques autres. L'auteur admet que certains colons sont cruels :
parmi les ouvriers, les propriétaires nés dans la classe du bas
peuple en France, et les créoles habitués d'enfance à voir infliger des châtimens, il se trouve par fois des gens d'une cruauté
manifeste.
(Ch. de CORNILLON, « Lettre sur l'esclavage », in Odes,
1806, p. 262.)
Mais les abus ne sont pas fréquents :
Ils sont très rares, au contraire ; et quand ils arrivent, tous les
honnêtes gens du pays [...] ne manquent pas de crier tellement à
la barbarie, qu'il est impossible que le caractère le plus atroce
n'en soit contenu (idem, p. 263).
Et d'ailleurs, ce n'est pas seulement aux colonies que règne l'usage
des châtiments corporels :
Hé bien, oui, on les fouette. Mais le knout ailleurs sur des
fautes peut-être moindres ; mais la bastonnade ou l'empalure à
la première humeur d'un cadi ; mais cette même bastonnade par
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
184
toute l'Allemagne aux plus petits manquemens ; mais ce fouet
même appliqué par des garcettes aux matelots des peuples les
plus libres... (p. 260).
Tout compte fait, on est souvent plus humain dans les îles que dans
la Métropole. Car s'il est vrai que les paresseux y sont fouettés, le
fouet est la peine la plus lourde que l'on y connaisse (là, Cornillon
ment sans vergogne), alors qu'en France un voleur est pendu, un déserteur fusillé. Et un esclave marron est autrement dangereux pour la
société qu'un soldat insoumis, car il donne le mauvais exemple et risque – le cas s'est vu – de débaucher tous les Nègres d'une plantation :
Or, qu'en seroit-il du sort des particuliers et de la sûreté de la
colonie entière, si un propriétaire dans ce cas n'avoit pas le droit
de sévir contre des gens, au besoin desquels il a cependant pris
la charge non moins dégoûtante que pénible de veiller ? (idem,
p. 264).
Et puis, enfin, n'exagérons rien. Contrairement à ce qu'affirment
les philanthropes, on voit très peu de Nègres au dos couvert de cicatrices, ou mutilés de quelque façon. Les maîtres sont au contraire très
indulgents :
Car tous défendent de frapper sur le corps, et se réservent les
actes de grande sévérité, ne permettent que quelques coups de
fouet sur le derrière pour les négligences (idem, p. 267).
[129]
Bref, que le lecteur se rassure. Les coups de fouet, s'ils sont évidemment indispensables, sont rares, et distribués avec modération.
Les abolitionnistes avaient dépeint la vie des esclaves comme un
enfer ; leurs adversaires vont au contraire la décrire comme douce et
facile. Le manque de liberté n'est en l'occurrence qu'un vain mot,
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
185
puisque les Noirs ne sont pas mûrs pour diriger leur propre destin,
comme le prouve de désastre le Saint-Domingue :
Sorti de l'esclavage
Le nègre forcené
A souillé de sa rage
Ton sol infortuné.
Au gré de son envie,
Ce monstre furieux
A porté l'incendie
Et le meurtre en tous lieux.
(BERQUIN-DUVALLON, « Le Désastre de SaintDomingue », in Recueil de poésies d'un colon, 1802, p. 6.)
Et, par ailleurs, combien de citoyens français, libres aux yeux de la
loi, sont en réalité esclaves de la misère et de la faim ? Pour les Africains, par contre, le transport dans les colonies du Nouveau Monde
représente une amélioration de leur condition matérielle :
Ces hommes noirs, nés vigoureux, et accoutumés à une
nourriture grossière trouvent en Amérique des douceurs qui leur
rendent la vie animale beaucoup meilleure que dans leur pays.
(S.-J. DUCŒURJOLY, Manuel des habitans de SaintDomingue, 1802, vol. I, p. 22.)
Somme toute, le sort des Nègres esclaves est enviable
Le génie, l'ascendant des blancs, leurs arts, leurs richesses
ont d'abord asservi les noirs, mais bientôt leurs bienfaits et la
reconnoissance leur ont fait de ce joug une douce habitude, et
ils vivent contents.
(Anon., Perfidie du système des Amis des Noirs, 1791, p. 7.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
186
À condition, cela va de soi, de ne pas être mauvais sujets :
Le mot opprobre ne peut nullement s'appliquer aux esclaves
honnêtes qui, en remplissant les devoirs attachés à leur condition [...] sont tous aussi respectables, et s'estiment autant qu'une
infinité de blancs. [...] Tout aussi philanthropes que quelques
Européens, nous désirons, pour beaucoup d'individus, que nous
avons sous les yeux, un sort pareil à celui des nègres esclaves
bons sujets.
(J.-R. de TUSSAC, Cri des colons..., 1810, p. 67.)
Inutile de multiplier les exemples. Ils sont tellement nombreux
que, fatigué de lire des descriptions idylliques de la vie des Noirs antillais, l'abbé Sibire écrit, en parlant des colons :
Ils ont fait des descriptions bizarres de la béatitude de leurs
Nègres, et sous des couleurs si riantes, si aimables, qu'en admirant leurs tableaux [130] d'imagination, on regrette presque
d'être libre, ou qu'il prend envie d'être esclave.
(Abbé S.-A. SIBIRE, L'Aristocratie négrière, 1789, p. 93.)
Nourris, logés, soignés, vêtus aux frais du maître, pouvant, après le
travail, se livrer aux plaisirs de la danse et de l'amour, comment expliquer que les Noirs aient refusé leur condition ? Faire retomber sur les
philanthropes la responsabilité des horribles soulèvements d'esclaves
était facile. En raisonnant par analogie, on postulait que leurs absurdes
principes avaient mené non seulement à la Terreur de Robespierre en
France, mais aussi à celle de Biassou, de Boukman et de ToussaintLouverture aux colonies. Dans le premier chant de son poème Le
Malheur et la pitié, Delille consacre une trentaine de vers, parfois boiteux, aux malheurs de Saint-Domingue. Les quatre premiers vers
semblent mettre en doute la légalité de l'esclavage :
Tairai-je ces enfans de la rive Africaine
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
187
Qui cultivent pour nous la terre Américaine ?
Différens de couleur, ils ont les mêmes droits ;
Vous-mêmes contre vous les armez de vos lois.
(J. DELILLE, La Pitié, 1803, p. 14-15.)
Mais qu'on ne prenne surtout pas le poète pour un abolitionniste :
Loin de moi cependant ces précepteurs du monde,
Dont la pitié cruelle, en désastres féconde,
Déchaînant tout à coup des monstres furieux,
Dans leurs sanglantes mains mit le fer et les feux.
Et Delille de s'étendre longuement sur les malheurs des colons,
auxquels il reproche tout de même « quelques abus des droits » qu'ils
ont sur leurs esclaves :
O champs de Saint-Domingue, ô scènes exécrables
Ah ! fuyez, sauvez-vous, familles déplorables
Les tigres sont lancés : du soleil Africain
Tous les feux à la fois bouillonnent dans leur sein.
Pour vous leur art cruel raffina les souffrances :
Robespierre lui-même envieroit leurs vengeances.
Là, des enfans portés sur la pointe des dards
De leurs noirs bataillons forment les étendards
Ici tombe le fils égorgé sur son père,
Le frère sur la sœur, la fille sur la mère
Chaque lieu, comme chez nous, a son noir tribunal
Partout la mort moissonne, et le démon du mal
Volant d'un pôle à l'autre, et planant sur les ondes,
Sur le choix des malheurs hésite entre deux mondes.
Quelle cause a produit ces fléaux désastreux ?
Quelques abus des droits que vous aviez sur eux.
Leur haine s'en souvint, et la noire imposture
Dans leur cœur ulcéré vint aigrir cette injure.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
188
[131]
Et les six derniers vers sont un pieux appel à la pitié... et une mise
en garde contre l'excès d'indulgence :
Ah ! que les deux partis écoutent la Pitié ;
Qu'entre les deux couleurs renaisse l'amitié !
Évitez qu'un excès de rigueur, d'indulgence,
N'encourage l'audace, ou n'arme la vengeance
Et que ce sol enfin, trempé de leurs sueurs,
Ne soit plus teint de sang et baigné de leurs pleurs.
Berquin-Duvallon publiait la même année Le Colon
voyageur, où il indique clairement à ses compatriotes ce
qu'il convient de faire :
Mais j'espère qu'enfin, abjurant la manie,
Le fatal engoûment de la philanthropie,
Et mieux instruit un jour
Le Français, revenu de ses vaines chimères,
Dans de féroces Noirs ne verra plus des frères
Objets de son amour.
J'espère qu'au travail les soumettant, de force,
Et ne leur offrant plus la dangereuse amorce
De cette liberté,
Qui n'est pour ces cœurs vils, nourris dans l'esclavage,
De bassesse pétris, que le droit du pillage,
Et de l'oisiveté ;
Et les rendant heureux, autant qu'il se puisse être,
En soumettant, d'ailleurs, les droits sacrés du maître
Aux droits de la raison,
Par un gouvernement ferme, autant qu'équitable,
La France posera la base convenable
Au bonheur du colon.
(BERQUIN-DUVALLON, « Le Colon voyageur » in Recueil de poésies d'un colon, 1802, p. 18.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
189
Rimailleur pour rimailleur, la méchanceté du colon BerquinDuvallon n'est finalement pas tellement plus odieuse que l'hypocrisie
de l'académicien Delille.
Pour résumer, le conflit entre abolitionnistes et esclavagistes, qui a
son origine une vingtaine d'années avant la prise de la Bastille, s'intensifie sous la Révolution et l'Empire. Avant les événements de
Saint-Domingue, les esclavagistes sont sur la défensive. La situation
est renversée après les massacres de colons et l'échec de l'expédition
Leclerc. Les Amis des Noirs se voient désormais obligés de parer aux
attaques des négrophobes. Ce qui ne veut pas dire qu'ils abandonnent
la partie. En 1808, l'abbé Grégoire publie De la littérature des Nègres,
ou Recherches sur leurs facultés intellectuelles, leurs qualités morales
et leur littérature ; suivies de Notices sur la vie et les ouvrages des
Nègres qui se sont distingués dans les Sciences, les Lettres et les Arts.
Ce livre touchant [132] et parfois maladroit est une réfutation point
par point des accusations dirigées contre les Noirs et leurs défenseurs.
Aux témoignages invoqués par les esclavagistes, Grégoire répond par
d'autres témoignages qui les contredisent. Aux exemples de la cruauté
des Africains, il oppose des exemples de leur bonté. Il met en doute la
valeur de la « science » raciste et – comme l'annonce son sous-titre –
il évoque bon nombre de Noirs de tous les pays qui ont contribué au
cours des siècles à l'élaboration de la culture occidentale.
Ces controverses ne pouvaient manquer d'influencer la littérature
d'imagination, et en particulier le roman. Constatons d'abord la disparition définitive de l'« idylle africaine » où les Blancs, lorsqu'ils apparaissent, ne jouent guère qu'un rôle épisodique. Même si le romancier
choisit l'Afrique pour cadre et les Africains pour personnages, même
si le thème principal de son roman est une aventure de guerre ou une
histoire d'amour, la présence des Blancs sera désormais indispensable
et souvent déterminante. D'une façon ou d'une autre, avec plus ou
moins d'insistance, dans des perspectives qui varient selon les auteurs,
les contacts entre les races sont vus comme problématiques.
Un exemple nous est fourni par la nouvelle de Mme de Staël Mirza
ou lettre d'un voyageur, publiée pour la première fois en 1795 et composée, nous apprend-elle dans sa préface, alors que la révolution de
France n'existait pas encore. Il s'agit avant tout, me semble-t-il, d'un
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
190
roman féministe. Le prince Ximéo, du royaume de Cayor, dont les
traits
n'avaient aucun des défauts des hommes de sa couleur, la taille
de l'Apollon du Belvédère n'est pas plus parfaite.
(G. de STAËL, « Mirza », in Œuvres complètes, 1844, vol.
I, p. 73, [1re éd., 1795].)
est le fiancé de sa cousine Ourika 73. Il rencontre un jour la belle Mirza qui appartient à la tribu ennemie des Jaloffes. Les deux jeunes gens
tombent amoureux et deviennent amants. Mais Ximéo n'ose braver les
pressions sociales et, malgré ses promesses, finit par épouser Ourika.
Il est capturé par les Jaloffes, qui l'amènent sur la côte pour le vendre
aux négriers. Mirza s'offre pour racheter l'infidèle. Le gouverneur
français arrive à point pour les libérer tous les deux. Mirza se suicide
et Ximéo passera le reste de sa vie à expier sa trahison par des remords de tous les instants.
Remarquons que la présence des Blancs n'est nullement indispensable au déroulement de l'intrigue. Le dévouement de Mirza aurait très
bien pu se manifester sans faire entrer en jeu les négriers. Le gouverneur français, sorte de Deus ex machina, aurait pu sans inconvénient
[133] être remplacé par un roi indigène. Mme de Staël a néanmoins
profité de l'anecdote Pour illustrer les deux conduites exemplaires des
Européens vis-à-vis des Africains : le négrier cruel, amoral et pervertisseur, le gouverneur bénévole bienfaisant et civilisateur. Mais il y a
plus. L'histoire est racontée par Ximéo à un narrateur qui la rapporte
sous forme de « Lettre d'un voyageur », comme dit le sous-titre. Ce
qui permet à l'auteur de faire quelques observations générales. Sur la
mentalité des Noirs, par exemple :
73
Madame de Staël a pu trouver le nom de Ximéo dans le Ziméo de SaintLambert. Et C'est probablement Mirza qui a suggéré à Madame de Duras le
nom de son héroïne Ourika dans le petit roman du même nom, publié en
1824, qui connut un succès considérable.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
191
Les Nègres, imprévoyants de l'avenir pour eux-mêmes, sont
plus incapables encore de porter leurs pensées sur les générations futures, et se refusent au mal présent, sans le comparer au
sort qu'il pourrait leur éviter (idem, p. 72).
Au cours de son récit, Ximéo proteste contre les préjugés des
Blancs :
Vous êtes surpris, me dit-il, quand nous ne sommes pas au
niveau des brûtes, dont vous nous donnez la destinée (idem, p.
73).
Quand le narrateur s'étonne d'entendre Ximéo s'exprimer dans un
excellent français, le prince lui explique que Mirza Pa éduqué, après
avoir reçu elle-même l'enseignement d'un Français, établi au Sénégal
mécontent de son sort et malheureux dans sa patrie qui lui a inculqué
ce que les Européens ont de digne d'envie : les connaissances
dont ils abusent, et la philosophie dont ils suivent si mal les
préceptes (idem, p. 74).
Par ailleurs, on apprend que le gouverneur anti-esclavagiste fait
cultiver la canne à sucre par des volontaires noirs dans l'espoir que
l'Europe choisira de s'approvisionner en Afrique auprès des cultivateurs indigènes libres. Si cette concurrence réussit à éliminer du marché les plantations antillaises, la traite n'aura plus de raison d'être.
Ainsi donc, dans la courte histoire d'un amour malheureux se retrouve l'écho des controverses qui passionnaient l'opinion publique.
Que Mme de Staël se soit résolument engagée dans les troupes abolitionnistes ne fait aucun doute. Il en est d'autant plus significatif qu'elle
ait pris pour argent comptant certaines affirmations, tendant à démontrer l'infériorité supposée des Noirs. Et, comme tous ceux qui ont
choisi des Noirs pour personnages, elle n'a pu passer sous silence
l'importance de leurs contacts avec les Blancs.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
192
Les relations entre les races constituent le sujet même du roman de
A. B. Pinière Les Colons (1804). Il s'agit d'un roman didactique, illustrant pour le maître blanc la meilleure façon de traiter ses esclaves.
Comme le dit l'auteur :
C'est par un petit roman […] que j'essaierai d'indiquer aux
Colons des règles de conduite également profitables pour eux et
pour leurs compatriotes des métropoles.
(A. B. PINIÈRE, Les Colons, 1804, p. 4.)
[134]
Trois frères sont colons dans l'île anglaise de Saint-Christophe :
Thomas, Cambridge et Williams (sic) Walès. Thomas, instruit à l'école coupable de Brissot et quelques autres novateurs, fait preuve d'une
indulgence excessive qui mène à la catastrophe. Les Noirs s'abandonnent à leur paresse naturelle, il est ruiné, sa femme meurt de douleur,
son fils, forcé de s'engager dans l'armée des Indes, est tué au combat.
Thomas lui-même, suspect de sympathies révolutionnaires, est enfermé à la tour de Londres. Cambridge, par contre, se montre trop sévère.
Quand le Nègre Bayador, épuisé de travail, s'endort et n'entend pas le
signal de la reprise, Cambridge lui fait couper les jarrets. Il oublie que
la vengeance des Africains est terrible, car :
ils ne connaissent que la passion irrésistible et l'empire de la
force. In furias ignesque ruunt. [...] c'est pourquoi l'on connaît
si peu chez eux les douceurs de la vie civile (idem, p. 37).
Bayador se venge en précipitant les enfants de son maître du haut
du toit de la maison. Cambridge se suicide.
Quant à Williams, il veille à la discipline, tout en se montrant humain envers ses esclaves :
Un amour vraiment filial, de la part des noirs, payait les sollicitudes paternelles de Williams et de sa femme (idem, p. 35).
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193
Ses affaires prospèrent et tout le monde vit heureux sur sa plantation. Il avait pourtant mis son frère Cambridge en garde et lui avait
même envoyé de bons conseils sous forme de poèmes.
Amené d'un lointain rivage,
Courbé sur des sillons brûlans,
Six jours, il féconde nos champs
Que, le septième, sous l'ombrage,
Son cœur retrouve en ce séjour,
Le repos, Bacchus et l'Amour (idem, p. 36).
Le colon si méchant qu'il accule ses esclaves à la révolte est depuis
longtemps un personnage conventionnel. Ce qui est nouveau, C'est
l'apparition du propriétaire qui pèche par excès d'indulgence, qui se
laisse influencer par les doctrines pernicieuses des philanthropes. La
tactique des esclavagistes est simple : blâmer au départ la brutalité
excessive de certains propriétaires – qu'ils donnent pour exceptionnelle – leur permet de passer pour des gens raisonnables et humains. Les
voilà en meilleure posture pour condamner les abolitionnistes présentés, au mieux, comme de dangereux utopistes, au pire comme des révolutionnaires ambitieux.
La révolution de Saint-Domingue inspira, l'on s'en doute, bon
nombre de romans. Avant le jeune Victor Hugo, Picquenard, René
Périn, Adrien de Texier, Auguste de Traversay, J.-B. Berthier, d'autres
[135] encore, ont évoqué les malheurs de la colonie. Crimes, tortures
et dévastations sont décrits par le menu. C'est comme par hasard la
violence des esclaves révoltés que l'on détaille ; la répression blanche
qui fut pour le moins aussi brutale, est généralement passée sous silence. Ces œuvres de circonstance qui prétendent dramatiser l'Histoire
illustrent plutôt la partialité des écrivains.
Résumer tous ces romans serait fastidieux et malaisé ; suivant la
mode de l'époque, leurs intrigues sont d'une grande complication, riches en coups de théâtre, en coïncidences plus ou moins gratuites, en
péripéties de mélodrame. Certaines nouveautés méritent néanmoins
d'être signalées.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
194
L'apparition dans les romans de personnages historiques Nègres.
Dans l'Histoire de Mesdemoiselle de Saint-Janvier, les deux seules
blanches sauvées du massacre de Saint-Domingue, de Mlle de Palaiseau, on raconte comment M. de Saint-Janvier est emprisonné par
Dessalines, puis exécuté avec sa femme. Leurs deux enfants sont sauvées parle général Diakué, qui avait une dette de reconnaissance envers leur père, et par la veuve de Dessalines. Dessalines lui-même est
tué par les Mulâtres aux ordres de Pétion, futur président de la République haïtienne. Boukman et Biassou sont des personnages de Zoflora ou la bonne négresse, de J.-B. Picquenard. Dans L'Incendie du
Cap, tout de suite après une apologie abjecte du Premier Consul, René
Périn dénonce Toussaint Louverture :
Un scélérat, que la nature avait condamné à végéter, le rebut
de la société, un Toussaint-Louverture, ce serpent que la France
a réchauffé dans son sein, dont elle a protégé les petits, cet assemblage inouï de scélératesse, d'ingratitude, de sottise,
d'amour-propre et de bassesse, un Toussaint-Louverture, qui a
oublié les bontés dont la France a daigné le combler, qui a grossi ses richesses des dépouilles de ses victimes, qui a trahi, persécuté ceux qui avaient abrité son enfance, cet hypocrite ignorant, qui, dans son fol orgueil, au milieu d'une orgie, osait dire
que Raynal l'avait désigné [etc., etc.] Mais le premier Consul a
parlé, et à l'instant où j'écris, le perfide Toussaint a peut-être
existé.
(R. PÉRIN, L'Incendie du Cap, 1802, p. xi-xiii.)
On pourrait multiplier les exemples. Tous les romanciers n'atteignent pas à cette éloquence dans l'invective, mais le moins qu'on puisse dire c'est que les chefs historiques des Noirs ne sont pas flattés.
Cruels, ignorants, voleurs, vaniteux, luxurieux, nous voici loin des
admirables héros que souhaitaient les abolitionnistes du XVIIIe siècle.
L'opinion publique ne pardonnera pas à Biassou ou à Toussaint Louverture de n'avoir pas été des Itanako ou-autres Ziméo.
Les premiers Mulâtres apparaissent dans la littérature d'imagination. Ils avaient formé l'une des factions dans les guerres de Saint-
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195
Domingue [136] et, dans Félix et Léonore, ou Les Colons malheureux,
Berthier décrit leur conduite lors de la prise du Cap :
Leurs propres enfans, [aux colons] les hommes de couleur,
leur plongeaient le poignard dans le sein. Ils étaient les agens
presque universels du massacre des blancs ; ils laissaient à la férocité des noirs les horribles détails des exécutions, mais ils les
soulevaient, se plaçaient à leur tête pour exciter leur acharnement, donnaient une âme à la révolte et à ses plus grands excès ;
en un mot, ceux qui auraient dû s'interposer entre les deux espèces pour sauver la plus intéressante des poignards et des bûchers, où elle expirait victime d'une espèce ennemie, aiguisaient
au contraire le fer assassin, et attisaient le feu au lieu de l'éteindre. Ils devaient au mélange d'un sang plus pur une plus haute
portion d'intelligence, et ils en usaient pour suivre l'exécution
des horribles plans conçus en France par des hommes malheureusement trop connus 74.
(J.-B. C. BERTHIER, Félix et Léonore, 1801, vol. II, p. 182183.)
On voit que Berthier ne saurait être soupçonné de négrophilie. Encore une fois, cela ne l'empêche pas d'affecter l'impartialité en créant
Godefroy, jeune et méchant Créole :
L'habitude de la domination au milieu d'un troupeau d'esclaves qu'il châtiait au gré de ses caprices, avait aidé au développement de ses mauvaises qualités, et lui avait endurci le cœur
au point de le rendre féroce (idem, vol. I, p. 131).
74
En 1822, B. V. Laisné de Tours republie Félix et Léonore sous son nom,
après l'avoir rebaptisé L'Insurrection du Cap ou la perfidie d'un noir. A
quelques phrases près, c'est exactement le texte de Berthier. Il est amusant
de remarquer que la dernière phrase de notre citation manque chez Laisné.
S'agit-il là d'un louable souci de réconciliation nationale ? Ou peut-être notre
plagiaire ne tenait-il pas à offenser les hommes malheureusement trop
connus qui avaient conçu de si horribles plans ? Certains des anciens Amis
des Noirs étaient non seulement en vie, mais également haut placés...
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196
Pour en revenir aux Mulâtres, ils ne fournissent pas encore de héros au roman. Dans Les Amours de Zémédare et de Carina, de A.-J.
de Traverseray, nous trouvons bien Eugène Dérima, homme de couleur affranchi et instruit, ardent défenseur de la discrimination contre
les Nègres et – propriétaire lui-même – partisan convaincu de l'esclavage. Mais ce n'est qu'un personnage secondaire, qui s'est parfaitement assimilé aux Blancs. La partie noire de son ascendance ne semble lui créer aucun problème. Il est vrai que Traverseray situe son roman aux alentours de 1758 : les revendications des « sang-mêlés »,
avec les conséquences dramatiques qu'elles vont entraîner, ne se manifestent guère à cette époque. C'est vers la fin du siècle que le racisme,
s'étant constitué en doctrine, impose une série de tabous absolus.
Avant cela, il semble bien que les mesures discriminatoires prises
contre les Mulâtres aient été relativement bénignes.
Plus intéressant que le Mulâtre Dérima est la Mulâtresse Zorada,
[137] héroïne du roman de Émilie J... T... Zorada, ou La Créole. Dans
une lettre à son amie Mme de Ch... x, Zorada écrit :
Je suis fille de M. de Montglave, et d'une négresse qui lui
avait inspiré la passion la plus vive : ma mère périt en me donnant le jour. J'étais destinée, par ma naissance, à me trouver au
nombre des esclaves de Monsieur de Montglave, et je devais,
suivant les lois qui régissent la colonie de Saint-Domingue où
je suis née, subir le sort de ma mère.
(E. J... T.... Zorada, 1801, vol. I, p. 87-88.)
Son père l'affranchit, et elle hérite de lui à sa mort. La voilà riche,
et cela suffit aux Créoles blancs pour passer outre à leurs préjugés :
Malgré l'odieux préjugé qui semblait me reprocher ma naissance et ma couleur, je les vis briguer à l'envie ma main, ou plutôt ma fortune (idem, p. 89-90).
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197
On voit bien que l'action se passe avant l'incendie du Cap. Une fois
déclarée la guerre entre les races, il serait impensable que des jeunes
gens de la bonne société coloniale puissent se résigner à épouser une
fille de couleur. De son côté, Zorada a pris conscience de ses origines,
et n'est aucunement disposée à les renier :
D'ailleurs, le souvenir de ma mère me rappelait sans cesse
que ces noirs si cruellement traités étaient originairement mes
frères, et je n'envisageais qu'avec horreur l'idée d'épouser un de
leurs bourreaux (idem, p. 92).
Elle tombe amoureuse du soldat James, Blanc il est vrai, mais frais
débarqué de France. Elle lui achète son congé et devient sa maîtresse ;
mais James refuse de l'épouser. Lorsque la révolution éclate, Zorada
prend le parti des républicains et se voit condamnée à la déportation
en France. Avant de s'embarquer, elle est témoin des excès des Noirs,
qu'elle n'explique nullement par la férocité de leur nature :
Ces scènes sanglantes de dévastation et de destruction ont
prouvé que la suprême justice laissait agir quelquefois le crime,
pour punir le crime (idem, vol. II, p. 27).
Zorada avait d'ailleurs raconté un de ces crimes, commis par le colon Leblanc : ayant jeté son dévolu sur la Négresse Lily son esclave, il
défend à un de ses Noirs de continuer à la courtiser. Et quand il apprend que Lily le trompe avec l'esclave, il fait défigurer la jeune fille
et fouetter son amant.
Après toutes sortes d'aventures, Zorada débarque en France, retrouve James, apprend qu'il est marié et en meurt de douleur. Son histoire est écrite sinon avec élégance, du moins dans un style mesuré, et
le personnage de Zorada est moins superficiel que ceux que nous
avons vus jusqu'ici. C'est le premier exemple d'un personnage au
[138] « sang » mêlé faisant face aux problèmes que lui posent et la
conscience de son identité et son rôle dans une société névrosée par la
contradiction entre l'organisation de son économie et les principes moraux dont elle se réclame.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
198
À côté de la Mulâtresse admirable, il aurait été surprenant de ne
pas trouver la Mulâtresse criminelle. Zabé, par exemple, qui accuse le
pauvre Abel (gouverneur de la plantation du capitaine Fréming, son
demi-frère) de l'avoir violée. Ayant accouché, elle cherche à se faire
épouser par Abel, mais les lois de la colonie interdisent les mariages
mixtes. Le scandale est cependant tel qu'Abel doit s'exiler. Ce n'est
qu'au chapitre de la mort que Zabé reconnait l'avoir faussement accusé :
Son âme atroce, et plus noire que sa laide figure, ne tarda
pas en effet à descendre aux enfers.
(F.-G. DUCRAY-DUMINIL, Elmonde, 1805, vol. III, p.
60.)
Admirable pour les uns, criminelle pour les autres, la Mulâtresse
deviendra une des grandes figures de l'éros romantique. Cette préférence pour les amours exotiques n'est nullement incompatible avec le
racisme le plus intransigeant, bien au contraire ; nous savons aujourd'hui combien le préjugé de couleur est profondément enraciné dans
les mystères de la libido. Qu'un raciste soit attiré par des partenaires
d'une ethnie méprisée n'est paradoxal qu'à première vue : le besoin de
dominer et d'humilier s'exprime volontiers par le désir sexuel. Il n'est
donc pas étonnant de trouver dans les œuvres de Cornillon, cet esclavagiste enragé, une Ode à la quarterone Angélique :
Tes lèvres sont-elles moins fines ?
Mais quel repos plus cher se présente au désir ?
Douces, humides, purpurines,
Que sur ces coussinets on s'oublie à plaisir !
................................
Le palmiste a moins de noblesse,
La canne d'élégance en ses balancemens,
Et la liane de souplesse
Pour étreindre un cafier dans ses embrassemens.
(CORNILLON, Odes, 1806, p. 64.)
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Si le Bon Sauvage a pratiquement disparu, il est remplacé par le
Bon Nègre, c'est-à-dire par le serviteur fidèle et reconnaissant du maître qui a su se montrer humain envers lui. On trouve quelques Bons
Nègres avant la Révolution, bien sûr, mais à partir de 1789 ils deviennent des personnages conventionnels dont la présence est pratiquement obligatoire dès que le roman se passe aux colonies. Il ne s'agit
d'ailleurs pas nécessairement d'esclaves, et il peut même s'agir d'individus qui ont vraiment existé. Témoin l'aubergiste Simon, [139] que
l'on trouve dans Zoflora, ou la bonne négresse de Picquenard. L'auteur affirme :
J'ai vu près de douze cents noirs à ses funérailles, venir de
plus de vingt lieues brûler des plantes aromatiques sur sa tombe, et chanter pendant trois nuits des cantiques africains autour
de son cercueil.
(J. B. PICQUENARD, Zoflora, 1800, p. 70.)
Sous le nom d'Antoine, ce même Simon est, on s'en souvient, le
héros du Nègre aubergiste, fait historique en un acte et en prose, de
Guillemain, représenté sur la scène du théâtre du Vaudeville le 3 septembre 1793. Dans le roman de Picquenard, la protection de l'aubergiste sauve la vie au jeune Justin qui, à peine débarqué de France, se
fait capturer par une bande de Nègres marrons.
De Picquenard également, Adonis ou le bon nègre raconte le dévouement de l'esclave Adonis et de son amoureuse Zerbine qui risquent leur vie pour sauver les d'Hérouville, prisonniers de Biassou
(comme nous l'avons vu en signalant la pièce que Béraud et Rosny
tirèrent du roman).
Ce Picquenard est d'ailleurs un être bizarre, une sorte d'obsédé
sexuel qui semble avoir beaucoup médité les œuvres du divin Marquis. Biassou rappelle les monstres de Justine :
Ce monstre avait poussé la barbarie jusqu'à livrer des femmes blanches à la brutalité des nègres, qui ne manquaient ja-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
200
mais de les assassiner après avoir assouvi sur elles leurs infâmes passions.
(J. B. PICQUENARD, Adonis, 1798, p. 74.)
Et voici une scène qui ne cède en rien à ce que les imaginations libertines les plus déréglées des Prospérités du vice ont pu inventer.
Picquenard décrit la fureur des Noirs insurgés :
On les a vu souvent s'acharner sur les mères de famille, et
arracher de leurs entrailles palpitantes les tendres fruits de leur
union, qu'ils coupaient par morceaux, en forçant les malheureuses victimes de leur cruauté à manger de cette chair révoltante,
qu'ils enfonçaient par violence jusqu'au fond de leur estomac
(idem, p. 128-129).
Pour être justes, signalons que l'auteur a également créé un Blanc
luxurieux et criminel. Il s'agit comme par hasard non pas d'un colon
mais du mauvais prêtre Philémon, qui a fait cause commune avec les
esclaves :
Ce monstre poussait la barbarie jusqu'à faire cultiver son
jardin par des jeunes filles blanches de quinze ou seize ans, qui
avaient été faites prisonnières, en exigeant qu'elles fussent entièrement nues, exposées aux rayons brûlants d'un soleil enflammé, et à la lubricité de ses regards criminels (idem, p. 140).
Le « Basile des Antilles » est capturé par les forces de l'ordre et
condamné à être pendu. Picquenard assure avoir assisté à son exécution.
[140]
Les descriptions d'esclaves soigneusement torturés procuraient jadis un trouble plaisir à bien des lecteurs. Désormais, ils devront se
contenter des descriptions de vierges pures et de mères de famille violées et éventrées par les Nègres lubriques. Certains estimaient sûre-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
201
ment n'avoir rien perdu au change. Cet érotisme quelque peu spécial
se retrouve dans Félix et Léonore, de J.-B. Berthier : Madame Supply,
mère de l'héroïne, est brûlée vive par les « cannibales » révoltés :
Ses bourreaux achevèrent de la dépouiller, pour satisfaire
leurs lubriques regards pendant l'horreur de son supplice.
(J.-B. C. BERTHIER, Félix et Léonore, 1801, vol. II, p.
147.)
Quoi qu'il en soit, pour revenir à notre Bon Nègre, on voit qu'il
peut servir à illustrer les thèses d'idéologies diamétralement opposées.
Les abolitionnistes s'appuyent sur lui pour prouver que les Noirs sont
capables d'être aussi vertueux que les Blancs. Fidèle, industrieux, sensible, bon père et bon époux, courageux et débrouillard, le Bon Nègre
mérite de devenir citoyen à part entière. Si seulement ses frères de race étaient bien traités, ils suivraient son exemple. L'humanité y trouverait son compte, ainsi que la prospérité des colonies.
Pour les esclavagistes, il remplit les mêmes fonctions de dédouanement que le colon malfaisant ; en admettant son existence, ils se
présentent comme impartiaux et modérés. Mais il est bien entendu que
le Bon Nègre, tout comme le Mauvais Colon, n'est que l'exception qui
confirme la règle. C'est d'ailleurs invariablement à la sauvagerie des
esclaves insoumis qu'il se mesure, jamais à l'incompréhension ou à
l'injustice des Blancs. Il sert en somme de repoussoir et il est le premier à blâmer les Noirs qui tentent d'échapper à leur condition par la
violence. Ce qui ne se retrouve en tout cas nulle part, c'est le Noir vertueux et révolté, comme l'étaient Oronoko et Ziméo. Encore une
conséquence, me semble-t-il, des événements de Saint-Domingue
rapportés et interprétés tendancieusement pour les besoins de la cause.
C'est vers le début du XIXe siècle que nous trouvons les premiers
exemples de ce que l'on pourrait appeler le roman pionnier. Ce genre
prend pour sujet les aventures de l'homme blanc s'installant sur les
terres incultes pour les défricher et les mettre en valeur ; il est influencé bien entendu par l'œuvre exemplaire qu'est Robinson Crusoé – et
l'on sait la faveur durable que les lecteurs bourgeois accordent à Robinson. Le roman pionnier, ancêtre du roman colonial, détaille les so-
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202
lutions techniques permettant de vaincre un milieu naturel hostile. Il
nous intéresse dans la mesure où le Nègre, l'indigène, est vu à la fois
comme outil au service du Blanc et comme élément du milieu qui lui
résiste. Un bon exemple est fourni par Félix et Léonore, de Berthier.
En 1783, Monsieur de Saint-Firmin ayant perdu sa [141] femme, part
s'établir à Saint-Domingue avec son enfant Félix et Julien son fidèle
serviteur. Aussitôt arrivés :
Il acheta trois nègres, deux dans l'adolescence et un troisième dans l'âge mûr. [...] Il prit aussi à son service une mulâtresse
instruite, et qui devait être chargée des détails du ménage.
(J.-B. C. BERTHIER, Félix et Léonore, 1801, vol. I, p. 14.)
La petite troupe se transporte sur le terrain, et l'on dresse les tentes :
La tente de M. de Saint-Firmin était la plus grande. Il y avait
fait placer ses équipages, afin de les garantir de la cupidité des
noirs qui sont très enclins au vol (idem, vol. I, p. 29).
Les Blancs ne sont pas seulement logés plus confortablement, ils
se réservent aussi un régime alimentaire plus raffiné :
[Les provisions] consistaient pour M. de Saint Firmin, Félix
et Julien, en riz, biscuit, farine de froment ; et pour les noirs, en
farine de manioc. (idem, vol. I, p. 40).
Lorsque le petit Félix s'amuse à bêcher la terre en compagnie des
esclaves noirs, Berthier remarque :
On eût dit que c'était l'Amour entre deux démons qui commençaient l'exécution d'une pantomime (idem, vol. I, p. 46).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
203
Enfin, malgré le dégoût absolu pour le travail et la paresse invincible des Nègres, et grâce à une vigilance de tous les instants, la nouvelle plantation prospère. Mais, comme on pouvait s'y attendre, les
esclaves désertent aussitôt que la révolution éclate. L'un d'eux se distingue par sa férocité : il tue Monsieur de Saint-Firmin avant d'être
poignardé lui-même par Félix. Le jeune homme et sa fiancée réussissent in extremis à se réfugier aux États-Unis. Ils vivront heureux dans
le Connecticut : la main-d’œuvre noire leur manquera sans doute,
mais au moins n'auront-ils pas à craindre sa sauvagerie naturelle.
Un autre roman que l'on pourrait à la rigueur ranger dans la même
catégorie est celui qu'Adrien de Texier a intitulé Les Colons de toutes
les couleurs, histoire d'un établissement nouveau à la côte de Guinée.
En 1791, Philippe B.... le narrateur, revient au Cap après douze ans
d'absence. Il y retrouve ses trois ou quatre cents Nègres durement traités par son gérant. Favorable aux idées progressistes, Philippe B...
veut modifier sur ses terres l'institution de l'esclavage :
Je voulais que dans chaque ménage de mes nègres, aussitôt
qu'il pourrait se faire remplacer par deux enfants, âgés de quinze ans, obtînt par cela seul la liberté personnelle tant de la mère
que du père. [Ceci encouragerait] à la fois les mœurs, la population et la culture.
(A. de TEXIER, Les Colons..., 1798, vol. I, p. 11.)
[142]
Mais les autres colons le traitent d'Ami des Noirs et de Jacobin et
l'empêchent de réaliser ses projets. Juste au moment où la guerre civile se déclare, arrive en Haïti un vaisseau commandé par un Noir, le
capitaine André. Il est envoyé recruter des immigrants par Adrien G....
un Blanc mystérieux qui a fondé une colonie sur la côte de Guinée.
Philippe B... s'embarque avec ses esclaves, qui refusent de se séparer
de lui. Ils arrivent à Adriani, ville de 50 000 habitants, capitale du
royaume d'Adrien où règnent l'abondance et la tranquillité. Adrien est
un roi constitutionnel ; il a épousé la princesse noire Zara qui donne à
douze cents lieues de l’Europe le modèle de l'amabilité et des grâces
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
204
(vol. 1, p. 70). Pauline, la propre sœur du monarque est elle-même la
femme du prince noir Iglof de la tribu des Bambouki :
Elle avait vingt-deux ans et paraissait presque honteuse de
ne compter encore que cinq enfants (idem, vol. I, p. 56).
Le narrateur remarque que dans les basses-cours et les étables de la
colonie les animaux originaires d'Afrique et d'Europe vivent en bonne
entente. C'est un symbole : dans le royaume d'Adrien, les « colons de
toutes les couleurs »ont adopté le principe de l'égalité raciale, ce qui
n'a fait que favoriser le développement économique de la colonie. Il y
a plus : Texier est, à ma connaissance, le premier écrivain à avoir prôné le mélange des races ; Philippe B... se mettra au diapason en prenant pour femme Zorilla, fille d'Adrien et de Zara. Dommage que l'auteur soit un piètre romancier : Les Colons reste un ouvrage utopiste et
naïf, invraisemblable non seulement par sa trame, mais par la banalité
des personnages, simples marionnettes d'une moralité édifiante. Sauf
un, peut-être : le frère de Zara, Azenof, prince des Orinbouls, dont
Adrien raconte l'histoire. Il est embarqué sur un bateau négrier :
Le capitaine assurait qu'on n'avait peut-être jamais vu cargaison de nègres plus mutine que la sienne : il en attribuait la
cause à une espèce de chef, créature d'un naturel violent, et ne
manquant nullement de résolution (idem, vol. 1, p. 97).
Azenof, qui joignait à la férocité d'un sauvage une dissimulation
profonde (vol. 1, p. 100), organise une révolte. Presque tout l'équipage
est massacré, mais Azenof exerce à son tour une véritable tyrannie et
les Noirs, sous la direction d'Adrien et avec l'aide de Zara, se soulèvent à nouveau. Azenof est tué et Adrien ramène vaisseau et passagers
en Afrique. Mérimée a-t-il lu Texier ? C'est peu probable, mais Azenof annonce Tamango sous bien des rapports.
Le mariage mixte ne semble poser aucun problème aux personnages de Texier. Africains et Européens parlent la même langue (le français, bien entendu), pratiquent la même religion (le catholicisme), bref
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
205
partagent la même culture et ne se distinguent en fin de compte que
par la couleur de leur peau. Et il faut remarquer que la civilisation
[143] « adriannienne » n'est pas un amalgame : l'apport africain y est
négligeable ; il se limite à quelques détails pittoresques dans le costume et la cuisine. Par la douceur et la persuasion sans doute, mais c'est
toujours le Blanc qui impose sa Weltanschauung et le Noir qui renonce à la sienne. Le royaume d'Adrien est une colonie, dans le sens moderne du terme.
Un dernier roman mérite, plus que les autres peut-être, de retenir
l'attention : Hortense ou la jolie courtisane. Sa vie libertine, à Paris, et
ses aventures tragiques avec le nègre Zéphire dans les déserts de
l'Amérique, de Jacques Grasset de Saint Sauveur, publié en 1796. Le
premier volume de ces mémoires écrites à la première personne annonce un ouvrage libertin dans le goût du XVIIIe siècle. Hortense, fille du comte de Grandchamp, s'enfuit avec son jeune et pauvre séducteur Charmelieu. La misère la force à accepter les propositions d'une
marchande de modes qui l'initie à la vie galante. Remarquée par les
rabatteurs de Louis XV, elle est kidnappée et enfermée dans le Parc
aux Cerfs où le roi l'honore de ses faveurs. Elle tombe amoureuse d'un
mousquetaire et se donne à lui sans soupçonner qu'il est son propre
frère. Les amants sont surpris ; lui est envoyé à la Bastille, elle à Sainte-Pélagie. Grâce à des moines criminels, Hortense réussit à s'évader
et se réfugie avec eux en Hollande. Elle mène une vie crapuleuse à
Amsterdam mais un de ses clients ayant été assassiné au cours d'une
orgie, la jolie courtisane doit s'enfuir à nouveau. Elle échappe de justesse à la police et s'embarque sur un bateau en partance pour Surinam.
Les aventures d'Hortense en Guyane hollandaise entrent dans notre
sujet. Au cours d'une promenade, elle est en effet enlevée par deux
Nègres marrons qui l'entraînent avec eux dans la jungle. La pauvre
fille est terrorisée, mais
à travers leurs mauvais traitements, je croyais entrevoir une sorte de respect qui les empêchoient jusqu'alors d'attenter à mon
honneur ou à ma vie.
(J. GRASSET de SAINT SAUVEUR, Hortense, 1796, vol.
II, p. 7.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
206
Quelques jours plus tard les deux Noirs se battent au couteau pour
savoir lequel la possèdera. L'un d'eux est tué, l'autre grièvement blessé. Malgré sa répugnance, Hortense soigne le vainqueur et le guérit.
Le Noir, nommé Zéphire, est plein de reconnaissance ; tout en faisant
une cour assidue à la jeune femme il continue à la respecter, jusqu'à ce
que
un matin, muni du couteau fatal qui avoit tranché les jours de
son compagnon, je le vis tomber à mes pieds, en me menaçant
de s'en percer lui-même, si je différois d'un seul moment le sacrifice qu'il exigeoit de moi (idem, vol. 11, p. 19).
Épouvantée à l'idée de se retrouver seule en pleine forêt vierge,
Hortense surmonte son dégoût et lui cède. À mesure que les semaines
[144] passent, elle se résigne à son sort et se rend même compte qu'elle commence à aimer Zéphire. N'ayant jamais lu les plaidoyers des
philanthropes, c'est d'elle-même qu'elle comprend peu à peu l'injustice
et l'absurdité du préjugé de couleur :
Je raisonnois, je comparois et je me disois : si cet esclave
étoit aussi loin de la nature que notre orgueil le suppose, s'il
n'avoit pas comme nous le cœur fait pour aimer [...] s'il étoit enfin ce qu'on nous les dépeint et ce que nous les forçons à devenir, que ferois-je au milieu de ces déserts qui me séparent à présent du reste de l'Univers ? (idem., vol. II, p. 22).
Elle se trouve bientôt enceinte, accouche d'un garçon, et l'amour
qu'elle éprouve pour son enfant renforce ses sentiments pour Zéphire :
Je mis au monde un enfant, qui, comme on peut s'en douter,
participoit autant de l'un que de l'autre, et dont la couleur encore
indéterminée par le partage des nuances qui pouvoient appartenir à chacun de nous, faisoit naître à tous deux une égale disposition à l'aimer (idem, vol. II, p. 2 7).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
207
Zéphire ne parle qu'un dialecte africain et pendant longtemps Hortense et lui ne peuvent communiquer que par signes. Mais à mesure
que disparaît son aversion, la jeune femme entreprend d'enseigner le
français à son mari, qui fait de rapides progrès. Il peut bientôt lui apprendre qu’il est le fils de Bourgabou, chef d'une tribu sénégalaise : le
héros noir est une fois de plus de sang royal. A force de la questionner
sur la vie qu'il menait en Afrique, Hortense se rend compte que la religion du Sénégal ne diffère pas essentiellement du christianisme ; à
tel point que Zéphire, après s'être fait expliquer les grands principes
du catholicisme ne répugne aucunement à accepter le baptême. C'est
Hortense qui versera l'eau lustrale sur sa tête et sur celle de leur fils
Alexis. Le propos de Grasset Saint Sauveur est clair : il veut montrer
que la femme la plus dépravée peut refaire sa vertu au sein de la nature, et qu'Hortense retrouve en même temps une religion lavée, elle
aussi, des impuretés d'une société corrompue. C'est le catholicisme
véritable, fondé sur la morale naturelle commune à tous les hommes,
sans distinctions de races ou de cultures.
Avec le temps et sous l'influence de sa femme Zéphire se transforme. Si bien que :
Ce n'étoit plus cet esclave inquiet, triste, sombre et soupçonneux ; c'étoit déjà même plus qu'un mari honnête et complaisant ; c'étoit l'amant délicat, attentif et soumis, qui épioit mes
volontés, étudioit mes inclinations, et prévenoit en tout mes
goûts (idem, vol. II, p. 28-29).
Bien sûr, il s'agit encore une fois de colonialisme culturel. Mais
pas entièrement. Car c'est grâce aux connaissances de Zéphire, à la
science qu'il possède des ressources offertes par la nature sauvage que
le couple peut bâtir une maison, cultiver un jardin, se soigner contre
les fièvres tropicales, arriver en somme à mener une vie idyllique. Et
Hortense [145] ne s'est pas seulement dépouillée de ses préjugés ; elle
a compris que la façon de vivre des Africains n'est pas méprisable et
qu'elle complémente admirablement celle des Européens. Hortense
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
208
bénéficie tout autant que son mari de leur cohabitation. Bref, elle est
transformée, elle aussi :
Je m'étois déjà accoutumée à me passer de vêtemens, et le
spectacle continuel de notre nudité ne coûtoit déjà plus d'allarmes à ma pudeur (idem, vol. II, p. 39).
Cette nudité est évidemment symbolique : c'est celle des premiers
âges, celle du couple vertueux d'avant la chute.
Hortense connaîtra d'autres aventures. Au cours d'une expédition
de chasse Zéphire est pris par des Indiens qui le ramènent à Paramaribo, afin de toucher la prime offerte par le gouvernement à quiconque
capture un Nègre marron. Inquiet pour sa femme et son fils, Zéphire
obtient la permission de partir à leur recherche avec un détachement
commandé par le militaire blanc Donsel. Ils les retrouvent. Donsel
tombe amoureux d'Hortense et veut la persuader de renoncer à Zéphire. Hortense refuse et se refuse. Fou de passion, Donsel menace de
faire exécuter Zéphire si la jeune femme lui résiste. Par amour pour
son mari elle se laisse violer. Elle réussira plus tard à s'évader avec
Zéphire et Alexis. Voilà qui est nouveau : c'est le Blanc soi-disant civilisé et non pas le Noir soi-disant primitif que la luxure pousse au
crime.
Nos héros s'enfoncent dans une région encore plus éloignée des
établissements européens. Hortense est enceinte des œuvres de Donsel
et accouche d'Angélique, petite fille entièrement blanche, bien entendu, que Zéphire accepte sans se soucier de sa couleur.
La dernière partie du roman donne carrément dans le rocambolesque. Une tribu Inca capture Hortense et sa famille. Son chef est un
vieux cacique presque aveugle qui croit reconnaître en elle sa propre
fille, jadis enlevée par les Blancs. L'ancienne courtisane règnera sur la
tribu, mais sera forcée de se plier à la coutume et d'épouser un Indien,
nommé en l'occurrence Imolaka. Quant à Zéphire, il sera séparé des
siens ; on ne lui permettra de retourner auprès de sa femme qu'à la
condition de se laisser préalablement châtrer. L'amour de Zéphire pour
Hortense est si fort qu'il accepte : il se contentera désormais du bonheur de la voir. L'opération faite, il vient habiter avec Imolaka et Hor-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
209
tense. Mais Hortense l'aime en dépit de tout. Ils réussissent à voler les
trésors des Incas et à se réfugier dans une colonie anglaise où, nous
assure l'auteur, ils finiront leurs jours dans le bonheur et la tranquillité.
La fin du roman donne très nettement l'impression d'avoir été bâclée. On s'attendait à ce qu'après avoir accouché d'un fils noir et d'une
fille blanche Hortense ait un enfant Indien d'Imolaka. L'expression
[146] symbolique de sa régénération dans le Nouveau Monde aurait
été complète si Hortense avait porté dans ses flancs les trois races destinées à en assurer le peuplement. Quoi qu'il en soit, l'intérêt du roman
reste indéniable. C'est la première et l'unique œuvre à tracer le processus inévitable d'adaptation dans un mariage entre représentants de
deux ethnies aux cultures si différentes. C'est le premier roman qui se
soit efforcé de valoriser certains aspects de la culture africaine, de
montrer que les différences évidentes entre Blancs et Noirs peuvent
relever du domaine des apparences plutôt que de celui des essences ;
un des rares dont les personnages ont une certaine complexité, ne sont
pas placés sous le signe d'une vertu parfaite ou d'une méchanceté sans
mélange. Invraisemblable, certes, Hortense, la jolie courtisane est
écrit dans un style qui n'est pas entièrement dénué d'élégance.
Arrivés au terme de ce survol de la littérature révolutionnaire et
impériale, force est d'avouer qu'aucun chef-d'œuvre oublié n'a été découvert. On a par contre pu noter l'apparition d'une série de types, la
naissance d'une série de thèmes qui seront développés par les écrivains romantiques. Il s'agit en somme d'une période de « préparation
des chefs-d'œuvre », pour reprendre l'expression de Lanson. Je pense
que les Noirs de Balzac, de Hugo, de Mérimée, d'Eugène Sue,
d'Alexandre Dumas, sont les descendants directs de ceux de Bernardin, de Picquenard ou de Grasset Saint-Sauveur. En quoi ils diffèrent
de leurs prédécesseurs sera le sujet de notre prochain chapitre.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
210
[147]
Le nègre romantique
Personnage littéraire et obsession collective
Chapitre IV
LE NÈGRE
ROMANTIQUE
(1815-1848)
Jusqu'ici donc une seule race avait été active dans le jeu
des événements humains ; désormais il en faut compter
deux ; et pour qui a bien examiné la question, il est certain
que la fixation des rapports de ces deux races est le plus
grand problème religieux, moral et politique de l'avenir et
même du présent.
(G. d'EICHTHAL et I. URBAIN, Lettres sur la race
noire et la race blanche, Paulin, 1839, p. 12.)
Retour à la table des matières
Entre 1815 et 1848, l'histoire des contacts entre Français et Noirs
semble pour ainsi dire marquer le pas. Saint-Domingue, la plus peuplée, la plus précieuse des colonies à esclaves, est perdue et bien perdue. L'Ile de France, cédée à l'Angleterre, également. Restent la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, l'Ile Bourbon (La Réunion), des
comptoirs sur la côte africaine et à Madagascar. L'importance de ces
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
211
territoires est pour l'heure secondaire, et du point de vue politique et
du point de vue économique. L'extension « en tache d'huile » de la
présence française au Sénégal, à Madagascar et à la Guyane reste très
limitée 75. L'essentiel de l'effort colonial du pays portera sur l'Algérie
à partir de 1830, tandis que l'expansion coloniale en Afrique noire ne
commencera que sous la Troisième République.
Certains administrateurs ont cherché à développer les colonies
africaines : au Sénégal Schmaltz entre 1817 et 1820, puis le baron
Roger entre 1821 et 1826 prônèrent la pénétration et la mise en valeur
de la région, mais sans succès appréciable. Le naufrage de la Méduse
en 1816 et les souffrances des rescapés en terre d'Afrique produisirent
une forte impression. Les aventures des premiers explorateurs (Mollien au Sénégal, de Beaufort en Gambie, et surtout René Caillié, le
premier Européen à revenir vivant de Tombouctou (pour ne citer
[148] que les Français) passionnèrent l'opinion publique. Mais il est
certain que :
Avant la grande expansion coloniale provoquée par la guerre
de 1870, la littérature romanesque et la littérature de reportage
en France n'offrent qu'une vision fragmentaire et sommaire de
l'Afrique noire.
(L. FANOUDH-SIEFER, Le Mythe du Nègre..., 1968, p.
19.)
Ce n'est pas l'Africain, c'est le Nègre créole qui occupe les esprits ;
la grande majorité des œuvres où figurent des personnages noirs
continuent donc à prendre pour cadre les colonies d'Amérique et pour
protagonistes des Créoles.
Noirs et îles sont automatiquement associés : lorsque Pluchonneau
et Maillard composent une Physiologie des Nègres dans leur pays, il
semble aller de soi que le « pays » en question est moins la Sénégambie ou le Congo que les Indes Occidentales. Il est par ailleurs significatif que la Physiologie... soit un pamphlet contre l'émancipation : le
75
Sur l'empire colonial entre 1815 et 1848, voir H. Blet, Histoire de la colonisation française, vol. II, 1946, p. 44-165.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
212
débat entre abolitionnistes et esclavagistes s'étant poursuivi tout au
long de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, l'image du Noir
continue à être intimement liée dans l'imagination collective à la question de l'esclavage. Elle le restera jusqu'à 1848.
Comme la littérature que j'étudie ici reflète, avec une fidélité particulière, l'évolution des esprits dans le devenir historique, sans doute
ne serait-il pas inutile de rappeler très brièvement quelques faits qui
permettent de mieux situer les œuvres.
Rétabli par Napoléon, l'esclavage sera maintenu par les Bourbons
et la Monarchie de Juillet. La traite est par contre officiellement abolie
dès les Cent-Jours : l'Empereur voulait se concilier les bonnes grâces
de l'Angleterre et des libéraux. Le gouvernement de Louis XVIII l'interdit également, sans enthousiasme et pour les mêmes raisons. Le
métier de négrier sera désormais prévu par le code pénal. C'est un
progrès. Mais, malgré les protestations de Londres, la répression se fit
très mollement, du moins au début. Les capitaines des rares croiseurs
français envoyés en patrouille au large des côtes africaines fermaient
systématiquement les yeux lorsqu'un bateau nantais ou malouin venait
charger des Noirs. On eut beau multiplier les ordonnances et prévoir
des sanctions plus sévères, tout cela restait lettre morte et les colons
gardaient la possibilité d'enrichir leur cheptel humain. En 1831, la
France, après le Portugal, l'Espagne, les Pays-Bas, la Suède, le Brésil
et les États-Unis, cède aux pressions de l'Angleterre et signe une
convention par laquelle les deux pays s'accordent mutuellement le
droit de visite sur les navires soupçonnés de se livrer à la traite. C'est
désormais avec la marine britannique aussi, plus puissante et autrement zélée que la marine française, que les négriers clandestins auront
à ruser.
[149]
Les entraves mises au commerce du « bois d'ébène » rendirent encore plus inhumain le traitement des Noirs pendant la traversée de
l'Atlantique : aucun contrôle administratif ne s'exerçant sur les conditions d'hygiène à bord ou sur la qualité du ravitaillement, la mortalité
était effrayante. L'équipage de ces navires interlopes se recrutait dans
les bas-fonds des villes maritimes... Certains capitaines n'hésitaient
pas à jeter une partie ou même la totalité de leur cargaison vivante
par-dessus bord pour alléger le bateau ou pour échapper à la confisca-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
213
tion et à la prison au moment d'être arraisonnés. Par contre, l'augmentation du prix d'achat de l'esclave, devenu marchandise de contrebande, poussa les colons à veiller d'un peu plus près à la santé de ceux
qu'ils possédaient déjà. Félix Patron, planteur à la Guadeloupe, explique que depuis la suppression de la traite :
Si en France on a intérêt à conserver un bœuf ou un cheval,
on en a dans les colonies un bien plus grand encore à conserver
un nègre, parce que si le cheval ou le bœuf vient à mourir, on en
trouve un autre au marché voisin [...] tandis qu'il n'en est pas de
même dans nos contrées, il n'y a pas de marché où l'on puisse
trouver à acheter un nègre à son choix ; chacun garde ceux qu'il
possède.
(F. PATRON, Des Noirs..., 1831, p. 3.)
Et c'est sans doute à cette époque que, sans aller jusqu'à l'élevage
systématique du bétail humain, les colons crurent bon d'instituer des
sortes de primes à la maternité. Toujours selon F. Patron :
Toute femme qui a huit enfans ne doit plus de travail au
propriétaire et devient libre de Savane, c'est-à-dire qu'on lui
laisse sa case et la liberté de cultiver comme elle l'entend un
jardin aussi étendu que sa force le comporte (idem, p. 8).
Quoi qu'il en soit, conserver le Nègre en réduisant ses heures de
travail, en lui assurant une alimentation suffisante et un minimum de
soins médicaux devenait plus avantageux que de le remplacer après
l'avoir tué à la tâche. La propagande des philanthropes, l'influence des
fonctionnaires envoyés de Paris, l'exemple de l'Angleterre, qui avait
aboli l'esclavage par les bills de 1833 et de 1838, et un certain adoucissement général des mœurs contribuent aussi à ce que les Noirs
soient traités un peu moins mal. Peut-être est-ce pour cela, et sans
doute grâce au perfectionnement du dispositif de répression, qu'une
seule insurrection d'esclaves sérieuse est à signaler : celle de la Marti-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
214
nique en 1822. Une série de lois vinrent d'ailleurs améliorer le sort des
Noirs :
la simplification des formalités et la suppression de la taxe d'affranchissement (juillet 1832), la suppression de la mutilation et
de la marque pour les esclaves rebelles (1833), le recensement
obligatoire des esclaves (1833), l'affranchissement automatique
de tout esclave débarqué sur le territoire de la métropole (avril
1836), la reconnaissance de certains cas d'affranchissement
[150] de droit (1839). Dès avril 1833, d'autre part, la plénitude
des droits civils avait été accordée aux hommes de couleur libres.
(GASTON-MARTIN, Histoire de l'esclavage…, 1948, p.
280-281.)
En 1845 et 1846 d'autres décrets et ordonnances administratives
vinrent étendre et renforcer la protection légale de l'esclave. Victor
Schoelcher, dont les écrits et les discours firent tant pour amener
l'abolition définitive de l'esclavage, constatait en 1845 :
J'ai regardé comme un devoir de rendre aux colons la justice
qu'ils méritent, de déclarer qu'aujourd'hui l'existence matérielle
des esclaves était, en général, devenue tolérable ; mais je n'ai
jamais cessé de dire en même temps qu'il se trouvait parmi eux
une minorité nombreuse dont le sort était horrible.
(V. SCHŒLCHER, « A. M. le rédacteur en chef de la Réforme », 23 mai 1845, in Histoire de l'esclavage, 1847, vol. I, p.
273.)
Malgré l'opposition systématique du lobby colonial, on allait à
l'émancipation. Certains la voulaient immédiate et générale, d'autres
sélective et progressive. La question est réglée le 27 avril 1848 : le
gouvernement provisoire de la IIe République, sur le rapport de la
Commission présidée par Victor Schoelcher, sous-secrétaire d'État à
la Marine, proclame l'abolition de l'esclavage. Après l'Angleterre et
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
215
avant la Hollande, les États-Unis, le Portugal, l'Espagne et le Brésil, la
France cesse d'être un pays esclavagiste.
* * *
À mesure que s'estompe le traumatisme des événements de SaintDomingue, l'opinion publique redevient de plus en plus favorable à
l'abolition. La Société de la Morale Chrétienne, fondée en 1821, prend
le relais des Amis des Noirs. Livres et articles dénonçant l'immoralité
de l'esclavage se multiplient ; ils s'inscrivent dans le contexte de la
littérature « engagée », du roman social où l'écrivain romantique défend les thèses qui lui tiennent à cœur. Ce nouvel usage de l'art littéraire n'était pas du goût de tout le monde. En mars 1832, le chroniqueur anonyme de la Bibliothèque de Genève proteste contre la mode
du jour :
Renoncez donc, Messieurs, à vouloir nous prouver, par romans, les dangers de la peine de mort, l'odieux de la traite des
nègres, l'excellence du christianisme [...] Faites des traités de
législation, d'économie politique, des livres de philosophie, des
livres de religion [...] Mais lorsque vous vous mêlez d'écrire des
romans, je vous en prie, sachez être frivoles et aimables.
(Cité par D. O. EVANS, Le Roman social, 1930, p. 60.)
Pour leur part, les colons et les armateurs leurs alliés continuent à
prédire la ruine des colonies et le retour des Noirs à la sauvagerie si la
liberté leur est accordée. D'un côté comme de l'autre, les arguments
devenus traditionnels sont inlassablement répétés. La lecture de ces
[151] liasses de plaidoyers, de pamphlets, de brochures polémiques
devient rapidement fastidieuse. Voilà qui explique peut-être que les
historiens ne les aient pas encore analysés dans le détail, du moins à
ma connaissance.
L'agitation des colons va se cristalliser autour de deux questions.
D'abord, celle de l'indemnisation des Français qui avaient été forcés
d'abandonner leurs plantations de Saint-Domingue. Ils commencèrent
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
216
par réclamer à cor et à cri la reconquête de l'île ; même si l’Angleterre
y avait consenti cette hasardeuse expédition n'aurait probablement pas
été entreprise. Faute de quoi, ils firent pression sur le gouvernement,
le poussant à exiger que les autorités haïtiennes les dédommagent. En
1825 et après de longues négociations, Villèle signa l'ordonnance qui
« émancipait » Saint-Domingue. Les Haïtiens s'engageaient à payer
cent cinquante millions d'indemnisation aux colons. La somme ne fut
d'ailleurs jamais versée. Balzac n'a pas oublié cet épisode, lui qui imagine l'usurier Gobseck faisant partie de la commission chargée de
fixer le montant de l'indemnité réclamée à Port-au-Prince.
Il reste que pendant longtemps les anciens planteurs et leurs porteparole rappelèrent au public leurs souffrances et la perfide méchanceté
des Noirs leurs bourreaux. L'abbé Grégoire pouvait écrire en 1826 :
La génération présente pourrait-elle croire que la grande
question coloniale fit éclore en France, calcul fait, plus de sept
cents écrits, les uns (c'est le plus petit nombre), rédigés avec
modération, revendiquant la justice ; les autres, presque tous
empreints de fiel, tissu de plaisanteries grossières, d'impostures
et d'ouvrages dont le temps fera justice.
(H. B. GRÉGOIRE, De la noblesse de la peau..., 1826, p.
40-41.)
La deuxième question, celle du droit de visite, eut des répercussions plus importantes. Tant que les bateaux français n'étaient soumis
qu'au contrôle de la marine nationale, l'opinion publique se montra
satisfaite. Le gouvernement avait interdit un commerce immoral : les
âmes sensibles pouvaient garder bonne conscience. Si colons et armateurs protestèrent, ce fut longtemps pour le principe, puisqu'en fait les
déportations continuaient comme par le passé, avec l'accord tacite de
ceux qui avaient pour mission de les empêcher.
Les choses changèrent avec la signature de la convention sur le
droit de visite qui permettait aux croiseurs anglais d'intercepter et de
fouiller les navires français sur les côtes africaines. L'orgueil national
et l'anglophobie traditionnelle s'en mêlèrent. Et l'on comprend que les
colons, menacés de voir se tarir leur source de main-d'œuvre, aient
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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dénoncé en bons patriotes l'inadmissible prépotence de la perfide Albion. Les incidents se multiplièrent et la politique s'en mêla : c’est
ainsi que, tout en ayant la traite en horreur, l'opposition de gauche
n'hésite pas à mettre en cause le droit de visite pour embarrasser le
[152] ministère. Toute cette agitation finit quand même par profiter
aux abolitionnistes ; elle leur fournissait un argument d'une logique
irréfutable : si l'esclavage était aboli aux colonies, la traite n'aurait ipso facto plus de raison d'être, et les intolérables ingérences britanniques dans le commerce du pays cesseraient aussitôt 76.
Du point de vue historique, l'image du Noir est donc influencée par
la persistance de l'esclavage aux colonies, par les récits d'explorateurs
en Afrique noire et par l'abolition de la traite et les controverses qu'elle a provoquées. Facteurs qui jouent bien entendu non seulement dans
les ouvrages de pure polémique et dans ceux qui relèvent des sciences
humaines, mais également dans les ouvrages d'imagination.
Nous voici entrés dans le romantisme proprement dit. Il s'agit à
présent de voir comment le Noir et le problème des relations entre les
races s'articulent avec certaines préoccupations fondamentales des
lettres françaises entre 1815 et 1848 77.
Quelques remarques préliminaires. Si l'on peut espérer que jusqu'à
présent la majorité des œuvres où apparaît un personnage noir ont été
signalées, je ne saurais affirmer que ce sera le cas pour là littérature de
l'époque romantique. D'abord, parce que le nombre de livres publiés
augmente de façon uniformément accélérée. Ensuite et peut-être sur76
77
Pour plus de détails sur l'abolition de la traite, voir Gaston-MARTIN, Histoire de l'esclavage, 1948, pp. 239 et suivantes. On consultera également M.
L. SARRIEN, La Traite des nègres et le droit de visite […] dans les rapports de la France et de l'Angleterre, 1910.
La bibliographie critique pour 1815-1848 est assez mince. La thèse de L.
FANOUDH-SIEFER Le Mythe du Nègre et de l'Afrique noire dans la littérature française de 1800 à la Deuxième Guerre mondiale, 1968, est une
étude fort intéressante, mais qui porte surtout sur des ouvrages publiés après
1848 : des cent vingt et un titres qui figurent à sa bibliographie, six sont antérieurs à 1848. J'ai profité de ses analyses de La Chaumière africaine, de
Mme Dard, d'Ourika, de Mme de Duras, de Kéledor, du baron Roger, et des
Youlofi, de M. de Préo. On trouvera également des renseignements dans le
livre de P. JOURDA, L'exotisme dans la littérature française, Tome II,
1956.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
218
tout, parce que la présence du Noir dans la littérature d'imagination est
de plus en plus fréquente. C'est qu'il a une valeur exemplaire pour les
écrivains de tous bords : aux sentimentaux qui cultivent la mélancolie,
qui voient en l'homme la victime du malheur, l'exilé dans un monde
injuste, le jouet d'un Destin malveillant, le Noir fournit un véritable
symbole. A ce déporté, dont on a bafoué la dignité humaine, que l'on a
soumis aux caprices d'un maître tout-puissant, les vers de Victor Hugo
auraient pu s'appliquer avec une résonance particulière :
Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire.
Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,
Pour qu'il s'en puisse faire une demeure, et dire :
C'est ici ma maison, mon champ et mes amours !
Le personnage intéresse également les amateurs, de couleur locale.
Il habite cette grande nature sauvage qui fait rêver les lecteurs parisiens : [153] ce n'est pas par hasard que Chateaubriand a montré l'allié
des Natchez, Imley le Nègre marron et sa maîtresse Izéphar, évoquant
sur les rives du Meschacebé leur vie heureuse au pays Mandingue :
Souvent aussi nous parlons de la patrie : nous chantons
Niang, Zanhar et les amours des lions. Je reprends toutes les
nuits la parure que tu me vois, et que je portois quand j'étois libre sous les bananiers de Madinga. J'agite la force de ma main
dans les airs ; il me semble que je lance encore la zagaie contre
le tigre, ou que j'enfonce dans la gueule de la panthère mon bras
entouré d'une écorce. Ces souvenirs remplissent mes yeux de
larmes plus douces que celles du benjoin, ou que la fumée de la
pipe chargée d'encens. Alors je crois boire avec Izéphar le lait
de coco sous l'arcade de figuiers ; je m'imagine errer avec ma
gazelle à travers les forêts de girofliers, d'acajous et de sandals.
(F. R. de CHATEAUBRIAND, Les Natchez, 1826, p. 156157.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
219
On commence par ailleurs à s'intéresser aux mystérieux rites vaudou comme aux danses bizarres des Nègres antillais : les mœurs des
lointaines plantations satisfont au besoin d'exotisme.
Le héros romantique est volontiers un surhomme aux passions irrésistibles, capable des forfaits les plus affreux comme des plus sublimes dévouements. Dans l'imagination collective, le Noir, placé sous le
signe de l'excessif, est un personnage fait sur mesure pour les créateurs de grands criminels et de demi-dieux de la vertu.
Certains écrivains revendiquent le rôle de critique de la société, de
redresseur de torts. Les victimes de l'esclavage trouveront en eux des
défenseurs enthousiastes.
Bref, personnage en fin de compte secondaire avant 1815, le Noir
est en passe de devenir un véritable type, comme le brigand ou le poète, le marin ou le demi-solde. Aussi le mieux que je puisse espérer est
de n'avoir pas ignoré trop d'ouvrages importants. Plutôt que de survols, parlons de sondages, en espérant qu'ils permettront de justifier
les généralisations auxquelles l'on pourra arriver.
De nombreux ouvrages de circonstance furent inspirés par le naufrage de la Méduse en 1816, par le concours de poésie de l'Académie
française qui, en 1823, choisit pour sujet l'abolition de la traite, par
l'« émancipation » d'Haïti en 1825, enfin par le tremblement de terre
de la Martinique en 1839. Un examen rapide suffira : seul le concours
de poésie a suscité un nombre d'œuvres considérable, et Yvan Debbasch leur a déjà consacré une solide étude.
Le naufrage de la « Méduse ».
Le naufrage de la Méduse en 1816 sur les côtes du Sénégal fut
[154] exploité par l'opposition libérale : elle monta en épingle l'incompétence criminelle du capitaine Duroy de Chaumareix, qui n'avait
pas navigué depuis 1789 et qui devait son commandement à la pureté
de ses sentiments monarchiques. Deux rescapés, le chirurgien de la
marine Jean-Baptiste Savigny et l'ingénieur-géographe Alexandre
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
220
Corréard, publièrent, d'abord séparément puis conjointement, le récit
de leurs souffrances sur le radeau rendu célèbre par Géricault. Leurs
exposés ne se soucient guère de pittoresque : le médecin Savigny décrit les effets de l'inanition et de la soif sur l'organisme ; Corréard attaque violemment les officiers, l'Amirauté et les autorités de la colonie. Mis en cause par Corréard et Savigny, le lieutenant Paulin d'Anglas de Praviel tente de se justifier dans sa Relation nouvelle et impartiale du naufrage de la Frégate la Méduse. Ces reportages polémiques
mentionnent les Maures du Sahara et les Noirs du Sénégal et de la
Gambie, mais n'apportent rien de très nouveau, se bornant à affirmer
la supériorité des Musulmans sur les Nègres. Le poème sagement académique de Louis Brault Ode sur le désastre de la Frégate La Méduse, vendu « au profit des naufragés », n'est signalé ici que pour mémoire 78. Quelque peu plus intéressant est l'ouvrage publié en 1824
par Charlotte-Adélaïde Dard La Chaumière africaine, ou histoire
d'une famille française... à la suite du naufrage de... « La Méduse »,
où l'auteur évoque les souffrances de sa famille, d'abord dans le Sahara puis sur la plantation qu'ils tentèrent d'exploiter au Sénégal. Léon
Fanoudh-Siefer a bien analysé le récit de Madame Dard, qui tout en
donnant une idée effrayante de l'Afrique se soucie fort peu de ses habitants :
En fait l'auteur ne nous apprend rien sur les Africains : ils ne
sont que de simples figurants qui apparaissent très sporadiquement dans son récit. Mme Dard parle à peine de « son vieux nègre Étienne », une sorte de veilleur de nuit au service de l'auteur : le vieil Etienne se contente d'être dévoué comme un serviteur fidèle doit l'être. Les Noirs de Saint-Louis sont de simples
silhouettes qui font partie du décor : ils sont gentils et dociles ;
on voit aussi quelques esclaves noirs sournois qui ne songent
qu'à fuir et à recouvrer leur liberté.
(L. FANOUDH-SIEFFR, Le Mythe du Nègre..., 1968, p.
21.)
78
Dans son article « Le Naufrage de La Méduse, réalité et imagination romanesque », Revue des Sciences humaines, janv.-mars 1967, R. Mercier rappelle les faits et mentionne plusieurs des écrits qui s'en sont inspirés.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
221
Il est évident que ces œuvres de circonstance s'attachent presque
exclusivement aux naufragés (parmi lesquels il y avait quelques Noirs
au service de l'armée) et au calvaire qu'ils vécurent sur la mer en furie
ou les sables brûlants. Quand ils sont mentionnés, les Africains sont
décrits comme des indigènes primitifs et peut-être dangereux, dont on
a bien du mal à obtenir vivres ou renseignements.
Plus de vingt ans plus tard, en avril 1839, Charles Desnoyer fait
[155] jouer à l'Ambigu-Comique un drame en cinq actes intitulé Le
Naufrage de la Méduse. La pièce fut bien reçue et, dès le mois suivant, Thiéry et Jouhaud en profitèrent pour donner au Théâtre du
Temple une folie-vaudeville en un acte sous le même titre. Quelques
jours après, le Théâtre de la Renaissance affichait son propre Naufrage de la Méduse l'opéra en quatre actes des frères Cogniard. Pas un
Noir ne figure à la distribution de ces pièces. Le souvenir de l'épisode
se retrouve dans deux pamphlets anonymes : L'Affreuse catastrophe et
naufrage de la Méduse, en 1841 et Le Naufrage de la Méduse en
1842. Un certain de Kesler l'évoque dans La France maritime 79. Enfin, j'ai retrouvé un dernier avatar du thème dans la revue Le Navigateur. En 1834, Léon Gozlan y publie Dernier épisode du naufrage de
la Méduse. Gozlan, qui avait effectivement navigué dans sa jeunesse,
prétend avoir lui-même fait naufrage au Sénégal et avoir été sauvé par
un Nègre affranchi, possesseur de douze esclaves. Il se voit accueilli
dans une case africaine meublée en style empire par un indigène portant des hardes qui avaient été à la mode sous Napoléon : c'est que le
Noir a jadis commandé une petite goélette en Guinée, et a pris ces objets sur l'épave de la Méduse :
Esclave en naissant, il avait suivi très jeune encore son maître dans ses fréquens voyages à Bordeaux, à Londres, au Havre
et même à Paris. Dans cette domesticité sans tyrannie il avait
appris à lire, à écrire, à calculer ; il parlait l'anglais et le français
avec une égale facilité, un accent très pur, et ce son de voix
primitif, si agréable, qui a quelque chose de la femme, de l'enfant et de l'oiseau.
79
Au volume 4, p. 280-284 de la deuxième édition (1853). Je n'ai pas pu
consulter la première éd., qui va de 1837 à 1842.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
222
(L. GOZLAN, « Dernier épisode... », Le Navigateur, 1834,
p. 157.)
Cet ancien esclave de maison est somme toute sympathique. S'il a
droit à la bienveillance amusée du voyageur blanc, son accoutrement
et ses prétentions un peu ridicules sont prétexte à une raillerie facile.
Gozlan n'a d'ailleurs pas été le seul, nous le verrons, à faire des gorges
chaudes des Noirs qui en imitant les Blancs n'arrivent qu'à leur servir
de caricatures.
Le Concours de poésie de 1823.
À sa séance du 13 août 1822 et après plusieurs tours de scrutin,
l'Académie française choisit L'abolition de la traite des Noirs pour
sujet du prix de poésie qu'elle devait décerner l'année suivante. Cinquante-quatre manuscrits furent envoyés aux Immortels. Ils couronnèrent le poème de Victor Chauvet Néali, histoire africaine, et accordèrent une mention honorable à celui d'Anne Bignan. Cinq des poèmes
envoyés connurent les honneurs de la publication, les [156] autres
sont conservés dans les archives de l'Académie (sauf le numéro 32,
qui manque au dossier). Yvan Debbasch leur a consacré un article très
complet et admirablement documenté : « Poésie et traite ; l'opinion
française sur le commerce négrier au début du XIXe siècle », dans la
Revue française d'histoire d'Outre-mer, 1961, p. 311-352. Debbasch
commence par rappeler les controverses auxquelles l'abolition de la
traite donna lieu et l'attitude de l'opinion publique au moment où les
concurrents composaient. Il signale ensuite le souci de documentation
précise qui caractérise les manuscrits envoyés : les notes marginales et
les renvois aux pièces justificatives s'y multiplient. En fait, tout le
monde puise aux mêmes sources : l'abbé Raynal, Bernardin de SaintPierre et surtout les abolitionnistes anglais Clarkson et Wilberforce
ainsi que le célèbre voyageur Mungo-Park. Je pourrais ajouter que ce
manque d'imagination se révèle tout aussi bien dans le choix des épigraphes, parmi lesquelles on retrouve plusieurs fois l'exclamation de
la Sulamite : Nigra sum sed formosa et l'inévitable citation de Térence : Homo sum : humani nihil a me alienum puto. Considérant les cin-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
223
quante poèmes en bloc, Debbasch en dégage les thèmes principaux :
description des sauvages innocents dans l'Africa felix, influence néfaste des trafiquants européens sans scrupules, tableaux de familles disloquées et d'amants séparés, horreurs de la traversée, travail inhumain et mauvais traitements aux îles et enfin apologie dithyrambique
des souverains de l'Europe qui ont interdit la traite. Je me bornerai à
compléter certaines des observations de Debbasch.
Ces poètes blancs traitent pour des lecteurs blancs un problème qui
met en question l'image que le Blanc se fait de lui-même. Il ne saurait
certes en être autrement ; ce que je veux dire, c'est que le Noir n'est vu
que comme une victime, n'est déterminé qu'en fonction des abus dont
il souffre. Et c'est l'abus qui est le sujet du poème, non pas la victime.
Aussi ne faut-il pas s'attendre à découvrir ici une image nouvelle du
Noir, une intuition de ce qui pourrait le rendre différent d'un Européen
par sa manière de voir le monde, par exemple, ou de concevoir les
rapports affectifs ou de se définir face à la nature. Aucun des poètes –
des rimailleurs, plutôt – qui ont traité le sujet n'a célébré la « négritude ». Les victimes noires dont ils décrivent les souffrances sont de
purs Bons Sauvages, créés de toutes pièces par la sentimentalité généreuse et quelque peu naïve du XVIIIe siècle. Bons pères et bons
époux, mères affectueuses et amantes dévouées, les Nègres du
concours raisonnent en Européens lettrés. De noir ils n'ont que la
peau, d'Africain que le regret d'une nature généreuse où l'homme peut
vivre dans la vertu. Si ce n'avait pas été la traite des Noirs mais celles
des Indiens, des Siamois ou des Lapons que l'on avait interdite, ces
poèmes auraient fait l'affaire tout aussi bien, quitte à corriger [157]
quelques références à la couleur de l'épiderme et quelques rares notations pittoresques évoquant l’Afrique.
D'ailleurs, par la forme comme par le fond, ces épîtres, odes et discours rappellent beaucoup ceux qu'avaient composés une quarantaine
d'années plus tôt les Doigny du Ponceau, Claude Sacy et autres JeanAntoine Roucher. Les mêmes leitmotive s'y retrouvent : condamnation du luxe et de la cupidité, dénonciation du sucre et du café que les
esclaves ont arrosés de sang, de sueur et de larmes, égalité fondamentale des hommes fils d'un même Père, etc. À cela rien de bien étonnant. Au XIXe siècle, un concours de l'Académie française n'est pas le
cadre rêvé pour apporter des innovations ou exprimer des idées har-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
224
dies. Il serait plutôt le dernier refuge du conformisme et de l'anachronisme littéraire.
Comme leurs ancêtres du siècle précédent, si les concurrents de
1823 parviennent à esquisser des personnages Noirs qui ont quelque
chance de toucher le lecteur d'aujourd'hui, c'est lorsqu'ils montrent
l'Africain révolté. Chez Alletz, sa révolte se borne à renier le Dieu des
Chrétiens : le jeune Naloès retrouve sur un vaisseau négrier le missionnaire qui l'avait converti ; il répond au prêtre qui l'exhorte à la patience et à l'imitation de Jésus-Christ :
... – « Laissez-moi ;
Du Dieu de mes tyrans j'abandonne la loi
Si je servais ce Dieu que leur patrie adore,
Il faudrait dans le ciel les retrouver encore.
Mon espoir veut, du moins, se fier au tombeau
Le dernier jour du Nègre est son jour le plus beau. »
(E. ALLETZ, L'abolition..., 1823.)
Sélim, le héros du lauréat Chauvet, va plus loin. Au spectacle du
négrier Belmar tuant à coups de fouet Béali, la jeune Africaine qui
avait refusé ses avances
Sélim lève sa tête ; écumant, égaré,
Il rugit, il agite un bras désespéré ;
Sur son front ténébreux ses regards étincellent.
– « Amis, qui veut me suivre aux périls qui m'appellent ? »
– « Tous, tous ! » – Mordant alors le chanvre résineux,
D'une bouche sanglante, il déchire ses nœuds,
Libre saisit un fer, dégage les plus braves,
Fond sur les oppresseurs. Armés de leurs entraves,
Déjà des Blancs surpris ils répandent le sang.
Vain succès, qu'en revers change un art tout puissant
La mort en plomb sifflant s'élance sur leurs têtes
Comme de verts épis sous la faux des tempêtes,
Ils tombent. C'en est fait ! Sélim même, abattu,
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
225
Expire... Infortunés ; vainement leur vertu
S'élève à ces exploits que notre orgueil publie
Morts pour la liberté, la gloire les oublie...
(V. CHAUVET, L'abolition..., 1823, p. 7-8.)
[158]
Frédéric Soulié (père de l'écrivain romantique qui écrivit en 1843
Le Bananier, roman violemment esclavagiste) fait dire aux Noirs prisonniers :
Nous ne demandons pas votre prospérité ;
Laissez-nous la misère avec la liberté ;
Avec la liberté nous aimons la misère ;
Avec la liberté l'on souffre et l'on espère.
(F. SOULIÉ, L'abolition..., ms. no. 9.)
Quant à Eugène Barbier-Vemars, il montre le jeune Philandre voguant vers l'Afrique pour y annoncer la mise hors-la-loi de la traite.
En plein océan, il croise un navire à la dérive. Le Nègre Trebbar lui
raconte comment les Africains que l'on déportait se sont soulevés sous
les ordres de Moïde, ancien esclave haïtien revenu en Afrique après la
révolution. Moïde a été tué, et ses camarades sont ivres morts dans la
cale, car :
Ils ont trouvé cette eau magique et dévorante
Qui pénètre le cœur d'une flamme enivrante.
(E. BARBIER-VEMARS, L'abolition..., ms. no. 52.)
Le manuscrit de Barbier-Vemars n'ayant, que je sache, jamais été
imprimé, rien ne permet de penser que Mérimée s'en soit inspiré pour
écrire Tamango.
A. Liébault évoque la déchéance de l'homme systématiquement
dégradé par l'esclavage. Je pense que malgré sa maladresse cette des-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
226
cription peut émouvoir notre époque hantée par l'univers concentrationnaire :
Il est homme pourtant ! et sans lois, sans patrie,
D'une laide avarice appaisant la furie,
Il rampe à ses genoux en esclave abattu,
Sans force, sans penser, sans vice et sans vertu
Son cœur même lassé d'une haine stérile,
N'entend plus retentir dans sa crainte immobile
Que la voix du tyran, que le bruit de ses pas.
(A. LIÉBAULT, L'abolition.... ms. no. 24.)
Et Garnier-Hombert n'est pas loin de considérer le viol des Blanches pendant la révolution de Saint-Domingue comme une juste rétribution. Sa description des outrages subis à bord d'un négrier par l'esclave Nélida peut faire sourire :
Du souple Bananier, que la brise balance
Ses contours gracieux effaçoient l'élégance.
...............................
Un Blanc la profana d'une alliance impure,
Qui révolte les sens et souille la nature.
[159]
Mais la phrase qu'il ajoute en note de son manuscrit est plus sérieuse :
Lorsqu'au milieu des désastres de Saint-Domingue, les
blancs ont vu leurs femmes exposées à tous les outrages des
Nègres, ils ont pu juger de ce qu'ils avaient fait éprouver à ces
derniers en commettant les mêmes excès contre les négresses.
(GARNIER-HOMBERT, L'abolition.... ms. no. 35.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
227
Théodore Letilly suggère que la fièvre jaune est le châtiment réservé aux colons par le ciel :
En vain pour mettre un frein à leur avidité
Le ciel sur ces climats souffle un air empesté.
(T. LETILLY, L'abolition..., ms. no. 45.)
Dans un poème composé en marge du concours, Louis Brault est
plus précis : selon lui, c'est sur les vaisseaux négriers que se déclare la
maladie, qui naît de la sueur des Nègres entassés dans la cale :
Mais le souffle embrasé que répand leur poitrine,
Et qu'elle exhale encore en miasmes impurs,
Ne s'attache-t-elle pas à ces pontons obscurs ?...
Insensés l Redoutez la vengeance divine !
Une sueur fétide et prompte à s'irriter
S'échappe du noir épiderme ;
Elle coule épaissie ; elle va fermenter
Savez-vous ce qu'elle renferme ?
Au sein de vos captifs la mort a pris son germe.
Le poison est caché, mais il fuit avec vous
Il saura pénétrer vos plus secrets asiles ;
La mort décimera vos villes,
Et votre propre main a soulevé ses coups...
(L. BRAULT, « La Traite des Nègres », in Poésies politiques et morales, 1826, p. 234-235.)
Considérer l'épidémie comme la manifestation du courroux divin
n'a certes rien d'original. Il est cependant intéressant de remarquer
que, de l'avis des médecins, une relation de cause à effet pouvait exister entre la traite et la fièvre jaune. Le docteur François Audouard, qui
avait étudié la maladie aux Antilles avec l'expédition Leclerc, puis à
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
228
Barcelone en 1821 80 avait soutenu cette thèse devant l'Académie de
médecine ; Brault cite son rapport en note. Audouard écrira plus tard :
Il suffira de ne plus faire la traite des noirs pour mettre fin à
la fièvre jaune ; et la philanthropie, en brisant les fers de la race
noire, affranchira la race blanche du fatal tribut qu'elle payait à
sa propre cupidité.
(M.-F. AUDOUARD, Fièvre jaune et traite des noirs, 1849,
p. 3.)
[160]
Pour revenir à notre concours de poésie, il me semble que l'un des
textes présentés est assez surprenant pour être cité en entier. C'est le
manuscrit numéro 19, qui porte pour titre Plaintes d'un Nègre à un
colon. S'agit-il (comme je veux le penser) d'un pastiche ? L'auteur
anonyme a-t-il voulu satiriser la rhétorique pompeuse et le vocabulaire traditionnel des fabriquants d'alexandrins ? Ou bien (et ce n'est pas
impossible) est-ce en toute innocence qu'il a forgé des vers dignes de
figurer dans un recueil d'humour surréaliste ?
Du fond de mon exil où me retient la crainte
Aux pieds de l'équité je dépose ma plainte
Et je viens signaler dans mes vers généreux
De l'univers tremblant le fléau désastreux.
Jusques à quand, ô toi qui te prétends intègre
Sous ton joug accablant courberas-tu le nègre ?
Me faudra-t-il toujours du matin jusqu'au soir
Manier sans répit la bêche et l'arrosoir,
Et si mon cœur se plaint, sentir un fouet de poste
80
Le docteur Audouard a publié plusieurs ouvrages sur la question. On consultera en particulier son Recueil de mémoires sur le typhus nautique ou Adore
jaune, provenant principalement de l'infection des bâtiments négriers, 1825.
Sur son rôle dans l’épidémie de Barcelone, voir L.-F. Hoffmann, La Peste à
Barcelone, 1964.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
Appliquer sur mon dos sa mordante riposte ?
Ne dois-tu pas rougir de tes noirs attentats,
Quand tu nous vois pâtir comme de vils forçats ?
Tu me dis ton esclave et je me dis ton frère.
La couleur de mon cuir ne fait rien à l'affaire,
Qu'importe que le ciel, dans sa bizarre humeur
Au fond d'un pot au noir ait broyé ma couleur ?
Ma sueur pour toi seul arrosera la terre
Et je ne puis tirer des pleurs de ta paupière !
Hélas ! il me faut donc, malheureux que je suis,
Vivre, gémir, ramper sous d'éternels ennuis ?
Loin des champs paternels porté dans la Havane,
Je pleure mon ruisseau, mes bois et ma cabane.
Je ne reverrai plus ni ce pré verdoyant
Où mes dents rencontraient un propice aliment,
Ni l'utile chameau, bonne bête de somme
Bien plus douce envers moi que ne l'est ici l'homme.
Ni ces vastes déserts où mes pas vagabonds
Pouvaient caracoler et par sauts et par bonds !
J'ai perdu mon bonheur, nuit et jour je m'escrime.
Tyran ! n'es-tu pas las de lasser ta victime ?
Tu m'accableras tant de coups et de travaux
Que tu ne laisseras que ma peau sur les os.
Écoute : tu connais cette vieille figure :
Qui veut voyager loin, ménage sa monture.
Renonce, il en est temps au projet inhumain
De m'écorcher tout vif de ta traitresse main.
Quel fruit recueilleras-tu de tant de barbarie ?
Pourquoi donc m'enlever des bords de Barbarie ?
Quand par les feux ardents je péris étouffé,
Tu prends tout bonnement ta tasse de café,
Et quand d'un mal amer je sens la violence,
Un sucre savoureux te réjouit la panse.
[161]
Colon, finis mes maux ou crains le châtiment,
Si tu vexes les noirs, tu ne seras pas blanc.
Puisse enfin à ma voix la céleste justice
229
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
230
Sur ton coupable front appeler le supplice !
Quand il brise les fers de l'esclave abattu
Le malheur n'est plus crime, il devient la vertu.
Outre celui de Brault, j'ai retrouvé trois poèmes publiés en marge
du concours. Dans Les Nègres et le négrier, L.-M. Fontan imagine
qu'un Français naufragé est recueilli par les Africains. Il est tué en
combattant à leurs côtés contre les mercenaires des négriers. Avant de
mourir, il avoue qu'il faisait lui-même la traite et proclame son repentir.
Ni Cri des Nègres, de Casimir D... x ni L'Esclavage, par M. D.,
« membre de plusieurs académies 81 » n'apportent quoi que ce soit
d'original. Dans Cri des Nègres, notons au passage l'antithèse fondamentale de la littérature négrophile : « noirceur de peau n'implique pas
noirceur d'âme ». Casimir D... x fait dire à un esclave :
Non, ce soleil africain,
Dont la fureur a desséché nos veines,
Qui noircit et brûle nos laines,
N'a point tari, dans notre sein
La sensibilité, la bonté, la franchise,
Vertus dont nos cœurs sont jaloux
Et l'Africain que votre orgueil méprise,
Est moins barbare que vous.
(C. D ... x, Cri des Nègres, 1823, p. 3.)
En ce qui concerne l'image du Noir, le nombre des poèmes envoyés au concours de l'Académie est plus significatif que leur qualité
littéraire. Au moins les Académiciens ont-ils eu le mérite d'encourager
les ennemis de la traite en rappelant à l'opinion publique l'existence de
l'esclavage.
81
Il s'agit de Ange-Benjamin Marie du Mesnil, qui avait envoyé le manuscrit
no 4 au concours. C'est une version considérablement revue, corrigée et
augmentée qu'il a publiée.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
231
L'Émancipation d'Haïti en 1825.
Vingt-cinq ans après l'échec de l'expédition Leclerc, Charles X signe l'ordonnance du 17 avril 1825, dont l'article 3 accorde aux Haïtiens une indépendance acquise depuis un quart de siècle :
Art. 3. Nous concédons [...] par la présente ordonnance, aux
habitants actuels de la partie française de l'île de SaintDomingue, l'indépendance pleine et entière de leur gouvernement, et sera la présente ordonnance scélée de notre grand
sceau.
(Cité par le chancelier E. D. PASQUIER, Histoire de mon
temps, vol. VI, 1895, p. 42.)
[162]
La France et Haïti réconciliées, le pardon des abus commis de part
et d'autre, la fraternité des peuples... sujets rêvés pour la littérature de
circonstance ! Aussi l'on s'étonne de ne trouver dans la Bibliographie
de la France pour 1825 que quatre poètes à avoir traité le thème.
Deux explications sont possibles : d'abord, les fabricants de dithyrambes étaient totalement accaparés par le sacre de Charles X, qu'ils saluèrent d'une véritable débauche poétique et théâtrale. Ensuite,
l'« émancipation » fut loin de soulever en France un enthousiasme
unanime :
Au premier moment, les libéraux et les constitutionnels ne
lui furent pas très défavorables ; mais les clameurs des royalistes s'élevèrent ; ils étaient indignés qu'on eût sanctionné honteusement les droits de la révolte. Quant aux colons, ils se dirent
sacrifiés ; de quel droit s'était-on permis de conclure, sans les
consulter, un arrangement où des propriétés d'immense valeur
étaient abandonnées pour une si chétive indemnité ?
(B. D. PASQUIER, Histoire de mon temps, vol. VI, 1895, p.
45.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
232
Bref, le sujet n'était pas de tout repos. Mieux valait chanter le sacre, on ne risquait d'offenser personne.
Les compositions qui nous sont parvenues ne méritent d'ailleurs
pas une attention prolongée. Trois d'entre elles sont des variations sur
le même thème : la générosité du roi de France. Ainsi, Victor Vignon
Restif de la Bretonne apostrophe le monarque :
Tu pouvais de leur soi redevenir le maître
Et pour leur souverain te faire reconnaître...
Tu ne le voulus point ... Tu préféras l'honneur
D'être appelé par eux un Pacificateur
A la gloire d'aller reprendre Saint-Domingue.
C'est ainsi qu'un Bourbon aime qu'on le distingue.
(V. Vignon RESTIF, Lettre... sur les Noirs, 1825, p. 5.)
Tandis que Cordelier-Delanoue vante en termes analogues la sagesse politique du premier magistrat de la République haïtienne.
L'abbé Grégoire a vu juste lorsque après avoir exhorté les écrivains
à défendre la cause les esclaves il ajoute :
Un événement récent a paru néanmoins stimuler la verve de
nos rimeurs la reconnaissance d'Haïti a même fait éclore quelques vers bien tournés ; mais l'adulation respire dans la plupart
des hémistiches, et l'objet principal ne paraît plus que secondaire.
(H.B. GRÉGOIRE, De la noblesse de la peau..., 1826, p.
71.)
Bien qu'une de ces Odes de circonstance soit l'oeuvre d'« un homme de couleur », on ne parle des Noirs qu'en termes abstraits et généraux, « enfants héroïques », « fils de la Guinée », etc. A cela rien
d'étonnant, il ne s'agissait pas de faire œuvre exotique, mais de célébrer la prudence des chefs d'État et la reconciliation de leurs peuples.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
233
À titre d'illustration, citons quelques passages du poème de Victor
Chauvet : Haïti, chant lyrique. Tout en restant empêtré dans la rhétorique [163] traditionnelle, Chauvet approche parfois d'une certaine
éloquence. C'est ainsi qu'après avoir rappelé les malheurs de SaintDomingue, il conclut :
Oui, des fureurs d'un peuple ou stupide ou pervers,
Le despotisme seul doit compte à l'univers :
C'est peu que d'opprimer, il corrompt ses victimes.
Les crimes de l'esclave échappé de ses fers,
Du tyran sont encor les crimes.
Quelques strophes plus loin, le poète s'adresse aux colons
Oh ! n'adressez plus vos soupirs
Aux flots d'Artibonite, aux champs de Léogane.
Pour adoucir l'exil où le sort vous condamne,
La France offre à vos cœurs d'antiques souvenirs.
Chère aux malheureux comme aux braves,
La France sur son sein presse tous ses enfans ;
Là vivra le colon, sûr d'accomplir ses ans
Et devenu plus libre en perdant ses esclaves.
(V. CHAUVET, Haïti, 1825)
Les Haïtiens n'étaient plus, aux yeux des Français, des esclaves révoltés, des Nègres marrons que l'on pouvait rêver de rendre à l'antique
esclavage, mais les citoyens libres d'une république indépendante.
Que la France l'ait reconnu prenait une valeur de symbole : un pas de
plus avait été fait par le Noir sur la longue route qui mène à la dignité
humaine. L'événement n'a guère laissé de traces dans la littérature ?
Certes, si l'on en juge d'après le nombre d'écrits qu'il a inspiré directement et immédiatement. Mais pour paraître scientifique, cette estimation mathématique n'est pas nécessairement la plus juste. Disons
que l' « émancipation » a contribué à garder le Noir présent à l'esprit
français. C'est important : après tout, si les Nègres de Saint-Domingue
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
234
avaient accédé à la liberté personnelle et à la souveraineté nationale, il
devenait plus délicat de refuser l'une et l'autre aux esclaves de la Martinique ou de la Guadeloupe... De façon intangible, le souvenir de
l'« émancipation » n'a pu manquer d'influencer les écrivains qui ont
créé par la suite des personnages noirs.
Le tremblement de terre de la Martinique.
Le 11 janvier 1839 la terre tremble à la Martinique ; Fort-Royal est
dévasté. Les journaux donnèrent bien entendu de nombreuses descriptions de la catastrophe ; elle inspira en outre deux pièces de théâtre et
un poème. Trois œuvres, c'est peu, mais en l'occurrence elles développent une série de thèmes significatifs que je me bornerai pour l'instant
à dégager. Par la suite, l'analyse permettra peut-être de voir comment
ils s'articulent à d'autres thèmes pour former une image cohérente.
[164]
D'abord le poème de Samuel Lhermite Le Tremblement de terre de
la Martinique. Après une description du cataclysme viennent les strophes suivantes :
D'un furieux délire et de rhum enivrés,
Quelques esclaves noirs au vertige livrés
Sur la place ont formé des danses frénétiques
Parmi les cadavres sanglans,
Entremêlant le bruit de leurs chants fanatiques
Au bruit rauque des ouragans.
« Haïdé ! Haïdé ! réjouissez-vous, esclaves,
Plus de maîtres cruels, plus de fers, plus d'entraves,
Plus d'inutile cruauté
Le grand esprit sur eux vient de lancer sa foudre,
Sur les débris fumants de leurs cités en poudre
Surgira notre liberté.
Nous n'irons plus creuser cette ingrate savanne
De nos sueurs trempée. Au seuil de leur cabane
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
235
Nos femmes n'iront plus, pour enrichir les blancs,
Des sucs de l'esclavage allaiter leurs enfans.
Transportés loin du ciel de la mère patrie
Nous traînons dans les fers l'existence flétrie.
Sous les verges broyés par nos cruels vainqueurs,
Nos chairs deviennent sucre et notre sang liqueurs.
(S. LHERMITE, Le Tremblement de terre..., 1840, p. 6-7.)
La première strophe donne évidemment des Noirs une image péjorative : « furieux », « enivrés », « frénétiques », « fanatiques », ils sont
identifiés à l'ouragan, phénomène pittoresque mais extrêmement dangereux. Les trois strophes suivantes sont un chant d'allégresse à la liberté retrouvée, l'expression de leur rancœur envers les Blancs, la
complainte de l'exilé et du torturé. Là, le poète s'associe visiblement
au sentiments des Noirs, il les valorise. D'où l'attitude ambiguë qui
domine le poème et qui est encore soulignée dans une note explicative :
Cet épisode est historique, bien qu'il n'ait pas été consigné
dans les relations des journaux. Cette manifestation a, du reste,
été trop isolée pour acquérir la moindre importance : les esclaves au contraire ont rendu les plus grands services dans ce désastre.
D'une part Lhermite tient à signaler à ses lecteurs une manifestation très inquiétante que les journaux (par négrophilie, peut-être ?) ont
passée sous silence. De l'autre, il s'empresse d'enlever toute importance à cette manifestation. Tout se passe comme si l'auteur, pleinement
conscient de l'immoralité de l'esclavage et de son inutile cruauté, était
tout de même effrayé à l'idée de soustraire les Noirs au contrôle rigoureux des « civilisés ». Dans son esprit, comme dans celui de bon nombre de ses concitoyens, le Noir reste un primitif, capable certes de
[165] dévouement lorsqu'il est bien encadré, mais dangereusement
prédisposé à se laisser dominer par ses tendances congénitales à la
sensualité anarchique.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
236
Alors qu'un Blanc énonce sa pensée par le discours cohérent, le
Noir manifeste son individualité par un « furieux délire », par un
« vertige » dont la « danse frénétique » et le « chant fanatique » sont
l'expression. Le talent des Noirs pour la danse et le chant, le sens profond du rythme que l'on s'accorde à leur reconnaître sont des poncifs
de la pensée occidentale.
On peut également signaler d'autres thèmes, qui ne sont d'ailleurs
pas nouveaux. Le tremblement de terre vu comme une punition du
Ciel va rejoindre, dans l'arsenal d'une Divinité anti-esclavagiste, la
maladie vénérienne, les guerres entre Européens, la tempête sur
l'Atlantique et la fièvre jaune. La terre trempée de sueurs, les produits
tropicaux arrosés de sang sont des images qui remontent aux premières protestations contre l'esclavage. L'horreur d'une mère dont l'enfant
va enrichir le cheptel du maître est également traditionnelle.
Sous le titre de Le Tremblement de terre de la Martinique, deux
pièces sont affichées à quelques jours d'intervalle : le 14 janvier 1840,
le drame en cinq actes de Lafont et Desnoyer à la Porte-Saint-Martin ;
le 23, le drame en quatre actes de Dennery à la Gaité. L'un et l'autre
sont des mélodrames caractérisés : héroïnes persécutées, traîtres lubriques et avaricieux, jeunes premiers intrépides et généralement militaires, confidents grotesques, souterrains et passages secrets, testaments
égarés et identités reconnues in extremis, coïncidences mirifiques et
coups de théâtre providentiels, tous les éléments sont réunis pour faire
pleurer Margot.
Dans la pièce de Lafont et Desnoyer, le traître est Dominique, un
Mulâtre. Il affiche le plus grand mépris pour les Nègres et déclare
avoir honte du sang africain qui coule dans ses veines. En parlant au
Créole Henri, Dominique explique :
Les nègres ! savez-vous ce qu'il y a au fond de leurs plaintes ? Savez-vous ce qu'ils veulent ? Ils veulent devenir blancs !
...................................
Quand je suis arrivé dans les colonies, tout frais émoulu de
mon éducation européenne, moi aussi j'avais la tête farcie des
grandes phrases que débitent à tant la ligne messieurs les philanthropes d'outre-mer. Je venais justement de faire un voyage
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
237
en France qui est bien le pays du monde où l'on en fait la plus
large consommation. Trois ans de séjour à la Martinique ont furieusement changé mes idées. Je n'ai vu dans la race nègre, y
compris les mulâtres, que des hommes nés pour la servitude.
Chez eux, rien de ce qui fait les peuples libres ; nulle intelligence, point de résolution ; leur courage, c'est la ruse ; leur arme
favorite, le poison ; et le plaisant est que ces hommes déchus du
rang d'homme, qui ne marchent pas ... qui rampent, se poursuivent entre eux de la même flétrissure dont ils sont frappés par
les blancs ; le sang-mêlé méprise le quarteron, qui méprise le
mamelouk, qui méprise [166] le métis, qui méprise le nègre...
que sais-je, enfin ;... Moi, je les méprise tous. (Acte 1, scène
iii).
Voilà qui rend un son familier ; ces attaques contre les Noirs remontent au moins à la révolution de Saint-Domingue. Nous savions
déjà que les Nègres ont un respect quasi religieux pour les Blancs ; la
pensée raciste va plus loin, et se dédouane en prétendant retrouver
dans le groupe ethnique méprisé les préjugés mêmes dont il est la victime. De nos jours encore, tout bon antisémite se doit de citer un sien
ami israélite qui partage sa haine du Juif. Quoi qu'il en soit, l'existence
chez les Noirs de la hiérarchie de la couleur est postulée par les écrivains et acceptée par l'opinion publique.
Dominique n'est qu'un sournois : tout en affirmant les mépriser, il
est en train d'organiser une révolte générale des esclaves martiniquais.
Mais ses projets ne relèvent pas de la pure méchanceté. Jadis, il vivait
heureux avec Flora, femme de couleur, et c'est un mouvement tout à
son honneur qui est à l'origine de sa révolte :
Pourquoi, il y a un an, lorsque l'amour de Flora suffisait à
mon bonheur, pourquoi le hasard a-t-il jeté sur mon passage,
dans la forêt du Vauclain, ce nègre fugitif [...] que son maître
allait mettre en pièces sous mes yeux ? Je pris sa défense, moi ;
j'osai dire une parole en sa faveur ; ma main voulut arrêter celle
du jeune créole qui allait tuer son esclave, et le créole me déchira la figure avec sa cravache en m'appelant chien de mulâtre !...
Le lendemain, le cadavre du jeune homme fut renvoyé par moi
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
238
à la plantation [...] et pour la première fois je vis Mlle de Beaumont [sœur de la victime] ; dès-lors, c'en était fait de ma destinée ; dès-lors, j'étais en proie à ces deux sentiments extrêmes,
ces deux passions ardentes, effrénées, qui ne finiront qu'avec
ma vie : ma haine pour les blancs et mon amour pour Julie !
(Acte 1, sc. iv.)
Pendant toute la pièce, le pauvre mulâtre (dont les « passions ardentes, effrénées » accusent l'origine africaine) est déchiré entre la
nostalgie de ce qu'il considère comme sa vertu passée – c'est-à-dire
l'acceptation de sa place dans la hiérarchie coloniale – et le crime qu'il
va commettre – c'est-à-dire l'élimination par la violence des Blancs
grâce au soulèvement des esclaves noirs :
J'ai accepté le titre de leur chef… que deviendront-ils si je
les abandonne ? ... Une trahison de tous les côtés... j'aime mieux
trahir mes ennemis que mes frères !... Allons, le sort en est jeté,
mon excuse est dans la malédiction qui me poursuit depuis ma
naissance, dans le sang qui brûle mes veines, dans le malheureux amour que cette femme blanche m'a inspiré... elle n'y répondra jamais, je le sais bien ... mais ni à moi, ni à un autre : je
l'ai juré ! (Acte II, scène xii.)
Dans un court dialogue, Lafont et Desnoyer résument le « problème » des Mulâtres aux colonies ;
M. DE BEAUMONT : Oui, nous sommes à la merci de nos
esclaves quelles mesures pourrait-on prendre pour les calmer ?
[167]
DOMINIQUE : Monsieur le Comte, les nègres sans les mulâtres ne seraient qu'une armée sans officiers.
M. DE BEAUMONT : Mais nous en avons affranchi un si
grand nombre !
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
239
DOMINIQUE : C'est justement pour cela. Vous leur avez
donné l'égalité en droit, ils veulent l'avoir en fait. [...] riches et
pauvres, savans et ignorans, civilisés et sauvages, vous les méprisez tous ! La loi les reconnaît pour vos concitoyens ; vous les
traitez comme des parias. [...] Si un homme de couleur, après
avoir fait toutes ses études en Europe, osait revenir aux colonies
pour y exercer la profession d'avocat ou de médecin, trouveraitil un client dans la population blanche ? (Acte III, scène vii).
L'homme de couleur que les préjugés coloniaux empêchent d'exercer la profession libérale apprise en France est un personnage que l'on
retrouve souvent. Pour revenir au drame de Lafont et Desnoyer, M. de
Beaumont ayant déclaré que jamais il ne donnerait sa fille qu'à un
homme de sa race et de sa condition, Dominique déclenche la révolte.
Juste au moment où Julie va être déshonorée et son père et son frère
poignardés, la terre tremble, s'ouvre et engloutit tous les coupables,
épargnant comme il se, doit la jeune fille et ceux qu'elle aime.
Le drame de Dennery a pour sujet les infâmes machinations de
Robert de Pontalban qui séquestre la mulâtresse affranchie Marie
pendant dix ans dans un cachot souterrain : il veut la forcer à révéler
où se trouvent certains documents qui prouvent qu'avant de mourir M.
de Pontalban, oncle du criminel, a épousé Marie et reconnu leur fille,
élevée en France sous un nom d'emprunt. C'est pour protéger les
droits de son enfant que la pauvre femme résiste à son bourreau. A la
fin de la pièce, et alors que Robert s'apprête à poignarder la mère et la
fille, la terre tremble et le criminel est tué.
Le personnage de Marie est l'incarnation de l'héroïne de mélodrame, elle ne sait que souffrir, rester fidèle et pardonner. Autant que de
Robert, c'est du préjugé qu'elle est la victime. M. de Pontalban avoue
à son médecin :
Vous avez vaincu, docteur, les préjugés du vieux créole ; à
votre voix son lit de douleur s'est changé en un saint autel, et le
prêtre, qui venait absoudre le mourant, a d'abord béni son mariage.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
240
Et à Marie :
Tu ne sais pas que de souffrances sont contenues dans ce
mot, esclave affranchie. Tu ignores le monde, ta vie entière s'est
écoulée dans la demeure d'un maître opulent qui ne t'a laissé
connaître ni le supplice ni la honte du besoin.
Effectivement, lorsque arrive le malveillant neveu, il traite Marie
avec mépris :
Croyez-vous que la distance soit si grande entre une esclave
et une affranchie ? [...] Les soins d'une esclave appartiennent de
droit à son maître, ceux [168] d'une affranchie se paient avec un
peu d'or, et comme je ne me souviens pas si vous êtes affranchie ou esclave... je vous paie d'abord (Il jette une bourse à ses
pieds). (Prologue.)
Des esclaves noirs figurent également à la distribution. Le vieux
Maurice est un esclave fidèle qui parle parfaitement le français. Le
jeune Daniel est un paresseux ; il va seconder Robert qui lui a promis
la liberté s'il hérite de son oncle ; Daniel parle petit-nègre. Une distinction très nette est établie entre les bons maîtres (comme M. de
Pontalban) et les maîtres cruels (comme son neveu). Mais, bons ou
cruels, les Blancs ont droit au respect des Nègres. Il suffit à Robert
d'élever le ton pour que les esclaves Noirs de son oncle, qui avaient
résolu de l'empêcher d'entrer chez le vieillard agonisant, lui livrent
passage sans discussion. Il s'en faut de peu qu'ils n'aient un jour leur
revanche : une fois Marie séquestrée dans le souterrain, Robert avait
déchargé son fusil sur Daniel et laissé pour mort ce témoin gênant.
Mais Daniel, blessé à la tête, n'a fait que perdre la mémoire. Il la retrouve dix ans plus tard, juste à temps pour menacer Robert de ses pistolets et le forcer à attendre la maréchaussée. Robert s'échappe, Daniel
tire et le manque.
En l'occurrence, ce n'est pas l'esclavage qui est mis en question
dans le drame, mais le snobisme colonial, le problème des Mulâtres
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
241
affranchis ou descendants d'affranchis, méprisés par les Blancs même
lorsque rien dans leur physique n'accuse un ancêtre africain.
Tant Dennery que Lafont et Desnoyer ont choisi la Martinique
pour cadre, afin de montrer un tremblement de terre. Le sujet, d'actualité depuis la dévastation de Fort-Royal, permettait de saisissants effets de mise en scène. Que des Noirs apparaissent est tout à fait normal. Ce qui est intéressant c'est que, dans les deux cas, Martinique et
conflit racial sont identifiés. Directement ou indirectement, les méfaits
du traître se rattachent à la couleur de son épiderme ou de celle de sa
victime. Dans le premier cas, c'est l'esclavage et le préjugé qui a fait
de Dominique un malfaiteur. Dans le deuxième, c'est le préjugé et la
compréhensible timidité des esclaves qui ont causé les malheurs de
Marie. Au XVIIIe siècle, on pouvait écrire des pièces qui se passent
aux Antilles et où les Noirs ne font qu'apporter la note exotique. Après
la révolution de Saint-Domingue et les controverses souvent violentes
autour de la traite et de l'esclavage, il est devenu impossible de passer
sous silence les tensions raciales qui caractérisent la vie aux colonies.
Martiniquais lui-même, Louis Maynard de Queilhe explique dans la
préface de son roman Outre-Mer :
Les colons de toutes les colonies savent bien qu'il n'est plus
possible aujourd'hui de composer sur les faits de leur société de
jolis volumes qui soient à l'eau de rose ou à la fleur d'orange.
(L. MAYNARD de QUEILHE, Outre-Mer, 1835, Vol. I, p.
vii.)
[169]
Peut-on traiter d'œuvres de circonstance les ouvrages qui, après
1815, mettent en scène la révolution d'Haïti ? Ce serait sans doute
abusif, et mieux vaudrait parler de romans ou de poèmes historiques.
Il en existe un très grand nombre. Dans certains, comme le BugJargal de Victor Hugo (1re version 1818-1819, 2e version 1826) ou
comme le drame Toussaint Louverture de Lamartine (joué en 1850),
l'action tout entière se passe au temps de la révolte ; dans d'autres,
comme Lydie ou la Créole, d’Adèle Daminois (1824) ou Le Chevalier
de Saint- Georges, de Roger de Beauvoir (1840), elle ne constitue
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
242
qu'un épisode. Ces œuvres tendent à se distinguer de celles qui avaient
para sous le Consulat et l'Empire par leur plus grande complexité. Au
risque de généraliser abusivement, on peut dire qu'avant la Restauration les romans sur Haïti étaient composés sur un patron relativement
simple. Ils mettaient en scène d'un côté des colons, de l'autre des esclaves. Les bons colons, généralement aimés et respectés de leurs
Noirs, se distinguent des méchants colons qui finissent par payer leur
cruauté de leur fortune ou de leur vie. De même, certains parmi les
Noirs sont des « modérés », soit qu'ils refusent de prendre part à la
révolte soit qu'ils déplorent les abus commis par leurs frères de race.
D'autres par contre – et ce sont les plus nombreux – laissent libre
cours à leurs instincts de paresse et de rapine sous prétexte de lutter
pour la liberté. Bref les personnages, sans distinction de couleur,
étaient tout d'une pièce, incarnant qui le Vice qui la Vertu. Enfin,
l'événement historique servant de point de départ était schématisé à
l'extrême : dans une société qui tolérait des abus regrettables, les esclaves ont entendu dire que la liberté avait été proclamée ; on la leur
refuse, et ils se soulèvent ; ils commettent des crimes épouvantables ;
les Blancs qui ne peuvent s'enfuir sont massacrés. Et la leçon que les
auteurs proposent est que le Blanc ne doit pas abuser de son pouvoir
s'il ne veut pas risquer la catastrophe, mais qu'il est également dangereux de prêter l'oreille aux élucubrations des philanthropes : les Nègres sont de grands enfants, il importe de les contrôler étroitement.
Il est significatif qu'on ne trouve pratiquement pas de personnages
Mulâtres dans le roman « haïtien » avant 1824, bien qu'ils aient formé
une classe importante, tant numériquement que par le rôle qu'elle eut à
jouer. Personnage ambigu, trait d'union pour ainsi dire entre les races
ennemies, le Mulâtre s'articule mal dans une structure rigidement dichotomique. Sa psychologie ne coïncide par définition ni avec celle
des Blancs ni avec celle des Noirs, tout en participant de l'une et de
l'autre. Les auteurs n'ont pas su la traiter ou, plus probablement, n'ont
pas voulu compromettre la stricte ordonnance de leurs compositions
en y introduisant un élément ambivalent.
Non certes qu'après 1815 les romans qui mettent en scène la révolution de Saint-Domingue soient toujours d'une grande subtilité : en
[170] 1817 paraît l'interminable Robinson du faubourg Saint-Antoine,
de A. P. F. Ménégault. Le Créole Hyacinthe Desturmel s'enfuit avec
Henriette, veuve de son meilleur ami, qui vient d'être tué par les rebel-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
243
les. Ils sont capturés près du Cap et menés devant Jean-Pierre, le successeur de Biassou. Là, Toussaint Louverture les prend sous sa protection ; il nomme Desturmel son secrétaire et rend à Henriette un trésor
ayant appartenu à feu son mari. César, un des lieutenants de Toussaint, confie Henriette au Blanc F.... ex-procureur au Cap Français et
dévoué par opportunisme à la cause des Noirs. Pour s'emparer du trésor, il assassine la jeune veuve en la précipitant dans une chaudière
d'eau bouillante de sa sucrerie. César revient, tue F... et remet à Desturmel la cassette et les os de la pauvre Henriette en lui disant :
Portez cette caisse en France : des deux objets qu'elle
contient, l'un prouvera la probité des noirs, l'autre la cruauté des
blancs.
(A. P. F. MÉNÉGAULT, Le Robinson..., 1817, vol. I, p.
275.)
La démonstration a la rigueur d'un théorème, le monstre blanc servant de contre-épreuve au Noir généreux ; les personnages, qui parlent
tous la même langue ampoulée, n'ont ni profondeur, ni spécificité.
C'est qu'il s'agit d'une oeuvre de propagande, et non des plus subtiles.
La faiblesse des œuvres dont l'action se situe à Saint-Domingue au
temps de la Révolution me semble inhérente au genre historique en
France 82. En l'occurrence, la société coloniale est donnée. Quelles en
sont les racines historiques, comment s'est-elle développée, comment
ses modalités d'existence ont-elles contribué à déterminer la personnalité collective des Créoles Blancs, Mulâtres ou Noirs, voilà des questions que les auteurs ne semblent pas s'être posées. Le colon est Monsieur-tout-le-monde, sauf qu'il porte costume de cirsaka et chapeau de
paille... et qu'il fouette ses esclaves. Le Nègre, forcément, est quelque
peu plus exotique ; mais en fin de compte il n'est guère différent d'un
domestique particulièrement dévoué ou extraordinairement sournois,
82
Aucune de ces œuvres ne se compare par exemple à Die Verlobung in St.
Domingo de Kleist. Et c'est à notre contemporain le romancier cubain Alejo
Carpentier qu'était réservé de donner à l'histoire de la révolution haitienne sa
plus haute expression littéraire, dans El reino de este mundo et El siglo de
las luces.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
244
selon les besoins de l'anecdote. Quant aux personnages historiques
que l'on voit passer (généralement Toussaint ou quelque autre chef
rebelle) l'auteur campe leur portrait héroïque ou en fait des caricatures
grotesques, suivant ses convictions.
La complexité plus grande qui distingue néanmoins ces romans
historiques de ceux de la génération précédente provient en premier
lieu d'une meilleure connaissance des faits. Récits, mémoires, témoignages historiques de toute sorte se publient chaque année ; anciens
[171] colons, anciens fonctionnaires, anciens officiers viennent raconter ce qu'ils ont vu et les écrivains en mal de sujet se rendent bientôt compte que :
Dans l'histoire des malheurs de Saint-Domingue, dans le récit de la longue calamité qui a ravi à la France sa plus belle colonie, chaque épisode porte en soi un caractère bizarre, une spécialité sanguinaire qui étonne ou épouvante, et qu'on chercherait
vainement ailleurs, partout où l'on s'est tué pour être libre.
(A. DELRIEUX, « Souvenirs de Saint-Domingue », La Mode, 1831, p. 244.)
Victor Hugo n'a jamais été à Saint-Domingue, mais la documentation de première main ne lui a pas manqué. Dans la Préface de BugJargal, datée de janvier 1826, il tient à reconnaître ses dettes :
Plusieurs personnes distinguées qui, soit comme colons, soit
comme fonctionnaires, ont été mêlées aux troubles de SaintDomingue, ayant appris la prochaine publication de cet épisode,
ont bien voulu communiquer spontanément à l'auteur des matériaux d'autant plus précieux qu'ils sont presque tous inédits [...]
Ces documents lui ont été singulièrement utiles pour rectifier ce
que le récit du capitaine d'Auverney présentait d'incomplet sous
le rapport de la couleur locale, et d'incertain relativement à la
vérité historique.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
245
Servais Étienne et Georges Debien ont recherché les sources possibles de Bug-Jargal. Que Hugo ait consulté l'Histoire de St.Domingue de Bryan Edwards, les quatre volumes du conventionnel
Garran Coulon Rapport sur les troubles de Saint-Domingue, ou les
Mémoires du général Pamphile de Lacroix, qu'il ait entendu quelque
ancien officier, quelque colon replié en Métropole ou quelque capitaine au long cours (son grand-père Jean-François Trébuchet, par exemple) évoquer ses souvenirs, le fait est qu'il pouvait choisir dans les livres ou la conversation telle anecdote, tel détail réel propre à stimuler
son imagination. Ressource que n'avaient guère eue ceux qui composaient quelques mois après les événements, avec pour toute matière
première les dépêches des journaux, les pamphlets anti-Nègres et les
ouvrages classiques du Père Labat ou de Charlevoix. Une scène, dans
Bug-Jargal (Chapitre XVI, version 1826) me paraît particulièrement
réussie : celle où l'Assemblée coloniale délibère pour décider quelles
mesures prendre face à l'insurrection. Cette alerte satire de la pagaille
parlementaire indique déjà que le grand poète était également un journaliste de génie. Or, pour composer cet épisode (qui ne se trouve pas
dans la première version de Bug-Jargal), Hugo devait nécessairement
avoir des connaissances sur l'organisation politique de SaintDomingue, sur les différentes factions qui s'y étaient affrontées, sur
les principes qu'elles avaient défendus. Que l'on connaisse ou non le
titre exact du livre qu'il a consulté, les noms et prénoms des individus
susceptibles de l'avoir renseigné, ce qui compte c'est [172] que la documentation, écrite ou auriculaire, ne lui a pas manqué 83. Outre une
meilleure connaissance des faits historiques et des conditions sociales,
les romans « haïtiens » contiennent, à partir de 1820, des descriptions
du pays moins fantaisistes et plus détaillées. On risque moins souvent
de prendre le Cap ou Port-au-Prince pour une de ces villes imaginaires
que les romanciers désignent par une initiale. Sans être toujours très
exactes, les descriptions de la nature tropicale ne se bornent plus aux
« forêts impénétrables », aux « déserts » et aux sempiternels palmiers
dont on s'était jusqu'alors contenté. Ce progrès est évidemment dû à
une nouvelle esthétique, attirée par ce qui est particulier et unique et
donc par une nature inusitée propre à dépayser l'imagination du lec83
On consultera avec profit l'excellente Présentation des deux Bug-Jargal par
Georges Piroué dans le premier volume des Œuvres complètes de Victor
Hugo, Club français du livre, 1967.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
246
teur. Et ici également, la prolifération des récits de voyage, des « Souvenirs des Antilles » fournissent aux écrivains des éléments d'information.
Aucun des romans « haïtiens » n'a accompli la gageure fondamentale du roman historique : non seulement faire revivre le passé mais
aussi donner une interprétation cohérente du fait historique au moyen
d'une fiction. Dominantes de l'imagination romantique, le souci
d'exactitude et l'attirance pour l'inusité se retrouvent dans la grande
majorité des œuvres où se manifeste la présence du Noir, que l'action
se déroule à Saint-Domingue ou ailleurs. Des thèmes comme la révolte d'esclaves, les cérémonies vaudou, l'humiliation des Mulâtres, etc.,
peuvent tout aussi bien avoir pour cadre la Martinique, la Guadeloupe,
la Réunion, voire la Jamaïque ou les États-Unis. Aussi me paraît-il
plus logique d'analyser en premier lieu l'image du Noir, ensuite l'image de plus en plus importante du Mulâtre et enfin celle du Blanc qui,
de par sa qualité de négrier, de colon ou de touriste venu de la Métropole, ressent le problème racial de façon particulièrement aiguë.
LE NOIR
Retour à la table des matières
Entre 1815 et 1848 il n'existe qu'un petit nombre d'œuvres dont
l'action se déroule entièrement en Afrique et dont les personnages
principaux soient des Noirs. D'une part, l'on avait compris l'absurdité
des Terrasson et des La Morlière et de leur Afrique assez fantaisiste
pour sembler un pseudo-Versailles peuplé de Parisiens déguisés en
Yoloffs ou en Yoroubas. De l'autre, le continent et ses habitants
étaient encore trop peu connus des écrivains comme des lecteurs,
[173] pour que puissent être élaborées des œuvres tant soit peu authentiques 84.
84
Aussi ne mentionnerai-je que pour mémoire la tragédie en cinq actes de J. C.
FOURTET Sélico (1827) qui n'a à ma connaissance jamais été jouée. L'auteur écrit dans l'Examen :
Le sujet de ma pièce, comme on le voit, est historique et tiré de Florian
[...] Le fait et le temps sont bien suivis, mais je ne sais si le public trouvera
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
247
Il faut tout de même mentionner « Vengeance », le curieux ouvrage que Xavier Saintine a publié en 1825 dans un recueil intitulé Jonathan le visionnaire. La scène se passe vers la fin du XVIIIe siècle au
Congo. Le roi qui gouverne le pays a pour Premier ministre le sage
Maëlo, un poète qui
se servait avec tant d'habileté de cette admirable langue du
Congo, si belle qu'il faut qu'elle ait été laissée à l'Afrique par
quelque grande nation, disparue sous les sables peut-être, après
avoir brillé de tout l'éclat d'une civilisation perfectionnée 85.
(X. SAINTINE, « La Vengeance » in Jonathan..., 1837, vol.
II, p. 289 [1re éd., 1825].)
Alvarès, frère du roi (il a pris un nom portugais par admiration
pour les Européens de la côte), est le gouverneur de la province de
Bamba. Il se révolte contre le souverain, et proclame l'indépendance
de la région après avoir fait dévorer vivant l'ambassadeur de son frère
en l'attachant à une termitière. Le roi procède à une levée générale de
ses troupes, et Saintine le montre qui passe la revue :
Le monarque, précédé d'une nombreuse garde d'Anzakis
[guerriers du Loango qui se louent comme mercenaires, et dont
85
que je me sois écarté de la règle du lieu. La scène change au moins trois
fois, mais toujours dans la même ville [...] On sait d'ailleurs que les villes en
Afrique, sur les côtes de Guinée, ne sont pas très-grandes, puisqu'à Sabi il
n'y a qu'un temple aux Dieux du pays.
En changeant le nom des personnages, Fourtet aurait pu placer l'action
de Sélico dans n'importe quel pays du globe.
Il n'est pas impossible que Saintine développe ici certaines idées de de Maistre sur l'origine des langues. Dans le deuxième entretien des Soirées de
Saint-Pétersbourg (1821) on lit (je cite l'édition Garnier en 2 volumes, s.d.) :
D'où vient qu'on trouve dans les langues primitives de tous les anciens
peuples ces mots qui supposent nécessairement des connaissances étrangères à ces peuples ? (I. p. 84).
et, au sujet du latin archaïque :
Ces mots et d'autres encore qu'on pourrait citer en grand nombre... sont
des débris évidents de langues plus anciennes détruites ou oubliées (1, 86).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
248
la fidélité est à toute épreuve, explique Saintine en note] armés
de mousquets et de lances, sortit du palais au bruit des trompettes, des cornemuses et d'un tambour appelé ingombo fait d'un
arbre creux, et dont le son, accompagné de celui de longa, espèce de sonnettes [...] produit un ensemble fort discordant. [...]
Tandis que des officiers, armés chacun d'une queue de zèbre,
rafraîchissaient l'air autour de lui, un autre soutenait au dessus
de son front un large parasol de soie, pour le défendre des ardeurs du soleil (idem, p. 292).
[174]
Saintine s'est visiblement inspiré ici des gravures qui illustraient
les récits de voyage. Sa description des guerriers congolais est intéressante également :
Ceux qui s'honoraient du titre de chrétiens, se montraient, à
l'instar des anciens Portugais, coiffés de la toque légère et de la
plume d'autruche, ou du large chapeau à bords rabattus. Le velours, la soie, les brocarts d'or et d'argent rehaussaient leur parure. Ceux, au contraire, qui, imbus encore des superstitions paternelles, auraient cru commettre à moitié le crime d'apostasie
en ne se revêtant pas des mêmes ornements que leurs aïeux, se
présentaient fièrement, couverts d'un habit fait de l'écorce de
l'aliconde, ou baobab, d'un léger surplis que leurs femmes
avaient tissu des fibres déliées de l'insanda ou du laurier mulemba, et qui, fixé sur l'épaule, à la manière des Grecs, voyait la
brillante agraffe remplacée par une queue de zèbre, ornement en
honneur au Congo. Une peau de tigre accompagnait dignement
cette parure, empruntée toute entière au pays, et complétée par
des sandales de bois de palmier et un petit bonnet de couleur
vive, sous lequel ressortait pleinement leur teint noir ou cuivreux (idem, p. 294).
Grâce aux conseils de Maëlo, les troupes royales battent les rebelles et capturent Alvarès. Le roi veut lui infliger une punition exem-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
249
plaire. Ne sachant quel tourment choisir, il demande à son ministre de
lui raconter des histoires de vengeances particulièrement atroces.
Maëlo lui en raconte trois, glanées au cours de ses voyages à travers le
continent. La première est celle de Tamus, le Saab, qui se passe en
Afrique du sud ; la deuxième est celle de Messlaël, l'Alamy, qui se
passe en Sénégambie ; la troisième est celle d'Abdallah, le Chérif, qui
se passe au royaume de Maroc. Les récits de Maëlo sont agencés de
telle façon que le roi finira par grâcier son frère : il a compris que le
pardon est la seule vengeance digne d'un grand monarque.
Dans l'histoire de Tamus, Susoa, chef des Hottentots, commande
un raid contre la tribu voisine des Saabs pour en asservir les hommes
valides. Les vieillards, les femmes et les enfants sont égorgés, sauf un
bébé, Tamus, qui sera élevé avec Pharaoh, fils de Susoa. Les deux enfants grandissent ensemble et s'aiment comme des frères. Ils tombent
tous deux amoureux de Néalée. Se prévalant de sa qualité de chef,
Pharaoh épouse la jeune fille, qui préférait pourtant son rival. Malgré
sa douleur, Tamus continue à servir loyalement son frère de lait. Mais
Pharaoh est jaloux des prouesses de Tamus (qui a tué un lion en combat singulier, suprême honneur chez les Hottentots). Il décide de le
vendre, ainsi que Néalée, aux Namaquois marchands d'esclaves. Au
moment d'être remis aux Namaquois, Tamus brise ses liens, empoigne
Pharaoh et, dédaignant de le tuer, se poignarde sur son corps. Couvert
du sang de son frère, Pharaoh perd la raison et s'enfuit en hurlant dans
le désert pour y mourir de soif.
Inutile de résumer l'intrigue des deux autres récits. Il faut cependant remarquer que dans aucun des trois n'apparaît un seul [175] Européen. Et surtout que Saintine traite ses protagonistes avec dignité. Il
se passionne visiblement pour les langues africaines, et multiplie les
notes pour expliquer la signification des nombreux mots hottentots,
yoroubas ou arabes qu'il utilise. Il décrit les cérémonies religieuses
des Africains, leurs rites de passage, leur façon de se procurer et de
préparer les aliments. Un ethnographe pourrait juger de la valeur
scientifique de ces descriptions. Elles sont en tout cas convaincantes.
L'auteur de Picciola ne tombe jamais dans la sentimentalité niaise de
tant de négrophiles ; il se garde également de l'ironie facile que les
écrivains français affectent volontiers en parlant des choses d'Afrique.
Voici par exemple comment il décrit les Saabs, tribu primitive du Kalahari :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
250
[ces] ennemis de toute dépendance habitent les bois et les montagnes arides. La chasse et le pillage, voilà leurs seules occupations ; des chairs saignantes, arrachées et divisées avec leurs
ongles larges et tranchans, des fourmis et des sauterelles séchées au soleil, voilà leur nourriture ; un bâton pointu de bois
de fer, un roseau armé d'un caillou tranchant, voilà leurs assagaies et leurs flèches ; une branche d'arbre creusée, et dont il ne
reste que l'écorce, fermée aux deux extrémités par la peau d'un
serpent, leur sert de carquois, et quelque crevasse de rocher, ou
les entrailles d'une bête féroce, telle est leur sépulture.
Aussitôt en âge de lancer un trait, ils font serment, sur la tête
de leurs vieillards, de ne jamais tourmenter la terre pour la
contraindre à les nourrir, de ne point avilir leur dignité d'homme
jusqu'à se faire les gardiens d'animaux nés libres comme eux, et
qui ne peuvent leur appartenir que par le droit de la guerre.
Malgré cette existence précaire et sauvage, ces peuples ne
sont ni cruels ni trompeurs. Vaincus et conduits en servitude, ils
essaient de recouvrer leur liberté, sans jamais profiter de leur
fuite pour dérober à leur maître le moindre objet, fût-il même
nécessaire à leur subsistance (idem, p. 309-310).
Vengeance est le seul ouvrage de quelque importance, que j'aie
trouvé, où ne paraisse aucun Européen. Dire que Saintine a été le
premier à exprimer en langue française l'âme africaine serait exagéré ;
elle ne le sera vraiment que par nos contemporains les René Maran,
les Sédar Senghor, les Yambo Ouoleguem. Mais peut-être ces écrivains accepteraient-ils de considérer Saintine sinon comme un précurseur du moins comme un des rares, des très rares Blancs qui n'ait pas
donné de leur patrie une image péjorative ou édulcorée. Il y avait un
certain risque à choisir pour protagonistes des Noirs que la culture occidentale n'a pas dénaturés, n'a pas même influencés. N'en avoir fait ni
des monstres, ni des saints ni des paillasses mais des êtres complexes
et dignes est une preuve d'originalité et de largeur d'esprit.
Vengeance n'est pas la seule œuvre dont l'action tout entière se
passe en Afrique. Il y en a quelques autres. Mais comme elles ont
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
251
[176] généralement des Blancs pour héros, c'est presque toujours les
établissements européens qu'elles décrivent. C'était le cas pour La
Chaumière africaine, c'est le cas également pour Le Mulâtre et l'Africaine, mélodrame en trois actes de Dupetit-Méré et Pelissier (1824).
La scène est au Cap de Bonne-Espérance, d'abord dans l'habitation du
colon hollandais Vandeck, puis « au milieu d'une peuplade errante de
Cafres ». Caroline Vandeck aime le jeune Victor, mais ce dernier est
le fils de Walkromm qui, après avoir chassé les Cafres de leurs terres,
s'est appliqué à les exterminer. (C'est à ma connaissance la première
référence, dans une oeuvre française d'imagination, au génocide perpétré par les Boers). La sorcière cafre Olga (!) a juré de venger son
peuple ; la mort de Walkromm, dont elle est responsable, ne lui suffit
pas, elle veut également la tête de son fils. Olga va être aidée par le
Mulâtre Jeaufre, esclave de confiance de Vandeck, qui aime Caroline
et ne peut supporter l'idée qu'elle épousera Victor. Au dernier moment
il a un retour de conscience et sauve les amoureux qu'Olga allait poignarder.
Dans cette pièce, le Cap de Bonne-Espérance ne se distingue en
rien du Cap Français. Si Olga et Jeaufre parlent parfaitement « européen » (la sorcière a beaucoup fréquenté les Hollandais, le Mulâtre a
même séjourné dans leur pays), Zimio, fils d'Olga, s'exprime dans le
pseudo-créole le plus pur. A sa mère qui le conjure de venger la mort
de son frère en tuant son bienfaiteur Victor, il répond :
Oh ! ma mère, et moi méchant, moi ingrat, moi oublier...
oh ! non, non jamais ! moi donner tout mon sang pour sauver
frère à moi, mais moi mourir aussi plutôt que connaître ingratitude. (Acte I, scène vii.)
Qu'est-ce qu'il y a d'africain dans la pièce ? Zimio passe bien une
amulette au cou de Victor :
Prenez, ami, c'était makanda à Zimio ; makanda voulait dire
Talisman ; tous Cafres respecter li. (Acte I, scène xii.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
252
Et l'on voit Olga célébrer une sorte de cérémonie religieuse décrite
par les auteurs dans une indication scénique :
Les Cafres forment un rond autour d'Olga, à laquelle deux
petits Cafres apportent une longue baguette et un cabas qu'ils
déposent à terre sur l'ordre d'Olga ; les Cafres ramassent des
éclats de bois, et les frottent l'un contre l'autre jusqu'à ce qu'ils
en tirent du feu. [...] Olga jette dessus une liqueur spiritueuse, et
une flamme rougeâtre s'en élève aussitôt ; à la vue de ce prétendu prodige, les Cafres tombent tous la face contre terre. (Acte
III, scène ii.)
Le makanda est une réminiscence évidente du rebelle haïtien Makandal et la cérémonie, qui tient surtout du numéro de music-hall, ressemble à ce qu'on a fait passer pour des rites vaudou. Olga n'est cependant pas entièrement la création d'une imagination délirante. Elle
rappelle Zingha, reine d'une tribu dAngola qui, au XVIIe [177] siècle,
résista longtemps aux Portugais et resta fameuse dans les annales par
sa cruauté et son sens politique 86. La duchesse d'Abrantès lui consacrera une chronique :
Toujours combattant, toujours victorieuse, cette femme, sans
doute cruelle et vindicative, mais grande par son héroïque courage, prouva au monde qu'il existait dans un pays sauvage et
lointain un être qui préférait la mort à l'esclavage.
(L. d'ABRANTÈS, « Zingha », Le Musée des familles, 18381839, p. 297.)
Voilà qui est bien. Mais cela n'empêche nullement la duchesse de
s'appuyer sur l'histoire de Zingha pour défendre l'esclavage :
86
En 1769, Jean-Louis Castilhon avait publié un roman intitulé Zingha, reine
d'Angola, histoire africaine qui n'avait d'africain que quelques noms de personnages ou de lieux.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
253
Cette relation, qui est fidèle, peut faire faire des réflexions à
ceux qui attaquent les blancs avec tant d'amertume pour la façon dont ils traitent les nègres dans leurs habitations. [...] Jamais ils ne leur ont fait subir cette humiliation et ce degré
d'abrutissement ; qu'on y joigne l'horreur des superstitions giagues [secte à laquelle appartenait Zingha], et certes les nègres
devraient ne pas regretter leur patrie africaine (idem, p. 300).
On reconnaît là le genre d'arguments qui sert, de nos jours encore,
à défendre le colonialisme. Pour revenir à Le Mulâtre et l'Africaine, si
la pièce ne manque pas d'intérêt à certains égards, elle donne des
Noirs une image qui n'a rien d'original et surtout rien de spécifiquement africain. On peut cependant remarquer la complaisance avec laquelle les auteurs d'ouvrages « africains » insistent sur la cruauté des
Noirs. Les Nègres créoles bénéficient souvent de circonstances atténuantes : les mauvais traitements et le manque total de liberté ne laissent à l'esclave que les horribles vengeances pour exprimer leur désespoir et l'exorciser. Ainsi ce Fadlalah, dit Michaël, esclave de Jansen Houtwyn à Surinam. Ayant osé protester lorsque sa femme et ses
enfants sont vendus par le Hollandais, Michaël est sévèrement puni. Il
fait semblant de perdre l'esprit, ne dit plus mot et se montre d'une
douceur imperturbable. Le croyant devenu inoffensif, son maître ne se
méfie plus de lui. Un jour, au cours d'une promenade en barque, l'esclave ligote Houtwyn et, après avoir longuement savouré la terreur du
Blanc, il le donne en pâture aux caïmans (Th. Lacordaire, « Le Planteur », La France maritime, 2e éd., vol. 2, 1852, p. 254-258).
Mais même dans leur pays les Africains manifestent un amour du
sang et de la souffrance qui inquiète et fascine les nations dites policées. Il faut bien sûr faire ici la part du sadisme qui attire une certaine
imagination romantique, celle qui a créé le roman noir et les mélodrames grandguignolesques, et pour qui exotisme et cruauté vont de
pair. Mais comment ne pas y voir également une manifestation du racisme, surtout lorsque les épisodes « à ne pas lire la nuit » voisinent
avec des [178] descriptions burlesques de personnages africains ?
Ainsi, dans le poème Bentek, mœurs nègres, de P. M. F. Chevalier, le
roi Bentek de la Côte d'Ivoire aime la belle Narina, dont le poète fait
un portrait qu'il a dû trouver réjouissant :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
254
On voyait sur ses reins, de deux couleurs ornés,
Un tigre et deux lions en rouge dessinés ;
Deux chakals blancs couraient sous sa mamelle noire,
Ses bras de serpens bleus étaient environnés,
Et deux fils d'or fixés à deux boules d'ivoire
Ballotaient pendus à son nez.
(P. M. F. CHEVALIER, « Bentek », Le Cabinet de lecture,
29 juillet 1834, p. 8.)
Le méchant Domingo vend Narina aux négriers. Bentek refuse toute nourriture jusqu'à ce que ses sujets lui livrent le coupable. Il mettra
fin à son jeûne en dévorant les bras, la langue et les deux yeux de
Domingo, le tout arrosé du sang du traître.
Dans sa nouvelle La Goëlette sous-marine et le grand boa
d’Afrique (1838) 87, J. S. Quesné raconte comment les Franquemont
font naufrage et sont recueillis par les Noirs du Bénin. Pour recevoir
dignement leurs hôtes blancs, les indigènes organisent une grande fête
qui comporte entre autres divertissements la mise à mort de plusieurs
serviteurs et le spectacle d'un homme donné en pâture à un boa. Les
Français finissent par rejoindre leur patrie, mais l'horreur de ce qu'elle
a vu a fait perdre la raison à Madame Franquemont.
Il reste à mentionner deux romans « africains », publiés quelques
années avant l'abolition définitive de l'esclavage. Ils annoncent un
genre qui fleurira à partir de la Troisième république : le roman colonial, où sont célébrés les souffrances et les exploits des Européens qui
ont ouvert le continent noir aux bienfaits de la civilisation. De La Floride (1844), de Joseph Méry, il n'y a pas grand-chose à dire. L'action
de ce roman pastoral se déroule sur la côte orientale de l'Afrique, et
tous les personnages en sont des Blancs. Au contact d'une nature
grandiose, ils redécouvrent les joies du corps et l'exaltation de l'âme.
87
Quesné a devancé Jules Verne et son Nautilus en imaginant une « goëlette
sous-marine » due à l'ingéniosité des Américains.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
255
À certains moments du roman, on remarque une apparition
fugitive des indigènes : mais ce sont des noirs fort paisibles et
reconnaissants, car, comme dit Méry, « la reconnaissance est
une vertu noire, comme l'ingratitude est un vice blanc ».
(L. FANOUDH-SIEFER, Le Mythe du Nègre..., 1968, p.
43.)
Les Youlofi, histoire d'un prêtre et d'un militaire français chez les
Nègres d'Afrique, de M. de Préo (1842), célèbre de façon naïvement
enthousiaste le sabre et le goupillon collaborant dans cette entreprise
exaltante qu'est la colonisation. Ce roman pour la jeunesse ferait [179]
rire, s'il n'avait contribué à fausser pour tout un siècle l'esprit des jeunes Français. Deux frères arrivent en Afrique ; l'un est prêtre, l'autre
sous-officier de carrière. L'abbé Duvernet va évangéliser les sauvages,
tandis que son cadet a, lui aussi, un programme bien établi :
Je vais rêver à civiliser les nègres à nia façon. J'en ferai des
soldats braves comme des Français.
(M. de PRÉO, Les Youlofi, 1842, p. 10.)
La vie en Sénégambie West pas toujours facile :
Il fallut plus d'une fois repousser les attaques des quelques
tribus et combattre les panthères et les tigres qui sont si nombreux dans les vastes contrées de l'Afrique (idem, p. 14).
On a remarqué avec quel naturel indigènes et bêtes fauves sont
juxtaposés. Nous apprenons plus loin que les Noirs n'ont qu'une façon
d'exprimer la joie, c'est de sauter et courir çà et là. Les Youlofi ne
sont d'abord guère accueillants : c'est qu'ils ont déjà eu à faire à un
missionnaire :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
256
Peut-être aurions-nous cru à ses paroles, si ses actions eussent été plus nobles, et plus édifiantes ; mais, malgré notre simplicité, il nous fut facile de nous apercevoir qu'il cherchait à
nous abuser, qu'il ne voulait nous convertir que pour nous soumettre à ses caprices et aux passions avides de ses compagnons
(idem, p. 39).
Tout finit par s'expliquer : c'était un protestant anglais ! L'abbé
Duvernet ne perd pas courage et continue à catéchiser le chef Aimaï :
Il lui apprenait ensuite à distinguer les vrais chrétiens de
ceux qui avaient secoué le joug de l'Église établie par JésusChrist. Il lui disait que les Anglais, qui avaient honteusement
abusé de son hospitalité, faisaient partie de ces derniers (idem,
p. 108).
Pendant ce temps, Ernest initie les Youlofi aux secrets du maniement d'armes et du paquetage individuel. Sous ses ordres ils finissent
par faire des tirailleurs très acceptables, et voler de victoire en victoire. Fanoudh-Siefer a bien remarqué que de Préo distingue les « bons »
des « mauvais » Nègres, les « bons » étant ceux qui reconnaissent la
supériorité absolue des colonisateurs (Français catholiques s'entend) et
de tout ce qu'ils apportent, les autres étant trop bornés ou trop pervers
pour se rendre à cette évidence.
Même lorsque les Africains ne sont pas présentés comme des êtres
grotesques ou effrayants, les qualités dont ils font preuve relèvent de
l'instinct plutôt que de la raison. Dans Les Amours dans le désert, de
Lamartinière, l'officier de l'armée d'Afrique Oscar Darbilli va délivrer
sa fiancée prisonnière des Algériens. Son Nègre Karaldi, [180] qui lui
est aveuglément dévoué, prétend entendre un bruit de pas à plus d'une
lieue de distance, en collant l'oreille à terre :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
257
Cela ne parut pas extraordinaire à Oscar, qui savait déjà à
quelle puissance pouvaient arriver chez certains noirs les organes de l'ouïe et de la vue.
(B. LAMARTINIÈRE, Les Amours dans le désert, 1846, p.
45.)
Cette plus grande acuité sensorielle et cette fidélité à toute épreuve,
sensées caractériser les Noirs, sont considérées par les théoriciens racistes (Virey quelques années plus tôt, Gobineau quelques années plus
tard) comme relevant de la « bestialité » qui prouve l'infériorité des
Nègres.
Les œuvres dont l'action se déroule en Afrique d'un bout à l'autre
sont rares. Le plus souvent, la partie « africaine » se limite aux premières pages ; elle forme une sorte de prélude qui permet à l'auteur de
présenter les personnages noirs, de les amener au seuil de l'événement
qui met véritablement l'action en marche : l'arrivée des négriers et le
rapt des indigènes, vendus par leurs ennemis comme c'est la coutume,
ou par quelque roitelet désireux de se procurer alcool ou cotonnades.
Cette sorte d'avant-propos n'est pas nécessairement fantaisiste. L'auteur pouvait se documenter dans les ouvrages des explorateurs, des
missionnaires ou des administrateurs. Mais une chose est décrire, autre chose transposer en fiction : telle notation intéressante de MungoPark ou de René Caillié devient facilement ridicule sous la plume d'un
mauvais romancier ou d'un dramaturge malhabile.
Léon Fanoudh-Siefer consacre plusieurs pages à Kélédor, histoire
africaine, du baron Roger, ancien gouverneur du Sénégal, qu'il considère avec raison comme l'un des rares ouvrages à donner une image
avertie et compréhensive de l’Afrique. Mais le fait est que cette appréciation favorable s'applique aux soixante-dix pages de notes et aux
nombreuses explications intercalées plutôt qu'au roman proprement
dit. La justesse de l'observation, la largeur d'esprit, la lucidité des jugements du baron Roger sont indéniables. Son talent de romancier
l'est hélas beaucoup moins.
Kélédor, fils d'un marabou du Sénégal, fait le récit de ses aventures. Il s'engage à quatorze ans dans les troupes de l'Alami de Fouta-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
258
Toro pour aller combattre le Damèl de Caïor, mauvais vassal qui ne
suit pas les préceptes du Coran. Le Damèl refuse le combat et se retire
en brûlant la terre derrière lui. Il attend pour attaquer que ses ennemis
soient affaiblis par les privations. Les troupes de l'Alami sont vaincues
et les prisonniers, dont Kélédor, vendus aux négriers. Avant de mourir
d'épuisement dans les bras du jeune garçon, un vieillard aveugle prophétise :
[181]
Que vois-je ? dans un pays au-delà des mers, esclaves, vous
secouerez le joug ; et, miracle incroyable ! des blancs y serviront les nègres à leur tour !
(J.-F. ROGER, Kélédor, 1828, p. 80.)
Ici finit la partie africaine du récit. L'exposé des horreurs de la traversée va suivre. Le baron Roger fait une description fidèle du navire
et de la vie à bord. Il montre l'épidémie de petite vérole décimant
équipage et cargaison. Une révolte d'esclaves est sauvagement réprimée. Arrivé à Saint-Domingue, Kélédor est vendu au colon Péréyras,
dont la famille se prend d'amitié pour lui. En voyant pour la première
fois les merveilles de la civilisation, Kélédor, saisi d'admiration, est
prêt à reconnaître la supériorité intrinsèque des Blancs. Mais il comprend bientôt que la prospérité des Européens repose sur l'exploitation
féroce des esclaves :
Gardez, gardez votre funeste supériorité ! Votre civilisation !
Ses œuvres sont empoisonnées ; elle me fait horreur ! Vos lumières ! ce sont celles d'un incendie dévorant ou des flammes
de l'enfer. Votre religion ! en autorisant de telles atrocités, elle
ne peut être celle d'un Dieu bon. Je la déteste !... (idem, p. 127128).
Kélédor a eu la chance de devenir esclave de maison chez des maîtres relativement humains. Pour l'amour de l'esclave créole Mariette il
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
259
accepte le baptême. Il vit heureux, s'intègre au système et participe
même de bon cœur à une chasse à l'esclave marron :
Quelques-uns furent tués ; quelques autres, plus à plaindre,
furent pris et réservés au supplice publique, ou à des mutilations
suivies d'un esclavage affreux. Contents du présent, aucun de
nous ne se disait : tel peut être mon sort demain... (idem, p.
156).
Le réveil sera rude. Don Manuel, fils de Péréyras, débarque d'Espagne où il avait été envoyé faire ses études. Ce jeune homme brutal
et luxurieux jette son dévolu sur Mariette. Kélédor le surprend en train
de la violer, le poignarde et le laisse pour mort. Il part lui-même marron et finit par rejoindre l'armée de Toussaint Louverture qui, déjà
maître de la partie française de Saint-Domingue, entreprend la
conquête de la partie espagnole. Sous les ordres de Christophe, il participe à l'incendie du Cap, est témoin ensuite des ravages de la fièvre
jaune, puis des luttes intestines qui suivent le départ des Français. Porte-parole du baron Roger, Kélédor explique les excès des Noirs :
Faut-il donc s'étonner que des Noirs, transportés de tant de
contrées diverses, non encore réunis en société, élevés à peine à
l'indépendance, aient aussi payé, comme les peuples policés,
leur dette à la sottise et au crime ! A ce signe déplorable et
commun, ne pourrait-on pas dire, au contraire, qu'ils n'appartiennent que trop à l'espèce humaine ? (idem, p. 177).
[182]
Le héros entre au service de Christophe, devenu le roi Henri Ier, et
voit à la cour du despote des Blancs obligés à leur tour de servir des
maîtres Noirs : la prédiction du vieillard aveugle s'est réalisée. Victor
Hugo avait déjà évoqué ce « monde à l'envers » en décrivant le général nègre Biassou :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
260
Derrière son siège se tenaient, silencieux et immobiles, deux
enfants revêtus du caleçon des esclaves, et portant chacun un
large éventail de plumes de paon. Ces deux enfants esclaves
étaient blancs.
(V. HUGO, Bug-Jargal, 1967, p. 631 [1re éd. 1826]).
À la mort de Christophe, Kélédor revient sur les ruines de la plantation de Péréyras. Il y apprend que don Manuel n'avait été que blessé,
que toute la famille s'est enfuie à Porto-Rico, que Mariette a eu un fils
de lui. Parti rechercher les siens à Porto-Rico, il y apprend la mort de
sa femme et de son enfant. Ayant trouvé le moyen de s'embarquer
pour l'Afrique, Kélédor va finir ses jours parmi les Noirs libres qui,
sous la direction des Français, sont en train de mettre le Sénégal en
valeur.
Dans la trame de Kélédor se retrouvent les épisodes traditionnels
de ce qu'on pourrait appeler le « roman d'esclaves » : la traversée, la
rivalité érotique avec le maître blanc, la vengeance, le marronnage, la
participation à la révolte. Le roman du baron Roger se distingue par
l'importance du « prélude » africain : l'ancien gouverneur était particulièrement qualifié pour le composer, et ces quatre-vingts premières
pages me semblent être celles qui ont le moins vieilli. Mais, dès l'embarquement, le héros réagit et s'exprime avec une lucidité qui défie la
vraisemblance ; c'est trop visiblement l'auteur qui voit par ses yeux et
parle par sa bouche. On oublie très vite que Kélédor est un Noir. Son
odyssée est plutôt celle d'un Candide mélancolique qui termine ses
jours en cultivant, sinon son jardin potager, du moins sa plantation de
canne à sucre.
Un an après Kélédor paraît Tamango dans la Revue de Paris du 4
octobre 1829. Là aussi, les quelques premières pages ont l'Afrique
pour cadre et prennent pour héros un « guerrier fameux et vendeur
d'hommes ». Tamango est un bon exemple de l'Africain dont la méchanceté naturelle s'est exacerbée au contact des Européens : il n'hésite pas à abattre une esclave mère de trois enfants, dont le négrier n'a
pas voulu. Mérimée a pris soin d'ôter à la cruauté de Tamango toute
valeur pittoresque, en le montrant ivre et surtout ridicule :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
261
Il était vêtu d'un vieil habit d'uniforme bleu, ayant encore les
galons de caporal ; mais sur chaque épaule pendaient deux
épaulettes d'or attachées au même bouton, et ballottant, l'une
par-devant, l'autre par-derrière. Comme il n'avait pas de chemise, et que l'habit était un peu court pour un homme de sa taille,
on remarquait entre les revers blancs de l'habit et son caleçon de
toile de Guinée une bande considérable de peau noire qui ressemblait à [183] une large ceinture. Un grand sabre de cavalerie
était suspendu à son côté au moyen d'une corde et il tenait à la
main un beau fusil à deux coups, de fabrique anglaise. Ainsi
équipé, le guerrier africain croyait surpasser en élégance le petit-maître le plus accompli de Paris, ou de Londres.
(P. MÉRIMÉE, « Tamango », Romans et nouvelles, Garnier,
1967, p. 287-288 [1re éd., 1829].)
Une fois de plus, le souci de ressembler aux Blancs rend grotesque
un personnage noir dont la férocité est soulignée en même temps. Tamango fera dans l'adversité preuve d'astuce et d'une énergie sauvage.
Mais il finira comme il a commencé, sous l'uniforme d'un cymbalier
britannique et toujours friand de rhum et de tafia.
L'utilisation des prétendues mœurs africaines à des fins burlesques
est devenue un poncif de l'humour français, que ce soit dans les bandes dessinées, dans les films comiques, ou dans la littérature enfantine. Nous en trouvons un exemple dès 1830 : l’Histoire d'un prince
nègre raconte comment un capitaine négrier est invité à suivre la tradition qui, en Guinée, exige que les visiteurs de marque passent une
nuit avec la reine :
Le capitaine, conduit par deux aides de cérémonie et introduit par le grand-maître, trouva la reine majestueusement étendue sur un sopha, et essayant de donner quelque relief à ses appas en décadence, par tout ce que le plumage des colibris et les
verreries d'Europe offrent de plus brillant. Le capitaine, voyant
la luisante Africaine s'agiter dans des mouvements qui trahissaient l'impatience de ses désirs, en fut effrayé. Son courage,
supérieur aux tempêtes dans les mers les plus suspectes et sur
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
262
les plages les plus immondes, l'abandonna, et l'hommage prescrit par l'étiquette manqua par une syncope.
Le roi mon père, l'homme de son royaume le plus chatouilleux sur le point d'honneur, informé de l'affront fait à la reine,
convoqua les juges de sa cour, et fit condamner le capitaine défaillant à faire amende honorable et à être ensuite empalé, suivant l'étiquette du pays.
(Anon., « Histoire d'un prince nègre », Le Cabinet de lecture, 29 avril 1830.)
Il peut paraître bien vétilleux de s'arrêter à ce genre de bouffonneries qui relèvent certes de l'esprit gaulois. Mais il me semble qu'elles
s'inscrivent dans le contexte plus large du dénigrement systématique
des choses de l'Afrique. Raisonnons par analogie ; nous aurions quelque scrupule aujourd'hui à ironiser sur les coutumes (vraies ou supposées) de ceux que les nazis ont choisis pour victimes il y a un quart de
siècle. Or, tout en déportant et en privant de toute dignité humaine des
millions d'Africains, on a osé en faire des paillasses qui provoquent
l'hilarité. Personne ne s'est moqué des Grecs asservis par les Turcs ; si
l'on a pu se moquer des Africains c'est parce qu'on avait refusé aux
Nègres la qualité d'homme à part entière.
Quelle image les Français se faisaient-ils, au temps du romantisme,
[184] de l'Africain dans sa patrie ? Est-ce la vision poétique que donne
Chateaubriand par la bouche d'Imley, la description réaliste de Saintine, ou celle, ironique et dénigrante, de Mérimée, qui domine l'imagination collective ? Les textes sont trop rares pour permettre de conclure.
L'Afrique n'est pas encore un pays exotique, comme le sont déjà
l'Espagne, l'Illyrie ou les Amériques. Car l'exotisme exige non seulement la différence mais aussi la connaissance et la possibilité d'interprétation. Pour l'heure, les connaissances que les Français avaient de
l'Afrique noire ne se comparaient pas à celle qu'ils avaient de l'Écosse,
de l'Italie ou de la Scandinavie. Et le peu que l'on savait de la vie africaine était trop éloigné de l'expérience de l'homme occidental pour
pouvoir devenir littérature. Afin d'éviter de faire de l'Afrique une région fabuleuse et irréelle, il fallait à chaque instant expliquer telle cou-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
263
tume, décrire tel animal ou tel paysage ; le roman devenait ouvrage
d'ethnographie ou récit de voyage. Ce n'est qu'avec l'expansion coloniale que le public parviendra à une meilleure connaissance du continent et que la littérature coloniale pourra naître.
Mais quelques dominantes se détachent dès à présent. Le Nègre
africain est cruel, superstitieux, fidèle, vindicatif, courageux, ridicule.
Il semble hélas que malgré le baron Roger, René Caillié, Xavier Saintine, ce sont les élucubrations d'un J. J. Virey qui sont les plus caractéristiques. Gobineau les reprendra presque textuellement. Il est à craindre qu'elles n'aient représenté dans l'ensemble l'opinion commune :
La variété mélanienne [i. e. le Noir] est la plus humble et gît
au bas de l'échelle. Le caractère d'animalité empreint dans la
forme de son bassin lui impose sa destinée, dès l'instant de la
conception. Elle ne sortira jamais du cercle intellectuel le plus
restreint. Ce n'est cependant pas une brute pure et simple, que
ce nègre à front étroit et fuyant, qui porte, dans la partie
moyenne de son crâne, les indices de certaines énergies grossièrement puissantes. Si ces facultés pensantes sont médiocres ou
même nulles, il possède dans le désir, et par suite dans la volonté, une intensité souvent terrible. Plusieurs de ses sens sont développés avec une vigueur inconnue aux deux autres races : le
goût et l'odorat principalement.
Mais là, précisément, dans l'avidité même de ses sensations,
se trouve le cachet frappant de son infériorité. Tous les aliments
lui sont bons, aucun ne le dégoûte, aucun ne le repousse. Ce
qu'il souhaite, c'est manger, manger avec excès, avec fureur ; il
n'y a pas de répugnante charogne indigne de s'engloutir dans
son estomac. Il en est de même pour les odeurs, et sa sensualité
s'accommode non seulement des plus grossières, mais des plus
odieuses. A ces principaux traits de caractère il joint une instabilité d'humeur, une variabilité des sentiments que rien ne peut
fixer, et qui annule, pour lui, la vertu comme le vice. On dirait
que l'emportement même avec lequel il poursuit l'objet qui a
mis sa sensitivité en vibration et enflamme sa convoitise, est un
gage du prompt apaisement de l'une et du rapide oubli de l'autre. Enfin il tient également peu à sa vie et à celle d'un autre ; il
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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tue volontiers pour tuer, et cette machine humaine, si facile à
émouvoir, est, devant la [185] souffrance, ou d'une lâcheté qui
se réfugie volontiers dans la mort, ou d'une impassibilité monstrueuse.
(A. de GOBINEAU, Essai sur l'inégalité, 1967, p. 205-206,
[1 éd., 1853-1855].)
re
A de rares exceptions près, l'Africain dans sa patrie reste trop mystérieux pour être exotique, Il ne devient sujet de littérature qu'une fois
arraché à son milieu, mis en présence des Blancs et forcé de réagir et
de s'adapter à leur Weltanschauung. Cette prise de contact s'effectue
parfois en Europe, comme pour l’Ourika de Mme de Duras, mais dans
la vaste majorité des cas le personnage noir est un esclave colonial. Et
la colonie est exotique par définition : elle est différente de ce que
connaît le lecteur français, mais il peut cependant se l'imaginer. En
plus, elle a tout ce qu'il faut pour attirer l'écrivain, non seulement par
le caractère grandiose de la nature sous les tropiques, mais par les fortes passions qui en dominent les habitants, par la souffrance et le danger que l'on y respire. C'est ce qu'a bien vu Eugène Chapus, qui explique pourquoi son héros, l'artiste peintre parisien Georges, part pour les
Antilles :
Quelle terre en effet que celle des colonies pour féconder de
hautes facultés poétiques ! Combien de teintes vierges sur les
palettes de la nature, et ensuite quel foyer d'émotions que ces
mœurs où perce partout l'esclavage, où des castes entières sont
opprimées et souffrantes, où la vengeance est au cœur des faibles comme des feux volcaniques, comprimés dans les entrailles du sol, et menaçant sans cesse d'engloutir qui les domine.
Quels étouffements de cœur, à la vue de cette dégradation humaine ! Comparez donc vos molles souffrances de vieille civilisation, quand vous êtes artiste, poète ou philosophe, avec celles
de cette terre où l'on ne peut faire un pas sans heurter le cœur
contre une épine qui le fait saigner.
(B. CHAPUS, « L'Amour d'une Créole », in Babel III, 1840,
p. 45.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
265
Or c'est précisément l’existence de l'esclavage qui différencie le
plus nettement la société coloniale de celle de la métropole. Ce qui
distingue en littérature une plantation antillaise d'une métairie beauceronne c'est moins le climat ou les produits cultivés que le système
d'exploitation. Ce qui distingue en littérature une demeure à Fort-deFrance d'un hôtel parisien c'est qu'à la Martinique la domesticité est
composée d'esclaves. Ce qui distingue en littérature le Nègre marron
du bandit de grand chemin c'est la dimension supplémentaire que
donne la haine raciale au hors-la-loi colonial. Qu'il soit esclave agricole, esclave de maison ou Nègre marron, le Noir est par définition un
personnage exotique.
Le premier contact entre le personnage Noir et les Blancs a généralement lieu lorsque l'Africain est vendu aux négriers. Moment dramatique s'il en fut, où l'homme échangé contre un fusil de traite ou une
barrique d'alcool n'est plus aux yeux de l'acheteur qu'un pur [186] objet. Ce tableau pathétique est devenu un poncif littéraire dès les premières protestations contre la traite et l'esclavage. Les moindres détails du scénario étaient connus : les colonnes de prisonniers au cou
pris dans une fourche, la terreur des Africains à la vue d'hommes
blancs qu'ils croyaient cannibales, le maquignonnage d'êtres humains,
les familles séparées de force, les enfants à la mamelle jetés aux bêtes
féroces, les suicides par désespoir, toutes ces horreurs avaient été décrites maintes fois, avaient fait le sujet de nombreuses gravures. Voici
comment le poète Jean Viennet décrit et commente le spectacle :
Mille captifs, étendus sur la plage,
A leurs foyers par la force arrachés,
Divers de sexe, et d'ans, et de langage,
Chargés de fers, l'un à l'autre attachés,
Poussaient des cris de douleur et de rage,
De cent pays enfans déshérités.
...........................
Leurs nœuds d ‘amour, de sang et de patrie,
Leurs vains projets, leurs usages, leurs goûts,
Le cours entier de leur première vie,
Tout à la fois venait d'être dissous.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
266
Ils respiraient ; et par vous et pour vous
Leur existence était anéantie.
............................
Et cependant, à ce spectacle horrible,
A tant de maux , à tant de cris plaintifs,
L'Européen froidement insensible,
Le fouet en main, marchandait ces captifs.
(J. P. G. VIENNET, Sédim ou les Nègres, 1826, p. 47-49.)
Dans l'Atar-Gall d'Eugène Sue, le capitaine Benoît achète un lot
d'esclaves :
Hommes, femmes, enfants étaient étendus à terre, les mains
liées derrière le dos par une corde qui leur entourant aussi les
pieds de nœuds assez lâches pour qu'ils pussent marcher, remontait encore faire le tour du col et se rattachait enfin au gros
palmier qu'on leur faisait porter en route sur les épaules, par
mesure de prudence.
(E. SUE, Atar-Gall, 1958, p. 93 [1re éd., 1831].)
Sue montre ensuite le capitaine Benoît examinant la marchandise
« en fin connaisseur ». Il leur fait ouvrir la bouche pour s'assurer qu'ils
ont les dents saines, vérifie si la plante de leurs pieds est en bon état,
qu'ils n'ont pas les yeux malades, que leur respiration est facile et profonde, etc. Après quoi il décrit l'embarquement. Certains esclaves,
paralysés de terreur, doivent être hissés à bord à l'aide d'un treuil,
comme du bétail. Enfin :
Avant de lever l'ancre, M. Benoît fit faire une bonne distribution de morue, de biscuit et d'eau mêlée d'un peu de rhum.
Mais presque aucun nègre n'y voulut toucher, ce qui n'étonna pas le [187] digne capitaine, car les noirs, on le sait, restent
ordinairement les cinq ou six premiers jours du voyage à peu
près sans manger, aussi c'est alors que le déchet est le plus à
craindre ; ce moment passé, sauf quelques fâcheux résultats de
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
267
la chaleur et de l'humidité, la proportion des pertes est fort minime (idem, p. 100-101).
À peu de choses près, ces abominables détails se retrouvent chez
tous ceux qui ont dépeint les entrepôts africains.
Il est évident que la grande majorité des écrivains ont voulu dénoncer le scandale. Mais je ne suis pas certain que leur méthode ait été
vraiment efficace. Car les captifs n'ont pas la moindre idée de ce qui
va leur arriver : prenant les Blancs pour des diables ou des ogres prêts
à les dévorer, ils sont en proie à la terreur intégrale, au pur désespoir.
Leur infériorité n'est pas seulement celle du faible sans défense contre
celui qui l'opprime, c'est celle de la bête ou de l'enfant, incapables de
comprendre le malheur qui s'abat sur eux. Si l'on ose dire, leur analyse
de la situation est inexacte, puérile. On les plaint, certes, mais pas
comme on plaint la victime lucide, Chactas attendant la torture, par
exemple, ou le condamné de Victor Hugo se préparant à être guillotiné. Bref, il me semble difficile que les lecteurs aient pu s'identifier à
ces « primitifs », aient pu se mettre à leur place. Je pense au contraire
qu'avec les meilleures intentions du monde les écrivains ont en fait
renforcé le mythe de l'infériorité du Nègre pour des lecteurs qui en
étaient convaincus au départ. Aussi est-ce davantage leur pitié que
leur sens de la justice que sollicite la littérature.
Une fois acheté, l'Africain est transporté à la colonie dans les
conditions que l'on sait. Le vaisseau négrier, ce haut-lieu de l'horreur,
a-t-il hanté la conscience collective de nos ancêtres comme les wagons de déportés hantent la nôtre ? Non, sans doute, et pour trois raisons : d'abord parce que le passage des siècles avait fini par conférer à
la traite une sorte de respectabilité ; c'était un abus entré dans les
mœurs, non pas un scandale nouvellement apparu. Ensuite, parce que
le théâtre du crime était éloigné dans l'espace : le Français ne se sentait pas immédiatement concerné par ce qui se passait dans ces
contrées lointaines qu'étaient l'Afrique et les îles. Les malheurs de la
Grèce, de la Pologne ou de l'Irlande le touchaient de façon autrement
directe. Enfin, parce que le racisme avait fait son oeuvre : les victimes
étant noires, le crime semblait moindre. On était tenté de croire l'Africain incapable de concevoir pleinement ce qui lui arrivait. Il était par
ailleurs tentant de faire confiance aux colons qui prétendaient qu'en
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
268
devenant esclave le Noir améliorait ses conditions de vie. Je me permettrai de choisir un texte à l'appui, non pas dans les nombreux ouvrages esclavagistes de l'époque, mais dans un livre publié en 1937. Il
s'agit de la monographie consacrée par Henri d'Alméras [188] à
« Paul et Virginie » de Bernardin de Saint-Pierre. Elle montre, si besoin en est, que l'ignominie raciste reste virulente. D'Alméras cite le
lieutenant d'infanterie coloniale P. Roeckel, auteur d'un ouvrage intitulé L'Éducation sociale des races noires :
Le Nègre est un être incomplet : il est incapable d'initiative.
Pris individuellement, le noir par lui-même n'arrivera jamais à
rien... Le noir, grand enfant, a besoin d'un maître, il en a conscience, il le dit...
(H. d'ALMÉRAS, « Paul et Virginie » de Bernardin de
Saint-Pierre, 1937, p. 27.)
Fort de ce témoignage d'Alméras explique, au sujet des Africains
condamnés à l'esclavage :
Ils appartenaient à des peuplades qui vivaient en perpétuel
état de guerre et dont quelques-unes avaient la mauvaise habitude de se nourrir de leurs prisonniers, bouillis ou rôtis. Même
pour un nègre, mieux valait, si je ne m'abuse, être fouetté
qu'être mangé (idem, p. 24).
Vue dans cette optique, la traversée n'était qu'un mauvais moment
à passer. Pas si mauvais, même :
Outrageux Détracteurs, vous qui n'avez jamais vu nos navires négriers dont vous faites de si fausses peintures, si vous
pouviez y être admis, dans les trajets même d'Afrique en Amérique, vous y verriez plus de propreté, d'harmonie et de vrai
contentement, qu'il n'en existe souvent dans vos conciliabules et
domiciles, sur vos fronts ombragés de soucis, et dans vos cœurs
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
269
rongés par les haines, les basses jalousies et les venins de la
méchanceté.
(Anon., Perfidie du système des amis des noirs, 1791, p. 910.)
Soyons justes, ceux qui ont voulu faire passer le transport aux îles
pour une croisière de plaisance sont tout de même peu nombreux.
Quelle terrible épreuve représentait pour les esclaves la traversée, on
le savait depuis toujours, et les poètes du XVIIIe siècle l'avaient dénoncée sur tous les tons. Mais je pense que cette prise de conscience
est restée en quelque sorte théorique jusqu'à la traduction en 1821 du
Cri des Africains de Thomas Clarkson. Non seulement parce que
l'abolitionniste anglais y faisait une description particulièrement détaillée de la vie à bord, mais parce qu'il y avait dans le volume une
gravure bouleversante qui représentait le plan d'un navire négrier. On
pouvait y voir comment les Noirs étaient scientifiquement entassés
dans la cale de façon à ne pas laisser perdre un mètre carré de place.
Couchés en rangs serrés, enchaînés les uns aux autres, ils ne pouvaient
ni changer de position ni même se retourner. Ce terrible dessin était
plus éloquent que la plus habile rhétorique. Toutes proportions gardées, il a été pour la génération romantique l'équivalent des premières
photos d'Auschwitz ou de Bergen-Belsen.
[189]
Les vivants enchaînés aux morts, les esclaves forcés à coups de
fouet de danser au moment de l'exercice, les hommes croupissant dans
l'ordure sous les coups et les injures, la promiscuité que l'on aurait à
peine osé infliger àdes animaux, tout cela a été décrit maintes et maintes fois. Édouard Corbière, créateur en France du roman maritime et
père du poète Tristan Corbière, fait précéder ses Élégies brésiliennes
d'un « Précis sur la traite des Noirs » :
Un espace ménagé sur l'arrière, entre le logement des noirs
et la chambre des officiers, contient les armes du bord, que l'on
expose avec intention aux regards des esclaves. C'est dans cet
arsenal, séparé des parcs par une grille, que se promène la sentinelle qui surveille les noirs. Le parc des négresses doit être ca-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
270
ché à la vue des hommes. L'aspect de ces infortunées suffirait
pour porter les africains à des révoltes qu'il est toujours plus facile de prévenir que de réprimer.
Une inspiration, qui pourrait paraître bizarre si elle n'était
pas féroce, a fait employer depuis peu un moyen de contenir les
esclaves sans le secours des sentinelles. De forts chiens de Terre-Neuve, exercés à la garde des troupeaux d'hommes, sont
maintenant chargés de la police intérieure des négriers. Deux de
ces animaux suffisent pour garder deux à trois cents africains.
[...] Ces parcs, où l'on entasse un si grand nombre d'hommes,
sans songer qu'ils ont besoin de respirer, deviennent quelquefois
des cloaques d'où s'exhalent la contagion et la mort. Il n'est pas
rare de voir un négrier perdre le tiers ou le quart de sa cargaison
dans le cours d'une traversée même rapide. Mais quelques [sic]
ravages qu'exercent les épidémies sur les africains, le désespoir
ou la mélancolie. qui les atteint leur devient encore plus funeste : aussi les capitaines ont-ils le soin de faire prendre des distractions aux plus moroses, en les faisant danser sur le pont au
bruit d'un tambour et d'un fifre. Pendant cet exercice, qui leur
est offert comme un spécifique contre la douleur, des espingoles, braquées sur les danseurs, sont disposées à les foudroyer au
moindre signe de rebellion ; et cette triste joie qu'on leur impose, en leur offrant le plaisir à côté de la mort, est encore plus féroce peut-être que les mauvais traitements dont on les accable.
Léon Gozlan évoque l'horreur des cales de négriers :
Tandis que dans la cale où se meuvent des chairs,
Comme des feux errans luisent des yeux ouverts,
Sur ce paquet de mort dans cette double trappe,
On n'entend que le bruit du souffle qui s'échappe,
Et ces chants infernaux dont les sons incertains
Dans ce tombeau vivant descendent presque éteints.
(L. GOZLAN, « La Traite des Noirs », in Le Talisman,
1832, p. 70.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
271
H. de Latouche rapporte la tradition selon laquelle le Hollandais
volant et son équipage-fantôme sont condamnés à voguer dans un
éternel brouillard pour avoir été les premiers négriers :
On raconte, mon fils, qu'un grand forfait s'expie
Dans les flancs habités de ce navire impie.
Ses rameurs, se frayant d'homicides chemins,
Ont osé contre l'or échanger les humains ;
[190]
Les premiers, Amérique aux larmes condamnée,
T'apporter les enfants de la noire Guinée ;
Vendre l'homme à son frère, et, le front menaçant,
Marchander les sueurs et s'enrichir du sang.
(H. de LATOUCHE, « Le Navire inconnu », in A. Jal, Scènes de la maritime, 1832, vol. II, p. 113-114.)
Et Kélédor raconte comment, alors qu'on l'amenait dans le No veau
Monde :
Les officiers après avoir crié contre le temps qui, depuis plusieurs jours était mauvais, s'amusèrent à donner l'ordre de fouetter leurs négrillon pour faire changer le vent, disaient-ils.
(J. F. ROGER, Kélédor, 1828, p. 90.)
On pourrait citer aussi un grand nombre de romans et de nouvelles
dont la plus justement célèbre est Tamango. L'ironie désabusée de
Mérimée, l'impassibilité qu'il affecte en décrivant l'horreur me semblent plus efficaces que les épouvantables épisodes d'un Eugène Sue,
par exemple. Quant aux amateurs d'émotions fortes, ils seront comblés
par Atar-Gull : toute la première partie du roman décrit une traversée
de l'Atlantique jalonnée de cadavres jetés à l'eau après avoir subi les
pires tortures.
Que les plus belles des femmes noires aient eu à subir les violences
de l'équipage pendant la traversée, cela va sans dire, et les écrivains
l'ont dit. En jetant son dévolu sur Ayché, femme de Tamango, le capi-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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taine Ledoux suit la tradition ; et l'on ne compte pas les belles esclaves
fouettées ou tuées pour avoir résisté aux matelots blancs. Alboise de
Pujol va plus loin : il prétend que les considérations économiques ne
sont pas étrangères à l'érotisme dénaturé qui règne à bord :
Quelquefois on les accouple ignominieusement, on les excite au plaisir et à la passion, et lorsqu'un noir a choisi sa compagne, on l'arrache de ses bras, parce qu'elle porte dans son sein
un enfant qui vaut de l'or.
(A. ALBOISE de PUJOL, « De la traite des noirs », La
France Maritime, 2e éd, 1853, p. 121 [1re éd. 1834-1837].)
Dans la mesure où le Noir ne peut que subir son sort, recevoir les
coups, croupir dans les excréments, mourir de fièvre jaune ou d'inanition, il réveille la même pitié qu'un animal que l'on maltraite. Et certains écrivains ne reculent devant rien pour éveiller cette pitié de
mauvais aloi. Ainsi Alphonse Le Flaguais raconte dans son poème Les
Deux petits nègres comment un négrier emporte une femme noire ;
ses deux enfants se jettent à l'eau et suivent le navire à la nage, en
suppliant qu'on ne les sépare pas de leur mère. Touchés par leur désespoir, les Blancs finissent par les hisser à bord.
Pour avoir droit à la dignité d'homme, il faut que le Noir puisse réagir et, pour ce faire, il n'a guère le choix qu'entre le suicide et la [191]
révolte. Dans les deux cas il reprend sa destinée en main, ou tout du
moins surmonte sa condition de pur objet soumis à la volonté absolue
du Blanc. Atar-Gull s'ouvre les veines du bras avec ses dents, Tamango organise la rébellion. La même imagination romantique obsédée
par la torture est fascinée par l'individu supérieur : le chef Nègre d'une
révolte est doublement supérieur : d'abord parce qu'il doit vaincre des
difficultés à première vue insurmontables, ensuite parce que son énergie est d'autant plus dramatique qu'elle contraste avec la passivité désespérée des autres captifs. Pratiquement tous les récits de traversée
comportent un soulèvement, le plus souvent avorté. Et je ne pense pas
que ce soit seulement que les écrivains veuillent flatter les Noirs. C'est
que le capitaine négrier, pour des raisons que j'essaierai plus tard de
dégager, est, lui aussi, un personnage romantique. La révolte des Nè-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
273
gres, tout comme la tempête ou les croiseurs anglais, représente un
danger de plus dans sa vie d'aventurier.
En étudiant l'image du Noir « dans son pays », les îles, faut-il distinguer le Nègre « de cargaison » (autrement dit transplanté d'Afrique)
du Nègre créole, qui n'a jamais connu que la Martinique ou la Réunion ? Il va sans dire que pour les colons c'était là une distinction
importante. Le Créole avait à leurs yeux des qualités et des défauts –
plus exactement des avantages et des inconvénients – particuliers.
Connaissant le système, il n'exigeait aucun dressage, aucune acclimatation pour tenir son rôle dans la société coloniale. Comme il
n’éprouvait pas la nostalgie de l'Afrique et qu'il ressentait de façon
moins cuisante la perte d'une liberté qu'il n'avait jamais connue, il risquait moins que le transplanté de se livrer à des actes de désespoir,
suicide ou révolte. Enfin, comprenant le français ou du moins le créole, il pouvait être formé au travail spécialisé, devenir ouvrier, artisan,
serviteur, alors que le « Nègre de cargaison » n'était généralement bon
qu'aux travaux agricoles. Bref, comme l'écrit Moreau de Saint-Méry :
Les nègres Créols [sic] naissent avec des qualités physiques
et morales, qui leur donnent un droit réel à la supériorité sur
ceux qu'on a transportés d'Afrique [...].
À l'intelligence, le nègre Créol réunit la grâce dans les formes, la souplesse dans les mouvemens, l'agrément dans la figure, et un langage plus doux et privé de tous les accens que les
nègres Africains y mêlent. Accoutumés, dès leur naissance, aux
choses qui annoncent le génie de l'homme, leur esprit est moins
obtus que celui de l'Africain qui, quelquefois par exemple, ne
sait pas discerner les subdivisions de la monnoie [...]. Il n'est
aucun objet pour lequel on ne préfère les nègres Créols, et leur
valeur est toujours, toutes choses égales d'ailleurs, d'un quart,
au moins, au-dessus de celle des Africains. Une prédilection assez générale, fait préférer les nègres Créols pour les détails domestiques, et pour les différens métiers.
(M. L. E. MOREAU de SAINT-MÉRY, Description... de la
partie française de l'isle Saint-Domingue, 1958, p. 59. [1re éd.,
1797].)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
274
[192]
En regard de ces nombreux avantages, les inconvénients des esclaves Créoles sont mineurs : on leur reproche surtout d'être menteurs et
fainéants et surtout de trop aimer la parure et le bavardage :
Séril était un nègre faro, un nègre bozor, comme ils disent
encore dans leur patois. Séril dépensait plus que ses bénéfices
privés ne lui donnaient d'argent ; sa mise était recherchée et
soignée, il était la coqueluche des négresses et il faisait les délices du Bamboula. Il fallait le voir, le matin des jours de fête,
quand il quittait l'habitation pour aller se promener ou danser au
Port-Louis, le chapeau sur l'oreille, le pantalon blanc, une baguette de citronnier à la main, une fleur de cassis à la bouche ;
c'était le merveilleux, le fashionable, le petit-maître, le beau-fils
de l'Anse-à-Bertrand, un vrai bozor, comme je vous le dis.
(V. CHARLIER et E. CHAPUS, « La Falaise-blanche », in
Titime, 1833, p. 155.)
Fouetté pour une faute minime, Séril blesse son maître d'un coup
de fusil. On fera un exemple en l'exécutant (comme le prévoit le Code
Noir) devant les autres esclaves. Étant africains, ces derniers
étaient, pour la plupart, des nègres à la tête crépue et sale, à
l'angle facial déprimé, au nez large épaté, des femmes noires, à
la peau huileuse, à l'odeur fade et nauséabonde (idem., p. 175.)
De même que l'on distingue les bœufs de trait des bœufs de labour
ou des bœufs de boucherie, il existe des différences entre les « Nègres
de cargaison ». Ils sont plus ou moins vigoureux et adaptables selon
leur origine : les Ibos font de bons cultivateurs, mais sont enclins à la
mélancolie ; c'est parmi eux que l'on compte le plus grand nombre de
suicides ; les Mokos sont taciturnes et peu résistants ; les FrancCongos sont doux et gais, ils font d'excellents pêcheurs ; les Mondon-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
275
gues cannibales sont d'une grande cruauté, et quant aux Nègres du
Bénin :
La figure des nègres de Bénin est moins repoussante que
celle des autres peuples de l'Afrique, leurs traits sont plus réguliers ; leur taille est élevée. Leurs femmes passent pour les plus
belles des négresses.
(G. de PABAN, Le Nègre et la Créole, 1825, vol. I, p. 75.)
Dès les débuts de la traite, les colons possédaient parfaitement ces
connaissances « techniques » et se montraient aussi bons connaisseurs
à la criée aux esclaves que les paysans français à la foire aux bestiaux.
Et puis, en cas de doute, l'acheteur n'avait qu'à examiner
leurs épaules sillonnées par les cicatrices que laissent les coups
de fouet, cicatrices apparentes, mais qui cependant ajoutent au
prix du nègre, en prouvant qu'il est ancien dans l'île, et non pas
nouvellement arrivé de l'Afrique.
(A. EYMERY de SAINTES et A. SAVIGNAC, L'Univers
en miniature, vol. « Amérique », 1839, p. 132.)
[193]
Mais la majorité des écrivains, et a fortiori la plus grande partie du
public, n'avaient que de très vagues notions de ces subtiles différences. Tout au plus trouve-t-on sous leur plume quelque brève mention
de l'appartenance ethnique de tel esclave, quelque rapide indication
d'un trait de caractère particulier à sa tribu d'origine. Des mots comme
Peuhl, Bouriki, Arada, Nago relèvent de l'onomastique exotique, mais
tout cela ne va pas loin : pour les auteurs parisiens et même pour ceux
qui connaissent les colonies, un Nègre est tout simplement un Nègre.
D'une façon générale, on peut dire qu'il est relativement rare de
voir un Noir (par opposition à un Mulâtre) jouer un rôle principal dans
les œuvres qui se déroulent aux îles. Bug-Jargal et le Toussaint Louverture de Lamartine mis à part, c'est d'ordinaire un conte, une nou-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
276
velle, une pièce en un acte, bref un ouvrage de courte haleine dont
l'intrigue ne dépasse guère l'anecdote qui prend un Nègre pour héros.
Ainsi P. Clément raconte en une dizaine de pages joviales les Bonnes
fortunes de Mingo le nègre. La scène est à Fernambuc ; l'esclave Mingo se vante d'avoir séduit les femmes de ses camarades ; comme ce
faraud est d'une force peu commune, les maris déshonorés ne peuvent
qu'attendre l'occasion de se venger. Occasion qui ne se fera d'ailleurs
pas attendre longtemps car :
Malheureusement Mingo avait au plus haut degré un grand
défaut, commun, du reste, à tous les nègres du globe. A côté de
sa passion désordonnée pour les femmes de ses amis, marchait
de front une autre passion non moins désordonnée et plus irrésistible encore, la passion des liqueurs fortes poussée à l'extrême.
(P. CLÉMENT, « Bonnes fortunes de Mingo le nègre », Revue maritime, ler sem. 1838, p. 44.)
Quand Mingo tombe ivre-mort, il est ligoté, torturé, égorgé, puis
mis dans une balle de coton et expédié en Europe avec le reste de la
récolte.
Dans le conte Jaquez Barraou le charpentier, de Pétrus Borel, le
protagoniste, noir membru et gigantesque, est un fils de Cuba qui
n'avait d'Africain que les traits et l'âme. Il soupçonne sa maîtresse, la
mulâtresse Amada, de le tromper avec son compère Juan Cazador.
Jaquez s'enivre au Xerès, puis se bat au couteau avec son rival. Borel,
selon son habitude, essaye d'épater le bourgeois par l'atrocité de ses
descriptions :
Aussitôt, il lui crève la poitrine, le sang jaillit au loin ; Juan
pousse un cri et tombe sur un genou, saisissant à la cuisse Barraou qui lui arrache les cheveux, et le frappe, à coups redoublés,
dans les reins ; d'un coup de revers, il lui étripe le ventre [...].
L'un lève le bras et brise sa lame sur une pierre du mur, l'autre lui cloue la sienne dans la gorge. Sanglans, taillardés, ils jet-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
277
tent des râlemens affreux, et ne semblent plus qu'une masse de
sang qui flue et se caille.
[194]
Déjà des milliers de moucherons et de scarabées impurs entrent et
sortent de leurs narines et de leurs bouches, et barbotent dans l'aposthume de leurs plaies.
Vers la nuit, un marchand heurta du pied leurs cadavres et
dit : – Ce ne sont que des nègres, et passa outre.
(P. BOREL, « Jaquez Barraou », in Champavert, (Œuvres
complètes, 1922, vol. III, p. 109-110 [1er éd., 1833].)
Toujours dans Champavert, Borel raconte l'histoire de Three Fingered Jack, l'obiman (c'est-à-dire le sorcier) de la Jamaïque, personnage qui a d'ailleurs existé réellement :
Jack était une de ces organisations fortes, un de ces cerveaux
puissans, nés pour dominer, qui manquant d'air dans l'étroite
cage où le sort les a jetés, dans cette société qui veut tout courber, tout rapetisser à la taille vulgaire, rompent à tout jamais
avec les hommes qu'ils exècrent s'ils ne rompent avec la vie.
Three Fingered Jack était un lycanthropel
(P. BOREL, « Three Fingered Jack », in Champavert, Œuvres complètes, 1922, Vol. III, p. 171. [1re éd., 1833].)
Parti marron, Three Fingered Jack est traqué et abattu par l'esclave
Quasher, qui tranche la tête du cadavre et la ramène à Kingston : le
gouvernement avait promis la liberté et la fortune à quiconque débarrasserait l'île de l'obiman, soupçonné d'avoir empoisonné plusieurs
colons. Quand Quasher revient triomphant, portant la tête de Jack au
bout d'une pique, sa maîtresse Abigail lui plonge un poignard dans le
cœur : Three Fingered Jack avait jadis sauvé la vie à la jeune Négresse.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
278
Il ne faut pas croire que Petrus Borel ait été négrophobe : bien au
contraire, Champavert est criblé de remarques ironiques ou indignées
sur l'esclavage et sur les préjugés des Blancs. Pour Borel, se laisser
emporter par ses passions, être prêt à donner et à recevoir des coups
de couteau, passer pour un lycanthrope n'a rien de condamnable, c'est
plutôt digne d'admiration. Mais enfin, son point de vue est un peu
spécial et tout le monde n'est pas comme lui adepte du romantisme
frénétique. Quelle qu'ait été son intention, le fait est que ses Noirs sont
ivrognes, violents et superstitieux. Image que l'on retrouve constamment, avec un certain nombre de variations. Par exemple, l'impassibilité bien connue du Noir sous les tortures, traditionnelle depuis Oronoko et bien illustrée par l'Imley de Chateaubriand :
L'Africain brava les tourments avec une constance héroïque,
continuant ses moqueries au milieu des douleurs, et ne laissant
pas échapper un mot qui pût compromettre le secret des Sauvages. On le retira de la gêne pour le réserver au gibet. Alors il se
mit à chanter Izéphar, à rire, à tourner sur lui-même, à frapper
des mains, à gambader malgré le disloquement de ses membres,
et tout à coup il tomba mort : il s'étoit étouffé avec sa langue,
genre de suicide connu de plusieurs peuplades africaines. Mélange de force [195] et de légèreté, le caractère d'Imley ne se
démentit pas un moment : ce Noir n'aima que l'amour et la liberté, et il traita l'un et l'autre avec la même insouciance que la
mort et la vie.
(F. R. de CHATEAUBRIAND, Les Natchez, 1826, p. 313.)
Et Balzac rappelle que : Une fois pris, Toussaint Louverture est
mort sans proférer une parole (Z. Marcas, Pléiade, VII, p. 747). A la
page suivante, il affirme qu'un seul « civilisé », Pierre Morey, impliqué dans l'attentat de Fieschi, a surpassé tout ce que nous connaissons
de la fermeté nègre 88.
Le mélange de cruauté et de courage stoïque se retrouve dans « Les
Nègres marrons de la Guadeloupe », article anonyme publié dans La
88
Sur Balzac et les Noirs, on voudra bien consulter mon article dans L'Année
balzacienne 1966.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
279
Revue maritime en 1837 : Azaïs et Bouga sont deux chefs de nègres
marrons. Pour sceller leur traité d'alliance, Azaïs donne sa sœur, Anne, à Bouga. Mais Anne aime Moco et s'enfuie avec lui. Lorsqu'ils
sont repris, Azaïs tue Moco. Capturé à son tour par les Blancs, Azaïs
entend son arrêt de mort et marche au supplice avec un sang-froid imperturbable. Cette anecdote, donnée pour historique, a inspiré à Poirié
de Saint-Aurèle un long poème, Le Camp des Kelers :
Aux pieds d'Azaïs on les traîne.
Il rit du rire des démons,
Du rire content de la haine
Qui savoure une angoisse humaine,
Avec l'amour dont nous aimons. […]
Plus rapide que la parole,
Son coutelas reluit dans l'air,
Siffle, dessine une auréole,
Et comme la foudre qui vole
Pourfend le crâne du Kéler. […]
Azaïs, captif dans sa chaîne,
A la montagne a dit adieu.
Ce bandit, trahi par la haine,
Subira la justice humaine
En attendant celle de Dieu.
(POIRIÉ de SAINT-AURÈLE, « Le Camp des Kélers », in
Les Veillées du tropique, 1850, p. 136-138.)
Il n'y a pas de doute que, pour l'imagination collective, la férocité
reste une dominante de l'âme noire. Les écrivains de l'époque romantique ont abondamment illustré la sauvagerie des Africains et les violences des Noirs créoles les uns envers les autres. Et c'est bien entendu
lorsqu'elle s'exerce contre des Blancs que la cruauté des Nègres semble particulièrement monstrueuse. Le temps avait apaisé l'émotion
soulevée par les événements de Saint-Domingue. Mais poètes et romanciers ont pris soin de maintenir vivace le souvenir des atrocités
[196] dont les colons avaient été victimes. Doit-on pour cela les accu-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
280
ser de racisme ? Dans la majorité des cas, sans aucun doute : défenseurs des propriétaires d'esclaves, tout argument leur était bon pour
prouver l'infériorité des Noirs et le danger qu'ils représentaient. Prenons à titre d'exemple non pas un forcené, mais un « modéré » : Charles Nodier. Son article « De l'esclavage chez les anciens comparé à
l'esclavage des Noirs », publié dans l'Observateur des colonies de
janvier-mars 1820, commence par une noble déclaration de principes :
Un article signé de moi ne peut pas être un plaidoyer en faveur de l'esclavage : l'état ancien des nègres a toujours révolté
mon cœur.
(Ch. NODIER, « De l'esclavage », L'Observateur des colonies, janv-mars 1820, p. 107.)
Après quoi, Nodier évoque les malheurs des colons et en propose
une explication :
Les nègres étaient à peine des adolescens ; il fallait les appeler par une éducation progressive à la jouissance des adultes.
Pourquoi les races n'auraient-elles pas leur majorité comme les
générations ? (idem, p. 109).
D'après l'auteur de Trilby, l'esclavage chez les anciens était bien
plus immoral que l'esclavage colonial des modernes, puisque les esclaves étaient alors de la même race que les maîtres. C'est une raison
comme une autre. Et Nodier finit par cette savoureuse exhortation :
Respectons le principe de la propriété comme celui de la légitimité. Ce sont des idées solidaires (idem., p. 114).
Comment l'on peut être révolté par l'esclavage tout en le respectant
au nom du principe de la propriété, c'est ce que Nodier n'a pas expliqué. Mais il ne s'agit pas de condamner ou d'absoudre tel ou tel écrivain, de jauger dans quelle mesure il est ou n'est pas raciste. Il suffit
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
281
de remarquer avec quelle fréquence les crimes des Noirs sont sujet de
littérature. Le fait que le bourreau d'une victime blanche soit nègre,
donc assimilé plus ou moins consciemment à une créature démoniaque ou bestiale, ajoute à l'horreur du crime, rendant particulièrement
piquantes les sensations fortes dont le public était friand. P. Maurel
évoque la conspiration de Bartz et Barbet à la Guadeloupe.
Il y avait sur une habitation un vieillard qui, n'ayant pas
d'enfans, avait rassemblé toute son affection sur un petit nègre ;
il le gâtait jusqu'à la faiblesse et le faisait toujours coucher dans
sa chambre. Réveillé subitement par un grand cliquetis d'armes,
il l'appela vivement, lui demanda ses pistolets. – Les voici, maître, dit le négrillon, et il les déchargea dans ses cheveux blancs
[...].
Madame L*** était enceinte ; on lui ouvrit le ventre, et l'enfant, violemment arraché de ses entrailles, fut coupé en quatre
morceaux.
(P. MAUREL, « Une conspiration... », Le Voleur, 20 mai
1840.)
[197]
L'auteur anonyme de « Les Nègres marrons de l'île Saint-Jean » raconte l'affreuse histoire de la petite fille de Don Joao Alvar Tomares y
Cabelhos, sacrifiée par une prêtresse macumba (vaudou brésilien) aux
esprits de Guinée ; l'enfant est ensuite dévorée au cours d'une cérémonie de cannibalisme rituel. C'est d'après l'auteur le colon qui est en fin
de compte responsable, car il
ne s'était pas encore dépouillé de tous ses préjugés européens. Il
n'avait pas avec ses noirs la sévérité indispensable ; [...]. Aussi,
ne tirait-il pas de leur travail tout le profit qu'il eût pu en attendre.
(ANON., « Les Nègres marrons... », Le Navigateur, 2e sem.
1837, p. 34.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
282
Un dernier exemple : dans La Bande nègre, Charles Castellan raconte comment en 1733, à l'île Bourbon, le Nègre Kamada noie son
maître et ses deux enfants pour venger la mort de sa propre fille. La
description de Kamada n'est pas sans intérêt :
À son visage noir, comme les murs d'un cachot, noir comme
l'âme d'un damné, le sourire s'alliait comme la virginité en fleur
au libertinage sillonné de plaies. Ce sourire-là était une création
de l'enfer. [Hors de la présence de son maître] cet homme devenait une convulsion vivante ; une puissante réverbération de
sang frappait sur cette figure ténébreuse. Cet homme faisait
peur à voir ainsi. Toutes les cordes de son cœur, qui en avait
beaucoup, ne paraissaient alors vibrer que d'une seule passion,
la haine.
(CH. CASTELLAN, « La Bande nègre », in Le Camée,
1842, p. 180.)
Comme on pouvait s'y attendre, le comble de l'horreur est atteint
lorsqu'une femme blanche est menacée d'être violée par un Noir. Je
dis menacée parce que la victime est presque toujours sauvée in extremis : les nerfs des lecteurs n'étaient sans doute pas assez solides
pour que la profanation puisse être consommée. Il est vrai que les romantiques étaient plus pudiques dans l'expression que nos auteurs
contemporains, mais enfin l’on voit bien à quelle trouble curiosité du
lecteur ils font appel. Dans Farville ou Blanc, noir et couleur de rose,
par exemple : M. et Mme Dutour, colons de Saint-Domingue, sont assassinés ; leur fille Eugénie est sauvée par Domingo le fidèle esclave.
Mais le vieux et laid chef de bande Jean-Louis la trouve à son goût :
[les gardes de Jean-Louis] s'emparent de la malheureuse orpheline, la dépouillent de ses vêtements, et lui attachent les
bras ; ils la livrent sans défense à la discrétion de leur chef barbare. Ce dernier, dont les yeux étincelaient d'une joie féroce,
approche de sa victime, il la contemple, rien ne s'oppose plus à
ses affreux désirs, encore un instant et... ; mais un Dieu veillait
sur l'innocence.
(L.-F. RABAN, Famille, 1819, vol. II, p. 69.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
283
Les Blancs arrivent, et les marrons s'enfuient emportant leur prisonnière. Plus tard, Jean-Louis exerce un chantage odieux : – si Eugénie ne lui cède pas, il fera tuer le fidèle Domingo. La pauvre [198]
jeune fille est sur le point d'obtempérer lorsque les Blancs arrivent à
nouveau, tuent Jean-Louis et la délivrent.
Dans Le Vicaire des Ardennes de Horace de Saint-Aubin, pseudonyme du jeune Balzac, la jeune Mélanie essaye de faire amitié avec un
Nègre marron dont l'œil exprimait un sauvage désir. Un jour,
le nègre fondit sur Mélanie, et, la prenant dans ses bras, il
s'élança vers les montagnes avec la rapidité de l'éclair [...]. Elle
se débattait avec son ravisseur, et retardait sa fuite, mais ce dernier atteignit un endroit écarté, et là, déposant à terre Mélanie, il
la couvrit de baisers.
([H. de BALZAC], Le Vicaire des Ardennes, 1822, vol. II, p.
46-117.)
Heureusement, deux autres Nègres marrons, amis de Mélanie, arrivent juste à temps pour empêcher un tigre de dévorer une jeune biche.
Indignés, ils abattent le lubrique ravisseur.
Le même Horace de Saint-Aubin avait composé un mélodrame intitulé Le Nègre, refusé par le théâtre de la Gaîté en 1823. On y voyait
un serviteur Noir tomber amoureux de la femme de son maître et lui
faire des avances, repoussées bien sûr avec indignation. L'action se
déroule à Paris et non pas aux colonies, ce qui explique sans doute
l'incroyable hardiesse du personnage.
Dans Le Mulâtre, roman publié en 1824 par Aurore Cloteaux
(pseudonyme d'Auguste Lepoitevin) et auquel il est très probable que
Balzac a collaboré, la douce Sténie Merval de Savenage se serait
noyée si son fidèle esclave Féo ne s'était trouvé là pour la sauver. La
même nuit, Sténie fait un rêve curieux :
Elle est fée, et à l'aide de sa baguette magique, elle vient de
transformer le fidèle, mais noir Féo en un jeune prince blanc
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
284
comme un lis [...] enfin elle est sur le point de lui accorder la
plus noble et la plus douce récompense ; mais voici qu'au moment même où elle tend à Féo une main qu'elle croit donner au
prince le plus aimable et le plus blanc qu'il soit sur le globe, le
beau prince disparaît, et à sa place se montre un grand vilain
génie, noir comme l'ébène qui, fixant sur elle une prunelle sanglante, la regarde avec un sourire affreux, et l'entraîne dans une
grotte profonde ; là tout disparaît, et la pauvre Sténie, victime
d'un supplice qu'elle ne peut concevoir ni définir, n'ose même
pas invoquer le secours de Dieu.
([A. LEPOITEVIN], Le Mulâtre, 1824, vol. I, p. 36.)
C'est une sinistre prémonition. Car Féo, sans le savoir, aime et désire Sténie ; mais :
Féo, élevé dans l'esclavage et avec tous les préjugés de l'esclavage, se regardait toujours, malgré la liberté dont il jouissait,
comme un être d'une nature imparfaite, condamné par cette
même nature à vivre et à mourir dans un cercle extrêmement
circonscrit. [...] Féo ne pouvait reporter les yeux sur lui-même
sans un profond dégoût. Son teint, ses cheveux, ses traits, si différents de ceux qu'il contemplait dans Sténie, avaient anéanti en
lui la vanité [...] mère de l'amour (idem, vol. I, p. 92-93).
[199]
Après toutes sortes de péripéties, Sténie épouse M. de Clémengis
et le jeune couple quitte les îles pour la France, en emmenant Féo. Or,
un jour, Féo voit par la fenêtre M. de Clémengis exercer ses droits
conjugaux. A ce spectacle, il perd la raison, s'enfuit dans la forêt, tue
un loup de ses mains et ses dents, écrase sous un rocher un berger et
sa bergère. Ayant endormi Sténie avec un narcotique, il la viole et se
réfugie dans les bois. Sténie mettra au monde un enfant mulâtre, le
héros du roman, qui héritera de la méchanceté de son père.
Pour Alphonse Rivet, la chose est bien simple, les Noirs ne voient
en la liberté que l'occasion de forcer des femmes blanches :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
285
J'aime la nuit ombreuse, aux doux forfaits propice,
L'orgie au teint illuminé !
Que l'avalanche crie an fond du précipice,
Qu'importe au sommet couronné !
A de blanches beautés souriez, fronts d'ébène !
Ce soir il faudra que, sans bruit,
D'un lis à féconder vous savouriez l'aubaine,
Qu'il en naisse un glorieux fruit.
(A. RIVET, Les Voix coloniales, 1841, p. 32.)
Maynard de Queilhe imagine que les Noirs de la Martinique prennent le pouvoir et que leur chef, Benjamin, Nègre particulièrement
monstrueux, noie les Blanches de l'île après les avoir violées :
Il avait mis la mort de moitié dans ses voluptés, et lui livrait,
l'infâme ! les malheureuses auxquelles il avait infligé à la fois le
plaisir et l'agonie.
(L. MAYNARD de QUEILHE, « Les Trois nuits de la Martinique », in Le Voleur, 5 août 1833, p. 708.)
On pourrait accumuler les exemples. L'évocation du viol, surtout
perpétré par un être considéré comme inférieur, réveille les terreurs
ancestrales, c'est donc un moyen de propagande particulièrement efficace : les nazis l'ont bien vu dans les années 1930 : pour galvaniser les
énergies nationales, leurs affiches représentaient les soldats français
en tirailleurs sénégalais, prêts à violenter les blondes filles de la Rhénanie. Encore une fois, il ne s'agit pas d'accuser tel ou tel auteur, mais
l'écrivain de l'époque romantique ne pouvait ignorer qu'en montrant
un Noir – n'importe quel Noir – forçant une Blanche – n'importe quelle Blanche – il ne se bornait pas à titiller le lecteur : il apportait inévitablement de l'eau au moulin de ceux qui plaidaient pour le maintien
de l'esclavage.
Il est vrai que le désir du Noir pour la femme blanche n'est pas toujours vu de façon mélodramatique. Il donne parfois lieu à des scènes
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
286
destinées à faire rire. Dans son adaptation théâtrale de Manon Lescaut,
par exemple, Étienne Gosse imagine le personnage de Zabi, esclave
du gouverneur de la Louisiane. Zabi n'a qu'une ambition : [200] épouser une Blanche. L'arrivée à la Nouvelle Orléans du bateau qui transporte Manon et ses compagnes le remplit de joie. Mais
ZABI, d'un ton suppliant : Maître à moi, bon maître !
LE GOUVERNEUR : Que veux-tu ?
ZABI : Zabi demande pour lui petite femme blanche.
LE GOUVERNEUR : Je te destine au service de celle que
j'attends.
ZABI : Au service ! moi, esclave toujours ? mari jamais ?
pauvre Zabi !
LE GOUVERNEUR : Paix !
ZABI : Aimerais tant jolie Française ! Oh ! oh ! oh !
LE GOUVERNEUR : Tais-toi, cours à la rencontre des personnes que j'attends, sers-les avec soumission.
ZABI : Oui, bon maître. (A part) Petitbondieu protège point
Zabi. (Il sort). (E. GOSSE, Manon Lescaut, 1821, acte II, scène
iv.)
Et le bon public de rire. Ce genre de condescendance amusée me
semble encore plus ignoble que les hallucinations obscènes des esclavagistes.
Quoi qu'il en soit, violer une Blanche constitue pour un Noir un
comportement doublement aberrant ; d'abord en soi, et ensuite parce
que le Noir était censé respecter instinctivement la race des Seigneurs
et ne pas même oser rêver de posséder leurs femmes. Pour qu'il commette un si grand crime, il faut qu'il soit un de ces surhommes du mal
qui fomentent la révolte, ou bien qu'il soit tombé sous l'influence néfaste des philanthropes de la métropole. Dans Le Bananier de Frédéric
Soulié, M. Owen, porte-parole de l'auteur, explique à un jeune homme
qui vient de débarquer aux îles :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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Il reste heureusement dans ces cœurs féroces un respect et
un effroi superstitieux du blanc.
C'est le sentiment instinctif d'une infériorité incontestable
qui les retient, et heureusement que toutes les déclamations des
philanthropes n'ont pu encore leur persuader qu'ils fussent les
égaux de cette race blanche à laquelle ils obéissent sans répugnance, tant ils se sentent au-dessous d'elle. Le nègre n'est pas
un homme complet, monsieur.
(F. SOULIÉ, Le Bananier, 1858, p. 72 [1re éd. 1843].)
Mais enfin, tant qu'on ne leur a pas monté la tête,
Les noirs, dans leurs plus grands emportemens, respectent
les femmes de la couleur blanche, et font ainsi acte d'infériorité
volontaire à l'égard de la race privilégiée.
(V. CHARLIER et E. CHAPUS, « Le dernier des Tarquins », in Titime, 1833, p. 322.)
Maynard de Queilhe est bien d'accord en ce qui concerne la conscience qu'ont les Nègres de leur infériorité, mais je ne comprends pas
très bien les conclusions qu'il en tire :
Les femmes blanches planent au-dessus du regard des noirs,
comme des anges, comme des êtres d'une nature tellement supérieure à la leur, qu'ils [201] préféreront toujours le viol au
meurtre, d'autant plus que l'un n'empêche pas l'autre.
(L. MAYNARD DE QUEILHE, « Les Trois nuits de la
Martinique », Le Voleur, 10 août 1833, p. 692.)
Outre Bug-Jargal, trouve-t-on dans la littérature des Noirs amoureux de Blanches ? Dans Amour et liberté, de Mme A. Cashin, le Nègre
Maki devient le colonel Saint-Paul lorsque Haïti est indépendante.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
288
Depuis toujours, il aime Hortense, la fille de ses maîtres, avec qui il a
grandi. A la fin du livre, le colonel s'est enfui avec la jeune femme...
qui entre-temps est devenue complètement folle. Folle au point d'embrasser son ancien esclave, avec des résultats surprenants :
Il ose déposer un baiser sur les lèvres d'Hortense. Oh 1 bonheur inattendu, ses lèvres ont trésailli sous ce baiser de feu ! Il
lui semble qu'il lui a été rendu [...] Maki murmure ces mots :
Ange du ciel, je meurs heureux ! Il expire tué par l'excès de sa
félicité.
(Mme A. CASHIN, Amour et liberté, 1847, p. 198-199.)
Dans le poème d'Anaïs Ségalas Un Nègre à une Blanche, c'est bien
d'une déclaration qu'il s'agit :
Un nègre a sa beauté : bien sombre est ma couleur,
Mais de mes dents de nacre on voit mieux la blancheur ;
Tes yeux rayonnent bien sous tes cils fins, longs voiles,
Mais regarde, les miens ont un éclat pareil :
Ton visage est le jour, tes yeux c'est le soleil
Mon visage est la nuit, mes yeux sont des étoiles.
(A. SÉGALAS, « Un Nègre à une Blanche », in Poésies,
1844, p. 256.)
Sophie Doin imagine que le petit esclave Domingo est élevé à
Saint-Domingue avec Pauline de Hauteville. Il est intelligent, dévoué,
courageux, et son maître, avant d'être tué par les rebelles, lui accorde
le plus grand compliment possible : Va, tu mériterais d'être blanc !
Domingo et Pauline s'aiment. Ils fuient les hommes dans la jungle les
années passent et :
Lorsque la république d'Haïti fut assise glorieusement sur de
solides bases, on trouva, par hasard, au fond d'une épaisse forêt,
une chaumière adroitement construite. Un homme noir et une
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
289
femme blanche l'habitaient ; on admira l'amour et les mœurs
douces des époux, mais les nègres étaient mécontents qu'une
femme blanche fût l'objet du culte d'un noir. « C'est dommage,
disait-on, elle mériterait d'être noire ! »
(S. DOIN, « Blanche et Noir », in Cornélie, 1826, p. 143144.)
Et le dernier exemple que j'ai trouvé est Les Marrons, de L.-T.
Houat. A l'île Bourbon, le Nègre Frême a sauvé la vie de sa camarade
d'enfance, la Blanche Marie. Les jeunes gens s'aiment, ils se marient
secrètement. L'indignation des colons les force à fuir dans les montagnes pour y habiter une caverne isolée.
[202]
Il n'est peut-être pas inutile de remarquer que outre Victor Hugo,
des quatre écrivains qui imaginent la possibilité d'un amour entre un
Nègre et une Blanche, trois sont des femmes et Houat est lui-même un
Mulâtre réunionnais.
Si l'on trouve, en cherchant bien, des Noirs antillais amoureux de
femmes blanches, on ne trouve aucun colon amoureux d'une femme
noire. Désirée, possédée, torturée ou tuée pour avoir refusé l'accouplement, la Négresse ne semble pas avoir inspiré au maître autre chose
que la concupiscence la plus bestiale... du moins en littérature. Et le
plus souvent cette concupiscence ne sert qu'à établir une rivalité érotique entre le maître blanc (qui convoite la femme) et l'esclave noir (qui
l'aime), rivalité qui déclenchera le drame. Ainsi, dans Outre-Mer, le
comte de Longuefort trouve la petite Négresse Jeanette à son goût :
On a beau dire, vous autres négresses, vous êtes d'une élégance de taille qu'on ne voit pas aux blanches, même les mieux
faites. Vous avez le corps plus hardi, plus ferme...
(L. MAYNARD de QUEILHE, Outre-Mer, 1835, vol. I, p.
204.)
Il passe aux actes. Le mulâtre Marius, qui aime Jeanette, les surprend et les poignarde.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
290
Dans Sédim, la belle Zénida résiste aux avances de son maître le
colon Sulton. Elle rassure son amant Sédim :
Ta Zénida ne t'a point fait injure.
J'ai de Sulton méprisé les ardeurs,
J'ai rejeté ses présens corrupteurs,
Et de ses mains je sors fidèle et pure.
(J. P. G. VIENNET, Sédim, 1826, chant II, p. 80.)
Mais le Blanc perd patience et quelques jours plus tard Zénida doit
avouer à Sédim :
Ta Zénida n'est plus digne de toi,
Fuis, cette nuit a vu mon infamie.
La violence a triomphé de moi.
De ses ardeurs ce monstre m'a flétrie
(idem, chant III, p. 106).
Sédim tue Sulton et se suicide avec Zénida.
Objet érotique à la disposition du Blanc, la femme noire est sans
défense. Le mieux qu'elle puisse espérer c'est une amélioration de son
sort tant que le maître ne s'est pas lassé d'elle. Et lorsque vient la révolution à Saint-Domingue et que les femmes noires accèdent à la possession de leur propre corps, certaines s'en servent comme d'une arme
contre l'ennemi : Louis Levrault, dans sa nouvelle Tony la mulâtresse,
raconte comment le planteur Gustave de Beaumont se réfugie chez
Tony pendant l'insurrection. Afin de le retenir, elle se donne à lui,
[203] tout en prévenant les insurgés qui le font prisonnier au saut du
lit. Prise de repentir, elle guide les soldats français qui délivrent
Beaumont. Le jeune homme la tue, apprend ensuite qu'elle lui a sauvé
la vie et devient fou de remords. Il sera fusillé par les Noirs à la prise
de Port-au-Prince. Et Levrault signale en note :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
291
On sait le trait de cette jeune négresse, qui, atteinte de la fièvre jaune au fort Dauphin, se tramait le soir dans les rues, invitait les soldats blancs à monter chez elle, les enivrait de ses caresses, puis les renvoyait en disant : Je suis pestiférée ! Vous
mourrez demain comme moi ! »
(L. LEVRAULT, « Tony la Mulâtresse », Revue maritime,
2 sem. 1836, p. 62.)
e
Je n'ai trouvé que deux exemples de Blancs qui épousent une femme noire. Et encore, le premier est un faux mariage où la femme est
honteusement exploitée : un négrier de la Martinique épouse Zaza, la
fille d'un roitelet africain pour faciliter ses opérations commerciales.
Zaza le suit aux Antilles, apprend qu'il est déjà marié et pense naïvement que le négrier l'épousera à l'église lorsque sa femme « légitime »
sera morte. Détrompée, elle se suicide. (E. Corbière, « Le Mariage
blanc et noir », Le Cabinet de lecture, 14 juillet 1834.)
Le deuxième exemple est moins tragique. Il se trouve dans Noire et
Blanc, la nouvelle de Mme Doin qui fait pendant à Blanche et Noir.
L'esclave Nelzi sauve son jeune maître Charles de Méricourt pendant
l'incendie du Cap. Ils arrivent à s'embarquer pour New York, où Charles fait éduquer sa bienfaitrice. Enfin, ils rentrent en France, et le jeune homme finit par épouser son esclave... visiblement par reconnaissance plutôt qu'autre chose.
Le plus curieux des textes qui prennent pour thème le couple
homme blanc-femme noire se trouve chez Gustave d'Eichtal ; le féminisme des saint-simoniens s'y amalgame curieusement aux idées abolitionnistes. Ayant identifié la mentalité et la vocation du Noir à celle
de la femme, il en conclut que la libération de l'un et de l'autre doit
passer par le même combat :
Le noir me paraît être la race femme dans la famille humaine, comme le blanc est la race mâle. De même que la femme, le
noir est privé des facultés politiques et scientifiques ; il n'a jamais créé un grand état, il n'est point astronome, mathématicien, naturaliste ; il n'a rien fait en mécanique industrielle. Mais,
par contre, il possède au plus haut degré les qualités du cœur,
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
292
les affections et les sentiments domestiques ; il est homme d'intérieur. Comme la femme, il aime aussi avec passion la parure,
la danse, le chant [...]. Tandis que le blanc est panthéiste et s'absorbe dans la contemplation de l'infiniment grand, le noir est fétichiste et adore la puissance infinie dans ses manifestations infiniment petites. [...]
Jusqu'ici domesticité et servitude ont été des choses à peu
près identiques. Aussi le noir, être essentiellement domestique,
comme la femme, a été jusqu'ici condamné comme elle à un esclavage plus ou moins rude. L'émancipation de la femme devra
donc être accompagnée de celle du noir, ou, pour [204] parler
plus nettement, c'est dans la femme noire que l'émancipation de
la femme doit complètement se réaliser. On peut dire, encore
sous une autre forme, que le couple typique se compose d'un
homme blanc et d'une femme noire.
(G. d'EICHTAL et I. URBAIN, Lettres sur la race noire,
1839, p. 22-23.)
On reconnaît ici la tendance saint-simonienne à la systématisation
péremptoire à partir de prémices discutables. A première vue, le texte
prête à rire. Mais Eichtal a pressenti ce que certains mouvements de
libération féminine affirment aujourd'hui, à savoir que le « chauvinisme masculin » a de nombreux rapports avec le racisme. Quoi qu'il en
soit, Eichtal était un isolé et ses théories ne semblent pas avoir exercé
la moindre influence.
Pour en finir avec les différentes relations érotiques possibles entre
les deux races (et, encore une fois, je passerai plus tard aux sangmêlés), je n'ai trouvé de Blanches amoureuses d'hommes noirs que
chez Sophie Doin et H.-T. Houat. Et ce sont là des amours bien littéraires, car le préjugé de couleur, surtout aux îles, rendait pratiquement
impensable qu'une Blanche consente librement à se donner à un Noir.
L'abbé Dugoujon, il est vrai, rapporte que :
Un esclave de M. le curé, nommé Jean, avait depuis longtemps des rapports secrets avec une demoiselle blanche appartenant à une ancienne famille. Cette intrigue vient de transpirer.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
293
La jeune personne se trouve enceinte de plus de sept mois. […]
Elle raffolle d'amour pour ce nègre et ne s'en cache plus.
(Abbé DUGOUJON, Lettres sur l'esclavage…, 1845, p. 7576.)
Mais il est bien certain que c'est là une exception. Et, sans même
parler d'engagement sentimental, les femmes créoles ne bénéficiaient
bien entendu pas de l'autorisation tacite qui permettait aux hommes
d'assouvir leurs appétits sur leurs esclaves.
Les femmes noires amoureuses d'un Blanc sont rares également.
L'une d'elles se fait l'apologiste de l'esclavage dans Les Voix coloniales, d'Alphonse Rivet. On parle d'abolir l'esclavage, et la jeune femme
proteste :
« Qu'ai-je entendu ? Jaloux d'un sort si peu prospère,
On dit que des méchans, prêchant l'égalité,
Vont lui ravir bientôt tous les biens de son père...
Je ne veux pas la liberté !
.....................
Oh ! vous ne savez pas, vous qui brisez son âme
Tout ce qu'il s'imposait de privations, lui,
Pour donner à chacun ce doux pain de l'igname
Que nous n'avons plus aujourd'hui !
......................
Mon Dieu, toute ma joie eût été que ma vie
S'écoulât lentement près du maître adoré !
[205]
À présent même, hélas ! le seul bien que j'envie,
Est qu'on laisse sa vue à mon cœur éploré :
Je suis noire, mais belle ; un instinct me dit même
Que l'amour purifie ; et peut-être qu'un jour
Je pourrai ramasser, entre les biens qu'il sème
De la pitié pour mon amour !
(A. RIVET, Les Voix coloniales, 1841, p. 64-66.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
294
Malheureusement, tous les Nègres n'ont pas si bon esprit ; les lamentations de la jeune femme ont été entendues par un adepte du vaudou, qui juge qu'elle a trahi :
Ce noir tient de l'enfer un horrible pouvoir ...
Elle le sait et tremble... Il l'avait entendue ...
Le soir même (on dut croire à la fatalité)
Sur sa couche, mourante, elle était étendue,
Expiant sa fidélité (idem, p. 68).
Cette martyre de la fidélité appartient à la race des « Bons Nègres », race qui existe depuis la fondation des colonies, et à laquelle
l'insurrection de Saint-Domingue a donné l'occasion de s'illustrer brillamment. Jusqu'à la révolution, le « Bon Nègre » ne pouvait prouver
sa reconnaissance envers le colon son maître qu'en travaillant à l'enrichir. Ainsi, lorsque le colon Estève se marie, ses esclaves radieux offrent aux jeunes mariés une belle fête au cours de laquelle le plus vigoureux des Nègres leur présente ses bras en disant :
« Voici les mines où vous puiserez la richesse. »
Aussitôt un vieillard s'avance en entraînant sa pépinière de
petits travailleurs, et il s'écrie : « Voilà mes présens. » Les matrones montrent leurs nourrissons pendus à leurs mamelles
comme le fruit vert à l'arbre, moisson de l'avenir.
(J. LEVILLOUX, Les Créoles, 1835, vol. II, p. 39.)
Tout aussi exemplaire est Zamor, l'esclave du bon Lord Selmours,
planteur au Massachussetts. En sauvant la fiancée de son maître que
des soldats anglais allaient outrager, Zamor est blessé à la jambe ; il
restera estropié :
Hélas ! tout portait à croire qu'il ne serait jamais en état de
reprendre ses travaux, et c'était un de ses plus grands chagrins.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
295
Eh quoi ! disait-il souvent, moi pourrai plus rien gagner à
maître ?
(M.-A. BARTHÉLÉMY-HADOT, La révolte de Boston,
1820, vol. II, p. 20.)
La révolution arrivée, les « Bons Nègres » peuvent se dévouer de
façon plus active et plus exaltante. Ainsi cette jeune femme noire, qui
refuse de dire au rebelle Jean-François où se cache son maître :
Jean-François, écumant de rage, la fit saisir par quatre noirs ;
et, tandis que leurs bras vigoureux la tenaient immobile, un cinquième bourreau, arrachant [206] un tison à un brasier ardent,
ne craignit pas de commettre contre une femme l'attentat le plus
inouï d'impudicité et de barbarie.
(A. DELRIEUX, « Souvenirs de Saint-Domingue », La Mode, 1831, p. 244-245.)
Même lorsqu'ils sont criminels, c'est-à-dire lorsqu'ils portent atteinte aux biens ou à la personne du Blanc, les Noirs ne sont pas toujours
incapables de repentir. Témoin cet esclave qu'on exécute pour avoir
tué son maître et qui, monté sur la potence, déclare :
Moin demandé ous pardon, et à bon Dié, d'avoir été mauvais
pour tué maître moin. Moin mérite mourir ; mais moin été honnête homme jusqu'à heure mal'hérès-là.
(E. GOUBERT, Pauvres Nègres !, 1840, p. 23.)
Soyons juste : si la cruauté, la paresse, la bêtise et la superstition
des Noirs des colonies sont amplement illustrées parles écrivains, leur
louable dévouement envers lei ; Blancs n'est pas passé sous silence.
En 1830, Le Navigateur signale que lors du naufrage du navire « Les
Six-Sœurs » entre les Séchelles et l'île Maurice, deux esclaves Noirs
sautent à la mer pour alléger la chaloupe où avait pris place leur maîtresse. Auguste Jal, dans les Scènes de la vie maritime, rapporte com-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
296
ment le Noir Tapoya, naufragé avec la femme et le fils de son maître,
s'ouvre les veines pour donner son sang à boire aux Blancs qui
l'avaient toujours bien traité. André de la Charrière fait l'éloge du Nègre Félix, mort en 1843 à la Guadeloupe en sauvant les victimes du
tremblement de terre :
Je ne t'oublierai pas non plus, bon et brave Félix. Né dans la
classe sociale la plus humble, et dans la race réputée la plus infime de l'humanité, toi, simple et pauvre noir, serviteur des serviteurs de tes frères, tu as été éloquent, sublime ! [...]
Un père de famille, pour l'engager à sauver avec lui sa femme et ses enfans, lui offre sa bourse. – « Non, dit Félix dans son
langage créole que je me garderais bien de changer parce qu'on
ne touche pas à de pareilles paroles : « Non, aujourd'hui ien pou
l'agent, tou pou bon Dieu. »
(A. de LA CHARRIÈRE, Le Tremblement de terre.... 1843,
p. 27.)
Et une fois l'abolition décrétée, le prototype du Bon Nègre est celui
qui, loin de s'en réjouir, regrette les temps heureux de sa servitude.
Dès 1806, Ch. de Cornillon affirmait :
Il y a quelque chose aujourd'hui de très-positif et clair dans
cette matière. C'est le désir très-prononcé de la grande majorité
des nègres esclaves à St-Domingue de rentrer sous la domination de leurs anciens maîtres. C'est une chose de fait, et qui seroit bientôt en évidence, si n'étoit la tyrannie exercée envers eux
par les quelques chefs qui s'y sont emparés du pouvoir, ou plutôt, le scandaleux appui que la monstrueuse Angleterre a l'infamie de leur prêter à ses propres risques.
(CH. de CORNILLON, Odes, 1806, p. 3.)
[207]
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
297
Et l'on trouve dans Le Bois de la Soufrière, d'Anaïs Ségalas, une
vieille Négresse qui se lamente :
Ah ! Monsieur, où est-il le bon temps de l'esclavage ! Alors,
nous étions sûrs d'être nourris pendant toute notre vie : d'abord,
nous avions bien régulièrement, par semaine, neuf livres de farine de manioc, trois livres de morue ou de bœuf salé. On ne
mourait pas de faim avec ça. Il n'y avait pas à nous inquiéter : le
maître était toujours là pour nourrir le pauvre nègre quand il se
portait bien, pour le faire soigner quand il était malade, par
l'hospitalière, par le médecin ; puis, si le médecin ou le bon
Dieu nous laissait mourir, nous partagions avec les maîtres un
beau cimetière, dans l'habitation. Dame, Monsieur, ça flatte, ces
choses-là, et ça fait toujours plaisir.
(A. SÉGALAS, « Le Bois de la Soufrière », in Récits des
Antilles, 1885, p. 129 [1re éd. ?].)
Mutatis mutandis, on reconnaît là les arguments de ceux qui prétendent aujourd'hui que les citoyens des républiques nouvellement
indépendantes ont la nostalgie du statut colonial.
Les négrophobes insistaient sur les défauts des Noirs ; les négrophiles montaient en épingle leur dévouement. Mais ces Bons Nègres
littéraires, précurseurs de l'Oncle Tom, sont tellement serviles et d'une
vertu tellement sirupeuse qu'ils font regretter leurs frères criminels.
Probablement excédé par la mauvaise littérature faite avec les bons
sentiments des Nègres fidèles, Eugène Sue en brosse une énorme satire dans Atar Gull. On se souvient que le héros hait son maître, Wil, le
planteur de la Jamaïque, qui – entre autres – a fait pendre le vieux père d'Atar-Gull. La vengeance de l'esclave sera complète et raffinée :
tout en s'insinuant dans les bonnes grâces du colon jusqu'à devenir son
esclave de confiance, son confident, son meilleur ami, Atar Gull empoisonne le bétail de Wil et s'arrange pour faire mordre sa fille Jenny
par un serpent venimeux la veille de ses noces. La femme de Wil
meurt de chagrin ; le colon lui-même a une embolie et perd la parole.
Pendant tous ces malheurs, Atar Gull soigne ses maîtres avec un tel
dévouement que Wil, ruiné, l'émancipe et l'amène avec lui en Europe.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
298
Ils finiront par se fixer à Paris, dans un neuvième étage de la rue Tirechape, où l'ancien esclave devenu Monsieur Targu se dévoue entièrement à son maître pour la plus grande édification de tout le quartier.
Quand Wil reste paralysé, et donc totalement à sa merci, Atar Gull lui
explique enfin qu'il est à l'origine de tous ses malheurs. Le colon sera
nourri et soigné par l'assassin, qui le garde en vie pour lui raconter
inlassablement ses crimes. Wil finit par devenir fou et mourir. Les
voisins font donner à Monsieur Targu le Prix Montyon en récompense
de son abnégation. Le dernier chapitre décrit la cérémonie au cours de
laquelle l'Académie décerne son prix de vertu. Le discours du président résume, en des termes que l'on imagine, la vie exemplaire de
Bernard-Augustin Atar Gull en qui le malheureux [208] Wil avait
trouvé un ami, un frère, un fils. La fin du roman est encore plus drôle
si l'on pense que l'année suivante, c'est-à-dire en 1832, le prix Montyon sera effectivement donné à un « Bon Nègre ». Eustache Belin, né
dans la province du Cap Français, sauva à la famille à qui il appartenait la vie et la fortune lors des événements de Saint-Domingue 89.
Après quoi, son maître étant devenu aveugle, il apprit à lire en cachette pour pouvoir lui faire la lecture du journal. Enfin, après la mort de
l'ancien colon, il continuera de mener une vie toute de bienfaisance et
de dévouement. Le discours de Charles Brifaut, directeur de l'Académie cette année-là, prouve bien que la réalité dépasse la fiction : l'allocution imaginée par Eugène Sue est un modèle de sobriété en comparaison de celui de l'Immortel. Qu'on en juge :
Attaché aux travaux de la sucrerie, dont il s'occupait avec
autant de zèle que d'intelligence, il fuyait la société de ses jeunes camarades pour chercher dans la conversation des blancs
les instructions qui devaient éclairer son esprit, les vertus qui
pouvaient élever son âme. [...]
Quand les nègres, déterminés à la perte des blancs, jurèrent
de les égorger tous, ils appelèrent Eustache parmi eux. En lui
révélant leur conspiration, ils croient parler à un complice ; ils
89
Selon la coutume, Eustache avait pris le nom de son maître, M. Belin de
Villeneuve. Est-ce une coïncidence ? Dans Bug-Jargal le généralissime Jean
Biassou fait scier entre deux planches son ancien maître Jacques Belin,
charpentier à l'hôpital des Pères, au Cap (Ch. XXXII).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
299
ne sont entendus que par un honnête homme. [...] Dès ce moment il abjure la race de ceux qui proscrivent, il se fait de la
famille des proscrits.
Si le temps permettait d'entrer dans le long détail des ruses
ingénieuses employées par son actif dévouement pour dérober à
la mort tant de victimes, on le montrerait sans cesse occupé à
prévenir les habitants des complots formés contre eux, se glissant dans les conciliabules des révoltés pour épier et déconcerter leurs mesures, donnant aux propriétaires le temps et les
moyens de se réunir, de se fortifier, et enfin d'échapper à l'horrible destinée qui les attendait [...].
L'affranchissement d'Eustache suivit de près ; cet affranchissement qui, moins encore que ses vertus, l'a naturalisé Français
[...]
Depuis ce temps, Messieurs, c'est-à-dire depuis trente-neuf
ans, rentré dans l'humble carrière de la domesticité, il passe sa
vie à faire ce qu'il a toujours fait, des heureux.
(CH. BRIFAUT, Prix de vertu. Discours prononcé par M.
Brifaut, 1832, P. 27-38.)
Le mouchard lauréat meurt en 1835. Le Journal de Paris publie
une notice nécrologique, reproduite sous le titre « Le Nègre Eustache » dans Le Cabinet de lecture du 27 mars. En 1837, M. S. fait paraître une courte biographie d'Eustache Bélin intitulée en toute innocence Le Bon Nègre. Nous y apprenons que le roi Louis-Philippe a
contribué six cents francs à l'achat de la concession où il repose. En
1837, dans La Revue maritime, la Comtesse de B... donne une biographie [209] romancée du personnage. Samuel Berthoud prétend l'avoir
connu pendant sa jeunesse estudiantine rue de la Bûcherie ; dans son
article « Eustache », publié dans Le Voleur du 10 septembre 1842, il
décrit comment la patience et la bonté du Noir ont raison des stupides
persécutions des étudiants ses voisins. En 1844, l'abbé Hardy cite Eustache en modèle aux esclaves nègres des colonies auxquels s'adresse
son ouvrage édifiant La Morale en action... Eustache Bélin a eu son
moment de célébrité ; le « Bon Nègre » de la littérature s'est vraiment
incarné en lauréat du prix Montyon.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
300
Le Noir créole personnage littéraire est soit un primitif brutal et
criminel, soit un serviteur grotesque ou amusant, soit un « Bon Nègre » d'une fidélité à toute épreuve. Quel que soit le patron sur lequel
il est calqué, on le représente comme inférieur au Blanc, ou tout du
moins à la vaste majorité des Blancs. Son infériorité est plus ou moins
explicite, mais elle est toujours réelle, même lorsque l'intention de
l'écrivain est d'avantager le personnage. Objectivement parlant, c'est là
une représentation exacte, puisque, dans la réalité, le Noir créole est
en position d'infériorité absolue. Il vit dans une société entièrement
dominée par les Blancs qui lui refusent tout pouvoir politique. Il n'a
pratiquement aucun pouvoir devant la loi non plus : son témoignage
n'est même pas recevable devant les tribunaux. Dans La jeune négresse, Larochefoucauld-Liancourt raconte comment une jeune esclave est
fouettée à mort par son maître pour lui avoir résisté. Un Noir a été témoin de l'affaire, mais les autorités refusent bien entendu de l'entendre. Aussi, son maître ayant été assassiné par un autre Blanc, le Noir
jugera inutile de dénoncer le meurtrier.
Intellectuellement, le Noir créole est inférieur dans ce sens qu'il n'a
reçu aucune éducation, qu'on ne lui a même pas appris la langue des
maîtres. L'anonyme auteur des Mœurs coloniales fait expliquer à un
voyageur par l'esclave Zélie qu'on lui a défendu de parler français :
C'est que c'est une langue de maître, et non d'esclave ; une
langue de blanc, et non d'une pauvre fille de couleur. Notre langage, à nous, s'appelle parler nègre.
(Anon., « Mœurs coloniales », Revue des colonies, sept.
1835, p. 132.)
L'esclave noir créole n'a pas même le pouvoir « naturel » de père
de famille, puisqu'on ne lui laisse pas la possibilité d'élever ses enfants, puisque, même si on la lui laissait, il ne pourrait les élever que
pour être des bêtes de somme... et que de toute façon il a toutes les
chances d'être séparé d'eux au hasard d'une vente d'esclaves. Il est l'inférieur du Blanc parce qu'il dépend entièrement du Blanc, source de
punitions et de récompenses, dispensateur de nourriture, de vêtements,
de loisirs, maître des techniques et du savoir, incarnation en somme
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
301
du [210] destin. De tout cela, l'esclave noir est parfaitement conscient
et il sait que son infériorité est à l'exacte mesure de son impuissance.
Or la société esclavagiste ne lui laisse que trois échappatoires : le suicide, la collaboration et la révolte. Les personnages nègres créoles qui
se suicident sont légion ; si leur acte est l'expression de leur désespoir,
il est également vengeance puisqu'il prive l'oppresseur blanc d'une
source de revenus. La collaboration ? Ne collabore pas qui veut, la
collaboration est octroyée par le maître. Elle donne certes quelque
pouvoir, sur les frères esclaves exclusivement :
Ce gros homme noir est le commandeur ; c'est lui qui a reçu
les ordres du maître ; c'est lui qui les fait exécuter par la bande ;
plus despote que le maître lui-même, plus vaniteux de son titre
qu'un sultan ou qu'un ministre des affaires étrangères, il ne passera rien, ne pardonnera rien, ne fera pas la moindre concession,
la plus petite grâce, et la plus légère faute commise par un des
esclaves qu'il est chargé de conduire sera punie à l'instant du
fouet ou chabouc dont il est porteur.
(PLUCHONNEAU aîné et H. MAILLARD, Physiologie des
nègres..., 1842, p. 55-56.)
On trouve sous la plume de Louise de Lafaye une évocation poétique du commandeur :
On entend, par delà les bois,
La cloche qui tinte et les voix
Des nègres quittant la savane ;
Le lier commandeur se pavane
A leur tête, et porte plié
Son arme, son fouet sans pitié,
Gage d'estime de son maître
Qui, d'un bon nègre a fait un traître
Un traître envers ses compagnons,
Épiant, sous leurs vieux haillons,
Leurs soupirs et leurs vœux stériles
Et frappant sur les bras débiles
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
302
Qui s'ouvrent en se détirant
Ou qui se croisent un instant !
(L. de LAFAYE, « Le Soir », in Les Créoles, 1847, p 29.)
Kapo avant la lettre de cet univers concentrationnaire, le commandeur jouit de privilèges spéciaux. Un maître bénévole peut aller jusqu'à tolérer qu'il se fasse quelques économies :
Chez le commandeur, on trouve les plus beaux fruits de l'habitation ; on y boit de l'arack à pleins verres, ... quelquefois du
vin, des liqueurs, et le dimanche est une fête dans sa cabane, où
les élus seuls sont appelés ; c'est, en un mot, un être prédestiné :
il fait des économies, vole comme les autres noirs, mais avec
impunité, vend le superflu des produits de ses petits revenus,
rainasse ainsi quelques centaines de piastres dont le maître est
le dépositaire, et, quand il devient vieux, il achète sa liberté et
quelques gaulettes de terre [mesure agraire : quinze pieds carrés de superficie], se coiffe d'un [211] feutre à larges bords, met
des souliers pour la première fois, devient un homme libre, et
dit à ceux qui veulent l'entendre : Enfin je suis devenu blanc.
(PLUCHONNEAU aîné et H. MAILLARD, Physiologie des
nègres..., 1842, p. 58.)
Mais, par rapport au Blanc, le « collaborateur » reste tout aussi inférieur que le commun des esclaves noirs. Il paye son confort relatif
par le sentiment d'être un traître, et par le danger que représente la
haine de ceux qu'il opprime.
Reste enfin la révolte. Elle peut être dissimulée ou éclatante. Dissimulée, c'est celle des empoisonneurs, des Atar Gull. Ouverte, c'est
celle des marrons ou des révolutionnaires, Toussaint Louverture ou
Bug-Jargal.
Même révolté, le Noir continue à ne pouvoir se définir que par
rapport au Blanc ; il le fuit ou l'attaque, l'assassine ou se fait assassiner
par lui... Le Noir créole ne peut échapper au Blanc ; tant que le Blanc
est dans la colonie et l'esclavage dans le Code, le noir ne peut ni fon-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
303
der un foyer, ni cultiver son champ, ni choisir son métier, ni se déplacer à sa guise. Le Nègre marron n'est plus tout à fait esclave, il n'est
pas encore libre. Il le deviendra, en principe du moins, lorsqu'il aura
éliminé les maîtres, comme à Saint-Domingue, ou lorsqu'il aura les
mêmes droits civiques qu'eux, comme aux Antilles françaises cinquante ans plus tard.
Aussi n'ai-je trouvé que deux Nègres créoles qui me semblent pouvoir être considérés comme des personnages héroïques : Bug-Jargal et
le Toussaint Louverture de Lamartine. Et encore, c'est sans doute abusivement que je considère Bug-Jargal comme un Créole, puisqu'il est
le fils du roi de Kakongo et qu'il a été amené en Amérique tout enfant.
C'est ce que le lecteur n'apprend qu'au quarante-sixième chapitre d'un
roman qui en compte cinquante-huit : pendant les trois quarts de l'œuvre, le mystère plane sur les origines du héros. Sa qualité de prince
africain explique probablement pourquoi Bug-Jargal est si différent de
Biassou, autre chef rebelle, monstre sanguinaire et vaniteux et Créole
à part entière, lui. Quoi qu'il en soit, Bug-Jargal refuse d'admettre la
supériorité des Blancs ; il n'a pas de complexes : il aime la Blanche
Marie même en sachant que son amour est impossible ; il traite le
Blanc d'Auverney de « frère » parce qu'il ne se considère pas esclave
mais captif ; les Blancs ont pu posséder son corps, ils dont pas réussi à
faire de lui une bête obsédée par l'instinct de conservation ou la soif
de vengeance aveugle. Bug-Jargal est Noir comme Hernani est Espagnol, Chatterton Anglais ou Lorenzaccio Florentin. Comme en fin de
compte chez tout héros romantique, l'important est moins son ethnie
que son goût du malheur, sa solitude et son cheminement vers une
mort tragique.
[212]
Quant à Toussaint Louverture, est-ce à proprement parler un personnage littéraire ? Lamartine écrit, dans sa préface :
Ce drame, si toutefois ces vers méritent ce nom, n'était pas
dans ma pensée, quand je l'écrivis, une œuvre littéraire ; c'était
une oeuvre politique, ou plutôt, c'était un cri d'humanité en cinq
actes et en vers.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
304
(A. de LAMARTINE, Toussaint Louverture, Œuvres complètes, 1863, Vol. XXXII, p. a. [1re éd., 1850].)
Mais dans le Toussaint de Lamartine, il est difficile de reconnaître
le père de l'indépendance haïtienne. Ce personnage qui se déguise en
vieux mendiant, qui s'établit au Quartier Général de Leclerc, qui poignarde un traître devant tout l'état-major français sort tout droit du
mélodrame. La pièce est mauvaise, son auteur a été le premier à le
reconnaître. Il me semble néanmoins que par certains côtés Toussaint
est extraordinairement moderne. D'abord, il comprend la profonde
faiblesse des Noirs révoltés ; il analyse lucidement devant Leclerc et
Rochambeau les effets de l'esclavage sur l'âme de l'esclave :
Ne vous étonnez pas, Français, de ces abîmes
Où le noir cherche en vain ses sentiments intimes.
Comme le cœur du blanc notre cœur n'est point fait
La mémoire y grossit l'injure et le bienfait.
En vous donnant le jour, le sort et la nature
Ne vous donnèrent pas à venger une injure ;
Vos mères, maudissant de l'œil votre couleur,
Ne vous allaitent pas d'un philtre de douleur.
Dans ce monde, en entrant, vous trouvez votre place,
Large comme le vol de l'oiseau dans l'espace.
En ordre, dans vos cœurs, vos instincts sont rangés, Le
bien, vous le payez, le mal, vous le vengez.
Vous savez, en venant dans la famille humaine,
A qui porter l'amour, à qui garder la haine :
Il fait jour dans votre âme ainsi que sur vos fronts.
La nôtre est une nuit où nous nous égarons,
Lie abjecte du sol, balayure du monde,
Où tout ce que la terre a de pur ou d'immonde,
Coulant avec la vie en confus éléments,
Fermente au feu caché de soudains sentiments,
Et, selon que la haine ou que l'amour l'allume,
Féconde, en éclatant, la terre, ou la consume.
Nuage en proie au vent, métal en fusion,
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
305
Qui ne dit ce qu'il est que par l'explosion !... (Acte III, sc.
ix.)
C'est que Toussaint est plus qu'un révolté, c'est un révolutionnaire.
Il veut forger un pays et n'a pas peur de se salir les mains pour mener
à bien son ouvrage. A ceux qui lui reprochent de gouverner en despote
il répond :
Les noirs pour leur couleur n'avaient que du mépris ;
Pour prendre autorité sur ces faibles esprits,
Il fallut emprunter à nos tyrans eux-mêmes
La force dont leur sang était pour nous l'emblème. (Acte
II, s. ii).
[213]
Ici Toussaint parle en lointain ancêtre de ce roi Christophe d'Haïti
dont Aimé Césaire a écrit la tragédie. Et, un siècle avant Césaire, Lamartine a eu comme une prémonition de ce que le poète martiniquais
a baptisé la « négritude ». À son fils venu lui transmettre la proposition de Bonaparte : la tutelle pour Haïti, l'esclavage pour les autres
colonies, Toussaint répond :
Non, je n'affranchis pas Haïti de ses chaînes
Pour aggraver le poids d'autres races humaines
Tout affront par un noir en mon nom supporté
Me ferait détester ma propre liberté.
Qui la livre, mon fils, pour soi n'en est plus digne.
Tu vois dans quel esprit le chef des blancs la signe,
Il la tend en amorce aux noirs de nos climats,
Pour l'enchaîner ailleurs à l'arbre de ses mâts... (Acte V,
sc. vii.)
Curieuse pièce que ce Toussaint Louverture, où des vers splendides voisinent avec des vers ridicules, où des scènes pleines de la meilleure tension dramatique alternent avec des scènes d'une insupportable
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
306
mièvrerie. Mais on comprend que Frédérick Lemaitre ait accepté de
créer le rôle principal. Toussaint est d'une part une personnalité complexe, déchirée entre l'admiration et la haine des Blancs, entre son devoir politique et ses sentiments paternels, et de l'autre l'incarnation
d'un peuple neuf, cherchant à tâtons sa voie vers la dignité et le progrès. Toussaint se définit lui-même :
De la haine à l'amour flottant irrésolu
Son cœur est un abîme où son œil n'a pas la,
Ou l'amer souvenir d'une vile naissance
Lutte entre la colère et la reconnaissance.
Le respect des Français du monde triomphants,
L'orgueil pour sa couleur, l'amour de ses enfants,
L'attrait pour ce consul qui leur servit de père,
Leur absence qu'il craint, leur retour qu'il espère,
La vengeance d'un joug trop longtemps supporté,
Ses terreurs pour sa race et pour sa liberté,
Enfin, l'heureux vainqueur de ses maîtres qu'il brave,
Le noir, le citoyen, le chef, l'ancien esclave,
Unis dans un même homme en font un tel chaos
Que sa chair et son sang luttent avec ses os. (Acte III, sc.
ix.)
Bug-Jargal subit, dans l'angoisse, son destin. Toussaint forge le
sien. Bug-Jargal est essentiellement un solitaire. Toussaint est solidaire de ceux de sa race et même de l'humanité progressiste. La pièce de
Lamartine mériterait d'être mieux connue.
J'essayerai de montrer par la suite pourquoi les écrivains prennent
plus volontiers des Mulâtres que des Noirs pour personnages principaux. Lorsque l'action se déroule aux îles, les Nègres, qui jouent alors
des rôles subordonnés, fournissent la note exotique. Dans bien des
pièces figurent en fin de distribution des Nègres, négresses et négrillons ; [214] dans les romans, les Noirs d'une habitation paraissent
souvent en groupe, figurant des travailleurs, des serviteurs ou quelque
autre « foule » impersonnelle. Outre qu'ils parlent le français petitnègre, ces Noirs littéraires ont de particulier leur amour de la danse et
leurs superstitions plus ou moins vaudouesques.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
307
Dès les premières explorations de l'Afrique, les danses africaines
avaient intrigué les voyageurs européens. Ils y avaient vu l'expression
indécente d'une sensualité débridée et avaient conclu qu'un tel manque
de pudeur ne pouvait que prouver l'infériorité (et, pour les indulgents,
l'innocence) de ces primitifs. Les danses d'esclaves aux îles sont décrites également dès les premiers ouvrages sur les colonies. L'époque
romantique, partie à la découverte du folklore, se passionnera pour les
danses noires. Comme le conseille Édouard Corbière à son lecteur :
Si jamais vous allez aux Antilles, n'oubliez pas d'aller voir le
Bamboula. L'Opéra, avec toutes ses pompes factices, est bien
loin de valoir ce spectacle-là.
(E. CORBIÈRE, « Le Bamboula », Cabinet de lecture, 4
septembre 1832.)
Le nombre d'articles de journaux et de revues intitulés Un bamboula ou Une danse de Nègres est impressionnant, et il n'y a pratiquement
pas de romans ou de pièces où elles ne figurent. Le « Nègre qui danse » vu par les écrivains français mériterait une étude détaillée. Je me
bornerai à quelques remarques générales.
Si l'érotisme de l'homme noir est volontiers associé à la violence, si
le viol en est la manifestation la plus typique, c'est par la danse que
s'exprime l'érotisme de la femme noire. A la Guadeloupe, le voyageur
Ernest voit danser la Négresse Sabine. Il se croyait blasé, ayant vu les
tarantelles italiennes et le fandango espagnol, mais :
rien ne pouvait lui donner l'idée de la fureur lascive d'une négresse excitée par la danse.
Ces regards noyés, ces frémissements turbulents du geste,
ces pantomimes haletantes, ces cris profonds, cet abandon nerveux de son corps, qui se ployait et semblait se tordre sur le
bras du danseur...
(F. SOULIÉ, Le Bananier, 1858, p. 55 [1re éd. 1843].)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
308
Dans une note de ses Fables sénégalaises, le baron Roger est quelque peu interloqué, malgré sa sympathie évidente pour les manifestations artistiques des Africains :
La danse des négresses est de la plus grande indécence. Elles
forment un cercle et marquent la mesure par un mouvement du
haut du corps en avant, et par un claquement de mains. Chacune
d'elles quitte sa place à son tour, et saute au milieu du cercle ;
elle y prend des attitudes si lascives, si lubriques, qu'il ne serait
pas possible de les décrire. Ce spectacle grossier a quelque chose qui répugne [...] Il est vrai que les négresses ne paraissent pas
y mettre toujours les intentions dépravées qu'on pourrait supposer ; c'est comme une habitude très ancienne, qui se conserve en
quelque sorte innocemment [215] dans le pays ; tellement qu'on
voit des enfans de six ans exécuter cette danse, certainement
sans savoir à quoi elle se rapporte.
(J.-F. ROGER, Fables sénégalaises, 1828, p. 34-35.)
Blasis, lui, n'hésite pas à décrire la chica, aux mesures extrêmement marquées, dansée par les Noirs des Antilles et de l'Amérique
espagnole :
L'art pour la danseuse, qui tient les extrémités d'un mouchoir
ou les deux côtés de son jupon, consiste principalement à agiter
la partie inférieure des reins en maintenant tout le reste du corps
dans une sorte d'immobilité.
(C. BLASIS, Code complet de la danse, 1830, p. 58-59.)
Cette même danse, d'après Maurel, n'est qu'un prélude :
Il y a des négresses qui, tenant les bouts de leurs tabliers
dans leurs mains, figurent des sortes de drames, lesquels, je suis
fâché de le dire, tombent toujours, vers le dénoûment, dans des
réalités fâcheuses.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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(E. MAUREL, « Bamboula », Cabinet de lecture, 10 août
1838.)
Puisque tout ce que fait, pense ou représente un Noir est automatiquement interprété par les racistes comme une preuve supplémentaire
de son infériorité congénitale, il aurait été extraordinaire que la danse
échappât à cette universelle réprobation. Le docteur Cavenne vient de
décrire des médailles et des bas-reliefs anciens représentant des coryphées classiques :
En les voyant, on pourrait les comparer à des êtres supérieurs déchus, mais non à des singes lestes, souples, grimaciers
et lascifs, comme on est amené à le faire, en voyant les danses
des Nègres.
(Dr. Ch. CAVENNE, « Un bamboula au Fort-Royal », Le
Cabinet de lecture, 20 octobre 1834.)
Bien des écrivains, en voyant danser les Noirs aux colonies, auraient en somme pu avouer avec Stanislas de Wimpffen :
Jamais la volupté en action ne tendit de piège plus séducteur
à l'aveugle amour du plaisir. Aussi danser la chica est-il le bonheur suprême et je confesse avec beaucoup de confusion que
l'austérité de mes principes ne va pas jusqu'à m'interdire ce singulier spectacle toutes les fois que je suis à portée de le voir.
(S. de WIMPFFEN, Saint-Domingue à la veille de la révolution, 1911, p. 74 [1re éd., 1797].)
Les auteurs ont-ils donc été unanimes à ne voir dans le bamboula
qu'une pittoresque manifestation érotique ? Certains sont allés plus
loin, et ont profité des descriptions de danses nègres pour valoriser un
tant soit peu la femme noire... et avant tout sa beauté. J. Levilloux, par
exemple, montre la véritable transformation qui se produit lorsqu'une
esclave se met à danser ;
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
310
La danseuse parcourt lentement le cercle et imprime à tout
son corps un tremblement qui n'est pas sans grâces. Elle glisse,
elle ondule autour de [216] son danseur [...] dans les mouvements voluptueux de ses bras, dans le roulement lascif de ses
yeux, dans la monotonie même de ses évolutions, la belle négresse n'est plus l'esclave courbée vers la terre, mais une femme
embellie par la passion du plaisir.
(J. LEVILLOUX, Les Créoles, 1835, vol. II, p. 25.)
Les écrivains français ont rarement célébré la beauté noire. Pour
certains, la notion même de « beauté noire » paraissait une contradiction dans les termes. Quant à ceux dont les goûts étaient plus éclectiques, ils se heurtaient à une difficulté fondamentale : comment chanter, sans paraître paradoxal, les traits négroïdes que la langue française
choisit traditionnellement pour exprimer la laideur ? Ce n'est pas la
peau noire qui gêne, l'écrivain pouvant choisir tout un éventail de métaphores : « peau d'ébène », « couleur de la nuit », etc. Le noir, couleur péjorative, a par contre l'avantage de faire ressortir la blancheur
des yeux et des dents :
La belle négresse [...] est la Vénus de ces forêts primitives ;
ses charmes sont une peau qui le dispute en sombre éclat avec
l'ébène poli, de longs yeux à moitié ouverts dont le blanc brille
comme un diamant enchâssé dans le jais, des dents de l'émail le
plus pur […] Soubaïna se meut avec mollesse (idem, vol. I, p.
324).
Par ailleurs, la Vénus noire complémente l'Aphrodite blanche. Elle
offre à la volupté un interlude piquant et, au dire des connaisseurs, est
particulièrement douée pour les jeux de l'amour. Sa compétence en la
matière est devenue proverbiale, à tel point que, à la rubrique « Négresse » du Dictionnaire des idées reçues, Flaubert enregistre : « Les
négresses sont plus voluptueuses que les blanches. » Et c'est sans doute en vertu de quoi l'esclave africaine Nourmaal agrémente le harem
du sultan Aben-Ali :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
311
Au milieu de ses compagnes, blanches et belles à fatiguer les
regards, on l'eût choisie de préférence ; on la désirait cette fille
au teint d'ébène, comme, lassé de l'éclat et des chaleurs du jour,
on aspire à une nuit fraîche et embaumée.
(A. CHOQUART et G. GUENOT-LECOINTE, « L'Africaine », in Le Corridor du puits de l'ermite, 1833, p. 75-76.)
Mais comment célébrer les cheveux crépus, le nez épaté ou les lèvres épaisses ? Aussi n'est-ce guère sur ces caractéristiques que le
poète s'arrête, mais plutôt sur la grâce, l'harmonie du corps, l'élégance
de la démarche. C'est pourquoi
[En Éthiopie] le mot de beauté n'est point comme dans nos
cités une expression vide et d'un sens de convention ; la beauté,
là, n'est point un ornement stérile et fugitif, elle consiste dans
l'exquise harmonie de l'ensemble, dans l'harmonieux mélange
de la grâce et de la force, dans l'union intime des [217] charmes, de la forme et de la vigueur ou de la secourable souplesse
des muscles.
(V. HERBIN, « Zurapha l'Éthiopienne », Le Musée des familles, 12, 1844-1845, p. 146) 90.
Et c'est. évidemment la danse qui permet à la secourable souplesse
des muscles de pleinement s'exercer :
Que ces corps de femmes sont gracieux, flexibles, chaleureux ! Les membres frémissent d'une agitation délicieuse. Les
formes se détachent palpitantes de vie et d'action. Les yeux s'arrêtent involontairement sur l'admirable cambrure des reins, dont
la Vénus Callypige ne donne qu'une idée incomplète.
90
L'article de V. Herbin, qui raconte les aventures de Zurapha se termine de
façon amusante : la dernière phrase nous apprend qu'il ne s'agit pas d'une
femme mais de Zurapha la giraffe du Jardin des Plantes.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
312
(D. CH. CAVENNE, « Un Bamboula au Fort-Royal », Le
Cabinet de lecture, 29 octobre 1834.)
Même Louis Reybaud, peu suspect pourtant de négrophilie, est
ému par la Terpsichore noire. Il décrit la cale d'un négrier, où l'on voit
Mozambiques huileux, venus du cap Diga ;
Cafres et Nubiens, nés aux segmens des pôles
Guerriers du Zanzibar, aux convexes épaules
Malgaches, que jamais un poids ne fatigua ;
Et près d'eux, demi nue avec sa pagne blanche,
La fille du Congo, qui remuait la hanche
Si bien en dansant la Chéga.
(L. REYBAUD, « Le Négrier », Soirées littéraires de Paris,
s.d., p. 175.)
Tous les écrivains ne se sont pas bornés à considérer la danse
comme un spectacle suggestif ou comme l'occasion d'admirer la femme noire. Certains ont entrevu qu'elle répondait également à des nécessités psychologiques : mécanisme d'évasion symbolique, elle permet à l'esclave d'échapper un temps à sa condition, de retrouver une
sorte de liberté de l'âme grâce aux mouvements rythmiques. Un seul
exemple suffira ; dans Le Code noir, Scribe fait chanter aux Noirs
martiniquais le couplet suivant :
Tra, la, la, la, la, la, la, la !
Oui, bon noir ou bon mulâtre,
De la danse est idolâtre,
Et malgré tout son chagrin,
Quand résonne tambourin,
Pauvre esclave, danse ! danse !
Car la danse et la gaîté
Font oublier la souffrance
Et rêver la liberté !
Tra, la, la, la, la, la, la, la !
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
313
(E. SCRIBE, Le Code noir, 1842, Acte II, scène i.)
[218]
Mais la danse, opium des malheureux, a également une dimension
inquiétante. Sauf lorsque le maître ou le voyageur se fourvoie dans un
bamboula, elle est l'occasion pour les Noirs réunis d'échapper au regard du Blanc. Or le prisonnier, le détenu, l'esclave sont condamnés
par définition à vivre en état de constante surveillance. Toute infraction à cette règle représente pour le maître un danger en puissance,
puisqu'elle favorise la préparation de conciliabules, de complots, de
révoltes. Le colon sait bien que ses esclaves mènent une double vie.
Après le travail vient la vie nocturne des Noirs entre eux, qui s'organise autour des danses. Th. Pavie le signale, en montrant des esclaves
louisiannais se préparant à danser au son du banjo :
Quelle que soit la fatigue du soir, on voit toujours les Nègres
s'assembler ainsi pendant la nuit, remuer les branches d'arbres
qui flambent dans le feu, causer à voix basse et avec une gravité
solennelle, menant ainsi comme une seconde vie nocturne tout
entière pour eux, tandis que le jour est consacré au service du
maître.
(Th. PAVIE, « Le Nègre », Le Cabinet de lecture, 14 juillet
1831.)
Et la danse n'est pas toujours un exercice lénifiant, un dérivatif au
désespoir :
Vous ne sauriez croire combien cet exercice excitant de la
danse prédispose nos nègres à accomplir les desseins les plus
pervers. Les convulsions qu'ils éprouvent ici et l'irritation de
leurs organes si puissamment agités par ces chants et ce mouvement, ne sont trop souvent que les avant-coureurs des accidents que nous n'avons que trop l'occasion de déplorer dans
l'île.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
314
(E. CORBIÈRE, « Le Bamboula », Le Cabinet de lecture, 4
septembre 1832.)
Le colon se trouve donc partagé entre deux attitudes contradictoires. D'un côté il a intérêt à encourager les danses, fort goûtées de ses
esclaves, et qui détournent leurs énergies des projets de soulèvements
toujours à craindre. De l'autre, il a intérêt à les interdire, puisqu'elles
leur permettent de se réunir et de s'exalter les uns les autres. Qui plus
est, les danses sont partie intégrante des rites vaudou. A tel point que,
selon Moreau de Saint-Méry :
Le Calenda et le Chica ne sont pas les seules danses venues
d'Afrique dans la Colonie. Il en est une autre que l'on y connaît
depuis longtemps, principalement dans la partie Occidentale, et
qui porte le nom de Vaudoux.
Mais ce n'est pas seulement comme une danse que le Vaudoux mérite d'être considéré, ou du moins il est accompagné de
circonstances qui lui assignent un rang parmi les institutions où
la superstition et des pratiques bisarres ont une grande part.
(M. L. E. MOREAU de SAINT-MÉRY, Description... de la
partie française de l'isle Saint-Domingue, 1958, p. 64. [1re éd.
1797].)
Or il est bien connu que les empoisonneurs et les instigateurs de
soulèvements sont le plus souvent des sorciers, obis ou hougans à qui
[219] leurs fonctions religieuses donnent un ascendant particulier sur
leurs frères de race. On se souvient de Makandal, d'Olga la sorcière
cafre, de Three Fingered Jack, d'Habibrah. On se souvient également
de la chica des griotes dans Bug-Jargal qui
... accompagnent les chansons barbares de leurs maris par des
danses lubriques, et présentent une parodie grotesque des bayadères de l'Hindoustan et des almées égyptiennes. [...] Cette danse, dont les attitudes grotesques et la vive allure n'expriment
que le plaisir et la gaieté, empruntait ici de diverses circonstan-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
315
ces accessoires un caractère sinistre. [...] l'accent sinistre qu'elles donnaient à l'air joyeux de la chica, le gémissement aigu et
prolongé que la vénérable présidente du sanhédrin noir arrachait
de temps en temps à son balafo [...] et surtout l'horrible rire que
chaque sorcière nue, à certaines pauses de la danse, venait me
présenter à son tour [...] ne m'annonçaient que trop à quels affreux châtiments devait s'attendre le blanco profanateur de leur
Ouanga.
(V. HUGO, Bug-Jargal, 1967, p. 626-628 [1re éd. 1826].)
On comprend que les cérémonies vaudou aient fasciné l'imagination romantique. Elles représentaient en quelque sorte le summum du
folklore exotique, la manifestation exemplaire de l'âme primitive. A
cela venait s'ajouter la dimension mystérieuse de tout rite ésotérique.
De plus, le vaudou s'inscrivait – du moins le pensait-on – dans un projet de promotion politique et sociale, où la violence et le crime
jouaient un rôle important. Exotisme, mystère, action sociale, crime,
autant de mots clés, autant de thèmes de prédilection pour l'écrivain
romantique.
Ce n'est pas dire qu'ils aient eu des notions précises sur la nature et
les particularités du vaudou. Comment s'en étonner, puisque ce n'est
qu'au XXe siècle que les premières études sérieuses de chercheurs
comme Herskovits ou, plus récemment, Alfred Métraux ont paru ?
Certes, dès les premiers ouvrages sur les Antilles on parle de ces rites
bizarres auxquels s'adonnent les Noirs des plantations. Le père Labat
en 1722, le père Charlevoix en 1731 avaient des raisons pour ainsi
dire professionnelles de se pencher sur le problème. Moreau de SaintMéry a été le premier – à ma connaissance – à signaler les dangers du
vaudou :
Sans doute pour affaiblir les alarmes que ce culte mystérieux
du Vaudoux cause dans la Colonie, on affecte de le danser en
public au bruit des tambours et avec les battements de mains
[...]. Mais j'assure que ce n'est qu'un calcul de plus, pour échapper à la vigilance des magistrats, et pour mieux assurer le succès de ces conciliabules ténébreux, qui ne sont pas un lieu
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
316
d'amusement et de plaisir, mais plutôt une école où les âmes
faibles vont se livrer à une domination, que mille circonstances
peuvent rendre funeste.
(M. L. E. MOREAU de SAINT-MÉRY, Description... de la
partie française de l'isle Saint-Domingue, 1958, p. 68. [1re éd.,
1797].)
[220]
Il ne semble pas que l'on ait fait de progrès dans l'étude du vaudou
pendant la première moitié du XIXe siècle. L'évocation littéraire la
plus exacte, j'entends celle où la description des cérémonies correspond de plus près à celle qu'en donne Métraux, se trouve dans les numéros de juillet, août et septembre 1836 de la Revue des colonies,
sous le titre « Esquisses haïtiennes, Isalina ou une scène créole », de
l’Haïtien Ignace Nau. On y trouve des termes tels que humfô (case où
se déroulent les cérémonies), papaloi (prêtre), mambo (prêtresse) etc.,
que je n'ai retrouvés que sous sa plume.
La question n'est bien entendu pas de savoir si les descriptions de
cérémonies sont fidèles ou non, mais plutôt de chercher ce qu'elles
révèlent de l'image du Noir dans l'imagination collective. Une chose
est claire, le vaudou n'est jamais considéré que comme une superstition grossière, invention de charlatans, exprimant l'aspect le plus dangereux de la mentalité primitive. Personne à ma connaissance ne lui a
accordé le bénéfice du doute, n'a soupçonné qu'il était une véritable
religion, qu'il avait une dimension métaphysique, bref que :
Ses sectateurs lui demandent ce que les hommes ont toujours
attendu de la religion : des remèdes à leurs maux, la satisfaction
de leurs besoins et l'espoir de se survivre.
(A. MÉTRAUX, Le Vaudou haïtien, 1958, p. 11.)
Certains écrivains, Victor Hugo par exemple, semblent considérer
le vaudou surtout comme une parodie des rites catholiques. On se
souvient de la messe grotesque célébrée par l'obi Habibrah au camp de
Biassou. Le Père Dugoujon, dans ses Lettres sur l'esclavage, pense
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
317
que les Noirs antillais assimilent les objets du culte catholique tout en
conservant leur religion originelle. S'il n'a sans doute jamais assisté à
une cérémonie vaudou, il semble au moins avoir soupçonné qu'un
syncrétisme s'est opéré entre des croyances et des rites africains et certaines pratiques catholiques :
Le crucifix, les statues de la Vierge, les images des Saints,
ne sont pour eux que des fétiches. Ils ont conservé au sein du
catholicisme toutes les pratiques païennes ou mahométanes
qu'ils ont apportées de l'Afrique.
(Abbé DUGOUJON, Lettres sur l'esclavage, 1845, p. 73.)
Comme l'explique Alfred Métraux, la hantise du vaudou s'inscrit
dans cette psychose dont souffrent les Blancs des Antilles, hantés par
la crainte des vengeances noires et peut-être aussi par une mauvaise
conscience inavouée. Le culte vaudou, plus encore que les simples
bamboulas, échappe au regard du Blanc et permet à toute une dimension de l'âme nègre de s'y manifester de façon secrète et mystérieuse.
Voilà qui explique en grande partie pourquoi toutes sortes d'élucubrations [221] ont été prises pour argent comptant. Le naturaliste Descourtilz écrivait :
J'aperçus un groupe de nègres rendant furtivement un hommage idolâtre à leur wangua ou fétiche [...] une énorme couleuvre, objet de l'adoration de ces êtres superstitieux, et en faveur
duquel ils se privoient tour à tour de leur manger, et particulièrement de leur laitage. Cette couleuvre à tête de chien est si peu
dangereuse qu'elle tète les vaches et les négresses endormies
sans qu'elles en soient incommodées.
(M. E. DESCOURTILZ, Voyages d'un naturaliste, 1809,
vol. III, p. 113-114.)
Le vaudou est généralement assimilé à la sorcellerie, et à la rie la
plus épouvantable. Filtres magiques, orgies sacrées, Zombis ou mortsvivants, cannibalisme rituel, hypnotisme, poisons contre lesquels la
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
318
pharmacopée moderne se révèle impuissante, c'est à cela que se réduisait pour le Blanc le vaudou, la macumba, l'obeah ou le ñañiguismo 91.
C'est bien un mélange d'ignorance, de crainte, de moquerie et de répugnance qu'exprime le poète créole Poirié de Saint-Aurèle en décrivant
une cérémonie de Noirs guadeloupéens où l'on célèbre
Les hauts faits du Zamba, ce Béhémot d'Afrique,
Dans les airs flamboyants les verdâtres Zombis,
Les Kélers marronneurs, et l'arbre magnifique
Où sur des branches d'or scintillent les rubis,
Le Mondongre [sic] des bois vivant de chair humaine,
Le diable sur un bouc cheminant au combat,
Et les sorciers, noircis par sa fumante haleine,
Chantant la chanson du Sabbat.
(POIRIÉ de SAINT-AURÈLE, Les Veillées du tropique,
1850, p. 270-271.)
Bref, l'existence du vaudou, que les romantiques ont utilisé à des
fins esthétiques, confirme à l'imagination collective que les Noirs sont
congénitalement superstitieux. A l'article NÈGRE, le dictionnaire
Panckoucke signalait dès 1771 que :
Malgré cette espèce de fermeté, leur bravoure naturelle ne
les garantit pas de la peur des sorciers et des esprits, qu'ils appellent Zambys.
(PANCKOUCKE, Le grand vocabulaire français, 1771, T.
XIX, p. 127.)
91
Rites du Brésil, des Antilles anglaises et de Cuba correspondant au vaudou.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
319
Ducœurjoly, en 1802, reprend mot pour mot cette affirmation :
Leur bravoure naturelle ne les garantit pas de la peur des
sorcières et des esprits, qu'ils nomment Zombys.
(S. J. DUCŒURJOLY, Manuel des habitants.... 1802, vol.
II, p. 22.)
Et dans son roman Le dernier Caraïbe, publié en 1849, R. Brard
affirme à son tour :
Les nègres, quelle que soit leur vaillance naturelle, faiblissent toujours dans les circonstances où il y a apparence de merveilleux (p. 83).
[222]
On a vu que la majorité des personnages noirs sont des esclaves et
que, jusqu'en 1848, négritude et esclavage sont pratiquement synonymes. A tel point qu'une fois indépendante, Haïti n'intéresse pratiquement plus les écrivains. Les graves difficultés intérieures dans lesquelles se débattait la République noire auraient dû servir d'argument aux
esclavagistes : n'avaient-ils pas prédit que l'émancipation entraînerait
les pires catastrophes ? Et d'anciens colons, comme Alphonse Rivet,
d'exprimer leur rancœur :
Assurément l'on sait, assez pour que j'en parle,
Ce qu'il advint du sol, quand l'esclave eut vaincu !
Comment on fit du meurtre une affaire d'écu,
Et quel fut le traité qu'accepta le roi Charle !...
...........................
Charle est mort condamné ! Saint Domingue barbotte
Dans la corruption et l'abrutissement ;
L'inexorable faim appuie obstinément,
Sur le cou des vainqueurs, le talon de sa botte
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
320
Misère ! Et le pays que ses riches abords
Avaient fait surnommer la France des Antilles,
N'est plus qu'un grand désert, où d'errantes familles
Vaguent, effroi de ceux qui visitent ces bords.
(A. RIVET, Les Voix coloniales, 1841, p. 88-89.)
Mais les textes de ce genre sont rares. Le public français s'était
sans doute lassé de la « question haïtienne ». On s'était tiré du guêpier,
les malheurs de l'île ne regardaient plus que ses habitants. Le problème du jour était l'esclavage aux colonies françaises, non pas la famine
dans un pays étranger.
Dieu sait si l'histoire haïtienne de la première moitié du siècle est
riche en péripéties ! Pourtant, outre deux ou trois nouvelles de caractère plutôt régionaliste, je n'ai trouvé qu'un seul ouvrage d'imagination
qui prenne la République noire pour cadre. Il s'agit d'un à-proposvaudeville en un acte de Duvert et Lauzanme : La Fin d'une république, ou Haïti en 1819. Les noms et qualités des personnages principaux donnent d'emblée le ton : « Petitpatapon, noir, savetier et commandant de génie », « Rémoulade, noir, marchand de friture et général », « Liseron, mulâtre, maire », etc. L'accoutrement de Rémoulade
est devenu traditionnel : une défroque militaire de Blanc qui ajoute au
burlesque du personnage :
Rémoulade porte un habit de général surchargé de broderies,
épaulettes plates comme les épaulettes anglaises, sabre de cavalerie, chapeau à cornes surmonté d'un grand plumet rouge. Il
porte son chapeau d'une façon grotesque. [...] Par-dessus ce costume, il porte un tablier de cuisine et des bouts de manche en
toile qui vont jusqu'au coude (sc. iv).
Ce genre de fine plaisanterie a la vie dure : nous rions toujours des
gros chefs cannibales portant gibus et manchettes de celluloïd dont
[223] les humoristes peuplent l'Afrique. Quoi qu'il en soit, La Fin
d'une république met en scène des protagonistes noirs qui professent
le plus grand mépris pour les Blancs, cette race bâtarde qui tient le
milieu entre l'homme et le singe... mais qui se révèlent prêts à toutes
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
321
les bassesses pour se procurer une prétendue liqueur magique qui
blanchit la peau. Nos héros sont des républicains à tout crin... qui acclament l'empereur Faustin ler aussitôt faits comte de Petitpatapon et
due de Rémoulade 92. Ce vaudeville mérite d'être lu : ses plaisanteries
généralement faibles et toujours méchantes n'ont hélàs rien d'archaïque et seraient sûrement appréciées par bon nombre de nos contemporains. Et même les lecteurs qui ne goûtent pas ce genre d'ironie pourront constater une fois de plus que le racisme s'exprime aujourd'hui
exactement par les mêmes clichés qu'il y a plus d'un siècle.
Après les personnages noirs habitant l'Afrique ou les îles, reste à
mentionner ceux qui paraissent dans les ouvrages ayant tout bonnement Paris ou la province pour cadre. Rappelons à titre d'exemple que
Charles Mignon revient des colonies avec un cuisinier et un cocher,
nègres tous deux, une mulâtresse et deux mulâtres sur la fidélité desquels il pouvait compter (Modeste Mignon, Pléiade I, p. 500) ; que,
toujours chez Balzac, la voiture du baron Montés est menée par des
nègres parfaitement esclaves et très bien battus (La Cousine Bette,
idem, VI, p. 478) ; c'est l'un de ces Noirs qui transmettra à la courtisane Cydalise la maladie vénérienne dont mourront Valérie Marneffe et
le père Crevel. Dans Un cœur simple, de Flaubert, c'est le Nègre du
baron de Larsonnière, ex-consul en Amérique, qui donne à Félicité le
perroquet Loulou. Nombre de serviteurs noirs paraissent dans le Fortunio de Théophile Gautier : pendant l'orgie chez le comte Georges, le
service est fait par de petits nègres tout nus. Jack, négrillon entièrement vêtu de noir, est chargé de la chatte blanche de la courtisane Musidora. Il périra d'ailleurs dans l'incendie allumé par Fortunio. Et dans
sa maison de campagne, notre surhomme est servi par des eunuques
noirs quand il se baigne en compagnie de sa maîtresse. Des serviteurs
noirs (et muets) paraissent au quatrième acte de Ruy Blas. Tout cela
ne tire guère à conséquence. Cette domesticité apporte une touche pittoresque et rappelle les fastes de l'Ancien régime où les personnes de
qualité tenaient à se faire servir par des Noirs portant des livrées inspirées de Véronèse. Plutôt que de véritables personnages, ce sont les
symboles d'une opulence et d'une fantaisie dont la France bourgeoise
de Louis-Philippe avait la nostalgie.
92
Nommé président par le Sénat en 1847, Faustin Soulouque se fit proclamer
empereur sous le nom de Faustin 1er deux ans plus tard. Il fut renversé en
1859 et s'exila à la Jamaïque.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
322
Bien plus intéressante est l'Ourika de Madame de Duras. On se
souvient de l'anecdote : emmenée en France à l'âge de deux ans, la
[224] Négresse Ourika est élevée par Mme de B. Son enfance est heureuse : « vêtue à l'orientale », elle est cajolée par tout ce que la société
prérévolutionnaire compte de plus distingué. Elle participe plus tard
en toute innocence à un quadrille des quatres parties du monde où elle
représente l'Afrique et danse la comba. Elle reçoit une éducation soignée, apprend l'italien et l'anglais comme il sied à une jeune fille de
bonne famille. Le réveil sera rude. Elle surprend un jour une conversation entre Mme de B. et une amie qui lui révèle sa triste condition :
Qui voudra jamais épouser une négresse ? Et si, à force d'argent, vous trouvez quelqu'un qui consente à avoir des enfants
nègres, ce sera un homme d'une condition inférieure, et avec
qui elle se trouvera malheureuse.
(C. de DURAS, Ourika, 1824, p. 48-49.)
Ourika est au désespoir ; sa propre figure lui fait soudain horreur
Je n'osais plus me regarder dans une glace ; lorsque mes
yeux se portaient sur mes mains noires, je croyais voir celles
d'un singe ; je m'exagérais ma laideur, et cette couleur me paraissait comme le signe de ma réprobation (idem, p. 57).
La révolution éclate, mais Ourika comprend vite que les beaux discours sur l'égalité ne sont que du vent : le préjugé de couleur reste
tout-puissant, même chez ceux qui font profession de l'attaquer. Les
massacres de Saint-Domingue détruisent ses dernières illusions :
Les massacres de Saint-Domingue me causèrent une douleur
nouvelle et déchirante : jusqu'ici je m'étais affligée d'appartenir
à une race proscrite ; maintenant j'avais honte d'appartenir à une
race de barbares et d'assassins (idem, p. 78).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
323
Pour comble de malheur, Ourika comprend qu'elle aime éperdument Charles, le petit-fils de Mme de B. avec qui elle a été élevée. Le
jeune homme, qui ne soupçonne pas un instant les sentiments de sa
sœur adoptive, épouse la belle Anaïs de Thémines. Ourika se réfugie
dans un couvent pour y mourir de chagrin.
L'originalité de ce petit roman est évidente. C'est la première fois
dans notre littérature que le préjugé de couleur est exposé dans toute
son absurdité. Rien en effet, si ce n'est sa race, ne distingue Ourika des
jeunes filles les plus accomplies. Aucune attache ne la relie plus à son
pays d'origine, aucun problème d'appartenance culturelle ne serait venu compliquer son mariage. Son malheur est uniquement dû à la veulerie d'une société qui se prétend éclairée et qui est en fait régie par ses
opinions préconçues. Un instant tentée par la révolte, Ourika se résigne à sa condition, se plie à la volonté du ciel, subit sa négritude
comme on subit quelque maladie incurable. Cette victime n'a rien
d'héroïque ; elle ne sait que souffrir et pleurer, elle est sans aucune
défense. Sa vulnérabilité met en relief la méchanceté gratuite et inconsciente [225] de ceux qui refusent, sans se demander pourquoi, de
considérer les Noirs comme des hommes à part entière. Madame de
Duras n'adopte pas le ton vengeur des écrivains engagés dans une lutte
idéologique. Pour avoir été composé sur le mode mineur, son roman
n'en a été que plus percutant. Les colons des îles ne s'y trompèrent
pas, qui traitaient l'auteur (fille elle-même d'une Créole de la Martinique) de négrophile. Ourika connut en son temps une vogue considérable, fut réédité une dizaine de fois en cinquante ans, traduit plusieurs
fois en anglais et en espagnol. Gœthe l'admirait 93.
Ourika inspira des élégies à Delphine Gay, à Gaspard de Pons, à
Pierre-Ange Vieillard, à Ulric Guttinger. Celle de Gaspard de Pons
étant la plus intéressante, j'en citerai plusieurs stances. Il imagine Ourika au lit, tourmentée par le désir :
... La flamme qui m'embrase a le droit de la dompter. [la
pudeur]
Que je plie à vos lois ma dévorante ivresse,
93
La dernière en date des éditions d'Ourika a paru chez Stock en 1950, avec
une intéressante préface de Jean Giraud.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
Suis-je moins à vos yeux, suis-je moins la négresse ?
L'outrage me poursuit, je veux le mériter.
Fuis tes femmes du nord dont la froideur m'outrage ;
Viens, Charle ! A nos regards, dans mon désert natal,
S'offre un vert oasis, que l'arbre colossal,
Le vaste baobab couvre de son ombrage.
Là, cent noires beautés viendront briguer ton choix ;
C'est moi qui te plairai, car je suis la plus belle...
Non, voilons-nous, mes sœurs ; non, sa fierté rebelle
Ne sait comprendre, hélas ! vos charmes ni ma voix.
Connais-tu nos faveurs que ton orgueil refuse ?
Nous savons (je le sais car je l'ai deviné)
Des feux tels que jamais tu n'en as soupçonné
Ils feront ton bonheur, ils feront mon excuse.
L'Africaine, vendue aux voluptés des blancs,
Dans les bras d'un tyran dont elle est dédaignée,
De ses propres transports vainement indignée,
L'enivre avec fureur de ses baisers brûlants.
Il m'aime, il est ici, je suis heureuse enfin .
Je jouis donc enfin de toute ma victoire !
Comme il bat, comme il bat sous cette main d'ivoire,
Cet ébène amoureux qui s'enfle avec mon sein ! […]
Garde-toi d'éveiller des douleurs africaines !
Tu parles d'amitié, de ce faible lien
Qui brise un cœur jaloux si mal connu du tien !
Le sang des Othello bout toujours dans mes veines.
[226]
J'épuise la souffrance, il me faut le remord :
Un crime n'est rien, rien, s'il est la vengeance.
Frappons... N'entends-je pas votre Dieu d'indulgence ?
O rage ! il m'interdit l'homicide et la mort.
Je le crains ; cependant, en dépit de sa foudre,
324
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
325
Que ne puis-je égorger l'objet de tes amours !
Puis, t'enlaçant du bras qui trancha ses beaux jours,
Sur mon cœur bondissant te forcer à m'absoudre ! [...]
Et de ta main dussé-je expirer poignardée,
Je ne sentirai pas l'horreur du coup fatal
Dans ce bonheur cuisant qui semble presque un mal,
Dans la sueur de feu dont je meurs inondée.
(G. de PONS, « Ourika l'Africaine », in Inspirations poétiques, 1825, p. 217-223.)
On voit ce qui s'est passé : Gaspard de Pons transforme l'héroïne :
d'une jeune fille que rien ne distinguait de ses compagnes françaises
sauf la couleur de son épiderme, il fait le prototype de la Négresse telle que l'imagination collective se la figurait. La luxure et la soif de
vengeance sont les traits dominants de sa personnalité. L'éducation n'a
rien changé de son caractère, entièrement déterminé par le sang des
Othello dont elle est issue. Certes, en bon romantique, le poète est attiré par cette violence exotique. Mais ne confondons pas littérature et
réalité. Ces Africaines qui brûlent d'amour et de jalousie hantent les
rêves des poètes bourgeois. Revenus sur terre, ils jugent sévèrement
ces tentations oniriques.
L'insipide romance d'Ulric Guttinger, mise en musique par Amédée de Beauplan, eut autant de succès que, plus tard, L'Andalouse de
Musset. On donna le nom d'Ourika à une coiffure. Le peintre Gérard
exposa une Ourika en 1825 dont Alfred Johannot fit une eau-forte.
Madame Augustine Dudon se hâta de composer La nouvelle Ourika,
ou les avantages de l'éducation 94. Madame Ballent et J. Quantin
s'inspirent visiblement de Madame de Duras dans leur nouvelle La
Négresse, publiée en 1826 : Marie, fille d'un ancien combattant Nègre,
est recueillie à Tours par Mine Bertaut. Son fils Henry veut épouser
Marie, mais Monsieur Durand, oncle du jeune homme, n'accordera
son consentement que si Henry part d'abord pour un voyage de dix94
Cette nouvelle Ourika, fille naturelle d'une quarteronne ne nous intéresse
pas ici. Ce qui la détermine, c'est son illégitimité, non pas sa négritude. B.
de Roquefort donne une analyse détaillée du roman dans le Panorama des
nouveautés du 4 septembre 1824.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
326
huit mois. Le neveu parti, l'oncle se déclare à Marie ; elle refuse, et
Durand incite contre elle la société tourangelle. Pour échapper aux
persécutions, Marie se retire dans un couvent. Henry l'en tire, l'épouse
et part avec elle pour Paris, où ils espèrent trouver plus de tolérance
qu'en province.
[227]
Les fournisseurs de théâtres ne manquèrent pas d'adapter pour la
scène le succès du jour. Le mélodrame en un acte de Merle et De
Courcy reste relativement fidèle au roman, si ce n'est qu'Ourika se
suicide en se jetant dans un étang et qu'apparaît le serviteur Zago, baragouinant le petit-nègre. Dans le drame en un acte de Mélesville et
Carmouche, Ourika se rembarque pour le Sénégal lorsqu'elle apprend
que Charles en épouse une autre :
Eh ! bien, je serais la négresse esclave de quelque riche colon, brûlée par le soleil, je cultiverais la terre d'un autre... mais
j'aurais une humble cabane pour me retirer le soir ; j'aurais un
compagnon de ma vie, et des enfants de ma couleur... qui m'appelleraient ma mère !
(J.-T. MERLE et F. de COURCY, Ourika, ou l'orpheline
africaine, 1824, acte I, sc. xviii.)
Quant au mélodrame de Villeneuve et Dupeuty, il ne garde plus
grand-chose du roman : Ourika est la fille d'un esclave de SaintDomingue qui a sauvé la vie du père de la Créole Élise pendant la révolution. Ourika est riche, son ancien maître lui ayant légué sa fortune. Elle rencontre à Marseille un marin noir, le capitaine Jack, qui
tombe amoureux d'elle. Mais elle aime Édouard, jeune homme blanc,
beau, aimable et pauvre. Or celui-ci veut épouser Élise. Quand Ourika
l'apprend, elle confesse par lettre son amour à Édouard, lui laisse sa
fortune et part au Sénégal avec Jack. Tout finit donc relativement
bien.
Dans ces trois pièces, l'intérêt porte surtout sur l'amour non partagé. Le fait qu'Ourika est Noire n'est pas déterminant. Le spectateur
peu exigeant sortait peut-être du théâtre en plaignant l'héroïne, mais il
est peu probable que sa bonne conscience ait été ébranlée. Ce que,
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
327
prétend Girault de Saint-Fargeau au sujet du roman me semble mieux
s'appliquer aux pièces qu'on en a tiré :
Ourika cesse d'être noire à la lecture, et voilà pourquoi on
s'intéresse si vivement à son sort.
(GIRAULT de SAINT-FARGEAU, Revue des romans,
1839, vol. I, p. 202.)
Peu importe, en l'occurrence. Il est déjà beau que les fabricants de
mélodrames n'aient pas transformé Ourika en une primitive dominée
par ses mauvais instincts.
Lorsqu'un roman de l'époque est adapté pour la scène, il s'en trouve
le plus souvent lénifié. Nous avons déjà observé ce phénomène dans
les pièces négrophiles de la Révolution. Un exemple supplémentaire
est fourni par Atar-Gull, mélodrame en trois actes tiré du roman d'Eugène Sue par Anicet Bourgeois et Michel Masson. La troisième scène
se passe à Paris et Atar-Gull, devenu comme dans le roman M. Targu,
jouit du malheur de Tompson, son ancien maître. [228] Là, les auteurs
abandonnent la trame d'Eugène Sue. Jenny Tompson n'a pas été tuée
par le héros. Elle retrouve même son père mourant, qui donne sa main
au seul ami qui lui reste, en qui il a toute confiance : Atar-Gull. Voilà
qui tombe bien, car Jenny est amoureuse de lui. Mais notre personnage confesse ses crimes et meurt de douleur et de repentir. Le crime est
puni, la vertu finit par triompher, les exigences du mélodrame sont
remplies. Montrer une Blanche prête à épouser un homme d'une autre
race était bien risqué. Comme jadis Ducis en adaptant Othello, Bourgeois et Masson ont cru devoir atténuer cette audace en faisant du
Noir africain d'Eugène Sue un Mulâtre créole à la peau légèrement
bronzée.
Pour revenir à Eugène Sue, on trouve dans Les Mystères de Paris
un Noir qui s'est mieux intégré qu'Ourika à la société française. Il
s'agit du bras droit du prince Rodolphe, le docteur David, qui est là
pour guérir les blessures de son patron et parfois pour servir sa justice.
C'est lui par exemple qui exécute la sentence portée par Rodolphe en
ôtant les yeux au criminel Anselme Duresnel, dit le Maître d'école.
L'histoire du docteur David est racontée au vingt-deuxième chapitre
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
328
du roman. David était l'esclave de M. Willis, riche planteur américain
de la Floride, qui l'avait envoyé en France pour faire ses études de
médecine. David rejoint la plantation huit ans plus tard, son diplôme
en poche. Certes, il était devenu libre et émancipé de fait et de droit
en mettant le pied en France, mais il avait promis à son maître de revenir, et d'ailleurs il voulait se mettre au service de ses frères esclaves,
se promettant d'être non seulement leur médecin, mais leur soutien,
mais leur défenseur auprès du colon. Et c'est en fait ce qui se passe,
jusqu'au jour où David tombe amoureux de la belle Mulâtresse Cecily.
Hélas, Willis a jeté son dévolu sur la jeune fille. Il fait fouetter David,
viole Cecily et les enchaîne tous deux dans un affreux cachot. Lorsque
le prince Rodolphe, de passage en Floride, s'arrête chez Willis, le colon s'enivre et montre la prison à ses visiteurs :
Hâves, décharnés, à moitié nus, couverts de plaies, David et
cette malheureuse fille, enchaînés par le milieu du corps, l'un à
un bout du cachot, l'autre du côté opposé, ressemblaient à des
spectres.
(E. SUE, Les Mystères de Paris, 1843, chapitre XXII.)
Rodolphe ne pipe mot, mais la nuit suivante, il débarque avec ses
matelots, libère les deux esclaves et les emmène avec lui en France,
non sans avoir préalablement laissé 25 000 francs en or au méchant
planteur, car cet enlèvement blessait le droit des gens, malgré tout.
David épouse sa bien-aimée, mais une fois en Europe Cecily commence à avoir honte d'avoir épousé un Nègre. Elle le trompe, et cette
première infidélité réveille sa lubricité naturelle. Elle se jette dans une
[229] débauche effrénée. David voulait tuer l'infidèle, mais Rodolphe
l'en dissuade. Cecily est enfermée à vie dans une forteresse. Elle n'en
sortira que sur les ordres du justicier, qui la chargera de rendre fous de
luxure les malfaiteurs qu'il veut châtier. Nous la retrouverons.
Ce qui me semble intéressant ici, c'est que David n'est pas un subalterne. Il est médecin... et dans la société bourgeoise de la monarchie de juillet, le médecin est devenu un héros, les professions libérales ayant surpassé l'armée ou l'aristocratie oiseuse dans l'échelle des
valeurs. Ce Nègre qui égale les meilleurs des Blancs non seulement
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
329
par sa vertu (ce qui était déjà devenu un poncif littéraire) mais aussi
par les connaissances techniques les plus prestigieuses, est une exception, mais une exception intéressante. C'est l'illustration vivante d'un
paternalisme qui nous est familier : si l'infériorité intellectuelle du
Noir n'est pas sérieusement mise en doute, on conçoit que quelques
rares individus puissent se mettre à l'école des Blancs. Certains sujets
d'élite s'assimileront parfaitement à la culture occidentale, jusqu'à ne
garder de leurs origines africaines que la couleur de la peau.
LE MULÂTRE
Retour à la table des matières
Si l'on trouve relativement peu de personnages Mulâtres dans la littérature française avant 1815, ils vont inspirer bon nombre d'écrivains
à l'époque romantique. Plusieurs raisons à cela. D'abord, à partir des
événements de Saint-Domingue, leur existence en tant que groupe
ethnique est révélée au public français. On sait le rôle qu'ils ont joué
pendant la Révolution, non seulement aux îles mais aussi dans les Assemblées de la Métropole, où leurs représentants vinrent défendre les
intérêts de leurs frères de race 95. Pendant la Restauration et la monarchie de juillet, ils arrachèrent peu à peu la reconnaissance d'un statut
légal spécial et militèrent dans les rangs abolitionnistes. « Une société
d'hommes de couleur », sous la direction de C. C. A. Bissette, publiait
à Paris la Revue des colonies. Cet organe de propagande, qui se spécialisait également dans l'évocation littéraire de la vie créole, touchait
un nombre considérable de lecteurs. Tant et plus que les mauvais traitements infligés aux esclaves noirs, la Revue dénonçait les humiliations et iniquités de toutes sortes dont les hommes de couleur libres
étaient les victimes.
Auprès d'un certain public tout au moins, le Mulâtre jouissait d'un
grand prestige : des origines exotiques, des antécédents familiaux
mystérieux, avec probablement à la clé quelque tragique histoire de
95
Voir, entre autres, G. DEBIEN, Gens de couleur libres et colons de SaintDomingue devant la Constituante, 1950-1951, et Y. DEBBASCH, Couleur
et liberté, 1967.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
330
violence, de proscription et de vengeance, voilà qui faisait passer un
[230] délicieux frisson dans le dos des Bousingots, des Jeune-France
et autres bourgeois honteux. Louis Maigron a signalé cet engouement :
Est-on né par bonheur « sous le ciel des Tropiques » et
compte-t-on parmi ses ancêtres des mulâtres ou tout au moins
des métis : c'en est assez pour se croire investi d'une supériorité
éclatante, – puisqu'on a ainsi naturellement le « teint démoniaque », – et pour le proclamer avec une conviction naïve – et des
vers faux – comme ce James W***, qui, en juillet 1834, faisait
tenir à sa mère ce singulier hommage de reconnaissance filiale !
Vous avez vu le jour dans les contrées brûlantes
Où le ciel fait pleuvoir des déluges de feu ;
Vos yeux ont des éclairs de flammes dévorantes ;
Leurs paupières jamais n'ont recouvert de bleu...
Et moi ton fils chéri, l'enfant de ta tendresse,
J'ai l'œil profond et noir, et le teint des démons.
O ma mère ! merci ! Reçois mon allégresse
Tu m'as créé plus beau que tous mes compagnons !...
(L. MAIGRON, Le Romantisme et la mode, 1911, p. 225.)
Mais le Mulâtre n'intéressait pas seulement les abolitionnistes militants ou les fervents de l'école frénétique. En lui s'incarnaient toute
une série de thèmes chers à l'imagination collective de l'époque. Avant
de passer en revue quelques-uns de ces thèmes, une remarque préliminaire :
Le personnage Mulâtre est généralement plus complexe que le
Noir. Nous avons vu en effet que, pour parler en termes de théâtre, ce
dernier n'avait qu'un nombre limité d'emplois : victime résignée, criminel primitif, héroïque insurgé, Bon Nègre épanoui. C'est que, dans
la réalité comme dans l'imaginaire, le Noir, c'est l'Autre, l'étranger,
l'intrus ; il lui faut s'adapter au monde blanc, mais de par sa couleur il
n'en fera jamais partie ; il en subira le devenir sans participer à son
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
331
élaboration. Devant sa propre négritude il ne peut choisir qu'entre
deux attitudes possibles : l'acceptation stoïque et la revendication par
la révolte. Le Mulâtre a par contre du sang blanc dans les veines, ce
qui complique la situation. On est bien forcé de lui assigner une place
spéciale dans l'échelle des valeurs ; elle se situera tout naturellement
entre le zénith européen et le nadir africain. C'est alors qu'apparaît
l'absurdité de la philosophie raciste : faut-il faire la même part à celui
qui n'a d'ancêtres noirs qu'une grand-mère et à celui qui n'a d'ancêtres
blancs qu'un grand-père ? 75 % de sang blanc ne pèse-t-il pas plus
lourd dans la balance que 75 % de sang noir ? Quel rapport établir entre la valeur purificatrice des globules européens et la valeur corruptrice du plasma sénégalais ? L'opprobre séculaire qui pèse sur l'esclave peut-il vraiment passer sur un homme dont la bisaïeule était déjà
affranchie, qui est lui-même né libre de [231] parents libres, qui va
peut-être s'approvisionner au marché aux esclaves pour exploiter sa
propre plantation ? On se souvient de la terminologie byzantine des
îles, qui distingue les sang-mêlés « mulâtres », « tercerons saltatras »,
« griffes » et ainsi de suite. Pitoyable effort de classification ; après
trois ou quatre générations, l'hématologie raciste n'y retrouvait plus
ses petits.
La société traite le Mulâtre très différemment, selon le lieu et le
temps. Certains sont esclaves, et ne se distinguent guère des Noirs.
Certains appartiennent à cette classe intermédiaire de contremaîtres et
d'artisans auxquels on concède la liberté mais pas l'égalité. Certains de
ces affranchis ou descendants d'affranchis sont riches et propriétaires
d'esclaves. Et les origines du général Dumas et de son fils le romancier ne les ont pas empêchés de s'assimiler parfaitement à la société
métropolitaine.
Comme toujours, la fiction reflète la réalité et nous trouvons en littérature des Mulâtres de toutes conditions, placés devant des problèmes très différents, selon qu'ils se trouvent en France ou aux colonies,
selon également la législation en vigueur au moment où se déroule
l'action. Et il va sans dire que les opinions de l'auteur en matière d'esclavage et de préjugé de couleur sont déterminantes dans la création
de son protagoniste. Aussi est-il moins facile d'arriver à des généralisations sur les personnages Mulâtres que sur les personnages Noirs.
On peut formuler au départ une hypothèse de travail : pour le raciste, le Mulâtre, assimilé au Nègre, suscite une répugnance encore plus
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
332
profonde que celui-ci. Il est la vivante incarnation du danger suprême : le métissage, la bâtardise, la déchéance de la sauvagerie africaine. Pour l'écrivain qui se veut sans préjugés, le Mulâtre est par contre
assimilé au Blanc : il s'agit de prouver que la partie noire de son hérédité ne l'empêche pas de se développer, intellectuellement, moralement et affectivement dans la même direction que la race des Seigneurs. C'est ainsi que l'auteur anonyme des Mœurs des trois couleurs
aux Antilles écrit :
Les Mulâtres provenus du mélange du sang Européen et
Africain, quand ils sont libres ou qu'ils viennent en France, développent dans la société les qualités les plus estimables ; bons
pères, bons maris, ils se distinguent encore par l'éclat des talens
et du courage ; dans l'ordre civil comme dans l'état militaire, on
les a vus et on les voit tous les jours se piquer d'émulation, et se
montrer par un esprit juste et une bravoure à toute épreuve, tout
aussi recommendables par leurs mœurs et leur probité.
(Anon., Mœurs des trois couleurs, 1822, p. 13-14.)
On peut s'attendre à voir le raciste choisir des personnages Mulâtres criminels, aisément reconnaissables à leur trait sombre et à leur
faciès [232] africain. Tel ce conciliabule d'hommes de couleur martiniquais décrit par Maynard de Queilhe :
C'était une bande de nègres et de mulâtres dont les physionomies rivalisaient de bassesse et de cruauté. Toutes les nuances, depuis un jaune sale jusqu'à un noir plus sale encore, composaient les différents teints. On eût dit qu'on leur avait barbouillé la face avec leur âme.
(L. MAYNARD de QUEILHE, « Les Trois nuits de la Martinique », Le Voleur, 10 août 1833.)
Quant à l'écrivain large d'esprit, il créera de préférence des Mulâtres héroïques, aux traits réguliers et à la peau très claire. Toute une
série de ces héros ont tellement peu de sang noir dans les veines qu'ils
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
333
passent pour des Blancs et vivent dans la hantise de voir révélés leurs
antécédents. Certains ignorent eux-mêmes qu'ils comptent un Noir
parmi leurs ancêtres.
La noirceur de l'épiderme reflet de la noirceur de l'âme est une ressource traditionnelle de la rhétorique raciste. Les écrivains qui ont
créé des Mulâtres dont le léger bronzage ou la pâleur du teint annoncent toutes sortes de vertus ont inconsciemment sacrifié au même préjugé ; simplement, au lieu d'insister sur la nocivité du sang noir, ils ont
souligné que la valeur rédemptrice du sang blanc (surtout lorsqu'il
prédomine largement) en neutralise l'action délétère. La différence
entre les deux points de vue ne porte pas sur l'essentiel.
Que cherche un auteur en créant un personnage Mulâtre ? D'abord,
il peut bien entendu vouloir donner la note exotique. Les Mulâtres
forment aux îles un groupe social trop important pour que leur présence puisse être négligée. Car, autant sinon plus que le climat tropical et
la végétation luxuriante, c'est la grande diversité des types humains
qui caractérise les Antilles :
Il n'est pas jusqu'aux hommes eux-mêmes qui ne soient différents de vos populations d'Europe : là les peaux sont blanches,
cendrées, jaunes, rouges, marrons, bronzées, noires ; les cheveux sont plats ou crépus, soyeux ou durs ; les nez sont droits et
effilés, ou larges et épatés ; la laideur la plus ignoble naît, existe
et meurt à côté du plus beau type de la figure humaine ; tout est
contraste, variété, opposition et bigarrure.
(V. CHARMER et E. CHAPUS, « L'Épave, », in Titime,
1833, p. 268.)
Et ce n'est pas seulement par leur aspect physique que les Blancs,
les Mulâtres et les Noirs se distinguent. Le rôle social qu'ils sont appelés à jouer de par leur appartenance ethnique détermine en grande partie leur caractère. C'est ainsi que dans l'Introduction à son Histoire des
Antilles, E. Regnault prévient le lecteur :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
334
Puis apparaîtront les tableaux de mœurs, soit que nous ayons
à peindre le créole avec sa brillante hospitalité et son apathique
existence, soit que nous ayons à retracer la physionomie du nègre luttant contre les labeurs de l'esclavage et les instincts paresseux d'une nature endormie [...] soit [233] enfin que nous
devions saisir le caractère mobile et incertain du mulâtre, qui
appartient aux deux races et qui est également renié par les
deux, triste enfant du maître et de l'esclave femelle, que son père méprise et qui désavoue sa mère.
(E. REGNAULT, « Histoire des Antilles », L'Univers pittoresque, 1849, p. 2.)
Il va de soi que très rares sont les personnages Mulâtres qui doivent leur sang blanc à leur ascendance maternelle. Presque tous sont
les enfants de femmes noires ou sang-mêlé séduites par un Blanc... ou
violées par leur maître. D'après un auteur anonyme, le relâchement
des mœurs aux colonies faisait que, dans la confusion des enfants engendrés par les colons au hasard d'un caprice
l'inceste abominable d'un père avec sa propre fille n'est pas la
dernière borne à cette atroce corruption ; plusieurs exemples vivans l'attestent encore aujourd'hui même dans toutes nos colonies.
(Anon., Mœurs des trois couleurs aux Antilles, 1822, p. 6.)
Le thème de l'inceste entre frère et sœur a été traité par les écrivains romantiques. Je connais peu d'exemples d'inceste entre parent et
enfant (sauf dans la littérature du second rayon, bien entendu) 96 et je
n'ai en tout cas rencontré aucun père séduisant à son insu la fille qu'il
a eue d'une femme noire ou métisse. Et il n'était guère dans les mœurs
coloniales de reconnaître les bâtards qu'on faisait aux femmes de couleur. L'aurait-on désiré, d'ailleurs, la loi pouvait s'y opposer, comme
96
Il y a bien La Famille de Carvajal, de Mérimée, qui se passe dans la Nouvelle Grenade au XVIIe siècle. On y voit des serviteurs noirs, et l'on y torture Vendredi, le Nègre empoisonneur.
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335
elle s'opposait dans certains états des États-Unis à leur émancipation.
Alexis de Tocqueville raconte :
J'ai rencontré au sud de l'Union un vieillard qui jadis avait
vécu dans un commerce illégitime avec une de ses négresses. Il
en avait eu plusieurs enfants, qui, en venant au monde, étaient
devenus esclaves de leur père. Plusieurs fois celui-ci avait songé à leur léguer au moins la liberté, mais des années s'étaient
écoulées avant qu'il pût lever les obstacles mis à l'affranchissement par le législateur. Pendant ce temps, la vieillesse était venue, et il allait mourir. Il se représentait alors ses fils traînés de
marchés en marchés, et passant de l'autorité paternelle sous la
verge d'un étranger. Ces horribles images jetaient dans le délire
son imagination expirante. Je le vis en proie aux angoisses du
désespoir, et je compris alors comment la nature savait se venger des blessures que lui faisaient les lois.
(A. de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique,
1951, vol. I, p. 544-545 [1re éd., 1835].)
Mais de tels pères sont rares. La plupart ressembleraient plutôt à
M. de Boulogne, ancien colon et aujourd'hui Contrôleur-général, qui
pousse son fils le baron de Tourvel à épouser une riche veuve. Le baron a pour rival un Mulâtre, le chevalier de Saint-Georges, qu'il [234]
provoque en duel. Le chevalier est un redoutable ferrailleur ; il ne
manquera pas de tuer son adversaire. M. de Boulogne le supplie de
l'épargner ; il vient d'apprendre que le chevalier est son propre fils, et
donc le frère du baron. C'est de l'esclave Noémi que le contrôleur a ou
Saint-Georges :
Votre mère... ah !... son amour pur et dévoué... méritait sans
doute un autre sorti... mais un riche mariage... qui flattait alors
mon orgueil... je voulus éloigner toute trace d'un passé qui pouvait le rompre, et oubliant ce que je devais à la pauvre Noémi...
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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(Baissant la voix encore plus et tremblant d'émotion.) Je la fis
vendre... au moment où elle allait devenir mère 97 !...
(MÉLESVILLE et R. de BEAUVOIR, Le Chevalier de
Saint-Georges, 1840, Acte III, sc. vi.)
Un autre exemple de ces pères dénaturés est Alfred, homme dur et
méchant envers ses esclaves, qui achète une jolie Sénégalaise de dixhuit ans :
Je ne vous dirai pas tout ce qu'il fit pour posséder Laissa ;
car celle-ci fut presque violée. Pendant près d'une année, elle
partagea la couche de son maître ; mais déjà Alfred commençait
à s'en lasser ; il la trouvait laide, froide, insolente. Vers ce
temps, la pauvre femme accoucha d'un fils qu'elle nomma
Georges. Alfred le méconnut, chassa la mère de sa présence, et
la fit reléguer dans la plus mauvaise cabane de son habitation.
(V. SÉJOUR, « Mœurs coloniales : Le Mulâtre », Revue des
Colonies, mars 1837, p. 380.)
Laissa meurt, laissant à son fils le portrait de son père, en lui faisant jurer de ne pas le regarder avant son vingt-cinquième anniversaire. Georges grandit, et devient l'homme de confiance d'Alfred. Il tombe amoureux de Zélie, Mulâtresse comme lui ; ils ont un enfant. Hélas, Alfred désire la jeune femme ; il veut la forcer, elle se défend et le
blesse. La loi est formelle : l'esclave qui porte la main sur son maître
sera exécutée si celui-ci la dénonce. C'est ce que fait Alfred, malgré
les supplications de Georges. Le jeune homme part marron. A la faveur d'un soulèvement, il tranche d'un coup de hache la tête de son
maître. En roulant par terre, la tête coupée crie : « Je suis ton... père… ! » Georges regarde le portrait, qui confirme l'affreuse nouvelle.
Le parricide se poignarde.
97
Ce thème du père qui vend son esclave et l'enfant qu'il a eu d'elle se retrouve
souvent, dès les premières œuvres anti-esclavagistes. L. M. Price en fait
l'historique pour la littérature anglaise dans Inkle and Yariko Album, 1937.
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337
La nouvelle de Séjour (qui était lui-même un Mulâtre de la Nouvelle Orléans) brode sur une série de thèmes d'un romantisme caractérisé : la décapitation, le portrait révélateur d'une identité ignorée, la
rivalité érotique entre le père et le fils, etc. Le thème qui nous intéresse tout particulièrement est celui du bâtard, de l'homme mis au ban
[235] de la société par sa naissance illégitime : on sait que « pour les
romantiques, la bâtardise, source de malaise social, engendrait un
complexe d'envie revendicative » 98. C'est le cas d'un grand nombre de
personnages Mulâtres, qui se trouvent victimes du double préjugé de
race et d'état civil. Car, comme l'explique le pamphlétaire Granier de
Cassagnac dans une série d'articles commandités par les esclavagistes :
[Les hommes de couleur] pourront avoir autant d'intelligence, autant d'activité, autant d'économie, autant de sagesse, et
plus encore, que leur rédemption sociale se fera bien plus difficilement ; en quelque lieu qu'ils aillent, de quelque vertu qu'ils
s'honorent, ils porteront sur leur visage la couleur de leur peau,
la couleur de leur origine, la couleur de l'esclave, et, il faut bien
le dire, la couleur du bâtard. [...] dans une société comme la nôtre, fondée sur le mariage, et sur le dogme de la pureté domestique, l'impureté de l'origine ne peut jamais être indifférente. Il
n'y a pas de milieu entre le mariage et le concubinage ; nous ne
pouvons pas honorer les mères des hommes de couleur sans outrager les nôtres. [...] enfin il n'est pas raisonnable que les
hommes de couleur, qui sont la plupart dans la position que
nous avons dite, prétendent à un commerce familier avec des
hommes que tout met au-dessus d'eux.
(A. GRANIER de CASSAGNAC, « Les Colonies françaises
et l'esclavage », Revue de Paris, septembre 1835, p. 1211 et
129.)
98
J. Gaulmier : « Du Kean d'Alexandre Dumas au Kean de Sartre », Mélanges
de littérature comparée et de philologie offerts à M. Braumer, Varsovie,
PWN, 1967, p. 254.
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338
La plupart des personnages mulâtres sont donc placés sous le signe
d'une triple réprobation : celle qui s'attache à la négritude, celle qui
s'attache à l'esclavage et celle qui s'attache à la bâtardise. Personnages
hors série, personnages excessifs, ils sont capables en bonne doctrine
romantique des plus admirables dévouements comme des crimes les
plus sataniques. Leur situation est riche en possibilités dramatiques.
Les uns seront torturés par la honte, d'autres vivront dans le ressentiment, d'autres encore revendiqueront leur situation, et ainsi de suite.
Mais quel que soit le rôle que le Destin leur réserve, ils sont à peu près
sûrs de vivre dans le malheur. Le prophète de Vigny, comme le débauché de Musset et le poète de Baudelaire, s'estimait maudit. A plus
forte raison, le personnage mulâtre, qui ne s’en prend pas à la vague
fatalité, lui, mais très précisément à l'auteur de ses jours :
Ils savent qu'ils vont faire des malheureux, et ils peuvent
leur donner une existence aussi détestable ! Ils ont pu ainsi flétrir d'avance leur sang dans des êtres auxquels ils n'ont à reprocher que ce seul crime qui leur est uniquement propre !
(Anon., La Mulâtre comme il y a beaucoup de blanches,
1803, vol. I, p. 108.)
Et Fabien, médecin mulâtre de l'île Bourbon secrètement amoureux
de la Blanche Pauline dit à la Mulâtresse Lia, elle-même amoureuse
d'un Blanc :
[236]
N'est-ce pas que, parfois la nuit, quand ta bouche n'a plus de
cris, quand tes yeux n'ont plus de larmes, tu es tentée de maudire Dieu... [...] que tu te sens prête à maudire ta mère qui t'a faite
ce qu'elle était... ce que je suis...
(A. BOURGEOIS et M. MASSON, Le Docteur noir, 1946,
acte II, sc. v. [C'est Frédérick Lemaître qui créa le rôle de Fabien].)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
339
Les personnages mulâtres les plus importants (dans ce sens que la
trame d'un roman ou d'une pièce s'organise autour de leur aventure
personnelle) sont des hommes libres devant la loi... à l'exception toutefois de ceux qui se révèlent être des « épaves ». On appelait « épave » aux colonies un Nègre ou un Mulâtre qui n'appartenait à personne
et qui n'avait pourtant aucun titre de liberté ; le gouvernement pouvait
se saisir de lui et le vendre à son profit. Ainsi, tandis qu'une peau
blanche attestait la condition de citoyen à part entière, Noirs et Mulâtres devaient fournir un certificat pour prouver qu'ils n'étaient pas – ou
n'étaient plus – esclaves. Cette monstruosité juridique a inspiré bien
des auteurs : elle leur permettait de traiter le thème éminemment romantique du document qui détermine la personnalité même de l'individu... On pense immédiatement au Colonel Chabert, par exemple. En
1839, Mme Charles Reybaud compose une nouvelle, Les Epaves, dont
deux théâtres parisiens firent jouer des adaptations 99. La trame est
simple : Mme de la Ribelière, femme d'un colon de la Martinique, et sa
pupille l'orpheline Cécile, rentrée aux îles après de longues années
dans un pensionnat parisien, sont surprises par l'orage en allant à leur
maison de campagne. Leur voisin, le riche et beau Mulâtre Donatien,
leur offre l'hospitalité. Ils se fréquentent ; elles en viennent à tomber
toutes deux amoureuses de lui. Le colon, qui a découvert les sentiments de sa femme, se venge en faisant reconnaître Donatien pour
« épave ». Lorsque le gouverneur le fera vendre aux enchères, la Ribelière se propose de l'acheter pour le faire tuer à coups de fouet sous les
yeux de son épouse. Mais Cécile va dans le cachot du malheureux et
constate à son bras marqué qu'il a appartenu à feu son père. Au moment où il va être vendu, elle le réclame. Donatien lui ayant été « restitué », elle l'affranchit et l'épouse.
Plusieurs aspects de cette nouvelle me semblent dignes d'être remarqués, car ils se retrouvent dans bien des œuvres qui mettent en
scène des protagonistes Mulâtres. Tout d'abord la description du héros :
99
Le Marché de Saint-Pierre, mélodrame en 5 actes de Decomberousse et
Antier, joué en 1839, et Le Code noir, opéra-comique en 3 actes d'Eugène
Scribe, représenté en 1842.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
340
Il paraissait avoir vingt-huit ou trente ans [...] ses traits,
d'une régularité qui rappelait les beaux types antiques, exprimaient une fierté calme ; ses cheveux, lisses et luisants, ne ressemblaient que par la couleur à ceux [237] des nègres ; son teint
était clair, mais de légères nuances bronzées s'étendaient des
tempes à la région supérieure du front, et ses lèvres minces
avaient une certaine paleur brune.
(Mme C. REYBAUD, « Les Épaves », in Valdepeiras, 1839,
p. 138.)
Traits réguliers, cheveux lisses et luisants, teint clair et lèvres minces, Donatien pourrait aisément passer pour un Blanc. Seule une personne obsédée par la pureté de sang – et les Créoles comme Mme de la
Ribelière sont dans ce cas – pourraient deviner qu'il est métis. Quand
Georges, le héros du roman du même nom d'Alexandre Dumas père,
débarque à l'île Maurice, les plus féroces colons ne reconnaissent pas
en ce jeune homme au teint pâle et aux longs cheveux noirs l'enfant
Mulâtre qui rentre au pays après quatorze ans d'absence. Il est vrai
qu'une fois en Europe, Georges
laissa pousser ses longs cheveux noirs dont, à force de soins, il
corrigea la rudesse native, et qui s'assouplirent sous le fer.
(A. DUMAS père, Georges, Œuvres complètes, s. d. vol.
103, p. 60 [1re éd., 1843].)
Dans Marie, ou l'esclavage aux États-Unis, de Gustave de Beaumont, le narrateur Ludovic séjourne à Baltimore chez Nelson, ancien
législateur du Maryland et pasteur de l'église presbytérienne. Il tombe
amoureux de sa fille Marie ; elle lui avoue le terrible secret qui empoisonne sa vie : elle a quelques gouttes de sang noir dans les veines.
Non seulement le jeune Français ne s'en serait-il pas douté, mais la
bonne société baltimorienne ne s'en est jamais aperçu.
L'héroïne Mulâtresse de Maria, drame en deux actes de Foucher et
Laurencin, est une esclave fugitive de la Guadeloupe. Son teint est si
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
341
clair qu'elle passe pour une Blanche et qu'une des personnalités les
plus importantes de l'île, Albert de Prével, membre du conseil colonial
et esclavagiste à tout crin la prend même pour femme. Enfin, voici
comment l'auteur des Mystères de Paris décrit la Mulâtresse Cecily,
épouse du docteur David.
Un front hardi, un peu saillant, surmonte son visage d'un
ovale parfait ; son teint a la blancheur mate, la fraîcheur satinée
d'une feuille de camélia imperceptiblement dorée par un rayon
de soleil ; ses yeux, d'une grandeur presque démesurée, ont une
expression singulière [...] son nez, droit et fin, se termine par
deux narines mobiles qui se dilatent à la moindre émotion ; sa
bouche, insolente et amoureuse, est d'un pourpre vif. [...]
Disons-le, cette grande créole, à la fois svelte et charnue, vigoureuse et souple comme une panthère, était le type incarné de
la sensualité brûlante qui ne s'allume qu'aux feux des tropiques.
(E. SUE, Les Mystères de Paris, 1843, chapitre XXII.)
Tous ces personnages (et pour en allonger la liste nous n'aurions
que l'embarras du choix) sont peu ou prou en butte au préjugé de couleur. Mais en le déplorant à leur sujet, les écrivains enfoncent [238]
une porte ouverte : le snobisme au nom duquel on persécute un Donatien ou une Marie est aussi absurde que monstrueux, c'est trop évident.
Bien plus rares sont les héros qui portent sur leur visage la trace de
leur origine. C'est, comme nous l'avons dit, lorsqu'il s'agit de bouffons
ou de criminels, l'Habibrah de Bug-Jargal, par exemple, que les écrivains insistent sur les traits négroïdes des sang-mêlés.
Les héros Mulâtres ne sont pas seulement d'une grande beauté, ils
sont également doués de toutes les qualités. Donatien s'exprime
avec un pur accent et l'attitude aisée d'un homme qui sait son
monde... c'était sous tous les aspects l'homme le plus remarquable.
(Mme C. REYBAUD, « Les Épaves », in Valdepeiras, 1839,
p. 138.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
342
Il est courageux, et n'hésite pas à voler au secours des deux femmes sur lesquelles un esclave marron de M. de la Ribelière s'apprête à
venger les mauvais traitements dont il a été victime. D'ailleurs, Donatien est un chef né : il lui suffit de parler pour être obéi. Humain envers les Noirs de son habitation, ceux-ci lui sont entièrement dévoués.
Georges, lui, est un véritable surhomme. A Paris, il fait de brillantes études au collège Napoléon, puis à la Sorbonne. Excellent nageur,
cavalier émérite, champion de tir et d'escrime, il fréquente la meilleure
société parisienne ; les femmes les plus en vue se disputent ses faveurs. Il voyage en Angleterre, va guerroyer en Orient (dont il revient
avec une parfaite connaissance de la langue chinoise), participe avec
le duc d'Angoulême à l'expédition d'Espagne et se couvre de gloire à
la prise du Trocadéro. Et s'il revient à l'île Maurice c'est pour tuer à lui
seul le préjugé qu'aucun homme de couleur n'avait encore osé combattre (p. 68). Comment s'étonner après cela que la belle Sara, nièce
du riche colon Malmédie, réponde à son amour ?
Fabien, le médecin mulâtre du Docteur noir, pièce d'AnicetBourgeois et Dumanoir, se distingue non seulement par son habileté
professionnelle (il arrive à guérir de la fièvre jaune la Créole blanche
Pauline de la Reynerie) mais par son abnégation : ayant épousé secrètement la jeune femme, il renonce à exercer ses droits conjugaux,
même une fois en France, afin de préserver la jeune fille de l'opprobre
attaché à ce que sa famille considère comme une mésalliance. Il se
révèle tout aussi héroïque, sur un autre plan, que Donatien ou que
Georges.
Et que dire du dévouement d'Anitta, maîtresse sang-mêlé du Parisien Georges ! Lorsqu'il tombe victime d'une grave maladie tropicale
elle le soigne nuit et jour et, pour permettre à son amant de rentrer se
rétablir au bon air de la France, elle vend sa liberté au marquis del Ritto, riche Cubain qui voudra ensuite la forcer. Anitta ne lui cède pas, et
le marquis la donne à un sien Nègre particulièrement [239] répugnant.
Sur le point d'être violée, elle le poignarde, mais il l'étrangle avant de
mourir. Et, comme par hasard :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
343
[On] eût vainement cherché sur les traits de cette belle enfant les preuves de son origine : elle n'était pas plus brune que
les autres femmes espagnoles réputées blanches dans le pays.
(E. CHAPUS, « L'amour d'une Créole », in Babel III, 1840,
p. 47.)
Ces personnages beaux, savants, dévoués, parfaits gentilshommes
ou femmes accomplies auraient difficilement pu se former aux colonies, dans une société répressive où les considérations raciales priment
toutes les autres. Aussi ont-ils eu la « chance » de pouvoir, comme
Donatien, quitter la colonie et s'imposer en Métropole. Ce qui ne fait
que rehausser leur mérite, puisque c'est dans le haut-lieu de la civilisation la plus avancée qu'ils se sont distingués et non pas dans le monde
provincial des îles. Et cela souligne par ailleurs l'absurdité des vexations dont ils font l'objet une fois rentrés au pays. Ainsi dans Mœurs
coloniales, l'auteur anonyme raconte comment le jeune Charles Delacroix arrive à la Guadeloupe pour y faire fortune comme maître de
chant. Il croise dans la rue le plus brillant de ses anciens condisciples,
le Mulâtre Maurice Lefebvre qui avait obtenu le Prix de Rome. Celuici fait semblant de ne pas le reconnaître. Delacroix comprendra plus
tard que c'était là une preuve d'amitié : un Blanc qui se fourvoie jusqu'à compter un Mulâtre parmi ses connaissances se déconsidère à
tout jamais aux yeux de la société de Pointe-à-Pitre.
Deux Blanches tombent amoureuses de Donatien. Cécile n'est
créole que de nom, puisqu'elle a quitté la Martinique enfant et a été
élevée en France. Une Blanche qui partage l'amour d'un métis est en
fait une Française de France le plus souvent ; cela se comprend, le
préjugé de couleur étant moins absolu en Métropole que sous les Tropiques. Et même, comme l'assure à ses camarades un Mulâtre qui a
voyagé :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
344
Loin de partager l'éloignement que les blanches avaient pour
nous dans les colonies, les Parisiennes avaient une préférence
marquée pour la mâle beauté des figures du tropique.
(E. CORBIÈRE, « Petite histoire d'un jeune mulâtre en
France », Le Navigateur, 1830-1831, p. 29.)
Sans doute la littérature de l'époque avait-elle fait croire aux romanesques parisiennes que tous les beaux Mulâtres étaient comme l'Astolfe de Mme Daminois qui né sous un ciel brâlant [...] portait dans ses
veines la source des passions ardentes (Lydie, ou la Créole 1824, vol.
II, p. 86). Tandis qu'aux Antilles :
On en sait assez maintenant sur les colonies, pour comprendre combien de mulâtre à blanche une déclaration d'amour était
chose à part, inouïe, monstrueuse ! Beaucoup de colons à qui on
l'aurait conté, auraient refusé [240] d'y croire. [...] Dans les
premiers temps de ces pays, on avait pu voir, au scandale public, les blancs épouser des mulâtresses ou des négresses ; mais
jamais il n'y eut d'exemple d'union entre les blanches et les
hommes de couleur, et l'on peut ajouter qu'entre eux l'amour ne
fut pas moins rare.
(L. de MAYNARD de QUEILHE, Outre-Mer, 1835, Vol. I,
p. 348.)
De ce mépris certains Mulâtres sauront tirer vengeance. Julie, la
fille du colon Mannerat a eu une fille naturelle qu'elle fait passer pour
la fille d'une de ses Mulâtresses. Après de nombreuses péripéties, Julie
se suicide avec son amant. Mannerat vend son habitation et ses esclaves. C'est Jean-Pol, un Mulâtre riche, qui les achète. Or il sait, lui, que
dans le lot se trouve l'enfant de cette Julie qui l'avait jadis méprisé.
Faute d'avoir eu la mère il aura la fille ; quand elle sera nubile il vengera sa race outragée en faisant des enfants à son esclave blanche. (V.
CHARLIER et E. CHAPUS, « Jean-Pol », in Titime, 1833.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
345
Mme de La Ribelière a commencé par mépriser automatiquement
Donatien, même en sachant que son père était M. d'Enambuc, un des
hommes les plus distingués du pays. Aussi est-elle surprise et inquiète
de se sentir troublée par lui :
Elle éprouvait des alternatives de langueur et d'animation, de
tristesse et de gaieté [...]. Madame de La Ribelière [...] reconnut
que ce qu'elle éprouvait, c'était l'amour, l'amour puissant, irrésistible. Mais un sentiment d'indomptable fierté retint tous les
témoignages de cette passion.
(Mme C. REYBAUD, « Les Épaves », in Valdepeiras, 1839,
p. 150.)
Il faut remarquer que tout cela se passe dans les solitudes de la
campagne martiniquaise, alors que Mme de La Ribelière, loin de la société créole dont elle partage les préjugés, est pour ainsi dire dépaysée. On pense au roman de Grasset de Saint-Sauveur où Hortense,
la belle courtisane, finit par tomber amoureuse du Nègre Zéphir au
beau milieu des forêts vierges du Surinam 100.
Une autre Créole avoue aimer un sang-mêlé : Pauline de la Reynerie, dont le Docteur noir a sauvé la vie. C'est seulement lorsque les
deux jeunes gens, surpris par la marée montante sont persuadés que
leur dernière heure est arrivée que Fabien avoue sa passion. Et Pauline
de répondre, après lui avoir fait jurer qu'il n'y a plus de salut possible :
À présent que je suis sûre de mourir... je puis dire sans honte
et sans remords : Je te comprends et je te pardonne, Fabien, car,
moi aussi... je t'aime...
(A. BOURGEOIS et P. DUMANOIR, Le Docteur noir,
1846, acte III, sc. ii.)
100 Voir ci-dessus, p. 143 et suivantes.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
346
L'amour d'une Créole et d'un Mulâtre réunit ainsi deux thèmes
fondamentaux du romantisme : l'amour impossible et les effets désastreux des préjugés sociaux. Quand on pense que le héros ignore en
[241] plus ses propres origines et qu'en outre l'action se déroule dans
le cadre exotique des colonies, on comprend pourquoi le sujet a attiré
un si grand nombre d'auteurs. Antony Thouret, dans son roman Toussaint le mulâtre (1834), accommode le thème à la sauce frénétique :
Spielberg est un savant alchimiste allemand qui est venu s'établir entre
Argenteuil et l'île Saint-Louis à la fin du XVIIIe siècle. Il épouse la
belle Elvire, qui lui donne un fils mulâtre : Spielberg avait un serviteur noir nommé Toussaint. L'alchimiste tue l'infidèle, Toussaint se
suicide et Spielberg embaume les deux cadavres, qu'il conserve dans
une armoire. Le Mulâtre, également nommé Toussaint, grandit en
compagnie d'Alvar, fils que Spielberg a eu d'une seconde union que ni
la loi civile ni la sanction religieuse ne cimentèrent. Quand Alvar a
vingt-cinq ans, il épouse la belle et pure Marie... que Toussaint aime
également. Mais, comme il le dit :
On ne m'aime pas !... Comment voulez-vous qu'on m'aime ?
Je suis cuivré, comme dit la littérature, j'ai de grosses lèvres,
des cheveux crépus, j'ai des yeux qui font peur aux femmes, je
suis un monstre, comme elles disent ; je ne sais qu'aimer et puis
souffrir et puis me taire.
(A. THOURET, Toussaint le mulâtre, 1884, vol. I, p. 122.)
On voit que Toussaint ne ressemble pas à Donatien ou à Georges.
Ses traits négroïdes annoncent une sensualité dévorante qui ne présage
rien de bon :
Son amour, c'était son sang ; il circulait dans ses veines, les
brûlait ; il l'enveloppait, l'oppressait et l'étouffait [...]. Il se mêlait à son sommeil, remuait les rideaux de son lit, échauffait sa
couche, et faisait une enveloppe de feu à un corps de feu (idem,
p. 298).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
347
Le soir des noces, alors qu'Alvar et Marie s'apprêtent à se retirer,
des amis politiques viennent chercher le jeune homme : une conspiration républicaine se trame, et sa présence est indispensable. Marie
monte se coucher. Malgré sa complète innocence – et peut-être à cause d'elle, précisément – la jeune fille fait des rêves vaguement érotiques. Prise de somnambulisme, elle entre dans la chambre de Toussaint. Celui-ci, torturé par la pensée de la femme qu'il aime dans les
bras d'un autre, avait pris (en vain) une forte dose de narcotique. Marie se couche près de lui. Elle se réveille à moitié sous ses caresses,
mais les baisers du Mulâtre (dont les lèvres sont encore enduites
d'opium) la rendorment ; l'inévitable se produit. Après quoi, Toussaint
remporte Marie dans sa chambre. Elle ne gardera aucun souvenir de
ce qui s'est passé. Pendant ce temps, Alvar et ses compagnons sont
surpris par la police et envoyés mourir dans les geôles du Mont-SaintMichel. Toussaint lui avoue son crime. Elle meurt. Il se poignarde,
comme son père.
À vrai dire, on peut se demander quelle fonction la négritude de
[242] Toussaint père et fils remplit dans l'économie du récit. Un Auvergnat ou un Guatémaltèque n'auraient-ils pas aussi bien fait l'affaire ? C'est, à mon avis, que les thèmes de l'amour impossible, de la discrimination sociale, de la sensualité irrésistible et de la fatalité du sang
s'incarnent de façon particulièrement frappante dans un personnage de
couleur : l'imagination collective était habituée à les associer aux individus d'origine africaine.
S'il est facile de trouver des Blanches et des Blancs amoureux de
personnes de couleur (du moins dans la littérature d'imagination), je
n'ai pas rencontré de personnages sang-mêlé amoureux d'une femme
ou d'un homme noir. Cecily, la femme du docteur David ? Sans doute,
mais nous avons vu qu'aussitôt en Europe elle a honte de son mari et
le trompe avec le premier Français venu. C'est que, dans la réalité, le
préjugé de couleur est aussi fort, sinon plus, chez les Mulâtres que
chez les Blancs. Les écrivains racistes ne se sont pas fait faute de le
souligner. Tous s'accordent à écrire que les esclaves noirs craignent
par-dessus tout d'être vendus à un métis, ces derniers étant particulièrement cruels envers eux. Et il est certain que les colons firent tout
leur possible pour entretenir la discorde au sein de ceux qu'ils exploi-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
348
taient. Car si les Blancs des îles vivaient dans la terreur des révoltes
d'esclaves, ils craignaient également l'ambition des sang-mêlés :
Les mulâtres libres [...] affranchis ambitieux des droits politiques et de l'égalité sociale, hommes aux passions fortes, d'une
nature hardie, participant à la fois des qualités intellectuelles
des blancs et de la vigueur corporelle des noirs, [...] aspirent
sans cesse à fonder pour leur compte, sur les ruines des privilèges du créole.
(J. LEVILLOUX, Les Créoles, 1835, vol. I, p. ix.)
Aussi, comme le signale l'abbé Dugoujon :
Les blancs, qui fomentent ces dissensions intestines [entre
Noirs et Mulâtres], les voient et s'en réjouissent ; elles font leur
force et leur sécurité.
(Abbé DUGOUJON, Lettres sur l'esclavage, 1845, p. 62.)
Et le poète haïtien J. B. Chenet se lamente des malheurs que ces
dissensions ont provoqués dans la jeune république :
Quant aux colons, forcés de se soumettre
A nos efforts, ils s'en sont bien vengés,
En nous léguant la haine qui pénètre,
L'inquiétude et les sots préjugés.
(J. B. CHENET, « Une chartre », in Études poétiques, 1846,
p. 494.)
Certes, les écrivains engagés dans la lutte contre le préjugé de couleur se sont bien gardés d'appuyer sur ces dissensions intestines qui
apportaient de l'eau au moulin esclavagiste. Donatien est adoré de ses
Noirs ; Georges se met à leur tête pour lutter contre les Blancs [243]
de l'île Maurice ; un autre Georges, frère celui-là de Marie Nelson
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
349
dans Marie ou l'esclavage aux États-Unis, refuse de quitter son pays
pour fuir les persécutions :
Je suis opprimé dans ce pays, […] mais l'Amérique est ma
patrie ! […] Il n'est pas généreux de fuir la persécution ! Ah ! si
j'étais seul infortuné ! peut-être je fuirais... mais mon sort est
celui de toute une race d'hommes [...] Notre abaissement ne sera
pas éternel. Peut-être serons-nous forcés de conquérir par la
force l'égalité qu'on nous refuse !!! Quel beau jour que celui
d'une juste vengeance !
(G. de BEAUMONT, Marie, 1836, vol. I, p. 149-150. [1re
éd., 1835].)
Et on le retrouvera effectivement à New York organisant la défense des quartiers noirs contre un « pogrome » de racistes. Il est tué à
Raleigh (Caroline du Nord), pendant une révolte d'esclaves noirs et
d'Indiens qu'il a soulevés contre l'oppresseur.
Mais cette conduite exemplaire n'est pas la seule que les Mulâtres
adoptent, ni dans la réalité ni dans les romans. Marie, la sœur de l'héroïque Georges réagit bien différemment de son frère : la féroce ségrégation qui règne aux États-Unis est pour elle l'expression de la volonté divine. Cette jeune fille profondément religieuse ne se révolte
pas, elle accepte sa triste condition comme la punition d'un Dieu vengeur qu'il ne faut pas chercher à comprendre. Elle déclare à Ludovic :
N'en doutez pas, ajouta-t-elle d'une voix inspirée, c'est Dieu
lui-même qui a séparé les nègres des blancs... Cette séparation
se retrouve partout : dans les hôpitaux où l'humanité souffre ;
dans les églises où elle prie ; dans les prisons où elle se repent ;
dans le cimetière où elle dort de l'éternel sommeil. [...] Hélas !
mon ami, nos dépouilles mortelles ne se mêleront point sur la
terre ; n'est-ce pas le signe que nos âmes ne seront point unies
dans le ciel ?... (idem, p. 145).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
350
Une autre attitude possible est l'acceptation tranquille de la situation, adoptée par certains personnages que leur valeur personnelle et
la conscience de leur propre supériorité mettent à l'abri. Elle leur permet de narguer le racisme en le parodiant. Ainsi par exemple l'exesclave mulâtre Camille, devenu en France Monsieur le chevalier de
Saint-Georges, capitaine des chasses du duc d'Orléans, violoniste
émérite, chéri des dames, champion de tir et d'escrime. Roger de
Beauvoir composa sur lui un roman historique : Le Chevalier de
Saint-Georges, dont il tira avec Mélesville une pièce en trois actes où
l'on voit le héros multiplier sans complexes les allusions à sa couleur :
sa présence, affirme-t-il, suffit pour qu'un rival voit « tout en noir » ; il
est lui-même reconnaissable à « un cachet tout particulier », car il ressemble à une enseigne d'épicier : « À la tête noire » ; à propos de
quelqu'un qui veut le faire mettre à la Bastille, le chevalier plaisante :
« il aura voulu préserver mon teint des ardeurs du soleil » ; à un rival
qui prétend le [244] faire rougir en lui donnant un soufflet, il répond :
« Ah ! vous me rendrez service ! », et ainsi de suite. On le voit même
composer une romance qui rappelle les ballets de cour du siècle de
Louis XIII dont j'ai parlé dans le premier chapitre :
On dit qu'en un lointain rivage,
Cette sombre et triste couleur,
Est le signe de l'esclavage,
Ah ! pour toujours j'y consens de grand cœur.
Près de l'esprit, des graces qu'on admire,
Dans ce pays où règne la beauté...
Est-il possible qu'on désire
} bis
De retrouver sa liberté.
(MÉLESVILLE et R. de BEAUVOIR, Le Chevalier de
Saint-Georges, 1840, acte I, sc. x.)
Ce chevalier de Saint-Georges est en fait un personnage historique,
né en 1745, mort en 1799. Partisan de la Révolution, il leva en France
une Légion franche des Américains, dans laquelle le futur général
Thomas-Alexandre Dumas Davy de la Pailleterie entra comme capi-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
351
taine et devient bientôt lieutenant-colonel 101. Le fils du général semble avoir adopté l'attitude désinvolte de l'ami de son père : Balzac rapporte à Mme Hanska le 15 février 1845
le mot de Dumas à qui quelqu'un vient dire que son père ou sa
mère était noire [sic] et qui répond : – Mon grand-père était singe !
(H. de BALZAC, Lettres à Mme Hanska, éd. Pierrot, 1968,
Tome II, P. 575.)
Et il faut lire dans les savoureuses Mémoires de Dumas père le
passage où le romancier raconte comment pendant les Trois Glorieuses il a capturé à lui tout seul la poudrière de Soisson. La femme du
vicomte de Liniers, commandant la place, était une créole de SaintDomingue ; en voyant entrer le romancier pistolet au poing, elle se
croit revenue aux révoltes d'esclaves de son enfance et supplie son
mari : « O mon ami, cède ! cède ! s'écria-t-elle, c'est une seconde révolte des nègres ! » (A. Dumas, Mes mémoires, Ch. CLVI, 1re éd.,
1853.) C'est Dumas qui raconte, mais... se non é vero é ben trovato.
Peut-être faudrait-il ouvrir ici une parenthèse pour signaler qu'il
n'existe à ma connaissance pas d'étude sur « Dumas et le problème
racial » 102. Le fait que l'écrivain ait eu une grand-mère noire ne semble guère avoir influencé ses écrits. Ali, le Nègre nubien d'Edmond
Dantès, ne fait qu'ajouter une note pittoresque au Comte de MonteCristo. Le Noir Zamor, personnage secondaire de Joseph Balsamo,
n'est [245] pas spécialement flatté. Et le romancier avait, tout comme
la favorite, son nègre : Eau-de-Benjoin, avec qui il fit son célèbre
voyage en Espagne. Il y a bien entendu Georges, roman important et
qui mériterait une analyse serrée. Mais la complication de la trame et
la variété de points de vue dans laquelle sont envisagées les relations
entre les races rendent une telle analyse impossible ici 103.
101
102
Voir André MAUROIS, Les Trois Dumas, 1957, p. 15 et suivantes.
Mercer Cook effleure la question dans son chapitre sur Alexandre Dumas ;
voir Fipe French Negro Authors, 1943.
103 On trouvera des renseignements complémentaires dans mon édition de
Georges, à paraître dans la collection « Folio ».
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
352
La seule prise de position précise que j'aie trouvée sous la plume
de Dumas est une « Lettre au Rédacteur »publiée par la Revue des colonies de décembre 1838 :
Voulez-vous bien rectifier dans un de vos prochains numéros une erreur que je vois commise à mon égard sur la couverture de la Revue coloniale [organe esclavagiste]. Elle annonce
comme devant paraître dans un de ses prochains numéros des
poésies de moi. D'abord je fais peu de poésies, excepté au théâtre ; puis je n'ai rien promis à la Revue coloniale qui ne m'a rien
demandé. Toutes mes sympathies, au contraire, sont instinctivement et nationalement pour les adversaires des principes que
défendent Messieurs de la Revue coloniale ; c'est ce que je désire que l'on sache parfaitement, non seulement en France, mais
partout où je compte des frères de race et des amis de couleur.
Veuillez agréer, etc.
C'est sans doute autant par nécessité que par tempérament
qu'Alexandre Dumas traitait sa propre négritude avec tant de bonne
humeur. On se doute que les humoristes du boulevard et de la presse
ne tarissaient pas sur la question. Tel cet Aimé Bourdon qui intitule
une satire sur Dumas et son écurie de collaborateurs La Traite des
blancs. Le romancier paraît dans cette comédie en trois actes sous le
nom d'Alexis Noiraud. Tout le monde n'était pas si bon enfant : voici
par exemple comment Achille Gallet termine son compte rendu de
Georges dans le Cabinet de lecture du 20 août 1843 :
Disons toutefois, en terminant, qu'il se trouve parmi la classe
estimable des colons bien peu de Malmédie, et parmi celle des
mulâtres encore moins de Georges. Tous les hommes qui ont
étudié l'état social des colonies, non dans les homélies de nos
philanthropes et les fantaisies de nos romanciers, mais en faisant sur les lieux mêmes de consciencieuses observations, sont
demeurés convaincus de cette vérité, que la race mulâtre est inférieure à la race blanche, comme la race nègre l'est aux mulâtres. Sans doute il peut y avoir des exceptions, l'auteur de Geor-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
353
ges en est lui-même la preuve éclatante ; mais ces exceptions,
extrêmement rares du reste, ne peuvent renverser un fait qu'une
triste expérience vient chaque jour confirmer.
Comme on l'a vu, le personnage Mulâtre est généralement plus
complexe que le personnage Noir. Placé en porte-à-faux, il peut réagir
de diverses façons et, qui plus est, sa réaction peut ne pas être tout
d'une pièce. Ainsi le chevalier de Saint-Georges plaisante sur la couleur [246] de sa peau... mais il cache sa véritable identité, préférant se
faire passer pour un Portugais du Brésil, ou pour un Péruvien, selon
son humeur. Georges soulève les Noirs de l'île Maurice, mais lorsqu'il
s'avère que son propre frère fait la traite des Nègres, il ne s'en formalise guère :
Il y eut bien, au premier moment, dans le cœur de Georges,
grâce à un reste d'éducation européenne, un mouvement de regret en retrouvant son frère marchand de chair humaine, mais
ce premier mouvement fut bien vite dissipé.
(A. DUMAS, Georges, (Œuvres complètes, s. d., vol. 103, p.
152 [1re éd., 1843].)
Bref, on pourrait analyser en détail chaque personnage mulâtre
pour chercher comment son attitude s'explique et par la situation particulière qui lui est faite dans un milieu donné, et par la personnalité
plus ou moins complexe dont l'a doté l'écrivain. Un sang-mêlé criminel d'une part, esclave aux colonies de l'autre ne saurait avoir les mêmes dispositions d'esprit qu'un métis héroïque, libre, en Europe. Caractères, conditions et milieux fournissent en permutant un large éventail de possibilités. La seule généralisation valable à laquelle on puisse
arriver est la suivante : aucun personnage mulâtre ne s'estime racialement supérieur aux Blancs (alors que nous avons vu des Noirs revendiquer et exalter les valeurs « africaines »). Sans vouloir raisonner par
analogie, on ne trouve pas chez le Mulâtre l'orgueil que tire de ses origines le Juif, autre minoritaire persécuté qui a inspiré bon nombre
d'écrivains. Nos Mulâtres partagent tous tant soit peu le préjugé dont
ils sont victimes, et le fait que pas un d'entre eux ne soit amoureux
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
354
d'une femme (ou d'un homme) noir le démontre bien. Les écrivains ne
s'étaient pas donné le mot pour que leurs protagonistes sang-mêlés
ressentent tous cette même répugnance : ils n'ont fait qu'expliciter une
des particularités du Mulâtre tel que le concevait l'imagination collective à l'époque romantique. Chez les Mulâtres tout se passe en somme
comme si le Blanc en chacun d'eux déplorait – ou méprisait, même –
cette espèce de « double » nègre avec lequel il est forcé de cohabiter.
Il n'est donc pas surprenant que bon nombre de ces personnages soient
torturés par la honte de savoir qu'un peu du sang maudit circule dans
leurs veines. Hugo parle dans Bug-Jargal d'un colon soupçonné de ne
pas compter que des Blancs parmi ses ancêtres :
Le pauvre homme espérait par ces invectives contre les mulâtres s'en séparer tout à fait, et détruire dans l'esprit des blancs
qui l'écoutaient l'opinion qui le rejetait dans cette caste méprisée.
(V. HUGO, Bug-Jargal, 1967, p. 411 [1re éd., 1826].)
Le pauvre homme a quelque excuse ; après tout c'est sa position
sociale, l'avenir des siens, sa propre liberté peut-être qui est en jeu.
[247] Marius, Mulâtre libre élevé en Angleterre, en a moins. Rentré
aux îles, il écrit à son bienfaiteur Sir William Blackchester (Blackchester, c'est une trouvaille) au sujet de ses frères de race :
Les misérables, en dépit de leurs efforts, confessent la supériorité qu'ils nient. Il y a des sang-mêlés qui méprisent des carterons, des mameloucs qui méprisent des métifs, des mulâtres
qui méprisent des câpres, qui méprisent des sacatras, qui méprisent les nègres. Moi, je les méprise tous.
(L. MAYNARD de QUEILHE, Outre-Mer, 1835, Vol. I, p.
71.)
Marius est un intellectuel qui croit pouvoir régénérer sa race à lui
tout seul : il épouse une Négresse, non par amour, mais pour l'élever
jusqu'à lui. La malheureuse le trompe comme on pouvait s'y attendre
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
355
et le naturel revient au galop : il la fait mourir, tombe amoureux d'une
Blanche et, comme elle refuse ses avances, l'égorge de ses propres
mains. Ce que le Martiniquais Maynard de Queilhe veut prouver est
évident : les Mulâtres ont beau dire et beau faire, ils envient les Blancs
et méprisent les Nègres dont ils ont cependant toute la sauvagerie.
Dans Le Mendiant noir, de Paul Féval, la Créole Mme de la Rumbrye est une de ces femmes aussi splendides que criminelles dont les
romantiques ont peuplé leurs romans. Elle passe pour la maîtresse du
chevalier don Juan de Carrel qui lui est dévoué corps et âme. En réalité il n'est que son serviteur, son esclave ; non pas de jure (nous sommes à Paris), mais de facto. Carrel est en fait un Mulâtre, nommé Jonquille, au teint si clair qu'il passe pour un gentilhomme espagnol. Mme
de la Rumbrye est la seule à connaître son secret ; il suffit qu'elle menace de le révéler pour que Jonquille de Carrel accepte les besognes
les plus déshonorantes. Il a bien des remords
Mais redevenir Mulâtre ! changer le nom de Carrel pour celui de Jonquille ! c'était là chose impossible, surtout si l'on fait
la part de la surprenante et puérile vanité des hommes de couleur.
(P. FÉVAL, Le Mendiant noir, 1847, vol. I, p. 100.)
Et, comme l'explique la Créole :
Tu es à moi [...] mais si je compte sur cet esclavage moral,
ce n'est pas parce que tu es fils de noir [...] c'est parce que – suprême infamie – tu as eu honte de ta race, et que, au lieu de relever ton front comme un homme, tu as caché ta naissance sous
un nom dérobé (idem, p. 92-93).
Jonquille finira par être tué par Neptune, le mendiant noir du titre,
qui rentrera ensuite à Saint-Domingue entretenir la tombe du bon maître dont il idolâtre la mémoire.
Nous trouvons même un Mulâtre qui, tout en jugeant sévèrement
les hommes de sa couleur, rejette sur les Blancs la responsabilité de
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
356
leur avilissement. Valentin aime Juliette, fille d'un colon de l'île Maurice, [248] à qui il a confessé sa condition. Pour lui, les Mulâtresses
méritent leur réputation de légèreté : sa propre sœur s'est enfuie au
Bengale où elle vit maritalement avec un officier britannique :
car il faut vous le dire, notre race mérite une partie des outrages
dont on l'abreuve, et cette dégradation de nos âmes est un crime
de plus dont les blancs rendront compte au jour marqué dans
l'avenir.
(S., « Souvenirs des colonies : un voyage à l'île Maurice »,
Le Cabinet de lecture, 19 juillet 1830.)
Une fois de plus l'histoire aura une fin romantiquement tragique
Juliette devient enceinte des œuvres de Valentin, le scandale éclate, il
est déporté à Pondichéry où les Anglais le capturent et le fusillent. La
jeune femme mourra folle.
Si célébrer la beauté de la Négresse frisait le paradoxe, ou constituait une prise de position « philanthropique », il n'en est pas de même
en ce qui concerne la femme au sang-mêlé. Pratiquement tous les auteurs de l'époque romantique, les esclavagistes comme les autres, s'accordent à chanter ses attraits. Disons pour simplifier qu'un teint bronzé
ne fait pas obstacle à leur admiration, que du point de vue esthétique
ils l'ont en somme assimilée à une Blanche, d'un type un peu spécial et
très attrayant. On n'hésite pas à évoquer à son égard les grands maîtres
de la peinture européenne :
Qui donc leur apprendra, à ces femmes, pour les venger de
tant d'humiliations, que les grands peintres [...] ont presque toujours revêtu leurs vierges de cette adorable couleur de fruit mur,
de ce ton tout plein des mélancolies et des dernières lueurs de
l'automne.
(R. MAX-RADIGUET, « Un bamboula à la Martinique »,
La France maritime, vol. 4, 1853, p. 355.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
357
Assez de belles Mulâtresses ont été décrites dans les nombreuses
citations qui précèdent pour qu'il soit inutile d'en allonger la liste. Réputation de beauté, réputation de légèreté, également. La sensualité
lascive des Nègres coule dans leurs veines, mais raffinée par l'apport
blanc, humanisée, parée des charmes de la conversation et de l'élégance du vêtement. La Mulâtresse est la maîtresse idéale proposée à
l'imagination érotique du Français moyen. Rêve d'autant plus lancinant qu'il suffirait de traverser l'océan pour le voir réalisé : il était
connu et archiconnu que les Blancs des colonies n'avaient que l'embarras du choix parmi les belles métisses. Et pour comble de merveille
la condition de Blanc avait auprès d'elles une force de séduction irrésistible. Point n'était besoin d'être élégant, séduisant, riche, beau parleur : on n'avait qu'à se présenter orné de sa peau blanche ; les Mulâtresses étaient toutes censées ressembler à celle qui déclare, dans le
poème de Charles Castellan :
[249]
Quand, paresseuse et lasse, à midi je me couche,
Demi-nue, à l'abri sous les feuilles des bois,
Si d'une aile légère un insecte me touche,
Je m'éveille joyeuse, et chagrine à la fois.
Sauvage et jeune encor, moi je ne sais pas feindre ;
Mon corps a des contours qui plairaient ; mais l'ennui
Me sèche, et je demande un amant pour l'étreindre
Car, vois-tu, bien souvent j'ai des songes la nuit...
....................................
En voyant le bouton de ma gorge naissante
Rougir et palpiter, comme aux vents du matin
Bruit de l'Arbre d'or la feuille éblouissante,
Oh ! je voudrais qu'un Blanc l'effleurât de sa main !
(C. CASTELLAN, « La Mulâtresse », in Les Palmiers,
1832, p. 137-138.)
Et tout Français connaissait probablement quelque marin ou quelque voyageur qui, tel M. Brochaud dans L'Oncle d'Afrique de Veyrat
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358
et Angel, évoquait pour qui voulait l'entendre les charmes de certaine
Mulâtresse de New York [sic] (I, ix) ou de certaine quarteronne de la
Martinique, qui s'appelait Tapioka (I, xi).
Il est certain que, puisque la Mulâtresse ne peut s'allier à un Nègre
sans déchoir, et ne peut épouser un Mulâtre sans se condamner à une
vie mesquine où les humiliations ne lui sont pas comptées, elle sera
tentée de se tourner vers le Blanc, source de tout pouvoir et de toute
richesse. A condition d'être jolie, elle ne sera pas repoussée. Mais on
ne lui offrira que la sécurité et la protection auxquelles ont droit les
femmes entretenues. Et l'on sait à quel point le thème de la courtisane
a obsédé l'imagination romantique. De la fille au cœur d'or à la pure et
simple dévoreuse de patrimoines, les Mulâtresses ont tenu tous les
rôles de l'emploi.
La vénalité des Mulâtresses est évidemment expliquée de façon
différente par les négrophobes et par les négrophiles. Les premiers y
voient une preuve supplémentaire d'infériorité. Après avoir souligné
l'hypocrisie et l'avidité des métisses, Édouard Corbière les compare
défavorablement tant aux « Mexicaines et Caraïbesses » des premiers
temps de la colonie qu'aux charmantes Créoles blanches de son
temps :
Cette demi-civilisation qu'ont reçue les classes des femmes
de couleur, est-elle bien propre à faire naître dans leurs cœurs
des penchans qui n'appartiennent qu'à la nature la plus simple,
ou des vertus qui ne sont le partage que d'une civilisation complète ?
(B. CORBIÈRE, Le Négrier, 1834, vol. III, p. 145.)
Et l'enseigne de vaisseau Henry A., dans un article sur les signardes (Mulâtresses du Sénégal), s'étonne de leur facilité à changer de
compagnon :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
359
[250]
Depuis quelques années, on a vu parmi les Signardes quelques mariages à la française ; mais les femmes de ce pays semblent appréhender cette sorte d'union, et lui préfèrent l'espèce de
saint-simonisme qu'elles professent dans le leur.
(Henry A., « La Signarde (mœurs sénégalaises) », Reçue
maritime, ler semestre 1837, p. 217.)
Les négrophiles, de leur côté, cherchent les raisons historiques qui
ont pu pousser les métisses à la galanterie. Ce n'est pour eux ni une
prédisposition congénitale, ni la survivance de la polygamie africaine
qui sont en cause, mais les mesures discriminatoires contenues dans le
code ou incorporées à la vie sociale des colonies. Quoi d'étonnant à ce
que les Mulâtresses exigent une rétribution, puisque c'est là tout ce
que les Blancs sont prêts à leur donner ? Quelle autre raison auraientelles de céder puisque, comme l'explique l'esclave Andréa au comte
Renaud qui veut la séduire :
La belle métisse, se disent les créoles ; puis ils entrent furtivement dans nos maisons, et ils nous parlent bas, comme s'ils
avaient honte de leurs paroles ; puis enfin, après avoir demandé
et obtenu notre cœur, ils nous quittent et s'en vont rejoindre
quelque jeune créole de bonne naissance.
(MAILLANT et A. LEGOYT, L'Esclave Andréa, 1837, Acte I, sc. iii.)
De son côté, l’Haïtien S. Linstant rappelle qu'à l'origine le préjugé
de couleur n'existait pratiquement pas aux Antilles. Avec le temps et
la mise en valeur du pays, de plus en plus de Français viennent chercher fortune dans le Nouveau-Monde. Frais émoulus de la Métropole,
ils se considèrent supérieurs aux frustres colons déjà sur place, lesquels reportent le mépris dont ils font l'objet sur les sang-mêlés, qui le
reportent à leur tour sur les Nègres. C'est au XVIIIe siècle que des ordonnances nouvelles, de plus en plus humiliantes, donnent force de loi
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
360
au racisme devenu ambiant. C'est alors, toujours d'après Linstant,
que :
Les femmes de couleur qui jusque là s'étaient fait remarquer
par leur moralité, se livrèrent bientôt sans scrupule au libertinage le plus honteux [... Elles] se firent honneur de ce débordement, et celle qui ne pouvait compter plusieurs amans blancs,
était aux yeux de ses compagnes une femme sans mérite.
(S. LINSTANT, Essai sur les moyens d'extirper les préjugés
des Blancs..., 1841, p. 55-56.)
L'essai de Linstant est intéressant parce qu'il souligne une composante du racisme que personne ne semble avoir isolée jusqu'alors. Il a
compris que le raciste projette sur sa victime le sentiment de sa propre
infériorité, qu'il se venge par le mépris d'un mépris dont il est – ou
dont il croit être – lui-même la victime. Ce que Linstant suggère c'est
en somme qu'il n'y a pas de « problème noir », mais bien un « problème blanc ». Ce « problème blanc » est illustré par les [251] nombreux personnages blancs qui, à travers toute la littérature romantique,
souffrent, profitent, se réalisent, meurent, se régénèrent, perdent leur
âme ou trouvent leur bonheur au contact du Noir.
LE BLANC
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Les œuvres où n'apparaissent que des personnages noirs ou mulâtres sont très rares. Qu'il s'agisse de romans africains, d'études de
mœurs antillaises ou de mélodrames prenant pour scène la Réunion ou
la Louisiane, les Blancs sont là. Les relations entre les races constituant le plus souvent le sujet réel de l'écrivain, il est difficile de camper un personnage noir sans mentionner le négrier qui le négocie, le
colon qui l'exploite, le philanthrope qui le protège ou le prêtre qui le
catéchise.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
361
Le Noir est exotique de par sa seule couleur. Ce n'est bien entendu
pas le cas des Blancs qui nous intéresse : c'est par la fréquentation des
Noirs qu'ils ont de la vie une expérience spéciale, une vision singulière, qu'ils se distinguent de leurs compatriotes, que leurs aventures acquièrent le cachet d'originalité qui en fait matière à littérature. Or cette
fréquentation peut prendre une multitude de formes. Négriers, colons,
philanthropes, prêtres, on pourrait ajouter marins, explorateurs, administrateurs et simplement hommes et femmes de toutes conditions :
tout un chacun peut être mis, au hasard de l'existence, en rapport avec
un Noir. Nombre des pièces et des romans que j'ai cités ont des Blancs
pour personnages principaux. Eux aussi ont fasciné l'imagination collective et sur eux aussi il serait possible d'écrire une longue étude.
Il n'est pas question de faire ici une étude systématique de ces personnages et de leurs réactions devant le problème racial. Je me bornerai à signaler quelques types caractérisés. L'image qu'ils ont, eux, des
gens de couleur (ou du moins l'idée que donnent les écrivains de cette
image) influencera l'image collective qui est mon sujet, et en expliquera peut-être certaines particularités.
Dans les nombreux textes qui évoquent l'achat des esclaves en
Afrique et leur transport aux îles, il va de soi que le négrier est un personnage central. Tout Tamango a son capitaine Ledoux, tout AtarGull son capitaine Benoît 104. Et certes, l'on ne vantait pas leur profession ; rares sont les écrivains – même esclavagistes – qui l'ont proposée à l'admiration des foules. Un raciste enragé comme Frédéric Soulié peut bien invoquer la volonté divine :
Et qui vous dit [...] que cette traite que vous appelez un
abominable commerce, cet esclavage que vous regardez comme
une odieuse tyrannie, [252] ne sont pas les moyens providentiels par lesquels Dieu a résolu d'arracher ces populations à la
barbarie ?
(F. SOULIÉ, Le Bananier, 1858, p. 96 [1re éd., 1843].)
104
Baptiser ainsi ces hommes est d'une ironie un peu facile.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
362
Mais même lui a la pudeur de mettre la phrase à l'interrogatif. Pour
l'opinion publique, c'est une affaire entendue : acheter et vendre des
êtres humains, les traiter pis que du bétail est abominable. On a dénoncé ces hommes cruels sur tous les tons... et pourtant...
Et pourtant le négrier jouit d'un prestige certain, et une fois payé le
tribut d'usage à la moralité conventionnelle, l'écrivain le pare de toute
une série de séductions. À cela, plusieurs explications, me semble-t-il.
D'abord le négrier est un hors-la-loi (la traite ayant été interdite dès
1815) et il profite donc de l'intérêt que les romantiques portent au
bandit et au criminel. C'est en outre un hors-la-loi qui se mesure à
l'ennemi traditionnel : l'Anglais. On se souvient que la marine britannique patrouillait les côtes africaines et combien le droit de visite
froissait douloureusement les susceptibilités nationales. Les textes ne
se comptent plus,qui, sans aller jusqu'à défendre la traite, fulminent
contre les Anglais. On leur reproche en premier lieu de ne pas agir par
idéalisme mais pour des raisons de vil intérêt commercial. Dans cette
cruelle satire de l'abolitionnisme qu'est Peines de cœur d'une chatte
anglaise, Balzac montre la chatte Beauty pleurant sur les souffrances
des Rats et des Souris (entendez les Noirs). Mais :
... lord Puff me dit confidentiellement que l'Angleterre comptait
faire un immense commerce avec les Rats et les Souris ; que si
les autres Chats n'en mangeaient plus, les Rats seraient à meilleur marché ; que derrière la morale anglaise, il y avait toujours
quelque raison de comptoir ; et que cette alliance de la morale
et du mercantilisme était la seule alliance sur laquelle comptait
réellement l'Angleterre.
(Cité par L.-F. HOFFMANN, « Balzac et les Noirs », L'Année balzacienne 1966, 1966, p. 307.)
On reproche également aux Britanniques leur hypocrisie. C'est
Victor Schoelcher, pourtant peu suspect de sympathies esclavagistes,
qui écrit :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
363
Les Anglais, toujours philanthropes aux dépens des autres,
font bien la guerre aux négriers ; mais ils s'emparent de leurs
noirs, et loin de les rendre au sol natal, ils les portent dans leurs
Indes pour les livrer de nouveau à la servitude.
(V. SCHOELCHER, « Des Noirs », Revue de Paris, 1830,
p. 81.)
Le colon Poirié-Saint-Aurèle, après tant d'autres, accuse la perfide
Albion de s'occuper des Nègres d'autrui au lieu d'améliorer le sort des
catholiques irlandais et de secourir les Grecs. Et le plus grand reproche que l'on fasse aux Anglais est de vouloir profiter [253] de la faiblesse de la France, déjà bien éprouvée par le désastre de Waterloo :
O France, ouvre les yeux. Ta triste politique
Pourrait donc se fier à la foi britannique,
Qui, sans cesse hurlant le nom d'humanité,
Jette un appât grossier à ta crédulité ?
Masquant sous de grands mots l'intolérance impie
Et la rapacité sous la philanthropie,
L'Angleterre a le don de toujours t'éblouir ;
Mais le peu qu'il te reste, elle va l'envahir.
.................................
Tu la vois aujourd'hui gémir sur des esclaves,
Tu la verras demain abandonner aux fouets
L'îlote catholique et le serf irlandais,
Ah ! ces yeux larmoyant sur les fils de l'Afrique
Contemplent froidement les meurtres de l'Attique,
Et le Grec mutilé par un fer nubien
À l'opprobre éternel de l'univers chrétien !
(POIRIÉ-SAINT-AURÈLE, « Le Flibustier », 1827, p. 4546.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
364
Gaspard de Pons n'hésite pas à faire dénoncer l'ennemi héréditaire
par un vieux Noir libéré d'un navire français et mal traité par les marins de Sa Gracieuse Majesté ; il s'écrie :
Moi, de tous les tyrans l'ennemi déclaré,
Pareil au vieux Caton, toujours je redirai
Périsse un vil trafic ! périsse l'esclavage !
ET PERISSE ALBION COMME A PERI CARTHAGE 105.
(G. de PONS, « La Traite des Noirs », in Inspirations poétiques, 1825, p. 143.)
D'où le pauvre homme tire sa solide culture classique, c'est ce que
Gaspard de Pons n'explique point.
Pour la France humiliée par la défaite, forcée d'aligner sa politique
sur celle de Londres, le négrier est un des rares à narguer la puissance
britannique, et à la narguer dans ce qu'elle avait de plus sacré : sa marine. Or c'est dans les années trente qu'Édouard Corbière, Auguste Jal,
Louis Reybaud et d'autres créent de toutes pièces le roman maritime
en France. Mœurs de marins, descriptions techniques des navires et
des manœuvres, batailles navales, effroyables naufrages trouvent auprès du public une faveur durable. Les descriptions de la traite, qui
racontent le plus souvent comment un capitaine malouin ou rochellois
trompe l'Anglais, viennent à point pour profiter de la mode et faire
vibrer la fibre patriotique. Anténor de Caligny rapporte la ruse d'un
négrier qui, sur le point d'être capturé par les argousins gaudons, leur
fait croire que la fièvre jaune règne à son bord : ils s'écartent avec horreur et notre Gavroche nautique [254] continue tranquillement sa route vers les Antilles. Dans « La Noémie » à Biafra, le négrier réussit à
capturer la frégate anglaise qui l'a pris en chasse. Il s'amusera à jeter
les prisonniers par-dessus bord, un par un pour faire durer le plaisir.
Dans La Frégate et le négrier, l'astucieux Français s'échappe à la faveur de la nuit : un fanal allumé à bord d'une barque fait croire au ca-
105
En majuscules dans le texte.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
365
pitaine du croiseur anglais que son prisonnier est resté à l'ancre 106. Et
ainsi de suite.
Bref le négrier est lui aussi un personnage ambigu : ignoble marchand de chair humaine, mais en même temps frondeur de l'autorité,
réincarnation des anciens corsaires, vengeur de l'honneur national et
surtout individualiste à tout crin qui mène la vie exaltante du grand
large. Les Nègres sont pour lui des objets : aucun despote oriental ne
règne sur ses sujets d'une manière aussi absolue que lui sur sa cargaison. Au gré de sa fantaisie ou de son intérêt il les achète et les vend,
les affame ou les nourrit, les fait danser ou les fait fouetter, les soigne
ou les jette à l'eau. La satisfaction intégrale de la volonté de puissance,
rêve secret de tout homme, il l'a connue, lui. C'est à n'en pas douter un
personnage romantique. Dans un article d'Édouard Corbière, un capitaine de négrier décrit sa vie. Il faudrait citer tout l'article ; je n'en
donnerai ici qu'un long extrait :
Fatigué d'exister au milieu des habitudes uniformes de l'Europe, j'ai trouvé un autre monde, une autre nature sur la côte
d'Afrique. C'est là que je me suis senti vivre le plus énergiquement ; c'est là seulement que j'ai compté pour quelque chose les
arts qui nous élèvent au-dessus de l'incivilisation des sauvages.
Et crois-tu que ce soit pas quelque chose de délicieux que de
paraître avec supériorité au milieu d'une peuplade de nègres qui
vous regardent tous comme un homme au-dessus d'une nature
ordinaire, qui vous admirent comme un être miraculeux ? Trèssouvent, dans mes rêves de gloire, je me suis imaginé que j'étais
amiral, et qu'après un combat, je paraissais, enivré d'applaudissemens, dans une salle de spectacle. Eh bien, dans ma fièvre de
gloire, j'éprouvais mille fois moins de plaisirs que lorsque j'ai
parcouru à côté du Cacique des Bisagos un marché ou une ville
où trois ou quatre mille noirs attachaient sur moi leurs regards
avides. L'idée que j'allais choisir dans cette multitude trois ou
quatre cents esclaves, me repoussait moins que la puissance que
j'allais exercer sur tout ce monde ne me séduisait. Et puis cette
106
A. de Coligny, « Une ruse de négrier », Revue maritime, 1834 ; J. Lecomte,
« La Noémie à Biafra », in L'Abordage, 1836 ; D. de Tr... f, « La Frégate et
le négrier », Le Navigateur, 1833.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
366
mâle satisfaction de commander à un équipage d'hommes aventureux que j'avais conduits à travers tant de dangers, sur des côtes où les croiseurs nous poursuivaient encore, me donnait en
moi une sorte de confiance que toutes les récompenses décernées par l'Europe à une belle action ne m'auraient pas inspirée.
Va, crois moi, c'est quelque chose de bien séduisant que de réussir à surmonter de grands périls, et à faire des choses inconnues au reste du monde entier.
(B. CORBIÈRE, « Le Capitaine de négrier », Le Navigateur,
1829, p. 98-99.)
[255]
Et parmi ces « choses inconnues du monde entier » viennent en
bonne place des orgies que la puritaine Europe ne peut qu'imaginer.
Une vie érotique facile, variée, excessive est l'apanage du négrier.
Non seulement les plus belles esclaves lui sont-elles réservées d'office
dès que la voile est mise, mais en pays de traite les femmes ne sont
pas chères et chacun peut se monter un sérail à son goût.
Édouard ne devait pas rester négrier à demi. Avec toutes les
charges du métier, il en voulait, il en appelait les jouissances.
C'était bien assez d'avoir à glisser dans l'écume par les jours
d'ouragan, à rompre ses hauts-mâts en les surchargeant de tzile,
à vivre des semaines entières sans sommeil, toujours debout,
toujours l'œil à l'horizon avec la perspective de mourir accroché
à une verge [sic] anglaise, ou de se voir saisi à bord par une révolte d'esclaves. A terre, à terre, il fallait une revanche à tant
d'angoisses. Là surtout, où le négrier ne ressortait que de luimême, où, isolé de la force sociale, il était beau comme un
demi-dieu, où l'auréole du riche, du puissant, couronnait son
front ; où il régnait, où il triait les hommes, les femmes, les enfans ; où tous les corps, jeunes et beaux, vigoureux et adroits, se
donnaient à lui [...] là surtout, sur cette terre de la traite, commençait cette vie de compensations orgueilleuses, et d'indicibles réparations. – « Mes pieds sont froids ; vite une jeune fille
à mes pieds ; qu'elle les réchauffe. Le soleil des tropiques fait
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
367
suinter mes pores ; vite qu'une esclave épie chaque goutte de
sueur ; qu'une autre agite sur ma tête le chassemouche en latanier. » – Un maître ne doit point avoir froid, ne doit point transpirer, quand il a des esclaves attentives. Il lui en faut pour lui
verser à boire, pour le servir à table, pour l'aider au matin, pour
l'assister le soir ; il lui en faut quand il se lève et quand il se
couche ; beaucoup, car il aime à changer ; beaucoup de fleurs à
peine ouvertes, car il veut qu'elles s'épanouissent pour lui.
(L. REYBAUD, « Madame Clara II ; le négrier à la traite »,
Revue maritime, premier semestre 1835, p. 148.)
Et au cours de l'orgie :
Le négrier était annulé ; le pacha restait seul étendu sur un
canapé de bambou, noyé dans les bras de deux métisses les plus
fraîches, les plus jeunes, les plus ardentes de ce harem. [...] A
voir ces deux esclaves enlacées à cet homme, beau lui-même,
on eût dit un de ces groupes amoureux que les artistes romains
sculptèrent pour les musées secrets de leurs empereurs (idem, p.
151).
L'auteur s'étendra avec complaisance sur les descriptions détaillées des femmes de couleur et des raffinements érotiques
que le négrier exige d'elles. Plus pudique, Balzac dit de Charles
Grandet, qui fait fortune dans le commerce de chair humaine :
... les négresses, les mulâtresses, les blanches, les almées,
ses orgies de toutes les couleurs et les aventures qu'il eut en divers pays effacèrent complètement le souvenir de sa cousine...
(H. de BALZAC, Eugénie Grandet, Pléiade III, p. 632 [1re
éd., 1834].)
Les Noirs sont aux yeux du négrier les sujets dociles sur lesquels il
exerce une autorité qu'aucune loi ne limite. Les femmes de couleur
[256] lui servent à satisfaire un érotisme débridé loin des tabous de la
société occidentale. En s'identifiant à ce personnage, en rêvant la vie
dangereuse mais enivrante qu'il mène, le lecteur adopte peu ou prou
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
368
cette optique. Les mêmes humanistes et chrétiens poussés par leurs
principes à défendre les malheureux esclaves, se complaisent à de
troubles rêveries où la soif de dominer et de posséder se satisfait aux
dépens des fils – et des filles – de Cham.
On a beaucoup parlé des Créoles blancs au XIXe siècle, et de nombreux écrivains les ont pris pour personnages. Certains voient en eux
d'admirables pionniers remplissant dans de lointains pays une mission
civilisatrice. D'autres les considèrent comme racaille et descendance
de racaille, menant une vie de scandaleuse oisiveté grâce aux souffrances de leurs esclaves. Bons colons, méchants colons, colons grossiers ou raffinés, tout dépend en général des convictions de l'auteur.
Mais nombreux sont les textes qui soulignent l'influence des Noirs sur
les enfants créoles. Le fait, par exemple, que l'on n'hésite pas à confier
un nourrisson blanc à une nourrice de couleur a, selon certains, de
graves inconvénients. Bernardin de Saint-Pierre évoquait déjà en 1773
l'éducation des jeunes Blancs de l'Ile de France :
Cette éducation, qui se rapproche de la nature, leur en laisse
toute l'ignorance ; mais les vices des négresses, qu'ils sucent
avec leur lait, et leurs fantaisies, qu'ils exercent avec tyrannie
sur les pauvres esclaves, y ajoutent toute la dépravation de la
société.
(B. de SAINT-PIERRE, Voyage à l'Ile de France, in Œuvres complètes, 1818, vol. I, p. 150. [1re éd., 1773].)
Descourtilz, auteur des Voyages d'un naturaliste, pense que cette
lactation de mauvaise qualité prédispose à la débauche :
Dès qu'il a vu le jour, on l'arrache à sa mère pour le confier à
des mains étrangères, à une négresse toujours libertine, qui sait
tromper la surveillance la plus exacte, et n'arrive jamais au terme du sevrage sans avoir rompu les lois de la continence, donne
ensuite à l'enfant un lait corrompu, et, avec cette boisson pernicieuse, le germe de ses impudiques désirs.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
369
(M. B. DESCOURTILZ, Voyages d'un naturaliste, 1809,
vol. II, p. 51.)
Le nourrisson ne suce pas seulement la luxure et la dépravation
avec le lait de sa nourrice noire, mais aussi la superstition :
Après lui avoir fait sucer son lait étranger, cette femme, avec
son imagination africaine, berce son enfant de contes bizarres,
effrayans, [...] elle l'endort au son de ces récits fantastiquement
horribles, qui ne manquent jamais de laisser dans l'esprit des
jeunes créoles une légère teinte de superstition qui ne s'efface
qu'après de longues années, et de mettre le nourrisson sous l'entière domination de sa nourrice.
(S. DANEY, « Les Créoles à Paris », in Le Livre des cent-etun, XIVe livraison, 1834, p. 152.)
[257]
Quoi qu'il en soit, le fait de grandir entouré de Noirs déforme le caractère des Créoles. C'est du moins ce qu'affirme Jules Lecomte :
Les ruses particulières à cette race de noirs, dont on entoure
les enfans aux Antilles, ne laissent pas que de mettre dans ces
âmes encore faciles à pétrir un levain d'artifice et de fourberie
que l'occasion finit tôt ou tard par faire aigrir et fermenter.
(J. LECOMTE, L'abordage, 1836, vol. II, p. 64.)
Et Balzac ne dit pas autre chose lorsqu'il explique, dans Le Contrat
de mariage, la perfidie d'une Créole espagnole, Mme Evangélista :
[la Créole] a quelque chose de la perfidie des nègres qui
l'ont entourée dès le berceau, mais elle est aussi naïve qu'ils
sont naïfs. Comme eux et comme les enfants, elle sait toujours
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
370
vouloir la même chose avec une croissante intensité de désir et
couver son idée pour la faire éclore.
(Cité par L.-F. HOFFMANN, « Balzac et les Noirs », L'Année balzacienne, 1966, p. 302.)
On voit donc que, pour les racistes, les défauts des Nègres sont
contagieux, et qu'il importe d'en préserver les enfants blancs. Ceux-ci
sont par ailleurs habitués dès leur plus jeune âge à mépriser les esclaves, voire à les maltraiter. Pratiquement tous les écrivains abolitionnistes ont compris que l'insensibilité des colons leur avait été inculquée dès l'enfance. La tyrannie d'un enfant blanc sur un adulte noir
leur a paru particulièrement scandaleuse. Aussi, lorsqu'un Créole ou,
plus fréquemment, une Créole se montre humaine et compatissante
envers ses esclaves, l'écrivain l'imagine, par souci de vraisemblance,
éduquée en France. Les Blancs élevés aux colonies ne se posent généralement pas la question : ils sont plus ou moins cruels, plus ou moins
indulgents, mais ne mettent en cause ni le principe de l'esclavage ni
les brutalités dont il s'accompagne. Une exception, et encore n'est-elle
pas tirée d'un ouvrage d'imagination. La comtesse Merlin, Créole de
La Havane, affirme dans ses Souvenirs :
Ce tableau de l'esclavage, toujours sous mes yeux dans mes
premières années, loin de nuire à mon caractère, n'a développé
dans mon cœur que des sentimens élevés [...]. La vue de ces
êtres infortunés, dont l'existence entière n'était qu'une chaîne
d'actes de dépendance, a produit en moi, le reste de ma vie, un
éloignement invincible à contraindre la volonté de qui que ce
soit. [...] On dirait souvent que je suis aussi jalouse de l'indépendance des autres que de la mienne.
(M. MERLIN, Souvenirs et mémoires, 1836, vol. I, p. 16.)
On pourrait s'attendre à ce que bon nombre de colons sadiques apparaissent dans la littérature. Or, il n'en est rien. Certes, les tortures
auxquelles étaient soumis les esclaves sont souvent décrites, mais il
n'est guère suggéré que ceux qui les infligent en tirent un plaisir spécial : c'est leur sévérité et leur injustice que l'on souligne. Je n'ai trou-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
371
vé que trois textes à propos desquels on puisse parler [258] de sadisme. Le premier, qui remonte au XVIIIe siècle, n'est qu'une rapide allusion. Dans les Lettres africaines de Butini, le méchant Sir Campbel
déclare :
Lorsque l'ennui vient m'assaillir, ce qui arrive assez souvent,
je m'amuse à houspiller, à frapper un troupeau d'esclaves. Les
bonnes gens font des mines si plaisantes, des contorsions si délicieuses, c'est à mourir de rire.
(J.-F. BUTINI, Lettres africaines, 1771, p. 199.)
Peut-on véritablement parler ici de sadisme ? Il me semble que Sir
Campbel souffre tout simplement d'un sens de l'humour singulièrement primaire. Le deuxième texte est plus intéressant : Antoine Métral, auteur d'un essai sur Les Esclaves (très inspiré par les abolitionnistes anglais), se répand en invectives contre les colons. Il montre en
particulier leurs femmes au marché aux esclaves :
Elles commandaient de les fouetter pour qu'on déployât devant leurs yeux humides de luxure, la vigueur et la beauté de
ces corps jeunes, nus et sauvages.
(A. MÉTRAL, Les Esclaves, 1836, vol. I, p. 267.)
D'après Métral les dames créoles font donc fouetter les esclaves
pour éveiller leur propre luxure. Il ne suggère par contre pas qu'elles
profitent de ces nudités athlétiques pour la satisfaire.
Le troisième texte que j'aie trouvé est le seul à entrer dans les détails. Mme Laborie, Créole de la Nouvelle-Orléans, fait construire dans
la cave de son hôtel un théâtre digne du divin marquis :
Neuf piliers avaient été dressés en rond dans une salle basse
et obscure aux deux premiers, pendaient des cadavres déjà devenus squelettes ; aux sept autres étaient enchaînés des esclaves. [...] Leurs corps ne formaient qu'une immense plaie sur
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
372
lesquelles les verges avaient laissé de profonds sillons. Au milieu du rond formé par les piliers s'élevait une estrade habilement disposée pour que les coups pussent mieux porter et encore humide d'une boue rougâtre. Le nerf de bœuf, raide de sang,
y était suspendu. [...] Chaque matin, cette femme élégante et
frôle venait du haut de l'estrade sanglante exercer elle-même
son insatiable vengeance : une fois la verge à la main, une sorte
de joyeuse fureur s'emparait d'elle, ses forces renaissaient à la
vue des blessures et à l'odeur du sang.
(E. SOUVESTRE, « La Belle Créole », Le Cabinet de lecture, 1840, p. 537.)
Trois textes, ce n'est pas grand-chose. Peu de Nègres sadiques, peu
de colons sadiques. Sans doute ce genre de perversion sexuelle ne se
trouve-t-il encore – et rarement – que dans les livres vendus sous le
manteau. Il faudra attendre les Mirbeau, les Huysmans, les Apollinaire
et bien entendu les écrivains d'aujourd'hui pour qu'elle devienne sujet
de littérature.
Mme Laborie torture pour le plaisir de torturer. C'est par contre sous
l'effet de la jalousie que bien des femmes créoles font fouetter [259]
les esclaves qui ont ou le malheur de plaire à leurs maris. J.-J. Virey
cherche dans la physiologie une explication à cette cruauté :
Cette diminution du sang et des autres liqueurs est encore
prouvée par l'absence ou la modicité des règles chez les femmes
créoles, à moins que cette excrétion menstruelle ne devienne
excessive par la crispation spasmodique de l'organe utérin. Aussi sont-elles extrêmement indolentes, faibles et timides. Mais
comme le système nerveux devient encore plus sensible chez
elles que dans les hommes, [...] elles subissent des passions extrêmes. Leur jalousie s'emporte jusqu'à la rage elles sont excessivement cruelles et vindicatives envers leurs esclaves.
(J.-J. VIREY, Histoire naturelle..., 1824, vol. II, p. 180-181.
[1 éd., 1801])
re
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On arrive en somme à un paradoxe : négrophobes et négrophiles
semblent s'accorder à déplorer les contacts entre les races ; les premiers, parce qu'ils craignent la corruption des Blancs par les Noirs, les
seconds parce qu'au contact des esclaves les mauvais penchants des
Blancs risquent de se donner libre cours. Dans l'un et l'autre cas les
Noirs sont vus comme des objets ; ce qui intéresse avant tout l'écrivain
c'est leur influence possible sur les hommes de sa propre race. Tout se
passe comme si l'on s'inquiétait des dangers que courrait le caractère
d'une personne vivant dans l'intimité constante des animaux. Risquerait-elle de devenir bestiale ? Ou de manquer de tolérance à l'égard des
pauvres brutes ? En tout cas le fait est que le colon personnage littéraire n'est jamais rendu plus humain, plus juste, plus large d'esprit par la
fréquentation des Noirs. Et cette vision du Noir comme objet ou
comme animal est illustrée par une image que l'on retrouve constamment : celle de la femme créole qui oublie toute notion de pudeur devant un homme noir. Ainsi le Parisien Georges de Cluvigny arrive aux
Antilles et s'étonne de voir
les jeunes filles blanches, qui dans la naïveté de leurs préjugés
jettent, insouciantes, leurs regards sur ces nudités athlétiques.
(V. CHARLIER et E. CHAPUS, « M. de Cluvigny », in Titime, 1833, p. 53.)
Ainsi Roger de Beauvoir décrit Mme de Langeais qui prend tranquillement son bain sous les yeux du jeune Mulâtre Saint-Georges :
Elle ne s'inquiète ni de ce regard trop vif, ni de cet amour
concentré comme une lave. La créole ne doit voir que ce qui est
blanc, le jaune ou le noir, voilà pour elle une couleur négative.
(R. de BEAUVOIR, Le Chevalier de Saint-Georges, 1840,
vol. II, p. 107-108.)
Ainsi Édouard Corbière signale que :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
374
Cette pudeur, que nous avons en Europe, ne s'alarme pas de
voir aux Antilles un esclave sans vêtement. Il semble que la nudité d'un nègre n'ait [260] même pas le privilège de faire rougir
une femme blanche, tant nous sommes parvenus à dégrader la
valeur des hommes d'une autre couleur que nous.
(E. CORBIÈRE, Élégies brésiliennes, 1823, pp. 54-55.)
Ainsi enfin Maynard de Queilhe écrit :
À Saint-Pierre, au Fort-Royal, partout dans la Martinique,
les nègres sont presque nus, et les dames, jeunes ou vieilles, filles, mariées ou veuves, sages ou libertines, les voient et les regardent, sans que leurs sens s'en émeuvent plus que si c'étaient
des chevaux ou des chiens.
(L. de MAYNARD de QUEILHE, Outre-mer, 1835, vol. I,
p. 349.)
Remarquons bien qu'il ne s'agit pas ici de monstrueuses femmes
fatales, d'héroïnes du dévergondage comme on les aimait à l'époque,
mais de femmes parfaitement banales, de Madames Tout-le-monde.
Gageons que les lectrices françaises devaient rester rêveuses à l'évocation de leurs sœurs antillaises contemplant impunément des nudités
africaines et se montrant sans voiles et sans complexes à des hommes
qui, pour être Noirs, n'en étaient pas moins des hommes.
Une fois de plus, le Nègre est réduit au niveau d'un animal. Par les
colons, bien sûr, et personne n'était forcé d'adopter leur point de vue,
mais l'idée que le Noir pouvait être considéré comme un objet, qu'il
l'était en fait de l'autre côté de l'Atlantique, ne contribuait guère à ennoblir l'image que l'on se faisait de lui.
Les Noirs d'Afrique et du Nouveau Monde se sont de nos jours mis
à exiger le respect humain qui leur est dû. Ils en ont au moins obtenu
les signes extérieurs. Aussi les textes que je viens de citer ont-ils
comme un parfum d'archaïsme qui nous fait sourire. Mais on trouve,
en 1911 encore, dans un article intitulé La Sécurité des femmes blanches et la race africaine des observations du genre :
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
375
En Afrique du Sud, les dames permettent d'ordinaire à leurs
« garçons » indigènes de les servir dans leurs chambres à coucher, quand elles sont soit au lit, soit très légèrement vêtues,
oubliant que ces « garçons » sont des hommes dont les passions
ont atteint leur plein développement et qui vivent séparés de
leurs femmes.
(F. HOGGAN, M. D. « La Sécurité des femmes blanches... », in Mémoires sur le contact des races, 1911, p. 401.)
Je ne sais pas si les dames de Pretoria et de Johannesburg font plus
attention aujourd'hui. C'est probable ; et si par hasard ce n'est pas encore le cas, ce ne saurait désormais pas tarder à le devenir.
Si le négrier et le Créole sont des personnages exotiques, le Français qui débarque aux îles pour la première fois ne l'est aucunement. Il
est par ailleurs moins facile à caractériser : le négrier est un homme
qui fait la traite, le colon est un cultivateur possesseur d'esclaves ; le
visiteur français peut être un soldat, un administrateur, un magistrat,
[261] un aventurier, l'héritier d'une grande propriété foncière, l'artiste
à la recherche de l'inspiration, le touriste naïf venu rendre visite à un
cousin martiniquais, bref il appartient à toutes les classes de la société,
les raisons de sa présence aux colonies sont multiples et, s'il est inévitablement mis en présence du problème racial, sa réaction n'est pas
automatiquement prévisible. Tout dépend de l'emploi que l'écrivain
veut faire de lui. Dans Bug-Jargal, d’Auvernay est écartelé entre les
Blancs stupides et les Noirs sauvages qui se liguent pour détruire son
bonheur. Le Ludovic de Gustave de Beaumont va finir ses jours dans
les solitudes du Michigan : il a choisi de partager le sort de sa femme
la Mulâtresse Marie. Le prince Rodolphe des Mystères de Paris ne
passe par la Floride que pour libérer le docteur David et sa femme Cecily. Les uns se heurtent à la fureur des Noirs, les autres aux préjugés
des Blancs. Les uns triompheront, les autres vont succomber. Chaque
cas est différent et il serait fastidieux de les passer en revue. Ce qui est
intéressant c'est que, soit par la faute des colons, soit par celle de leurs
esclaves, soit par celle des deux à la fois, le Français qui s'aventure
aux colonies y trouve généralement le malheur, et ce du fait de la présence des Nègres. Sans en porter nécessairement la responsabilité, les
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Noirs sont une source de danger et d'infortune. Voilà qui n'a pu manquer de renforcer la dimension inquiétante de l'image qui nous intéresse.
Pratiquement tous les Français qui arrivent aux îles y apportent les
idées philanthropiques de la Métropole. Ils sont anti-esclavagistes et
prêts à s'indigner des conditions ambiantes. La majorité d'entre eux ne
changent pas de point de vue. Mais quelques-uns se convertiront à la
doctrine des habitants. Théoriciens jugeant dans l'abstrait, ils adopteront au contact des réalités une optique plus raisonnable, entendez la
conviction qu'un esclavage tempéré par une bonté indulgente est indispensable au bien-être des Blancs et même dei ; Noirs. C'est tout le
sujet du Bananier de Frédéric Soulié : Ernest Clemenceau, admirateur
fervent de l'Anti-Slavery Society, arrive à la Basse-Terre bien décidé à
faire son possible pour hâter le jour de l'émancipation. Mais il constate
que les Nègres mènent une vie heureuse et refusent avec véhémence
la condition d'homme libre. Il est forcé de convenir que les colons
passent le plus clair de leur temps à soigner avec abnégation des esclaves reconnaissants. Le représentant local de la Société antiesclavagiste est un épouvantable Britannique du nom de Welmoth,
cynique opportuniste, personnage hypocrite et libidineux qui pousse
les esclaves à la révolte pour ruiner les Français et s'approprier leurs
terres. Clémenceau se rendra à l'évidence et deviendra partisan des
colons injustement attaqués.
Clemenceau agit par conviction. D'autres Français tourneront [262]
casaque pour des motifs bassement intéressés. C'est ce qu'explique
sans précautions oratoires le colon comte de Guerrecy :
Ces Européens, que Dieu les confonde ! ils viennent ici,
s'imaginant qu'on ramasse l'or dans les ruisseaux ; ils nous
chassent de nos places, lisent le Constitutionnel à nos esclaves,
donnent le bras à des négresses et la main à des gueux de mulâtres ; puis, ouvrez-leur vos salons, accordez-leur vos filles, et
les voilà plus créoles que nous ; ils écorcheraient un nègre tout
vif !
(L. de MAYNARD de QUEILHE, « Le Lorgnon », Le Voleur, 15 février 1833.)
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
377
Ce genre de déclarations ne surprendra pas ceux qui ont vécu il y a
quelques années la guerre d'Algérie. La tactique des esclavagistes est
claire. Leur plaidoyer repose sur deux arguments : premièrement, les
abolitionnistes jugent sans savoir et se font une idée fausse de la société coloniale ; deuxièmement, les négrophiles se rendent euxmêmes, dès qu'ils en ont l'occasion, mille fois coupables des crimes
dont ils avaient accusé les colons. Je pense que les lecteurs français
devaient être frappés par cette argumentation qui leur donnait à la fois
bonne et mauvaise conscience. Bonne, car il est intellectuellement
confortable de réserver son jugement sous prétexte de mal connaître
les éléments du problème : c'était peut-être vrai, après tout, que les
esclaves étaient heureux. Ne risquait-on pas de se gendarmer pour un
problème inexistant ? Mauvaise conscience, car chacun pouvait se
demander si, mis en face des réalités, il ne réagirait pas aussi cruellement que les colons... ou même plus. Mieux vaut ne pas se poser la
question, et c'est précisément ce que voulaient les esclavagistes.
Il est à cet égard significatif que l'on trouve si peu de prêtres dans
les œuvres que j'ai consultées. Et ceux que l'on trouve sont des personnages secondaires qui ne font que de rapides apparitions. Tel ce
curé de la Guadeloupe qui apprend aux esclaves que Caïn était nègre
et Abel blanc, et que l'esclavage est la punition infligée par Dieu à la
descendance de l'assassin (Anon., « Mœurs coloniales », Revue des
colonies, sept. 1835).
Il y a deux exceptions : le Père Antoine, le moine du ToussaintLouverture de Lamartine, chrétien progressiste, prêtre-ouvrier avant la
lettre, dont la vocation passe par le Christ pour mener à la révolution :
il dit à Toussaint :
LE MOINE
Ma pensée invisible est avec ton esprit.
Je t'ai suivi de l'œil des fers au rang suprême.
Je t'aime, roi des noirs, parce que mon Dieu t'aime ;
Parce que l'avenir du quart de ses enfants
Repose avec sa foi sur tes bras triomphants.
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[263]
TOUSSAINT
Mais vous n'êtes pas noir ! Mais vous n'êtes pas traître
À vos frères les blancs ?...
LE MOINE
Je sers un autre maître
Qui ne connaît ni blancs, ni noirs, ni nations,
Qui s'indigne là-haut de ces distinctions,
Qui d'un égal amour dans sa grandeur embrasse
Tous ceux qu'il anima du souffle de sa grâce,
Qui ne hait que l'impie et les persécuteurs,
Et soutient de son bras les bras libérateurs.
Levant les mains vers lui pendant la sainte lutte,
Je suis de la couleur de ceux qu'on persécute !
Sans aimer, sans haïr les drapeaux différents,
Partout où l'homme souffre il me voit dans ses rangs.
Plus une race humaine est vaincue et flétrie,
Plus elle m'est sacrée et devient ma patrie.
J'ai quitté mon pays, j'ai cherché sous le ciel
Quels étaient les plus vils des enfants d'Israël,
Quels vermisseaux abjects, d'un talon plus superbe
Le pied des oppresseurs écrasait nus sur l'herbe ;
J'ai vu que c'était vous ! vous sur qui votre peau
Du deuil de la nature étendit le drapeau ;
Vous, insectes humains, vermine au feu promise,
Contre qui la colère aux plus doux est permise,
Que le plus vil des blancs peut encor mépriser,
Que le fou peut railler, que l'enfant peut briser,
Qu'un revendeur de chair vend, colporte et transplante,
Comme un fumier vivant qui féconde une plante ;
378
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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Sans père, sans enfants, nomades en tout lieu,
Hors la loi de tout peuple et hors la loi de Dieu
A qui, dans l'intérêt de sa prééminence,
Le blanc comme un forfait défend l'intelligence,
De peur qu'on ne vous montre, au livre du Sauveur,
Que les blancs ont un juge et les noirs un vengeur !
(A. de LAMARTINE, Toussaint-Louverture, 1850, acte II,
sc. iv.)
Le deuxième prêtre que j'ai trouvé sursit sûrement été scandalisé
par le Père Antoine. Il s'agit d'un missionnaire, M. l'abbé Duhamel,
dont les hauts faits sont rapportés par l'abbé J. Hardy. Son livre, Trésor des Noirs, est un exemple tout à fait intéressant de « littérature
Saint-Sulpice ». On a peine à croire qu'il ne s'agit pas d'un ouvrage
parodique :
L'HABITATION MONTPELLIER
ou
LES ESCLAVES REPENTANS
ET FIDÈLES À LEUR PROMESSE
Il y avait à Sainte-Croix (île danoise), une habitation appelée
Montpellier, où les esclaves vivaient dans une grande insubordination, refusant [264] ouvertement d'obéir et de travailler.
Aussitôt que M. O'Ferrall, qui en était le propriétaire, eut appris
l'arrivée de M. Duhamel, missionnaire zélé dont il connaissait
l'ardente charité et le grand dévouement, il vint le prier avec
instance de fixer sa demeure sur son habitation, afin d'y rétablir
le bon ordre parmi les nègres, et de les instruire des vérités de la
religion. Le généreux missionnaire y consent. Bientôt il paraît
au milieu de ces nombreux esclaves indisciplinés, il leur apprend les grandes vérités de la religion, et leur rappelle les obligations qu'ils doivent remplir avec fidélité. Il les visite aux ateliers et dans tous leurs travaux. « Dieu vous voit, leur disait-il
souvent, il vous entend, il connaît tous vos désirs et toutes vos
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
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pensées. Souvenez-vous qu'il vous promet le Ciel si vous êtes
vertueux, soumis, laborieux, et qu'au contraire, il vous punira
pendant l'éternité si vous n'obéissez point à vos maîtres, si vous
ne les respectez pas, si vous refusez de travailler et de vivre en
bons chrétiens. »
Frappés des vérités que leur annonce le pieux missionnaire,
les esclaves de Montpellier reconnaissent leurs torts ; ils vont
trouver leur maître, et à genoux à ses pieds, ils lui disent :
« Maître, nous nous repentons, pardonnez-nous, nous vous
promettons de changer de vie, et de toujours vous obéir. » M.
O'Ferrall, charmé de ces heureuses dispositions, leur accorde
avec plaisir le pardon qu'ils réclament de sa bonté. Il était d'ailleurs pour eux le meilleur des maîtres.
Ces esclaves répentans furent fidèles à leur promesse. Dès
ce moment, ils s'assemblèrent à la chapelle de l'habitation pour
y faire la prière le matin et le soir, et pour y entendre les instructions du Père : ils assistèrent aux saints offices du dimanche
dans un grand recueillement et avec beaucoup de piété. Oh !
avec quelle joie ils chantaient les cantiques qu'ils avaient appris !... Aussi quel admirable et merveilleux changement s'opéra
dans cette habitation, qui devint en peu de temps une des plus
florissantes du pays... Qu'il était beau, qu'il était consolant de
voir avec quel empressement ces nègres soumis se rendaient
chaque jour à la chapelle pour y prier Dieu et le bénir de tous
ses bienfaits !... Avec quel plaisir ils allaient aux ateliers en
chantant des cantiques !... Avec quelle ardeur ils se livraient au
travail !... Comme ils aimaient leur maître et lui obéissaient !...
Tous dans la suite se marièrent, et vécurent dans l'union la plus
parfaite, élevant leurs enfans dans la crainte de Dieu et l'amour
du travail.
Oui, là où règnent l'obéissance, le bon ordre et l'amour du
travail, là aussi règnent la paix, l'abondance et le bonheur.
(Abbé J. HARDY, Le Trésor des noirs, 1843, p. 312-314.)
Du fait que je n'ai trouvé que deux prêtres « littéraires », il ne faut
certes pas conclure que l'attitude de l'Église envers l'esclavage n'a pas
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
381
préoccupé les esprits. Bien au contraire, dès les débuts de la traite,
laïcs et ecclésiastiques se sont penchés sur cette question. Leurs écrits
ont fait l'objet de plusieurs études 107. Au XIXe siècle, par exemple,
Granier de Cassagnac écrit Idée du christianisme sur l'esclavage où il
essaye de démontrer que l'un n'est pas incompatible avec l'autre, à
grand renfort de citations tirées des pères de l'église, des bulles papales et des plus célèbres théologiens. De nombreux [265] auteurs, tels
Antoine Métra], Victor Schœlcher et l'abbé Dugoujon soutiendront
l'opinion contraire. Il semble que le Saint-Siège ait réussi à ne jamais
statuer avec précision : les prêtres restaient libres de s'engager pour ou
contre l'esclavage, ou de rester officiellement neutres.
Le missionnaire colonial aurait pourtant dû être un personnage de
choix pour les auteurs d'ouvrages d'imagination. C'est peut-être pour
des raisons de tactique que les esclavagistes comme les abolitionnistes
ont préféré ne pas l'utiliser. Ils craignaient, me semble-t-il, d'éveiller
l'hostilité chez une partie de leurs lecteurs. Imaginer un « bon » prêtre
esclavagiste ? On risquait de froisser ceux qui considéraient que l'église n'avait tout de même pas à défendre l'esclavage, indispensable certes, mais qu'ils prétendaient être les premiers à déplorer. Montrer un
« mauvais » prêtre esclavagiste ? Bien des gens, qui déploraient l'esclavage respectaient le clergé et auraient mal pris une attaque contre
un de ses membres. Un « bon » prêtre ennemi de l'esclavage ? L'anticléricalisme des lecteurs libéraux rendait la chose hasardeuse. Un
« mauvais » prêtre abolitionniste ? Même les plus fervents défenseurs
des colons ne s'y sont pas risqués. Tout compte fait, mieux valait
s'abstenir ou, à la rigueur, montrer un ecclésiastique rendant à César
ce qui est à César, prêchant la douceur aux uns et aux autres, exhortant tout le monde à la concorde universelle sans approuver ni attaquer
les institutions. Il va par ailleurs de soi que, les prêtres nègres n'existant pas encore pendant la première moitié du XIXe siècle, ils n'auraient pu apparaître dans la littérature.
Chacun sait que le Nègre n'aime de l'église que les processions
dont le côté spectaculaire enchante son âme enfantine. La dimension
spirituelle de la liturgie chrétienne, ciment de la culture occidentale,
107
Voir, entre autres, G. DEBIEN, La Christianisation des esclaves des Antilles
françaises au XVIIe-XVIIIe siècle, L. AMIABLE, L'Église et l'esclavage,
1894, et J. JANIN, S.S.P, Le Clergé colonial de 1815 à 1850, 1936.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
382
lui reste inaccessible. Comment s'entendre avec un être dont les
conceptions métaphysiques se limitent aux pratiques superstitieuses
du vaudou ? On ne l'a pas écrit en toutes lettres, mais il est nettement
suggéré que le Noir n'est pas assez évolué pour entrer dans la grande
famille catholique : l'action du missionnaire se limitera à lui prêcher la
résignation et l'obéissance. L'homme de Dieu peut cathéchiser le prolétaire blanc ; à vouloir éduquer l'esclave noir il perdrait son latin.
L'absence de prêtres dans la littérature me paraît ainsi, sans que les
écrivains en soient bien sûr toujours conscients, contribuer à présenter
le Noir comme fondamentalement inférieur.
Je pense donc pouvoir conclure que les personnages blancs qui
sont amenés à fréquenter les Noirs les considèrent, implicitement ou
explicitement, comme des inférieurs. À cela rien de surprenant : tout
écrivain exprime la mentalité collective autant sinon plus qu'il ne l'influence. En choisissant pour protagoniste un membre de cette [266]
collectivité, on ne peut, sous peine d'en faire un énergumène, lui donner une vision du monde radicalement différente de celle de ses
contemporains. L'attitude des personnages blancs envers les Noirs
peut en l'occurrence varier, mais dans des limites bien définies. Aucun
d'entre eux, par exemple, n'a prétendu que les Nègres soient des bêtes
et non pas des êtres humains : c'est que même les négrophobes les
plus enragés n'avaient pas avancé cette théorie. De même le plus généreux des philanthropes littéraires ne va pas plus loin que les plus généreux des négrophiles de l'époque. Il réclame plus de tolérance et de
charité. Il prétend que le Nègre est éducable, qu'il peut s’intégrer à la
culture blanche. En ce milieu du XIXe siècle, personne n'imaginait par
contre que les Noirs fussent capables de voir le monde et les relations
humaines de façon non seulement différente, mais valable. Personne
n'avait avancé que les valeurs de la Négritude puissent avoir le moindre intérêt, pour l'excellente raison que l'on ne soupçonnait pas encore
leur existence.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
383
[267]
Le nègre romantique
Personnage littéraire et obsession collective
CONCLUSION
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Cette étude arrivée à son terme, il ne s'agit pas de citer les écrivains au Tribunal des Droits de l'Homme. Par conviction ou par intérêt, certains ont activement contribué à formuler les théories racistes.
D'autres ont protesté contre l'inhumanité de l'homme envers l'homme.
Doit-on reprocher à ces derniers l'insuffisance de leur structure idéologique ? La naïveté de leurs analyses ? Il faudrait pour cela que nous
soyons nous-mêmes sûrs de comprendre le complexe historique et
psychologique qui fomente le racisme.
Ne chercher l'explication qu'à travers l'économie et l'histoire me
semble insuffisant à rendre entièrement compte d'un phénomène ancré
au plus profond de l'inconscient. Je crains qu'il ne faille en plus chercher à quelles terreurs ancestrales, à quelles impulsions psychiques il
se rattache. Et cela me paraît bien plus mystérieux, élusif et compliqué.
On a prétendu que le racisme est une attitude non pas innée mais
apprise, qu'il faut l'inculquer à l'enfant avant qu'elle ne devienne un
automatisme de l'adulte. Mais si c'était un mécanisme d'agression et
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
384
de défense inscrit dans chaque individu ? Il faudrait alors apprendre à
le contrecarrer chez l'enfant, afin d'éviter qu'il ne se développe chez
l'adulte.
La mise en place de nouvelles structures économiques, politiques
et sociales fera-t-elle disparaître le racisme avec les antagonismes de
classe ? Seulement, me semble-t-il, si elles traduisent une nouvelle
conception des rapports de l'homme avec son prochain : la suppression du racisme est une condition préalable de leur élaboration. Or, la
persistance de cette gangrène, son exacerbation récente aussi bien
dans les pays sous-développés que dans ceux qui, quel que soit leur
régime politique, se disent à la pointe du progrès, n'incite guère à l'optimisme.
Des nombreuses citations que j'ai données, chacun peut tirer ses
[268] propres conclusions. Les miennes n'ont rien d'original : ce qui
me frappe avant tout, c'est à quel point tous ces textes semblent modernes. Abstraction faite d'une rhétorique qui a souvent vieilli, les arguments « pour » ou « contre » les Noirs, les observations que l'on a
choisi de faire sur leur caractère et leur façon de vivre se retrouvent
sous la plume de nos contemporains. Étiemble a souligné, dans Le
Péché vraiment capital, avec quelle fréquence et sous quelle variété
de formes le racisme se manifeste dans la littérature d'aujourd'hui. Et
l'on peut ajouter qu'à y regarder de près, les écrivains qui mènent le
combat contre le préjugé de couleur avancent mutatis mutandis les
mêmes arguments que leurs ancêtres, avec sans doute les mêmes
chances de succès.
Il reste beaucoup de travail à faire. S'il est vrai, comme on nous
l'assure, que nous progressons chaque jour dans la voie du « Connaistoi toi-même », l'espoir est permis : lorsque nous aurons compris le
mal dont nous sommes infectés peut-être aurons-nous une chance de
nous en guérir. Le devoir du chercheur en littérature rejoint ici celui
de ses collègues biologistes, psychologues, historiens. Montrer au lecteur qu'une longue tradition pèse sur lui, que sa vision des Noirs ne
diffère pas encore essentiellement de celle de ses aïeux, qu'il raisonne
selon des catégories transmises de père en fils, c'est peut-être le mettre
en face de ses responsabilités. A lui de voir ce qui, dans son attitude,
relève d'un conditionnement, ce qui, au contraire, constitue une prise
de position consciemment et librement adoptée.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
385
C'est à cette libération que j'ai tenté de contribuer. La préparation
de cette étude a clarifié pour moi certains aspects de mes propres
comportements. J'ose espérer qu'il en sera de même pour le lecteur qui
a bien voulu me suivre jusqu'ici.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
386
[269]
Le nègre romantique
Personnage littéraire et obsession collective
BIBLIOGRAPHIE
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Sauf indication contraire, le lieu de publication est Paris. Je n'ai pu
consulter les ouvrages précédés d'une triple astérisque, et les indique
ici sous toute réserve.
Je n'indique ni les ouvrages bibliographiques classiques (Bibliographie de la France, O. Klapp, M.L.A. Bibliography, French VII,
etc.), ni les encyclopédies et dictionnaires usuels.
AVANT 1790
A. Poésie
BODEL, Jean, Saxenlied, éd. F. Menzel et E. Stengel, Marburg, N.
G. Elwert'sche Verlag, 1906.
CHANSON DE ROLAND, éd. Joseph Bédier, H. Piazza, 1937.
DOIGNY DU PONCEAU, Discours d'un Nègre à un Européen,
Demonville, 1775.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
387
– « La Servitude abolie dans les domaines de Louis XVI », L'Almanach des muses, 1785, p. 57-62.
GRÉE, La Navigation, poème en quatre chants, Mérigot jeune,
1781.
LA FONTAINE, Jean de, « Virelay sur les Hollandais », (Œuvres
complètes, Pagnerre, 1857-1877, vol. V, p. 93-98. [1re éd., 1672].
PARNY, Évariste, Chansons madécasses, Hardouin et Gatley,
1787.
ROUCHER, Jean-Antoine, Les Mois, Quillau, 1779.
SACY, Claude-Louis-Michel de, L'Esclavage des Américains et
des Nègres, Demonville, 1775.
SAINT-LAMBERT, Jean-François de, Les Saisons, Hiard, 1835.
[1 éd, 1769].
re
SCARRON, Paul, « Épistre chagrine », Poésies diverses, Didier,
1960, vol. II, p. 67. [1re éd., 1652].
B. Théâtre
Anon., L'Esclave, ou le marin généreux, intermède en un acte, rédigé de l'italien, Veuve Duchesne, 1774.
– Les Veuves créoles, comédie en trois actes en prose, Amsterdam
et Paris, Merlin, 1768.
AUDINOT, Nicolas, Le Prince noir et blanc, féerie en deux actes,
[Ambigucomique, décembre 1780], Amsterdam et Paris, Cailleau,
1782.
[270]
BARRÉ, Pierre, voir RADET, Jean-Baptiste.
BILLARDON DE SAUVIGNY, Edme-Louis, Les Nègres, comédie en un acte et en prose, in Les Après-souper de la société, l'auteur,
1783.
BUTINI, Jean-François, Othello, tragédie en cinq actes, s. 1., 1785.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
388
*** DORVIGNY, Louis-Archambault, Le Nègre blanc, comédie
en un acte en prose, [Variétés amusantes, 28 juin 1780], Amiens,
Veuve Godart, 1774.
GOUGES, Olympe de, L'esclavage des noirs, ou l'heureux naufrage, drame en trois actes, [Comédie française, 29 décembre 1789],
Veuve Duchesne, 1792.
***LA CHABEAUSSIÈRE, Auguste-Étienne-Xavier POISSON
de, Azémia, ou les sauvages, comédie en trois actes en prose, [Théâtre
des Italiens, 3 mai 1787], Brunet, 1787.
LACROIX, Paul, Ballets et mascarades de cour de Henri III à
Louis XIV (1581-1652), recueillis et publiés par.... Genève, Slatkine
reprints, 1968, 6 vol. [Réimpression des éditions de Genève, 18681870.]
RADET, Jean-Baptiste et BARRÉ, Pierre, La Négresse, ou le pouvoir de la reconnaissance, comédie en un acte en prose [15 juin
1787], Brunet, 1787.
RICCOBONI, Francesco, voir ROMAGNESI, Jean-Antoine.
ROMAGNESI, Jean-Antoine et RICCOBONI, Francesco, Les
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ALBOISE DE PUJOL, Jules. Voir DESNOYER, Charles.
ANGEL, Eustache. Voir VEYRAT, Xavier.
ANTIER Benjamin, Coizy, F. de et FLERS, Hyacinthe de, Bugg,
ou les Javanais, mélodrame en trois actes, [Ambigu-comique, 18 septembre 18281, Quoy, 1828 (Parodie de Bug-Jargal).
– et DECOMBEROUSSE, Alexis, Le Marché de Saint-Pierre, mélodrame en 5 actes, [Gaîté, 20 juillet 1839], Vve Dondey-Dupré, s. d.
ARTOIS, Armand d' et SAINTINE, Xavier (Xavier BONIFACE,
dit), L'Ile des noirs, ou les deux ingénues, comédie-vaudeville en un
acte, [Vaudeville, 14 mars 1823], Huet, 1823.
AUMER, Pierre, Les Deux Créoles, pantomime en 3 actes, [Porte
Saint-Martin, 28 juin 1806], Barba, 1806.
BARRÉ, Pierre. Voir RADET, Jean-Baptiste.
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BEAUVOIR, Roger de (Édouard Roger de Bully dit) et MÉLESVILLE (Anne-Joseph Duveyrier dit), Le Chevalier de Saint-Georges,
comédie en 3 actes, [Variétés, 15 février 1840], Mifliez, 1840.
BÉRAUD, Louis et ROSNY, Joseph, Adonis, ou le bon Nègre, mélodrame en 4 actes, avec danses, chansons, décors et costumes créoles,
[Ambigu-comique, fructidor an VI], Glisau, an VI, 1798.
BLAZE, François-Marie, dit CASTIL-BLAZE, Othello, ou le More de Venise, opéra en 3 actes, [Lyon, Grand théâtre, ler décembre
1823], Castil-Blaze, 1823.
BOULÉ, Auguste et CARMON, Pierre-Étienne, Paul et Virginie,
drame en 5 actes, [Ambigu-comique, 20 novembre 1841], Marchant,
1841.
BOURDON, Aimé, La Traite des blancs, comédie en 3 actes, [Mme
Saqui, 16 avril 1843], Albert, 1845.
BOURGEOIS, Anicet et MASSON, Michel (Auguste GAUDICHOT dit), Agar Gull, mélodrame en 3 actes, [Ambigu-comique, 26
avril 1832], Marchant, 1832.
– et DUMANOIR, Philippe, Le Docteur noir, drame en 7 actes,
[Porte Saint-Martin, 20 juillet 1846], Michel Lévy, 1846.
CARMOUCHE, Pierre et LAYA, Léon, L'Esclave à Paris, comédie-vaudeville en 1 acte, [Folies-dramatiques, 5 mars 1841], Henriot,
1841.
– Voir MÉLESVILLE (Anne-Joseph Duveyrier, dit).
CASTIL-BLAZE. Voir BLAZE, François-Marie, dit CASTILBLAZE.
CHARDON, J., Lébao le nègre, drame en 5 actes [Batignolles, 12
octobre 1850], Rethel, impr. de Torchet, 1850.
– Voir DEMOLIÈRE, Hippolyte-Jules.
CLAIRVILLE, Louis et SIRAUDIN, Paul, Malheureux comme un
nègre, vaudeville en 2 actes, [Variétés, ler juillet 1847], Beck, 1847.
Coizy, F. de. Voir ANTIER, Benjamin.
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en 3 actes, [Ambigu-comique, 20 ventôse an VI, 10 mars 1798], Jamain, an VI.
CORMON, Pierre-Etienne. Voir BOULÉ, Auguste.
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PIÈCES DE THÉÂTRE
N'AYANT PAS ÉTÉ PUBLIÉES
ANON., Alzire et l'esclavage des Nègres, [Théâtre de la Nation].
– L'Esclave libre où le Nègre reconnaissant, comédie en un acte en
prose.
– Frosine, ou la Négresse supposée, [Théâtre des jeunes artistes, 3
nivôse an X]
– L’Ile des sauvages, [Théâtre de la Gaîté, 1791].
– Le Nègre comme il y a peu de blancs, pièce en un acte, en prose,
[Ambigu-comique, 4 août 1789].
– Le Nègre de New-York, scène comique [Porte Saint-Martin, 11
juillet 1841].
– Les Noirs et les Blancs, [Théâtre français comique et lyrique].
BENTÉJAC DE LA RÉOLE, Paul et Virginie, [Théâtre de Bordeaux, 1796].
BOULÉ, Auguste et PARISOT, Le Noir d'Aioumbo, drame en 4
actes, [Théâtre du Panthéon, 12 octobre 1832]. (Mise en scène d'Atar-
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
433
Gull, qui réussit complètement, d'après le Cabinet de lecture du 19
octobre 1832.)
CHAPUI, Les Hattiens, 1824 ou 1825.
COQUENARD fils, Tout serin la clôture (parodie de Toussain
Louverture 1850 [ ?]).
CHARTON, Charles, Le Tremblement de terre de la Martinique,
vaudeville en un acte, [Théâtre des Funambules, 28 janvier 1840].
DUVAL, Alexandre, Le Diner des peuples, [Vaudeville, 1792].
GODARD D'AUCOURT DE SAINT-JUST, Claude, Le Nègre par
amour, opéra-comique en un acte, 1809.
- Sélico, ou les Nègres, opéra en trois actes, [Théâtre de la rue de
Richelieu, 1796].
GOSSE, L'Esclave, comédie en un acte en prose, [Théâtre lyrique
de la rue Feydeau, 26 ventôse an VIII].
GOUGIBUS l'aîné, Filioli et Mioco, ou le triomphe de l'humanité,
[Théâtre de la Cité, 1797].
JOUHAUD, Le Tremblement de terre de la Martinique, vaudeville
en un acte, [Théâtre Saint-Martin, 3 février 1840].
LACOUR, Les Créoles, drame lyrique en trois actes, [Opéra comique, 14 octobre 1826].
LA MORLIÈRE, Charles J. L. A. Rochette, chev. de, La Créole,
comédie en un acte en prose, [Théâtre français, 12 août 1754].
LAUS DE BOISSY, Louis de, Ziméo ou le roi esclave, comédie en
trois actes, en prose, [représenté en province en 1769].
PARISOT. Voir BOULÉ, Auguste.
PIXÉRÉCOURT, Guilbert de, Sélico ou les Nègres, (tiré de Florian), 4 actes, [représenté à Nancy en 1796].
RÉMY, Honoré, Un Nègre blanc, à propos, [Théâtre des délassement, comiques, 29 juin 1846].
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
434
[295]
PÉRIODIQUES DÉPOUILLÉS,
1815-1848
L'ABOLITIONNISTE FRANÇAIS, 1844-1850.
ANNALES DE LA LITTÉRATURE ET DES ARTS, 1820-1829.
ANNALES MARITIMES ET COLONIALES, 1816-1847.
L'ARTISTE, 1831-1850.
BULLETIN COLONIAL, 1836-1840.
LE CABINET DE LECTURE, 1829-1846.
LA CARICATURE, 1830-1835 ; 1839-1842.
LE CORSAIRE, 1823-1848.
LE DÉFENSEUR DES COLONIES, 1819-1820.
ÉCHOS DE LA LITTÉRATURE ET DES BEAUX-ARTS DANS
LES DEUX MONDES, 1840-1848.
L'EUROPÉEN, 1831-1838.
FRANCE LITTÉRAIRE, 1832-1843.
LE JUIF-ERRANT, 1834-1885.
LETTRES CHAMPENOISES, 1817-1825.
MAGASIN ENCYCLOPÉDIQUE, 1815-1816.
MAGASIN PITTORESQUE, 1833-1848.
MERCURE DE FRANCE AU XIXe SIÈCLE, 1823-1832.
LE MIROIR DES SPECTACLES, 1821-1823.
LA MODE, 1829-1848.
MUSÉE DES FAMILLES, 1833-1848.
LE NAVIGATEUR, 1829-1833.
LA NOUVELLE MINERVE, 1835-1838. L'OBSERVATEUR, 18261828.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
L'OBSERVATEUR DES COLONIES, 1820.
OUTRE-MER, 1837-1841.
LA PANDORE, 1823-1830.
PANORAMA DES NOUVEAUTÉS PARISIENNES, 1824-1826.
LA PHALANGE, 1836-1843.
REVUE COLONIALE, 1843-1848.
REVUE DE PARIS, 1829-1845.
REVUE DE FRANCE, 1835.
REVUE DES COLONIES, 1834-1842.
REVUE DES DEUX MONDES, 1829-1848.
REVUE DU XIXe SIÈCLE, 1836-1840.
REVUE ENCYCLOPÉDIQUE, 1819-1833.
REVUE EUROPÉENNE, 1831-1835.
REVUE FRANÇAISE, 1828-1830.
REVUE INDÉPENDANTE, 18111-1848.
REVUE UNIVERSELLE, 1832-1843 (Bruxelles).
LE SPHINX, 1823.
TABLETTES UNIVERSELLES, 1820-1824.
LE VOLEUR, 1828-1843.
435
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
436
[297]
Le nègre romantique
Personnage littéraire et obsession collective
INDEX
DES NOMS DE PERSONNES
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Ne sont retenus que les noms de personnes réelles.
Les noms de personnages et les titres d'œuvres font l'objet d'une référence sous la rubrique de l'auteur ; ainsi, toute mention de Habirah
ou de Bug-Jargal est signalée à la rubrique HUGO.
Les auteurs anonymes sont représentés par le nom de l'ouvrage.
ABRANTÈS, L. J. d' : 177.
ANGEL, E. : 249.
ADDISON, J. : 86. A... H : 249,
250.
ANGLAS de PRAVIEL, P. d' :
154.
ALBOISE de PUJOL, A. : 190.
ANGOULÊME, duc d' : 238.
ALBOIZE, J. 49.
ANIABA : 30, 37.
ALLETZ, E. 157.
ANNE d'AUTRICHE 31.
ALMEDA, A. d' : 28.
ANTIER, B. : 236 (n).
ALMÉRAS, H. d' : 187, 188.
APOLLINAIRE, G. : 258.
AMIABLE, L. : 264 (n).
ARISTOTE : 125.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
ARLINCOURT, V. d' : 39.
ASHLEY-MONTAGU, M. F. :
14 (n).
437
BEAUMONT, O. de : 88, 237,
243, 261.
ATKINSON, G. 20.
BEAUPLAN, A. de : 226.
AUDINOT, N. 105.
AUDOUARD, M. F. : 159.
BEAUVOIR, R. de : 64, 65, 114,
169, 234, 243-246, 259.
UGEARD, E. : 52.
BÉDIER, J. : 14 (n).
AUGERD, P. : 92, 93, 115.
BRECHER STOWE, H. : l'oncle
Tom 207.
AVAUX, Cl. d' : 29.
Aza : 117.
BALLENT, A. : 226.
Ballet de la Marine : 35.
Ballet de l'amour : 37.
BEHN, A. : 59, 61, 62, 81, 82.
BELIN, E. : 208, 209.
BELIN de VILLENEUVE : 208
(n).
BELLON de SAINT-QUENTIN,
J. : 69.
BALZAC, H. de : Nucingen
106 ; 115 (n), 146, 151,
195, 198, 223, Chabert
236 ; 244, 252, 255, 257.
BENOT, Y. : 72 (n), 111 (n).
BARBIER-VEMARS, E. : 158.
BERNIER, F. : 41, 47.
BARRÉ, P. : 105-107, 109 (n)
BÉROALDE de VERVILLE, F. :
411, 45.
BARTHÉLÉMY-HADOT, M.A. : 205.
BAUDELAIRE, Ch. : 235.
BAUDET, H. : 14, (n), 17, 19, 55
(n).
BAUDRY-DESLOZIÈRES, N.B. : 118, 120, 127.
BEAUFORT, H.-E. de : 147.
BEAUMARCHAIS, P. de : 66,
72, 107,108.
BÉRAUD, L. : 110, 111, 139.
BERGIER, N. S. : 72.
BERQUIN-DUVALLON : 129,
131.
BERTHIER, J.-B. : 134, 136,
140, 141.
BERTHOUD, S. : 209.
BESSON, M. : 64 (n).
BIASSOU, J. : 111, 130, 135,
170, 182, 208 (n), 211,
220.
BIGNAN, A. : 155.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
BILLARDON de SAUVIGNY,
E.-L. : 68,105.
438
BRUEGHEL, P. : 16.
BISSETTE, C. : 229.
BRUZEN DE LA MARTINIÈRE, A. : 18.
BLASIS, C. : 215.
BUFFON, G.-L. : 46, 49, 711.
BLET, H. :147 (n).
BUTINI, J. F. : 84, 85, 94, 95,
107, 109, 114, 258.
BODEL, J. : 15.
BODIN, J. : 16, 17, 47.
Le Bon Nègre : 208.
CAILLIÉ, R. : 147, 180, 184.
BONAPARTE, N. : 10, 24, 100,
101, 103, 148, 155.
CALIGNY, A. DE : 253, 254.
BOREL, P. : 86,193,194, ThreeFingered-Jack 219.
CAMUS-DARAS, N. : 79.
BOSCH, J. : 16.
CARMOUCHE, P. : 227.
BOSSUET, J.-B. : 30.
CARPENTIER, A. : 170 (n).
BOUKMAN : 39, 130, 135.
CARTEAUX, F. : 102, 114.
BOULAINVILLIERS H. de : 62,
63.
CASHIN, A. : 201.
CAMOZZIS L. DE : 44 (n).
CARMODY, F. : 16.
BOULÉ, A. : 92.
CASTELLAN, Ch. : 197, 248,
249.
BOULLIER, D. : 70.
CASTILHON, J. L. : 177.
BOURDON, A. : 245.
Catéchisme des colonies : 123,
124, 126.
BOURGEOIS, A. : 227, 228, 236
(n), 238, 240.
CAYENNE, Ch. : 215, 217.
Boutade du temps perdu : 36, 37.
CAZAÏS : 28.
BRARD, R. : 221.
CÉLINE, L.-F. : 68.
[298]
CÉSAIRE, A. :213.
BRAULT, L. : 154, 159.
CHAILLOU, DE : 66.
BRENNER, C. D. : 46, 87 (n).
CHAMBON :26, 29, 80-82.
BRIFAUT, Ch. : 208.
CHANSON DE ROLAND : 1315.
BRISSOT de WARVILLE, J. P. :
102 (ri).
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
439
CHAPUS, E. : 185, 192, 200,
232, 239, 2110, 259.
CONDORCET, J.-A.-N. de : 49,
73.
CHARLEMAGNE : 30.
COOK, M. : 71, 244 (n).
CHARLES X : 161, 162, 222.
COOPER, A. J. : 53.
CHARLEVOIX, F.-X. : 52, 55,
73, 171, 219.
COQUERY, C. : 14 (n).
CHARLIER, V. : 192, 200, 232,
20, 259.
CORBIÈRE, E. : 189, 203, 214,
218, 239, 249, 253, 254,
259, 260.
CHARRIÈRE, A. de la : 206.
CORBIÈRE, T. : 189.
CHATEAUBRIAND, F.-R. de :
38, 80 (n), 103, 153, 184,
Chactas 187 ; 194, 195.
CORDELIER-DELANOUE, E.C. : 162.
CHAUVET, V. : 155, 157, 162,
163.
CORNEVIN, R. : 24, 25, 51 (n).
CHENET, J. B. : 2112.
CORMON, P. E. : 92.
CORNEILLE, P. : 32, 38.
CHÉNIER, J.-M. : 87 (n).
CORNILLON, Ch. de : 119, 128,
138 206.
CHEVALIER, P. M. F. : 178.
CORRÉARD, A. : 154.
CHINARD, G. : 14 (n), 22 (n).
CORTE-REAL, J. de : 44 (n).
CHOQUART, A. : 216.
CHRISTOPHE, H. : 181, 182,
213.
CLARKSON, Th. : 156, 188.
CLÉMENT, P. : 193.
CLOTEAUX, A. : 198.
COGNIARD, Th. : 155.
COUPIGNY : 103.
COURCY, F. de : 227.
COVILHA, P. de : 18.
CRÉBILLON, C. P. de : 63, 95.
CYRANO DE BERGERAC,
S. :17.
COLBERT, J.-B. : 25.
COLLETET, O. : 34.
D… X, C. : 161.
COLLIN de PLANCY, J. : 17.
DAINVILLE, F. de : 38.
COLOMB, Ch. : 75.
DAMINOIS, A. : 169, 239.
DANEY, S. : 64, 256.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
440
DARD, C. A. : 152 (n), 154,
Chaumière 176.
DORSINVILLE, R. : 99 (n), 100.
DAVIS, D. B. : 83 (n).
DU BARRY, J. : 63.
DEBBASCH, Y. : 10, 67 (n), 80
(n), 153, 156, 229 (n).
DUBOIS-FONTANELLE, J. :
23, 29 (n).
DECOMBEROUSSE, A. :236
(n).
DUCASSE : 52.
DE FOE, D. : Robinson 140.
DELACROIX, J.-V. : 65, 80, 81.
DORVIGNY, L. A. : 46, 105.
DUCHET, M. : 11, 72 (n), 73.
DUCIS, J.-F. : 109, 228.
De la nécessité : 120, 121.
DUCŒURJOLY, S.-J. : 118,
120, 124, 129, 221.
DEBIEN, G. : 11, 171, 229 (n),
264 (n).
DUCRAY-DUMINIL, F.-G. :
138.
DELESALLE, S. : 11.
DUDON, A. : 226.
DELILLE, J. : 130, 131.
DUFRÉNOY, M.-L. : 62.
DELRIEU, A. : 104 (n), 171,
206.
DUGOUJON, abbé : 204, 220,
242, 265.
DENNERY, A. : 165, 167, 168.
DUMANOIR, P. : 238, 240.
DEPPiNG, G. B. : 118, 119.
DUMAS, général Alex. : 231,
244.
DESCOURTILZ, M. E. : 89, 90,
123, 221, 256.
DESFONTAINES, F.-G. : 109
(n).
DESNOYER, C. : 49, 154, 165168.
DUMAS, A. père : 63 (n), 88,
146, 235 (n), 237, Georges : 238, 241, 242 ; 244,
246.
DES PÉRIERS, B. : 21.
DUPETIT-MÉRÉ, F. : 176, 177,
Olga 219.
DESSALINES, J.-J. : 101, 135.
DUPEUTY, Ch. : 227.
DIDEROT, D. : 49, 112 (n).
DU PONT de NEMOURS, P.
S. : 99.
DIODORE de SICILE : 74.
DOIGNY du PONCEAU : 7779, 83, 157.
DOIN, S. : 201, 203, 204.
DURAS, C. de : 132, 152 (n),
185, 223, 225.
DUROY de CHAUMAREIX, J.H. : 154.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
441
FLAUBERT, G. : 216, 223.
DU TERTRE, J.-B. : 39, 40, 73,
79, 80.
FLINS : 109.
EBEL : 125.
FLORIAN, J. P. de : 117, 173
(II).
EDWARDS, B. : 171.
FONTAN, L. M. : 161.
EIGHTHAL, G. d' : 147, 203,
204.
FONTENELLE, B. de : 32, 70.
L'Encyclopédie : 45, 72.
FOURTET, J. C. : 173
L'Esclave, ou le marin généreux :
105.
FRÉRON, E. : 79.
ESTRÉZ, P. d' : 66.
ÉTIEMBLE, R. : 7, 268.
ÉTIENNE, Ch. : 21.
[299]
ÉTIENNE, S. : 59 (n), 171.
EVANS, D. O. : 150.
EYMERY de SAINTES,
A. :192.
FABRI DE PENTESC, N.-C. :
32 (n).
FANOUDH-SIEFER, L. : 148,
152 1511, 178-180.
FAUSTIN Ier (SOULOUQUE) :
223.
FOUCHER, P. : 237.
FURCY de BRÉMOY, H. : 58.
FURETIÈRE, A. : 21.
GALLAND, A. : 62.
GALLET, A. : 245.
GARAT, D.-J. : 76, 77.
GARDEL, P. :92,115.
GARNIER-HOMBERT : 158,
159.
GARRAN-COULON, J.-P. :
171.
GASTON-MARTIN : 67 (n), 98,
100, 150, 152 (n).
GAULMIER, J. : 235 (n).
GAUTIER, Th. : 223.
FAVIÈRES, E.-F. : 91, 92, 115.
GAY de GIRARDIN, D. : 225.
FÉVAL, P. : 247.
GÉRARD, F. : 226.
FIESCHI, G. : 195.
GÉRICAULT, Th. : 154.
FIQUET du BOCAGE, P.-J. : 59
(n).
GIDE, A. : 5.
GIFFRE de RECHAC, J. de : 29.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
442
GILMAN, M. : 109.
GUENOT-LECOINTE, G. : 216.
GIRAUD, J. : 225 (n).
GUILLEMAIN, C.-J. : 110, 139.
GIRAULT de SAINTFARGEAU, E. : 227.
GUTTINGER, U. : 225.
GISLER, A. : 26, 53, 67 (n).
HANSKA, E. : 244.
GOBINEAU, A. de : 126, 127,
180, 1811, 185.
GODARD d'AUCOURT, CI. :
115.
GODEFROY, F. : 20.
GOETHE, W. : 225.
GOMBERVILLE, M. de : 31.
HARDY, J. : 209, 263, 264.
HARRISON, W. : 25.
HELVÉTIUS, CI.-A. : 72, 113,
114.
HENRI IV : 24, 28.
GONNARD, R. : l'à (n).
HENRION de PANSEY, P.-P. :
66, 77.
GOSSE, E. : 199,200.
HERBIN, V. : 217.
GOSSOUIN 15, 16.
HÉRODOTE : 15, 118 (n), 125.
GOUBERT, E. : 206.
HERSKOVITS, M. :219.
GOUGES, O. de : 108.
Histoire d'Anniaba : 55.
GOZLAN, L. : 155, 189.
Histoire de Makandal : 89.
Grand bal : 35.
Histoire d'un prince noir : 183.
GRANIER de CASSAGNAC,
A. : 235, 264.
HOFFMANN, L.-F. : 159 (n),
252, 257.
GRASSET de SAINTSAUVEUR, J. : 143, 146,
240.
HOGGAN, F. : 260.
GRÉE : 75, 76.
HUGO, V. : 38, Bug 40, Bug 59
(n), Bug 60; 134, 146, 152,
169, 171, 172 (n), 182,
187, Bug 193, Bug 201 ;
202, Bug 208 (n), Bug 211,
213 ; 219, 220, Ruy 223,
Bug 238 ; 246, Bug 261.
GRÉGOIRE, H.-B. : 70, 131,
132, 151, 162.
GRENTE, G. : 38.
GRÉTRY, A. J. : 115.
GRIMM, F.-M. : 106, 107.
HOUAT, L.-T. : 201, 204.
HUYSMANS, J.-K. : 258.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
443
LA FAYETTE, M.-M. de : 38.
J ... T..., E. : 137.
LAFONT, Ch. : 165-168.
JAL, A. : 190, 206, 253.
LA FONTAINE, J. de : 18, 31,
Deux amis 32 ; 33, 34.
JAMESON, R. P. : 47, 49 (n),
73, 84.
JANIN J : 264 (n).
JEAN II (de Portugal) : 18.
JEAN le BLANC : 40.
JOHANNOT, A. : 226.
JOLY, J.-R. :121.
JONES, E. : 22 (n).
LA FONTAINE, Sieur de : 39.
LAISNÉ de TOURS, E.-V. : 136
(n).
LAMARTINE, A. de : 9, 169,
193, 211-213, 262, 263.
LAMARTINIÈRE, E. : 179, 180.
L'AMIRAL, D. H. : 67, 68.
JORDAN, W. : 25, 47 (n), 123.
LA MORLIÈRE, J. de : 55, 62,
172.
JOUHAUD, A. : 155.
LANGLOIS, C.-V. : 14 (n).
JOURDA, P. : 152.
LANSON, G. : 146.
JOVIUS PONTANUS : 77.
LAPLACE, A. de : 59-62, Oronoko 71, 81-83, Oronoko
86, Oronoko 88, 140, Oronoko, 194.
JUBINAL, A. : 17.
JUIGNÉ BROISSINIÈRE, D.
de : 21.
LARIVALLIÈRE : 109, 110.
KESLER, de : 155.
KLEIST, E. C. von : 170 (n).
LAROCHEFOUCAULDLIANCOURT, F.-G. de :
209.
LAROUSSE, P. : 6.
LABAT, J. B. : 26, 30, 31, 37,
51, 171, 219.
LA BRUYÈRE, J. de : 121.
LACORDAIRE, Th. : 177.
LAS CASAS, B. de : 22.
LATINI, B. : 16.
[300]
LACROIX Pamph. de : 171.
LATOUCHE, H. de : 22 (n), 189,
190.
LACROIX : Paul . : 31, 34.
LAURENCIN, : 237.
LAFAYZ, L. de : 210.
LAUZANNE, A.-T. : 222, 223.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
LAVALLÉE, J. : 87, 88, Itanako,
89, 96, 114, 116, 117, Itanako 135.
444
Louis XVI : 75.
Louis XVIII : 148.
LEBLANC, J . -B. : 59 (n).
LOUIS-PHILIPPE ler : 10, 208,
223.
LE CAT, CI.-N. : 115.
LUCAS, A. : 66, 72.
LECLERC, C.-V. E. : 101, 116,
212.
LUCHET, J.-P.-L. de : 68.
LECOMTE-MARSILLAC : 88,
114.
MACARY, J. : 12.
LECOMTE J. 254, (n), : 257.
MAHOMET : 63.
LE FLAGUAIS, A. : 190.
MAIGRON, L. : 230.
LEGOYT : 250.
MAILHOL, G. : 85, Tintillo 89.
LEMAÎTRE, F. : 213, 236.
MAILLANT : 250.
LE MONNIER : 79, 80, 83.
MAILLARD, H. : 148, 210, 211.
LENGELLÉ, M. : 80.
MAISTRE, X. de : 173 (n).
LEPOITEVIN, A. : 198, 199.
MAKANDAL 39, 53, 88-90,
176, 2l9.
LETILLY, Th. : 159.
LEVILLOUX, J. : 99, 205, 215,
216, 242.
LEYRAULT, L. : 202, 203.
MARAN, R. 175.
MARIE du MESNIL, A.-B. : 161
(n).
L'HÉRITIER, L.-F. : 22 (n).
MARIE-THÉRÈSE de France :
31.
LHERMITE, S. : 164, 165.
MARSEILLE, M. de : 39.
LIÉBAULT, A. : 158.
MARSOLLIER des VIVETIÈRES, B.-J. : 103-105.
LINIERS, Vcte de : 244.
LINSTANT, S. : 18, 250.
LOISEL, A. : 25.
LOPEZ, M. : 29.
Louis XIII : 24, 26, 37, 38, 244.
Louis XIV : 18, 29-31, 38, 40.
Louis XV : 64, 84, 143.
MASSON, M. : 227, 228, 286
(n).
MATHOREZ, J. : 28, 29, 31 (n),
67.
MATTHIEU, Saint : 19.
MAUDUIT, T.-A. : 103, 104.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
MAUPERTUIS, P.-M. de : 45,
74.
MIRECOURT, E. de : 72.
MAUREL, E. : 215.
Mœurs coloniales : 209, 239,
262.
MAUREL, P. : 196.
MAUROIS, A. : 244 (n).
MAURY, F. : 93.
MAX-RADIGUET, R. 248.
MAYNARD de QUEILHE, L.
168, 199-202, 232, 240,
247, 260, 262.
445
MOCQUET, J. : M, 42-45.
Mœurs des trois couleurs : 231,
233.
MOLIÈRE, J.-B. : La Comtesse
d'Es. : 18, 31, Oronte 35 ;
38, 106.
MOLLIEN, G.-T. : 147.
MECKEL, J. : 117, 48.
MONTAIGNE, M. de : 19, 21.
MÉLESVILLE : 227, 234, 243,
244, St-Georges 245, 246.
MONTESQUIEU, Ch.-L. de :
Lettres 34 ; 49, Lettres 50 ;
51, Lettres 63 ; 70, L'Esprit 72 ; 73, L'Esprit 115.
MÉNÉGAULT, A.-P.-F. : 170.
MENZEL, F. : 15.
MERCIER, R. : 14 (n), 20, 31,
32, 49 (n), 50, 55, 57 (n),
70 (n), 72 (n), 73, 154 (n).
MERCIER, S. : 65.
MORALES-OLIVER, L. : 22
(n).
MOREAU de SAINT-MÉRY,
M.-L.-E. : 89, 106, 191,
218, 219.
MÉRIMÉE, P. : 38, Tamango 40,
60 ; 142, 146, 158, 182184, 190, Tamango 191 ;
233 (n), Tamango 251.
MOREL de VINDÉ : 87 (n).
MERLE, J.-T. : 227.
La Mulâtre comme il y a beaucoup... 235.
MERLIN, M. : 257.
MÉRY, J. : 178.
MOREY, P. : 195.
Mourat et Iglou : 86.
MUSSET, A. de : Lorenzaccio
211 ; 226,235.
MESNARD, P. : 17.
MÉTRAL, A. : 258, 265.
NABO : 31.
MÉTRAUX, A. : 219, 220.
NANTES, C. de : 32.
MICHELET, J. : 31.
NAPOLÉON. Voir BONAPARTE.
MIRBEAU, O. : 258.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
NAU, I. : 220,
PEDRE : 40.
Le Naufrage de la Méduse : 155.
PELISSIER, J.-B. : 176, 177,
Olga 219.
Le Naufrage heureux : 35.
446
NAVARRE, M. de : 19, Heptam.
42.
PELLEPRAT, S.-J. : 41, 42.
Le Nègre Eustache : 208.
PÉRIN, R. : 134, 135,
Les Nègres marrons : 195.
[301]
Les Nègres marrons de l'ile StJean : 197.
PÉTION, A. : 135.
La Négresse couronnée : 82, 87.
PEYTRAUD, L. : 25.
NERCIAT, A. de : 95.
NODIER, Ch. : 196.
PICQUENARD, J. B. : 111, 134,
135, 139,146.
OGÉ : 102.
PIGAULT-LEBRUN, Ch.-A. :
111-114.
OUOLÉGUEM, Y. : 175.
PINIÈRE, A. B. : 77, 133, 134.
Perfidie du système : 129, 188.
PETIT, E. : 28 (n).
PIROUÉ, G. : 172 (n).
PABAN, G. de : 192.
Plaintes d'un Nègre : 160, 161.
PADREJEAN : 52.
PLINE l'Ancien : 15.
PAIVA, A. de : 18.
PLUCHONNEAU : 148, 210,
211.
PALAISEAU, Mlle de : 135.
PALISOT de BEAUVOIS, A.M. : 125.
PANCKOUCKE : 221.
PARK, M. : 156, 180.
PARMENTIER, J. et R. : 20.
PARNY, E. : 49.
PASQUIER, E. D. : 161, 162.
PATRON, F. :149.
PAVIE, Th. : 218.
POINCY, M. de : 39.
POIRIÉ de SAINT-AURÈLE :
195, 221, 252, 253.
POMEAU, R. : 46.
PONS, G. de : 225, 226, 253.
POPE-HENESSY, J. : 71.
POUPET : 65, 66.
PRÉO, M. de : 152 (n), 178, 179.
PRÉVOST, A.-F. : 22, 88, Manon 44 ; 49, 56-59, 83, 84,
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
86, 108 (n), 109 (n), Manon 199.
447
RICCOBONI, F. : 56, 105.
RICHARD, P. : 72 (n).
PRICE, M. L. : 234 (n).
RICHELIEU, A. de : 25, 28.
PRIOR : 16.
RICHEPANSE, A. : 101.
RIVET, A. : 199, 204, 205, 222.
QUANTIN, J. : 226.
QUESNÉ, J. S. : 178.
ROBESPIERRE, M. : 99, 102
(n), 130.
ROC : 65, 66.
RABAN, L.-F. : 197, 198.
ROCHAMBEAU, D. : 212.
RABELAIS, F. : 19, 21.
ROCOLÈS, J.-B. : 29.
RACINE, J. : 34, 38, 63.
ROECKEL, P. : 188.
RADET, J.-B. : 105-107, 109
ROGER, J.-F. : 147, 152 (n),
180-182, 184, 190, 214,
215.
RAYNAL, G. T. : 52, 72, 73, 77,
86, 91, 97, 98, 105, 111,
115, 135, 156.
ROGERS, J. A. : 31 (n).
Recueil… de mascarades : 36.
ROMAGNESI, J.-A. : 56, 105.
REGNARD, J.-F. : 31.
RONCIÈRE, Ch. de la. : 28.
REGNAULT, T. E. : 232, 233.
ROQUEFORT, B. de : 226 (n).
Relation d'une conspiration : 5355.
ROSNY, J. : 110, 111, 139.
Remarques d'un cosmopolite :
31.
ROUSSEAU, J.-J. : 49, Contrat
67 ; 70, 71.
RÉMOND, R. : 10.
ROUSSELOT de SURGY, J.Ph. : 23, 69, 70, 74.
RESTIF de la BRETONNE, N. :
95.
ROUCHER, J.-A. : 76, 77, 157.
RUTEBEUF : 17 (n).
RESTIF de la BRETONNE, V.
V. : 162.
RYMER : 108 (n), 109 (n).
REYBAUD, Mme Ch. : 88, 236238, Donatien 239-242.
SACY, CI. : 74, 75, 157.
REYBAUD, L. : 217, 253, 255.
SADE, D.-A.-F. : 40, 95, 96, Justine 139.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
448
SAINT-GEORGES, Chev. De :
243, 244.
SHAKESPEARE, W. : 108, 109.
SAINT-LAMBERT, J.-F. de :
49, 86, Ziméo 87 ; 182 (n),
Ziméo 135, 140.
SIEYÈS, E.-J. : 102 (n).
SAINT-PIERRE, B. de : 38, 49,
72, 73, 81, 90-95, P. V.
104 ; 107 (n), 115, 146,
156, P. V. 188 ; 256.
SOEMMERRING, S. T. von :
125.
SAINT-SIMON, L. de : 31
SIBIRE, S.-A. : 129, 180.
SNOWDEN, F. M. : 13.
SONTHONAX, L.-F. : 100.
SOUCHAY, J.-B. : 47.
SAINT-VICTOR, de : 66.
SOULIÉ, F. (fils) : 158, 200,
214, 251, 252, 261.
SAINTINE, X. :173-175, 184.
SOULIÉ, F. (père) : 158.
SARRIEN, M.-L. : 152 (n).
SOURIAU, M. : 93.
SARTRE, J.-P. : 235 (n).
SOUTHERNE, Th. : 59.
SAVARY, J. : 26, 27.
Souvenirs des colonies : 248.
SAVIGNAC, A. : 192.
SOUVESTRE, B. : 258.
SAVIGNY, J.-B. : 154.
SAYERS, R. S. : 16 (n).
STAËL, G. de : 49, 115, 132,
133.
SCARRON, P. : 32, 33, 40, 41.
STENGEL, E. : 15.
SCHMALTZ, Col. : 147.
SUE, E. : 86, 1116, 187, 190,
Atar 191, 207, 208, Atar
211 ; 227-229, 237, Cecily
242 ; Atar 251 ; Mystères
261.
SCHOELCHER, V. : 150, 252,
265.
SCRIBE, B. : 217, 236 (n).
SESBER, E. D. : 49 (n), 59 (n),
60, 72 (n), 73.
SÉGALAS, A. : 201, 207.
TALLEMANT des RÉAUX, G. :
28.
SÉJOUR, V. : 234.
TALMA, F.-J. : 109.
SENGHOR, L.-S. : 175.
TÉRENCE : 156.
SEWRIN, Ch.-A. : 109 (n).
TERRASSON, J. : 55, 62, 172.
SGARD, J. : 56 (n).
TESTE d'OUET, A.-D. : 31.
Léon-François Hoffmann, LE NÈGRE ROMANTIQUE (1973)
TEXIER, A. de : 134, 140-142.
449
THIÉRY, H. : 155.
VIGNY, A. de : Chatterton 211 ;
235.
THOURET, A. : 241.
VILLÈLE, J. de : 151.
TOCQUEVILLE, A. de : 233.
VILLENEUVE, F. : 227.
TOUSSAINT LOUVERTURE :
100, 111, 130, 135, 170,
181, 195, 211.
VIREY, J.-J. : 122, 125-127,
180, 184, 259.
TRAVERSAY, A. de : 134, 136.
VOLTAIRE, F.-M. : 26, 31, 38,
46, 48, 49. Désastre 50 ;
Alzire 56 ; 63, 71, 72, 95,
Candide 117 ; Candide
182. Voyage d'un Suisse :
106.
TRÉBUCHET, J.-F. : 171.
TR ... F, D. de : 254 (n).
TURGOT, A.-R.-J. : 72, 73.
TUSSAC, J.-R. de : 129.
VOITURE, V. : 31.
WELSCHINGER, H. : 107, 108
URBAIN, I. : 147, 204.
WENTHOLT, E. : 17 (n).
URFÉ, H. d' : Astrée 38.
WILBERFORCE, W. : 115, 156
WIMPFFEN, S. de : 215.
VALENSI, L : 11.
WRIGHT, J. K. : 14 (n).
[302]
VAN BELLEN, E. : 107, 108.
VAULX, B. de : 32 (n).
YSALGUIER, A. d' :28.
VERNE, J. : 178 (n).
VÉRONÈSE, P. - 64, 223.
Les Veuves créoles : 106 (n).
VEYRAT, X. : 249.
VIEILLARD, P.-A. : 225.
ZAGA-CHRIST : 28, 29.
ZAMOR : 63.
ZAYAS, M. de : 32.
ZINGHA : 176, 177.
VIENNET, J. : 186, 202.
Fin du texte