La Vie Spirituelle à la Portée de l`Homme du Monde

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La Vie Spirituelle à la Portée de l`Homme du Monde
LA VIE SPIRITUELLE À LA PORTÉE DE L'HOMME DU MONDE
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Discours prononcé au City Temple, à Londres, dans la soirée du
mardi 10 octobre 1907
Par Annie BESANT (1847-1933) — 1907
Traduit de l'anglais
Original : Publications Théosophiques — 1908
—
Droits : domaine public
—
Édition numérique finalisée par GIROLLE (www.girolle.org) — 2014
Remerciements à tous ceux qui ont contribué
aux différentes étapes de ce travail
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LIVRE
Le Révérend R. J. Campbell, M. A., qui préside, prononce ces mots :
"En présentant la conférencière à un auditoire du City
Temple, je ne veux pas me laisser aller à des
personnalités qui pourraient être embarrassantes pour
elle ; mais je sens que nous nous devons à nous-mêmes
de reconnaitre en Madame Besant une des plus grandes
forces morales de l'époque. Elle a bien gagné le respect
qui lui est aujourd'hui si largement accordé par le public
britannique, et, dans le monde entier, par des milliers
d'hommes et de femmes qui pensent. Elle a dû dans le
passé faire de grands sacrifices pour rester fidèle à ce
qu'elle croyait être la vérité. Il est rare en pareil cas que
la force des convictions ne se [4] teinte d'aucune trace
d'amertume ou d'intolérance. L'intensité, parfois, disonsle, le dogmatisme ou même le fanatisme avec lesquels on
soutient ses convictions, sont en proportion du prix dont
il a fallu les payer ; mais s'il est un trait en relief dans la
vie publique de Madame Besant, c'est l'absence complète
de toute trace d'amertume ou d'intolérance dans ses
rapports avec autrui. Elle cherche la vérité au fond de
toute formelle déclaration de foi ; elle n'excommunie
personne ; par là, et par sa reconnaissance si large et si
profonde de la vie, elle a conquis la situation d'un grand
instructeur spirituel, et c'est en cette qualité que nous lui
souhaitons ce soir la bienvenue dans le Temple de la Cité
[The City Temple, Holborn Viaduct, E. G.1]."
PRÉLIMINAIRES
Annie Besant prend alors la parole :
"Avant de commencer ce que j'ai à vous dire ce soir,
voulez-vous me permettre un mot de préface, tant sur ma
présence ici que sur les opinions auxquelles je dois prêter
ma voix. Je remercie votre pasteur et je vous remercie de
m'avoir donné l'occasion de parler ici ; mais [5] je suis
obligée de déclarer que les opinions exprimées par moi
ne devront être prises en aucun sens comme pouvant
compromettre le lieu où je parle ni le pasteur qui occupe
généralement cette chaire. Nous devons tous être
reconnaissants envers le pasteur du City Temple pour le
courage avec lequel il a donné expression à des vérités
qui sont dans l'air, pour les gens cultivés et intellectuels,
mais qu'un petit nombre seulement ont la bravoure
d'exprimer. Cependant quand une vérité est dans l'air,
l'expression de cette vérité est l'un des plus grands
services que l'homme puisse rendre à l'homme ; car la
vérité, il faut s'en souvenir, dépend largement de
l'expression de ceux qui la voient et sont assez braves
pour la dire ; des milliers de gens accueillent une vérité
qu'ils savent être vraie, mais n'ont pas le courage de la
proférer tant que cette profession est encore limitée à une
minorité. Il est donc d'autant plus essentiel qu'en rien de
ce que je dirai je ne puisse sembler compromettre le
message ordinairement transmis à cette place. Car mes
opinions sont à moi, comme les vôtres sont à vous, et en
parlant ici ce soir, je parle la vérité comme je la vois,
sans désirer qu'elle soit acceptée de quiconque ne la voit
pas encore, et surtout sans [6] désirer qu'aucune de mes
paroles, Monsieur (se tournant vers M. Campbell), rende
plus lourd le fardeau ou plus grande la difficulté que
vous avez à affronter."
LA SPIRITUALITÉ EST INDÉPENDANTE DE L'AMBIANCE
Il y a d'abord une plainte que nous entendons continuellement
formuler par des gens sensés et sérieux, une plainte contre les
circonstances de leur vie, et qui est peut-être parmi les plus fatales : "Si les
circonstances étaient autres, comme je pourrais faire mieux ! Si j'étais
moins accablé d'affaires, moins embarrassé d'inquiétudes et de soucis,
moins occupé par les travaux de ce monde, je pourrais alors vivre une vie
spirituelle". Or cela n'est pas vrai. Jamais les circonstances ne peuvent ni
faire ni empêcher l'éclosion de la vie spirituelle dans l'homme. La
spiritualité ne dépend pas de l'ambiance ; elle dépend de l'attitude de
l'homme envers la vie, et je veux, si je peux, vous montrer ce soir la
manière dont le monde peut être converti au service de l'esprit au lieu de le
submerger comme, je l'admets, il ne le fait que trop souvent. Quand un
homme ne comprend pas le rapport du matériel [7] et du spirituel, quand il
les sépare l'un de l'autre comme incompatibles et hostiles, quand d'un côté
il met la vie du monde et de l'autre la vie de l'esprit dressées en rivales, en
antagonistes, en ennemies, alors la nature pressante des occupations
mondaines, les chocs violents de l'ambiance matérielle, le leurre constant
de la tentation physique, la domination du cerveau par les soucis pratiques,
toutes ces choses sont aptes à rendre irréelle la vie de l'esprit. Elles
semblent l'unique réalité, et nous devons chercher quelque alchimie,
quelque magie qui fasse voir la vie du monde comme irréelle, et la vie de
l'esprit comme la seule vérité. Si nous réussissons à la trouver, alors la
réalité s'exprimera dans la vie du monde ; cette vie deviendra son moyen
d'expression, et non plus le bandeau sur ses yeux, le bâillon qui l'étouffait.
C'est ce que nous devons chercher ce soir.
LE SACRÉ ET LE SÉCULIER
On sait combien de fois dans le passé il a été répondu, par la négative,
à cette question de savoir si un homme peut mener une vie spirituelle dans
le monde. Dans tout pays, dans toute religion, dans tout âge de l'histoire du
monde, [8] dès que la question a été posée, la réponse a été : non, l'homme
du monde ne peut pas mener une vie spirituelle. Cette réponse nous vient
des déserts de l'Égypte, des jungles de l'Inde, du monastère et du couvent
de nonnes des pays catholiques romains, de toute contrée et de tout lieu où
l'homme a cherché à découvrir Dieu en se tenant à l'écart des hommes ; or,
si pour connaitre Dieu et mener une vie spirituelle il est nécessaire de fuir
les séjours humains, cette vie devient impossible pour la plupart d'entre
nous, obligés que nous sommes, par d'infrangibles circonstances, à vivre la
vie du monde et à nous accommoder à ses conditions. Je veux vous
soumettre que cette idée est basée sur une erreur fondamentale, mais
abondamment nourrie dans notre vie moderne, non pas tant, chez nous, par
la pensée d'une vie recluse dans la jungle ou le désert, la caverne ou le
monastère, mais plutôt par la pensée que le religieux et le séculier doivent
être tenus à part.
Telle est la tendance chez nous, en raison de cette habitude moderne
de séparer ce qu'on appelle le sacré de ce qu'on appelle le profane. Ici les
gens nomment le dimanche le jour du Seigneur, comme si tous les jours
n'étaient pas également à Lui, comme [9] s'il devait être servi ce jour-là
seulement. Appeler un jour le jour du Seigneur, c'est nier cette même
seigneurie sur tous les autres jours de la semaine, c'est faire six parts de la
vie hors du spirituel, tandis qu'une seule reste reconnue comme dédiée à
l'esprit. Ainsi les locutions communes des hommes, – histoire sacrée et
histoire profane, éducation religieuse et éducation séculière, – toutes ces
phrases si constamment employées, hypnotisent l'esprit du public par une
fausse vision de l'esprit et du monde. La bonne manière de dire, c'est que
l'esprit est la vie, le monde est la forme, et que la forme doit être
l'expression de la vie, sinon vous avez un cadavre dénué de vie, et vous
avez une vie désincarnée, privée de tous moyens d'action efficace ; et je
veux établir large et forte la fondation même de ce que je crois être
l'opinion juste et saine en cette matière. Le monde est la pensée de Dieu,
l'expression du mental divin. Toutes les activités utiles sont des formes de
la divine activité. Les roues du monde sont tournées par Dieu, et les
hommes sont seulement ses mains qui touchent le bord de la roue. Toute
œuvre faite dans le monde est l'œuvre de Dieu, ou bien nulle œuvre n'est
son œuvre. Tout ce qui sert à l'homme et aide aux activités du [10] monde
est bien vu quand on le voit comme une activité divine, et mal vu quand on
l'appelle séculier ou profane. Le négociant dans son bureau, le boutiquier
derrière son comptoir, le docteur dans l'hôpital, sont engagés dans une
activité divine tout autant qu'aucun prédicateur dans son église. Jusqu'à ce
que cela ait été compris, le monde parait vulgaire ; jusqu'à ce que nous
puissions voir une même vie partout, et toutes choses enracinées dans cette
vie, c'est nous qui restons irrémédiablement profanes dans notre attitude,
c'est nous qui sommes aveugles à la vision béatifique, vision de l'unique
vie en toutes choses, et de toutes choses comme les expressions de cette
vie-là.
OMNIPRÉSENCE DE LA DIVINITÉ
Si cela est vrai, s'il n'y a qu'une vie dont vous et moi sommes les
participants, s'il n'y a qu'une pensée créatrice par laquelle les mondes ont
été formés et sont maintenus, alors, quelque puissante, d'ailleurs, que soit
l'existence divine non exprimée, bien qu'il soit vrai, comme il est écrit dans
les antiques Écritures de l'Inde, que "J'ai établi cet univers avec un [11]
fragment de Moi-même, et Je subsiste", quelque réel qu'il soit que la
divinité dépasse sa propre manifestation, – néanmoins la manifestation
reste divine, et en le comprenant nous touchons les pieds de Dieu.
S'il est vrai qu'il est partout et en tout, alors Il est aussi bien au marché
qu'au désert, aussi bien au comptoir que dans la jungle, aussi facile à
trouver dans la rue des cités populeuses que dans la solitude des sommets
de la montagne. Je ne veux pas dire qu'il ne soit pas plus facile pour vous
et moi de comprendre la grandeur divine, par exemple, dans la splendeur
des cimes neigeuses, dans la beauté d'une forêt de pins, dans la
merveilleuse profondeur de quelque secret vallon où la nature parle à voix
distincte ; mais je veux dire que si nous l'y entendons plus clairement, c'est
que nous sommes sourds, et non que la voix divine est muette. À nous
incombe cette faiblesse, que le torrent et le bourdonnement de la vie dans
la cité nous rende insensibles à la voix qui toujours parle ; et si nous étions
plus forts, si notre ouïe était plus subtile, si nous étions plus spirituels,
nous pourrions trouver la vie divine aussi facilement dans l'encombrement
du viaduc d'Holborn que dans la plus belle scène tracée par la [12] nature
dans les solitudes des montagnes, ou que dans l'enchantement du ciel de
minuit. Voilà la première chose à comprendre : nous ne trouvons rien
parce que nos yeux sont bandés.
CONDITIONS DE LA VIE SPIRITUELLE
Voyons maintenant sous quelles conditions l'homme du monde peut
mener la vie spirituelle, car j'admets qu'il y a des conditions. Vous êtesvous jamais demandé pourquoi vous êtes entourés, de toutes parts, d'objets
qui vous attirent, de choses que vous voudriez posséder ? Vos désirs
répondent à la beauté extérieure, à l'attrait des objets répandus à profusion
dans le monde. S'ils n'étaient pas destinés à attirer ils ne seraient pas là ;
s'ils étaient réellement des obstacles, pourquoi auraient-ils été placés sur
notre route ? C'est précisément pour les mêmes raisons que, quand une
mère veut provoquer chez son enfant l'effort qui le fera marcher, elle agite
devant ses yeux et un peu hors de portée quelque étincelant hochet,
quelque clinquant attrayant ; les yeux de l'enfant sont fascinés par l'objet
qui brille, il veut saisir la chose qui est juste en dehors de ses [13]
atteintes ; il essaie de se tenir sur ses pieds, tombe, et se relève, et tente de
marcher, et s'efforce d'atteindre. La valeur de l'attrait n'est pas dans le
clinquant qu'il va bientôt saisir, briser et rejeter, pour désirer autre chose,
mais dans le stimulant de la vie intérieure qui le pousse à essayer de se
mouvoir pour gagner le prix chatoyant qu'il dédaignera sitôt conquis.
Ainsi le grand cœur maternel chargé de nous entrainer agite
constamment devant nous quelque objet attrayant, quelque jouet pour
l'enfant-esprit ; oriente vers le dehors les pouvoirs qui vivent au-dedans ; et
c'est pour déterminer l'effort, pour assurer la tentative qui seule peut
convertir ces pouvoirs introspectifs en leur manifestation extérieure, que
nous sommes amadoués et séduits par les innombrables hochets de la vie
répandus de tous côtés. On lutte, on essaie de saisir ! On saisit enfin et l'on
tient bon ; au bout de peu de temps, la pomme splendide se change en
cendres, comme dans la fable de Milton ; le prix auquel on attribuait tant
de valeur perd tout son attrait, devient inutile, et l'on désire autre chose.
C'est ainsi que l'on grandit. Le résultat est en nous-mêmes ; un pouvoir a
été suscité, une faculté a été développée, une force [14] intérieure est
devenue une puissance manifeste, une capacité secrète est devenue une
faculté en action. Tel est le but de l'instructeur divin : le hochet est rejeté
quand le résultat de l'effort est atteint. Ainsi nous passons d'un point à un
autre, ainsi nous passons d'un degré d'évolution au suivant ; et si avant de
croire au grand fait des renaissances continues et de l'expérience
ininterrompue, vous ne pouvez pleinement comprendre la beauté et la
splendeur du plan divin, vous savez du moins que même dans une courte
vie vous gagnez par la lutte et non par votre succès ; la récompense de la
lutte consiste dans le pouvoir que vous possédez ; selon la grande parole de
Carpenter, rétrécie quand on ne croit pas à la réincarnation : "Chaque peine
que je souffrais dans un corps était un pouvoir que je tenais dans le
suivant." Même dans une seule vie, vous pouvez le voir, même dans
l'unique et court intervalle du berceau à la tombe, vous pouvez reconnaitre
le travail de la loi. Vous grandissez, non par ce que vous gagnerez comme
fruit recueilli, mais par le développement intime que nécessite votre succès
dans la lutte. [15]
UN NOUVEAU MOBILE
Or, quand une longue expérience de la nature a rendu l'homme sage,
voici que ces objets perdent leur puissance d'attraction, et alors la première
tendance est de cesser l'effort ; mais cela reviendrait à la stagnation. Quand
les objets du monde commencent à perdre un peu de leur valeur, alors il est
temps de chercher un nouveau mobile : or le motif d'action pour la vie
spirituelle, c'est d'abord d'accomplir l'acte parce qu'il est le devoir et non
pour obtenir la récompense personnelle qu'il peut apporter. Prenons le cas
de l'homme du monde et de l'homme spirituel, et voyons ce qu'il faut pour
transformer l'un en l'autre. Je prendrai pour exemple un homme dont vous
ne puissiez douter qu'il est un homme du monde, l'homme qui fait une
énorme fortune, qui s'est assigné pour unique but de la vie l'argent, la
richesse. C'est une chose fréquente. Or, réfléchissez un moment à la vie de
l'homme déterminé à être riche. Tout est subordonné à ce seul dessein. Il
faut qu'il soit maitre de son corps, car si ce corps est son maitre, il perdra
chaque semaine et chaque mois l'argent qu'il [16] a gagné par la lutte ; il
gaspillera dans le luxe, pour flatter le corps, l'argent qu'il devait retenir
dans sa main pour en gagner davantage. Ainsi la première chose qui
s'impose à l'homme est de maitriser son corps, de lui apprendre à supporter
la dureté, la frugalité et même des rigueurs plus réelles ; d'oublier qu'il a
envie de dormir, si en voyageant toute la nuit il peut s'assurer un contrat ;
de ne pas même se demander s'il a besoin de repos, lorsqu'en allant à
quelque soirée vers minuit, il peut faire connaissance d'un ami dont
l'influence lui permettra de gagner plus d'argent. À maintes reprises, dans
cette lutte pour l'or, l'homme devra se rendre maitre de ce corps qu'il porte,
jusqu'à ce que celui-ci n'ait plus voix à la détermination de sa ligne
d'action, jusqu'à ce qu'il se soumette comme un serviteur obéissant à la
volonté souveraine, au cerveau dominateur. Voilà la première chose qu'il
apprend, la conquête du corps.
QU'EST-CE QUI A ÉTÉ GAGNÉ ?
Ensuite il apprend la concentration de l'esprit. Faute de concentration,
ses rivaux le battront dans la lutte mercantile. Si son esprit [17] vagabonde
de-ci, de-là, partout, indécis, essayant un jour un plan, et le lendemain un
autre, sans persévérance, sans un labeur décidé et continu, cet homme
échouera. Le but qu'il désire atteindre l'oblige à la concentration mentale :
il met son esprit à un certain point et l'y maintient tant qu'il est nécessaire ;
il reste ferme et persévérant dans son effort mental, et sa pensée devient de
plus en plus forte, de plus en plus vive, de plus en plus dirigeable. Il a
appris à maitriser non seulement son corps, mais sa pensée. A-t-il gagné
quelque chose de plus ? Oui, une volonté forte ; une forte volonté peut
seule réussir dans une pareille lutte. L'âme devient puissante en essayant
d'accomplir. Bientôt cet homme, avec son corps maitrisé, son esprit bien
dirigé, sa volonté puissante, atteint ses objets et saisit son or. Et, alors ?
Alors il découvre qu'après tout, cet or ne peut pas lui servir, tant que cela, à
faire son propre bonheur ; il n'a guère qu'un corps à vêtir, une bouche à
nourrir, il ne peut multiplier ses besoins en proportion des énormes
provisions à sa portée, et, en fin de compte, son pouvoir de se procurer du
bonheur est très limité. Son or lui devient un fardeau plutôt qu'une joie,
[18] les premières délices du but atteint s'affadissent, il se rassasie de la
possession, et enfin, dans bien des cas, il n'est plus bon à rien qu'à empiler,
encore et encore, par pure habitude, les monceaux croissants d'un or
inutile. Cet or devient un cauchemar plutôt qu'un délice ; il écrase l'homme
qui l'a gagné.
UN CHANGEMENT DE BUT
Maintenant, qu'est-ce qui fera de cet homme un homme spirituel ? Un
changement de but, voilà tout. Que cet homme, dans cette vie ou toute
autre, s'aperçoive du manque de valeur de l'or amoncelé par lui ; qu'il
entrevoie la beauté du service humain ; qu'il saisisse un reflet de la
splendeur de l'ordre divin ; qu'il comprenne que la vie n'a d'autre valeur
que de pouvoir être donnée comme partie de cette grande vie qui maintient
les mondes ; et le pouvoir acquis sur son corps, sur son mental, sur sa
volonté, fera de cet homme un géant du monde spirituel. Il n'a pas besoin
de changer ces qualités, mais de se débarrasser de l'égoïsme, de se
débarrasser de l'indifférence aux douleurs humaines, de se débarrasser de
l'insouciance avec laquelle il écrasait son frère [19] pour grimper vers la
richesse sur des monceaux de meurt-de-faim. Il faut que son idéal se
détourne de l'égoïsme pour le service, de la force qui écrase vers la force
qui soulève, et dans le géant du monde des affaires vous trouverez
l'homme spirituel ; sa vie est consacrée à l'humanité, il ne possède plus que
pour servir et aider. Différence de but, différence de mobile, et non
différence extérieure, de là dépend que l'homme soit un mondain du
monde ou un esprit du spirituel.
J'ai employé tout à l'heure le mot devoir, et c'est là en effet le premier
pas. Qui que vous soyez, quelle que puisse être votre œuvre dans le
monde, peu importe : si vous commencez à accomplir cette œuvre, non
parce qu'elle vous procure de quoi vivre – bien qu'il n'y ait aucune honte à
ce qu'elle vous donne le pouvoir de vivre ici-bas – si vous commencez à
l'accomplir, lentement, graduellement et de plus en plus parce qu'elle doit
être accomplie, et non parce que vous voulez gagner quelque chose pour
vous-même, alors vous faites le premier pas vers la vie spirituelle, vous
êtes en train de changer de mobile ; toutes les activités de vos journées
auront un objet nouveau. Le devoir doit être accompli ; [20] les roues du
monde doivent continuer à tourner. Hommes et femmes doivent être
nourris par les diverses voies du négoce et du commerce ; les malades
doivent être soignés ; les ignorants doivent être instruits ; la justice doit
être répartie entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre. En
envisageant ainsi les choses, le négociant, le marchand, le docteur,
l'homme de loi, le professeur peuvent tous saisir un nouvel aspect de la
vie, et se dire : Cette activité, où je suis engagé, fait partie du grand labeur
du monde, labeur qui est divin. J'y suis pour le faire, et mon devoir
consiste à accomplir parfaitement ma tâche. J'enseignerai, je guérirai, je
discuterai, je vendrai, j'engagerai des relations commerciales de toute
espèce, non plus simplement pour l'argent que cela rapporte ou pour le
pouvoir que cela procure, mais afin que la grande œuvre du monde puisse
être dignement soutenue, pour que je puisse accomplir cette œuvre en
serviteur d'une volonté plus grande que la mienne, et non plus pour mon
bénéfice ou profit personnel. [21]
UNE PARTIE DE L'ŒUVRE UNIVERSELLE
Tel est le premier pas, et il n'est personne parmi vous qui ne soit
capable de le faire. Vous pouvez faire vos affaires tout comme d'habitude,
mais vous y apportez avec vous un nouvel esprit ; vous les faites parce que
c'est votre œuvre dans le monde, comme un serviteur accomplit une tâche
pour son maitre, parce qu'il a reçu l'ordre de l'accomplir, et que sa loyauté
la lui fait bien remplir. Dès lors l'addition de chaque rang de chiffres dans
un registre, la vente de chaque article dans une boutique, tout serait fait
avec ce sublime idéal en vue : "Je fais cela comme une partie de l'œuvre du
monde, et voici le devoir qui m'est échu pour ma part" ; tout serait pris
comme émanant directement de la grande volonté par laquelle les mondes
se meuvent, comme votre part de l'activité divine, votre part de l'œuvre
universelle ; et le plus puissant des archanges, le plus grand des êtres
resplendissants, ne peut faire rien de plus que sa part dans
l'accomplissement de la volonté divine. Et George Herbert a écrit avec
raison que celui qui balaie une chambre à la gloire de Dieu embellit cette
gloire et cette action. Telle est la vie spirituelle, [22] où toute action est
faite par devoir, pour le grand SOI et non pour le petit. Et remarquez que
ce n'est pas toujours facile. Plus d'escamotage, plus de tâche à moitié faite,
sous prétexte que l'œil du maitre n'y sera pas ; car l'œil de notre Maitre est
partout, et ne dort jamais. Plus de travail expédié hâtivement, car ce serait
le propre, non plus de l'un des artisans divins, mais d'un ouvrier ignorant et
maladroit. L'art ne consiste qu'à faire parfaitement ce que vous faites, et
Dieu est toujours un artiste. Il n'y a rien de si petit, aucun des animaux
visibles seulement au microscope, qui ne soit parfait en sa beauté, et plus
vous l'examinez de près et plus elle devient exquise. Regardez ces
diatomées ténues que vous ne pouvez voir qu'au microscope ; chacune de
ces minuscules coquilles est sculptée de dessins géométriques et parfaits.
Pourquoi ?
Pour la satisfaction de ce sens de la perfection qui est un des éléments
divins dans Dieu comme dans l'homme. Ce n'est pas ce que vous faites,
c'est la façon dont vous le faites, et le souci de le faire à perfection jusqu'à
la dernière limite de votre capacité, qui sert de pierre de touche au
caractère de l'homme : et par l'œuvre on peut connaitre le caractère de
l'ouvrier. [23]
Or cela semble peu de chose quand on l'applique à sa propre maison, à
son magasin, à son bureau. Pour chacun, c'est peu : mais supposons que
tout le monde le fasse, comment apparaitrait alors la face du monde ? Plus
d'ouvrage bâclé, plus de produits trompeurs sur le marché, plus de fraude,
plus rien qui ne soit ce qu'il prétend être ; la valeur de surface et la valeur
réelle toujours identiques, chaque maison parfaitement bâtie, chaque
conduit parfaitement posé, toute chose faite aussi bien que l'habileté et la
force humaine peuvent la faire. Un monde pareil semble un conte de fée,
une utopie impossible, et pourtant tel serait le résultat si chaque individu
faisait son devoir aussi parfaitement que ses pouvoirs le lui permettent. Et
voilà le premier pas vers la vie spirituelle. Il n'est pas hors de votre
atteinte ; il est à la portée de chacun d'entre vous.
PRINCIPE DU SACRIFICE
Mais ce n'est pas tout ; il y a un degré de vie spirituelle plus élevé que
celui-là. C'est beaucoup de se sentir coopérateur du divin dans le monde ;
c'est beaucoup de rendre son [24] œuvre grande en la rattachant à l'œuvre
universelle, à travers ce puissant système de mondes et d'univers ; c'est
beaucoup aussi, comme l'a dit Emerson, d'accrocher son charriot à une
étoile, plutôt qu'à quelque misérable poteau du bord de la route. Mais cela
même n'est pas la seule chose en votre pouvoir, cela même n'est pas le
comble de la splendeur que vous pouvez atteindre. Car il y a une chose
plus grande même que le devoir, c'est quand toute action est faite comme
un sacrifice. Or, que veut dire cela ? Il n'existerait ni monde, ni vous, ni
moi, s'il n'y avait pas eu un sacrifice primordial par lequel un fragment de
la pensée divine s'est enveloppé dans la matière, s'est limité dans le but que
vous et moi puissions devenir divinement conscients. Il y a une profonde
vérité dans la grande doctrine chrétienne d'un agneau immolé ; – quand ?
Sur le calvaire ? Non, mais "depuis la fondation du monde". C'est la
grande vérité du sacrifice. Sans le sacrifice divin, pas d'univers : si le SOI
divin ne s'était limité lui-même, il n'existerait aucun des mondes qui
remplissent les royaumes de l'espace.
Tout cela est un sacrifice, le sacrifice de l'amour qui se limite soimême pour que d'autres [25] puissent atteindre l'existence consciente et se
réjouir dans la perfection suprême de leur propre divinité. Et tant que la vie
du monde est basée sur le sacrifice, toute véritable vie est aussi
sacrificatoire ; et quand tout acte est fait comme un sacrifice, alors l'être
devient l'homme parfait, l'homme spirituel. Cela est difficile. Le premier
degré ne l'est pas trop : nous pouvons donner libéralement ; nous pouvons
rendre nos vies utiles ; mais qu'il est difficile, après qu'on a rendu sa vie
utile, qu'on l'a enveloppée dans quelque œuvre de service, de voir cette
œuvre réduite en miettes, et de pouvoir contempler ses ruines avec une
calme satisfaction ! Voilà une des choses que veut dire le sacrifice : vous
aurez jeté la somme de votre vie en quelque bonne œuvre, la somme de
vos énergies en quelque grande entreprise, vous aurez peiné et bâti, et
tramé des plans et donné la forme, vous aurez nourri l'entreprise engendrée
par vous comme une mère peut choyer l'enfant de son sein, et voici qu'elle
tombe en morceaux autour de vous. Au lieu de prospérer, elle avorte ; au
lieu de grandir, elle éclate ; au lieu de vivre, elle meurt.
Pouvez-vous être contents d'un pareil résultat ? Des années de labeur,
des [26] années de pensée, des années de sacrifice, et voir tout crouler en
poussière, et rien qui subsiste ? Si vous ne le pouvez pas, c'est que vous
travailliez pour vous-même, et non comme partie de l'activité divine ; votre
entreprise avait beau être dorée de l'amour d'autrui, elle était votre œuvre
et non l'œuvre de Dieu, et c'est pourquoi vous avez souffert de sa brisure.
Si elle eût été réellement sienne et non vôtre, si elle eût été un sacrifice et
non une possession à vous, vous sauriez que tout ce qu'elle contenait de
bon doit entrer inévitablement dans les forces de bien répandues dans le
monde, et que s'Il n'a pas eu besoin de la forme construite par vous, mieux
vaut qu'elle soit brisée, mieux vaut que cette vie, qui ne peut mourir, entre
dans d'autres formes plus convenables au plan divin, et travaille dans la
grande entreprise de l'évolution.
UNE PARABOLE
Laissez-moi vous présenter la chose d'un autre point de vue, et vous
verrez exactement ce que je veux dire, d'une façon moins abstraite peutêtre. Prenez une armée, une armée attendant l'attaque d'un ennemi plus
nombreux et [27] plus fort. Le commandant en chef prépare son plan de
bataille, place un régiment à un point et un autre ailleurs, organise un
grand projet qui embrasse l'ensemble, et le jour de la bataille se lève. Sous
les ordres du général un messager s'élance au galop et porte à quelque
jeune capitaine, en quelque endroit du champ de bataille, le message
suivant : "Allez attaquer le fort qui est devant vous, prenez-le, et tenez-y
bon jusqu'à ce que vous receviez l'ordre de retraite." Le jeune capitaine, à
la tête de sa petite troupe de jeunes hommes, examine le fort qui est devant
lui ; il sait qu'il ne peut pas le prendre, il voit que l'échec est inévitable, il
comprend que c'est la mutilation et la mort pour les hommes placés sous
ses ordres, il se rend même compte que s'il exécute l'ordre à la lettre, pas
un homme de cette petite troupe ne verra le soleil du lendemain, qu'ils
seront balayés jusqu'au dernier par la grêle de mort qui va tomber sur eux
tandis qu'ils graviront la colline vers le fort imprenable qui la domine. Il
voit tout cela ; hésite-t-il ? S'il hésite, c'est un traitre, il est déshonoré, il est
lâche. Il rassemble ses hommes : "L'ordre est venu de prendre ce fort." Ils
chargent. Ils sont décimés. Ils chargent de nouveau, et de nouveau laissent
un [28] dixième des leurs sur la pente. Ils chargent encore, et encore, et
encore, jusqu'à ce qu'il ne reste plus un homme debout pour charger.
Pendant ce temps, d'un autre côté du champ de bataille, le dessein du
général a progressé ; pendant ce temps, l'attention de l'ennemi a été
occupée par cette poignée d'hommes qui allaient joyeusement à la mort ; le
plan s'est développé ; pendant que l'ennemi surveillait cet effort désespéré,
la tâche des camarades s'est accomplie ailleurs, et en fin de compte, quand
le soleil se couche, la victoire appartient à cette armée dont les hommes
sont étendus morts et mourants sur la pente. Ont-ils échoué ? En apparence
c'est un échec d'être là mourants et morts ; surement les hommes ont
échoué. Ah ! Quand l'histoire de cette lutte sera écrite, quand une nation
reconnaissante élèvera un monument à la mémoire des vainqueurs de cette
bataille, bien haut sur ce monument seront gravés en or indestructible les
noms des hommes qui moururent et rendirent la victoire possible à leurs
camarades en acceptant la défaite pour eux-mêmes.
Vous comprenez ma parabole. Il n'y a pas d'insuccès quand le
commandant en chef est le divin architecte de l'univers ; il n'y a pas [29] de
défaite possible, il n'y a que succès inévitable ; et n'est-ce pas un noble
orgueil que d'être appelé au sacrifice afin que le plan puisse être accompli !
Il n'y a pas d'échec, car la victoire est toujours du côté divin. Qu'importe
que vous et moi ayons semblé échouer ; qu'importe si nos plans mesquins
s'effritent entre nos mains ; qu'importe si nos entreprises d'un moment sont
trouvées inutiles et rejetées ? La vie que nous y avions dépensée, le
dévouement avec lequel nous les avions conçues, la force avec laquelle
nous avons essayé de les accomplir, le sacrifice par lequel nous les avons
offertes au succès du puissant ensemble, nous ont enrôlés comme
coopérateurs de la Divinité dans le sacrifice, et nulle gloire n'est plus haute
que la gloire du désastre personnel qui assure le succès universel. Cela est
réservé aux forts ; je l'accorde. Cela est réservé aux héros. C'est leur travail
et leur délice. Mais être seulement capable d'en voir la beauté, c'est
apporter un peu de cette beauté dans chacune de nos vies. Voir qu'une
chose est noble, c'est commencer à incarner cette noblesse dans votre
existence, et la simple reconnaissance de la splendeur d'un idéal est le
premier pas vers votre transformation à son image. [30]
LES SAUVEURS DE LA RACE
Or, supposons que vous et moi puissions modeler notre vie d'après les
lignes comme celles que j'ai imparfaitement essayé d'esquisser, nous
deviendrons l'homme spirituel vivant dans la vie du monde, transformant
lentement ce monde à la façon de l'idéal divin, en faisant la manifestation
de plus en plus parfaite de la pensée divine. Tel est donc l'idéal central qui
transmutera l'homme du monde en l'homme spirituel, et c'est dans le
monde qu'il peut le mieux être réalisé. La vie de la jungle, pour qui sait le
nombre des vies des hommes, n'est jamais la dernière existence d'un
sauveur de sa race. Une pareille vie peut être parfois l'une des nombreuses
vies qu'il parcourt, en amassant une expérience universelle ; parfois une
époque d'accumulation de force et de pouvoir à employer plus tard ; mais
la vie des Christs de la race est la vie dans le monde, et non vie dans la
jungle. Quoiqu'il nous soit parfois profitable de nous retirer dans la
solitude, le Dieu manifesté marche dans les endroits fréquentés des
hommes. Là seulement est la grande œuvre à accomplir, là sont les
épreuves à [31] affronter, là sont les pouvoirs à découvrir. Quand tous nos
pouvoirs auront jailli, quand nous serons tous des Christs, ah ! Alors nous
pourrons sortir de la vie extérieure du monde pour devenir une partie de
cette vie intérieure qui forme et moule l'activité externe ; mais ceux qui
sont encore en croissance vers cette stature doivent grandir selon la loi de
la croissance, qui est la loi de l'expérience. Seuls les parfaits peuvent
passer derrière le voile et émaner de là les pouvoirs spirituels développés
dans la vie du monde.
LA DIVINITÉ EMPRISONNÉE
Il me semble donc qu'il n'est aucun de nous qui ne puisse commencer
à mener la vie vraiment spirituelle, et que le monde en sera meilleur, tandis
que l'homme se développera plus rapidement en proportion de son effort.
Car chacun de nous, si nous y pensons, chacun de nous est à l'œuvre pour
sculpter sa propre vie selon une image parfaite, l'image du Divin manifesté
dans l'homme. Ce n'est pas que le Divin ne soit pas en vous ; s'il n'y était
pas, comment le feriez-vous jaillir ? L'idéal vient avant la manifestation, la
pensée crée la forme, en [32] chacun de vous dort pour ainsi dire la divine
image, et votre œuvre est de rendre cette image manifeste, et alors vous
serez l'homme spirituel.
Suivez-moi dans l'atelier de quelque grand sculpteur, non pas un
simple tailleur de marbre, mais un de ces génies qui rendent le marbre
vivant, et l'idéal en forme irréprochable. Comment cet homme travaille-til ? Pensez-vous qu'il sculpte une statue dans le marbre ? Point du tout. Il
délivre du marbre une statue, en enlevant ce qui est de trop, le marbre
inutile qui cache aux yeux de l'homme la beauté de l'idéal qu'il voit. Voilà
le sculpteur de génie ; dans le bloc grossier, qui est tout ce que vous et moi
pouvons voir de nos pauvres yeux, il voit la parfaite statue emprisonnée
dans la pierre, et de chaque coup de son maillet, de chaque touche adroite
de son ciseau, il rapproche cette prisonnière de sa liberté, son idéal de sa
manifestation. Il en est ainsi de vous et de moi : nous sommes de grossiers
blocs de marbre qui vivons ici dans l'atelier du monde, bruts, non taillés,
tous tant que nous sommes ; et la Divinité en nous est cachée, comme la
statue dans le bloc. Et vous et moi sommes des sculpteurs, et par notre vie
cette statue doit être manifestée, cette beauté emprisonnée [33] doit être
libérée ; avec le maillet de la volonté, avec le ciseau de la pensée, nous
devons couper toute cette pierre superflue, inutile, qui cache la divinité
vivante en nous, qui dérobe à la vue des hommes sa gloire non manifestée.
Sculpteurs vous êtes, chacun de vous, en train de dégrossir ce que vous
serez inévitablement dans des années, dans les siècles à venir ; et plus vous
mettrez d'habileté, de connaissance, de volonté forte, de puissance dans le
maniement de votre maillet et de votre ciseau, plus vite viendra le jour de
la libération, plus proche sera la manifestation de l'œuvre. Ainsi donc, où
que vous soyez, dans quelque atelier de ce vaste monde que vous vous
trouviez au travail, gardez toujours dans votre cœur l'idéal que vous
souhaiteriez réaliser. Puissiez-vous sentir la présence de la Divinité
prisonnière que vous, et vous seuls, avez le glorieux privilège de libérer.
Prenez en main vos outils, déblayez la pierre inutile, délivrez la statue
splendide, et la conscience vous fera reconnaitre en vous-mêmes ce que
vous êtes réellement, des hommes à l'image de Dieu.
M. Campbell, exprimant à Madame Besant toute [34] l'obligation qu'il
lui devait pour sa conférence, déclare qu'il ne croit pas avoir entendu
jamais un plus magnifique effort oratoire dans cette enceinte. Mais ceci est
relativement peu de chose – que dire de la vérité en elle-même ? On vient
d'entendre les accents d'un grand prédicateur, et ses paroles portaient la
conviction avec elles. Bien loin que le pasteur ou les dignitaires de l'église
puissent se trouver compromis par la présence de Madame Besant dans
cette chaire, il espère qu'elle-même ne se sentira pas compromise par cette
présence.
"Le fait est qu'au City Temple nous avons appris à nous
élever au-dessus de ces considérations ; inutile de
s'inquiéter de ce qui compromet ou non. Parlant pour
moi-même, je ne puis que dire que je suis fier d'avoir
entendu un grand orateur énoncer d'aussi grandes vérités
à mes côtés et dans cette chaire historique, et je veux
assurer à Madame Besant, en votre nom, qu'elle sera
notre hôte bienvenue dans l'avenir, toutes les fois que les
occupations de sa vie lui permettront de revenir visiter le
City Temple."
Madame Besant :
"Amis, quand une personne a, ou croit avoir quelque
chose à dire, c'est toujours pour elle la [35] plus grande
des faveurs d'être écoutée par un nombreux auditoire, et
j'ai toujours pensé qu'en pareil cas le vote de
remerciements devrait être donné par l'orateur aux
auditeurs, et non par les auditeurs à l'orateur. Permettezmoi pourtant de vous dire en toute sincérité qu'à mon
avis, plus une tribune est large et ouverte à tous, plus elle
peut servir au bien de l'humanité. Tout en me félicitant
de l'invitation qui m'a amenée ici, je vous félicite d'avoir
un pasteur et des dignitaires disposés à ouvrir cette chaire
à tous ceux qui sont vraiment sincères et croient avoir à
dire quelque chose de précieux pour tout le monde. Une
tribune est un bienfait public, et votre City Temple est
une large tribune."
FIN DU LIVRE