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P R O C T O L O G I E ( S ) Retentissement anorectal des maladies neurologiques Anorectal function in neurological disorders ● L. Siproudhis*, R. Brissot** e nombreuses maladies neurologiques peuvent avoir un retentissement pelvipérinéal et des conséquences fonctionnelles parfois invalidantes du fait qu’elles altèrent les mécanismes de la continence et ceux de la défécation. En établir une liste exhaustive et passer en revue l’ensemble de ces affections dépasse l’objectif d’un outil de formation simple et didactique. La pathogénie des troubles fonctionnels anorectaux rencontrés au cours des affections neurologiques n’est que partiellement comprise, parce que i) elle repose sur la complexité neurophysiologique de la motricité, de la sensibilité et de leurs contrôles spinaux et supraspinaux de l’anorectum ; ii) les mécanismes en cause dans la survenue des troubles fonctionnels décrits sont multifactoriels (participation centrale et périphérique, immobilité) ; iii) les troubles fonctionnels décrits peuvent avoir un support pathogénique autre que le trouble neurologique ; iv) les médicaments institués chez ces personnes peuvent modifier à la fois la physiologie anorectale et les troubles du transit intestinal. Ainsi, au décours d’un accident vasculaire cérébral, les troubles de la continence fécale sont rapportés chez plus d’un tiers de personnes dans les suites immédiates et chez près d’une personne sur cinq, six mois après l’ictus. L’âge de survenue (plus de 70 ans), le terrain (diabète, atrophie cortico-sous-corticale), le territoire cérébral concerné (accidents sylviens profonds), la répétition des accidents ischémiques, la durée d’hospitalisation, les limitations de la mobilité du patient lors de son admission en secteur de rééducation, les troubles neuropsychiatriques sont des éléments de mauvais pronostic vis-à-vis de la persistance des troubles de la continence. À l’inverse, la présence de troubles sphinctériens lors de l’admission est un facteur de pronostic péjoratif sur la mortalité (accidents vasculaires plus sévères) (1). D * Service de gastroentérologie, CHRU de Rennes. ** Service de rééducation fonctionnelle adulte et unité d’urodynamique, CHRU de Rennes. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 2 - vol. IX - mars-avril 2006 CONTEXTES DE SURVENUE ET PATHOGÉNIE Il est cependant trois grandes circonstances pour lesquelles un gastroentérologue est sollicité dans la prise en charge des conséquences fonctionnelles anorectales des maladies neurologiques : les pathologies neurologiques démyélinisantes (sclérose en plaques), les syndromes parkinsoniens et les lésions médullaires (blessés médullaires, pathologies compressives, syndrome de la queue de cheval, dysgénésies sacrées congénitales et myéloméningocèles). Ces troubles peuvent s’inscrire dans le cadre d’une maladie neurologique déjà connue, mais parfois les symptômes fonctionnels pelviens sont inauguraux et le praticien devra pouvoir évoquer une étiologie neurologique des troubles présentés par le patient sur la base d’arguments obtenus par l’anamnèse, de certaines caractéristiques des plaintes et des données de son examen clinique (tableau I). Tableau I. Circonstances qui doivent faire évoquer une origine neurologique des troubles fonctionnels pelviens. ◆ Contexte – Traumatisme lombosacré ou périnéal – Antécédent de chirurgie rachidienne – Maladie neurologique documentée ou suspectée – Chirurgie répétée pour troubles de la statique pelvienne ◆ Symptômes – Dysurie de poussée chez la femme jeune – Infections urinaires répétées inexpliquées – Incontinence urinaire ou fécale non précédée d’une sensation de besoin – Incontinence urinaire ou fécale nocturne – Fécalomes du sujet jeune ◆ Examen – Troubles importants et inhabituels de la statique pelvienne du sujet jeune – Anesthésie périnéale – Abolition ou, au contraire, exagération des réflexes périnéaux à l’étirement et au pincement – Absence de contraction volontaire de l’appareil sphinctérien anal et de la sangle des releveurs – Relaxation anale excessive lors du toucher rectal 111 P R O C T O L O G ● La sclérose en plaques est une affection démyélinisante à dis- sémination spatiotemporelle corticale et médullaire, survenant préférentiellement chez la femme jeune. Du fait de la variabilité des sites lésionnels, les symptômes fonctionnels pelviens sont polymorphes. Les troubles vésicosphinctériens sont rencontrés dans plus de deux tiers des cas et les troubles du transit ou de la continence fécale dans la moitié des cas. Leur fréquence s’accroît avec le handicap, mais ils peuvent être des signes inauguraux de la maladie dans un tiers des cas. La symptomatologie peut être fluctuante dans le temps et elle peut ne pas dominer l’expression clinique. Elle doit donc être recherchée par les données d’un interrogatoire précis. Des troubles de la motricité colique ont été identifiés dans cette affection, ainsi que des troubles de la sensibilité viscérale et une spasticité des muscles pelvipérinéaux (2). ● La maladie de Parkinson est également une maladie dégéné- rative qui touche principalement les neurones dopaminergiques du locus niger. Elle affecte habituellement les personnes au cours de la sixième décennie. Elle a une évolution insidieuse progressive et les troubles fonctionnels pelviens ne dominent habituellement pas l’expression de la maladie. La constipation est observée chez près de la moitié des malades et les troubles de la continence sont plus rares. Les mécanismes qui induisent les troubles du transit sont multiples dans cette affection. Des stigmates d’atteinte dégénérative ont été observés non seulement au niveau du locus niger mais également dans les centres sympathiques, parasympathiques et dans les plexus myentériques (corps de Lewy), suggérant une participation périphérique autonome (3). ● Les troubles fonctionnels pelviens observés après lésion médullaire représentent une entité dont le mécanisme pathogénique pourrait apparaître plus simple (lésion dont le niveau est connu) et plus facile d’analyse (date précise chez les blessés médullaires). Néanmoins, l’altération neurologique peut avoir un retentissement sur les voies longues de la sensibilité, de la motricité, de l’innervation autonome et somatique, compliquant l’expression du retentissement fonctionnel. Elle peut enfin être complète ou incomplète. Pour toutes ces raisons, la systématisation des symptômes décrits et des mécanismes analysés est loin d’être parfaite. En cas de lésion médullaire complète, les fonctions sensitivomotrices et leur contrôle supraspinal sont altérés. Après la phase du choc spinal, lorsque les métamères sous-jacents à la lésion restent actifs, il existe une dyssynergie sphinctérienne à la fois urinaire (rétention, dysurie, fuites incontrôlées) et rectosphinctérienne (constipation d’évacuation), un ralentissement du transit colique et une spasticité périnéale. Néanmoins, le mécanisme dominant de la constipation consécutive à une lésion médullaire est le plus souvent en rapport avec des troubles moteurs coliques. Dans les lésions médullaires hautes, l’activité motrice du côlon est réduite, alors qu’elle est accentuée dans les lésions basses. Les troubles de la continence procèdent le plus souvent d’un mécanisme encoprétique, notamment lors des atteintes médullaires basses ou de la queue de cheval (4). Dans les lésions médullaires incomplètes, la systématisation de l’atteinte donne parfois un respect de la sensibilité périnéale (tel un syndrome central de la moelle). Dans les lésions siégeant au niveau du cône terminal, il existe souvent une dissociation entre 112 I E ( S ) les symptômes sensorimoteurs et les troubles neurologiques viscéraux autonomes. Les signes cliniques peuvent être à la fois de type périphérique et central (5). EXPRESSIONS CLINIQUES Les troubles du transit sont fréquents chez les malades souffrant d’une maladie neurologique. Les symptômes sont non spécifiques et se traduisent par une diminution de la fréquence hebdomadaire des selles, un ballonnement (sclérose en plaques, Parkinson), des douleurs abdominales à type de coliques (sclérose en plaques, Parkinson), des manifestations dysautonomiques et une hyperspasticité réactionnelle périphérique (blessés médullaires), une subocclusion ou un syndrome de pseudo-obstruction chronique idiopathique (maladie de Parkinson). Les troubles de l’évacuation se traduisent par des efforts de poussée inefficaces (Parkinson, sclérose en plaques, lésion du cône terminal), la nécessité de recourir à des manœuvres endo-anales pour extraire des matières (sclérose en plaques, Parkinson) ou pour obtenir une relaxation anale réflexe (blessés médullaires). Une constipation de novo est rapportée principalement après un traumatisme médullaire haut alors que le transit est peu modifié chez les malades paraplégiques. En revanche, les troubles de l’évacuation sont fréquents, sinon constants, et imposent des procédures longues (30 à 90 minutes) et assistées (intubation, suppositoires, petits lavements) dans plus de la moitié des cas (6). Lorsqu’il existe une hypotonie importante de repos du canal anal et/ou une contraction volontaire anale non élective, les symptômes peuvent être ceux d’une incontinence par impériosité diurne, exceptionnellement nocturne (sclérose en plaques, lésion du cône terminal). À l’inverse, les troubles de la sensibilité rectale, un obstacle anal à l’évacuation et/ou une mobilité réduite peuvent induire des troubles de la continence par regorgement sur fécalome. L’incontinence est alors permanente, diurne et nocturne (Parkinson, blessés médullaires). L’appréciation des troubles de la statique pelvienne est insuffisamment évaluée dans la pratique clinique de tous les jours et dans l’analyse de la littérature. Les mécanismes supposés responsables sont, d’une part, le processus d’involution neurogène des structures musculo-aponévrotiques et, d’autre part, les efforts de poussée rendus parfois nécessaires par les manifestations dysuriques et dyschésiques. EXPLORATIONS FONCTIONNELLES En pratique courante, les explorations fonctionnelles anorectales ont un intérêt insuffisamment évalué dans la prise en charge diagnostique et thérapeutique des troubles fonctionnels pelviens chez les malades neurologiques, parce qu’elles révèlent le plus souvent des anomalies non spécifiques (dyssynergie, troubles de la sensibilité rectale lors de la distension isovolumique, allongement du temps de transit colique) et que les informations recueillies ne sont pas très reproductibles (sensibilité rectale, temps de transit colique). Pour autant, ces éléments peuvent constituer indiviLa lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 2 - vol. IX - mars-avril 2006 P R O C T O L O G duellement une aide à la compréhension des symptômes décrits et apporter un bénéfice thérapeutique lorsque les propositions de traitement sont basées également sur les constatations fonctionnelles (laxatifs locaux et troubles de la sensibilité rectale, laxatifs osmotiques et temps de transit colique allongé). En revanche, les explorations neurophysiologiques pelvipérinéales et le bilan urodynamique apportent des arguments particulièrement utiles au diagnostic positif de l’atteinte neurologique : tracé électromyographique de repos et lors de la contraction volontaire, études des latences périphériques, étude des potentiels évoqués, recherche d’une dyssynergie vésicosphinctérienne et d’une hyperactivité vésicale. Ils représentent, à ce titre, des explorations incontournables du diagnostic positif en complément des données de l’examen clinique. Cependant, les explorations fonctionnelles anorectales permettent parfois de préciser le mécanisme physiopathologique qui provoque les troubles de la continence et de la défécation. Elles peuvent à ce titre guider la thérapeutique, notamment dans le cas de la maladie de Parkinson. Dans la maladie de Parkinson et la sclérose en plaques, les anomalies manométriques sont fréquentes et non spécifiques. L’exacte prévalence des anomalies n’est pas connue (7). Elles peuvent se traduire par une hypotonie anale de repos, une contraction volontaire non maintenue, mais surtout une dyssynergie anorectale lors de la poussée. Cette dernière anomalie est notamment rapportée dans la maladie de Parkinson, où une exagération des réponses motrices lors de la distension rectale est observée (réflexes viscérosomatiques). La dyssynergie abdominopelvienne peut également s’accompagner d’une diminution de la transmission rectale de l’effort de poussée abdominale et d’une diminution de la contraction rectale lors d’une défécation. Il existe enfin des troubles objectifs de l’évacuation, mais peu ou pas de troubles de la sensibilité ou de la compliance rectale (8). Des troubles de la sensibilité rectale sont fréquents dans la sclérose en plaques, se traduisant par une élévation des seuils de perception (2). Par analogie avec les troubles fonctionnels vésicosphinctériens, il peut exister également une dyssynergie abdominopelvienne comparable aux anomalies décrites dans la maladie de Parkinson. PRINCIPES THÉRAPEUTIQUES La prise en charge thérapeutique impose fréquemment une approche multidisciplinaire parce que les symptômes sont souvent intriqués et les mécanismes pathogéniques en cause nécessitent d’être contrôlés. Une prise en compte systématique des étapes de régulation du transit et de la défécation est proposée dans le tableau II. On ne dispose actuellement pas d’essais évaluant l’efficacité des traitements médicamenteux dans la prise en charge de la constipation et de l’incontinence chez les malades souffrant d’une sclérose en plaques. Les approches rééducatives sont inefficaces dans cette indication (9). Chez les sujets constipés atteints de la maladie de Parkinson, l’adaptation des thérapeutiques antiparkinsoniennes permet parfois de contrôler les troubles dyschésiques. Lorsque la constipaLa lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 2 - vol. IX - mars-avril 2006 I E ( S ) Tableau II. Principes thérapeutiques de prise en charge des troubles fonctionnels anorectaux chez les malades neurologiques. ◆ Évaluation et limitation des effets secondaires des médicaments associés – Agents anticholinergiques (constipation) – Agents neuroleptiques et antidépresseurs (constipation et incontinence) – Laxatifs osmotiques et huileux (incontinence et suintement) – Fibres et mucilages (constipation et impaction fécale) – Antiparkinsoniens ◆ Prise en compte des difficultés locomotrices induites par la maladie neurologique – Avis et procédures ergothérapiques ◆ Hygiène, habitudes défécatoires et vacuité rectale – Vigilance et perception de signes indirects (dysautonomie et blessés médullaires) – Calendrier des selles – Respect de temps longs d’évacuation (blessés médullaires) – Laxatifs locaux et manœuvres endo-anales réflexes pour initier une défécation (blessés médullaires) – Lavements réguliers pour obtention d’une vacuité rectale régulière (incontinence, fécalome) ◆ Choix médicamenteux adaptés à la physiopathologie des troubles – Laxatifs osmotiques, stimulants et/ou salins (inertie colique) – Fibres et mucilages (hyperactivité motrice sigmoïdienne) – Prokinétiques (troubles moteurs coliques et maladie de Parkinson) – Prise en compte du retentissement neurologique pelvien – Spasticité (baclofène, dantrolène et benzodiazépines) tion de transit est l’élément pathogénique dominant, les mucilages peuvent être proposés (10). Finalement, le handicap occasionné par les plaintes fonctionnelles anorectales est tel qu’il faut parfois proposer une stratégie thérapeutique chirurgicale faisant appel à une colostomie de dérivation et/ou des irrigations coliques antérogrades ou rétrogrades. Ces indications doivent être très réfléchies et s’appuyer sur l’identification précise de la nature et du siège du trouble fonctionnel (troubles moteurs coliques), sur les capacités de la personne malade à assumer à la fois psychologiquement et physiquement (manipulation des poches et de la technique d’irrigation) la démarche proposée ainsi que sur une concertation pluridisciplinaire. CONCLUSION Le retentissement fonctionnel anorectal des maladies neurologiques induit un handicap et, dans certains cas, un retentissement sur la qualité de vie considérable (troubles de la continence chez les personnes paraplégiques) (6). Il n’y a pas un mécanisme mais une mosaïque de supports pathogéniques dans la survenue des troubles de la continence et de la défécation. Le praticien confronté à une prise en charge de cette nature peut se sentir démuni face aux fragiles documentations disponibles dans les champs du diagnostic et de la thérapeutique. En dépit d’affections neurologiques jugées fréquentes, la prévalence des plaintes et leur retentisse113 P R O C T O L O G ment restent sous-évalués et insuffisamment étudiés. On ne dispose à ce titre d’aucune recommandation scientifiquement validée pour guider la prise en charge thérapeutique de ces malades. Pour autant, les innovations thérapeutiques dans le domaine des troubles de la continence (neuromodulation des racines sacrées, biosilicones, radiofréquence) devraient être en mesure d’apporter des réponses plus efficace et plus rationnelle que les protections ou le recours à un tampon obturateur anal, dont la tolérance est habituellement mauvaise. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Le Fort M, Labat JJ. Incapacités périnéo-sphinctériennes au cours des accidents vasculaires cérébraux. In: Blanc B, Siproudhis L (eds). Pelvi-périnéologie. Paris: Springer, 2005;517-25. 2. Fowler CJ. The cause and management of bladder, sexual and bowel symptoms in multiple sclerosis. Baillieres Clin Neurol 1997;6:447-66. I E ( S ) 3. Singaram C, Ashraf W, Gaumnitz EA et al. Dopaminergic defect of enteric nervous system in Parkinson’s disease patients with chronic constipation. Lancet 1995;346:861-4. 4. Glickman S, Kamm MA. Bowel dysfunction in spinal-cord-injury patients. 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Sont routés avec ce numéro : ✦ un Infos Forum “Actualités MICI” (16 p.) ✦ un encart INCA (12 p.) EDIMARK S.A.S. © février 1998 Imprimé en France - EDIPS 21800 Quetigny - Dépôt légal : à parution. Les articles publiés dans La Lettre de l’hépato-gastroentérologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. 114 La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 2 - vol. IX - mars-avril 2006