Télecharger le livret / booklet
Transcription
Télecharger le livret / booklet
Anthologie de musique citadine algérienne Anthology of Algerian urban music Cheikh Raymond El Bâghî “La Désirée” Volume IV Musique citadine du Maghreb Malouf constantinois Cheikh Raymond Leyris La réédition de l’œuvre de mon grand-père, Raymond Leyris permet d’orienter sa musique vers l’avenir. Elle n’était pas destinée à rester figée dans le temps parce que, à l’époque, elle s’appuyait à la fois sur des éléments traditionnels (connaissance des textes et des structures musicales de la musique arabo-andalouse) et modernes (introduction de nouveaux instruments comme la guitare espagnole ou le piano, diffusion phonographique des œuvres). Par ailleurs des musiciens comme mon grand-père paternel Sylvain Ghrenassia, et dans un autre registre mon père, Enrico Macias, ont su la perpétuer en France. Son œuvre apparaît enfin comme l’un des éléments les plus importants de notre héritage culturel, pour nous les enfants de la première génération, née en France. Musicien orienté vers le jazz, à la confluence des cultures occidentales et judéoarabes, l’écoute de l’œuvre de Raymond m’a amené à découvrir ce que je ressentais et ne connaissais qu’intuitivement : l’approche quasi hypnotique du rythme (éléments que l’on retrouve dans le jazz) la fluidité de la voix sur des métriques complexes, et, surtout, l’humilité du propos artistique. En effet, les autres musiciens ne sont pas de simples accompagnateurs, ils participent non seulement à l’élaboration contrapuntique de l’œuvre, mais ont aussi leur place comme solistes. L’univers musical de Raymond n’est donc pas si éloigné du mien mais c’est surtout pour moi, mes cousins et cousines, ses petits enfants, une chance de connaître des éléments de la personnalité de notre grand-père, parce que l’homme est indissociable de sa musique. Jean-Claude Ghrenassia Urban music of the Maghreb Malouf of Constantine sheikh Raymond Leyris By republishing my grandfather’s, Raymond Leyris, work, his music is oriented towards the future. His music was not made to stay back in time. From the beginning he married traditional elements (his knowledge of the texts and musical structure of arab-andalusian music) with modern ones (introduction of new instruments such as the Spanish guitar and piano, recording of pieces). In addition, musicians such as my paternal grandfather, Sylvain Ghrenassia, and to a different degree my father Enrico Macia, managed to perpetuate this music in France. Finally, his work now appears as one of the most important elements in our cultural heritage, for us, the first generation of Algerians born in France. As a jazz musician at the meeting point between western and judeo-arab cultures, listening to Raymond’s work has made me discover what I only felt intuitively: a quasi hypnotic approach to rhythm (which can be found in jazz), a fluid voice on complex rhythms and especially his humility as a musician. The other musicians are not mere accompanists. They take part in the elaboration of the music and also have their place as soloists. Jean Clause Ghrenassia CHEIKH RAYMOND LEYRIS MUSIQUE D’EDEN Raymond Leyris est né le 27 juillet 1912. Il est mort, assassiné à Constantine, le 22 juin 1961. Dans le presque demi-siècle de cette existence, s’inscrit une œuvre que le temps révèle comme l’un des sommets de la musique orientale, tel un monument de la musique universelle. Qu’en dire à titre d’ouverture ? La vie et l’œuvre de Raymond Leyris sont traversées par deux trajectoires de force égale mais de sens contraire. La première, toute d’unité et de synthèse, fit de lui Cheikh Raymond. Les musiciens de sa génération le reçurent parmi eux comme l’un des plus grands, sinon le plus grand. L’autre, toute de violence et de dislocation, marque le déroulement sanglant de la guerre d’Algérie. L’intersection de ces deux trajectoires eut lieu ce jour insensé, lorsqu’un coup de feu abattit Raymond Leyris, sans doute parce qu’il était devenu symbole vivant d’une conciliation humaine et culturelle dont une Histoire démente ne voulait plus. Il faut revenir sur ces deux trajectoires. Comment devient-on Cheikh Raymond ? Le créateur de chefs d’œuvre est souvent lui même un chef d’œuvre de la vie lorsqu’elle se met à créer des existences improbables. Enfant, Raymond fut adopté par une des familles juives les plus pauvres du prolétariat de Constantine. Une femme venue de France l’avait conçu, ayant rencontré un jeune juif de la bourgeoisie de Batna lequel fut mobilisé dans les troupes coloniales qui donnèrent leur vie sur le Front de la Somme pour la victoire de la France. En ce temps là, christianisme, judaïsme et islam, se côtoyaient en Algérie sans se lier, malgré leurs communes références abrahamiques. C’est pourquoi il parut impossible que la femme du soldat mort pour la France assumât l’enfant de ce que d’aucuns considéraient comme une transgression majeure, l’atteinte aux multiséculaires fidélités d’une communauté engagée par son devoir de survie à se préserver, mais que d’autres pouvaient considérer comme le franchissement du fossé séparant injustement des êtres que l’existence avait fait s’enlacer. La topographie de Constantine était l’image gigantesque de ces dilemmes déchirants. Constantine, l’antique Cirta des Numides, est bâtie sur un vertigineux piton rocheux, clivé par les eaux rongeuses du Rummel, en deux parties séparées par un abîme. La ville n’est devenue vivable que grâce aux ponts qui relient entre elles ces deux parties de la fracture géologique, laquelle devait dicter sa configuration démographique, elle aussi faite de retranchements, à cette cité dont la mémoire est l’une des plus anciennes du monde. Dans Constantine la ville abyssale, réunie par ses ponts et passerelles, dans Constantine la ville coloniale où chaque communauté était pour ainsi dire assignée à résidence depuis un arrêté militaire du Général Mercier, la vie se déroulait sur deux plans contradictoires. En surface, l’Algérie française imposait sa langue , sa culture, son droit, son identité hégémoniques. Bugeaud faisait oublier Jugurtha, Diderot, Ibn Khaldoun, Vincent d’Indy, le mallouf. Le désir de promotion sociale reléguait dans les interstices des vacances scolaires l’enseignement de l’hébreu et de l’arabe que les jeunes générations ne comprenaient plus, ou mal. Ces cultures et ces langues résiduelles devenaient souvent des stigmates, les surgeons inavouables d’un temps qu’on voulait révolu. C’est pourquoi un touriste venu de Métropole, visitant Constantine dans les années 1910, pouvait écrire au dos d’une carte postale, à son correspondant de l’Ariège : “A Constantine, il n’y a même pas de musique.” Ce touriste sourd n’avait pas complètement tort. Il était difficile de monter à Constantine le Ring de Wagner. Mais pour les connaisseurs intimes de la ville immémoriale, il était possible d’entendre sa musique elle aussi immémoriale, née en Orient, l’Orient de la Judée et de l’Arabie, ayant transité par l’Andalousie, celle qui se distillait, comme une essence rare dans les Fondouks. Et il était alors possible d’assister en ces véritables académies à des transmutations comparables à celle de la fleur de l’oranger en zhar, cette liqueur dont la senteur exhale la douceur du printemps et le mystère de l’esprit humain lorsqu’il transmue ce qui se touche et se mesure en ce qui est impalpable et ne peut que se respirer. Car dans ces lieux retirés, dans ces sites d’identité préservée, Constantine s’adonnait au culte de sa musique propre, musique savante, aux confins de la mystique et de la prière, de la prophétie et de la poésie. Comment l’enfant Raymond, de mère européenne et de père juif, devenu enfant adoptif, c’est à dire enfant tout court d’une famille juive dont il fit sienne la religion, et donc doit être considéré comme s’il avait été présent au Mont Sinaï lors du don de la Thora, comment cet enfant fut-il saisi par cette musique des frondaisons édéniques...? Comment ses pas le dirigèrent-ils vers les “maisons” des harmonies secrètes qui figuraient, sur l’espace terrestre et dans l’intériorité de l’esprit, ces autres “Maisons”, celles du ciel (Sma), qu’habitent les Anges disant la louange du Très-Haut...? Le souvenir historique se distingue mal de la légende qui en pallie les insuffisances. On dit que le jeune Raymond, mis en apprentissage chez un peintre en bâtiment, était surtout attentif aux couleurs des saisons et des jours, aux variations des couleurs de l’âme selon que la joie l’illumine ou que l’anxiété l’assombrit. Lui vinrent alors aux lèvres des airs et des bribes de ces chants que les fondouks laissaient s’envoler dans les rues tels des pigeons-voyageurs. Cependant, en les chantant à son tour, sa propre voix les révéla telles qu’on ne les avaient probablement jamais entendus ainsi , antiques et nés du matin. La voix de Raymond, il suffit de l’entendre quelques minutes pour comprendre qu’elle fait partie du petit nombre dites “du ciel”. D’habitude la voix est dominatrice ou serve, portefaix des mots, bête de somme ou maîtresse des phrases qui s’enchaînent les unes les autres pour former le discours des humains. C’est pourquoi parler fatigue ; et c’est pourquoi l’on ne peut chanter très longtemps. La voix de Raymond ne porte pas le langage, elle est, elle-même langage. A ce titre infatigable. En elle réside plus qu’un mystère phonique : une énigme spirituelle. Un puits d’eaux “vivantes”, comme dit le Talmud, ne donne pas son eau à heures fixes. Son jaillissement est incessant. Telle était - est - la voix de Raymond, eau inépuisable dans laquelle l’on pouvait boire - le verbe n’a rien de métaphorique, avec les plus splendides chansons du mallouf, ce que ces chansons disaient : d’abord et avant tout les joies et les peines de chaque jour. Car la vie n’est pas une suite de saltis d’un événement exceptionnel à un autre, mais bien cette succession, parfois rétroversives, d’allégresses et de déplorations qui impriment autant leurs couleurs aux heures du jour et de la nuit qu’elles les reçoivent de l’une et de l’autre. C’est cela qui dicte, pour ainsi dire, la structure des concerts donnés par Raymond Leyris (1), sitôt qu’il eut l’approbation de ses collègues et de ses propres Chiakhs. Concerts qu’il faut appeler de leur nom original, kaâdot, véritables assises de la musique, où l’auditeur, du soir tombant jusqu’au matin levé, était assuré de parcourir l’équivalent des sept cieux, où sa vie, souvent condamnée au mutisme et à l’incompréhension qu’imposent l’oppression, l’exil et la pauvreté, lui était donnée à réentendre mais désormais comprise comme l’on peut être compris des sœurs et des mères. Cette voix justifiait pleinement sa nature de voix humaine en ce qu’elle n’opérait jamais seule. Cheikh Raymond fut aussi un maître du luth oriental, du oûd. Pareille double maîtrise doit être soulignée. D’ordinaire, si ce mot peut avoir un sens à propos de cet homme, l’on excelle ou dans le chant ou dans la virtuosité instrumentale. Raymond excellait uniment dans l’un et l’autre. Justement parce que le oûd n’était pas pour lui un “instrument”, au sens là encore instrumental et servile du mot. Le ôud accompagnait le chant, cheminant avec lui dans l’univers des harmonies inouïes et des accords sourciers. Si l’on comparait l’œuvre musicale de Raymond à un cœur, cet organe dont les mouvements sont perceptibles et tangibles, qui sont sans doute à l’origine de toute rythmique, l’on pourrait dire que le chant et le oûd en étaient les deux ventricules, insécables. Chez Raymond, chant et oûd se confèrent mutuellement une profondeur que séparément ils n’eussent pas atteint. Parce que la musique est essentiellement dialogue. Yehouda Halevi, l’un des plus grand théologiens de l’âge d’or judéo-espagnol du XIIème siècle, affirme dans le Kouzari, que muziqua ou mouzigua, vient de la racine, zoug, qui en hébreu signifie couple, ce que l’on retrouve dans le zoudj’ de la langue arabe, et, en cette même langue, dans le zwadj’, le mariage. Cette dimension nuptiale, frappe constamment dans l’œuvre de Raymond. Elle en appelle à la nuptialité de la mémoire. Après plus de trente années de silence, la voici de nouveau audible, réparatrice. Car il faut à présent évoquer l’autre trajectoire, inverse de la précédente. Celle des ruptures et des divorces, des guerres et des séparations. En 1930 fut célébré le centenaire de la conquête de l’Algérie par la France. A cette occasion, le pouvoir politique et militaire de la Métropole fut affirmé avec éclat, sans lésiner sur la couleur locale. Mais ce pouvoir ostentatoire révélait avec ses pompes son impuissance puisque l’immense majorité de la population algérienne, toujours qualifiée d’arabe - effet involontairement conservatoire du mépris - n’avait pas accédé à la citoyenneté française. Il en résultait une accumulation volcanique de ressentiment et d’énergie propice à la révolte, celle des dignités méconnues, fondées sur rien moins que la Parole de Dieu. Les sourates du Coran soulignaient en l’occurrence les carences de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, décidément difficilement exportable. La déchirure entre les communautés s’élargit encore plus gravement après le pogrom de Constantine du 5 Août 1934 qui installa dans la population juive de la ville une latente peur panique vis à vis de la population musulmane. Puis se produisit en 1945 la répression de ce qu’il est convenu d’appeler les “émeutes de Sétif”... Cette répression sauvage enclencha le processus qui devait conduire fatalement en 1954 aux “Evénements” de la Toussaint sanglante, début des sept ans de la guerre d’Algérie laquelle s’acheva, comme l’on sait, par une stratégie de terres et de cervelles brûlées. Lorsque le 22 juin I961, Raymond Leyris se dirigea en compagnie de l’une de ses filles vers le marché dit du Palais de Justice, il incarnait la première de ces deux trajectoires. Grâce à lui, la musique savante des fondouks était pleinement révélée à la ville qui lui avait servi d’écrin. Qui le connaissait, reconnaissait en lui la synthèse vivante de l’Occident dont il exigeait que la culture fût connue et bien comprise, et de l’Orient sous ses visages réunis, juifs et arabo-musulmans. Lorsqu’il chantait à la radio ou à la télévision, les rues de la ville juive et arabe se vidaient. Tout autre que lui, eût disposé des éléments d’un culte personnel. Nul mieux que lui ne savait aussi que la musique dirige l’âme vers le ciel mais qu’elle n’est pas le ciel, que la voix de l’homme peut et parfois doit donner l’idée du divin, sans être elle même divinisée. Lorsqu’il chantait pour la télévision, il le faisait sur fond de cette image symbolique non seulement de Constantine mais de la condition humaine : le Pont suspendu jeté entre les deux parties fracturées de la cité, si haute que même les oiseaux en éprouvaient le vertige. Haine, aveuglement, politique du pire, bêtise au front plus lourd que celui du taureau, conduisirent les pas du tueur qui l’assassina, personnellement et symboliquement. La trajectoire de la destruction dicta son mouvement à celle de la synthèse et de la nuptialité. Et cette fois, l’abîme ne se creusa non plus dans l’espace mais aussi dans le temps. Plus de trente années se sont écoulées durant lesquelles l’on se demandait si Raymond était disparu, sans qu’il n’en demeure nulle trace. L’on savait pourtant que sa voix avait survécu, préservée dans des 78 tours aujourd’hui introuvables, dans ces autres disques fabriqués de façon artisanale à l’enseigne du Hous el mouknine, La Voix du rossignol. Il se disait également qu’avaient subsisté d’autres archives, plus amples, notamment les enregistrements des kaâdot. Quand seraient-elles ressuscitées ? Plus de trente années furent nécessaires à cette fin, consacrées à la consolation et à la persuasion, pour que Raymond ne fût pas mis à mort une seconde fois par l’enfouissement de ce thésaurus, miraculeusement préservé, dans un silence sans rémission. Maintenant ces deux trajectoires sont de nouveau en tension réciproque. L’Algérie des années 90 se rend compte que la sélectivité culturelle, fondée sur l’exaltation du seul Islam aboutit à l’islamisme qui la lobotomise. Le propre de la mémoire est d’être indivisible et par cela conjonctive. Durant ces trente années, de part et d’autre de l’exil méditerranéen, plus de clarté s’est faite dans les esprits qu’oblitéraient les peurs mutuelles, nées de l’ignorance et de l’incompréhension collectives. Par un bienheureux concours de circonstances, le chant d’Eden est rendue à Cheikh Raymond, comme l’on rend justice à qui fut innocent de tout, à charge pour nous de la transporter aussi loin qu’il se peut, aussi haut qu’il se doit . Raphaêl Draï ( I) Cf l’analyse musicologique de Taoufik Bestandji. Cheik Raymond Leyris Music from Eden Raymond Leyris was born on 27 July 1912. He was assasinated in Constantine on 22 June 1961. During his existance of almost a half a century, he built a musical work which has been revealed as a summit in oriental music, a monument of universal music. How to make an introduction? The life and work of Raymond Leyris are made up of two equally strong trajectories but heading in opposite directions. The first, was one of unity and synthesis, made him Cheikh Raymond. The musicians of his generation accepted him as one of the greats, if not the greatest. The other trajectory is one of violence and dislocation as drawn by the bloody Algerian war. These two trajectories intersected on that day of madness when Raymond Leyris was killed by a gunshot, probably because he had become the living symbol of a human and cultural conciliation which history did not want. We must go back on these two trajectories. How does one become Cheik Raymond? Creators of major works are often themselves a major work of life as when life takes to creating unlikely existences. Raymond was adopted as a child by a poor Jewish family of Constantine. His biological mother was from France, and his father was a young jew from the bourgeoisie of Batna who was drafted by the colonial troops and fought on the front of the battle of the Somme for France’s victory. At the time, Christianism, Judaism and Islam lived side by side in Algeria, without interacting in spite of their common Abrahamic references. It thus seemed impossible that the wife of the soldier who died for France could raise the child who was the fruit of what was considered a major transgression against the age-old faith to a community whose duty to survival depended on self- preservation, but which could be considered by others as bridging a gap which unjustly separated two beings whose existences had been brought together in an embrace. The topography of Constantine mirrors this human dilemma. Constantine, the antique Cirta of Numidia, is built on a towering rocky peak, slashed in two by the eroding waters of the Rummel. The city became livable only with the building of bridges between the two sides of this geological fracture which dictated the demographical distribution, also made of entrenchements, a city whose memory is one of the oldest in the world. In Constantine, the abyssal city, reunited by bridges large and small, the colonial city where each community had been virtually assigned to residence by a military command of the French General Mercier, life was on two contradictory planes. On the surface, French Algeria imposed its language, culture, law, its hegemonious identity. Bugeaud took the place of Jugurtha, Diderot of Ibn Khaldoun, Vincent D’indy that of Mallouf. The ambition of rising on the social ladder reduced the learning of Hebrew and Arabic to fleeting moments during school vacations and, as a result the younger generations no longer understood these languages. These residual cultures and languages often became stigmas, unwanted off shoots and reminders of the past. A tourist from France visiting Constantine in 1910 wrote on a post card to a friend in Ariege: “There isn’t even any music in Constantine”. This deaf tourist was not completely wrong. It was hard to organise Wagner’s Ring in Constantine. But for those who knew the city’s true soul, it was possible to hear the immemorial music, born in the Orient, that of Judea and Arabia, and went through Andalusia, and was distilled like a rare essence in the Funduks. It was then possible to see a veritable transformation comparable to that of the orange flower into zhar, that liqueur that exales the sweet perfume of springtime. Because Constantine gives itself up to the cultivation of its own music in these places which are confines of what is mystical and prayer, prophesy and poetry. How is it that Raymond, the adopted child, whose mother was European and father was Jewish, became the child of a Jewish family and adopted that religion and, as such must be considered as if he had been present on Mount Sinaï when the Thora was given, how is it that this child was taken up by this music that is a foliation of paradise? How was he led to these houses of secret harmonies, from earthly to the inner spirit, these other “houses”, those of the heavens (Sma) where Angels live and sing glory to the Great on High? The historical memory often has difficulty in distinguishing from the legend which makes up for insufficiencies. It is said that as a young man Raymond was a housepainter’s apprentice, and paid attention especially to the colors of the seasons and the days that passed, to the changes in mood that illuminate the spirit with joy or darken it with worry. This is where he heard the musical airs that would escape from the funduks and travel through the streets like voyager pigeons. However, when he sung them himself, his voice revealed them probably as never before, antique and born with dawn. After hearing Raymond’s voice only a few minutes you understand that it is one of those few that have descended from heaven. Usually the voice is either dominating or servile, an overhang to words, a draught animal or master of phrases that are linked together to form the words of men. This is why talking is tiring, and is why we can not sing for long at a time. Raymond’s voice does not carry language, it is language itself. As such it is untiring. There lies in his voice more than a phonic mystery: a spiritual enigma. A well of “living” waters, as in the talmud, does not provide its water at given hours. It is an unending flow. Such was, is, Raymond’s voice, an untiring flow from which we can drink - the lyrics have nothing metaphorical about them, with the most beautiful songs of the malouf, speak above all of the joys and trials of each day. Because life is not a series of jumps from one exceptional event to another, but rather a succession, sometimes retroverted, of joy and lamentations that paint the colors of day and night, in that they are fed by both. This is what dictates the structure of Raymond Leyris’s concerts(1) as soon as he was approved by his colleagues and cheikhs. These concerts must be called by their original name, kaâdot, veritable foundations of music, in which the audience, from dusk until daylight, was sure to cover the seven skies, in which their life, often condemned to silence and incomprehension as dictated by oppression, exile and poverty, was offered to them under a different light giving them the understanding of sisters or mothers. This voice was used to its full potential by always being accompanied. Cheikh Raymond was also a master of the oûd, the oriental lute. Such a dual mastery must be underlined. Usually, if we can use this word for such a man, a musician is either a master singer or an instrumental virtuoso. Raymond was equally proficient in both. This is because, for him, the oûd was not “instrument, in the sense of servile. The oûd accompanied his singing, flowing alongside in the universe of incredible harmony and chords. If we compared Raymond’s musical works to a heart, that organ which moves perceptibly and tangibly, and is undoubtedly at the origin or rhythm, we could say that the song and the oûd are two inseparable ventricles. With Raymond, the singing and oûd profer mutual depth which would not be reached individually. Because music is mainly dialogue. Rehouda Halevi, one of the greatest theologians of the golden Judeo-Spanish age of the XIIth century, says that the Kouzari, that muziqua or mouzigua all stem from the root zoug, which in Hebrew means couple, and is found as zoudj’ in Arabic and in the same language, the word zwadj’, means marriage. This idea of marriage is recurrent in Raymond’s works. It beckons to reunite memory. After more than thirty years of silence, the soothing voice is now audible. We must now speak of the other trajectory, the opposite. That of break-offs, divorce, of wars and separations. In 1930, he hundredth anniversary of the French conquest of Algeria was celebrated. Upon this occasion the political and military power of France was reaffirmed, without much consideration for the local population. But this show of power revealed its weakness since most of the Algerian population - still qualified as Arab, an involuntary conservatism stemming from disdain - had not yet acquired French citizenship. This resulted in an explosive situation with negative feelings and energy favorable to a revolt, that of unkown dignities, founded on nothing less than the word of God. The suras of the Koran underlined the gaps in the Declaration of Human Rights and of the Citizen in this regard, decidedly difficult to export. The divide between the communities became even greater following the pogrom of Constantine on 5 April 1934 when the jewish population of the city became inhabited by an immense fear of the muslim populations. Then in1945 came the repression of what is called the Sétif riots. This savage repression triggered the events which led to the bloody All Saints Day and the beginning of the seven year Algerian war which ended as we all know in a strategy of burnt land and brains. On 22 June 1961, when Raymond Leyris was heading towards the Palais de Justice market with one of his daughters, he incarnated the first trajectory. Thanks to him the music of the funduks was fully revealed to the city that had served as its casing. Those who knew him saw in him the living synthesis of the western world, the culture of which he wanted to be well known and understood, and the orient, made up of its different facets, jewish and arab-muslim. When he sang on the radio or the television the streets of the jewish and arab city were empty. Anyone else would have had the elements to raising a cult of the persona. None better than he knew that music raises the soul towards the heavens, but that it is not the heavens, but that the human voice can, and sometimes must, lead to the divine, without being a divinity itself. When he sang for television programmes, the background was the symbolic image not only of Constantine but also of the human condition: the suspended bridge hanging between the two sides of the city, so high that even the birds find their heads spinning. Political hate and blindness, the worst kind, stupidity heavier than the head of a bull, leading the steps of the killer who assassinated him personally and symbolically.The trajectory of destruction dictated his motion. And this time the fissure was not only in space but also in time. Thirty years have passed during which we wondered whether Raymond had disappeared, without a trace. We knew that his voice had been preserved in scratched 78’s, in records produced by the the small local Hous el mouknine label, the Voice of the Nightingale. There were rumors that other more extensive archives had been kept, in particular recordings of the kaâdot. When would they be revived? More than thirty years were necessary for this to take place, thirty years devoted to the consolation and persuasion so that Raymond would not be killed a second time by burying this miraculously preserved thesaurus, into a neverending silence. Now these two trajectories are in reciprocal directions. The Algeria of 1994 is aware that cultural selectivity based on the exaltation of Islam alone leads to an islamism that lobotimises. During these past thirty years, the exile from one side of the mediterranean to the other, minds have become clearer after the mutual fears that had dominated, borne from ignorance and incomprehension of the masses. By some lucky circumstances, the song of Eden is returned to Cheikh Raymond, as justice is rendered to the innocent, up to us to carry it as far as possible, as high as necessary Raphaêl Draï ( I) Cf l’analyse musicologique de Taoufik Bestandji . Les quatre chants qui composent ce disque sont à la fois très distincts et très proches. Les formes canoniques des Malouf, Haouzi, Zadjel, qui déterminent leur nature, sont d’emblée très différentes mais de grandes similitudes apparaissent dans les thèmes et la nature des textes poétiques utilisés. Des formes musicales différentes sont donc rassemblés ici autour de thèmes poétiques semblables. Le choix des œuvres tient en partie à cette communion des thèmes et, également à des aspects techniques et historiques. Ces enregistrements de Cheikh Raymond sont, en effet, pour la plupart, des émissions radiophoniques diffusées en direct par la station de Constantine dans les années cinquante et représentaient à l’époque l‘évènement musical de la semaine. La représentation poétique de l’amour courtois Le lyrisme oriental s’exprime en trois registres principaux : l’amour, la nature et les vertus humaines. L’amour est le thème dominant de trois des quatre œuvres de ce disque, il s’agit bien sûr de l’amour courtois, passionné, mythique. Djaballah, auteur d’El Bâghî «La Désirée», raconte son histoire d’amour pour Nedjma dans le style le plus pur de «la fine amor». Les interdits sociaux qui pèsent sur leur relation reflètent bien les coutumes locales. Le texte n’est pas un simple énoncé sur l’amour, tabou dans le langage direct entre hommes et d’hommes à femmes. La fonction première de la poésie est, ici, justement, de véhiculer l’expression amoureuse interdite. L’histoire d’amour de Nedjma et de Djaballah , s’inscrit dans le fond et dans la forme dans le registre des histoires d’amour universelles… Celles de Roméo et Juliette, de Qays et Layla, de «L’art d’aimer d’Ovide»… Dans cette histoire, deux êtres se rejoignent et se perdent, se cherchent et se retrouvent. La ressemblance avec les acteurs d’un des plus beaux chants d’amour de la littérature universelle : le cantique des cantiques est frappante. Le Megîlloth, chant utilisé pendant les grandes fêtes juives, suscite, sous une autre forme, la même passion déïcisée, chez les hymnodes musulmans. Plus qu’un hymne à l’amour, Djaballah défit toute la société constantinoise en déclarant simplement son amour pour une femme promise à un autre. Le thème dominant reste, comme le veut cette tradition poétique, l’impossibilité de l’union. Les lieux et mœurs montrent que la bien-aimée est constantinoise et l’histoire semble marquer profondément la conscience des Constantinois. Cheikh Raymond a bien saisi le caractère dramatique de cette œuvre. La réorganisation des modes ainsi que la répartition des soli instrumentaux montrent combien il a parfaitement intériorisé le texte. Le désir de se libérer et de penser autrement le néo-aristotélisme, sujet très prisé dans la culture judéo-arabe, se retrouvent dans la technique du leitmotiv de Wagner. Dans sa tétralogie, Wagner révèle ainsi l’étendue du drame en insistant sur une densité musicale pleine d’allusions. Le texte de Djaballah n’est en réalité qu’une somme d’allusions à décrypter. Le dicton et l’allusion sont, tant dans les milieux populaires que chez les intellectuels orientaux, une forme suprême de la poésie et de la sagesse. Dans le Haouzi Tâl ‘Adâb Bia («Ma souffrance a trop duré»), Benmesaieb apparaît comme un homme malade, vieilli et fatigué. La souffrance d’un amour idéalisé et impossible est de même nature que chez le Djaballah.. Comme Djaballah, il demande la clémence et le pardon de Dieu et exprime son humilité face à l’épreuve d’amour. Benmessaieb dit textuellement : «L’amour,ô mes amis, vieillit celui qui est encore jeune, Celui qui n’a pas connu le véritable amour, ne peut dire à ce propos que des mensonges. Dieu a donné aux uns tout ce qu’ils ont désiré, Aux autres, il n’a infligé que fatigue et malheurs. Moi, Benmessaieb, J’aime les femmes, Que Dieu nous pardonne nos fautes, notre faiblesse et nos péchés.» Ibn Taoutî, auteur de Yâ ‘Achiqîne Nâr El Mahaba ( «O amoureux, l’amour est un feu brûlant») expose la thèse amoureuse avec la même fougue et la même intensité que ses prédécesseurs et y ajoute un art du détail (des charmes de la bien-aimée) et un génie musical qui accentuent le jeu de «l’amour et de l’exploit» (pour reprendre les termes de Jean Markale) .Sa passion pour les jardins, les fleurs et le vin est identique à la passion pour la femme constantinoise qu’il a aimée. La description des différentes parties du corps est comparée à la magnificence de la création du monde et de la nature par Dieu. Cette acceptation, éminemment andalouse, de la poésie amoureuse, florale et bacchique semble bien inspirer le poète Ibn Taoutî. La rougeur des œillets et le pourpre des joues de la dulcinée sont en parfaite harmonis. Ses cheveux noirs - on dirait l’anthracite des corbeaux - contrastent parfaitemnt avec la limpidité de son cou. Ses jambes, de l’ivoire soigneusement taillé, sont ornementées de henné. C’est une œuvre extraordinaire. Je peux jurer au nom de Dieu, qu’elle est sortie de la maison de l’éternité, de l’Eden. Cet absolu amoureux est souvent marqué chez Ibn Taoutî par une minutieuse analyse des modes musicaux. L’Ahçine, le Gharib, le Zidane, le Cika sont ordonnés dans un cycle en parfaite harmonie avec les beautés charnelles de la bien-aimée. Celui qui ne peut accéder aux plaisirs de l’Amour ne peut en aucun cas accéder aux plaisirs de la musique. Les jaloux que Djaballah, Benmessaieb et Ibn Taoutî craignent plus que Satan sont, selon eux, des êtres dont l’âme est pervertie par la morale. Pour aimer Dieu, il faut aimer les beautés qu’il a créées en ce monde. Ce sentiment puissant de la beauté du monde et de la nature se manifeste dans Zadjal El Ward («Les Roses»…). La contemplation des fleurs devient une forme de prière à Dieu qui a créé ces formes et ces couleurs infiniment belles et harmonieuses. La rose, le jasmin, la jonquille, les narcisses sont décrits avec beaucoup de lyrisme. Leur répartition dans les jardins est comparée aux proportions agréables d’une belle femme. Tous les soins leur sont apportés, autant qu’à la femme aimée. Bienheureux celui qui passe son temps à admirer ces beautés (les fleurs). Ces odeurs et ces images sont le parfum et les images de l’Eden disait l’auteur de ce Zadjal. Les incertitudes de la mélodie Dans ce complexe poétique, la musique opère différemment selon qu’il s’agit d’un Haouzi, d’un ‘Aroubi ou d’un Zadjal. Les rythmes M’shaghal de Yâ ‘Achikine sont allègres et montrent le caractère vif et révolté d’Ibn Taoutî . Une belle introduction du mode Dhîl au piano (autre instrument occidental que Raymond Leyris a su intégrer dans cette émission tout en ménageant le conservatisme des chiakh constantinois) par Melle Attali reflète le souci constant du cheikh de créer l’évènement. Les deux modes Zidane, presque identiques, du Haouzi sont traités avec des valeurs syncopées variées afin de rompre la monotonie de la mélodie. La même technique, adaptée aux chœurs, est utilisée dans les refrains du Zadjal… Le choix de ces pièces a en somme été principalemnt motivé par leur forme poétique et par la récurrence de leurs thèmes mélodramatiques - inaccessibilité de l’amour, lamentations, pleurs et désespoir des poètes - ainsi que par la difficulté d’analyser le rapport poésie/mélodie. Mais comment justifier cette théorie ? Quelle poétique consulter ? Quelles règles suivre ? A quelle autorité se référer ? Personne n’a dicté de lois pour ce genre de composition et leur esthétique et architectonique ne sont fixées nulle part. Quelles caractéristiques doit avoir un mélodrame dans ce contexte culturel ? De quelle nature est le sublime auquel il peut atteindre ? En Occident, les poèmes épiques et les tragédies se font d’après des règles bien connues, mais les spécialistes ont reculé devant la lourde tâche d’écrire la théorie du drame musical oriental. Sans doute faut-il parfois laisser le mystère donner sens aux choses… et laisser parler les vertus humaines. Taoufik Bestandji The four titles in this CD are very distinct and yet present similarities. Their modes are different: Malouf, Haouzi, Aroubi, Zadjel but their themes and poetry are related. One of the reasons behind our choice of these songs in particular is the closeness of their themes. There are also technical and historical aspects that prompted this choice. Most of the recordings of sheikh Raymond Leyris are from live radio broadcasts made in the 1950’s. Their quality is very good and, at the time, they represented the musical event of the week. Expression of courtly love in poetry There are three main themes in Oriental lyricism: love, nature and human virtues. Love is the dominating theme in three of the four pieces here. Of course this love is passionate and mystical. Djaballah, author of El Bâghi “The Desired One” tells the story of his love for Nedjma in the purest “fine amor” style. The social code of conduct that constrains their relationship reflects local customs. The lyrics do not talk simply of love, which is taboo in direct language between men and women. The primary role of the poetry here is to act as a vehicle to the forbidden expression of love. Nedjma and Djaballah’s love story has the same meaning and structure as all universal love stories: Romeo and Juliet, Quays and Layla, Ovid’s “The Art of Love”... In this story two people are brought together then separated. They then seek each other out and are reunited. The resemblance is striking with the heroes of one of the most beautiful love songs of all times. The Megîloth, which is sung at major Jewish celebrations, spurs the same passion, in a different form, that is glorified by Muslim hymnodees. Djaballah is more than a hymn to love, Djaballah defies the entire society of Constantine by declaring outright his love for a woman who is promised to another. The theme of impossible union dominates the rest, as is the tradition in this type of poetry. The places and customs indicate that the loved one is from Constantine and history seems to deeply affect the conscience of the people of that city. Sheikh Raymond understands the dramatic nature of this piece. He fully assimilates the poetry as seen in his reorganisation of modes and when he dissects the instrumental solos. The desire to liberate himself from the neo-Aristotelian thinking that is so popular in JudeanArab culture is found in his use of Wagner’s leitmotiv technique. In his work, Wagner reveals the extent of the drama by making his music very dense and full of allusions. Djaballah’s words are actually a sum of allusions waiting to be deciphered. Popular sayings and allusions are a supreme form of poetry and wisdom in Oriental culture. In the Haourizi Tâl El ‘Adâb (My suffering has lasted too long), Benmesaieb appears as a sick, ageing, tired man. He suffers in the same way as Djaballah from an idealised and impossible love. Like Djaballah he asks for God’s mercy and forgiveness and shows himself to be humble in the face of the hardship of love. Benmessaieb says: “Love oh my friends, ages he who is still young. He who has not known true love can only tell lies on the subject. God gave to some all they desired. To others he gave only fatigue and misfortune. I, Benmessaieb, I love women. May God forgive our errors, our weaknesses and sins.” Ibn Taouatî, author of Yâ Achiqîne Nâr El Mahaba (Oh Lover, there is meaning in the fire of love) wrote about love with the same passion and intensity as his predecessors, adding details (describing the loved one) and musical genius that accentuate the game of “love and the deed” (to quote Jean Markale). His passion for gardens, flowers and wine is as strong as his passion for the woman he loves. He compares her body with the magnificence of God’s creation of the world and of nature. Ibn Taouatî is clearly inspired by the typically Andalusian form of romantic poetry. “The redness of carnations and the purple of the sweetheart’s cheeks are in perfect harmony. Her dark hair - like the coal of crows - contrasts perfectly with the white of her neck. Her legs, finely sculpted ivory are decorated with henna. An extraordinary work of art. I swear, in the name of God, that she comes from the house of eternity, from Eden. This absolute love is often marked by a minute analysis of musical modes. The Ahçiné, the Gharib, the Zidane, the Cika are in an order that is in perfect harmony with the charnel beauty of the loved one. He who can not attain the pleasures of love can in no case attain the pleasure of music. Djaballah, Benmessaieb and Ibn Touatî fear those who are jealous of them more than Satan as they believe the souls of these jealous men are perverted by morals. To love God one must love the beauties that he created in this world. This strong feeling of the beauty of the world and of nature is felt in Zadjal El Ward (The Roses...). Contemplation of flowers becomes a form of prayer to God who created these incredibly beautiful and harmonious forms and colors. The roses, jasmine, jonquils, daffodils are described beautifully. Their arrangement in the gardens is compared to the pleasant proportions of a beautiful woman. Great care is taken with them, like with a woman. Happy is the man who spends his time admiring these beauties (the flowers). The author of this Zadjal said “these smells and images are the perfume and the sights of Eden”. The uncertainty of the melody The music evolves differently depending of whether it is a Haouzi, an Aroubi or a Zadjal. The M’shaghal rhythms of Yâ Achikine are lively, illustrating the energetic and revolted character of Ibn Taouatî. The introduction to the Dhîl mode is played on the piano (another western instrument that Raymond Leyris integrated into this show without upsetting the conservative shiekhs of Constantine) by Miss Attali and reflects the sheikh’s constant efforts to create an event. The two Zidane modes, which are almost identical, of the Haouzi are syncopated in order to break the monotony of the melody. The same technique is adapted to the chorus and used in the refrains of the Zadjal... In short, the choice of these pieces was mainly motivated by their poetic form and by the recurring melodramatic theme: impossible love, lamentation, despair of the poets - as well as the difficulty in analysing the relationship between poetry and melody. But how can we justify this theory? What rules should be followed? What authority should we refer to? No one has written the rules for this type of composition. What characteristics should a melodrama have within a cultural context? What level of sublime can it attain? In the West, epic poems and tragedies follow well known rules, but the specialists have not attacked the enormous task of writing the theory of oriental musical drama. Sometimes we should let be the mystery of the meaning of certain things... and speak instead of human virtues. Taoufik Bestendji Poème d’El Bâghî dit de Nedjma - La désirée Ma passion pour la désirée a grandi L’amie aux cils maquillés m’a ruiné Je languis d’elle mais renonce à l’aimer. Mes angoisses s’étaient apaisées, J’avais renoncé à l’amour et au vin, J’avais dit “vers Allah seul je me tourne“. Et puis tu m’as envoyé des nouvelles, Un messager me les a apportées, Il a prononcé des paroles cruelles. Depuis lors je ne pense qu’à toi, mon étoile, J’en perds la raison, je n’ai plus de patience, Je pleure et laisse couler mes larmes. refrain Je souffrirai de cette cruauté, O mon dieu, ô ma gazelle brune. Ciah / Improvisation Celui qui a compris le sens de ce message, m’écoutera, Je vais vous conter ce qui peut arriver à cause d’une femme aux sourcils noirs, Quelle joie avons-nous eu en ce monde, mon amie et moi ? Je ne dirai jamais rien de nos plaisirs secrets. Je vais vous conter mon histoire et pourquoi elle a dû rester secrète. Au jardin je suis descendu, préoccupé et l’âme émue. J’y ai trouvé une joyeuse assemblée. Ils m’ont appelé, Ils m’ont supplié de me jondre à eux. Alors je suis passé très vite. Car ce sont des gredins, des moins que rien, Ils se ressemblent tous, ils sont tous du même bord. Hélas, ils m’ont donné à boire une coupe de vin, ils m’ont dit “Prends, c’est ton cadeau ! “ L’ivresse m’a déridé, je plaisante, je me divertis. Chacun d’eux a exhibé fièrement une mèche de cheveux de son amie, Sauf moi, le malheureux, j’en ai versé des larmes. Et agacé par leur provocation, J’ai avoué, à peine “je suis allé la voir“ Je me suis étendu, sans pouvoir dormir Alors je les ai quittés et suis vite allé voir ma belle. Une fois passée la “caverne“, j’ai fait des signes à ma jeune compagne, J’ai frappé à sa porte, elle m’est apparue, belle aux sourcils noirs. Je suis venu te voir, ai-je dit, brûlant de passion, Je voudrais que tu me donnes un gage d’amour. Elle m’a répondu : tu n’auras que cela, une mèche de mes cheveux, Prends la et vante-toi auprès de tes amis. Elle l’a entremêlée de perles parfaites, Elle a posé sur elle deux diamants, vrais cerbères. A l’aide de sa ceinture, elle l’a fait descendre jusqu’à moi J’ai cru voir un serpent, je l’ai prise et suis parti. Quand je suis revenu, j’ai consulté les étoiles et rien ne m’a été reproché Et le groupe m’a dit : “ Où étais-tu, ami ?“ Bayt/ Couplet Enfin je l’ai vue, est-ce un rêve, ô j’exulte, (Ce rêve) a envahi mon esprit comme la mer. Il m’a conquis tout comme les vagues battent la côte. L’amour est insondable et ténébreux. Ils m’ont offert des coupes de vin, Et j’ai changé d’humeur et la passion m’a pris. J’ai alors retiré de ma poche le précieux gage d’amour, Les mèches de Nedjma, la belle aux cils maquillés. -Au nom de Dieu, amis, regardez ce trésor ! Je ne sais comment faire pour ne pas rêver d’elle. - Garde ton secret, la solution viendra. C’est en obéissant que tu as triomphé. Tu leur as bien montré ce dont tu es capable. C’est un groupe de traîtres que tu as devant toi. Abandonne-les, immédiatement. Refrain Sans quoi tu subiras agression et menaces ô ma gazelle brune ! Syah / Improvisation Dieu m’est venu en aide, j’ai accepté la séparation, Et loin de cepays, pendant trois ans je me suis exilé. Un jour celle qui est ma joie m’a envoyé un messager, Il disait “ Ecarte ceux qui nous irritent“, Je souffre de cet échec, ne parle pas de notre amour. C’est avec ton retour que je retrouverai la paix, O joie de ma vie, je peux compter sur toi. Quand son messager est venu, apportant des preuves, J’ai pris les chemins dangereux, avec ses mèches comme seules armes. Supportant ma peine, j’ai prié le protecteur des voyageurs Au nom du Prophète notre guide. Si mon destin est accompli, je me soumets à ta volonté. C’était écrit, c’était mon destin, cela arrivera donc. Si la mort vient sans délai, les méchants auront gagné. Je laisserai l’histoire se répandre dans le pays. Quand je suis arrivé à la ville haut perchée (Constantine), l’esprit perturbé, J’ai défié la mort pour mon étoile désirée. Bayt / Couplet Quand je suis arrivé, en plein cœur de la nuit, Ses draps sombres enveloppaient ma bien-aimée. Arrivé à l’improviste, plein de patience et de peine, Je l’ai saluée et elle m’a rendu son salut. Alors je lui ai raconté tout ce que j’avais enduré. “Je voudrais que maintenant tu consentes à être mienne“, “Tu m’as choisi, plein de raison et de sagese, meurtri par l’amour, Je suis à toi, belle aux cils maquillés. Ne fais plus de serments à ceux qui te sont attachés. Nous en sommes maintenant à une phase d’ivresse et de douceur, Après ces vingt jours de souffrance. Dis-leur, à tous ces jaloux la nouvelle qui les irritera. Refrain Une voix haute et claire s’est faite entendre, Disant “Ô Dieu, ô ma gazelle brune“. Syah / Improvisation Nedjma, ô Nedjma, ce n’est pas juste de me faire reproche ! C’est à cause de toi que j’ai eu l’air si indigne. Je te dis au revoir, ô toi qu’on a si injustement accusée. C’est peut être notre dernier adieu, le rendez-vous prend fin. Ils m’ont vilipendé, joie de mon cœur, ces haineux qui gravitent autour de toi. Pourquoi me détestent-ils, moi l’anxieux ? Ces jaloux ont décidé ma mort et se réjouissent de mon malheur, C’est à cause de ton amour qu’ils me haïssent. Bayt / Couplet Je suis l’avare et le fou errant L’auteur du testament a dit “Ne livre pas ton secret, ainsi tu l’emporteras. Sois raisonnable, sage et avisé. Donne des conseils à celui qui a péché, Même si c’est ton frère et que tu le tiens en haute estime. Tu as du courage, mais il ne peut durer éternellement. O Dieu, ô maître de ma gazelle brune. Traduction : Taoufik Bestandji El Bâghî’s poem on Nedjma - The Desired One My passion for the desired one has grown My girlfriend with the made-up lashes has ruined me I miss her but I have given up loving her. My anguish was calmed I had given up love and wine I said “I look only to Allah” And then you sent me news A messenger came He spoke cruel words Since then, I can’t stop thinking about you, my star I am losing my mind, I don’t have any patience any more I cry and let my tears flow refrain/chorus I will suffer from this cruelty Oh my God, oh my dark gazelle Ciah/Improvisation He who grasps the meaning of this message will listen to me. I am going to tell you what can happen because of a woman with dark lashes. What joys have we had in this world my friend and I? I will never say anything of our secret pleasures. I am going to tell you my story and why it must remain secret. I went down to the garden, preoccupied and upset I found a happy group of men. They called to me, They begged me to join them. So I went by quickly. Because they are scoundrels; good for nothings. They are all alike, they are all the same. Alas, they gave me a glass of wine, they said “Take it, its a gift!” I got drunk, I joked, I had fun. Each of them proudly displayed a lock of his girlfriend’s hair. Except me, the poor man, I shed tears. Annoyed their taunting I barely admitted “I went to see her”. I lay down without being able to sleep So I left them and went to see my beauty. Once past the “cavern” I signalled to my young friend. I knocked at her door, she appeared to me, beautiful with her dark lashes. I came to see you, I said burning with passion, I want you to give me a token of your love. She answered: you will have only this, a lock of my hair. Take it and boast to your friends. She strung it with perfect pearls She added diamonds, scintillating eyes. She lowered it to me with her belt I thought it was a snake, I took it and left. When I came back I studied the stars and there was nothing written in them against me. And the group said “Where were you friend?” Bayt/couplet Finally I saw her, is it a dream, how I exult (This dream) has invaded my heart like the sea. It has conquered me, like waves beating on the coast. Love is impenetrable and mysterious. They gave me glasses of wine My mood changed and passion overtook me. I then took the precious token of love out of my pocket Nedjma’s lock of hair, the girl with the made-up lashes. - In the name of God, friends, look at this treasure! I don’t know what to do to keep from dreaming of her. - Keep you secret, the solution will come It is by obeying that you triumphed. You showed them what you are capable of This is a group of traitors that you have here. Drop all of them now Refrain Otherwise you will face agression and threats Oh my dark gazelle Syah/Improvisation God came to my help. I accepted separation And I exiled myself from this country for three years. One day, the joy of my life sent me a messenger He said “Send away those who irritate us. I suffer from this failure, don’t talk about our love I will find peace when you return Oh joy of my life I can count on you. When your messenger came bringing proof I took the dangerous path, with her locks for my only weapon. Bearing my pain, I prayed to the traveller’s patron In the name of the prophet, our guide. If my destiny is accomplished I submit to your will It was written It was my destiny. It will happen If death comes without delay the evil men will have won. I well let the story be known throughout the country. When I arrive in the high perched city (Constantine) my mind in a turmoil, I defied death for the star of my desires. Bayt/couplet When I arrived in the middle of the night My loved was wrapped in her dark sheets I came unannounced, full of patience and pain. I greeted her and she responded So I told her all I endured “I would like you to agree to be mine now”. “You chose me, full of reason and wisdom, wounded by love I am yours, beauty with the dark lashes Sermon no longer those who are attached to you We are now in a phase of drunkeness and sweetness After these twenty days of suffering Tell all those jealous men the news that will irritate them. Refrain A high clear voice was heard Saying Oh God my dark gazelle Syah/improvisation Nedjma Oh, Nedjma its not fair to reproach me! It is your fault if I looked so indignant. I say goodbye to you who was so unjustly accused This is possibly our last goodbye, our meeting is coming to an end. Bayt/couplet I have become a wandering madman He who wrote the testament says “Don’t tell your secret, that way you will take it with you.” Be reasonable and wise Give advice to the sinner Even if he is your brother and you hold him in your esteem. You are brave, but that can’t last forever O Lord, oh master of my dark gazelle. Merci à la fondation Emile Cohen de nous avoir encouragés à la diffusion de l’œuvre de Raymond Leyris. With thanks to the Emile Cohen Foundation for their encouragement.