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Sarah Bourhis
Journaliste scientifique
De nouvelles techniques et une mise en commun
des données pour un meilleur diagnostic  
lièrement confondus avec un lipome ou un autre sarcome, et de
mutations diverses.
des sarcomes
A/ Classification CINSARC : Probabilité de survie sans métastase (MFS ; axe Y) au cours du temps
(axe X) dans les deux groupes de sarcomes selon la classification CINSARC. Les patients avec une
faible expression de la signature CINSARC sont en bleu et ceux avec une forte expression sont en rouge.
B/ Grade de la FNCLCC : Probabilité de survie sans métastase dans les deux groupes de sarcomes
selon le Grade de la FNCLCC. Les patients avec un sarcome de grade 1 et 2 sont en bleu, ceux avec
un sarcome de grade 3 sont en rouge.
supérieure à 5 cm, puis si elle n’est pas adipeuse faire une microbiopsie qui permettra de poser un diagnostic histologique précis.
La connaissance de ce diagnostic et de l’aspect de la tumeur en
imagerie permettront de décider du meilleur traitement à réaliser.
© inserm, Delapierre Patrick
Dans le cadre du Plan cancer
2009-2013, 8 SIRIC ont vu le
jour en France. Ces structures
ont pour ambition d’offrir
de nouvelles conditions
opérationnelles à la recherche
en cancérologie. Le BRIO
(Bordeaux Recherche Intégrée
Oncologie) fait partie des sites
labellisés et travaille en autre
sur le programme « sarcome ».
Interview du Professeur
J-M. Coindre et du Docteur
F. Chibon à l’Institut Bergonié
de Bordeaux.
> Pourquoi travailler sur les sarcomes ?
Professeur J-M. Coindre : Les sarDans la salle de coupe du laboratoire d’anatomo-cytopathologie de l’institut Bergonié à Bordeaux, ces racks contiennent des morceaux de tumeurs
comes sont des tumeurs rares qui se
fixés et inclus dans de la paraffine.
déclinent en plus de 50 histotypes
différents et plus de 150 sous-types
moléculaires. Le diagnostic est donc souvent difficile à établir. Très
nutrition, liaison, réparation, mouvement, réponse immunitaire,
complexes et hétérogènes, ces tumeurs touchent près de 4 000 percroissance et stockage. Ce sont donc des cancers compliqués à
sonnes par an en France et représentent 1 à 2 % de l’ensemble des
identifier.
cancers. Dans 50 % des cas, les sarcomes présentent une anomalie moléculaire spécifique probablement causale. Ce qui permet
> Quelle est la particularité de l’Institut Bergonié ?
d’envisager la mise en place de thérapeutiques ciblées. Ces tumeurs
Professeur J-M. Coindre : En France, près de 1 700 pathologistes
sont ubiquitaires et touchent les
peuvent être confrontés à un sarcome. Cependant, au vu de la diffitissus conjonctifs, musculaires
culté à diagnostiquer ces cancers, il est facile de les confondre avec
ou osseux qui constituent les
d’autres tumeurs, en particulier bénignes. Ce problème de diagnostic
deux tiers du volume du corps
histologique est actuellement bien résolu en France grâce à la mise
humain. L’ensemble de ces tisen place d’un réseau de pathologistes spécialisés dans les sarcomes
sus possède de nombreuses
avec 22 centres de référence répartis sur tout le territoire. L’Institut
fonctions : soutien, protection,
Bergonié est le centre coordonnateur de ce réseau et examine environ
2 500 cas de tumeurs conjonctives par an dont 1 500 sarcomes. Le
problème majeur actuel est en fait une mauvaise prise en charge
Jean-Michel Coindre : Anatomo-pathologiste à
chirurgicale car une résection non programmée de la tumeur est
l’institut Bergonié de Bordeaux et membre du
Réseau de référence en Pathologie des sarcomes
souvent réalisée avant la connaissance du diagnostic exact de la
des tissus mous et des viscères (RRePS). Coortumeur. Il faut en réalité commencer par réaliser une imagerie par
donnateur du programme Sarcome SIRIC BRIO.
échographie et souvent par IRM si la tumeur est profonde ou bien
Novembre 2014 ❘ Biologiste infos
> Utilisez-vous la même méthodologie pour étudier la génétique des différents types de sarcomes ?
Professeur J-M. Coindre : Pour environ 50 % des sarcomes, nous
réalisons une étude de génétique moléculaire qui permet de
mettre en évidence à partir du tissu tumoral prélevé les anomalies spécifiques de certains sarcomes : il s’agit de translocations
(échanges entre différents chromosomes), d’amplifications de
gènes (augmentation du nombre de copies d’un gène), comme
le gène MDM2 dans les liposarcomes bien différenciés ou
dédifférenciés, sarcomes relativement fréquents et assez régu-
> Peut-on prédire le risque métastasique dans les sarcomes ?
F. Chibon : L’évolution métastasique des sarcomes est un véritable
enjeu car la diffusion des cellules tumorales au sein d’organes
tels que les poumons, le foie ou les os, conduit souvent au décès
du patient. Auparavant, l’estimation du risque métastasique des
sarcomes reposait essentiellement sur des critères histologiques
et cliniques et notamment sur le grade histopronostique de la
FNCLCC (Fédération nationale des centres de lutte contre le
cancer). Ce grade s’appuie sur
la prolifération des cellules,
l’absence de différenciation
tissulaire et la présence de
nécroses. Selon la FNCLCC,
ces facteurs signent un risque
aggravé d’évolution métastasique
de la tumeur. Cependant cette
méthode présente des incertitudes non négligeables.
Depuis les années 2000, nous
avons donc étudié une démarche
plus fiable en identifiant des Frédéric Chibon, Docteur en Biologie moléculaire à
groupes de gènes dont l’expres- l’institut Bergonié. Chercheur dans le programme
sion est assimilée à l’évolution Sarcome SIRIC BRIO.
métastasique. On les appelle
« signature moléculaire ». Nous nous sommes penchés sur les
sarcomes à génomique complexe, basée sur de nombreux réarrangements chromosomiques. Nous avons ainsi déterminé une
signature de 67 gènes appelée CINSARC pour Complexity Index
in Sarcomas. Suite à une analyse multivariée, cette signature
s’est avérée plus prédictive du devenir des patients que le grade
FNCLCC. Un point important : cette signature, bien qu’identifiée
dans les sarcomes, semble pouvoir s’appliquer à l’ensemble
des cancers…
Technicienne de l’Unité de Pathologie Moléculaire chargeant une puce sur le séquenceur haut débit nouvelle
génération (NGS)
> Quelles sont les nouvelles cibles thérapeutiques
potentielles ?
Professeur J-M. Coindre : En 1998, des chercheurs japonais
ont découvert la présence de « KIT », de la famille des
récepteurs de tyrosine kinase, à la surface des cellules
de Cajal. « KIT » est un élément commun à la plupart
des malades développant des Tumeurs Stromales Gastro
Intestinales (GIST) et représente une donnée de taille.
Avant 1998, la méconnaissance de cette protéine rendait
le diagnostic de GIST très difficile et les analyses pathologiques concluaient fréquemment à des diagnostics erronés.
C’est la mutation spontanée d’un gène « KIT » qui déclenche
l’activation de la protéine. Or, une fois stimulée, cette protéine devient incontrôlable et induit les GIST.
Il est donc indispensable d’identifier la présence de la
protéine « KIT » à la surface des cellules tumorales afin
Biologiste infos ❘ Novembre 2014
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Le SIRIC BRIO dynamise la recherche en
cancérologie sur Bordeaux
La recherche intégrée en cancérologie a pour finalité l’amélioration
de la prise en charge des cancers. Telle est la mission du SIRIC
BRIO. Pour atteindre ses objectifs, il collabore donc avec différents
partenaires : les hôpitaux universitaires (Institut Bergonié et CHU
de Bordeaux), l’université de Bordeaux, l’Inserm et le CNRS ainsi
que les institutions de recherche (Cancéropôle Grand Sud-Ouest,
Réseau de cancérologie d’Aquitaine, Groupement des Industries
Pharmaceutiques et de Santé du Sud-Ouest, Conseil régional
d’Aquitaine). Pour mener à bien son projet, le SIRIC possède
une enveloppe de 1,5 millions d’euros par an de 2013 à 2017 et
se concentre sur six programmes de recherche intégrée : cancer
du sein, sarcome, cancer du foie, leucémie myéloïde, oncologie
gériatrique et nouvelles cibles. L’ensemble de ces programmes
s’articule autour de 7 axes stratégiques de développement :
bio-informatique, recherche in vivo, surveillance et interventions
de santé, bases de données, médecine personnalisée, sciences
humaines et sociales et recherche fondamentale.
Impulsé par l’institut national du cancer (INCa), la mise en place
des SIRIC a pour but d’optimiser la production de nouvelles
connaissances tout en favorisant leur diffusion et leur application
dans la prise en charge des cancers.
Ainsi suite à deux appels à candidatures (2011 et 2012) pour la
labellisation de SIRIC, 8 sites ont été retenus : Bordeaux, Lille,
Marseille, Montpellier, Lyon et trois instituts parisiens (Gustave
Roussy, Curie, HEGP).
Le financement de ces SIRIC est assuré sur les crédits du Plan
cancer par le ministère des Affaires sociales et de la Santé, l’INCa
et l’Inserm. Au total, ils bénéficient d’une dotation globale de
64 millions d’euros répartis sur cinq ans.
d’établir le diagnostic de GIST. On y associe actuellement la mise
en évidence d’une autre protéine d’intérêt diagnostic, la protéine
DOG1. Le diagnostic de GIST est actuellement facile : tumeur de
l’estomac ou de l’intestin qui est KIT et DOG1 positive en immunohistochimie (technique qui utilise des anticorps spécifiques
 La couleur marron indique ici la présence de KIT au niveau des cellules tumorales. 
Novembre 2014 ❘ Biologiste infos
Équipe de l’unité de Pathologie Moléculaire de l’institut Bergonié à Bordeaux.
qui se fixent sur le tissu tumoral. Si celui-ci exprime la protéine
recherchée, voici ce que l’on peut observer :
Depuis 2010, en France, le diagnostic de GIST est le plus
souvent confirmé par un pathologiste du Réseau de Référence
en Pathologie des Sarcomes (RRePS). Cette seconde lecture
assure un immuno-marquage avec l’utilisation systématique des
deux anti-corps « KIT » et « DOG1 », une définition du risque
de rechute et une recherche des mutations du gène « KIT » et
« PDGFRa ».
> Comment est structurée la recherche sur les sarcomes en
France ?
Professeur J-M. Coindre : Un groupe national, le Groupe Sarcome
Français dit GSF, regroupe l’ensemble des professionnels qui
travaillent dans ce domaine avec des équipes de cliniciens, chirurgiens, radiothérapeuthes, radiologues, pathologistes et chercheurs.
Trois réseaux nationaux ont été créés pour la prise en charge des
patients porteurs d’un sarcome : Réseau de Référence en Pathologie
des Sarcomes (RRePS) pour le diagnostic histologique et moléculaire des sarcomes des tissus mous et des viscères, ResOs pour le
diagnostic histologique des sarcomes osseux et NetSarc pour le
traitement des patients. Des bases de données communes et partagées sont utilisées pour la prise en charge des patients (NetSarc/
RRePS/ResOs) et pour la recherche (Conticabase et ConticaGist).
Ces deux dernières bases comportent environ 15 000 patients avec
environ 7 000 fragments de tumeurs congelées.
Les professionnels participant à ces réseaux se rencontrent régulièrement : réunions mensuelles de relecture de cas au microscope
pour les réseaux RRePS et ResOs et conférences téléphoniques
mensuelles pour NetSarc. Des réunions plénières des 3 réseaux
et un congrès national annuel de 3 jours sont également organisés
ainsi que des réunions internationales régulières. L’ensemble de
ces réseaux participe véritablement à faire avancer la recherche,
le diagnostic et le traitement des patients atteints de sarcomes. ■