Comment peut-on vraiment tirer parti des ECT

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Comment peut-on vraiment tirer parti des ECT
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Comment peut-on vraiment tirer parti des ECT ?
Maximizing ECT efficacy
# W. de Carvalho*
RÉSUMÉ
L’ECT reste un traitement investi des contradictions et des ambivalences du passé : reconnu officiellement par la communauté
psychiatrique comme le plus puissant dans les dépressions les
plus sévères, son utilisation pratique est souvent approximative,
peu d’équipes s’y intéressant. Pourtant, certains paramètres sont
cruciaux pour guider la cure ECT vers une efficacité clinique.
L’avenir est probablement à la mise en place de pôles d’excellence. L’orientation et le regroupement des ECT vers des équipes
stables réalisant quotidiennement des ECT pourraient devenir
un standard. Ce pourrait être un avantage, mais aussi devenir un
inconvénient, de voir de nouveau les indications d’ECT délaissées par les centres non impliqués dans leur pratique régulière,
avec le risque d’une réapparition de la stigmatisation liée à la
fantasmatisation autour d’une méconnaissance du traitement.
Au final, ce sont des patients, des régions qui risquent de pâtir
d’une diminution de l’offre de soin : l’enjeu de santé publique
vaut que l’on y prenne garde.
Mots-clés : ECT - ECT ambulatoire - Seuil épileptogène EEG périctal - Suppression activité bioélectrique corticale Théorie anticonvulsivante des ECT - Courant ultrabref.
SUMMARY. ECT remains cluttered with contradictions and ambivalences of the past: Although ECT is labelled as state of the art for the
most severe depression by psychiatrists, practice is still approximative,
partly due to general poor involvement in practice and research. Yet
some parameters are critical to lead ECT towards clinical efficacy.
Future will probably feature high competency ECT pole. Orientation
and regrouping of ECT within steady teams using it on a daily basis
might become a gold standard. This could paradoxically, on the one
hand, encourage ECT but on the other hand it may contribute to
drawback the indications of ECT for centers not involved in their usual
practice. Stigmatization linked to fantasmatization and ignorance
is at risk of reappearance. Yes indeed, patients and a community do
risk to suffer of the decline in health supply, the stake’s health policy
worths keeping on one’s guard.
Keywords: ECT - Maintenance ECT - Seizure threshold - Perictal EEG - Suppression of cortical bioelectrical activity - Anticonvulsant theory of ECT - Ultrabrief pulse.
* Coordinateur du Pôle ECT, maison de santé de Bellevue, Hauts-de-Seine. Ancien PH au SHU
(HISainte-Anne, service des Prs Loo et Olié).
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enri Loo a énoncé un oxymore visionnaire en qualifiant l’électroconvulsivothérapie (ECT) de “vieille thérapeutique du futur” (1). Il résume ainsi les espoirs, les
contradictions, les mystères et les voies de recherche offertes
par les ECT.
Est-ce un hasard si les ECT ont fait l’objet de la première recommandation en psychiatrie de l’ANAES (2) ? Ils ont été abordés par de multiples évaluations, conférences de consensus,
recommandations d’académies ou d’experts. Ils agissent de
façon spectaculaire sur les syndromes dépressifs sévères de
tonalité mélancolique non grevés de comorbidités, en particulier
organiques, qui viendraient en limiter la portée. Leur efficacité
clinique à court terme ainsi que leur délai d’action sont supérieurs à ceux de tous les antidépresseurs (3, 4).
La question n’est donc plus aujourd’hui de s’interroger sur la
puissance d’action des ECT, mais bien plutôt de garantir l’excellence des conditions de leur pratique et du maintien de leurs
résultats à long terme.
Différents paradigmes se sont succédé : le premier d’entre eux
avait trait à la production d’une crise convulsive généralisée.
Pendant quelques décennies, ce critère, initialement corrélé à
l’efficacité clinique, semblait nécessaire et suffisant (5).
Cette époque avait engendré un second credo, celui de la durée
de la crise convulsive, qui, idéalement, ou plutôt arbitrairement,
avait été fixée à 30 secondes pour être réputée efficace. Les appareils utilisés délivraient un courant sinusoïdal. Ce n’est pas un
détail technique dans l’histoire des ECT. Ce type de courant
implique une permanence de l’exposition au stimulus électrique, dont l’intensité varie. Il est à l’origine d’effets secondaires
cognitifs majeurs liés à l’importance de la charge administrée. En
comparaison, il faut trois fois plus d’énergie pour déclencher une
crise convulsive généralisée en utilisant du courant sinusoïdal
qu’en utilisant un courant fait de trains d’ondes brèves pulsées,
standard aujourd’hui.
L’intermittence du passage du courant et son intensité constante
et d’emblée maximale permettent une hypersensibilisation, ou
effet kindling (6), qui aboutit à l’abaissement du seuil épileptogène, et donc à la facilitation de la crise.
Le seuil épileptogène représente le plus petit niveau d’énergie à
délivrer afin que la somme des stimulations intermittentes permette en quelques dixièmes de seconde de passer d’une phase
de recrutement neuronal à un embrasement généralisé aux deux
hémisphères cérébraux, symétrique, homogène, avec une propagation fronto-occipitale de la convulsion, tout en concernant des
structures profondes comme les structures limbiques.
C’est du degré de dépassement du seuil épileptogène que la crise
convulsive tirera sa robustesse, objectivable par l’EEG périctal
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La Lettre du psychiatre - Vol. II - n° 4 - septembre 2006
(phase de recrutement courte, phases ondes lentes avec pointes
ondes bien amples, ralentissement de la fréquence des ondes
lentes puis rapide suppression de l’activité bioélectrique corticale
[SABC] objectivée par une ligne d’EEG “plate” très nette avant
une reprise dans les minutes qui suivent). Cette séquence est
la plus corrélée à l’efficacité clinique en fin de cure (7, 8). Il est
donc impératif de réunir les conditions d’obtention de cette
SABC, ce qui impose de pouvoir disposer d’appareils ECT qui
permettent d’accéder à ces informations.
Sur le plan des mécanismes d’action, cela revient à dire et à
constater que l’ECT induit bien une activité anticonvulsivante
croissante au fur et à mesure des séances. La théorie dite “anticonvulsivante” des ECT (6, 9) est probablement celle qui a le
mérite d’être la plus intégrative des données sur les ECT. Elle
est compatible avec les effets neurotrophiques des ECT et des
antidépresseurs (10, 11), et elle est cohérente avec les effets
observés sur le plan métabolique et fonctionnel (inhibition
GABA).
Ainsi, la question de la durée de la crise perd tout son crédit
dans la mesure où celle-ci ne reflète en rien la qualité de la crise
convulsive déclenchée. Au contraire, il y a une corrélation entre
une durée de crise longue et la relative difficulté à promouvoir
une crise convulsive généralisée qui, de ce fait, déséquilibre un
patient sur le plan de l’électrogenèse, sans toutefois lui donner
les moyens de stopper cette anomalie qui n’a pas cours si la
stimulation est franchement au-dessus du seuil épileptogène.
Une erreur fréquente consiste à diminuer la charge administrée
lorsque certaines équipes constatent une durée de crise longue
(> 60 secondes). Elles aboutissent à l’inverse de leur souhait : le
seuil augmentant naturellement en cours de cure, elles prennent
le risque de s’en approcher sans le dépasser, et donc d’induire
des crises subconvulsives susceptibles de créer des difficultés
de gestion pour l’anesthésiste (bradycardie, asystolie, troubles
du rythme) et pour le patient, qui sera de toute façon confus,
même si la crise est interrompue pharmacologiquement. Les
troubles cognitifs post-ECT seront donc majorés.
Nous sommes maintenant en mesure de diminuer très sensiblement les effets d’amnésie antérograde et rétrograde en utilisant
le courant ultra-bref (impulsion minimale de 0,3 millisecondes).
La différence est frappante, du jour au lendemain pour les équipes qui ont pu s’équiper avec ces nouveaux matériels (Mecta®
5000 Q et Thymatron® IV).
La pratique des ECT requiert une équipe rodée, dont les membres sont formés au sens des différents paramètres qui influencent positivement l’issue d’un traitement par ECT, afin d’écarter
le risque d’être plus délétère que thérapeutique. C’est la raison
pour laquelle l’avenir ira probablement vers le regroupement
des patients relevant d’une indication d’ECT sur des pôles d’excellence qui réalisent couramment ces actes et qui en suivent
les évolutions tant pratiques que théoriques.
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L’ECT, d’entretien ou de maintenance (ECT-M), ne trouvera
une place croissante chez les patients qui en ont besoin que si la
pratique ambulatoire des ECT-M s’étend (4, 12). L’ambulatoire
est dans la logique d’un soin au long cours, d’une meilleure
observance, en permettant de ne pas replacer les patients auprès
de ceux qui se trouvent en pleine période aiguë, attitude qui
stigmatise et effraie inutilement nos patients, qui ont besoin
de sentir le chemin parcouru depuis leur mélancolie et non
d’y revenir. Les techniques et paramètres évoqués plus haut
participent de la possibilité offerte à ces patients de se traiter
par ECT-M sur quelques mois, parfois plusieurs années pour
ceux d’entre eux les plus sévèrement atteints.
Nous ne savons toujours pas comment agit le traitement le plus
puissant pour traiter les dépressions les plus sévères, mais si les
ECT doivent délivrer un jour la clé de leur mystère, cela passera
par une méthodologie dont nous devons déjà être les garants,
même si notre ignorance reste grande.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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