La mise en scène de la mort dans le Drame Romantique

Transcription

La mise en scène de la mort dans le Drame Romantique
La mise en scène de la mort dans le Drame Romantique
Acte V, tableau IX, scène 3 – Buridan, Marguerite, Gaultier.
BURIDAN. – Eh bien, Marguerite, me pardonnes-tu ? vois-tu encore en moi un ennemi ?
MARGUERITE. – Oh ! non, le père de Gaultier !
BURIDAN. – Ainsi, tu le vois, nous pouvons être heureux encore !... Nos vœux d’ambition sont remplis, plus de
lutte entre nous… Notre fils est le lien qui nous attache l’un à l’autre… Notre secret sera enseveli entre nous
trois !
MARGUERITE. – Oui, oui.
BURIDAN. – Crois-tu que tu puisses encore être heureuse ?
MARGUERITE. – Oh ! si je le crois ! et, il y a dix minutes, cependant, je ne l’espérais plus.
BURIDAN. – Une seule chose manque à notre bonheur, n’est-ce pas ?
MARGUERITE. – Notre fils, notre fils là, entre nous deux… notre Gaultier.
BURIDAN. – Il va venir.
MARGUERITE. – Comment ?
BURIDAN. – Je lui ai remis la clef que tu m’avais donnée. Il va venir par cet escalier, par où je devais venir, moi.
MARGUERITE. – Malédiction ! comme c’était toi que j’attendais, j’avais placé… damnation !... J’avais placé des
assassins sur ton passage !
BURIDAN. – Je te reconnais bien là, Marguerite !
On entend un cri dans l’escalier.
MARGUERITE. – C’est lui qu’on égorge !
BURIDAN. – Courons !...
Ils vont à la porte, qu’ils secouent.
MARGUERITE. – Qui donc a fait fermer cette porte ? Oh, c’est moi… moi ! Orsini ! Orsini ! ne frappe pas,
malheureux !
BURIDAN (secouant la porte). – Porte d’enfer !... Mon fils ! mon fils !
MARGUERITE. – Gaultier !
1
BURIDAN. – Orsini !... démon !... enfer !... Orsini !
MARGUERITE. – Pitié ! pitié !
GAULTIER (Gaultier est dehors, criant et appelant au secours). – À moi ! à moi ! au secours !
MARGUERITE. – La porte s’ouvre !
Elle recule.
Alexandre Dumas, La Tour de Nesle (1832), acte V, tableau IX, scène 3.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------MUSSET, Lorenzaccio, Acte IV, Scène 11 (1833)
La chambre de Lorenzo. Entrent le Duc et Lorenzo.
LE DUC — Je suis transi, — Il fait vraiment froid. (Il ôte son épée.) Eh bien ! mignon, qu’est-ce que tu fais donc ?
LORENZO — Je roule votre baudrier autour de votre épée, et je la mets sous votre chevet. il est bon d’avoir
toujours une arme sous la main. (il entortille le baudrier de manière à empêcher l’épée de sortir du fourreau.)
LE DUC — Tu sais que je n’aime pas les bavardes, et il m’est revenu que la Catherine était une belle parleuse.
Pour éviter les conversations, je vais me mettre au lit. A propos, pourquoi donc as-tu fait demander des chevaux
de poste à l’évêque de Marzi ?
LORENZO — Pour aller voir mon frère, qui est très malade, à ce qu’il m’écrit.
LE DUC — Va donc chercher ta tante.
LORENZO — Dans un Instant. (Il sort.)
LE DUC, seul — Faire la cour à une femme qui vous répond oui, lorsqu’on lui demande oui ou non, cela m’a
toujours paru très sot et tout à fait digne d’un Français. Aujourd’hui surtout, que j’ai soupé comme trois moines,
je serais incapable de dire seulement : "Mon cœur, ou mes chères entrailles", à l’infante d’Espagne. je veux faire
semblant de dormir ; ce sera peut-être cavalier, mais ce sera commode. (il se couche. — Lorenzo rentre l’épée à
la main.)
LORENZO — Dormez-vous Seigneur ? (il le frappe.)
LE DUC — C’est toi, Renzo ?
LORENZO — Seigneur, n’en doutez pas. (lI le frappe de nouveau. — Entre Scoronconcolo.)
SCORONCONCOLO — Est-Ce fait ?
LORENZO — Regarde, il m’a mordu au doigt. je garderai jusqu’à la mort cette bague sanglante, inestimable
diamant.
SCORONCONCOLO — Ah ! mon Dieu, c’est le duc de Florence !
LORENZO — S’asseyant sur le bord de la fenêtre. Que la nuit est belle ! que l’air du ciel est pur ! Respire, respire,
cœur navré de joie !
SCORONCONCOLO — Viens, maître, nous en avons trop fait. sauvons-nous.
LORENZO — Que le vent du soir est doux et embaumé ! comme les fleurs des prairies s’entrouvrent ! ô nature
magnifique ! ô éternel repos !
SCORONCONCOLO — Le vent va glacer sur votre visage la sueur qui en découle. venez, seigneur.
LORENZO — Ah ! Dieu de bonté ! quel moment !
2
SCORONCONCOLO — à part. Son âme se dilate singulièrement. Quant à moi, je prendrai les devants. (il veut
sortir.)
LORENZO — Attends ! tire ces rideaux. Maintenant, donne-moi la clef de cette chambre.
SCORONCONCOLO — Pourvu que les voisins n’aient rien entendu !
LORENZO — Ne te souviens-tu pas qu’ils sont habitués à notre tapage ? viens, partons. (ils sortent.)
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Alfred de Vigny, Chatterton, Acte III, Scènes 8&9, 1835.
[...]
CHATTERTON— Laissez-moi, Kitty. Les hommes ont des moments où ils ne peuvent plus se courber à votre taille
et s'adoucir la voix pour vous. Kitty Bell, laissez-moi.
KITTY BELL —Jamais je ne serai heureuse si je vous laisse ainsi, monsieur.
CHATTERTON —Venez-vous pour ma punition ? Quel mauvais génie vous envoie ?
KITTY BELL— Une épouvante inexplicable.
CHATTERTON —Vous serez plus épouvantée si vous restez.
KITTY BELL— Avez-vous de mauvais desseins, grand Dieu ?
CHATTERTON —Ne vous en ai-je pas dit assez ? Comment êtes-vous là ?
KITTY BELL— Eh ! comment n'y serais-je plus ?
CHATTERTON— Parce que je vous aime, Kitty.
KITTY BELL— Ah ! monsieur, si vous me le dites, c'est que vous voulez mourir.
CHATTERTON— J'en ai le droit, de mourir. — je le jure devant vous, et je le soutiendrai devant Dieu !
KITTY BELL— Et moi je vous jure que c'est un crime ; ne le commettez pas.
CHATTERTON— Il le faut, Kitty, je suis condamné.
KITTY BELL —Attendez seulement un jour pour penser à votre âme.
CHATTERTON— Il n'y a rien que je n’aie pensé, Kitty.
KITTY BELL— Une heure seulement pour prier.
CHATTERTON— Je ne peux plus prier.
KITTY BELL— Et moi ! je vous prie pour moi-même. Cela me tuera.
CHATTERTON— Je vous ai avertie ! Il n'est plus temps.
KITTY BELL— Et si je vous aime, moi !
CHATTERTON— Je l'ai vu, et c'est pour cela que j'ai bien fait de mourir ; c'est pour cela que Dieu peut me
pardonner.
KITTY BELL— Qu'avez-vous donc fait ?
CHATTERTON— Il n'est plus temps, Kitty ; c'est un mort qui vous parle.
KITTY BELL (à genoux, les mains au ciel)— Puissances du ciel ! grâce pour lui.
CHATTERTON— Allez-vous en... Adieu !
KITTY BELL (tombant) —Je ne le puis plus...
CHATTERTON— Eh bien donc ! prie pour moi sur la terre et dans le ciel.
3
chambre.
Il la baise au front et remonte l'escalier en chancelant ; il ouvre sa porte et tombe dans sa
KITTY BELL— Ah ! — Grand Dieu ! (elle trouve la fiole) Qu'est-ce que cela ? — Mon Dieu ! Pardonnez-lui.
SCÈNE IX
KITTY BELL, LE QUAKER
LE QUAKER (accourant)— Vous êtes perdue... Que faites-vous ici ?
KITTY BELL (renversée sur les marches de l'escalier)— Montez vite ! montez, monsieur, il va mourir ; sauvez-le...
s'il est temps.
Tandis que le Quaker s'achemine vers l'escalier, Kitty Bell cherche à voir, à travers les portes
vitrées, s'il n'y a personne qui puisse donner du secours, puis ne voyant rien, elle suit le Quaker avec terreur, en
écoutant le bruit de la chambre de Chatterton.
LE QUAKER (en montant à grands pas, à Kitty Bell)— Reste, reste mon enfant, ne me suis pas.
Il entre chez Chatterton et s'enferme avec lui. On devine des soupirs de Chatterton et des paroles
d’encouragement du Quaker. Kitty monte à demi évanouie en s'accrochant à la rampe de chaque marche ; elle
fait effort pour tirer à elle la porte, qui résiste et s'ouvre enfin. On voit Chatterton mourant et tombé dans les
bras du Quaker. Elle crie, glisse à demi morte sur la rampe de l'escalier, et tombe sur la dernière marche.
On entend John Bell appeler de la salle voisine.
JOHN BELL— Mistress Bell !
Kitty se lève tout à coup comme par ressort.
JOHN BELL (une seconde fois)— Mistress Bell !
Elle se met en marche et vient s'asseoir lisant sa Bible et balbutiant tout bas des paroles qu'on
n'entend pas. Ses enfants accourent et s'attachent à sa robe.
LE QUAKER (du haut de l'escalier)— L'a-t-elle vu mourir ? l'a-t-elle vu ? (il va près d'elle.) Ma fille ! ma fille !
JOHN BELL (entrant violemment et montant deux marches de l'escalier)— Que fait-elle ici ? Où est ce jeune
homme ? Ma volonté est qu'on l'emmène !
LE QUAKER— Dites qu'on l'emporte, il est mort.
JOHN BELL— Mort !
LE QUAKER— Oui, mort à dix-huit ans ! Vous l'avez tous si bien reçu, étonnez-vous qu'il soit parti !
JOHN BELL— Mais...
LE QUAKER— Arrêtez, monsieur, c'est assez d'effroi pour une femme. (il la regarde et la voit mourante.)
Monsieur, emmenez ses enfants ! Vite, qu'ils ne la voient pas.
Il arrache les enfants des pieds de Kitty, les passe à John Bell, et prend leur mère dans ses bras.
John Bell les prend à part et reste stupéfait. Kitty Bell meurt dans les bras du Quaker.
JOHN BELL (avec épouvante)— Et bien ! eh bien ! Kitty ! Kitty ! Qu'avez-vous ?
Il s'arrête en voyant le Quaker s'agenouiller.
LE QUAKER (à genoux) — Oh ! dans ton sein ! dans ton sein, Seigneur, reçois ces deux martyrs !
Le Quaker reste à genoux, les yeux tournés vers le ciel, jusqu'à ce que le rideau soit baissé.
4

Documents pareils