Le régime de libération conditionnelle mis en place en

Transcription

Le régime de libération conditionnelle mis en place en
du Greffier de la Cour
CEDH 018 (2012)
17.01.2012
Le régime de libération conditionnelle mis en place en Grèce
prévoit des mesures suffisantes pour assurer la protection de la
société
Dans son arrêt de chambre, non définitif1, rendu ce jour dans l’affaire Choreftakis et
Choreftaki c. Grèce (requête no 46846/08) la Cour européenne des droits de l’homme
dit, par quatre voix contre trois, qu’il y a eu :
Non-violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits
de l’homme.
L’affaire concerne le meurtre du fils des requérants par un homme en liberté
conditionnelle qui avait été préalablement condamné pour homicide volontaire.
Principaux faits
Les requérants, M. Antonis Choreftakis et Mme Eirini Choreftaki sont des ressortissants
grecs, nés respectivement en 1960 et 1963 et résidant à Chania (Grèce). Mariés, ils sont
les parents d’Emmanuel Choreftakis, âgé de 21 ans, qui fut poignardé à mort dans la rue
par un inconnu le 16 mai 2008. L’auteur du crime, Z.L., fut identifié et arrêté deux jours
plus tard. Les parents d’Emmanuel Choreftakis se constituèrent partie civile. Z.L.
reconnut être l’auteur du meurtre, mais afffirma qu’il n’avait pas eu l’intention de tuer.
Suivant une expertise, Z.L. ne souffrait pas de troubles psychiques, mais son
comportement et sa personnalité traduisaient une indifférence face aux normes sociales.
Z.L. avait fait l’objet de plusieurs condamnations pénales. En particulier, le 10 novembre
1998, il avait été condamné à la réclusion à perpétuité, assortie d’une peine secondaire
de dix ans et neuf mois pour homicide volontaire, tentative de vol avec violences,
détention et port d’armes illégaux et conduite de véhicule sans permis de conduire. Le
26 janvier 2006, la cour d’assises de Crète examina sa demande de cumul des peines et
fixa sa peine encore à purger - toutes sentences confondues - à vingt-six ans, dix mois
et dix jours.
Le 29 août 2007, le directeur de la prison soumit une demande portant sur la libération
conditionnelle de Z.L., et releva dans son rapport que celui-ci avait un très bon
comportement en prison depuis 2004. La chambre d’accusation du tribunal correctionnel
rejeta la demande, faisant référence à des sanctions disciplinaires qui lui avaient été
infligées pendant son incarcération. Z.L. interjeta appel contre cette décision.
Le 23 janvier 2008, la chambre d’accusation de la cour d’appel infirma la décision et fit
droit à la demande de libération conditionnelle, y adjoignant l’obligation faite à
l’intéressé de se présenter tous les cinq premiers jours du mois au commissariat de son
lieu de résidence et de ne pas quitter le pays. Elle nota qu’à cette date, celui-ci avait
1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas
définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le
renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si
l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de l’affaire et rendra un
arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille
l’exécution. Des renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse
suivante : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
purgé, toutes remises de peines confondues, quinze ans ans et un jour de sa peine, soit
les trois cinquièmes de celle-ci.
La chambre d’accusation de la cour d’appel rappela les sanctions disciplinaires qui
avaient été décidées par le passé, en 1998, 1999, 2001, 2002 et 2004, citant les
décisions prises par des conseils disciplinaires de prison à son encontre, pour agression
physique d’un codétenu, possession d’une batte et d’un poinçon, utilisation de téléphone
portable en prison, attaque d’un codétenu avec coup à la tête, possession de deux
couteaux fabriqués par ses soins, d’un canif et d’un téléphone portable en prison.
Elle se référa également au rapport du directeur de la prison, daté du 29 août 2007, qui
signalait : « Le détenu en question a été puni pour divers délits disciplinaires qui ont été
commis en raison de son jeune âge et qui ont été rayés de sa fiche individuelle. D’août
2004 à ce jour, il n’a pas été puni disciplinairement et son comportement est très bon
ainsi que son assiduité [...] Il ressort de sa façon de vivre en prison en général qu’il s’est
repenti des infractions commises et qu’il ne va plus occuper les autorités judiciaires en
sortant de la prison. »
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l’article 2 (droit à la vie), les parents de la victime reprochent aux autorités
d’avoir contribué à créer les conditions du meurtre de leur fils. Ils précisent qu’ils ne
visent aucunement l’accusé, mais seulement les organes étatiques ayant décidé sa
libération conditionnelle.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 17
septembre 2008.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Nina Vajić (Croatie), présidente,
Elisabeth Steiner (Autriche),
Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjan),
Mirjana Lazarova Trajkovska (Ex-République Yougoslave de Macédoine),
Julia Laffranque (Estonie),
Linos-Alexandre Sicilianos (Grèce),
Erik Møse (Norvège), juges,
ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section.
Décision de la Cour
Article 2
La Cour prend acte que M. et Mme Choreftakis ne dirigent pas leur requête contre le sort
que la justice réservera à l’assassin présumé de leur fils, mais qu’ils se plaignent
qu’avant le drame, les autorités judiciaires avaient permis à cette personne de bénéficier
d’une libération conditionnelle et de sortir de prison. Selon eux, les faits en cause
démontrent la légèreté et la négligence des autorités étatiques qui ont laissé sortir de
prison un individu dangereux.
La Cour rappelle que la première phrase de l’article 2 impose à l’Etat de prendre, le cas
échéant, les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa
juridiction. Cela ne signifie pas que l’on puisse déduire de cette disposition une obligation
positive d’empêcher toute violence potentielle.
2
Toute menace présumée contre la vie n’oblige pas les autorités à prendre des mesures
concrètes pour en prévenir la réalisation. Pour décider que les autorités ont failli à leur
obligation positive de protéger le droit à la vie dans le cadre de leur devoir de prévention
et de répression des atteintes contre la personne, il faut admettre que lesdites autorités
savaient ou auraient dû savoir que la vie d’un ou de plusieurs individus était menacée de
manière réelle et immédiate du fait des actes criminels d’un tiers et qu’elles n’ont pas
pris les mesures qui auraient raisonnablement pallié ce risque.
Tout en soulignant que l’une des fonctions essentielles d’une peine d’emprisonnement
est de protéger la société, la Cour reconnaît le but légitime d’une politique de réinsertion
sociale progressive, même lorsque la personne a été condamnée pour des crimes
violents.2
Le fils des requérants a trouvé la mort à l’issue d’un enchaînement de circonstances
fortuites. Dans le système juridique grec, un détenu doit avoir purgé une période
d’emprisonnement minimale pour bénéficier d’une libération conditionnelle. Si cette
condition est remplie, la loi prévoit que : « la libération conditionnelle est accordée dans
tous les cas, sauf s’il a été jugé par motivation spéciale que le comportement du détenu,
au cours de l’exécution de sa peine, rend strictement nécessaire la continuation de sa
détention pour l’empêcher de commettre de nouvelles infractions. » En l’espèce, les
autorités ont appliqué la législation pertinente et ont confirmé que les conditions
requises étaient réunies. En conséquence, aucune irrégularité n’avait entaché la
procédure judiciaire ayant abouti à la libération conditionnelle de Z.L.
Au regard de la grande diversité des systèmes de libération conditionnelle existant au
sein des Etats membres, la Cour reconnaît une large marge d’appréciation en ce
domaine, rappelant que les questions relatives au régime de libération relèvent du
pouvoir des Etats membres qui décident de leur politique criminelle.
La Cour considère qu’elle ne saurait critiquer le régime des mesures de réinsertion
applicables en Grèce. La législation grecque fait partie des systèmes dans lesquels la
libération conditionnelle constitue la règle et où un certain automatisme est appliqué
dans la mise en oeuvre de cette mesure. Les articles 105 et 106 du code pénal grec,
inspirés par le but légitime de favoriser la réinsertion sociale des délinquants, semblent
introduire un système de libération d’office, accordée « dans tous les cas », dès lors que
le prévenu a purgé une période d’emprisonnement minimale et qu’il a fait preuve de
« bonne conduite » en prison. Les peines disciplinaires sont rayées de la fiche
individuelle du détenu dans un délai de six mois à deux ans après leur imposition, et ne
sont pas prises en compte dans la décision du juge d’accorder la liberté conditionnelle.
L’ordonnance de libération conditionnelle s’est néanmoins fondée sur le rapport du
directeur de la prison qui constatait que le comportement de Z.L. après 2004 avait été
« très bon », qu’il ne méconnaissait pas que des sanctions disciplinaires avaient été
infligées à Z.L. par le passé, mais admettait que ces faits avaient été « commis en raison
de son jeune âge ».
La Cour ne peut pas ignorer le meurtre du fils des requérants après l’octroi de la liberté
conditionnelle, cependant il n’y a pas de lien de causalité directe et solide entre les
modalités d’application du système grec et le meurtre.
Le système grec de libération conditionnelle n’a donc pas perturbé le juste équilibre qui
devait exister entre l’objectif de la réinsertion sociale et le but d’empêcher la récidive. Le
régime de libération conditionnelle mis en place en Grèce prévoit des mesures
2 La Cour rappelle sur ce point la Recommandation Rec(2003)22 du Comité des Ministres du Conseil de
l'Europe : « la libération conditionnelle est une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour
prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus
programmé, assisté et contrôlé [et que] son usage devrait être adapté aux situations individuelles et conforme
aux principes de justice et d’équité. »
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suffisantes pour assurer la protection de la société des agissements de personnes ayant
été condamnées au pénal pour des crimes violents. L’octroi de la liberté conditionnelle à
Z.L. ne peut pas s’analyser en un manquement des autorités au devoir de protéger la vie
du fils des requérants. Elle conclut par quatre voix contre trois qu’il n’y a pas eu violation
de l’article 2 de la Convention.
Opinion séparée
Le juge Sicilianos a exprimé une opinion dissidente à laquelle se sont ralliées les juges
Steiner et Lazarova Trajkovska dont le texte se trouve joint à l’arrêt.
L’arrêt n’existe qu’en français.
Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts
rendus par la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci,
peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int. Pour s’abonner aux communiqués de presse
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La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les Etats
membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de
la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.
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