Actes du colloque Plaisirs et soins - Fédération 3977 de lutte contre

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Actes du colloque Plaisirs et soins - Fédération 3977 de lutte contre
Actes du colloque
Plaisirs et soins
16 octobre 2007
Un évènement soutenu par :
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
1
Sommaire
ACCUEIL, BERNARD DUPORTET
3
INTRODUCTION : LE DROIT AU PLAISIR, GENEVIEVE LAROQUE
4
LE PLAISIR DES PETITES CHOSES, RENATE GOSSARD
6
DEPASSER LE CERCLE DE L’INTIME - LA QUESTION DE LA SEXUALITE, GERARD
RIBES
8
L’INTELLIGENCE AFFECTIVE, LOUIS PLOTON
12
LA RESILIENCE, DISCUSSION ENTRE GERARD RIBES ET LOUIS PLOTON, ANIMEE
PAR GENEVIEVE LAROQUE
16
LA RESILIENCE, DISCUSSION ENTRE GERARD RIBES ET LOUIS PLOTON, ANIMEE
PAR GENEVIEVE LAROQUE
16
DISCUSSION
19
UNE LUCARNE DANS UN MONDE DE CONFUSION, FRANÇOIS ARNOLD
22
PLAISIR ET DEMENCE, FRANÇOIS BONNEVAY
26
COMMUNICATION NON VERBALE, LES CINQ SENS ET LE ROLE DE L’ANIMAL, DES
PISTES A EXPLORER. BERNADETTE LE NOUVEL ET DIDIER VERNAY
30
ANIMATION ET DEMENCE, PHILIPPE CRONE
33
DIETETIQUE ET NUTRITION, MONIQUE FERRY
36
PLAISIR GUSTATIF : TOUS LES SENS EN EVEIL, JOSIANE VIBERT
40
DISCUSSION
44
CONCLUSION, JEROME PELLISSIER
46
CLOTURE, GENEVIEVE LAROQUE
50
LA PICCOLA COMPAGNIE ET LETTRES A
51
QUELQUES RESSOURCES
54
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
2
Accueil, Bernard Duportet
Quel plaisir pour moi de vous accueillir si nombreux pour
cette journée consacrée au thème du plaisir.
J’ai cherché, comme il est habituel, ce que d’autres ont pu
dire sur ce thème et j’a retenu cette phrase de Marc de
Papillon ; écrite autour de 1580 environ : « une vie sans
plaisir est une mort honteuse ».
présent, plaisir
elles-mêmes et
Ce thème s’est
souvent mal vu
Cette phrase situe bien le débat.
Dans les si nombreuses situations dont nous avons eu à
connaître tant en ce qui concerne les personnes âgées ellesmêmes que ceux qui les entourent, qui les soignent, les
accompagnent, ce thème du plaisir est presque toujours
qu’on leur refuse, plaisir que les personnes vulnérables se refusent à
plaisir que très souvent la société elle-même leur refuse.
donc imposé à nous. Il n’est pas d’un grand classicisme et il est même
de l’évoquer.
J’espère qu’au terme de cette journée vous pourrez partir avec quelques notions plus
étayées, et que vous saurez, que vous pourrez être des relais dans vos cercles
professionnels pour faire passer dans les faits ce droit au plaisir des personnes dont nous
avons la charge.
Je voudrais remercier tous ceux grâce à qui nous pouvons développer notre action en
faveur de la bientraitance. Ils sont plus de 40 qui permettent à notre association de vivre
et de se développer.
Je voudrais remercier plus particulièrement ceux qui ont fait que cette journée a pu avoir
lieu, l’AG2R et REUNICA qui nous soutiennent de manière importante depuis le début et
les laboratoires EISAI - PFIZER qui permettent en particulier de nombreuses actions
dans le champ de la maladie d’Alzheimer et des démences en général.
Je voudrais dire aussi, en notre nom à tous, un grand merci à toute l’équipe et à celle qui
a été votre interlocutrice pour les inscriptions et les questions matérielles qui ont permis
cette journée, Caroline Lemoine, notre responsable de communication.
Je voudrais saluer également Michel Ladegaillerie, qui est dans la salle aujourd’hui. Il
avait accepté il y a quelques années d’être notre président et il m’a passé ensuite le
flambeau. Il est un peu ici chez lui puisqu’il a été vice président de la mutualité
francilienne.
C’est un peu lui qui nous accueille aujourd’hui.
Toutes les interventions d’aujourd’hui seront intégralement téléchargeables sur notre site
internet.
De plus, lors des pauses, je vous invite à vous rendre à l’accueil où les laboratoires EISAI
– PFIZER ont mis à votre disposition des documents sur la maladie d’Alzheimer.
Sans plus attendre, je passe la parole à Geneviève Laroque, qu’on ne présente plus tant
son activité est débordante, elle est présidente de la Fondation Nationale de Gérontologie
et vice présidente de l’AFBAH. C’est à ce double titre que je lui cède la parole.
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3
Introduction : Le droit au plaisir, Geneviève Laroque
Maintenant que j’ai reçu un seau d’observations et de
compliments, je vous dis bonjour à tous.
Si peau d’âne m’était conté, j'y prendrais un plaisir
extrême. Est-ce que j’ai pris du plaisir à préparer cette
intervention ? Est ce que vous prenez du plaisir à venir
participer à cette journée de travail ? J’ai consulté le
dictionnaire, car j’étais un peu mal à l’aise et le
dictionnaire m’a indiqué que le plaisir était de l’agrément,
du goût, de la volonté, que le contraire du plaisir était
double : le déplaisir et la douleur.
Je crois qu’il est très intéressant de travailler sur la triade
plaisir – déplaisir – douleur car ce n’est pas la même chose
d’être en situation de déplaisir ou d’être en situation de
douleur et que la notion de plaisir est à la fois une attitude, un ressenti positif, agréable,
mais pour Epicure ça se contente d’être une absence de souffrance corporelle ou de
troubles de l’esprit. Autrement dit pour Épicure c’est essentiellement la sérénité. Est-ce
que le plaisir et la sérénité se superposent, est-ce que la sérénité est un des avatars du
plaisir ?
Il est intéressant de s’interroger sur les liens entre le plaisir et la sérénité en parlant du
plaisir et de la vieillesse. Lorsque j’ai demandé à mon excellent ami google de me dire ce
qui se passait entre la vieillesse et le plaisir, il m’a sorti quelques dizaines de milliers de
résultats. Pour ceux que je suis allée voir, les orateurs étaient souvent assez négatifs.
Bien sûr on peut s’accrocher à Cicéron, à Sénèque, à Spinoza, qui dit quelque chose de
génial « c’est une farouche et triste superstition que d’interdire de prendre du plaisir ».
Je crois qu’il faut l’afficher partout. Car finalement, lorsqu’on me demande de parler du
droit au plaisir, j’ai envie de m’accrocher à Spinoza, mais pour cela, il faut quand même
savoir comment on tourne autour de cette notion.
A quoi le plaisir ? Il sert à se faire plaisir, mais aussi éventuellement à faire plaisir à
l’autre : je me fais plaisir en faisant plaisir à l’autre. Car si je te fais plaisir sans me faire
plaisir, cela risque d’être complètement perverti. Certains plaisirs sont indispensables
pour sauver l’espèce, comme le plaisir sexuel qui permet de renouveler les cadres, pour
qu’il y en ait qui rentrent dans la carrière quand leurs aînés n’y seront plus…
Les neurobiologistes expliquent que le plaisir est un ensemble de mécanismes. Ils ont fait
de nombreuses expériences, comme celle du rat appuyant sur un bouton jusqu’à
épuisement, car il se fait tellement plaisir qu’il ne peut plus arrêter1. C’est une idée à
garder dans un coin de sa tête : Est-ce que le plaisir peut être dangereux ?
Il y a plein de moralistes pour dire que le plaisir est dangereux, que le plaisir n’est pas
moral, que le devoir est beaucoup mieux. Je pense qu’on ne fait bien son devoir que si
on le fait avec plaisir, et que si on le fait par pure obligation, on le fera mal. C’est une
autre idée à garder en tête. Il est très important de savoir qui prend du plaisir quand on
s’occupe de l’autre, et notamment de l’autre fragile, de l’autre vieux, de l’autre dément,
laid, sale, agressif, désagréable… Est-ce qu’on peut quand même prendre du plaisir à
s’occuper de cet autre là ? Ou est-ce qu’il faut que l’autre me renvoie une image
souriante, une image aimable, comme on dit quelque part aussi que le vieillard agréable
et enjoué vieillit mieux que les autres.
Le plaisir est partout, les philosophes en ont parlé, les moralistes s’en sont méfiés, tous
les sens sont dans le coup.
Je discutais l’autre jour à propos de plaisir et de communication avec de jeunes gens qui
voulaient développer des outils informatiques pour les vieux. Je disais que cela allait
jouer sur la vue et sur l’ouïe mais que le goût, le toucher et l’odorat n’allaient pas être
concernés. Or le plaisir passe par les cinq sens pour moduler toutes les occasions de
plaisir, quel que soit l’âge, quel que soit l’état, l’environnement.
1
http://lecerveau.mcgill.ca/flash/d/d_03/d_03_cl/d_03_cl_que/d_03_cl_que.html
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Est-ce que le plaisir n’est pas quelque chose d’inhérent à notre existence ? Le plaisir
n’est-il pas, probablement, indépendamment du plaisir sexuel, une source de vie ? Plaisir
source de vie, source d’échange avec l’autre, plaisir solitaire, plaisir des sens mais aussi
plaisir du rêve, de l’imagination. Lorsqu’on est vieux, est-ce qu’on n’a pas très souvent
besoin de se réfugier dans le rêve, l’imagination, pour avoir du plaisir ? Pour pouvoir se
réfugier dans le rêve et l’imagination, il faut peut-être avoir un lieu, un temps, pour
rêver, imaginer, et il faut pouvoir se réserver, se voir réserver, des lieux, des moments
d’intimité, de solitude.
Je ne parle pas d’isolement dramatique, je parle de solitude riche, de lieux et des
moments de cachotterie parce que quelque fois le plaisir a besoin de cachotterie : quand
vous étiez petit vous vous réfugiez dans un coin pour avoir des quantités de plaisirs qui
n’étaient pas forcément des plaisirs de transgression, mais des plaisirs que vous n’aviez
pas envie de partager. Ca vous permettait de partager mieux à un autre moment, avec
les autres. Comment l’organisation de la vie des grands vieillards, de ceux dont il faut
s’occuper, de ceux dont on dit q’il faut les surveiller – bien sûr il faut les surveiller pour
qu’il ne leur arrive pas de malheur – peut leur réserver un temps du plaisir partagé avec
ceux qui s’occupent d’eux et un temps du plaisir solitaire ? Je crois que c’est très
important et qu’on n’y pense pas assez.
On m’a souvent expliqué combien l’isolement des vieillards était la catastrophe des
catastrophes et on a raison. Mais si l’isolement des vieillards est la catastrophe des
catastrophes, l’intrusion permanente dans la vie du vieillard, pour s’occuper de lui,
l’habiller, le laver, le torcher, lui donner à manger, pour recommencer, pour veiller à ce
qu’il dorme, pour rentrer dans la chambre parce qu’il dort pour vérifier qu’il dort, ce qui
est un excellent moyen de le réveiller, pour savoir s’il est propre car il faut le changer s’il
est sale, pour un certain nombre de choses.. Bon dieu, foutez leur la paix de temps en
temps… Foutez leur la paix de temps en temps… quand je suis tout petit j’ai besoin qu’on
me foute la paix de temps en temps, quand je suis vieux aussi.
Mais en même temps, je ne veux pas être tout seul, ce qui fait que ce droit au plaisir est
un droit parfaitement contradictoire entre le besoin d’être avec et le besoin de ne pas
être avec. Ce besoin contradictoire du vieux sera aussi le besoin contradictoire du
soignant qui doit pouvoir trouver du plaisir à être avec ce vieux là, même s’il est moche,
même s’il est sale, même s’il est agressif, même s’il est désagréable. Car il y a quand
même une petite étincelle quelque part. Mais il a aussi besoin de ne pas être avec. Il a
aussi besoin de pouvoir aller se faire plaisir ailleurs, avec d’autres. Et ce que ça ne
s’appellerait pas simplement la société et le lien social, ou l’humanité ? Savoir qu’on se
fait plaisir quand on est tout seul et qu’on en a besoin, qu’on se fait plaisir quand on est
avec l’autre parce qu’on est un animal social, qu’on se fait plaisir et qu’on fait plaisir à
l’autre dans des cercles concentriques de dimensions diverses.
Je voulais aussi renvoyer au droit de la personne hébergée dans un établissement
médico-social et je n’ai pas trouvé la notion de plaisir. Alors peut être qu’il faudra
demander au législateur futur d’introduire le droit et le devoir de plaisir dans leur
prochaine législation. Je vous remercie.
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Le plaisir des petites choses, Renate Gossard
Je suis infirmière en podologie dans 4 établissements de Reims, soit 890 personnes
âgées. Pendant 20 ans j’ai travaillé aux pieds des personnes âgées.
Je suis arrivée en 1947 en France, ne parlant pas un mot de français, chez une grandmère qui elle ne parlait pas un mot d’allemand. Ca a été très difficile, nous avons
communiqué par la tendresse, de petits biscuits… Grâce à cette grand-mère, les
personnes âgées ont toujours eu une grande valeur à mes yeux.
Ensuite j’ai fait mes études d’infirmière et de podologie et je me suis dit que je pouvais
faire quelque chose dans les maisons de retraite. J’ai été 20 ans aux pieds des vieux,
face à face. A dire vrai, on cache les vieux comme eux cachent leurs pieds. On ne
s’occupe jamais des pieds des personnes âgées. Comment voulez-vous qu’elles
continuent à marcher, à participer à la vie de la maison de retraite, aux activités, si elles
ne peuvent pas se chausser ? Je le vois à Reims, où en animation, on s’occupe bien plus
des personnes qui peuvent encore marcher que de celles qui ne le peuvent plus et
restent dans leur chambre. S’occuper de leurs pieds, c’est ainsi lutter contre la solitude.
Se chausser est primordial, pourtant, combien avons nous eu de grands-mères, de
grands pères qui avaient des chaussures dans lesquels ils ne pouvaient plus entrer les
pieds.
Au début, je faisais ces soins de pieds face à la personne âgée. Ces pieds, quand on a
80, 85 ans sont abîmés. Ils ont vécu, sont déformés, ce qui pose problème, même pour
rester dans sa chambre. Les gens m’ont alors parlé, m’ont confié leur vie de manière
incroyable. Ils m’ont raconté pourquoi ils étaient là, m’ont fait leurs confidences. Je vous
assure que ces pieds de vie ont vraiment une histoire.
Je me suis dit que ces personnes étaient si contentes de confier leurs pieds qu’on devait
pouvoir faire une animation de cela. Vous connaissez aussi bien que moi le problème du
« chariotage » des professionnels qui amènent les personnes âgées en animation ou pour
un soin. Ca a été assez difficile au début, de faire prendre conscience de l’intérêt de cette
activité. Nous avons eu une grande salle, et tandis que je m’occupais d’une personne
puis de l’autre, nous avons fait une animation simplement humaine. On parlait de tout, je
soignais les pieds, les gens parlaient de leur vie.
Cela a découlé sur le mouvement des panthères grises, fondé par Maggie Kuhn aux
Etats-Unis. Ce mouvement a été créé en pensant aux « Black Panthers », le pouvoir des
noirs. Maggie Kuhn a pris conscience du pouvoir des « grises », les femmes de 60 ans et
plus, à la retraite, qui peuvent encore agir face à la négation de la vieillesse. C’est encore
d’actualité. Les panthères grises ont servi, en France de « poil à gratter » auprès des
médias, pour rappeler que nous sommes tous les vieux et les vieilles de demain.
Car les vieux n’existent que peu pour les médias. Les politiques font parfois de grands
discours, comme hier soir à la télévision, mais disent que cela va coûter fort cher.
Pourtant, mes pieds n’ont pas coûté très cher, un petit scalpel, un bistouri... Je pense
que chacun peut faire quelque chose de façon très pragmatique et simple : une des
dernières actions des panthères grises a été la promotion de la bisouthérapie. Les
personnes âgées, en résidence ou à domicile, ont besoin avant tout d’exister pour
quelqu’un, de recevoir de la tendresse. Donner un bisou à ceux qui le demandent - je le
précise bien – est quelque chose de formidable. Tous ont besoin de tendresse, de
chaleur, de reconnaissance, ce qui peut être transmis simplement.
Pour finir, je voudrais vous lire un article écrit par une dame, sur son rêve de maison de
retraite où nos petits vieux étaient si heureux que le bonheur se lisait dans leurs yeux ;
Le personnel était si nombreux que nos anciens étaient cajolés, chouchoutés, dorlotés.
Une maison de retraite à la portée de tous les revenus, des plus modestes aux plus
élevés. Une maison où on croisait les personnes dans les couloirs, changés de la tête aux
pieds, sentant bon la savonnette et l’eau de toilette. Un personnel si nombreux qu’il
travaillait dans la joie et la bonne humeur. Plus de résidents rabroués, pas un personnel
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surmené. Ils étaient tolérants, car ils n’ont pas toujours le caractère facile nos aînés, ils
sont exigeants et impatients parfois, les repas pris en salle à manger ou dans la
chambre, avec des menus appétissants, adaptés au goût de chacun, ouvrant l’appétit des
plus récalcitrants. Finis les tristes repas, le soir, seul dans sa chambre. Là dans cette
maison de retraite pimpante et accueillante, le personnel a le temps d’écouter et de
consoler nos aînés qui ont tant à raconter, eux qui n’ont jamais connu les 35 heures mais
souvent une vie de dur labeur. Comme ils sont gais et joyeux. Soudain une sonnerie. Le
réveil. J’avais fait un rêve.
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Dépasser le cercle de l’intime - la question de la sexualité,
Gérard Ribes
Je suis psychiatre et sexologue, personne
n’est
parfait.
Etant
psychiatre
et
gérontopsychiatre,
je
m’intéresse
aux
problèmes
du
vieillissement.
Etant
responsable de l’enseignement de sexologie à
la faculté de médecine de Lyon, j’ai essayé de
croiser mes doubles intérêts entre la sexualité
et le vieillissement.
Hier soir à table, alors que nous préparions
cette journée, nous nous sommes rendu
compte dans nos discussions que l’enfant était
né au 18ème siècle, c'est-à-dire que la prise
en compte de l’enfant datait du 18ème et s’était installée au 19ème. C’est peut-être dans
cette prise en compte de l’enfant que la vision de l’enfant avait été complètement
différente. Cet enfant que Freud a vu au 19ème, il l’a vu avec la vision du 19ème, mais
l’intérêt a peut-être été de le considérer comme un individu, avec toutes les spécificités
de l’individu et non pas comme un être éthéré, petit ange descendu du ciel, sans aucune
question dans sa tête, sans aucune « perversion ».
On pourrait se dire que Freud a fait sortir l’enfance de l’innocence. Peut-être que le
21ème siècle va nous permettre de faire naître les vieux, que ce sera enfin le moment où
les vieux vont exister non pas là aussi comme des êtres un peu surprenants, des vieux
adultes, mais avec toutes ces spécificités du vieux et toute la globalité de ce que c’est
être un vieux.
Comme l’enfant est sorti de l’innocence, on peut souhaiter que le 21eme siècle fasse
sortir le vieillard de l’abstinence.
Notre modèle est un modèle que je vais qualifier d’adulte. La référence actuelle se fait
par rapport à une sorte de norme d’adulte, qui devrait être la bonne norme, comme s’il y
avait un temps qui devait spécifier quelque chose, en particulier en ce qui concerne la
sexualité. Le vieillard va nous interroger sur notre propre sexualité et notre devenir en
terme d’individu. Il y a peut être un mécanisme qui fait qu’on n’a pas trop envie de se
ressembler avec le vieillard.
Mettre une barrière entre le monde des « adultes », je vais garder ce terme là, et le
monde des vieillards, grâce par exemple à une dimension maternante, infantilisante,
qu’on peut utiliser dans cette relation avec le vieillard est une manière de le desexuer, de
se protéger de ce qu’on va devenir en tant que vieillard, de se dire qu’il y a un monde
des adultes, dont je fais partie, qui a un droit à la sexualité, parce que maintenant on a
un droit à la sexualité, et un monde des vieillards qui serait un monde où la sexualité ne
serait pas de mise et qui ne serait pas mon monde. Barrière entre deux univers.
Cette desexuation va créer cette différence entre le monde des adultes et le monde des
vieux.
Vieillir est un moment extrêmement important car c’est un moment où l’on va rencontrer
son corps. Il y a quelques choses qu’on appelle le silence des organes lorsque l’on est
médecin, qui est l’illusion de la bonne santé : Ca ne veut pas dire que parce que ces
organes ne se signalent pas qu’on est en bonne santé, mais en tout cas, on est dans un
corps qui ne se manifeste pas et qui se manifeste lorsqu’on le sollicite. L’activité physique
est une manière de le solliciter, les différents sens sont une manière de le solliciter, la
sexualité est une manière de le solliciter. Quand on vieillit, son corps devient
omniprésent ; Je garde le souvenir d’un monsieur il n’y a pas très longtemps qui me
disait « vous savez docteur quand je me réveille le matin et que j’ai mal je sais que je
suis vivant ».
Mais est-ce-que ce corps est seulement un indicateur de douleur, de perte, d’évolution
vers quelque chose qui est inéluctable, la mort ? Si ce n’est que ça, quelle va être la
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capacité à conserver un corps sexué, un corps de désir, un corps de la relation, un corps
de la rencontre avec l’autre ?
Le deuxième élément, qui a été très bien développé par Geneviève tout à l’heure, c’est
cette question de l’intime, que je ne vais pas développer il y aurait énormément de
choses à dire, mais je peux affirmer que plus on vieillit, plus on devient un individu
public, c'est-à-dire que plus on vieillit plus on va avoir de difficultés à garder sa zone de
l’intimité. On va devenir un individu public car il y a de plus en plus de gens qui vont
intervenir chez vous dans un premier temps, sur vous dans un deuxième temps. Quelle
est la place que je vais pouvoir garder dans cette zone de l’intime ? Comment je vais
pouvoir me garder cette bulle de la rencontre entre soi et soi, quelque chose qui ne soit
pas éclatée sur la place publique, en particulier lorsque l’on est en institution.
Je voulais juste reprendre cette citation : « Le respect de l’intimité et de la vie privée,
c’est aussi de reconnaître que la personne a des besoins d’affection, de tendresse et de
sexualité ». Je voulais mettre en exergue le terme de reconnaître, et aussi poser la
question de comment on va reconnaître l’autre en terme de parité, et en terme de parité
autour de la sexualité. Peut-être qu’en tant que soignant c’est extrêmement dangereux,
en particulier quand on est dans les soins de proximité, de toilette.
C’est toujours la question qu’on me pose : les érections des hommes au moment des
toilettes sont des choses qui agressent les soignants, les soignantes en particulier. Qu’est
ce qu’on va en faire ? C’est une question ouverte.
Nous allons maintenant entrer dans les chiffres, grâce à une étude un peu ancienne mais
extrêmement intéressante par sa moyenne d’âge 86 ans avec des gens entre 100 et 102
ans. Ce qui est intéressant c’est de penser la sexualité comme n’étant pas simplement la
génitalité. La sexualité c’est pas mettre un truc dans un machin. C’est quelque chose qui
va englober toutes les dimensions de la tendresse. C’est une notion extrêmement
présente (chez 82 % des hommes et 64 % des femmes2). Des études plus récentes ont à
peu près les mêmes chiffres.
Selon cette même étude, 72% des hommes et 40% des femmes se masturbaient. Les
chiffres sont différents actuellement, car il y a une censure sociale par rapport à la
masturbation féminine qui est différente, et même les femmes âgées osent plus parler de
leur masturbation, dans ses plaisirs solitaires et ses rencontres avec son corps. Enfin,
63% des hommes et 30 % des femmes (il faut penser aussi au ratio ¼ dans le
vieillissement) avaient des rapports sexuels.
Quand on interview les équipes, tout le monde est d’accord pour dire que la sexualité est
extrêmement important pour les personnes âgées. Tout le monde est d’accord… Mais
personne ne fait rien pour que ça se fasse : quand on regarde la mise en pratique de
cela, on ne trouve quasiment rien du tout. Et là aussi on peut se poser des questions :
dans le discours, intellectuellement, c’est quelque chose de très bien, mais dans la
réalité, qu’est ce qu’on en fait ? Le plus souvent strictement rien.
On peut même avoir des attitudes plutôt négatives. Je vous ai ressorti cette étude
d’Hammond par rapport aux réactions face à quelqu’un qui se masturbait : je rentre dans
une chambre, je découvre un résident en train de se masturber. Je précise bien qu’on est
dans le cadre privé d’une chambre. C’est moi qui ai fait intrusion dans un espace privé et
je découvre quelqu’un qui est en train de se masturber.
Les réactions : se mettre en colère, faire la morale, taquiner, traiter la personne comme
un enfant. Il y a aussi des réactions qui sont positives, mais quand on regarde l’étude, ce
sont les réactions négatives qui ressortent en premier.
2
Bretschneider et Mc Coy (1988) 202 personnes entre 80 et 102 ans. Age moyen 86 ans.
(h:100,f:102), Sexual interest and behaviour in healthy 80 to 102 year olds. Arch Sex Behaviour
1988,17,109-129)
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Si on interroge les personnes âgées qui sont en institution sur ce qu’elles pensent elles
de la sexualité des personnes âgées3, 81 % des hommes et 75 % des femmes
considèrent qu’il est normal que les âgés puissent avoir une sexualité : mon droit, ma
possibilité, ma capacité à, doit être préservé. La sexualité n’est jamais quelque chose
d’obligatoire, on peut vivre, et très bien, sans sexualité. Mais quand j’ai ce besoin là,
quand ça fait partie de mon équilibre, quid de ma possibilité à exprimer cette chose là ?
Par contre, il y a un certain nombre de choses qui vont la limiter :
Le manque de partenaire, la présence d’un tiers, le manque d’intérêt, les problèmes de
santé, et surtout les représentations sur la santé : la peur de faire un infarctus pendant
un acte sexuel, la peur de péter une prothèse de hanche…. Ce sont des questions qu’on
me pose en permanence : « je vais péter ma prothèse ». Mais si on n’a pas expliqué ce
qu’il en est aux gens, les peurs s’installent, et la perte de l’intimité est extrêmement
rapide. Pour l’infarctus, un rapport sexuel avec un partenaire ou une partenaire
habituel(le) est l’équivalent de la montée à pieds de deux étages. Donc toute personne
capable de monter deux étages à pieds sans mourir en arrivant en haut est capable
d’avoir une activité sexuelle. Chose intéressante aussi dans cette étude, c’est l’incapacité
à réussir. 15 % des hommes ont peur de ne pas réussir, de ne pas « bander ».
Petite parenthèse sur ce sujet : actuellement, toutes les études qui sortent montrent que
les représentations sociales du fait que ce sont les femmes qui arrêtent la sexualité ne
sont plus vraies. Ce sont les hommes qui préférentiellement arrêtent la sexualité, par
peur de leurs capacités et de leurs incapacités, et autour de la question de leur érection
en particulier. Et puis, chose importante, que j’ai mis en dernier pour pointer la chose,
c’est le vécu de ne pas être sexuellement attractif, qui retombe sur la question de l’image
de soi, de l’estime de soi, élément clef de la sexualité.
L’étude d’Hosam4 est une méta étude, une étude de « fainéants »… ce sont des gens qui
reprennent les études des autres et les publient en les rassemblant. Ce sont les
meilleures études pour des carrières universitaires car ce sont les plus lues, donc il ne
faut faire que cela.
Le premier élément, que je voulais mettre en exergue, est le manque d’intimité. La
question de la sexualité en institution va poser de manière importante la question de
l’intime et je dirais peut importe la sexualité, posons nous la question de l’intime :
comment travaille-t-on sur l’intime dans nos institutions ? Quel sens va ton donner à ce
mot ? À partir de là, ça ne nous regarde plus, il y a quelque chose qui n’est plus de notre
champ. Nous aurons mis en place quelque chose pour que l’intimité soit préservée.
Après il y a le manque de partenaire, les pathologies mentales, physiques….
Autre élément important, l’attitude de l’équipe :
On s’est rendu compte que les équipes qui n’étaient pas formées avaient des attitudes
négatives qui très souvent faisaient écho aux attitudes de la famille. Il y aurait plein de
choses à dire sur le vécu que véhicule la sexualité de son parent, de son grand parent, et
cette rupture dans une continuité famille que va introduire l’arrivée d’un tiers dans un
EHPAD ou dans une maison de retraite. Je pense qu’il faut travailler au niveau de l’équipe
et des familles.
Quelles seraient les stratégies pour répondre aux besoins sexuels des personnes âgées
en institution ? Les éléments qui sont ressortis sont : améliorer les connaissances des
équipes sur la sexualité des personnes âgées, j’espère qu’on va y participer un petit peu
aujourd'hui, quid de l’évaluation de la sexualité dans les plans de soin ?
3
Wasow M., Loeb M.B., sexuality in nursing homes, J. Am. Geriatr Soc, 1979;27:73-9
4
Hosam K. Kamel Annals of long care Vol 9, number 5,May 2001
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10
Je ne veux pas mettre le Canada comme référence absolue, mais nos amis canadiens
dans les plans de soins posent toujours la question de la sexualité5 : est-ce que ça a une
place, est-ce que ça n’a pas de place… C’est présent, ce n’est pas évacué.
Troisième élément, pour moi troisième point de la triade essentielle : les équipes doivent
pouvoir discuter ouvertement leurs attitudes et inquiétudes concernant les problèmes de
la sexualité dans l’institution. Si on ne fait pas ça, les choses n’avancent pas. Dans les
priorités, je la mettrais en un : d’abord parler de ses vécus, après on va peut-être
apprendre des choses sur le vécu de l’autre, le vécu des personnes âgées. Ca me parait
le point de passage obligé.
La question de l’intimité, promouvoir l’intimité des résidents, le « ne pas déranger » peut
être quelque chose d’intéressant. Dans le prochain numéro de Gérontologie et Société il y
a un article très intéressant et perturbateur d’un professeur de sexologie à l’UCAM à
Montréal qui a fait une étude sur ce que les canadiens appellent les chambres d’intimité.
Autoriser les visites, tout ce qui touche à la sensualité, comme les animaux, tout ce qui
va permettre quelque chose avec son corps, comme caresser, toucher… La sensualité est
un élément qu’il faut conserver tout au cours de son existence.
Pour terminer, une équipe d’infirmières canadiennes a réfléchi sur différentes façons de
promouvoir la question de la sexualité et de la santé sexuelle, en 5 points :
- Quelle est l’attitude générale de l’institution concernant la sexualité? Est-ce qu’il y a
quelque chose qui est pensé sur ce sujet ? La sexualité, ce sont des représentations.
Actuellement, les représentations sociales de la sexualité sont assez catastrophiques : les
vieux, ça ne baise pas. Je le dis volontairement comme cela. C’est quelque chose qui est
encore de l’ordre du monstrueux.
- La vie privée est-elle respectée ? Comment ? C’est le côté pragmatique, comment nous
nous allons penser l’intime dans l’institution.
- Quelles sont les ressources et renseignements disponibles concernant les questions sur
la sexualité ? Aussi bien pour les soignants que pour les résidents. Il y a eu des travaux
qui ont été faits, au Danemark en particulier, sur la mise à disposition pour les résidents
de renseignements sur la sexualité qui ont donné des résultats intéressants, pas tant sur
la sexualité que sur l’image de soi et l’estime de soi, car ce sont les paramètres qui ont le
plus évolué. Ce qui est ressorti c’est « je suis encore quelqu’un qui a cette capacité là.
Même si je ne m’en sers pas, c’est une capacité qui m’est autorisé ».
- Existe-t-il une place pour les résidents sur la politique de l’établissement au sujet de la
sexualité ? C’est la question de la parole des résidents. J’ai été frappé, la première fois
que je suis allé au Canada, dans une réunion très officielle, avec des professeurs, dans
une institution, de voir qu’il y avait un représentant des résidents qui était là a parité
avec tout le monde, et qui avait son mot à dire comme tout le monde. On travaillait sur
la sexualité et il avait une voix même extrêmement importante et forte dans ce qui se
disait.
- Les équipes sont elles formées et continuent elles à se former pour la promotion de la
santé sexuelle ? C’est comment on va entretenir une pensée, car c’est la manière dont on
va penser les choses qui va permettre une action, donc il va falloir entretenir la pensée.
Pour terminer, il est toujours de bon ton de mettre une petite citation : les vieux meurent
de ne pas être aimés, Henri de Montherlant, et il en savait quelque chose6.
5
Margaret C.Gibson, Nancy Bol, M. Gail Woodbury, Parkwood Hospital Ontario
6
Refusant de perdre peu à peu ses facultés, Henry de Montherlant choisit de se donner la mort, le
21 septembre 1972
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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L’intelligence affective, Louis Ploton
Je suis très embêté car je vais développer un sujet
théorique. Ca sert à quoi une théorie ? Ca sert peut-être
à être outillé intellectuellement pour gérer nos choix,
faire face à la réalité, ne pas être dépassé par elle ou au
moins organiser nos perceptions pour ne pas trop souffrir
parce qu’on peut réintroduire une logique dans ce qui se
passe. Alors je vais faire de la théorie. En fait je suis un
marchand de théorie.
Je vais vous parler de ce qu’on appelle l’intelligence
affective, et en fait, c’est l’observation de ce qui se passe
dans la maladie d’Alzheimer qui a amené un certain
nombre de gens à se poser la question d’un registre de
fonctionnement psychique qui aurait sa propre
dynamique; un registre intégré dans le fonctionnement psychique général, mais robuste,
et qui, dans la maladie d’Alzheimer notamment, va perdurer pour son compte. C’est
toujours comme cela en psychopathologie : c’est l’observation des décompensations qui
permet de comprendre comment fonctionne la machine.
Ce registre affectif a quand même quelque chose d’important, il est par exemple de
capable de modifier le fonctionnement cognitif et d’induire ou de ré induire des
performances cognitives. C’est vrai chez le malade Alzheimer, c’est vrai chez vous et
moi, je vais citer une phrase d’un de mes maîtres, Boris Cyrulnik « qui d’entre vous s’est
marié au terme d’une étude bénéfice / risque ou au terme d’une étude qualitative
purement objective ? ». Il y a peut être d’autres éléments qui ont surdéterminé vos choix
et les miens et qui nous ont amenés, après, à trouver des bonnes raisons pour expliquer
ce qu’on avait fait.
Pour mémoire, dans la maladie d’Alzheimer on assiste principalement à un
affaiblissement du fonctionnement intellectuel, qu’on appelle le fonctionnement cognitif,
puis après à des défaillances du fonctionnement subjectif. Ce qu’on appelle le
fonctionnement subjectif, c’est tout le travail associatif de l’esprit, ce qui se passe sur un
mode analogique, toute la création de sens figuré, le travail de fantasmatisation. Tout
cela va moins bien fonctionner, il y aura une forme de barrage à la recherche volontaire,
consciente, du souvenir, mais il y aura aussi des variations de performances selon le
climat affectif, et il arrive que quelqu’un, l’espace d’un instant, retrouve un mot pertinent
voire même l’espace d’un entretien retrouve une qualité de participation inhabituelle.
Ce qu’il y a chez le malade Alzheimer, c’est que la mémoire implicite, c'est-à-dire tout ce
qui fonctionne de manière « globale », « non pensée », mais non dépourvu de
pertinence, reste longtemps préservée. Il y a une approche globale des situations et des
relations avec autrui, approche approximative certes, mais qui a sa pertinence et sa
logique. Une logique qui n’est pas régulée par la cognition. Ainsi, quand la famille dit « il
ne me reconnaît pas », en fait il les reconnaît mais il n’arrive pas à les nommer. Et quand
ils ne viennent plus le voir (ce n’est pas la peine de venir puisqu’il ne me reconnaît pas) il
déprime. Donc il y a un mode de perception qui continue à perdurer.
Pour résumer, je dirais qu’il y a un vide cognitif, une absence de discours intérieur, qu’il
n’y a pas de contenus psychiques élaborés, mais qu’il y a le maintien de capacités
affectives, notamment le vécu d’abandon qui surdétermine beaucoup de conduites
dérangeantes. De nombreux patients ont des troubles du comportement pour attirer
l’attention sur eux.
On soulignera à ce propos que les malades d’Alzheimer sont très sensibles à l’empathie,
c'est-à-dire au climat relationnel, ce qui est peut-être une de leurs particularités. C'est-àdire que tout se passe comme s’ils gardaient une forme de perception affective, assortie
de capacités d’expression dans le même registre. Cela évoque un fonctionnement
psychique s’appuyant sur des noyaux affectifs de pensées non formulées et non
formulables, restant à l’état de cristaux, de germes, correspondant virtuellement à la
dimension affective d’une pensée, désormais réduite à cette seule dimension. On peut
parler de trame affective de la pensée, qui peut être comparée au rythme qui dans une
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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chanson va surdéterminer les choses, tandis que la subjectivité correspondrait, elle, à la
musique et la cognition aux paroles.
Du coup, on va pouvoir travailler avec le patient atteint de la maladie d’Alzheimer en
s’appuyant sur l’hypothèse du maintien d’une forme inconsciente de mémoire et
d’intelligence affective qui vont fonctionner dans une logique adaptative. Il va y avoir des
mécanismes d’adaptation sur le mode affectif.
Mais pour travailler avec ce registre, il va falloir chercher de nouveaux outils conceptuels
pour appréhender le fonctionnement psychique du dément : par exemple les théories de
l’attachement et non plus des théories purement cognitives ou freudiennes.
De plus, la maladie d’Alzheimer va nous amener à nous poser des questions sur
l’articulation entre la biologie cérébrale et la vie psychique, et je voudrais vous rappeler
que l’une est la traduction de l’autre et réciproquement : on n’est pas dans des relations
de cause à effet entre ce qui se passe dans la pensée et ce qui se passe dans nos cellules
cérébrales.
La maladie va également nous interroger sur nos représentations du fonctionnement
psychique en général, et notamment sur les modèles dont on dispose pour expliquer les
relations de l’affectif et des autres registres : elle va nous interroger sur nos outils et nos
théories de la vie psychique et sur les limites de validité de ces outils. C’est un peu
compliqué mais cela nous permettra de voir comment articuler Freud et Damazio.
C’est ainsi que la maladie d’Alzheimer nous apprend sur le fonctionnement psychique en
général, qu’on va pouvoir, sur le plan fonctionnel, distinguer des registres (ce que
j’appellerais des « appareillages », des « appareils fonctionnels »).
On va ainsi devoir distinguer le registre cognitif (avec ses opérations particulières) des
autres registres. Cela va permettre de caractériser la mémoire cognitive, dont la
particularité est d’être une mémoire où la chronologie existe. C’est en cela que le registre
cognitif se différencie du registre subjectif. Et, en employant le terme « subjectif » et je
veux faire allusion à l’œuvre de Sigmund Freud. C'est-à-dire que ce que lui a décrit, c’est
un registre du fonctionnement psychique, qui existe bel et bien mais qu’on ne va pas
pouvoir explorer avec les raisonnements et méthodes qui permettent d’aborder la
cognition. Les outils qui permettent de voir (de caractériser) l’un ne permettent pas de
voir l’autre. C’est comme les colorations quand on veut regarder des cellules au
microscope : certaines permettent de voir la membrane, d’autres le noyau, d’autres les
mitochondries mais c’est bien la même cellule qu’on explore.
Concernant précisément le registre subjectif : sa fonction est de réguler le confort
psychique notamment par le travail associatif de l’esprit. Il permet notamment d’associer
aux émotions induites par une information ou une situation, du sens figuré, de
l’imaginaire, du symbolique, mais aussi des souvenirs, des rationalisations, pour rendre
ces émotions psychiquement fréquentables.
Le fonctionnement subjectif va aussi avoir pour fonction de réguler les relations entre vie
psychique consciente et inconsciente. Il va censurer, renvoyer dans l’inconscient, des
choses inassumables que je ne pourrais pas gérer autrement.
Je peux ainsi définir quelque chose qu’on appellerait une intelligence subjective, qui
métabolise les évènements, qui gère ce qui se passe autour de nous, avec une mémoire
subjective, très particulière, car elle ignore le temps et fonctionne par analogie : les
choses s’organisent par ressemblance, ce qui se ressemble s’assemble. Il n’y a pas de
logique il n’y a que du comparatif. Cette mémoire fonctionne sur le mode de l’aprèscoup : quelque chose qui ressemble à quelque chose d’autre me renvoie à ce quelque
chose d’autre.
Mais les deux plans dont je viens de parler s’effacent dans la maladie d’Alzheimer. Il ne
reste de pleinement fonctionnels que le plan affectif et le plan psycho-biologique.
Le plan affectif, lui, va fonctionner par « plus ou moins », « plus ou moins intense ».
Emotions positives / négatives, plaisir/ déplaisir, joie/ tristesse, motivation/
démotivation, type d’attachement, et là il y a une mémoire affective qui va rester :
globale, non déclarative (on ne peut pas a mettre en mots, elle ne s’explore pas avec des
tests), subconsciente ou inconsciente (mémoire implicite ?).
Le plan affectif semble, de fait, être le lieu d’opérations qui servent de canevas (et/ou de
catalyseur?) à l’ensemble du fonctionnement psychique
Reste à évoquer le plan psycho-biologique : C’est celui qui est le moins contesté et qui,
notamment sous influence émotionnelle, est responsable des régulations biologiques.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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L’action conjointe de ces différents « appareils » va constituer un appareil
comportemental qui va réguler nos conduites. Concernant leur fonctionnement, on peut
s’interroger sur leurs curieuses capacités à créer de l’adaptation, à toujours s’adapter à la
réalité, à bénéficier de stratégie d’adaptation. Même sur le plan affectif, il y a des
stratégies d’adaptation, que nous avons tous, y compris les personnes atteintes de la
maladie d’Alzheimer. Comment fonctionnent ces stratégies d’adaptation ? Je n’en sais
rien, mais ce que je sais c’est que la fonction adaptative, gardienne de la vie, est robuste
et s’exerce jusqu’au bout.
Cela étant, on est en droit de considérer que ce qui se passe sur chacun de ces plans est
complémentaire de ce qui se passe sur les autres, cela renvoie à la métaphore des
couleurs primaires : on peut décomposer et recomposer une image en couleurs
primaires.
Mais s’il existe des correspondances entre ces plans, il existe aussi des inter-régulations,
lesquelles sont défaillantes chez le malade d’Alzheimer.
C’est ainsi que ce qui se passe sur un plan est à même de modeler (moduler, modifier en
partie) ce qui se passe sur les autres. Il est possible d’illustrer ce phénomène par une
situation qui m’est arrivée un jour, dans un colloque comme celui-ci. Au premier rang, il
y avait une jeune femme qui s’agitait sans cesse. Je découvre qu’il y a à ses pieds une
minuscule araignée. C’est là qu’on voit comment un fantasme ou un conditionnement, a
modifié son comportement émotionnel et comment son fonctionnement émotionnel a
modifié son fonctionnement cognitif puisqu’elle s’est mise à se conduire comme si cette
petite bête était dangereuse.
Autre exemple : une infirmière qui a passé la nuit assise sur une table à ne pas pouvoir
faire son travail et à ne pas pouvoir téléphoner pour demander du secours (le téléphone
étant fixé au mur à deux mètres de la table où elle s’était réfugiée) car il y avait un rat
qui était passé dans la salle de soins.
Vous voyez comment ces plans inter-agissent et, comment, lorsque l’on veut soigner on
peut passer par l’un ou par l’autre. C’est ainsi qu’on peut soigner une dépression en
passant par le cognitif, le subjectif ou l’affectif, en donnant des anti-dépresseurs dans ce
dernier cas.
Cela dit, c’est sans doute la faculté d’un plan de réguler le fonctionnement des autres qui
a pu conduire un certain nombre de gens à vouloir expliquer l’ensemble du
fonctionnement psychique à partir de celui qu’ils maîtrisent le mieux.
Il est évident que si je maîtrise le plan cognitif, comme il a des retombées sur les autres,
je vais être tenté de tout expliquer à partir de lui. Mais j’aurai peut-être du mal à
expliquer les fantasmes ou les rêves…
Si, par contre, je maîtrise bien le fonctionnement psychodynamique (freudien, subjectif)
je vais être tenté de tout expliquer à partir de lui. Et j’expliquerai un maximum de
choses, mais je vais buter sur une limite, qui est la question du temps.
Quant à l’affectif, si je le maîtrise bien, je vais tout expliquer dans vos conduites, y
compris votre mariage, mais je vais me heurter à une limite, représentée par la question
des contenus et des représentations car il est privé de contenus formalisés.
Ces considérations permettent, je crois, de sortir de la querelle stérile entre les
différentes approches du fonctionnement psychique, en ayant à l’esprit que suivant
l’approche (l’outil intellectuel) qu’on utilise on n’explore pas le même registre psychique.
C'est-à-dire que dans tous les cas on n’aborde qu’une partie des choses. C’est ainsi que
les modèles métaphoriques, analogiques, proposés par Freud sont directement
complémentaires des modèles logiques cognitivistes, d’autres modèles restant à inventer
pour mieux cerner le registre affectif.
En conclusion : l’étude des décompensations psychiques observées au décours de la
maladie d’Alzheimer permet de proposer un modèle du fonctionnement psychique qui
prend en compte les différentes fonctionnalités de l’esprit. Cela permet de mieux cerner,
et relativiser les différentes approches de la maladie d’Alzheimer, mais aussi de toutes
les décompensations psychopathologiques à tout âge.
D’un point de vue clinique cela permet d’aborder le malade avec une approche lui
garantissant une permanence de son identité profonde, la plus déterminante. C’est ainsi
que je suis fondé à dire à un malade : « monsieur, vous allez peut être perdre votre
mémoire concrète, vous allez peut être perdre un certain nombre de choses, mais vous
continuerez à être vous-même au plan affectif. Votre identité affective, dont je pense
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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qu’elle est le noyau de votre dignité humaine, son ressort, son fondement, vous la
garderez jusqu’au bout ».
Cela permet aussi d’avoir des échanges cohérents, car je vais pouvoir le rejoindre en
pleine réciprocité dans le registre affectif.
Enfin, dans le fonctionnement psychique normal je vais pouvoir m’intéresser à l’aspect
déterminant de la trame affective du sujet, trop longtemps négligée, et je rejoins ici la
« bisouthérapie », car dans cette approche des choses on ne peut pas être neutre, on
doit absolument s’impliquer et entrer en relation, d’affect à affect.
Il nous reste à élaborer une théorie du fonctionnement affectif humain, fonctionnement
qui semble reposer sur l’articulation de matrices affectives de pensées, non encore
formulées (ou informulables). Mais cette pensée « matricielle » ne saurait se réduire à
l’exercice de pulsions archaïque (pour ne pas dire animales). Il s’agit manifestement de
quelque chose de plus élaboré.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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La résilience, discussion entre Gérard Ribes et Louis Ploton,
animée par Geneviève Laroque
Louis Ploton :
Je me suis rappelé que vieillir c’est perdre sa santé, c’est souvent perdre son rôle social
et c’est aussi perdre beaucoup de plaisirs, ne plus avoir accès à un certain nombre de
plaisirs de la même façon. Donc ça peut être une expérience traumatique. La résilience
va être une façon de survivre à cela. Il faut s’appuyer sur un certain nombre de choses
que dans la théorie on appelle des tuteurs de résilience. Comme le tuteur sur lequel
s’appuie une plante. Mais pour un prisonnier, le tuteur peut être une petite mouche avec
laquelle il entretient une relation affective forte, ou un cafard, que sais-je encore.
Face au traumatisme du vieillissement, le tuteur de résilience, à mon avis, peut être
essentiellement un ensemble d’appartenances : sociales, religieuses… tout ce qui va
constituer une base de sécurité intérieure. Peut être qu’avec ce support identitaire on
peut faire son miel de l’expérience qu’est le vieillissement. Mais comment ? Je ne sais pas
trop. Les seuls que j’ai vus bien faire leur miel de cette expérience c’était les militants ou
les gens qui élèvent un enfant handicapés, car eux ont une raison de se lever le matin,
de prendre le risque de la vie comme dirait jean Maisondieu, de mettre un pieds devant
l’autre et d’y aller. Et puis je me suis dit qu’il y avait peut être une autre sorte de gens
qui s’en sortaient, ce sont les rêveurs. Car ils vont pouvoir vivre par procuration, et tout
ce qu’on ne fait pas on va pouvoir le vivre quand même, intensément, dans une vie
intérieure. Il y a aussi les gens qui écrivent car écrire c’est agir, prendre une
responsabilité car quand un texte est lancé on ne le maîtrise plus, on ne sait pas ce que
les autres en font. Voilà peut être ce qui nous permettra de tenir le coup en
accomplissant les dernières taches de vie c'est-à-dire laisser une trace, servir d’exemple
même sans le vouloir, se réconcilier avec soi et les autres, et cela c’est peut être la
dernière des taches, celle qui n’est jamais terminée.
Geneviève Laroque
Victor Hugo avait déjà dit « ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent » et Paul Langevin
« la pensée naît de l’action et, chez un homme sain, elle retourne à l’action » mais ce
n’est pas tout à fait la résilience, car pour moi la résilience c’est rebondir. Et j’ai été
étonnée également de cette description péjorative où vieillir c’est perdre.
Gérard Ribes
Il n’y a pas de résilience sans traumatisme. Un des grands risques c’est la dégradation
des notions. Aujourd’hui la résilience est un mot qui n’aura bientôt plus de sens alors
qu’il n’est même pas encore complètement conceptualisé. Le traumatisme est la base de
la résilience. Il y a quelque chose qui va faire effraction, qui va empêcher la pensée,
quelque chose qui est de l’impensable : « ça m’est arrivé à moi, pourquoi ça m’est arrivé
à moi » et il y a un autre élément qui est la perte du lien social : « je ne suis plus un
individu comme un autre je suis un traumatisé qui essaie de survivre dans une société de
non traumatisés » et avec ces trois paramètres : effraction de la bulle personnelle,
sidération de la pensée, rupture du lien social, va se former quelque chose qui va pouvoir
éventuellement faire traumatisme.
Ca va poser la question de l’intime : peut être qu’il y a quelque chose dans le mécanisme
de la résilience qui est de retrouver une intimité avec soi-même, de retrouver ce qui a
été perdu de soi dans ce moment de choc de l’impensable, de rupture du lien avec
l’autre.
Certes, vieillir ce n’est pas que perdre, mais on pourrait s’interroger sur l’entrée en
institution et ce qui peut faire traumatisme lors de ce moment. Est-ce qu’on va avoir
cette effraction dans sa bulle personnelle ? On peut le penser ; Est-ce qu’on va avoir ce
côté de sidération de la pensée ? J’arrive dans un univers dont je n’ai aucune
représentation. Il m’arrive de dire aux les équipes avec lesquelles je travaille : « une
personne âgée qui entre dans une institution, c’est comme vous si vous étiez parachutés
chez les zoulous » : un univers irreprésentable. Déjà que nous, nous avons du mal à
nous représenter l’institution, vous imaginez les personnes qui arrivent… et puis, il y a
cette rupture du lien social : il y une vie en dehors de ce lieu, et puis il y a une vie dans
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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un vase clos. Il y a aussi la rupture avec ses appartenances, le lieu où l’on a grandi, où
l’on s’est construit.
Ce qui va être un élément clef autour de la résilience, va peut-être être de renforcer ce
sentiment d’appartenance. Les travaux faits autour de la résilience ont d’abord été faits
autour des enfants, et d’abord autour des enfants de Rio. Il y a des bandes d’enfants qui
se constituent, avec un prix social important, puisqu’elles deviennent délinquantes,
marginales, mais, alors qu’ils viennent de familles où ils n’ont pas pu créer des liens
d’appartenance, ils vont retrouver aussi quelque chose qui va les structurer, en tant
qu’individus. Ils vont avoir des pairs, avec lesquels ils vont construire quelque chose
qu’ils n’ont pas construit ailleurs. Ce lien extrêmement important, entre attachement et
appartenance, ils vont le retrouver.
Cet exemple amène à réfléchir sur ce qu’on peut trouver comme liens d’appartenance
dans nos institutions gérontologiques : comment peut on travailler cette dimension
d’appartenance, et est-ce possible d’ailleurs ?
Geneviève Laroque
La création de ce lien d’appartenance peut aider à la résilience mais il ne tient pas
compte d’un autre tuteur qui est le tuteur du passé. Pour que le vieux puisse rebondir,
pour qu’il puisse re – trouver : il y a un « re », alors que chez l’enfant, il n’y a pas de
« re » : il crée, alors que le vieux re-crée. Le vieux s’appuie donc sur quelque chose
d’ancien pour créer quelque chose de neuf.
Gérard Ribes
Nous avions créé un groupe de parole sur les objets du passé. Ce n’était pas du tout
dans l’idée de la résilience. Le groupe a commencé là-dessus, puis, par des mécanismes
propres aux groupes, on est passé des objets, aux souvenirs, puis aux grands
évènements du passé. Les objets étaient très liés à de l’affectif, comme « le moulin à
café de ma mère » etc... Il y avait tout de suite quelque chose qui liait l’objet à de
l’affect. Après ce deuxième temps, ça a été le temps des grands événements. On s’est
retrouvé alors dans un moment de conflictualité, autour de la relecture par chacun de
l’Histoire. Dans un mécanisme de différenciation, « moi j’ai vécu ça, ça se passait comme
ça » « mais non, moi ça se passait comme cela » etc. dans cette évolution, et je ne sais
pas comment ça s’est passé, on est arrivé aux chansons, et à essayer de retrouver les
chansons de sa jeunesse, et de voir, et c’est la que je voulais en venir comment cette
appartenance générationnelle, comment se re-trouver dans quelque chose qui avait été
leur cette jeunesse commune...
On a tous des chansons de notre jeunesse en tête, qui sont complètement ancrées, qui
sont des références importantes, car elles sont aussi émotionnelles. Ca a été un temps
d’émotion fort, de souvenirs, de moments importants « la chanson sur laquelle j’ai
rencontré ma femme » etc…
On s’est rendu compte que grâce à ce partage, des personnes qui étaient dans cette
institution et ne s’y reconnaissaient pas commençaient à s’y reconnaître, commençait à
se reconnaître dans une appartenance qui n’était peut être pas au présent, mais dans
une appartenance au passé qui permettait de reconnaître l’autre comme un tiers au
présent.
Et dans cette relecture du passé, qui a été riche en anecdotes, on a essayé de voir si on
pouvait écrire les paroles des chansons. Et je garde un souvenir du petit vin blanc… Vous
connaissez ? Alors chantez la moi :
(Participation mémorable de la salle)
… J’ai toujours rêvé de faire chanter un congrès… c’est extraordinaire, merci pour le
plaisir. Donc là c’était facile parce que c’est le refrain et que tout le monde s’en souvient.
On s’est rendu compte qu’on arrivait à reconstruire tous ensemble des paroles de
chansons qui n’existaient pas : on était arrivé pour les couplets à un consensus vraiment
partagé et quand on avait les paroles originales, on se rendait compte que notre version
était complètement différente. Mais peut être que l’intérêt était cette reconstruction
commune pour se reconnaître dans des liens. C’est un élément de la résilience de relier
son histoire, relire son histoire, re-lire le traumatisme.
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Geneviève Laroque
Qu’est-ce qui fait que les souvenirs ou les réminiscences aboutissent pour certains à un
effondrement et pour d’autres à un rebondissement ?
Louis Ploton
Tout ce que je peux dire c’est que le fait d’avoir résisté à un traumatisme n’est pas une
assurance tous risques pour la suite. Quelqu’un qui a résisté à des choses très dures peut
s’écrouler sur un gravier. Bien sûr, ça peut donner confiance en soi, mais il ne faut pas
croire cette personne blindée pour autant.
Je me souviens d’un médecin, André WINEN, venu avec deux béquilles, pour faire une
conférence. Il nous raconte comment il est sorti de Mauthausen, expérience dramatique,
et nous dit « je suis sorti sur mes deux pieds, j’ai fait une chute de vélo et depuis je suis
paraplégique ». C’est une histoire qu’il racontait à chaque conférence et qui avait le don
de déclencher l’hilarité dans la salle. C'est-à-dire que lui-même tournait en dérision sa
paraplégie : après tout ce qui lui était arrivé, il lui était arrivé cela en plus, et sur une
simple chute de vélo, c’était incroyable.
Pour reparler de ce qui a été dit précédemment et de l’importance des groupes en
institution, je voulais ajouter que ces groupes de résistance, on en fait tous. Vous arrivez
un premier jour quelque part, dans une formation ou à l’université, par exemple, la
première chose que vous faites c’est de vous trouver deux trois copains, et de tenter de
constituer un groupe de résistance.
Malheureusement les personnes âgées en établissement ne peuvent pas constituer des
groupes « d’autodéfense » car elles n’arrivent pas à s’investir les unes les autres, pas
plus que nous les investissons. Elles sont de passage les unes pour les autres, tout
comme nous sommes des soignants de passage prenant en charge des malades de
passage. Soignants « clonables », patients « clonables », nous risquons de nous sentir
respectivement comme autant de pions, dans l’impossibilité de s’appuyer sur une relation
vraiment durable. Cela étant, quand un patient meurt c’est « un malade » qui meurt.
C’est certes la mort de Monsieur Untel, mais c’est la mort d’un malade, jusqu’au prochain
qui etc. Je caricature, mais pas beaucoup.
C’est pour cela qu’on leur propose des groupes thérapeutiques. Des groupes
d’appartenance, certes artificiels mais des groupes fermés (aucune personne ne rentre
dans le groupe sans être annoncé, intronisé) et là, effectivement, une alchimie se crée
entre eux, aussi déments soient-ils, car au bout de 20, 30, 50 séances, une histoire
commune s’est construite, entre ce petit noyau de gens qui ont pris des rituels ensemble.
C’est tout ce qu’on peut leur proposer car ils n’arrivent plus à investir l’extérieur. Si on
leur propose de rentrer chez eux pour une journée, ils sont tellement vidés de leur
personne, de leur identité, qu’ils ne peuvent même plus assumer cette dualité de celui de
dehors et celui de dedans et que, très vite, ils demandent à regagner l’institution !
Geneviève Laroque
Vous me parlez de gens qui ne sont ni résistants ni résilients. Mais il y a parmi les
personnes âgées des personnes qui sont résistantes ou résilientes, qui ne sont pas
« décrochées », que vous n’avez pas besoin de « raccrocher » de manière un peu
artificielle.
Gérard Ribes
La résilience est la transformation de quelque chose, alors que la résistance reste sur le
même registre. Dans l’absolu, on n’a pas besoin d’être résilient pour bien vivre. Il y a de
nombreuses personnes qui sont capables de se gérer dans environnement et qui ne
rencontrent pas de traumatisme, donc il n’y pas de résilience, parce qu’il y a assez de
lien, ou parce que rien n’est vécu comme un traumatisme.
Il y a un certains nombres de traumatismes qu’on peut repérer, comme les traumatismes
de guerre, qui sont extrêmement importants, auxquels il est difficile d’échapper si on
n’est pas résilient, mais il y a un certain nombre de choses où les gens se délivrent au fur
et à mesure d’un certains nombres de traumatismes et où la question de la résilience ne
se pose même pas.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Discussion
Ne serait-il pas nécessaire de rétablir la neuropsychiatrie pour les malades
d’Alzheimer ?
Louis Ploton
Je n’en suis pas certain. Ce dont je suis certain c’est que pendant longtemps ce sont les
psychiatres qui se sont intéressés aux malades et qui s’en sont occupés. Depuis quelques
temps les neurologues s’y intéressent. Mais, je vais être très désagréable, j’ai
l’impression qu’il y a actuellement le risque de s’intéresser plus à la maladie qu’aux
malades, à ce qu’ils vivent, à ce qui se passe dans leur tête, à la façon dont les choses se
passent de leur point de vue. C’est en ce sens que je pense être un psychiatre
subjectiviste, je dirais même psychiste, m’intéressant donc aux interactions, à
l’intersubjectivité, aux phénomènes de communication. Je ne m’intéresse pas à ce qui se
passe du côté du « hardware », c'est-à-dire du neurone, même si je suis bien content
d’avoir des médicaments pour éventuellement modifier ce qui se passe sur ce plan là. Ça
peut dépanner, mais ça ne remplace pas tout. On peut modifier éventuellement des
échanges neuronaux, des seuils de sensibilité, la résistance aux émotions. On put viser à
rendre un confort de pensée ou un confort psychique au malade, en l’aidant à maîtriser
mieux ses émotions, par exemple pour moins délirer, mais ce n’est pas dans une
démarche neuropsychiatrique.
Gérard Ribes
Moi non plus je ne suis pas dans la neuropsychiatrie mais par contre je pense qu’il serait
intéressant d’introduire la psychoneurologie, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
Ce serait peut être un lien intéressant entre le « hardware » et le « software ».
Comment expliquer à une famille que leur parent atteint de la maladie
d’Alzheimer, est consentent pour une relation sexuelle hors mariage, au sein de
l’institution, ce qui est une situation que nous rencontrons parfois ?
Gérard Ribes :
C’est une question habituelle : quelle est la capacité à dire non de cette patiente dans
d’autres domaines de son existence ? Je prends souvent la comparaison, au moment des
soins de toilette : quelle est sa capacité à dire non, à limiter les choses ? Cette question
est omniprésente, et dans ces cas là je travaille avec les familles sur cette question du
oui et du non.
Marie France Maugourd, gériatre :
Je pense que ce genre de problème est très douloureux pour les familles. Dans mon
service, il y a des loquets aux portes, ce qui a d’ailleurs été un sujet de bagarre pas
possible, avec un directeur par ailleurs fabuleux. On arrive à discuter de ce sujet avec
l’équipe, mais c’est plus difficile avec les familles. C’est vraiment le travail d’un
psychologue ou d’un psychiatre de leur faire comprendre cela.
Gérard Ribes :
C’est vrai que c’est un accompagnement, et je vous conseille de vous procurer un film
qui s’appelle « nos amours de vieillesse », c’est un documentaire auquel j’ai participé qui
exprime bien ce que peuvent vivre les familles dans cette situation, qui est d’abord du
niveau de l’impensable, car cela pose la question de la représentation de la sexualité de
ses parents et de l’impensable de cette sexualité. Et ça va poser la question de l’abandon
« tu n’es plus notre mère /notre père, car tu vas t’intéresser à quelqu’un d’autre ».
Il y a également la question de la fidélité post-mortem « tu es en train de le tromper »
(celui qui est mort). Se surajoute aussi les règlements de compte qui font qu’on va
appuyer sur cette zone sensible et douloureuse des deux côtés.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
19
C’est pour cela qu’il faut, à mon avis, dans le travail de l’institution, que cette question là
soit posée dès l’arrivée d’une personne âgée : comment va-t-on aborder cette
éventualité avec la famille, comment va-t-on y réfléchir avec elle ?
Autre élément : parfois, il faut savoir être extrêmement protecteur par rapport aux âgés.
Il m’est arrivé, assez récemment d’ailleurs d’être face à une famille en disant ok, vous ne
voulez pas que ça se passe, vous allez voir le juge des tutelles et vous le mettez sous
tutelle. Ca veut dire que vous le considérez comme non responsable de ses actes. C’était
un monsieur, en l’occurrence, qui était parfaitement responsable de ses actes. Est-ce
qu’il est responsable de ses choix ou pas ? Donc on a parfois à protéger la personne
âgée.
J’ai entendu une famille confrontée au même problème dire au directeur d’une institution
« c’est le bordel chez vous », au sens propre du terme. Et après ça pose la question de la
définition de l’institution : est-ce que c’est un lieu de vie privée avec tous les éléments de
la vie privée, ou est ce que c’est un lieu de soins publics ? Et là aussi tout le travail sur
les représentations entre le public et le privée, sur ce lieu de vie où les soignants
viennent travailler, sur cet espace privé, c’est une question très importante à aborder en
amont, avant les questions autour de la sexualité.
N’y a-t-il pas une impossibilité culturelle franco française à penser la sexualité
et le plaisir du fait même de l’institution ? je me réfère au colloque qui a eu lieu en
2004 organisé par l’association internationale d’études scientifiques de la déficience
mentale, ou 2 400 participants étaient venus du monde entier et où il n’y avait à peu
près que 40 français présents. Il y avait des interventions sur l’accompagnement des
couples gays et lesbiens atteints des fonctions supérieures. On avait l’impression qu’en
France on était aux antipodes de tout cela. Par exemple, combien d’institutions chez nous
ont des lits doubles ?
Gérard Ribes
Quand on a commencé à travailler à la réflexion sur le film que je vous ai mentionné,
dont la réalisatrice s’appelle Hélène Milano, ne connaissait pas du tout le monde de la
gériatrie et de la gérontologie. Donc je l’ai emmenée dans des institutions que je
connaissais, et la première chose qu’elle m’a dit c’est : « ils sont où les lits doubles ? ».
Je ne m’étais jamais rendu compte qu’il n’y en avait pas. Cela illustre le fait que parfois
on est atteint de cécité.
Geneviève Laroque
On a cette cécité à l’égard de toutes les personnes atteintes de handicap. On a la même
chose à l’égard des trentenaires en institution. Ca commence à bouger. J’ai vu une
inflexion il y a une dizaine d’années, mais il y a encore de nombreuses réticences
culturelles de la part de tout le monde. De la part des parents, parents d’anciens enfants
handicapés ou enfants de parents handicapés, c’est fréquent. Je me souviens de parents
m’ayant dit à propos de leur fils, handicapé, hébergé en institution, et qui avait une
attirance pour une autre jeune fille : « vous savez, il a été très vilain ».
Il y a un mélange de cécité, de moralité mal placée, de préjugés, d’ignorance qui
commence à bouger. Les plus âgés savent qu’aujourd’hui, par rapport à il y a une
vingtaine d’années, l’attitude des professionnels a été bouleversée. L’attitude des familles
commence à bouger mais lentement. Mais elle est déjà très difficile lorsqu’il s’agit de
jeunes (je pense à des parents d’enfants de 25/30 ans), indignés du remariage de
parents dans la cinquantaine ou la soixantaine, avec une notion de trahison. La sexualité
des parents semble insupportable. Il y a donc quelque chose à désacraliser. Ce que je me
demande, c’est où on en est, dans une société où la recomposition des familles et des
couples va entraîner une évolution de la culture des gens de tous âges : si on considère à
15 ans comme normal que maman soit avec un autre monsieur que papa et papa avec
une autre dame que maman, et qu’on en soit pas complètement traumatisé, il est
possible qu’il y ait une évolution culturelle qui portera ses fruits dans une trentaine
d’années.
Gérard Ribes
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Les sociologues ont aussi récemment mis en lumière les divorces des plus de soixante
ans : Ils ont été multipliés par six ces trois dernières années. Donc on a une
recomposition familiale à un niveau encore supérieur. Cette zone qui était considérée
comme « stable » devient donc instable.
Je voudrais ajouter que je travaille sur ces problèmes éthiques depuis une dizaine
d’années. Il y a dix ans, quand je faisais un colloque tous les deux ans sur le thème de la
sexualité, c’était extraordinaire. Aujourd’hui, en un mois, j’en fais 5 ce qui prouve qu’il y
a quelque chose qui évolue très rapidement.
Monique Ferry
On est cependant encore loin d’avoir résolu tous les problèmes, car c’est encore une
cause d’exclusion dans les maisons de retraite comme dans les structures accueillant des
personnes handicapées.
Gérard Ribes
Et cela est dû au fait que ce sont des institutions soignantes, et non des lieux de vie.
Jérôme Pellissier
Il est encore courant de voir le modèle des 14 besoins de Virginia Anderson enseigné
sans qu’ils comprennent la sexualité.
Marie France Maugourd
Dans le département de l’Essonne, une famille voulait empêcher son père, atteint de la
maladie d’Alzheimer, de recevoir son amie, avec qui il avait vécu un certain nombre
d’années, dans la maison de retraite. Ils avaient obtenu de la maison de retraite qu’ils
empêchent que son amie vienne. Il a fallu appeler le directeur de la maison de retraite
pour étudier cette situation.
Bernard Duportet
Dans ces divorces de la post soixantaine, quel est le rapport des divorces pour quelque
chose ou contre quelque chose ?
Gérard Ribes
Les sociologues pourront nous le dire, mais d’ici dix ans, car les sociologues ont besoin
de temps pour saisir les choses… Mais ce qui compte c’est qu’on trouve maintenant des
générations où la question de l’individualité est une question centrale, et je pense que
c’est un élément clef pour comprendre ces divorces. L’état d’esprit précédent était plus
de conserver une collectivité.
Geneviève Laroque
On est dans une injonction paradoxale : on insiste beaucoup sur le maintien des liens
familiaux, la prise en charge autant que possible des personnes fragilisées par sa famille,
et en même temps on demande à cette famille de respecter l’indépendance de cette
personne. Je crois qu’il y a un travail à faire sur comment en même temps encourager et
soutenir les liens familiaux et encourager en même temps l’indépendance de chacun de
ses membres.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Une lucarne dans un monde de confusion, François Arnold
Par ma formation artistique et mon expérience dans
l’animation, je sais que l’art permet d’aider une expression
parfois handicapée par la parole, la timidité, le manque de
vocabulaire etc.…
J’avais , dans mon passé d’animateur, marqué par ailleurs
par ma formation à l’École des Arts déco à Strasbourg, pu
expérimenter combien alors que les autre moyens
d’expression venaient à manquer combien l’art, sous
toutes ses formes pouvait palier à ces difficultés et ces
blocages. J’ai d’abord beaucoup travaillé avec des jeunes
meurtris par la vie : personnes au chômage, sorties de
prison, vivant dans la rue, personnes aussi apparemment
insérées dans notre société mais vivant de tragiques
solitudes aux racines diverses. D’elles j’ai appris la manière d’approcher quelqu’un qui
pense ne plus rien avoir à dire, à faire, à partager, à vivre avec d’autres.
Lorsqu’il y a bientôt 15 ans, sur les instances d’une amie, j’ai commencé les ateliers de
peinture à l’hôpital Georges Clemenceau, je me suis dit « oui, pourquoi pas », mais je ne
connaissais rien aux maladies, à l’âge, je ne connaissais pas Alzheimer ou les autres
maladies handicapantes. J’ai donc eu peur de me lancer dans ce monde là, et la première
chose que j’ai faite a été de m’entourer d’animatrices qui, elles, connaissaient ce monde.
J’ai formé cette équipe en disant que d’abord nous devions nous faire plaisir nous-même.
Elles ont donc appris à peindre, ce qu’elles n’avaient jamais fait ou osé faire.
Je vous parlerai d’abord mes découvertes personnelles. On ne fait bien que ce qu’on fait
avec plaisir, et depuis que ces ateliers ont commencé, je les anime toujours avec plaisir.
Chaque mardi je m’en vais avec un énorme plaisir à l’hôpital et j’en reviens avec un
plaisir encore augmenté.
J’ai découvert qu’il fallait utiliser des choses que les personnes âgées pouvaient savoir.
Par exemple, elles ont toutes appris à écrire avec une plume sergent major, avec des
gras et des déliés. J’ai donc utilisé le pinceau, qui est comme une plume sergent major
améliorée, puisque quand vous traînez légèrement, vous avez une petite ligne fine,
tandis que si vous le pressez, la ligne s’épaissit. Ca fait donc un « effet bœuf »
extraordinaire, puisque vous pouvez dessiner une magnifique feuille en deux, trois coups
de pinceau. C’est ce qu’on appelle « la peinture sur bois ».
Cela a permis de retrouver des souvenirs, des gestes, de parler de ces moments de
jeunesse etc.
Il y a 10/15 personnes par atelier, avec deux animatrices et moi. On rit beaucoup, on
chante, c’est très détendu.
Pour moi c’est un plaisir, et pour les participants aussi. Il y a quelques jours j’ai été
interviewé par une journaliste de France Culture pour une émission qui passera cet
après-midi sur « art et Alzheimer ». L’une des questions était : « Quelle influence vos
ateliers ont-ils sur la maladie d’Alzheimer ? ». Je ne sais pas. On ne peut pas guérir de
cette maladie comme on ne peut pas guérir de la vieillesse, mais je sais que ces
moments sont des moments volés dans une vie parfois triste. Je dirais que c’est une
lucarne ouverte dans un monde de confusion, des instants précieux où se passe quelque
chose. Ce ne sont que des instants, ils ne durent jamais plus d’une heure et demi, mais
ils sont lumineux et c’est tout ce que je peux faire.
Le fait qu’en partant du dernier atelier les participants m’aient dit « on a calculé le
nombre de mardis où on ne ferait pas d’ateliers (en raison de ce colloque), et il faut
attendre trois semaines ! » c’est signe que ça leur apporte quelque chose.
Je ne veux pas parler abstraitement donc je voudrais vous raconter une petite histoire
avant de commenter quelques images.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Rachel était une pied-noire qui venait en fauteuil roulant, toujours
rayonnante. Elle rêvait toujours de l’Algérie, elle était toujours en
Algérie. Un jour de printemps, notre thème était de faire fleurir une
branche. Je dessine une petite branche sur le papier, car il ne faut pas
que le papier soit blanc, et je demande à Rachel de la faire fleurir. Un
quart d’heure après, je retrouve Rachel, maussade, ayant mélangé sur
sa palette toutes les couleurs. Je n’utilise pas le noir, mais ce qui
résultait du mélange était une espèce d’infect gris sombre. Elle a
appliqué cette couleur sur sa branche en disant « jamais mon bâton
ne fleurira » « mais si, on va faire quelque chose ». Je lui refais une
palette, mais je garde la tache qu’elle avait faite sur le papier.
« Quelle couleur aimez-vous ? » « Le rouge » « d’accord, alors on va allumer ce bâton ».
Je lui ai laissé la palette, avec le rouge, et quand j’ai revu ensuite son dessin, il y avait
une tache noire qui commençait à flamboyer, puis du bleu, du blanc, et elle m’a dit en
souriant « Mon bâton a fleuri, et moi je vais mieux » (voir illustration). Chaque peinture
est une histoire, donc pour les participants elles sont précieuses. Ils les amènent chez
eux. Je ne sais pas comment les parents estiment la création de leur grand-mère ou de
leur grand père, mais pour moi c’est quelque chose de très beau.
J’ai calculé que pendant ces 13 années on a dû en faire près de 10 000. Je vais essayer
de vous commenter quelques unes de ces peintures. La plupart ont été faites par des
gens qui ne sont plus parmi nous. C’est pour ça que par affection je les appelle par leur
prénom.
Ce sont des tournesols, même s’ils ne sont pas entièrement sur la feuille.
Vous voyez ce que j’appelle le style Alzheimer. Je vous ai parlé des gras
et des déliés, mais cela suppose qu’on soit assez sûr de ses doigts, de
ses mains, de sa pensée. Or la plupart du temps ça devient des points,
car les personnes hésitent, ne sont pas capables de faire un trait continu,
donc elles font des petits points. En plus, cette technique est reposante.
Il faut cependant que l’animateur propose de temps en temps de prendre
une autre couleur, sinon tout est de la même couleur. Pour moi cette
technique est typique de cette maladie. Cette peinture représente une
heure et demi de travail, de bonheur, de tranquillité, pour des gens qui
sont souvent agités.
C’est une peinture faite par Odette, qui était atteinte fortement,
elle marchait de long en large dans le couloir, venait s’asseoir.
C’est un paysage qui n’a que de petits traits, des touches très
fines, qui lui ressemblaient car elle était toute menue. Pendant
une heure elle travaillait là-dessus, et la fois d’après elle le
reprenait. Elle a passé trois séances sur cette peinture. Ce fut
sa dernière œuvre, car après elle n’est plus venue, donc je
suppose qu’elle n’est plus avec nous.
Une grappe de raisin qui a été travaillée pendant une heure. La dame
s’arrêtait de temps en temps, revenait lorsqu’on lui disait « oui, mais
votre raisin, il n’est pas très mûr » ou « il n’est pas très gros », alors
elle faisait un nouveau grain, et de petit grain en petit grain il y a eu
une grappe.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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C’est un parapluie. Renée a mis longtemps pour le faire. Elle s’est
découragée, elle est donc descendue en bas à gauche de la feuille pour
commencer un autre dessin, puis elle est revenue au dessin principal.
Je lui ai ensuite demandé de dessiner la personne qui tient le
parapluie, elle a décidé de dessiner un homme. On riait beaucoup avec
elle. Un jour où j’embrassais l’animatrice qui partait, Renée m’a dit
« et nous donc ? » « Mais je n’oserais pas » « mais osez, osez, vous
savez combien ça nous fait du bien ». J’ai découvert avec eux
l’importance de la tendresse, du contact.
Ce papillon a une histoire extraordinaire : un jour je vois arriver les
deux animatrices, traînant presque une personne, tant elle était faible,
mais elle voulait absolument venir. Alors on l’a installée et je lui ai
demandé ce qu’elle voulait faire. Elle voulait faire un papillon, même si
elle en avait déjà fait des centaines. Elle s’est mise à ce papillon, et au
fur et à mesure, elle, elle revenait à la vie. Je lui ai demandé si elle me
le prêterait pour ma collection :
« - je veux bien mais ce soir maman va arriver et il faut que je lui
montre.
- ce soir, quand votre maman arrivera, vous m’appelez et je vous le
redonne ».
Bien sûr, sa maman n’est jamais arrivée, parce que la personne avait
85 ans, sa mère ne vivait plus depuis longtemps, mais j’ai appris à « jouer » avec eux.
C’est une peinture de Simone. Elle avait le chic pour donner des noms
à ses peintures. Ce sont des « étoiles affamées et affamantes ». Elle
n’avait que des noms comme cela. Les petites feuilles ne lui
suffisaient pas, le dessin continuait sur la table, là je n’ai que l’extrait
sur le papier. On la laissait peindre sur la table, c’était presque
dommage de l’essuyer à la fin. Elle signait toujours « Philippe et
Simone » même si Philippe était mort depuis longtemps.
L’importance de ces ateliers est de permettre aux participants de vivre heureux ensemble
pendant ce temps, de leur offrir un petit moment volé, une lucarne, pour sortir de temps
en temps de leur vie « abstraite ».
*******************************************
Interventions de la salle
Intervention de Marie France Maugourd :
François, tu donnes énormément de joie et de plaisir à nos patients. Je voudrais que tu
nous expliques comment tu gères les personnes qui n’y arrivent pas, qui sont
désespérées car elles n’arrivent à rien. Comme fais-tu pour qu’elles ne ressortent pas
avec un sentiment d’échec ?
François Arnold :
C’est évidement le grand problème. Déjà on fait un choix : c’est le personnel qui amène
les gens en se disant que pour cette personne l’atelier peut être intéressant. Mais ce
n’est pas toujours un bon choix. Il y en a d’autres qui arrivent en disant « moi on m’a
amené ici, qu’est-ce que je dois faire ? ». J’essaie de retrouver des souvenirs liés à la
peinture « ah oui, au certificat d’étude, j’avais une table avec des perspectives etc.… j’ai
eu un zéro et depuis je ne fais plus de peinture ». Il y a parfois des blocages qu’il faut
démonter.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Ensuite, je prends différentes techniques selon mon inspiration ou ce que je sens de la
personne : « si vous faisiez un petit rond qu’on va remplir ». Au fur et à mesure, on
amplifie cela. Il est très très rare que je ne réussisse pas à faire faire quelque chose, car
c’est indispensable de ne pas rester sur un échec. Je regarde aussi les techniques, ce qui
semble le plus attirer : le pointillisme, les vagues... J’interviens toujours à la toute fin,
pour mettre un peu de « brillant », un point blanc dans un œil par exemple.
J’ai oublié de dire que chaque atelier finit par une exposition qui est l’occasion de
s’admirer mutuellement et de se dire « qu’est-ce qu’on est bien ! ».
Je voudrais savoir quel est le destin de ces œuvres ?
Elles appartiennent aux personnes qui les signent, c’est un geste important. Si elles
n’arrivent pas à signer, elles font un gribouillage, et l’animatrice indique le nom. Les
participants les amènent ensuite chez eux. Parfois ils refusent de signer, en considérant
que ce n’est pas bien. On respecte alors leur décision.
Je demande parfois s’ils acceptent de me laisser leur peinture, pour la grande exposition
organisée à la fin de l’année, avec vernissage etc.… On redistribue ensuite les peintures à
leurs auteurs. Ces dessins qui me sont restés sont celles de personnes qui ont disparu
entre temps, ou qui parfois me les ont offertes.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Plaisir et démence, François Bonnevay
François Bonnevay n’ayant pas pu être présent, Jérôme
Pellissier, qui travaille ponctuellement avec lui s’est chargé
de la lecture du texte qu’il avait préparé.
Plaisir et démence : voilà un titre particulièrement
provocateur, puisqu’à ce jour, lorsqu’on regarde le tableau
que présentent les personnes atteintes d’un syndrome
démentiel à un stade sévère ou très sévère de la maladie,
on peut effectivement s’interroger sur la permanence du
plaisir.
Le sujet de cette communication va être davantage centré
sur la prise en soins en institution des personnes atteintes
d’un syndrome démentiel à un stade sévère, qu’il soit lié à une maladie d’Alzheimer ou à
une maladie apparentée. Comment cette prise en soins peut-elle prendre en compte la
motivation, comment nous avons pu, dans l’Unité de Soins de Longue Durée dont je
m’occupe à l’hôpital Marmande Tonneins, mener un travail sur la compréhension des
ressorts émotionnels et sur la recherche de plaisirs pour les personnes malades.
Tout d’abord, permettez-moi un bref portrait de l’USLD de l’Hôpital Marmande Tonneins,
unité de vie Alzheimer :
C’est une structure de 25 lits, plus 3 lits d’accueil temporaire ou de jour, qui est dédiée
uniquement aux patients qui présentent une maladie d’Alzheimer, ou maladie
apparentée, à un stade sévère ou très sévère de la maladie. Actuellement, l’ensemble
des personnes malades qui vivent dans cette unité sont porteuses de la maladie à un
stade très sévère (Mini Mental Status (MMS) inférieur à 3) et présentent des troubles
psycho-comportementaux extrêmement sévères (déambulation, errance, etc.) ;
Cette unité a ouvert début 2002. L’ensemble du projet, au niveau des aménagements
architecturaux comme au niveau du projet de soins et du projet de vie, a été élaboré
avant l’ouverture de l’Unité et adapté spécifiquement, avec un soutien incontestable des
autorités de tutelles (DDASS comme DDVS).
Pour commencer mon propos, je voudrais revenir sur des données de psychopathologies
et de neuropsychologies.
La personne atteinte de maladie d’Alzheimer est très souvent un patient déprimé (des
études nous indiquent jusqu’à 80 % de ces patients atteints de syndrome dépressif).
Cette dépression se présente sous l’aspect d’une altération de l’humeur accompagnée de
troubles de la motivation. L’altération de l’humeur est peut-être une des conséquences
de la perception, tout au moins en début de maladie, d’un dysfonctionnement cognitif.
Perception rarement exprimée telle quelle, mais souvent sous la forme d’expressions,
bien connues des cliniciens, comme : « Ma tête ne va pas… », « Ma tête est brouillée… »,
« Je deviens bête…. » etc. L’altération de la motivation, quant à elle, entraîne
essentiellement une perte d’initiative et une perte de l’élan vital.
Sous l’impulsion de neuropsychologues comme DAMASIO, la neuropsychologie a évolué
vers une analyse non plus du « pouvoir faire » mais davantage du « vouloir faire » et
nous sommes ainsi passés de la connaissance des capacités à la connaissance des
motivations.
Parallèlement, la neuropsychologie s’est intéressé de plus en plus à la motivation et aux
émotions, et a souligné en particulier le rôle fondamental de plusieurs zones cérébrales :
l’hypothalamus, l’amygdale temporale, le cortex pré-frontal et les noyaux gris centraux.
Les études anatomopathologiques mettent en évidence que l’amygdale temporale est
sévèrement atteinte dans la maladie d’Alzheimer, avec une atrophie en général précoce
et sévère.
Cette atrophie rend compte des dysfonctionnements des processus de contrôle
émotionnel comme l’ont montré MORAN et autre dans les années 1990. Mais attention :
cette altération du contrôle émotionnel ne fait pas pour autant disparaître l’émotion en
tant que telle. Il y a un ressenti mais avec des difficultés à gérer la réponse.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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DAMASIO, on s’en souvient, avait évoqué le rôle des « émotions primaires » dans les
variations des performances cognitives, en pointant notamment l’implication du lobe
frontal. Bien que ce rôle ait été discuté, comme sont encore discutées la manière dont
interagissent émotions primaires et émotions secondaires, il apparaît néanmoins certain
que, comme le souligne Bernard LAURENT, les réponses émotionnelles immédiates
peuvent précéder le traitement cognitif élaboré. Ce qui nous amène à penser que,
lorsque le traitement cognitif élaboré n’est plus possible, la conduite de la personne va
pouvoir être dominée par le ressenti et la réponse émotionnelle immédiats.
Chez la personne atteinte de maladie d’Alzheimer, la réaction émotionnelle primaire sera
influencée par l’expression du regard, par la qualité de la voix, par la manière dont est
effectué le toucher. Toutes ces sensations et perceptions seront préservées très
longtemps au décours de l’évolution de la maladie.
C’est donc en nous appuyant sur ces connaissances que nous avons pu envisager la prise
en soins de patients atteints de maladie d’Alzheimer et maladies apparentées dans
l’USLD de Marmande Tonneins.
Les stratégies de communication au niveau des soins critiques ont été apprises. Cet
apprentissage a pris appui sur la méthodologie de soins GINESTE-MARESCOTTI. Une
formation a été faite à deux reprises pour la totalité des intervenants de l’USLD, quelle
que soit leur fonction. Progressivement, après ces formations, nous avons pu travailler
sur toutes les stratégies de prises en soin destinées à accroître les motivations,
stratégies essentiellement axées, donc, sur la notion de recherche de plaisirs.
Le plus éclairant est sans doute que je vous raconte quelques moments d’une journéetype telle que nous les vivons avec les résidents de l’Unité.
Nous allons commencer par le réveil.
Le réveil, le matin, doit être le plus possible un moment de plaisir pour le résident.
Chaque réveil ne peut donc être qu’individualisé et doit tenir compte de l’histoire et des
habitudes de la personne.
A titre d’exemple :
- Monsieur G. L’aide-soignant frappe à la porte de sa chambre, attend puis face au
silence prolongé, rentre dans la chambre de Mr G., relève le rideau, ouvre les
fenêtres puis met en route un poste de radio avec une cassette de musique
(musique espagnole). Mr G., qui déteste être réveillé trop brusquement, se
réveille doucement au son de cette musique qui lui rappelle son enfance en
Espagne. Mr G. est atteint d’une maladie d’Alzheimer à un stade très sévère. Pour
lui, sur le plan émotionnel, sa journée ne pourra commencer avec plaisir que s’il
est réveillé de cette manière là.
- Pour Mme S c’est tout autre chose : on entrouvre la porte de sa chambre, puis on
allume une veilleuse et là, avant quoi que se soit, on l’appelle par son prénom,
puis on lui dit bonjour en lui faisant la bise. C’est ce réveil-là qui lui permet de se
sentir bien, et de commencer sa journée correctement.
- Pour d’autres patients, c’est le petit déjeuner qui est apporté en premier,
quasiment au lit, dans la chambre.
Bref, chaque patient a le réveil qui lui est le plus agréable. Le but est bien sûr d’éviter de
déclencher un trouble psycho-comportemental, un ressenti émotionnel négatif, qui va
grever l’ensemble de la journée.
De la même manière, l’aide à la toilette est axée sur la recherche de moments de
plaisirs. La toilette va être un moment pacifié, un moment où chaque geste, chaque soin
est destiné à être ressenti par le patient aidé comme un soin de plaisir et un élément de
plaisir. Au décours de cette toilette, il arrive bien sûr des moments où la perception de
l’aide qu’on lui apporte peut devenir désagréable. On utilise alors différentes techniques
(techniques de diversion, de validation, de capture sensorielle, etc.) pour éviter que la
sensation désagréable ne persiste, n’enfle et se transforme en un tel moment de déplaisir
qu’il entraîne une réaction avec un trouble psycho-comportemental difficile à gérer.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Commentaire de Jérôme Pellissier :
Les moteurs de recherche permettent de trouver de nombreuses
informations sur ces sujets. Pour la validation, il faut voir les travaux de
Naomi Feil. Pour la diversion, il s’agit de profiter du fait que la faculté
d’attention est altérée au cours de la maladie. La technique consiste à
focaliser l’attention sur un sujet autre que le soin apporté. Ce sont souvent
des toilettes à deux où un soignant fait le soin et l’autre maintient en
permanence le contact avec la personne, par le regard si possible, par la
parole
ou
l’écoute
et
parfois
par
le
toucher
également. Des
neuropsychologues canadiens (Daniel Geneau – Daniel Taillefer) ont
beaucoup travaillé sur ce sujet. La capture sensorielle, qui fait partie de la
méthodologie de soins Gineste-Marescotti, est une technique qui consiste à
avoir le plus possible de communication avec la personne grâce au regard,
au toucher, à la parole, en même temps.
Le repas doit lui aussi être un moment de plaisir, plaisir par convivialité, plaisir des yeux,
plaisir de la texture. Au stade sévère de la maladie, les résidents ont à la fois de grosses
difficultés praxiques, pour manger et/ou pour déglutir, et des difficultés gnosiques pour
reconnaître certains aliments.
Commentaire de Jérôme Pellissier :
Le « finger food » est une alimentation qui est faite pour être facilement
mangée avec les doigts, pour que la personne se nourrisse elle-même le plus
longtemps possible quand elle ne sait plus utiliser des couverts.
Il est intéressant de constater que ces mêmes résidents, lorsqu’ils sont à l’extérieur de
l’Unité (ce qui arrive de temps en temps, lorsque nous les accompagnons passer une
journée à l’extérieur, voire un week-end prolongé, dans un village de la CAF situé non
loin de TONNEINS), modifient leur comportement alimentaire. Nous constatons alors que
ces patients, par le plaisir de se retrouver « au restaurant », restaurent en quelque sorte
leurs capacités praxiques et gnosiques. Les couverts sont souvent repris, les hachés et
mixés disparaissent comme par hasard…, sauf qu’il ne s’agit pas de hasard mais de
plaisir (plaisir du cadre, du partage, de l’atmosphère...).
Les activités dites « ateliers thérapeutiques » ne peuvent, d’une certaine manière,
qu’être des ateliers de sociothérapie, pour reprendre le terme de Louis PLOTON. Basés
sur le plaisir d’être encore en société et membre à part entière de la société. Nous
considérons qu’un atelier axé uniquement sur la recherche de la simulation cognitive, axé
exclusivement sur des activités sans qu’il y ait une recherche de plaisir, est une erreur.
De tels ateliers ne sont bien souvent que motivant pour l’animateur… aux dépens de la
reconnaissance de l’autre dans sa quête de motivation, dans sa recherche de plaisir et
dans l’utilisation de son émotion.
Le coucher comme le lever, dans l’Unité, se fait quand le patient le veut. Il se couche
quand il a envie d’aller se coucher ; il arrive également qu’il ne se couche pas ou qu’il
dorme dans le lieu de vie principal (dans un fauteuil) ou même qu’il accompagne l’équipe
de nuit pendant toute une partie de son activité.
Il est vrai que pour réaliser ce type de structure et mettre en place ce type de
fonctionnement, nous avons disposé d’énormément de chance. D’une part nous avons pu
participer au projet architectural, et ainsi contribuer à ce que l’architecture soit
essentiellement prothétique. D’autre part, nous pouvons élaborer un projet de soins
individualisé grâce à la connaissance des résidents par leur histoire de vie, par les
grandes étapes de leur vie, leurs habitudes, leurs goûts, la reconstitution de leur
parcours de vie, et ceci avec l’aide des familles comme des amis. Nous avons pu, à
chaque fois, le faire en amont de l’admission dans la structure, puis le compléter dès les
premiers jours.
Nous sommes, il faut le préciser, attentifs à tenter de toujours repérer dans leur histoire
de vie les événements à forte charge émotionnelle, ce qui nous permet d’une part d’avoir
un effet positif vis-à-vis des familles mais également de repérer quels pourront être par
la suite les éléments à éviter (porteurs de charges émotionnelles négatives) ou, au
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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contraire, les éléments à favoriser et les moyens de diversion utilisables en fonction des
charges émotionnelles positives des événements de la vie de ces patients.
Nous avons également des diagnostics de pathologie cognitive les plus précis possible.
Du type de pathologie, du stade de gravité, etc., grâce à des évaluations et des
réévaluations régulières, en analysant essentiellement l’ensemble des capacités
restantes, et en faisant participer toute l’équipe à ces évaluations. Nous procédons
également à l’analyse des conduites des patients avec repérage et décodage des troubles
du comportement et notamment de tous les comportements d’agitation pathologique
dont le retentissement sur la vie quotidienne est si important.
Nous avons pu également former l’ensemble de l’équipe soignante. Les soignants ont été
formés à la maladie d’Alzheimer avant l’ouverture de l’Unité pendant plusieurs jours et il
y a eu ensuite, comme je le disais en préambule, deux formations au cours des années
2004 et 2005 à la méthodologie de soins GINESTE-MARESCOTTI, nous ayant ainsi permis
d’apprendre les arcanes de la communication auprès de ces patients.
C’est cet ensemble d’organisation et d’objectifs préalables qui a permis au projet de soins
d’être pensé dans cette orientation-là. Et c’est parce qu’il a été ainsi pensé qu’il a pu
conduire à notre type de fonctionnement (lequel, soulignons-le, permet même de réduire
dans une importante mesure les intervention thérapeutiques médicamenteuses).
Ceci n’a aucune commune mesure avec la réalité rencontrée par beaucoup d’équipes
soignantes dans des structures qui préexistent et qu’il faut transformer, dans des équipes
qui ne sont pas forcément volontaires pour travailler auprès de ces patients, des équipes
dont le turn over est extrêmement rapide, ce qui ne permet pas d’avoir le temps de
formation nécessaire. Nous avons la chance d’avoir des gens qui sont volontaires,
formés, et dont le turn over est relativement peu important.
Les conditions d’exercice de beaucoup de collègues de travail et de confrères sont tout à
fait différentes. Bon nombre de services de long séjour ont des ratios qui sont souvent à
0,4 ou 0,5 alors que nous sommes à 0,8. Tout cela amène bien sûr des conditions
d’exercices et de projets tout à fait différentes.
Mon propos n’était pas, bien entendu, de proposer un modèle ou un moule à copier de ce
qu’on pourrait faire, mais tout simplement de montrer que même une personne atteinte
de syndrome démentiel, voire même justement une personne atteinte d’un syndrome
démentiel, reste, et je citerai de nouveau Louis PLOTON, « un être fondamentalement
instinctif, sensitif, émotionnel » et que l’angle d’intervention de la psychogériatrie ne peut
passer que par la connaissance de cet être émotionnel. Une connaissance qui implique
une analyse sur le plan du déplaisir, des difficultés que cet être peut rencontrer, et sur le
plan du plaisir, sur la recherche de ses motivations et de sa quête du bien-être.
Il peut y avoir, donc, démence et plaisir. L’une ne signifie donc pas forcément la négation
de l’autre. Et c’est bien cette permanence de la motivation, cette quête du plaisir, qui
font que la vie de ces patients se poursuit comme nous l’observons.
Je vous remercie de votre attention.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Communication non verbale, les cinq sens et le rôle de l’animal,
des pistes à explorer. Bernadette Le Nouvel et Didier Vernay
Didier Vernay n’ayant pas pu être présent, Bernadette Le
Nouvel a présenté seule leur travail commun.
Communiquer... C’est mettre en commun, ce qui n’est pas
rien quand on travaille auprès de personnes démentes. C’est
aussi selon l’étymologie (latin :communicare) faire partager,
s’associer prendre ou avoir part à, échanger.
Communiquer fait appel à des signes verbaux et non
verbaux, les sens participant à la communication non
verbale, comme les mimiques faciales, les regards et gestes
qui conservent une grande force communicationnelle, même
en l’absence de mots compréhensibles.
Les personnes âgées même réputées « démente »s conservent un désir et besoin de
communication. La vieillesse est différemment vécue d’un individu à l’autre. Il en est de
même pour la perte des sens qui l’accompagne.
L’activité même de penser et la capacité de se projeter de longue date dans la vieillesse
semble être bénéfique pour supporter les déficits sensoriels liés à l’âge et garder un sens
à sa vie, même à un âge avancé (Christian Heslon)
Ainsi, vieillir est pour chacun une crise existentielle, à l’adolescence, à l’âge adulte, lors
de la vieillesse. Devenir vieux et même très vieux avec diverses maladies et handicaps
sensoriels génère souvent doute, perte d’estime de soi, angoisse, agitation, exclusion,
dépression.
L’entourage de la personne âgée malade n’est pas indemne elle-même de ces sentiments
et représentations sociales associées.
Le contexte de polypathologie en gériatrie évoque encore trop souvent dans notre société
la destruction de l’individu avant la survenue de la mort elle-même.
Comment aider à surmonter cette crise ?
Il est important de rappeler ces actes de bon sens : être attentif, veiller au maintien de
l’autonomie en encourageant à compenser les déficiences, développer l’empathie, être
disponible, patient, formé. Voir autrement le quotidien et le faire voir aux personnes
âgées malades. Continuer à s’aimer malgré son corps qui vieillit, avec les déficiences
sensorielles.
Attention : Ne pas communiquer aggrave les déficits. On constate une perte sensorielle
importante qu’il s’agisse de personnes institutionnalisées ou en milieu carcéral
(Association de Gérontologie du 13°, Journée sur les 5 sens, 10 Mars 1998). Trouver et
retrouver une communication à travers les sens est primordial.
Communiquer reste possible, c’est même ce qui permet de continuer à trouver un sens
dans notre pratique de soignant :« A partir du moment où ce que nous faisons n’a plus
de sens, il n’y a plus de vie » (Docteur Michèle Salamagne, Médecin-Chef USP Paul
Brousse AP-HP). Par ailleurs, le docteur Philippe Leroux, chef de service Gériatrie au
centre hospitalier de St Nazaire, affirme qu’il est possible de conserver et développer une
communication malgré les déficits cognitifs, grâce à l’affectivité.
Ce sont des propos qui ont été tenus il y a plus de 15 ans, pourtant ce n’est pas facile de
les faire vivre au quotidien.
Communiquer, c’est exprimer les sensations : goûter, humer, écouter, regarder, toucher.
Pour aider celui qui souffre, c’est aussi ne pas se focaliser sur ce qui ne fonctionne plus
pour voir ce qui est encore indemne, préservé.
Les 5 sens sont pour cela précieux, pour découvrir d’autres modes d’expression et de
médiation.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Il faut d’abord une évaluation et un appareillage adapté, entretenus et mis (lunette,
appareil auditif, et appareil dentaire) pour réduire la sensation d’isolement, faciliter
l’autonomie en facilitant aussi l’orientation. Dans les cas où un sens baisse, les autres
viennent souvent le compenser, mais la déficience génère angoisse et difficultés.
L’odorat
L’odorat est un sens qui ne vieillit pas. Les cellules olfactives se régénèrent tous les 4
mois. Lorsqu’il est exploité, ce sens procure un grand plaisir et permet un lien avec la
réalité. Il favorise l’évocation des souvenirs. C’est aussi un sens qui s’éduque. Il est en
rapport avec des activités simples de la vie quotidienne. C’est un sens important à
travailler auprès des patients souffrant de déficits auditif et /ou visuel
Le goût
Lui aussi est un sens qui s’éduque. Apprendre à goûter c’est apprendre à trouver du
plaisir pour une personne muette. (Association de Gérontologie du 13°, Journée sur les 5
sens, 10 Mars 1998)
La vue
Le regard est rencontre avec l’autre : appel, demande, reproche, affrontement…
regarder son interlocuteur c’est être ni trop loin ni trop près, pour voir les expressions
des visages. L’échange y gagne en chaleur et en intimité. La baisse de l’acuité visuelle
atteint la perception des couleurs ou la sensibilité à la luminosité.
L’ouïe
Beaucoup de personnes souffrent de déficiences auditives. Même lorsqu’elles sont
correctement appareillées, les personnes peuvent manifester un repli sur soi (dépression,
troubles de l’attention).
Il est important d’installer la personne dans des conditions d’écoute favorable : à la
périphérie d’un groupe plutôt qu’au centre, se placer pour parler près de l’oreille qui
entend le mieux …
Le toucher
Contrairement à la vue et l’ouïe, le toucher ne vieillit pas, il garde une éternelle jeunesse.
C’est un sens particulier, puisque tout notre corps a des récepteurs sensoriels. C’est aussi
un sens qui est porteur d’une connotation sexuelle.
La peau est aussi un lieu d’échanges, de plaisir et de communication. Au-delà d’un
silence partagé ou d’un regard, il reste le toucher, frontière entre le dedans et le dehors.
Nous pouvons survivre à des privations sensorielles comme l’absence de lumière et de
bruit, à conditions que les stimulations tactiles demeurent.
D’où la nécessité de rétablir les massages et techniques corporelles pour combattre
l’appauvrissement affectif. Charlotte Memin, malheureusement décédée et psychologue
pionnière en gériatrie disait « Il y a là une véritable révolution à accomplir dans la
formation des soignants et plus particulièrement de nos mentalités même si des progrès
ont été faits » (2004).
Le toucher n’est pas un sens facilement encouragé, et pourtant il participe de la
communication et la facilite. C’est aussi une reconnaissance d’autrui. A tout âge on peut
apprendre à regarder avec les mains. Retrouver les émotions du toucher c’est aussi un
moyen de retrouver la mémoire, d’installer un dialogue. Essayons de redécouvrir cette
communication tactile avec une extrême délicatesse et un grand respect.
Essayons aussi de trouver la bonne distance. Chacun peut prendre conscience de ce sens
à travers les gestes du quotidien, pendant la toilette, les soins, le repas pour sentir ces
gestes agressifs, distraits, apaisants, chaleureux,…
En institution, lors des soins ; le port de gants instaure une nécessaire distance
thérapeutique, prévient les infections nosocomiales et préserve la pudeur du patient.
Le toucher est aussi le plus porteur de tabous et d’interdits, confondu de façon restrictive
à une manifestation de la sexualité. En fait il permet d’avoir des sensations infiniment
plus larges et variées
Le toucher permet également de faire naître un sentiment de sécurité. Se réfugier dans
la main de l’autre, adulte ou enfant, sentir sa présence, engage notre personne dans
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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notre affectivité. C’est un geste d’attention, d’amitié, d’affection, de tendresse, d’amour,
qui témoigne de la présence et de l’attention à autrui. La stimulation sensorielle
appartient donc au projet de soins et au projet de vie grâce à la réflexion d’une équipe
pluridisciplinaire association l’équipe d’animation.
Tout cela se fait par l’implication et la motivation des patients qui le souhaitent, des
familles, des amis, des professionnels de santé, des bénévoles
Les enjeux pour la personne âgée malade sont de renforcer le sentiment d’estime de soi
malgré les polypathologies, de lutter contre la perte d’identité, de découvrir de nouveaux
soins, de faciliter un apaisement physique et psychique par des soins non
médicamenteux
Les enjeux pour les familles et les proches sont de (re) découvrir des capacités et des
possibilités de s’investir dans des situations nouvelles, de prévenir le pré-deuil.
Mais où en est l’hôpital ?
Evaluer, normer, saisir, aseptiser, standardiser, respect du protocole, réévaluer….
Normer, saisir, aseptiser, standardiser….Tout cela malheureusement fait oublier trop
souvent la notion de plaisir et de liberté. Alors être soi : libre de choisir ou non la
solitude, de réfléchir, de méditer, de saisir les opportunités de changements devient
compliqué…
La présence de l’animal va pouvoir servir de médiation et d’ouverture, étant ainsi une
action indirecte de prévention de la maltraitance, en proposant et en encourageant un
autre regard et comportement avec la personne âgée malade, en luttant aussi contre
l’isolement et l’exclusion, en favorisant la socialisation.
Tout cela est apparu dans les années 50 avec Boris LEVINSON, psychologue pour
enfants, qui a observé les bénéfices assez exceptionnels de la présence de son chien
Jingles auprès d’enfants autistes. Depuis 77 les recherches et rencontres s’amplifient :
- CORSON, 1981 : chiens et chats placés dans des institutions gériatriques : rôle de
« catalyseurs de relations sociales »
- KATCHER, FRIEDMANN, THOMAS, 1983 : Caresser un animal familier réduit de façon
significative la pression artérielle, la température de la peau, et la fréquence du rythme
cardiaque
- SERPELL, 1986 : Posséder des animaux aide les enfants à se faire des amis
- ANDERSON, REID, JEMMINGS, 1992 : Les possesseurs d’un animal familier ont
statistiquement un taux de cholestérol et de triglycérides moins élevé que les nonpossesseurs
- BERGLER, 1992 : La compagnie d’un chien permet de surmonter des événements
difficiles (décès, divorce, maladie) et de réduire le stress lié au rythme et au mode de vie
contemporain
- EINIS, GRINSTEIN, STAVITSKI, ROSS, 1995 : L’animal structurant facilite la maturation
psychoaffective et psychomotrice des adolescents, canalise et contient l’agressivité
En gériatrie l’animal va réveiller les souvenirs, bousculer les idées moroses, combattre le
repli sur soi, encourager à avancer en cela il peut être un co-tuteur de résilience. Il
installe la routine de la normalité à la place du tour de force, et surtout, sans doute, il
considère son maître handicapé comme un personne ordinaire. Ce faisant, il lui permet,
dans une certaine mesure, de s’accepter, de se dépasser peut-être et de reprendre une
place dans la société…
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Animation et démence, Philippe Crône
En tant qu’animateur, lorsqu’on ma proposé d’intervenir
sur le thème du plaisir dans le soin, ça m’est apparu
comme une évidence, car le plaisir est l’essence du moteur
social et c’est toute ma carrière professionnelle… Mais en
20 minutes, ce n’est pas facile à résumer.
Je suis animateur à la maison de Retraite de Beaumont de
Lomagne (82) et Directeur/formateur de l’Institut GinesteMarescotti Animation.
Depuis 20 ans que je travaille comme animateur je suis à
la recherche du plaisir, le mien dans mon travail, mais
aussi et surtout, la recherche de celui des autres, les
résidents.
Le plaisir, les personnes âgées le vivent dans les activités, c’est ce qui donne envie de
participer, de revenir, mais attention ! Mon travail d’animateur n’est pas que de faire des
activités, il consiste à créer des liens entre les gens et que ces liens soient le terreau de
leur dynamique socioculturelle.
Comme cela a été dit ce matin en parlant d’appartenance. Mon travail est de faire en
sorte que ces personnes qui viennent vivre chez nous, qui abandonnent ou perdent
malgré elles leurs habitudes de vie et une partie de leurs racines, puissent reconstruire
leur vie.
Reconstruire sa vie veut dire être bien dans son corps et dans sa tête, être bien avec les
gens avec qui ont vit, être bien dans le milieu où on vit et avoir une perspective
d’évolution permanente qui est l’évolution socioculturelle.
L’engrais de ce lien est le plaisir. On ne peut pas concevoir que des personnes se
rencontrent autrement qu’à travers le plaisir.
J’ai voulu particulièrement axer mon intervention sur les personnes souffrant de
désorientation…
J’arrive du Gévaudan, le pays de « l’enfant sauvage »7. J’ai envie de parler de ces
« vieux sauvages », pas sauvages parce qu’ils sont agressifs ou méchants, sauvage
parce qu’on ne sait plus trop ce qu’ils ont d’humain… Sauvage parce qu’on n’a pas su les
garder dans notre monde d’humain. Ils vivent, dans un coin de chambre, et nous,
professionnel, nous ne voyons plus que le malade, la maladie, le problème. La personne
et son histoire disparaîtront de nos regards, ils n’existeront que par là ou ils n’existent
déjà plus, leur handicap.
De quel plaisir peut on parler ?
Le plaisir commun de les retrouver dans notre humanité.
Il va falloir mettre en place des outils pour ce qu’Yves Gineste appelle « la troisième
naissance ». Essayer de les ramener dans notre monde, les remettre en humanitude,
c'est-à-dire les accepter comme faisant partie de notre monde, mais aussi être accepté
dans le leur. L’humanitude, et ses piliers fondamentaux dont on a parlé toute la journée,
le regard, la parole, le toucher, mais aussi la verticalité, ne sont pas que des intentions
de bonne volonté, ça s’apprend. Ce sont des techniques mises au service de la
philosophie d’humanitude. Réapprendre à regarder, à parler, à toucher, pour ramener
ses vieux « sauvages » dans notre monde.
Je voudrais vous montrer un film/diaporama. C’est un séjour qu’on appelle
« relationnel ». Les personnes qui arrivent chez nous sont parfois dans une espèce de
« petite mort », elles ne savent plus qui elles sont, on ne sait ce qu’elles pensent, ce
qu’elles comprennent, elles sont dans des « limbes gériatriques ». Si on a la « tête dans
le guidon », si on est dans la routine, dans l’habitude, la rapidité, on n’a pas le recul
suffisant pour essayer de savoir qui elles sont et surtout pourquoi elle sont devenues
comme ça… qu’est ce qu’on à fait, qu’est ce qu’on n’a pas fait ou mal fait.
7
Jean Itard, Victor de l’Aveyron, Editions Allia, et Lucien Malson, Les enfants sauvages,
Editions 10/18
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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La maison de Retraite de Beaumont de Lomagne proposait déjà depuis longtemps des
séjours de vacances. Mais pour une personne qui ne sait même pas où elle se trouve
lorsqu’elle est dans sa chambre, quel est le sens de ceci ? d’un autre coté, les soignants
se plaignaient que c’était toujours les mêmes résidents « les mieux » qui partaient en
vacances. L’idée a donc germée de profiter d’un petit séjour de 4/5 jours, non loin du
centre, dans des gîtes, pour proposer un espace hors de la structure et de ses
contraintes pour que soignants et résidents, chacun dans son monde, se rencontrent
dans un monde unique, celui de l’Humanitude.
Le service animation a donc proposé aux soignants et aux personnes âgées désorientées
de vivre un moment de pures relations. Nous sommes partis, sur la base du volontariat,
avec 4 soignants, 1 animateur, 8 résidents choisis en raison des difficultés à
communiquer avec eux.
C’état un projet de soin et d’animation, deux outils aux services des résidents. Je vais
vous présenter un diaporama qui retrace cette troisième naissance, un retour des
« limbes gériatriques ».
La photographie que vous voyez représente madame K., arrivée en 2003, avec un regard
vide, sans estime de soi, sans expression… sans vie. On a décidé de l’emmener en séjour
et après une semaine de relation, on a commencé à retrouver un sourire sur son visage,
il ne fait aucun doute sur cette dernière photo qu’aujourd’hui elle vit.
Ces séjours sont un moment où on prend le temps de regarder les gens. Les soignants,
comme tout le monde d’ailleurs, ont l’habitude de voir les gens qu’ils fréquentent selon
une seule facette, or, chacun de nous est multi facettes. Durant ces séjours, je propose
de « tourner le cube » pour découvrir les faces cachées de chacun. Quel plaisir de
montrer aux soignants que les résidents sont autre chose qu’un objet de soin et aux
résidents que nous somme autre chose que des robots soignants.
Je pense qu’il faut que résidents et soignants doivent se rejoindre dans le plaisir, c’est la
porte du monde de l’humanitude.
Le film que vous allez voir est fait à destination des familles.
(Film)
C’est un séjour qui appartient autant aux soignants qu’aux résidents, je les remercie.
Lorsqu’on parle animation on pense souvent activité. or le mot d’ordre d’un tel séjour est
« on ne fait rien… on est » : je pense que la relation n’est pas dans l’action mais plutôt
dans le rien de l’attente, lorsque entre deux personnes il n’y a rien à faire, il ne reste plus
qu’a « être », qu’a se découvrir, s’écouter. Bien sûr, le premier jour est difficile. Il y avait
une infirmière, avec 20 ans d’expérience, qui avait beaucoup de mal à trouver sa place.
Vers la fin du séjour elle a eu ce mot que j’ai trouvé extraordinaire : « j’ai l’impression
d’être passée à côté de quelque chose toute ma carrière ».
Ce qui se passe entre les gens, vient de ce que tout d’un coup, nous professionnel
n’avons rien de concret à proposer, pas d’action précise, on est là, pour l’autre avec
notre seule disponibilité. S’occuper de l’autre, ce n’est plus forcément avoir des projets
pour lui, mais être empathique, savoir le regarder, l’écouter, sans se cacher derrière sa
blouse, et l’aider, pas parce qu’on le doit, mais parce qu’on le peut.
Les soignants sont déjà inscrits pour juin et septembre 2008, alors qu’ils ne sont pas
payés plus et qu’ils ne récupèrent pas plus. Il y a même une aide soignante de nuit qui
perd de l’argent en venant. Alors quand je cherche à comprendre les motivations et que
je leur demande ce qu’elles cherchent, et ce qu’elles trouvent durant ces séjours, elles
répondent « on vient chercher notre métier ». Pas le métier de soignant, le métier de
prendre soin.
On voit que des gens abandonnés reprennent goût à la vie, car ils retrouvent chez nous
un regard validant, un toucher validant, et non un regard ou un toucher utile.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Interventions de la salle
Je suis psychologue en EHPAD et très heureuse d’entendre enfin parler du plaisir des
soignants. Comment peut on proposer du plaisir aux soignants tout au long de leur
journée, trouver du plaisir à faire des toilettes, à donner à manger à quelqu’un ?
P. Crône : Je crois qu’il faut donner du sens dans nos actes de prendre soin. Il ne faut
plus se mettre dans une situation où les soignants sont là pour faire manger les gens,
mais se mettre dans une situation où des gens vont aider d’autres gens. Je ne sais pas si
ce qu’on fait en séjour est reproductible dans toutes les institutions. Je ne crois pas, car
on est dans un milieu protégé. Cependant, on met à jour des pistes, des observations.
Nous avons des gens qui arrivent chez nous attachés en permanence, car ils sont
violents, avec quelques fractures du col du fémur et des traumatismes crâniens sur
d’autres résidents à leur actif, les amener en séjour nous permet de mieux les
comprendre et donc mieux adapter les projet de soins au retour. Tout le monde, soignant
compris, a intérêt à vivre en harmonie. Notre philosophie de soin, par rapport aux fugues
par exemple, n’est pas de se demander comment on va empêcher les gens de partir,
mais comment on va leur donner envie de rester. Les soignants vont donc avoir un
espace de partage parce qu’ils sont là, et non parce qu’ils ont quelques choses à faire.
Par exemple, on s’est rendu compte, pour une dame qui est arrivée attachée, que
pendant le séjour, elle essayait toujours de nous tenir le bras et de venir avec nous. On a
appris par la suite que dans son histoire de vie, qu’on ne connaissait pas alors, elle
suivait son mari en permanence. C’est cette demande qui la faisait devenir agressive.
Grâce à cette compréhension, elle a été détachée le plus souvent possible.
Vous êtes combien dans votre équipe pour combien de résidents ?
P. Crône : On a un quota moyen. Je crois que c’est la volonté de l’institution qui fait la
différence. Si le directeur détermine une philosophie de travail dans le projet d’institution
il doit se donner les moyens humains, matériels et organisationnel pour la réaliser.
Comme le disait François Bonnevay, une philosophie devient la philosophie des soignants
quand c’est avant tout une philosophie d’institution.
Il faut que le directeur, les décideurs soient bien conscients de cela. Sans eux rien de
possible
Intervention de Marie France Maugourd, gériatre
La chanson qui accompagne le film et dit « l’important est d’aimer » me choque. Je crois
que les soignants ne sont pas là pour aimer les résidents, ils sont là pour les respecter,
prendre soin, mais c’est leur famille qui donne de l’amour. Se substituer aux familles est
dangereux, et, d’autre part, le soignant doit se protéger car s’il fallait que j’aime les 700
malades qui entrent dans mon service tous les ans, mon amour serait difficile à soutenir
pour moi et psychologiquement ce n’est pas aidant.
Nous sommes des professionnels au service des patients, et on ne doit jamais
l’oublier. Les professionnels peuvent avoir du respect, de la bonté, de la
gentillesse, mais l’amour c’est autre chose.
P. Crône : L’amour dont il est question est l’amour de l’humanité. Je pense que le
professionnalisme, ce n’est pas se défier de nos sentiments mais de les gérer. Ce qui va
me permettre de donner toute l’humanitude possible sans me perdre dans ses
sentiments, c’est que Je sais pourquoi je vais voir les résidents, car je travaille en
fonction d’un projet, c’est pour cela que je suis un professionnel. Quand je suis avec eux,
je suis entièrement moi, je les accepte dans mon monde et me met en situation de
pénétrer le leur. Après cette rencontre je vais faire le bilan, reprendre de la distance pour
mesurer le chemin parcouru dans mon projet.
Le professionnalisme, c’est le projet, la relation, le bilan.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Diététique et nutrition, Monique Ferry
Monique Ferry et Josiane Vibert
Quand j’ai appris ce projet, j’ai été très tentée
par un titre beaucoup plus percutant comme
« les diktats de la diététique ».
Comment ne pas s’étonner que l’on puisse envisager, « dans l’intérêt » bien conduit, d’un
parent ou patient très âgé une véritable « confiscation » du plaisir de manger. Si l’on ne
peut contester l’importance de la prévention nutritionnelle chez les sujets jeunes et
adultes qui souhaitent « bien vieillir », qu’en est-il de ceux qui ont dépassé la moyenne
d’âge d’espérance de vie ?
Leur donner le droit au « bon » péché de gourmandise…Gourmandise qu’il me semble
nécessaire de passer du statut de 7ème des péchés capitaux à celui de concept essentiel
pour conserver la santé… Pouvons-nous imaginer de proposer à ces personnes très âgées
ou à un stade très avancé d’une pathologie, qui sont le plus souvent isolées, si elles ne
sont pas en institution, de supporter une « double peine » en leur imposant des
contraintes alimentaires et des diktats quand on sait que l’histoire est écrite et que le
temps qui reste à vivre doit être celui le plus agréable que l’on puisse proposer.
Avant d’aller plus loin, je voudrais compléter la réponse que j’ai faite tout à l’heure. La
manière dont on donne vaut mieux souvent que ce qu’on donne, et on arrivera à faire
manger les gens, souvent, grâce à la manière dont on leur présentera les choses. Il y a
quelques années, dans mon service, nous avons validé l’échelle de Blandford, la première
échelle nutritionnelle sur les troubles du comportement alimentaire des patients
démentifiés. Gérald Blandford a listé les symptômes, dans un centre de New York qui
accueillait environ 200 personnes démentes. Il a listé 26 symptômes et se posait la
question de savoir s’il y avait une possible corrélation entre le niveau de déficit cognitif et
les troubles du comportement alimentaire. Nous avons testé dans le service ces
symptômes pour les mettre en relation avec le niveau des capacités restantes des
malades. C'est-à-dire que nous avons utilisé la nutrition pour aller au delà du Mini Mental
Status (MMS) qui, à un moment de l’évolution, ne peut plus être utilisé car les personnes
sont devenues incapables de répondre aux tests. Or ils continuent à s’alimenter…Ces
items permettent de vérifier une certaine évolution du déficit, du fait des troubles du
comportement alimentaire.
Nous avons fait ce travail avec des soignants pour qui des personnes démentifiées qu’il
fallait aider à manger étaient vraiment des personnes préoccupantes, qui donnaient des
gifles quand on insistait etc…, En essayant de noter face à chaque item quelle était
l’attitude de la personne, nous avons réussi à voir une gradation du déficit. Les soignants
ont alors été confrontés à des malades et non plus à des personnes qui les dérangeaient,
les pénalisaient, leur faisaient perdre du temps. Leur regard sur ces patients et sur la
maladie a changé et ils ont pu ensuite faire de la formation dans les autres services.
Par un travail d’objectivité par rapport à une échelle, nous avons eu un regard différent
sur cette part de la pathologie qui concerne la capacité à manger particulière dans cette
maladie.
Je voudrais cependant, vous donner quelques cadres dont on ne peut pas sortir. La
nutrition, l’alimentation, sont extrêmement importants, c’est la vie, la survie. Il est
indispensable de savoir également que des pathologies que l’on disait auparavant liées à
l’âge, sont en fait des pathologies qui n’ont souvent rien à voir avec le vieillissement mais
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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peuvent être liées à des anomalies du mode d’alimentation. Nous avons de très fortes
raisons de penser aujourd’hui que si l’on associe une alimentation correcte et une activité
physique minimum, on peut prévenir un grand nombre de maladies et de dépendances.
C’est ce qui justifie par exemple le Programme National Nutrition Santé.
Inversement, je pense qu’il faut changer les comportements face à ces gens que j’appelle
les « survivants ». Qui sont ceux qui ont dépassé la moyenne d’âge d’espérance de vie
dans les études épidémiologiques. Ces études épidémiologiques ont été réalisées sur les
personnes qui vieillissent et qui sont suivis pendant des années. On a ainsi pu mettre en
évidence des relations entre la façon des s’alimenter et l’état de santé par la prévention
de certaines pathologies. Ainsi il y a des personnes âgées qui arrivent à la fin de leur vie
en parfait état de santé. Ces « survivants », il me parait important de les « oublier » s’ils
ont conservé un bon appétit, l’envie de manger, y compris ce qui est censé être
« mauvais » pour eux. Et surtout ne pas leur demander de faire un « régime », de faire
attention etc. S’ils ont mangé correctement jusqu’à l’âge où ils sont parvenus, en évitant
les pathologies graves liées à la nutrition, ce n’est pas le moment de limiter le plaisir de
manger ce qui les accompagnerait directement vers la dénutrition, plus fréquente à cet
âge.
Je ne vois pas pourquoi on devrait obliger ce personnes à manger différemment
simplement parce qu’ils sont très « vieux »
Pauvre Simone qui, à 86 ans, se voit privée du moindre gâteau parce qu’elle est
diabétique. Alors qu’en fin de repas il rejoint le bol alimentaire et ne présente pas de
risque. Ou Jacques de son verre de porto quotidien, à midi, à 92 ans, après lui avoir
aussi interdit de fumer, pour des raisons administratives certes… Et que dire d’Adrienne,
qui, pour marcher mieux, accepte un régime de famine, avant la mise en place d’une
prothèse du genou…alors qu’ en convalescence elle s’occupera à reprendre des kilos, ce
qui met en péril l’efficacité de la prothèse et son devenir à terme… Mieux vaudrait
adapter d’emblée le matériel au poids réel ???
Alors que le maître mot doit être le plaisir de manger, cher à Brillat-Savarin, puisqu’il est
le « dernier qui persiste quand tous les autres ont disparu » !
L’une des premières publicités américaine pour des céréales disait « we are what we
eat », « nous sommes ce que nous mangeons ». C’est une réalité quotidienne, car que
mange-t-on ? Des aliments qui vont nous permettre de nourrir nos muscles, nos os,
notre cerveau. Ne pas manger aboutit à la mort en 50/52 jours. Des hollandais ont été
prisonniers d’une ville assiégée. Il y avait des médecins qui ont décrit tout ce qui
survenait au cours de ce siège. Les personnes sont mortes des complications de la
dénutrition, cela montre le risque majeur que représente la dénutrition lorsqu’on vieillit.
Il est donc nécessaire de manger, donc de garder l’envie de manger…
Mais on mange aussi du sens, en plus de la nourriture qui nous évite de mourir. On
mange des souvenirs, du passé, des choses qui vont ramener à des images, des sons, de
la vie. A partir de cela, quand on mange des aliments qui font envie, plaisir, on mange
plus, plus facilement, dans de bien meilleures conditions, y compris de digestion...
Même les personnes vivant à domicile ont des contraintes qui font qu’elles ne peuvent
pas manger ce qu’elles veulent, quand elles veulent.
Le premier problème est financier. Nous avons réalisé une étude Il y a de nombreuses
années, sur l’alimentation des personnes âgées en centre ville. Nous avons montré que,
contrairement à ce que l’on attendait, les veufs étaient bien nourris. En fait, il y avait un
veuf pour neuf veuves, donc ils étaient invités à manger, car on les plaignait, ils ne
savaient pas cuisiner etc. Ils avaient toujours table ouverte, et pouvaient « rendre » les
repas au restaurant car ils avaient une retraite complète. Les veuves avaient, elles, une
demi- pension de reversion, et si elles pouvaient faire un repas pour deux, elles ne
pouvaient pas, même entre elles, « inviter » au restaurant etc. Cette difficulté se
contourne un peu mieux aujourd’hui par le parage de la note.
En outre, le plus souvent, les femmes âgées, veuves, refusent de quitter leur
environnement. Elles gardent donc le loyer, le chauffage etc., au détriment de la
nourriture.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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A ce propos je souhaiterais parler des équivalences protéiques : il n’est pas indispensable
pour manger des protéines de bonne valeur nutritionnelle d’acheter du rôti ou le poisson
frais du marché…une boite de sardine ou de maquereau, peut remplacer un bifteck ou un
poisson frais...Et le prix permet de ne pas se priver d’un aliment apprécié, d’autant plus
que les boites sont maintenant plus faciles à ouvrir.
Mais ce n’est pas simple d’édicter des recommandations, car elles sont faites pour le
maximum de gens et non pour chacun. A l’heure actuelle, on se trouve dans une
situation à mon avis critique : il y a une abondance alimentaire et en même temps une
abondance de recommandations. S’y retrouver entre ce qu’il faut faire et surtout ce qu’on
ne peut pas faire devient un véritable numéro d’équilibriste, et très souvent certaines
personnes s’abritent derrière la législation pour ne pas sortir du rôle qui leur est prévu.
Je crois qu’on peut faire un certain nombre de choses à partir du moment où l’on en a
vraiment la volonté et où l’intérêt pour la personne soignée est l’objectif.
Ce qui est clair est que la qualité d’un repas dépend de la volonté des gens qui gèrent un
établissement : avec le même prix de repas, on peut faire des choses intéressantes ou
non. Lorsque l’on a fait la première recherche sur l’alimentation dans les structures
(mission Guy-Grand), nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait pas de prix
« plancher » pour l’alimentation. Ce qui est toujours vrai malgré les recommandations.
Pourtant certaines personnes arrivent à faire des choses remarquables, parce qu’ils sont
sensibilisés au problème du repas qui est le moment important dans une vie de maison
de retraite. Et le plaisir de manger sera accru par un environnement agréable.
Ce qui me préoccupe actuellement, dans cette abondance alimentaire qui a perdu toute
saisonnalité, c’est le manque de repères alimentaires. Il existe maintenant
l’ « orthorexie ». Jusqu’à présent on connaissait l’anorexie, et même chez des femmes
âgées de 75 ans. L’orthorexie, c’est manger selon les recommandations Il y a des gens
qui, à n’importe quel âge, se mettent à suivre les recommandations. Et il y a un certain
esprit de discipline, chez les personnes âgées, qui est parfois inquiétant. « Puisqu’on me
dit que c’est bon pour moi, c’est forcément bon pour moi ». Pourtant ce n’est pas
toujours le cas. Ce qui m’a profondément choquée dans le service a été la mise en place
des « feuilles de goût » à l’entrée, qui sont devenue des « feuilles de dégoûts », pour
simplifier la prise de commande à la cuisine ! Comment alors valoriser le plaisir de
manger.
Un élément dont il faut aussi parler, c’est l’obésité, qui devient un problème. On en parle
beaucoup et avec raison, en particulier chez les jeunes et à l’âge moyen de la vie. En
même temps, il y a une composante hormonale à l’obésité et s’il faut faire la guerre,
c’est à la mauvaise alimentation, pas la guerre à ceux qui ont envie de bien manger. Il ne
faut pas confondre le fait de manger théoriquement trop et le fait de prendre du poids.
Cela n’a souvent rien à voir.
Quelqu’un qui prend du poids en vieillissant peut être à risque d’obésité sarcopénique :
c'est-à-dire que les muscles sont remplacés par de la graisse. Les personnes âgées qui
grossissent, le font souvent parce qu’elles ont moins de muscles, et qu’elles sont plus
sédentaires.
L’amaigrissement est un signe d’alerte à surveiller. Les personnes âgées peuvent avoir
des difficultés à trouver leur alimentation, car elles ont de la peine à aller jusqu’au
magasin du coin, elles mangent tout le temps la même chose, et plus on mange
monotone, moins on a de goût. Les personnes finissent par manger tout le temps la
même chose, donc par ne plus avoir très faim, donc par maigrir. L’amaigrissement est le
premier signe péjoratif chez les gens âgés. Quand je parle de gens âgés, c’est à partir de
70/75 ans. Il faut faire très attention quand quelqu’un commence à perdre du poids car il
est difficile à récupérer. Mais on peut aussi perdre du poids parce qu’on ne mange pas
suffisamment. Et quand on vous donne ensuite à manger suffisamment, et même en
abondance, on a tendance à prendre du poids. Et si en plus on est sédentaire, on « fait
du gras ». Il faut donc faire attention à donner assez, mais pas trop non plus. Cela me
rappelle la mode des gros bébés joufflus qu’on exposait sur les boites de lait
S’il faut éviter que les personnes ne deviennent obèses après leur entrée en institution, il
faut aussi surveiller attentivement qu’elles ne perdent pas de poids. Car les
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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conséquences de la dénutrition sont très graves : perte d’immunité, perte de masse
musculaire, risques de fractures etc.… La dénutrition, c’est le SIDA des vieux, c'est-à-dire
le Syndrome Immuno Déficitaire Acquis.
Enfin, on a besoin d’alimenter son cerveau comme on a besoin d’alimenter le reste de
l’organisme. Il y a actuellement de nombreux travaux sur l’alimentation et le déclin
cognitif. Le cerveau a besoin d’être nourri d’une façon encore plus méticuleuse que les
autres organes, car il a besoin de la plus grande homéostasie au niveau de tous les
apports, alors que c’est lui qui gère le fait que vous allez avoir envie de manger ou pas. Il
y un paradoxe : le cerveau a besoin d’être alimenté, et c’est lui-même qui décide s’il va
être nourri ou pas et comment…
Il faut ne pas oublier, en association avec l’alimentation de faire bouger les gens, les
mobiliser, mais ne jamais les bousculer, ne pas les obliger à faire « parce qu’il faut
faire » à un moment donné. Et tenter de leur laisser le temps de manger…
Dans notre service, nous avions, à une époque, un « petit train » pour récupérer les
plateaux repas. Il commençait par le service de gériatrie et terminait par la maternité. Ce
qui réduisait au minimum le temps du repas. Et le fait d’avoir tout le repas sur un plateau
limitait encore l’appétit. Il m’a fallu un an pour obtenir d’inverser le sens du petit train,
en attendant de faire mieux…
Je voudrais terminer ce tour d’horizon improvisé sur la notion de plaisir et vous parler du
noyau accumbens du cerveau. C’est l’endroit où est centralisé le plaisir. Le plaisir laisse
une trace dans le cerveau, quand vous avez plaisir à manger, quand vous avez du plaisir
à donner à manger à quelqu’un, le cerveau le sent. De quel droit interdire le « droit » au
plaisir ? Quand on sait au niveau physiologique que le plaisir laisse des traces durables
sur l’humeur… qui permet d’avoir encore envie de continuer à manger, à vivre, et donc
de participer au plaisir de vivre.
*******************************************
Interventions de la salle
Bernard Duportet
Vous avez fait références à ce que vous faisiez, je pense qu’il serait intéressant de
préciser les « lieux privilégié » de votre action ?
Monique Ferry
Ancien chef de service de gériatrie, je suis expert en nutrition humaine à l’Agence
Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, enseignant chercheur à l’INSERM dans
l’équipe du CNRH d’Ile de France, c'est-à-dire qui s’occupe du Programme National
Nutrition Santé.
Je suis un des auteurs des livres édités par le PNNS, comme le petit livre vert qui a en
couverture un portrait d’Arcimboldo et plus récemment un livre bordeaux destiné aux
personnes âgées de plus de 55 ans, mais aussi un fascicule associé qui permet de donner
les indications nécessaires aux aidants d’une personne âgée qui a besoin d’aide pour se
nourrir. Je reste le médecin Directeur du Centre Départemental de Prévention où j’assure
des consultations gérontologiques pour « Bien Vieillir » et la consultation mémoire. Où
j’ai implanté depuis 10 ans une consultation nutrition et Alzheimer que nous appelons
NutritiAl…
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Plaisir gustatif : Tous les sens en éveil, Josiane Vibert
Monique Ferry et Josiane Vibert
Je vous propose un petit voyage sur les chemins pour accéder au plaisir gustatif. Nous
allons essayer de réfléchir ensemble sur la manière dont on peut proposer aux gens, en
institution comme à domicile, de stimuler des sens qui sont parfois très déficitaires. Mon
champ d’activité est plus largement orienté vers les personnes handicapées notamment
adultes, et polyhandicapées : personnes dépourvues de paroles, de mouvements la
plupart du temps et face auxquelles les professionnels sont très démunis. On voit bien
aujourd’hui la multitude de passerelles que nous pouvons trouver entre cette population
et la population des personnes âgées.
Nous avons au cours de cette journée parlé partage, convivialité, échanges… mais désir,
un petit peu, et pour moi le plaisir c’est presque une conclusion, c’est peut être un
objectif à atteindre.
S’il y a un moment où on peut avoir du plaisir et donner du plaisir, c’est bien le moment
du repas. Pourtant, avec un lourd handicap, que ce soit le grand âge ou la grande
dépendance, ce temps incontournable pour survivre, madame Ferry l’a bien rappelé,
répété trois fois par jour, durant une multitude d’années, le plus souvent la notion de
plaisir a déserté ce moment au profit parfois d’un temps de rituel. On voit bien les gens
dans les institutions qui attendent à la porte des salles à manger, parfois dès 9 heures du
matin. On sait qu’après les toilettes on va vers la salle à manger. Ça peut être aussi une
corvée, un temps contraint et c’est pratiquement toujours avec les populations qu’on
accompagne un temps à risques : le risque de fausse route est majeur, il est comme une
épée de Damoclès sur la tête des soignants et des personnes qui sont accompagnées.
Le plaisir de manger est souvent annoncé comme le seul plaisir qui reste, et pourtant les
professionnels sont très démunis pour faire des propositions. L’invention, la créativité,
n’ont pas toujours leur place, voire rarement. Surtout avec les interdictions et les normes
d’hygiène rigoureuses qui pèsent sur les institutions. (Je travaille avec un médecin qui
dit : on a le droit de faire des choses qui sont interdites, l’important est de savoir qu’elles
sont interdites, donc « oser »)
Pour atteindre ce plaisir, il faut garder son aptitude à goûter. On sait que les causes de
perte de goût sont multiples, souvent liées à la baisse des fonctions sensorielles. La
fonction gustative baisse avec l’âge, elle n’est pas forcément liée à la vieillesse, mais liée
à de nombreux paramètres autour du vieillissement. Je pense par exemple aux
extractions dentaires, à certains médicaments, aux antibiotiques etc. qui altèrent la
capacité à goûter. Bien sûr le déficit cognitif va venir aussi altérer cette capacité à
percevoir les saveurs et le goût. Il en est de même pour les personnes handicapées
mentales, et pour elles il y a en plus la difficulté à verbaliser le « j’aime » ou « j’aime
pas », ce qui va majorer les difficultés de compréhension de leurs désirs et de leurs
envies.
Les déficits physiologiques ont aussi un rôle important. Tout ce qui concerne la technique
de l’alimentation, ainsi que les aspects éducatifs, dont on ne parle pas beaucoup quand
on parle des personnes âgées, mais dont on va parler avec des personnes plus jeunes. Il
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y a parfois des alimentations un peu stéréotypées, pratiques mais peu inventives, qui
n’aident pas la personne handicapée à explorer les saveurs.
Avec ces gens qui ont tant de difficultés, il est facile de dire qu’il n’y a plus grand-chose à
faire, et donc de ne pas faire grand-chose et de proposer à manger seulement pour
survivre. Pourtant, c’est peut être quand il n’y a plus grand-chose à faire que tout reste à
inventer. Ce voyage sur les chemins pour accéder au plaisir gustatif est une des
remontées d’expériences et d’observations.
Tout d’abord, favoriser l’émergence du désir par différentes stimulations :
La stimulation gustative
Pour faire émerger le désir, vous avez sûrement mis en place plein de moyens, d’astuces,
pour faire saliver les gens. Il y a l’affichage des repas, mettre des photographies, avec
des choses simples pour que ce soit visuellement compréhensible par les personnes. Je
vois souvent des menus affichés mais on me dit « ah non, c’est pas ça qu’on mange ce
midi, parce que le cuisinier n’a pas eu sa commande etc.… ». Ça sert à quoi dans ces cas
là d’afficher le menu, comment les gens peuvent s’y retrouver, être en appétit. Il y a
aussi le fait d’aller au marché, d’avoir un potager, de faire des ateliers de cuisine, même
si les gens croquent dans les légumes crus. Ça n’a pas forcément d’importance, dès lors
qu’on a essayé de créer du lien entre ce que les gens vont manger et ce qui a été utilisé
en cuisine.
Un temps partagé.
Il est difficilement envisageable, dans certaines structures, avec certains types
d’organisation, qu’on puisse s’asseoir à côté des gens avec qui l’on mange. Je déteste
manger toute seule, je mange alors sur un coin de table, je n’ai pas d’appétit, je mange
trois fois plus le soir, en famille… En institution, ce temps séparé entre les soignants et
les personnes accompagnées est classique. Il faudra peut être un colloque, un jour, pour
expliquer pourquoi on ne prend pas le temps.
L’anticipation du temps du repas.
En menant une réflexion commune sur l’élaboration des menus. En les affichant dans les
institutions avec des images, des photos des plats. Faire saliver…
En allant au marché, en mettant en place des "ateliers cuisine" où on épluchera les
légumes, les fruits, où on malaxera la pâte à tarte, en cultivant un jardin, etc. Ces
différents moyens peuvent être employés pour relier les personnes déficitaires aux
produits utilisés en cuisine. Pas toujours réalisables dans les institutions aux normes
d’hygiène rigoureuses…
En proposant des repas festifs et à thème. En tout cas en essayant de faire en sorte que
quotidienneté ne soit pas synonyme de routine donc d’usure.
La stimulation olfactive
Le plaisir du goût est intimement lié plaisir des odeurs. Son rôle est tel que, lorsque
l’odeur est absente, en cas de rhume par exemple, et qu’il ne reste que le goût, les
aliments n’ont pas de goût. Nous pouvons ressentir entre trois et quinze mille odeurs
différentes.
Nous avons tous ressenti cette stimulation olfactive (agréable ou désagréable) en
pénétrant dans la cuisine d’une grand-mère « gâteau » ou dans un établissement où
rissolent les petits oignons que l’on flaire dès le hall d’entrée (peut-être pas terrible à 8h
du matin ni à cette heure-ci….mais s’il est midi et que vous avez un peu faim…)
Accompagner les personnes déficientes, quelles qu’elles soient, autour de la sensation
olfactive est déjà une démarche vers le plaisir gustatif, tant ces 2 sens sont liés.
J’ai l’expérience d’un établissement qui travaille avec des cloches de restauration, avec
des gens dont l’altération gustative et olfactive est assez avancée. Ils clochent les
aliments, en travaillant aussi sur le renforcement des saveurs, grâce au curry, au
romarin, à des éléments aux odeurs fortes, marquées, pour aider les gens à saliver et à
les mettre en appétit. Dans les grands restaurants, on apporte les assiettes puis au
dernier moment on enlève en même temps les cloches de tous les convives, pour que
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tous perçoivent en même temps les parfums. C’est ce même principe qui est utilisé dans
cet établissement.
Cette stimulation de l’odorat sera optimale en utilisant des parfums renforcés : épices,
aromates. La palette est connue, elle est large et permet de nombreuses inventions.
Ce qui est également intéressant avec les odeurs, c’est qu’elles viennent mobiliser la
mémoire. Nous avons tous expérimenté cela. Qui n’a pas associé le souvenir de son
grand père en captant dans la rue l’odeur du tabac qui était le sien ? L’odeur des
géraniums, de l’herbe coupée ou du bourguignon peut vous faire faire spontanément un
bond dans le temps en vous ramenant à votre enfance, à des souvenirs heureux ou
malheureux… Si vous avez vu le film Ratatouille : quand le critique gastronomique
mange de la ratatouille, et que d’un seul coup il se revoit petit garçon, dans la cuisine de
sa grand-mère. Tout lui revient alors en vagues, de manière très forte, très évocatrice de
l’amour de sa grand-mère, des parfums de l’enfance…
Cette capacité évocatrice des odeurs sera très intéressante à explorer chez des
personnes ayant une nourriture entérale et qui ne prennent plus aucun aliment par la
bouche. J’ai souvenir d’un monsieur souffrant d’une sclérose en plaques assez évoluée
qui, à travers les évocations autour du goût, ne ressentait pas trop vivement la
frustration de ne plus se nourrir ordinairement.
La stimulation visuelle
Bien sûr, c’est encore mieux si la vue est également associée à ce plaisir olfactif. Nous le
savons depuis longtemps et l’expérimentons chaque jour : un plat agréablement
décoré met en appétit. Proposer de jolies assiettes ou de jolis plats devraient faire partie
du quotidien. Mais les logiques économiques prédominent parfois et il est fréquent que,
pour limiter la casse, la vaisselle soit en pyrex, les verres (qui sont alors des gobelets) en
plastique ou en inox. Ceci pour les contenants.
Et puis, les contenus : que pensez-vous de ce petit déjeuner où, par commodité, le café
est mélangé au morceau de beurre, à la cuillérée de confiture, aux petits morceaux de
pain trempés, et bien sûr dans ce cas…aux médicaments ! Que dîtes-vous de ce repas à
texture adaptée (la personne présente des troubles de la déglutition et son alimentation
est mixée) où sous la forme d’une bouillie de couleur curieuse (marron le plus souvent)
se retrouvent viande et légumes mélangés. Cela ressemble assez souvent aux
préparations servies à nos animaux domestiques… Quant à l’odeur, plus grand-chose à
voir avec les ingrédients originaux… Donc travailler sur l’apparence de l’assiette en
séparant les aliments est tout aussi important que sur le contenu.
Et puis, ne pas mélanger les médicaments au contenu de l’assiette complète ou du bol
mais les administrer avec une cuillérée de nourriture en gardant le plaisir du goût pour
après… Dissocier les aliments, pour le plat principal, c’est également essentiel, pour
reconnaître les différents goûts. Bien sûr, ça prend du temps.
Je connais des cuisiniers qui « remodèlent » la viande une fois hachée pour lui redonner
la forme d’une cuisse de poulet ou d’une côtelette. Il existe des moules ayant ces formes.
Mais on peut aussi utiliser des ramequins, une cuillère à glace ou toute forme de
contenant permettant de faire des moulages.
Pour les personnes dont les repas sont à texture modifiée : leur présenter un «plateau
type» contenant les aliments sous leur forme habituelle, permet qu'ils visualisent
concrètement leur repas.
La décoration de l’assiette ou du plat, même si elle n’est pas mangée est également
importante dans ce qu’elle apporte de variétés de couleurs.
Oui, c’est du temps, mais peut-être que ce plaisir de faire pour faire plaisir va donner
envie aux gens de s’alimenter. Je pense très précisément aux nourritures adaptées, à la
structure hachée, moulinée, qui sont particulièrement difficiles à présenter.
Parfois c’est l’inverse aussi : on ne donne pas de cuisine à texture appropriée, alors que
ce serait nécessaire pour que la déglutition et digestion soient correctes.
Eduquer le goût et faire des apprentissages
C’est joli, ça sent bon (ou en tout cas, j’ai souvenir que cela sent bon), ça y est, je
salive… Mon organisme est prêt à manger… Salé, sucré, acide, amer sont les 4 saveurs
que ma langue peut reconnaître. Mais mon cerveau a, au cours de ma vie, enregistré des
milliers d’informations de reconnaissance de différents goûts ! En mangeant un aliment,
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je vais aller chercher dans la grande base de données qui est dans mon cerveau et je
vais ou non reconnaître le goût de l’aliment que j’ai sur la langue. Il suffira de l’avoir
goûté une fois pour stocker l’information et m’en resservir lorsque j’en aurai besoin. La
consistance, les sensations de piquant, d'acidité, de fraîcheur véhiculées par le système
nerveux vont donner à l'aliment son identité et sa reconnaissance gustatives. D’où
l’intérêt de faire découvrir aux enfants une multitude de saveurs différentes afin de les
aider à constituer leur stock. Cela servira peut-être un jour. Car le souvenir joue un rôle
majeur dans l’apprentissage des goûts, et dans l’acte alimentaire. Nous ne ferons ici
qu’évoquer la fameuse madeleine de Proust…
Il y a la nourriture, et il y a la boisson. Boire est essentiel et relève souvent d’un véritable
tour de force pour les soignants qui doivent hydrater les personnes âgées (qui, précisons
le, ont perdu la sensation de soif) ou les personnes polyhandicapées. Si bien que
souvent, faire boire revient à un combat où le plaisir n’a pas sa place. Ne pas proposer
uniquement de l’eau, mais varier les saveurs, les températures se révèle très positif et
permet de redonner une dimension « plaisir » à cette hydratation qui fait parfois (et cela
à juste titre) focaliser les équipes médicales.
Pour de nombreuses personnes présentant des troubles de la déglutition, il ne sera pas
question de leur faire boire des liquides au risque de provoquer des fausses routes. Il
faudra donc ajouter des produits gélifiants afin de présenter les boissons sous une
texture appropriée à leurs difficultés. Or l’eau nature quand elle est gélifiée à un goût….
d’eau gélifiée ! Pour certains un peu écœurante, pour d’autres fade… Or, il est possible de
gélifier pratiquement tous les liquides : café, thé, vin, tisanes et infusions, sodas,
apéritifs….Quelles jolies perspectives ! Venir proposer à une vieille dame son petit porto
(même gélifié) le dimanche midi… Permettre à un autre son verre de vin ou un café ! Hier
nous étions dans un bar très convivial et j’ai eu envie de commander un jus de tomate,
quelqu’un m’a dit « mais c’est triste un jus de tomate ». Cela peut ne pas être triste un
jus de tomate, même s’il est gélifié ! Il suffit qu’on y mette une petite branche de céleri,
de romarin, d’estragon… et ça devient festif, joli.
Et les bulles…. Cidre, bière, sodas, champagne même ! Dont les bulles viennent exploser
dans la bouche ! Stimulation sensorielle garantie !
Le goût nous fait voyager, il déclenche la mémoire. Un bruit provoqué par un aliment
croquant, une forme, une odeur, une texture : il se passe toujours quelque chose avec le
goût. L’odeur et le goût sont des déclencheurs d’émotions… le plaisir du goût est
intimement mêlé au plaisir corporel.
Le mot attribué à Lévi-Strauss prend tout son sens : «Un aliment ne doit pas être
seulement bon à manger, mais aussi bon à penser.»
Oui, le plaisir du goût ne peut pas bien fonctionner sans les autres sens : la vue, l’odorat,
l’ouïe (nous en avons peu parlé, mais le croquant ou le mou ne font pas le même bruit)
et le toucher (il y a des aliments lisses, d’autres râpeux, d’autres collants, comme des
textures, des tissus, des matériaux). Pourtant, quand l’un ou plusieurs d’entre eux font
irrémédiablement défaut, avoir la possibilité de s’appuyer sur un ou deux sens encore
présents en les stimulant s’avère très riche pour la personne dépendante. Cela lui permet
de renouer avec une gamme de sensations et d’émotions qui seront directement en lien
avec le plaisir gustatif.
La qualité de ce plaisir, autant que le contenu de l’assiette, sera alors source de vie.
Multiplier les propositions, varier les plaisirs, provoquer des échanges, des commentaires,
permettre à ces personnes de participer à des temps festifs également à travers la
dégustation. Stimuler, donner envie…Faire des tentatives, créer de la relation à travers
nos propositions ! Manifester notre présence et nos attentions à l’autre….sont des pistes
où le plaisir gustatif prendra sa source.
On pourra me dire que pour tout cela, il faut des moyens, il faut du temps….bien sûr (et
encore…), mais ce qu’il faut surtout, c’est du désir !
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Discussion
Monique Ferry
On oublie trop souvent que quelqu’un qui mange s’hydrate puisque l’eau apportée l’est à
moitié par l’eau liée aux aliments. On peut donc faire boire en donnant un yaourt au lieu
d’un verre d’eau.
On a également trouvé que la disrégulation de la soif, qui limite le besoin de boire chez la
personne vieillissante existe aussi au niveau de l’appétit.
Il y a un point que je n’ai pas abordé, c’est celui du refus alimentaire. Je pense que c’est
une question que beaucoup se posent. Pour moi, il existe un droit au refus de
l’alimentation, quand on est sûr que ce n’est pas lié à une pathologie, comme une
mycose buccale par exemple, ou à un problème médical connu. On a le droit de dire que
l’on refuse de manger quelque chose, et on ne peut pas contraindre quelqu’un à manger
dans son intérêt, pour bien faire, alors que l’on est prêt à faire très mal.
Enfin, nous avons réalisé l’étude Solinut8, solitude et nutrition, qui a montré que les gens
seuls étaient beaucoup plus dénutris à cause de la solitude. Les personnes inclues ont été
suivies pendant un an Durant cette période, 33 % des personnes n’avaient jamais
partagé un repas avec quelqu’un… Je crois que ce résultat doit faire réfléchir.
Gérard Ribes
Je voudrais vous raconter quelques petites anecdotes.
L’histoire se passe dans la Bresse, à côté de Lyon, région d’élevage de poulets
extraordinaires. Ce fut soudain la révolution dans une maison de retraite parce que la
diététicienne qui arrivait de Paris avait introduit du maïs dans les salades. Les gens se
sont dit « on nous prend pour des poules », poules qu’ils avaient élevées toute leur vie
justement. La représentation et le sens sont quelques choses de très important.
Autour du sens encore. Un de mes amis sinologue dit qu’en Chine le matin, on demande
au vieillard « comment êtes-vous ? », et le vieillard répond « je suis riz-crevette ». C‘est
la manière dont il pense se nourrir dans la journée. On va ensuite le nourrir en tenant
compte de ce qu’il a dit.
Quand je travaillais dans un hôpital de long séjour, il y avait des jours où les plateaux
revenaient quasiment vides, et d’autres où les plateaux revenaient quasiment pleins. On
a essayé de voir quel était le paramètre qui entrait en compte. Le paramètre s’appelait
Tran, c’était un aide soignant d’origine vietnamienne. Lorsque les plateaux arrivaient
dans le service, il les reconditionnait, les redécorait, faisait des petites portions, ce qui
apportait le plaisir de la vue, élément important, puisqu’on commence à manger avec les
yeux. De plus, les résidents savaient que c’était Tran qui avait préparé les plateaux, donc
ils mangeaient aussi pour Tran. Il y avait donc quelque chose qui tenait de la relation
humaine dans le plateau, qui faisait la différence entre les jours où il était là et les jours
où il n’était pas là.
Enfin, il nous faut pas oublier, en terme de titre qui pourrait relier l’ensemble de ce qui a
été dit, le titre d’un livre de Boris Cyrulnik : « les nourritures affectives ».
Bernard Duportet
Je rappelais ce matin à Geneviève Laroque que j’avais mis un jour une diapositive sur
l’alimentation dans une formation. Je l’avais intitulée le cercle du plaisir partagé, et je
crois que cela résume beaucoup de ce qui a été dit aujourd’hui : donner du plaisir, c’est
en éprouver soi-même, et c’est un cercle vertueux.
8
http://www.sante.gouv.fr/htm/pointsur/nutrition/solinut.pdf
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
44
Marie France Maugourd, gériatre
On a parlé tout à l’heure du menu, c’est vrai que c’est bien de les afficher, mais c’est
encore mieux de les commenter. Tous ces patients qui sont dans la salle à manger à
partir de 11h30 alors qu’on ne mange pas avant 12h30, on les réunisse autour du
manger, pour discuter de ce qu’on va manger. Ca peut devenir un jeu, ça peut faire une
animation qui coûte rien et va également faire en sorte que ceux qui sont en train de
déambuler vont se regrouper, et on va anticiper le plaisir du repas. C’est très simple, et
ça ne coûte rien.
Philippe Crône
J’aimerais des précisions sur un article que j’ai lu récemment sur Internet qui disait que
l’odorat est le premier sens atteint par la maladie d’Alzheimer.
Monique Ferry
C’est vrai, et l’odorat est extrêmement important. Pour Brillat Savarin, le nez est « la
cheminée du goût ». Il disait que si l’odorat n’était pas associé au goût l’on n’avait pas
une idée exacte de ce que l’on mangeait. Il est exact que c’est l’un des sens touché le
plus précocement dans la Maladie d’Alzheimer et que son déficit peut être un moyen de
diagnostic.
L’odorat est un des seuls sens accessibles.
Le goût est aussi un sens c’est une cellule épithéliale qui est neuronalisée. C‘est à dire
que sur une cellule normale, comme une cellule de peau les extrémités nerveuses vont
neuronaliser cette cellule. Or, à la différence des autres neurones du cerveau, qui sont
très très très lents à se répliquer (on a dit pendant longtemps qu’il s ne se répliquaient
pas du tout), tous les 10 ou 12 jours, vous « refabriquez » des bourgeons du goût. Mais
pour fabriquer ces bourgeons, il faut manger suffisamment, pour que les cellules soient
de bonne qualité et surtout certaines vitamines indispensables pour avoir un goût
efficace. Donc si vous mangez monotone, vous allez fabriquer des bourgeons du goût qui
sont moins efficaces, et si vous ne mangez pas en quantité suffisante non plus. Donc on
aggrave la perte de goût qui est en partie liée à l’âge.
Quand on ne se sert pas d’un de sens ou d’une capacité du cerveau, il disparaît. C’est
l’inverse de la pile Wonder, quand on s’en sert pas, on le perd.
On peut par contre améliorer le goût, dans la maladie d’Alzheimer, en laissant ces
personnes manger comme elles en ont envie. On remplace donc cet odorat diminué par
la possibilité de manger en marchant ou avec les doigts etc.… Il faut laisser ces
personnes manger ainsi, comme elles le souhaitent. Si c’est quelqu’un d’autre qui vous
mélange tout dans l’assiette, c’est abominable, si c’est vous qui le faites, pourquoi pas.
Josiane Vibert
Je n’ai pas eu le temps de parler du toucher. Le toucher avec les mains, le toucher de la
nourriture, mais aussi tout ce qu’il y a autour de la bouche. Manger du croquant, du mou,
du râpeux, ne va pas provoquer les mêmes sensations. Et c’est quelque chose qui ne
coûte rien non plus.
Philippe Crône
Ce n’est pas parce que ces personnes n’ont plus d’odorat qu’il ne faut pas continuer à
stimuler ce sens, pour la simple raison qu’on n’a pas seulement des personnes atteintes
de la maladie d’Alzheimer dans l’institution. Bien souvent, si les autres personnes sont
stimulées, les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer vont s’imprégner de
l’ambiance, de l’atmosphère. Si elles ne prennent pas le même plaisir que les autres,
elles vont prendre un plaisir qui y est en étroite relation.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Conclusion, Jérôme Pellissier
Je voudrais vous livrer quelques remarques, quelques pensées, qui me sont venues au
cours de la journée.
Je ne résiste pas au plaisir de vous lire un petit texte qui est paru il y a quelques années,
qui s’intitule « La vocation de l’infirmière » :
« Avoir fait un jour, volontairement, par saine et haute compréhension du sérieux de la
vie, pleine et entière abstraction de soi […] ;
Accepter, comme Jésus l’a fait trente ans durant, des besognes rebutantes, des travaux
manuels ennuyeux et faciles […] ;
Savoir à tout instant obéir et s’effacer […] ;
Consentir, à une époque de poursuite de lucre, à des rétributions qui assurent tout juste
le nécessaire ;
Se fermer toute possibilité de vie facile et agréable, de vie transformée par l’art, la
beauté et la liberté d’action en un enchantement journalier, pour venir se cloîtrer, la
journée durant, dans ces temples de la souffrance et de la mort que sont nos hôpitaux ;
Mourir sur la brèche, quelques fois prématurément, n’ayant rien amassé, s’étant
consumée en efforts toujours noyés dans l’indifférence générale, mourir parfois sur un
échec, mais croyant coûte que coûte à la valeur splendide du sacrifice et de la charité
[…]. »
C’est le texte d’une conférence de morale professionnelle publiée dans le journal
l’infirmière française en 1936. En 71 ans, on a pu mettre fin aux considérations de la
souffrance, du sacrifice comme étant des éléments extrêmement valorisés. Pour autant,
ça pose la question de savoir, si on n’est plus dans la valorisation de la souffrance, si on
est pour autant dans la valorisation du plaisir ? On est certainement dans la recherche de
la non souffrance, mais ça ne veut pas dire qu’on est dans la recherche du plaisir. Par
rapport à cela, je voudrais que l’on s’interroge sur « quels plaisirs ». De quels plaisirs
parle-t-on ? Il faut revenir sur la notion de plaisir dans les soins. Ca a été en filigrane
dans toute la journée : nous travaillons avec des personnes, qu’elles soient atteintes de
la maladie d’Alzheimer ou d’autres maladies, de handicaps, avec des personnes qui sont
émotionnellement et relationnellement hyper-sensibles.
Si moi tout à l’heure je vais dans un magasin et que la personne à qui je m’adresse me
fait la gueule, ça ne va pas changer la manière dont je vais vivre ma journée. Si je sors
d’une opération ou si je rentre dans le bloc opératoire, et que le chirurgien ne me
regarde pas et ne me répond pas si je lui pose une question, ça va radicalement changer
la manière dont je peux vivre cette opération, car je suis dans une situation d’hypersensibilité relationnelle et émotionnelle.
Il est très important quand on travaille sur le prendre soin de travailler sur ces notions. Il
est également important de comprendre qu’à partir du moment où il y a, comme l’a
montré Louis Ploton, un « déséquilibrage » entre la compréhension cognitive des choses
et le ressenti émotionnel, on va se retrouver dans une situation où la personne ne va pas
comprendre cognitivement de nombreux éléments touchant à la situation de soin et au
fait même qu’elle est dans un lieu de soin, qu’on est un soignant, etc. Je prends cet
exemple, de Gérard Ribes je crois : qu’est ce qu’on penserait si, tout à coup, face à la
phrase d’un médecin qui nous dit « déshabillez-vous », ce n’était plus un médecin ?
Immédiatement, on vivrait tout à fait différemment la situation ! C’est cela aussi qu’il
faut imaginer : qu’est ce qui se passe pour une personne atteinte de la maladie
d’Alzheimer, chez le dentiste, si tout d’un coup le dentiste n’est plus un dentiste, mais un
mécanicien ou un jardinier, si l’outil qu’il a à la main n’est pas distingué d’un tournevis…,
etc. Quel va être le ressenti émotionnel à ce moment là, et comment pouvons nous
travailler par rapport à ce ressenti ?
Quand on est dans ces situations d’hypersensibilité, le plaisir ne vient pas en plus du
soin, mais c’est une obligation pour que le soin ne soit pas ressenti par ces personnes
comme quelque chose d’agressif ou comme une torture. Le plaisir ne vient pas en plus. Il
vient avec la technique, c’est la technique au service du plaisir et du bien-être
émotionnel. Il n’y a pas la technique d’un côté et le plaisir ou le relationnel de l’autre.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Je voudrais aussi revenir sur la question de la sexualité. Longtemps absente des « 14
besoins de l’être humain » et de « la pyramide de Maslow »9, la sexualité. Où la placer,
d’ailleurs, dans la fameuse pyramide ? Est-ce un besoin physiologique fondamental,
comme les autres ? On peut très bien vivre, cela a été dit, sans pour autant avoir une
sexualité importante. Est-ce un besoin social ? On peut dire que oui, et en même temps,
ça peut se faire tout seul, donc ce n’est pas que social... On ne saurait pas trop où la
placer, ce qui explique peut être qu’on ne l’ait pas fait – et ce qui témoigne, soit dit en
passant, d’une des limites du modèle de Maslow.
En même temps, est-on prêt à mettre la sexualité dans les besoins très importants pour
les êtres humains… Aujourd’hui, on attend des professionnels, quand quelqu’un ne peut
plus manger tout seul de l’aider à manger… Donc si quelqu’un à besoin de l’aide d’un
professionnel pour faire l’amour avec quelqu’un d’autre, on va aller l’aider, ça va faire
partie des fonctions des professionnels… On n’en est pas là, dans la plupart de nos
institutions. Vous savez qu’en France, si quelqu’un me demande dans une institution
d’aller chercher pour lui une prostituée, je deviens, aux yeux de la loi, un proxénète…
Aller vers cela : il ne suffit pas de dire que ça change radicalement nos habitudes. C’est
profondément compliqué d’essayer de voir comment aider une personne, s’il y a besoin
de l’aider pour cela, dans un domaine où l’on n’a pas tellement envie que quelqu’un nous
tienne la chandelle ! La sexualité touche à l’intimité. Qu’est ce qui se passe pour cette
intimité dans une relation sexuelle s’il y a besoin d’un tiers pour nous aider... Ce sont des
situations où il y a besoin de techniques, de savoir faire, pour relationnellement être au
point. Il n’y a pas d’opposition, là encore, entre le relationnel et le technique.
Je voudrais aussi revenir sur l’expression « ces temples de la souffrance et de la mort
que sont nos hôpitaux ». Aujourd’hui, ça nous fait sourire, ou rire, mais en même temps
si je vous disais qu’il faut que nos hôpitaux ou nos maisons de retraite deviennent des
« temples du plaisir et de la joie », à ce moment là, il y en aurait pour dire « mais qu’est
ce que c’est que ce bordel ? », au sens propre du terme. Ca pose beaucoup de question.
Qu’est ce qui nous gêne si on dit qu’une maison de retraite doit devenir aussi un
« temple du plaisir » ?
Je crois qu’il faut s’interroger sur le rapport de cœxistence entre la vieillesse, la maladie,
la proximité de la mort et le plaisir, la jouissance. Peut-être que cela interroge notre
société globalement, peut être que nous sommes, c’est mon hypothèse, dans une société
qui a besoin de séparer radicalement les choses. Que le jeune adulte en bonne santé,
sans handicap, qui se croit immortel et tout puissant, a besoin de se dire que la
jouissance et le plaisir sont pour les jeunes adultes immortels et tout puissants. Que ce
n’est pas compatible avec la maladie, la vieillesse ou le fait de mourir bientôt. « Si tu es
malade, ne sois que malade, si tu es souffrant, ne sois que souffrant, mais ne nous
montre pas qu’on peut en même temps souffrir et jouir, ne nous montre pas qu’on peut à
la fois bientôt mourir et avoir un sourire jusqu’aux oreilles. Je ne veux pas l’entendre. »
Peut-être qu’il y a quelque chose comme cela dans notre société, qu’on ne veut pas
entendre que tout n’est pas opposé mais peut coexister.
Je suis toujours frappé de voir à quel point, souvent facilement, dans nos institutions, on
met en place des choses censées protéger, mais des choses qui limitent, qui interdisent.
A quel point on a facilement interdit les fleurs, condamné des fenêtres, etc., et à quel
point on a beaucoup plus de mal à mettre en place des choses qui ouvrent, libèrent,
multiplient les possibilités. Je crois que ça interroge sur nos capacités à apporter « la
vie » (avec toutes ses émotions, joyeuses et tristes, gaies et sombres, excessives aussi
parfois…) dans ces lieux.
Autre remarque en passant. Le mot « bisouthérapie », qu’une oratrice a utilisé
aujourd’hui, je le comprends très bien. En même temps, est-ce qu’on a désormais besoin
d’accoler le mot thérapie pour dire qu’un résident qui a envie de dire bonjour à un
soignant qui a envie de dire bonjour au résident, en se faisant la bise, c’est normal ! Ce
9
http://www.jerpel.fr/spip.php?article87
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
47
n’est pas de la thérapie ! Mais c’est intéressant qu’on ait besoin parfois de coller le mot
thérapie à quelque chose, que ce soit un animal (je ne parle pas là de la zoothérapie qui
est quelque chose de très précis)… Faire rentrer un chat dans une maison de retraite, ce
n’est pas de la zoothérapie. Qu’est ce qui se passe pour qu’on ait besoin d’appeler de la
zoothérapie le fait qu’il puisse y avoir un chat dans une maison de retraite ? Comme s’il
fallait que ça passe absolument par « le soin », « le médical » pour qu’on puisse
finalement apporter un peu de vie, de plaisir. Comme si les « temples de la souffrance et
de la mort » devaient rester un peu quand même des « temples de la souffrance et de la
mort ».
Quelques remarques encore.
Il y a tout un champ de réflexions qu’on a eu aujourd’hui et qu’il faut continuer. Ca va
bien, à la limite, quand le plaisir de l’autre nous est facilement compréhensible
correspond, à ce qui objet de plaisir pour nous mais on a tout un champ de réflexions à
ouvrir dans d’autres situations :
Qu’est ce qui se passe quand le plaisir de l’autre est censé être dangereux ou en tout cas
réputé comme tel ? Qu’est ce qui se passe quand l’autre fume, boit, veut aller se
promener alors qu’il va peut être se perdre, veut marcher alors qu’il va peut être
tomber ? Qu’est ce qui se passe dans ces situations où le plaisir de l’autre se teinte à nos
yeux d’une certaine forme de danger ? Et j’aime bien dans une des lettres10 cette phrase
où la dame dit « je fais ce que je veux avec mon corps, vous me l’avez assez dit, à mon
tour ». Cela renvoie à la capacité d’une personne à mesurer les risques qu’elle prend,
mais vous savez que notre tendance est d’être ultra protecteurs et qu’on a souvent
tendance à priver les gens de l’expression d’un certain nombre de plaisirs et de désirs, au
nom de dangers qui ne sont pas forcément prouvés.
Je crois aussi qu’on a une réflexion à avoir sur le plaisir de l’autre….
Quand une personne aime tout mélanger dans son plat, ça peut nous déranger. Qu’une
personne ait des goûts profondément différents des nôtres, pour l’alimentation, pour la
sexualité, etc. Est-ce qu’on va, dans ces cas là, être aussi attentif à ce que cette
personne puisse réaliser ses plaisirs que lorsque c’est une personne qui partage avec
nous les mêmes goûts ? Vous connaissez cette histoire qu’on raconte parfois d’un
sadique et d’un masochiste qui se croisent, le masochiste dit au sadique « fais-moi
mal ! » et le sadique lui répond, avec un petit sourire cruel : « Non, non… ». Je vous
laisse trouver le lien avec la journée, ça en a un...
Il y a un point qui est aussi à souligner, particulièrement dans les institutions, c’est qu’il y
a souvent trois générations de décalage entre l’âge moyen des soignants et l’âge moyen
des résidents. Autrement dit les plaisirs des uns ne sont vraiment pas forcément les
plaisirs des autres… Et la manière dont quelqu’un de 20 ou 30 ans aujourd’hui prend
plaisir n’est pas forcément, non seulement la manière dont prenait plaisir à 20 ans les
gens qui en ont aujourd’hui 90, mais aussi la manière dont ceux qui en ont 80/90
prennent plaisir. Je crois qu’il faut faire attention à ne pas trop mélanger les plaisirs.
On est dans un moment où, par volonté de briser les tabous, on peut facilement en
rajouter excessivement dans le sens inverse ! N’imposons pas le type de plaisir, le type
de sexualité, le type de discours sur le plaisir ou la sexualité aux personnes qui ont 70,
80, 90 ans que ce qui est valable pour un certain nombre de personnes de 20 ou 30 ans.
On le voit actuellement avec les seniors : le « bon senior » c’est celui qui reste jeune et
qui « baise » comme un jeune, c’est à peu près ce qui est en train de s’étaler dans tous
les magasines pour seniors. Attention à ce que ça ne retombe pas sur les personnes un
peu plus âgées, et attention aussi, même si le risque n’est pas là, mais je pense qu’il faut
l’évoquer, à ne pas tomber dans une forme de « stimulation hédonique » comme il y a
une stimulation cognitive qui peut être excessive, parce que plus quantitative que
qualitative (la performance !). Qu’on ne tombe pas dans une forme de « dictat de la
jouissance » au nom des tabous à briser…
10 Lettres des vieilles personnes extraites de l’Opération « Lettres à… » de la FNG et lues lors du colloque.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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Je voudrais finir sur deux choses :
Une chose qu’a évoqué Geneviève Laroque et qui me semble très importante. Il y a
certains types de plaisirs qui sont liés à certaines époques et de toute évidence il y a
aujourd’hui pour des gens assez jeunes une certaine manière de « s’en mettre plein les
sens » pour prendre du plaisir, on a même l’impression parfois, avez-vous remarqué,
qu’il se « bouchent les sens », à force d’avoir en permanence de la musique dans les
oreilles, des images dans les yeux, des aliments dans la bouche… Attention, simplement :
ce n’est pas forcément ce mode-là de relation aux sens et aux plaisirs qu’il faut imposer
à toutes les générations !
Ce qu’à dit Geneviève m’a rappelé ce qu’écrivait Gaston Bachelard ; je crois qu’on n’a
pas mesuré l’importance de tous les plaisirs qui touchent à la rêverie, au silence. Dans ce
qu’a dit Philippe Crône, il y a une chose que j’ai trouvé très belle, c’est l’idée de ce qui
naît lorsque tout à coup on ne fait rien. Je connais beaucoup de gens qui préfèrent
regarder un feu de cheminée que la télévision, mais malheureusement il y a plus de
télévisions que de cheminées dans les maisons de retraite. Je crois qu’il nous faut
réfléchir à comment multiplier les « supports de rêveries » (aquarium, cheminée,
graminées dans le vent, etc.).
Une dernière chose. Les moments parmi les plus pénibles de ma vie sont ceux où j’écris
(puisque j’écris parfois des livres), parce que je souffre en écrivant. Et en même temps,
ces moments sont parmi les plus jouissifs de ma vie, parce que je vis intensément
lorsque j’écris. N’oublions pas que dans l’effort, le plaisir et la souffrance, la joie et la
peine, sont liés, qu’on peut prendre du plaisir pour des choses qui sous certains aspects
sont pénibles, et qu’il y a des choses pénibles sources de grand plaisir. Ne mettons pas
des barrières, des frontières, ne mettons pas dans des petites cases bien rangées tous
ces plaisirs mélangés et toutes ces émotions.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
49
Clôture, Geneviève Laroque
Je crois qu’il est intéressant que ce soit Jérôme et moi qui fassions les mots de la fin, car
Jérôme est probablement un des plus jeunes de l’assemblée alors que je dois être une
des plus âgées. Pourtant nous sommes capables d’être complices, de travailler ensemble,
de trouver un vocabulaire commun et des préoccupations communes, malgré nos
différences (parce qu’il me faut un tabouret pour lui dire bonjour parce que je suis trop
petite, parce qu’il faut qu’il se plie en quatre pour me dire bonjour car il est trop grand).
L’intérêt de ces contradictions et de ces complémentarités est bien ce que l’on a voulu
montrer pendant toute la journée.
On a essayé de dire que l’équilibre est toujours instable, qu’on risque toujours le trop ou
le pas assez : l’obligation du plaisir est aussi dangereuse que l’interdiction, le plaisir des
uns ne devrait pas pouvoir être la souffrance des autres.
Il est essentiel de rechercher ce qui me plait, ce qui te plait – qui n’est pas forcément la
même chose – ce qui nous plait - qui n’est pas forcément la même chose non plus - dans
la mesure où ce qui me plait, te plait, nous plait, n’est pas source de souffrance pour
d’autres. On peut effectivement trouver du plaisir dans la douleur, mais c’est la douleur
de l’effort : C’est un sacré boulot de faire cela, mais qu’est-ce que je suis content de
l’avoir fait, et qu’est-ce que je suis content quand je le fais, parce que ça me donne une
impression de victoire, de plénitude, d’utilité… parce que ça me fait plaisir finalement,
même si ce n’est pas marrant tout le temps.
Je crois que combiner ce qui me plait, ce qui te plait, ce qui nous plait, et arriver à
l’évitement de la souffrance pour moi, pour toi, pour nous, fait une morale hédoniste
dont Epicure a parlé bien avant nous.
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
50
La Piccola Compagnie et Lettres à
Le spectacle de La Piccola Compagnie
La journée a été rythmée par la lecture de certains textes
issus du spectacle réalisé par la Piccola Compagnie.
Lettres à... ce sont d’abord de vieux auteurs, des
personnes âgées qui ont écrit dans le cadre d’une
opération initiée depuis 2001 par la Fondation Nationale de
Gérontologie.
Lettres à... c’est ensuite une rencontre. Entre certaines de
ces lettres et de jeunes comédiens qui y découvrent ces
vieux auteurs, ces vieilles personnes qui n’ont peur ni des
émotions ni des coups de gueule, qui se refusent à laisser
la tristesse ou le rire, l’utopie ou la nostalgie, la pensée de
la mort ou le reflet du sourire d’un enfant... être l’apanage
d’une génération. Des jeunes comédiens qui souhaitent
alors, à ces lettres, prêter leur voix, leur corps, leur jeu,
pour nous les transmettre en chair et en os, dans l’espace-
temps d’un spectacle.
Lettres à... c’est aussi en chair, en os et en musique. Un musicien-compositeur, qui a
rejoint ces comédiens et leurs auteurs, et qui chemine à leur côté. En improvisateur, en
poète, en offrant aux mots et aux histoires la résonance qu’offre la musique quand elle
sait ne pas s’opposer au silence, ne pas s’imposer, juste accompagner, vibrer, évoquer,
quitter le lieu, changer de temps.
Lettres à... c’est enfin, à travers le filtre du théâtre,
découvrir ou retrouver la parole des vieilles personnes,
entendre ce qu’elles nous disent, au présent, de la manière
dont le passé nourrit leur vision de notre société, de son
avenir, des relations entre les générations. Ce qu’elles nous
disent des progrès dont elles ont profité et profitent, des
temps sombres ou heureux qu’elles ont vécu et vivent, des
questions de vie, de travail, de temps libre, de famille, de
santé, de politique, de société... Des questions qui ne
cessent de les animer et sur lesquelles elles invitent les plus
jeunes à dialoguer. Entre autres pour que l’âge, quel qu’il
soit, ne devienne jamais un facteur d’exclusion.
La Piccola Compagnie
Tel. 06 82 07 24 23 – [email protected]
L’opération Lettres à
Geneviève Arfeux Vaucher, Directeur de recherche à la Fondation Nationale de
Gérontologie :
Lettres à… est une idée qui nous est venue après la lecture d’un livre pour enfant,
épuisé11, qui s’appelle très chers enfants, écrit par une auteure autrichienne, Christine
Nöstlinger. Elle a mis en scène une vieille dame de 75 ans qui écrit des lettres à ses
enfants, petits enfants et le reste de sa famille… sur tout ce qu’elle a envie de dire, de
leur dire. C’est un excellent manuel de gérontologie. On y apprend tout sur vieillir,
surtout à domicile, tout sur les enfants prévenants, trop prévenants aussi, sur la vie, le
désir, la mort...
11
Livre que nous avons réussi à faire rééditer (grâce à un partenaire de Lettre à…) pour les structures s’inscrivant à Lettre
à….Livre à emprunter dans les bibliothèques municipales
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
51
A la FNG nous avons souhaité prendre modèle sur ses lettres fictives pour donner la
parole aux vieilles personnes, en institution essentiellement. A domicile, la mise en place
est plus compliquée, mais certaines structures d’aide à domicile y participent. Paroles qui
s’expriment à travers un concours national ouvert aux établissements et structures qui le
souhaitent, proposant aux résidents d’écrire une lettre, individuellement ou en groupe
sur un sujet qui leur tient à coeur. Un jury national prime ensuite quelques lettres12.
Les personnes écrivent ces lettres à qui elles veulent, parents, enfants, amis, soignants,
personnes célèbres, personnes vivantes ou disparues…. La première opération a été
lancée en 2001. La FNG a reçu une cinquantaine de lettres la première année, plus de
450 cette année.
Il y a une évolution des thèmes d’année en année. Il y a eu beaucoup lettres traitant de
la première et de la seconde guerre mondiale, il y en a moins actuellement. Il y a moins
aussi de lettres classiques comme les confitures d’antan ou l’école d’antan. Il y a
beaucoup plus de lettres individuelles qui sont rédigées, presque dans le dos de
l’institution, c'est-à-dire par envoi direct à la FNG, sans passer par l’animateur : Au
démarrage, quand l’animateur propose le sujet, les personnes préfèrent écrire
collectivement, car cela leur paraît un peu compliqué. Puis, quand elles prennent de
l’assurance, elles écrivent la lettre dans leur chambre, la cachètent et l’envoient à la
Fondation Nationale de Gérontologie pour qu’il n’y ait pas de regard de l’institution
dessus. Un jury se réunit et prime 5 à 7 lettres. Chaque participant reçoit un certificat de
participation. Les personnes dont la lettre a été primée reçoivent un diplôme.
Il y a des thèmes très personnels. Grâce à l’enquête réalisée par la FNG dans des
établissements ayant participé, auprès d’animateurs comme d’auteurs âgés, on se rend
compte que pour certaines personnes c’est la première fois qu’elles disent officiellement
quelque chose de personnel, à forte résonance affective, du côté du drame comme du
plaisir. Ce qui est aussi intéressant est d’avoir réussi à sensibiliser les animateurs des
établissements pour que les personnes dites démentes puissent aussi non écrire une
lettre, mais dire une lettre, écrite sous leur dictée. La règle impérative est de ne modifier
ni le vocabulaire, ni la structure grammaticale de ces lettres. Certaines sont poignantes.
Nous avons pu observer, et il est important de le signaler ici, qu’il il y a des
établissements où la proposition de participation provoque des craintes. Certains
responsables y voyant un encouragement à la délation. Chaque fois la FNG explique qu’il
s’agit d’une proposition où les personnes sont libres d’écrire sur ce qu’elles veulent.
Chaque année il y a un certain nombre de lettres sur la vie en établissement, sur l’entrée
en établissement, quelque fois choisie avec description d’une bonne adaptation, d’autres
fois beaucoup plus douloureuse, avec des paroles dures, mais aussi parfois des paroles
de résilience. C’est le cas de la première lettre reçue la première année, envoyée par une
femme de 98 ans qui s’est retrouvée en établissement sans l’avoir souhaité, après un
accident, puis passage à l’hôpital. A la fin de sa lettre, après avoir parlé des nuits où elle
pleure encore de ne pas avoir revu son logement, elle dit à ses enfants, et au jury, non
pas vous n’auriez pas dû mais laissez nous être encore acteurs de notre vie, demandez
nous notre avis, ne nous traitez pas comme des objets encombrants devenus inutiles.
Elle ne dit pas qu’il ne faut pas le faire, mais qu’il faut prendre en considération
autrement ces personnes.
C’est une opération qui nous satisfait par rapport à l’objectif de départ. Ces lettres
montrent bien que, même si l’on est très âgé, même si l’on est en établissement et que
l’on est en quelque sorte retiré du monde, on peut parler du monde, parler au monde. Et
c’est ce qu’on a voulu montrer. Il n’y a pas d’âge pour se sentir citoyen. Il y a des lettres
sur Sarkozy, Chirac, l’écologie, l’obligation de voter, la vie en banlieue difficile, la
publicité… pleines de charme, d’humour et du sens des responsabilités individuelles et
collectives.
PS : La FNG termine la rédaction de l’étude thématique et lexicale d’un échantillon de
lettres à… analysées selon le sexe, l’âge et la csp des auteurs. Pour celles et ceux que
cela intéresse, se reporter au site de la FNG pour en connaître les résultats.
Plus d’informations sur l’édition 2007 :
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Pour connaître tout du fonctionnement de ce concours, voir les informations données sur le site de la FNG www.fng.fr
AFBAH – Colloque Plaisirs et soins, 16 octobre 2007
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http://www.fng.fr/html/actualites/detail_actu.asp?actu=266
http://www.fng.fr/html/etudes_recherche/recherche_science/pdf/Lettres_primees_2007.
pdf
Une des lettres présentées
"Lettre à…" 2007, Prix "Coup de cœur".
Raymonde, 86 ans, Directrice d'école (17)
Mes p’tits bonheurs, mes petits plaisirs au rayon d’or et la cigarette !!!
Presque un an déjà que je suis là !
Mes premières impressions : être enfermée, être dépendante d’autrui, rangée dans ma
petite boîte.
Je ne marche pas (ou si peu)
Je ne vois pas (ou si peu)
Mais… je fume !!
Je sais que ce n’est pas bien, mais c’est un des rares plaisirs qui me restent.
Dès que j’ai une visite, je vais fumer ma cigarette sous les parasols jaunes à presque
tous les temps, c’est devenu mon petit coin favori.
Le parasol qui sert de parapluie quelquefois
La haie qui abrite du vent
Le jardin du voisin (on surveille la pousse des tomates, pommes de terre et cornichons)
Le chant des oiseaux
La visite du chat Halloween
Et puis, je me suis enhardie à fumer ma cigarette du matin après le café, toute seule, sur
ma chaise sur le balcon : mon premier bonheur du jour.
Évidemment ce n’est pas passé inaperçu !
Un jour, une équipe sympathique est venue me chercher, alors qu’ils mangeaient dehors
sous le kiosque. En fumant ma cigarette, j’ai profité de leur présence et de leur joie de
vivre. Gros bonheur du jour !
Je me souviens du matin de mon anniversaire quand j’ai ouvert les yeux, toute une
équipe autour de mon lit, avec un plateau fleuri, des cadeaux.
C’était chaleureux, j’étais chez moi.
Et en cadeau : un petit cendrier !!
Une centaine de lettres tirées des opérations « Lettres à » ont été
éditées dans le recueil C’était hier et c’est demain, Lettres d’anciens
jeunes à de futurs vieux (éditions Tallandier 244 pages, 17 €)
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Quelques ressources
Bibliographie
Antonio DAMASIO, L’erreur de Descartes. Odile Jacob, 1995.
J. GAUCHER, Gérard RIBES, Louis PLOTON (2005) . La sexualité des personnes âgées
Revue Francophone de Gériatrie et de Gérontologie octobre tome XII n° 118 p 420 - 425
Yves GINESTE, Jérôme PELLISSIER, Humanitude, comprendre la vieillesse, prendre soins
des hommes vieux. Armand Colin, 2007.
MUSSET E., MENECIER-OSSIA L., BERNARD B., [……] Louis PLOTON, " Le syndrome
confusionnel en institution : actions soignantes et prévention ", Repères en gériatrie,
Octobre 2006, volume8, p : 319-323
Louis PLOTON, Maladie d’Alzheimer à l’écoute d’un langage. Chronique sociale, 3ème
édition, 2004.
Louis PLOTON (préface de LAROQUE G.), La personne âgée : son accompagnement
médical et psychologique et la question de la Démence, Chronique Sociale, Lyon (244p),
2005, 6ème édition
Gérard RIBES, (2007) L'appartenance générationnelle facteur de résilience chez l'âgé in
Résilience vieillissement et maladie d'Alzheimer Ouvrage collectif sous la direction d'A.
Lejeune Solal p 55-64
Gérard RIBES, (2006) Facteurs de résilience chez l'âgé. Ouvrage collectif sous la
direction d'A. Lejeune Solal p 69-78
Gérard RIBES, J. GAUCHER ( 2006) Les modes de réponse de la famille à la dépendance
de l'âgé. Exclusion, maladie d'Alzheimer et troubles apparentés : le vécu des aidants
Ouvrage collectif sous la direction de P. Pitaud Ed Eres Pratiques du champ social 2006 p
65-86
Didier VERNAY. Le Chien, partenaire de vie, applications et perspectives en santé
humaine. Eres Ed – 2003.
Didier VERNAY, Hélène DERUMEAUX, & Col. Docteur, que pensez vous des régimes
alimentaires dans la SEP ? Le Courrier de la Sclérose en Plaques – 2000, N°85, 5-9.
Didier VERNAY, Joëlle RICHARD, & Col. Fasciathérapie, prise en charge précoce des
personnes ayant une Sclérose en Plaques. APF-SEP – 2003, N°10, 14-21.
Affect Amygdale Alzheimer, manifestations non cognitives et diagnostics précoces de
démences. Edition Solal. Janvier 1999
L'animation des personnes âgées en institution, Edition MASSON, collection formation et
pratique de l'aide soignant
Prise en soins du patient Alzheimer en Institution. Institut Alzheimer. Edition Masson.
Mars 2006.
Sites Internet
Philippe Crône : http://www.igm-animation.fr
Jérôme Pellissier : http://jerpel.fr
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