Position de thèse - Université Paris

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Position de thèse - Université Paris
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE IV:
Civilisations, Cultures, Littératures et Sociétés
Unité de Recherche: Texte et Critique du Texte
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline/Spécialité: Lettres/Langues et Littératures Anglophones
Présentée et soutenue par:
Min-Hua WU
Le 27 Juin 2011
LA DIALECTIQUE VICTORIENNE: UNE INTERPRÉTATION
SOCIOPOLITIQUE DE JANE EYRE ET DE WUTHERING
HEIGHTS DES SŒURS BRONTË
Sous la direction de:
Monsieur Alain JUMEAU
Professeur émérite, Université Paris-Sorbonne
JURY:
Madame Claire BAZIN
Professeur, Université de Paris Ouest Nanterre
Madame Odile BOUCHER-RIVALAIN Professeur, Université de Cergy-Pontoise
Madame Françoise DUPEYRON-LAFAY Professeur, Université de Paris Est Créteil
Monsieur Alain JUMEAU
Professeur émérite, Université Paris-Sorbonne
POSITION DE THÈSE
Cette thèse, « La dialectique victorienne : une interprétation sociopolitique de Jane
Eyre et de Wuthering Heights des sœurs Brontë », analyse les notions dialectiques à
l’œuvre dans Jane Eyre et dans Wuthering Heights afin d’éclairer les phénomènes
dialectiques littéraires, sociopolitiques, et/ou subjectifs présents dans les deux romans.
Dans cette recherche, le mot “dialectique” s’entend selon trois sens : étymologique,
marxiste et kristévan. D’abord, la perspective dialectique est appelée à analyser les formes
littéraires rivales, le romantisme rémanent et le victorianisme dominant, qui convergent
vers la grande ligne de démarcation poétique dans les deux romans. Puis, en faisant
référence au concept de l’interpellation et à la notion des “Deux Nations” qui caractérise la
société victorienne, cette thèse s’engage dans une interprétation dialectique de l’interaction
entre le sujet et l’idéologie dominante afin d’explorer comment les idéologies du « getting
on » et du « self-help » à l’ère victorienne influencent les vies de la famille Brontë,
comment les deux romancières reflètent ces valeurs sociopolitiques dominantes dans leurs
créations de Jane Eyre et de Heathcliff, et comment les sœurs Brontë dépeignent la lutte et
le pèlerinage à travers lesquels le héros et l’héroïne transcendent le fossé social qui reste
posé entre les deux nations. Finalement, fondée sur l’héréthique de Julia Kristeva, cette
thèse enquête sur l’identification Heathcliff-Catherine en l’interprétant comme une autre
éthique de la subjectivité. Globalement, la thèse met en lumière trois niveaux remarquables
de significations dialectiques des palimpsestes brontëens en dévoilant la profondeur de leur
art.
Dans cette recherche, les termes « dialectique » et « sociopolitique » sont entendus au
sens large. Le premier mot-clef « dialectique » est puisé dans son sens étymologique lié à la
notion de « conversation » et de « dialogue » ; de plus, il est élucidé en faisant appel au
vocabulaire marxiste de Raymond Williams et au concept à la fois sémiotique et
psychanalytique proposé par Julia Kristeva. Le second, « sociopolitique », se rapporte
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quant à lui à tout ce qui concerne le pouvoir historique et à l’influence de la réalité sociale
susceptible d’agir sur l’acte de la création littéraire. Autrement dit, par le mot
« sociopolitique », le projet entrepris ici vise à cerner en profondeur la relation interactive
et même d’interpénétration entre la genèse de Jane Eyre et de Wuthering Heights et
l’ensemble des faits socio-historiques qui forment une certaine « idéologie » caractéristique
de l’époque victorienne et pouvant influer sur l’écriture des romans, mais qui en même
temps « se réfracte » subtilement dans ces deux romans. C’est-à-dire que ce projet de
recherche consiste à s’engager dans une analyse des romans en s’appuyant sur les
perspectives historiques, littéraires, et sociopolitiques. L’intérêt de cette recherche est de
mettre en relation la création de Jane Eyre et de Wuthering Heights avec les courants
littéraires et l’idéologie dominante de l’époque où ces deux romans ont fait leur apparition.
De plus, il me semble qu’une telle recherche tentant de « contextualiser » la genèse du
roman dans sa « situation » historique contribue pour beaucoup à résoudre les nombreuses
difficultés que les critiques littéraires ont rencontrées, directement ou indirectement, dans
leur interprétation de ces deux romans. Ainsi, la perspective dialectique, appropriée dans
cette recherche, nous permet non seulement d’analyser mais aussi de contraster
l’interpénétration, l’antithèse et même la synthèse entre ce qui appartient au rémanent et ce
qui appartient au dominant, entre les personnages décrits dans les deux romans et
l’idéologie sociopolitique dominante de l’époque victorienne, et entre les sujets des romans
et les nouvelles subjectivités émergeantes dépeintes par les deux sœurs Brontë. Ainsi,
s’appuyant sur la notion dialectique, la thèse entreprend une interprétation plus large qui
explore à la fois le rémanent, le dominant, et l’émergeant que l’on peut découvrir dans les
deux romans. En outre, toutes les trois dimensions essentielles sont prises en considération
à travers une perspective dialectique qui les met en relation et en relief l’une avec l’autre
pour atteindre une analyse approfondie, une analyse critique et complète qui porte sur la
forme littéraire, le fond sociopolitique et la subjectivité individuelle que représentent les
deux romans.
Dans l’Introduction de la thèse, on présente une nouvelle perspective dialectique dans
l’interprétation des œuvres romanesques de Charlotte et d’Emily Brontë, surtout de Jane
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Eyre et de Wuthering Heights. L’auteur de la thèse essaie de récapituler l’histoire
interprétative de Wuthering Heights en faisant appel à de nombreux critiques littéraires. Le
but est de montrer la nature mystérieuse et troublante de ce célèbre roman d’Emily Brontë,
reconnue par les critiques littéraires et par là de présenter une nouvelle perspective
dialectique qui sert à mieux comprendre le mystère du roman et à mieux interpréter la
profondeur brontëenne. De même, réexaminant la genèse de Jane Eyre dans son contexte
aussi bien historique que biographique, l’auteur de cette recherche, s’appuyant sur la même
notion de dialectique, tente de dévoiler la richesse de ce roman de Charlotte Brontë.
D’ailleurs, l’auteur esquisse l’arrière-plan de l’ère victorienne en faisant une étude
comparative de Jane Eyre avec d’autres romans de nature similaire de l’époque. Ainsi, sont
examinés à la fois les aspects littéraires et la dimension sociopolitique incarnés dans Jane
Eyre en tant que roman victorien afin de mettre en lumière la particularité de sa forme
esthétique et la spécificité de son fond sociopolitique qui est étroitement lié à l’éthique et à
l’idéologie dominante de l’époque. Bref, en présentant une nouvelle perspective dans cette
longue histoire de l’interprétation de Jane Eyre et de Wuthering Heights, cette recherche
sert non seulement à souligner la particularité des sœurs Brontë mais également à articuler
une nouvelle orientation interprétative.
La première partie de la thèse se concentre sur la fusion troublante entre les deux
courants littéraires des romans : le courant romantique dans son ensemble, y compris dans
ses dimensions gothiques, et le courant réaliste dont les fondements sont le mode de vie et
les mentalités dominantes de l’époque victorienne. Cette partie met le victorianisme en
dialogue avec ce qui le précède, c’est-à-dire le romantisme. Après avoir souligné la
particularité temporelle des sœurs Brontë dans l’histoire de la littérature anglaise, l’auteur
analyse une convergence unique de la forme littéraire imaginaire et/ou irréaliste et du fond
sociopolitique qui est à la fois réel et réaliste chez les sœurs Brontë. Tandis qu’Emily
Brontë s’approprie la tradition gothique qui la précède dans sa création littéraire en tant que
« seuil » et « clôture » de son roman qui servent à camoufler sa critique sociopolitique
d’une manière révolutionnaire, Charlotte Brontë s’approprie la tradition romantique, y
compris la tradition gothique, dans sa création romanesque dont l’héroïne se trouve
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toujours dans un conflit binaire, entre le romantisme imaginaire et le victorianisme réaliste,
c’est-à-dire entre la consolation du rémanent et l’oppression du dominant, dans un
pèlerinage largement linéaire qui se compose de dimensions littéraires et d’aspects sociaux.
Une étude comparative entre Charlotte et Emily Brontë est ainsi réalisée : dans le cas de
Wuthering Heights, fondant sa structure symétrique sur deux localités tout à fait binaires,
Emily Brontë adapte les courants romantiques comme forme littéraire ou configuration
esthétique pour encadrer le fond sociopolitique ou le contenu éthique de son art ; en
revanche, Charlotte Brontë fait naviguer son personnage entre romantisme et victorianisme,
c’est-à-dire entre l’extérieur consolant doté des éléments naturels et romantiques et
l’intérieur bouleversant rempli de conflits sociopolitiques particuliers à l’ère victorienne.
La deuxième partie de la thèse tente de faire apparaître l’idéologie dominante de
l’époque victorienne qui a exercé toute la puissance de son influence sur la vie des sœurs
Brontë ainsi que sur la création des romans en question. L’auteur essaye de mettre à nu les
mécanismes du phénomène social dit « Les Deux Nations » qui a influencé presque tous les
aspects de la vie dans la société victorienne en s’appuyant sur des exemples concrets
dépeints par Benjamin Disraeli et par Friedrich Engels. Dans l’interprétation des romans
effectuée dans cette thèse, cette notion des deux nations sera entendue au sens large en tant
que fossé social entre tout ce qui appartient aux puissants et tout ce qui appartient aux
faibles. Ainsi, l’auteur considère Wuthering Heights comme un symbole de la pauvreté et
de la détresse des pauvres ; au contraire, Thrushcross Grange apparaît comme un symbole
de la richesse, voire comme une serre pour les riches. En parallèle, Jane Eyre est interprété
par l’auteur comme le microcosme des Deux Nations dans lequel se dessine la condition
difficile pour la pauvre Jane dans une société aliénante où le fossé social reste
infranchissable entre la classe des riches et la classe des pauvres, c’est-à-dire entre
l’orphelinat et la bourgeoisie. De la sorte, l’auteur expose la critique de Charlotte Brontë,
une critique sociopolitique évidente contre la bourgeoisie et l’injustice sociale à travers
l’intrigue linéaire et le développement de l’héroïne : orpheline sous le toit de Mrs. Reed,
élève maltraitée à Lowood Institution, et gouvernante vivant une relation amoureuse
désespérée à Thornfield Hall. À travers les critiques sociopolitiques chez Charlotte et Emily
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Brontë, la thèse met les œuvres des deux sœurs Brontë en dialogue avec la société de leur
temps. Même si les critiques sociopolitiques dans les deux romans sont faites d’une façon
frappante voire révolutionnaire, les critiques, évidentes chez Charlotte sont latentes,
presque impénétrables, chez Emily.
La troisième partie de la thèse vise à éclairer l’obscurité insondable que représente les
relations entre Heathcliff et Catherine d’une part, et entre Wuthering Heights et
Thrushcross Grange d’autre part, en s’appropriant les perspectives théoriques fondées sur
les discours de Julia Kristeva. En d’autres termes, cette partie tente d’éclaircir la notion de
la dialectique entre la modalité du sémiotique et la modalité du symbolique. De plus, nous
utilisons le concept de l’« héréthique » dans notre interprétation, afin d’expliquer la relation
entre Heathcliff et Catherine. En effet, l’« héréthique » n’est pas en désaccord avec la
vision unique d’Emily Brontë sur la relation « intersubjective » qui est en un certain sens
dialectique. C’est-à-dire que cette partie aborde la vision spécifiquement « brontëenne » de
l’identité, de l’identification, du sujet et même de la subjectivité. Dans cette partie, la
relation étroite depuis l’enfance entre Catherine et Heathcliff est étudiée en faisant appel au
discours sur l’altérité mutuelle de Julia Kristeva. De même, la relation amoureuse mais
bouleversante des personnages est explorée en faisant référence au discours sur l’héréthique
proposé
par
Kristeva.
Pareillement,
les
pouvoirs
contradictoires
mais
aussi
complémentaires entre Wuthering Heights et Thrushcross Grange sont interprétés comme
les pouvoirs dialectiques entre le sémiologique et le symbolique.
La Conclusion de la thèse indique qu’il existe trois couches de significations
dialectiques parallèles dans les deux romans des deux sœurs Brontë, c’est-à-dire la
« dialectique esthétique » de la forme littéraire, la « dialectique éthique » du fond
sociopolitique, et la « dialectique héréthique » de la relation intersubjective. La notion de la
« dialectique esthétique » est appelée à qualifier la forme littéraire qui caractérise Jane Eyre
et Wuthering Heights, une forme typiquement brontëenne qui combine à la fois le passé et
le présent, le rémanent et le dominant, l’imagination et la réalité, le gothique et le réalisme
à travers des techniques romanesques différentes chez Charlotte et Emily Brontë.
Similairement, la notion de la « dialectique éthique » a pour fonction de dévoiler les
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critiques sociopolitiques chez les deux sœurs Brontë dont les romans abondent en faits
sociaux ainsi qu’en critiques sociopolitiques, soit évidentes, soit latentes, si l’on reste
toujours conscient du concept des « deux nations » qui trouble la société victorienne. Enfin,
la notion de la « dialectique héréthique » dans notre réinterprétation de Wuthering Heights
nous dépeint une sorte de quasi « Brave New World », car la tendance utopique peut être
perçue dans l’art d’Emily Brontë et dans l’héréthique de Julia Kristeva.
En dernière analyse, « the frauds and furies of disjointed worlds » (Sichel xi) dans la
peinture de Sybil, or the Two Nations sous la plume de Benjamin Disraeli trouvent un
curieux mariage à la fois conjugal et social dans les représentations littéraires de Jane Eyre
et de Wuthering Heights à travers l’art de Charlotte et d’Emily Brontë, dans une perspective
dialectique qui prend en considération non seulement les « deux mondes esthétiques » entre
le passé relativement pastoral et le présent précipitamment industrialisé mais aussi les
« deux nations socio-éthiques » séparées par le fossé sociopolitique entre la classe des
riches et la classe des pauvres, et finalement les « deux modalités héréthiques » entre le
côté sémiologique que représente le monde largement primitif de Wuthering Heights et le
côté symbolique pleinement représenté par une Thrushcross Grange civilisée. En d’autres
termes, la présente thèse montre comment une perspective dialectique devait nous
permettre de faire collaborer une recherche sur la forme poétique, une recherche sur le fond
éthique et une recherche sur la subjectivité héréthique—de montrer comment, en fin de
compte, l’interprétation littéraire de Charlotte et d’Emily Brontë se devait de penser aussi
son temps et la société de l’époque victorienne pour ce qu’elle est, dans sa temporalité et
son contexte particuliers, qui enrichissent notre appréciation des sœurs Brontë en dévoilant
les trois couches de significations dialectiques dans leurs œuvres que sont les « Deux
Mondes » esthétiques, les « Deux Nations » sociopolitiques, ainsi que les « Deux
Modalités » héréthiques.
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