Un locateur peut-il résilier un bail et expulser un

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Un locateur peut-il résilier un bail et expulser un
Un locateur peut-il résilier un bail et expulser un locataire sans recourir aux tribunaux ?
Par : Paul Mayer, du cabinet d’avocats Fasken Martineau
La réponse à cette question, qui rend perplexe tant les locateurs que leurs locataires
lorsque leurs relations se détériorent, repose sur les faits propres à chaque situation, sur l’état du
droit et, en grande partie, sur la façon dont le bail a été rédigé.
La plus importante décision rendue l’année dernière concernant les baux commerciaux
est sans contredit le jugement de la Cour d’appel du Québec relativement à un restaurant qui
portait le nom prédestiné de Le Flamboir. Dans cette affaire, il semble bien que toutes les
personnes qui y ont été mêlées s’y sont brûlé les doigts…
Dans le milieu juridique, la décision de la Cour d’appel du Québec d’avril 2003, 90515909 Québec Inc. c. 9067-8665 Québec Inc., est déjà du réchauffé.
Cette décision a été
commentée par plusieurs avocats, notamment Denis Paquin, mon associé, Louis Roy de Québec,
Ilinca Ghibu et le cabinet d’avocats Mendelsohn. Cela vaut néanmoins la peine de reparler une
fois de plus de cette histoire, car elle sert de guide sur la façon pour un locateur de pouvoir
résilier un bail sans recourir aux tribunaux. Pour la première fois, on apprend qu’il est possible
de le faire légalement dans certaines circonstances sans avoir à subir les longs délais et les coûts
rattachés au processus judiciaire.
Action en résiliation de bail
Mais avant tout, faisons un peu d’histoire. Rappelons que, avant 1994, la règle en vertu
de l’ancien Code civil (le « Code ») voulait que, en l’absence d’un consentement entre les
parties, la seule façon de résilier un contrat commercial en cas de défaut était d’obtenir d’un
-2tribunal un jugement prononçant la résiliation du contrat. Ce régime reposait sur le vieil adage :
« Nul ne peut se faire justice soi-même ».
Plus particulièrement, pour obtenir gain de cause dans une action en résiliation de bail, le
propriétaire devait prouver au tribunal deux choses : le non-respect d’une obligation et
l’existence d’un préjudice grave.
En outre, le Code prévoyait que, lorsqu’un propriétaire intentait une action en résiliation
de bail pour non-paiement du loyer, la résiliation pouvait être évitée si le locataire payait le loyer
dû, les intérêts et les frais de justice, avant que jugement ne soit rendu.
Le fait que le locataire était manifestement en défaut, ne constituait pas forcément un
motif suffisant pour résilier le bail. Le propriétaire devait également prouver que le défaut lui
causait un « préjudice grave » et que le locataire était toujours en défaut au moment de l’audition
de la cause. Tout cela était des questions de fait.
Comme ces dispositions du Code et la jurisprudence portant sur la résiliation des baux
commerciaux n’étaient pas d’ordre public, les parties à un bail étaient libres de s’en soustraire.
Pour éviter qu’un locataire ne se prévale de moyens de défense et de recours pouvant
alors éventuellement empêcher le locateur de résilier un bail commercial, on insérait souvent
dans les baux une clause aux termes de laquelle les parties convenaient que, advenant la
survenance d’un certain cas de défaut ou sur avis de la survenance d’un cas de défaut, le bail
serait aussitôt résilié. Une telle clause était valide. Elle permettait au locateur d’éviter d’avoir à
prouver la nature sérieuse du préjudice subi et privait également le locataire de toute mesure
corrective ayant pour but de remédier à son manquement.
-3Lorsque le locataire refusait d’obtempérer à l’expulsion et que le locateur était forcé à
demander une ordonnance du tribunal, ce dernier ne déclarait pas l’annulation du bail. Il
confirmait plutôt tout simplement que le bail était déjà résilié conformément à la volonté des
parties, tel que prévu au bail.
Modification importante apportée au nouveau Code civil
Le nouveau Code civil (le « nouveau Code »), qui est entré en vigueur en janvier 1994, a
apporté un changement radical dans la façon par laquelle un contrat commercial peut être annulé,
en introduisant un concept semblable au droit de confiscation (forfeiture) que l’on retrouve en
Ontario. Un nouvel article du nouveau Code prévoit que « la résolution ou la résiliation du
contrat peut avoir lieu sans poursuite judiciaire lorsque le débiteur est en demeure de plein droit
d’exécuter son obligation ou qu’il ne l’a pas exécutée dans le délai fixé par la mise en demeure ».
Malheureusement pour les locateurs qui cherchaient un recours rapide et peu coûteux
pour les manquements aux baux, la Cour d’appel du Québec a décidé en janvier 1995 que le droit
d’annuler un contrat de façon unilatérale sans l’intervention d’un tribunal n’était pas applicable,
en règle générale, aux baux commerciaux.
Place Fleur de Lys
Dans l’affaire Place Fleur de Lys c. Tag’s Kiosque Inc., le propriétaire de deux
commerces de restauration rapide d’un centre commercial de Québec cessa de payer son loyer en
mars 1994. Alors qu’il continuait à occuper les lieux à sa guise, il allégua que ses affaires
avaient diminué parce que le locateur avait loué des locaux du centre commercial à des
concurrents. En juin 1994, le locataire devait plus de 25 000 $ au locateur en loyers impayés.
C’est alors que le locateur envoya au locataire une mise en demeure, qui resta sans réponse. Le
-4locateur déposa alors une requête en recouvrement des sommes dues. De plus, au cours du mois
de juillet, le locateur décida d’envoyer au locataire un avis l’informant qu’il considérait le bail
comme résilié conformément aux dispositions du nouveau Code. Le locataire ignora cette
tactique et refusa de quitter les lieux. Le jour de l’Halloween, soit le 31 octobre 1994, le locateur
coupa l’électricité et envoya au locataire un avis l’informant qu’il entendait reprendre possession
des lieux. Quatre jours plus tard, le locataire obtenait du tribunal une injonction provisoire
ordonnant le rétablissement du courant électrique et la cessation de toute mesure visant à
l’empêcher d’exercer ses activités commerciales.
Le locateur revint à la charge en demandant une injonction permanente qui lui permettrait
de reprendre possession des lieux et d’expulser le locataire. À la fin de novembre 1994, la Cour
supérieure rendit un jugement dans lequel elle refusait d’accorder l’injonction demandée par le
locateur. Selon elle, et malgré les nouvelles dispositions du nouveau Code , le locataire ne
pouvait être expulsé au moyen d’une injonction. La Cour ajouta que le bail ne pouvait être
résilié automatiquement étant donné que le locataire contestait la réclamation pour loyers
impayés.
Le locateur interjeta appel de la décision, soutenant que le nouveau Code avait consacré
une règle nouvelle par laquelle une partie peut de plein droit résilier un contrat commercial
lorsque l’autre partie ne respecte pas ses obligations. Il prétendait d’autre part que sa requête en
expulsion du locataire au moyen d’une injonction était adéquate dans les circonstances.
En juin 1995, soit près de 18 mois après que le locataire eut cessé de payer le loyer, la
Cour d’appel du Québec décida que la règle générale permettant à un créancier de résilier un
contrat sans autorisation judiciaire ne pouvait s’appliquer dans les circonstances, étant donné
-5l’existence de règles plus précises dans le nouveau Code conférant aux locateurs d’autres recours
en cas de défaut du locataire. La Cour d’appel du Québec souligna que le nouveau Code prévoit
que l’une ou l’autre partie à un bail peut demander résiliation du bail lorsque le non-respect de
celui-ci entraîne un préjudice grave. En outre, le nouveau Code prévoit que le locataire, contre
qui une « action » en résiliation de bail est intentée, peut éviter la résiliation en payant le loyer, y
compris les intérêts et les frais de justice, avant que le jugement ne soit rendu. De l’opinion de la
Cour d’appel, ces articles du nouveau Code imposent, en règle générale, que la résiliation du bail
soit prononcée par un tribunal. Ce jugement eut pour effet de renvoyer le locateur devant la
Cour supérieure et de l’obliger à attendre son tour pour que son action en résiliation de bail et en
recouvrement de loyer impayé soit entendue .
Ce jugement a fait autorité. Il a été suivi dans plusieurs autres décisions rendues depuis.
De façon générale, on ne pouvait alors résilier de façon unilatérale un bail sans d’abord
« demander » à un tribunal de le faire. Des dispositions contractuelles dans un bail stipulant
expressément que, en cas de défaut, celui-ci serait automatiquement résilié et que le locateur
pourrait reprendre possession des lieux sans recourir aux tribunaux étaient réputées contre l’ordre
public et, par conséquent, invalides. C’est aussi ce que l’on enseignait dans les facultés de droit.
Le Flamboir
Maintenant, tout cela a changé. En effet, en avril 2003, la Cour d’appel du Québec a
décidé, dans l’affaire Le Flamboir, qu’il était maintenant possible, dans certains cas, de résilier
un bail de façon unilatérale sans recourir aux tribunaux. En d’autres termes, le locateur peut
maintenant se faire justice lui-même.
-6On peut résumer ainsi les faits de la cause : M. Mohammed Benyoussef était le
propriétaire d’une compagnie possédant un immeuble situé sur le chemin Sainte-Foy, à Québec.
Au début de 1998, le restaurant qui occupait cet immeuble déclara faillite. M. Benyoussef
encouragea un groupe de quatre immigrants récemment reçus et travaillant dans le restaurant en
qualité de serveuses, de cuisiniers et de gérants à lui acheter le matériel du restaurant, tout en les
aidant d’autre part à obtenir le financement nécessaire auprès de la Caisse populaire Desjardins
de Saint-Sacrement. Ils formèrent une compagnie, achetèrent le matériel pour 65 000,00 $ et
signèrent un bail, d’une durée de cinq ans, débutant en octobre 1998 et prévoyant un loyer
mensuel d’environ 3 500,00 $. Le bail comportait les deux clauses suivantes :
Conditions : À défaut par le locataire de payer le loyer à échoir en vertu du
présent bail à chacune des échéances ci-dessus fixées, ou de remplir les
conditions du présent bail et de tout renouvellement, ce dernier sera résolu de
plein droit, à l’option du bailleur, sans préjudice au droit de ce dernier de
recouvrer le loyer échu et à échoir en vertu du présent bail;
Droits et recours du bailleur : Si le loyer stipulé dans ce bail n’est pas payé au
jour prévu pour son paiement, ()sous réserve et sans préjudice à tous autres
recours et droits du bailleur et, au gré du bailleur, le bail (sic) pourra, sans avis ou
toute autre forme de procédure judiciaire, pénétrer immédiatement dans les lieux
loués et en reprendre possession, devenir propriétaire des effets du locataire et les
enlever des lieux loués, aux frais de ce dernier, nonobstant tout règlement ou loi à
l’effet contraire.
Les locataires prirent possession des lieux le 1er septembre 1998 et apportèrent des
améliorations locatives d’une valeur d’environ 30 000 $.
-7Les relations entre le locateur et les locataires furent difficiles dès le début. En tout
premier lieu, les locataires durent réparer, à un coût d’environ 3 500 $, certains équipements du
restaurant qu’ils avaient achetés du locateur. Par ailleurs, ils furent incapables de payer le loyer
dans les délais stipulés au bail. Sept mois après l’ouverture du restaurant, en mai 1999, les
locataires avaient versé au locateur environ 25 000 $ en loyer. Environ 2 000 $ demeuraient
impayés. Étant donné les difficultés financières auxquelles les actionnaires étaient confrontés,
ceux-ci confièrent la vente du restaurant à un agent immobilier.
Le 13 mai 1999, les locataires transmirent au locateur une lettre d’avocat lui demandant
une réduction importante du loyer et le remboursement d’une partie du coût de l’équipement
qu’ils lui avaient acheté, car, selon eux, le locateur avait fait de fausses représentations et fait
preuve d’abus de confiance. En réponse à cette demande, le locateur intenta une action en
résiliation de bail, le 17 mai. Quelques jours plus tard, soit le 20 mai, à 18 h 30, les locataires
reçurent une mise en demeure les informant que le bail avait été résilié de plein droit, le locateur
leur demandant de quitter les lieux d’ici midi le jour suivant. Le lendemain matin, le locateur,
accompagné d’un huissier et d’un serrurier, se présenta sur les lieux. Les clients et les employés
furent priés de partir et les serrures furent changées.
Par la suite, le locateur, M. Benyoussef, ne fit aucun effort pour louer les lieux. Il les
rénova pour lui-même et commença à exploiter le restaurant après avoir racheté l’équipement de
la Caisse populaire, pour 7 000 $.
Cour supérieure
Le juge Jean Lemelin de la Cour supérieure conclut, en mars 2001, que les locataires
devaient au locateur les arrérages de loyer dus. Toutefois, la Cour, se fondant sur la décision
-8Place Fleur de Lys, décida que le locateur n’avait pas le droit de résilier le bail et d’expulser les
locataires des lieux sans autorisation judiciaire. Elle jugea que la conduite du locateur était
abusive et avait privé les locataires de la possibilité de vendre le restaurant. Entre autres, elle
condamna le locateur à payer aux locataires 5 000 $ en dommages-intérêts exemplaires. Ce
dernier interjeta appel de cette décision.
Cour d’appel du Québec
La Cour d’appel du Québec fut d’opinion qu’il n’était pas nécessaire d’intenter une
poursuite pour résilier un bail lorsque celui-ci stipule clairement que le locateur peut le résilier de
plein droit en cas de défaut de paiement du loyer.
La différence entre l’affaire Place Fleur de Lys et la présente affaire, a soutenu la Cour,
est que, dans la première, le bail ne contenait pas de clause précise stipulant que le locateur
pouvait résilier le bail en cas de défaut du locataire. La Cour a indiqué qu’elle ne voyait rien qui
permettrait de conclure à l’invalidité d’une clause résolutoire convenue par les parties et insérée
dans un bail commercial qui les lie :
« J’ai d’autant moins d’hésitation à reconnaître la validité, et la portée, d’une clause
prévoyant expressément la résiliation de plein droit d’un bail commercial au cas d’inexécution
des engagements contractuels pris par l’une ou l’autre des parties que cela me semble aller dans
le sens de ce que le législateur a voulu favoriser en adoptant la règle posée par l’article 1605
C.c.Q. au titre “Des obligations en général”. »
Dans la présente affaire , toutefois, la Cour d’appel du Québec jugea que, une fois qu’il
avait intenté une action en résiliation de bail le 17 mai, le locateur ne pouvait se faire justice luimême quelques jours plus tard en fermant de façon unilatérale le restaurant et en résiliant le bail.
-9Une fois l’action en résiliation de bail intentée, les locataires avaient le droit d’exercer leur droit
prévu au nouveau Code, qui leur permettait d’éviter la résiliation, et ce en payant les sommes
dues avant jugement.
La Cour jugea d’autre part que, même si le locateur avait eu le droit de résilier le bail de
plein droit, il avait agi de façon abusive et avait commis une faute en voulant procéder comme il
l’avait fait à la résiliation. Il a agi de façon abusive en donnant aux locataires un préavis écrit de
moins de 24 heures pour remédier à leur défaut. Le locateur connaissait également les difficultés
financières des locataires et savait qu’ils essayaient de vendre le restaurant. De plus, la Cour
estima que les sommes dues par les locataires étaient insignifiantes par rapport à celles qu’ils
avaient déjà versées et investies. En agissant de la sorte, le locateur empêchait les locataires de
vendre le restaurant et de récupérer leurs pertes.
Conclusion
La résiliation d’un bail constitue une mesure draconienne. L’affaire Le Flamboir nous
apprend qu’un locateur peut résilier un bail sans l’autorisation des tribunaux à la condition :
(i) qu’aucune action en résiliation de bail n’ait
déjà été intentée; (ii) que le bail stipule
clairement que le locateur est habilité à le faire; et (iii) que la résiliation soit faite de façon
raisonnable et non abusive. Cette décision réaffirme l’importance de bien rédiger la clause de
défaut dans un bail. Elle procure également aux locateurs une procédure rapide, efficace et peu
coûteuse pour résoudre les manquements à un bail.
Les locateurs qui souhaitent exercer ce droit devraient évaluer les conséquences
éventuelles d’une telle mesure, y compris la possibilité de devoir des dommages-intérêts s’ils
résilient un bail de façon prématurée ou abusive. Les règles relatives à la bonne foi stipulées
- 10 dans le nouveau Code prévoient qu’il ne suffit pas de respecter la loi ou la lettre du contrat. La
manière dont on respecte la loi est également importante. Les locateurs seraient bien avisés
d’examiner leurs façons de procéder en cas de défaut d’un locataire. Lorsqu’un locateur invoque
un cas de défaut, les tribunaux exigeront vraisemblablement de lui qu’il transmette au locataire
un avis écrit du défaut et lui accorde un délai raisonnable pour y remédier. Le caractère
raisonnable du délai donné pour corriger le défaut est une question subjective qui dépend des
circonstances. Enfin, les principes de la bonne foi signifient qu’un locateur ne devrait pas
résilier un bail si le défaut est de peu d’importance.