Bulletin 33
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Bulletin 33
S P 2 - Maison des Associations de l’Arsenal 11, rue de la Chaudronnerie - 65000 TARBES Octobre 2015 N° 33 Chers Adhérents, Amis, Bénévoles, Le Congrès de la SFAP (Société Française d'accompagnement et de soins palliatifs) où nous participions, nous a confortés dans nos fondements quant à notre démarche en soins palliatifs : partager, participer, posséder avec d'autres, avoir en commun, transmettre, faire passer, communiquer, faire parvenir. Un thème fort : partager et transmettre... une habitude, un silence, une émotion, une larme, une musique, nous renvoyant à des choses, à des réalités de notre histoire. partager et transmettre, c'est infuser des valeurs et des principes, mais c'est aussi aider à la compréhension pour peu qu'on les active grâce à un raisonnement. Les partages et les transmissions apportent des éléments qui enrichissent le grandissement de chacun, des expériences ou vécus privés, publics, familiaux, professionnels, culturels, sans jugement, dans le respect de l’autre. partager et transmettre est une chose capitale, indispensable et qui apporte une culture, une large vue de l'expérience technique et intellectuelle, un flair ! Gisèle Brisset Projet Directives Anticipées « grand public » Information et aide à rédiger ses directives anticipées, conformément à la Loi Léonetti, constituent le projet mis en place par SP2 auprès du grand public. Le plan en est déjà dessiné. La permanence pour un accueil direct et/ou sur rendez-vous s’effectuerait une fois par semaine au siège de SP2. Il serait prévu 2 volontaires par session. Cette permanence débuterait en Septembre 2016, car il y aurait lieu auparavant de former des volontaires, Dans ce numéro : d’associer un formateur spécialisé ès matière, un juriste, voire un psychologue aux fins de respecter l’aspect éthique et médical des directives anticipées, leur - Méthode PEACE et p 2 aspect juridique. Durant les formations, la partie théorique serait complétée par Directives Anticipées et 3 une phase de jeux de rôles, entrainement à l’accueil et gestion des émotions. - Ils ont dit ou écrit... P 3 Pour le moment rien n’est définitif sur ce projet qui ne peut se réaliser que s’il y a - Les 4 situations des volontaires. Aussi SP2 a lancé (et persiste ici) un appel à volontariat auprès de envisagées par la loi ses bénévoles d’accompagnement formés. Elle espère ainsi un nombre suffisant - Vivre un deuil minimum de 10 personnes, constituant ainsi 5 binômes qui, chacun d’eux, - Comment aider une p 4 n’effectueraient qu’une permanence hebdomadaire par mois. personne endeuillée Côté Grand Public et en parallèle, une campagne d’information sur cet accueil est - Maïté Laclaverie : envisagée ainsi que l’établissement de supports d’information et de rédaction des son expérience d’accompagnatrice en soins Directives Anticipées. palliatifs Notre email : [email protected] Notre N° de tél : 05 62 93 90 09 Les permanences sur notre local à la Maison des Associations de l’Arsenal : MARDI & JEUDI APRÈS MIDI de 15 h à 18 h - Philippe Pranal : p 5 « Et mon corps et ton et corps : paroles de p 6 soignant » - Votre Adhésion p 6 LES DIRECTIVES ANTICIPEES Réflexions de démarche éthique à partir de la méthode « PEACE » Définition des Directives anticipées : C’est un document écrit, daté et signé, par lequel une personne rédige ses volontés quant à sa fin de vie et aux soins médicaux qu'elle veut ou ne veut pas recevoir dans le cas où elle serait devenue dans l'incapacité d'exprimer sa volonté. C’est la loi n° 2005-370 du 2 avril 2005, dite loi « Léonetti » * relative aux droits des malades et à la fin de vie qui les a instaurés. (Attention une nouvelle loi sur la fin de vie est en discussion au parlement.) la méthode « PEACE » P Problème(s) - Peut-on décider en conscience de sa fin de vie ? Il y a la possibilité du suicide, légal en France, et de l’euthanasie, illégale en France (voir ADMD**). - Peut-on décider maintenant pour plus tard ? - Il n’y a pas de consensus sur un formulaire type pour les directives anticipées. (En attente au niveau du ministère de la Santé.) E Emotions - La mort : comment envisager sa mort ? - Si j’écris : cela va m’arriver ! - Peur de ne pas être entendu (e)… A Analyse - L’intérêt est de faire connaître ses volontés avant de ne plus être en capacité de le faire. - Suppose un système de santé performant et solidaire. - Les Directives Anticipées sont très peu connues par la population et même par les soignants. - Donc peu présentes et non appliquées. - Qui les rédige et quand ? Le patient lui-même ? Lors de l’apparition d’une maladie grave ? Avec l’aide de soignants, d’associations ? C Contemplation - Permettre l’expression de ses volontés, c’est important - Ma liberté : respecter - Et donc les faire connaître. - Pouvoir en parler, c’est ne pas être seul. Indispensable solidarité et accompagnement - prendre soin les uns des autres. E Equilibre - Il semble utile, pour tous, de remplir les directives, ne serait-ce que pour affirmer officiellement la nécessité de généraliser les soins palliatifs*** à tous les hôpitaux (plus nous serons nombreux, plus les politiques prendront en compte la demande…) mais aussi pour aider le personnel soignant et la famille à prendre les bonnes décisions pour le patient. - Il faut un système de soins performants et rééquilibrer la relation médecin / patient - Faire connaitre les directives anticipées - Comment ? Et sous quelle forme ? - Former des aidants - soignants ou non - à l’aide à la rédaction des Directives Anticipées. Liens internet : Site officiel : http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F32010.xhtml Télécharger le formulaire : http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/41426.xhtml L'affaire Vincent Humbert Vincent Humbert (1981-2003) était un jeune homme devenu tétraplégique, aveugle et muet, après un grave accident de la route. Son affaire a soulevé de nombreux commentaires face à son désir de mourir, l'euthanasie étant interdite en France. Après un grave accident 2 * Loi « Léonetti » n° 2005-370 du 2 avril 2005 Art. 7. : Droit à la rédaction de directives anticipées. Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie. Elles doivent être de nouveau signées tous les 3 ans et sont révocables à tout moment. Le médecin confronté à la question de l’éventuelle limitation ou arrêt de soins actifs doit en prendre connaissance et en tenir compte. Les directives doivent avoir été établies moins de 3 ans avant que ne survienne l’état d’inconscience de la personne. ** ADMD L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, depuis 34 ans, milite pour que chaque Française et chaque Français puisse choisir les conditions de sa propre fin de vie. Conformément à ses conceptions personnelles de dignité et de liberté. Dans cette perspective, l’ADMD entend obtenir une loi visant à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté et à assurer un accès universel aux soins palliatifs. *** les soins palliatifs La loi du 9 juin 1999 officialise le droit aux soins palliatifs : « Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. » (à ne pas confondre avec l’affaire Vincent Lambert…) de la route, le 24 septembre 2000, Vincent Humbert qui ne supportait plus cette vie sans espoir de guérison, entreprit de nombreuses démarches pour obtenir le droit d'être euthanasié. Il écrira au Président de la République d'alors, Jacques Chirac, auquel il demanda en vain un « droit de mourir ». Le 24 septembre 2003, la mère du jeune homme provoque le décès de son fils avec l'aide d'un médecin. Le jugement se conclut par un nonlieu en février 2006. L'affaire Vincent Lambert C’est une affaire judiciaire liée au débat sur la fin de vie en France dans les années 2010. À la suite d'un accident de la route survenu en 2008, Vincent Lambert plonge dans un état de conscience minimal, dit « pauci-relationnel », ou plus encore de « conscience minimale plus ». Après plusieurs années passées à essayer sans succès d'améliorer cet état, l'équipe médicale en charge de Vincent Lambert, avec le seul accord de sa femme et sans prévenir ses parents ni ses frères et sœurs, (à ne pas confondre avec l’affaire Vincent Humbert…) décide le 10 avril 2013 de mettre fin à ses jours en cessant de l'alimenter et de l'hydrater. L'absence de consultation de la famille aboutira à une annulation sur la forme de la décision du CHU de Reims par le tribunal administratif de Chalons-enChampagne. En septembre 2013, le CHU entame une nouvelle procédure sur la fin de vie de Vincent Lambert. La décision d'arrêter les traitements est à nouveau prise le 11 janvier 2014. S'engage alors une bataille judiciaire entre deux parties respectivement favorable et opposée à l'euthanasie passive de Vincent Lambert : l'équipe médicale, la femme de Vincent Lambert et six de ses frères et sœurs d'une part ; ses parents ainsi que deux de ses frères et sœurs d'autre part. Le sort de Vincent Lambert est actuellement entre les mains de la justice avec des plaintes des deux côtés de la famille dans un imbroglio juridique. La situation est bloquée, l’hôpital ne bouge pas. I LS ONT DIT ...ou écrit... Voltaire "Toutes les grandeurs de ce monde ne valent pas un bon ami. " John Vance Cheney "L’âme n’aurait pas d’arc-en-ciel si les yeux n’avaient pas de larmes." Charles Baudelaire "Poème divers N'est-ce pas qu'il est doux, maintenant que nous sommes Fatigués et flétris comme les autres hommes, De chercher quelquefois à l'Orient lointain Si nous voyons encore les rougeurs du matin, ° ° ° ° Et, quand nous avançons dans la rude carrière, D'écouter les échos qui chantent en arrière Et les chuchotements de ces jeunes amours Que le Seigneur a mis au début de nos jours ? Vivre un deuil (Source : soin palliatif / C N de Ressources) Le deuil est la réaction à la perte d’un être proche. Nous avons connu, nous connaissons ou nous connaîtrons tous un jour un deuil : la mort est un évènement de la vie, au même titre qu’une naissance. Si le vécu d’un deuil est une chose très personnelle et difficilement transposable à un modèle général, on peut tout de même en identifier les principales phases : au choc de l’annonce du décès succède une période de bouleversement et de déséquilibre. Nous entrons ensuite dans une période de reconstruction et de réorganisation de notre vie en l’absence du défunt. Chacun d’entre nous vit le deuil à sa façon, sur une période plus ou moins longue, à son rythme, de façon progressive mais pas forcément de manière linéaire. C’est au terme de ce cheminement, quand on retrouve du goût à la vie, que nous pouvons considérer que notre travail de deuil s’achève. 3 COMMENT AIDER UNE PERSONNE EN DEUIL ? (Source : soin palliatif / C N de Ressources) On ne sait pas toujours comment faire ou quoi dire pour aider une personne en deuil : le sentiment d’impuissance domine. Une attitude marquée par l’écoute, la patience et la compréhension peut déjà aider la personne endeuillée. Être présent. Les personnes en deuil ont besoin d’être accompagnées, mais il importe de garder à l’esprit que leur rapport aux autres est en pleine évolution. Elles sont souvent entourées dans les premiers temps après la disparition d’un proche, puis beaucoup moins : famille, amis, collègues, voisins… tous reprennent le cours normal de leur vie, alors que pour la personne en deuil cela reste difficile. On peut proposer de maintenir une présence auprès d’elle, par exemple avec des attentions concrètes comme faire des courses ou garder les enfants, aller se promener ensemble… Écouter. Plutôt que des encourage- ments ou des conseils parfois maladroits, les proches peuvent montrer à la personne en deuil qu’ils sont disponibles, à l’écoute de ses émotions et respectueux de ses silences. Parler du défunt si la personne en deuil le souhaite. Vouloir éviter de parler du défunt pour ne pas réveiller le chagrin de la personne en deuil part d’un bon sentiment et c’est une réaction normale. Le défunt occupe néanmoins toutes ses pensées et elle peut éprouver le besoin de l’évoquer. C’est une façon de ne pas le renier, d’apprivoiser progressivement son absence, et d’intérioriser la relation. A contrario, respecter le fait que la personne endeuillée ne se sent pas capable d’en parler ou ne le souhaite pas peut aussi être aidant. Comprendre les émotions de la personne en deuil. Le besoin de dire et redire les mêmes choses sur le défunt, le manque ressenti et les difficultés rencontrées peuvent conduire les personnes endeuillées à croire que leurs proches ne veulent plus les écouter. Elles peuvent alors ressentir de la solitude, de l’isolement et de l’incompréhension. Une personne endeuillée peut aussi ressentir de la gêne, de l’envie ou beaucoup de tristesse quand elle se trouve dans des situations qui lui rappellent son passé. Par exemple, un homme ayant perdu sa femme évitera pendant un temps de rencontrer des couples, des parents ayant perdu leur enfant ne côtoieront plus d’autres parents avec des enfants d’âge similaire. Ces exemples illustrent une forme de déstabilisation des relations sociales pour la personne endeuillée qui vit un processus de transformation. En restant à l’écoute et présent, en laissant une porte ouverte, le moment viendra où elle manifestera de nouveau l’envie de partager des moments avec d’autres. Maïté LACLAVERIE : son expérience d’accompagnatrice en soins palliatifs Depuis quand participez-vous à l'accompagnement ? Depuis 14 ans. Je visite en institution (clinique de l'Ormeau) ou à domicile. Pourquoi avoir choisi cette forme particulière de solidarité ? On ne peut pas vivre en passant à côté de l'essentiel". J'ai voulu donner un sens à ma vie". J'aurais pu choisir d'autres formes de bénévolat, mais la maladie dans sa souffrance et sa solitude m'a toujours beaucoup touchée .Depuis ma petite enfance j'allais rencontrer un oncle paralysé resté 10 ans dans son lit de torture et une vieille tante qui n'avait qu'un bras pour se mouvoir ... Je sentais en les visitant tant de bonheur en moi, ils avaient, pendant ces moments, retrouvé le sourire, la parole, la lumière dans le regard ... La maladie fait peur, éloigne, le malade est souvent dans une grande solitude ... Avez-vous reçu une formation ? Oui, bien sûr ! C'est impossible d'aller vers ces grands malades en fin de vie sans suivre une formation qui va nous éclairer sur le suivi de la maladie, de son évolution, de la psychologie du malade, etc... La durée de la formation s'étale sur une année, un samedi par mois. Pour intégrer l'association, il faut passer un entretien avec un responsable, un psychologue, 4 répondre à un questionnaire afin de déterminer ses motivations. Le fait que vous ne soyez ni médecin, ni soignant, ni membre de la famille ne rend-il pas difficile les contacts ? Non, au contraire ! Bien souvent les malades se confient à nous. Nous n'avons pas la blouse blanche, ils se sentent proches de nous et nous recueillons en toute neutralité, pensées, peurs, souvenirs intimes, joies, regrets, sans être ni psychologue, ni soignants, offrant tout simplement une oreille bienveillante. Nous faisons un bout de chemin avec eux, dans l'écoute, la parole, le rire parfois, car nos malades sont dans la vie jusqu'à la fin de leur existence. Quels sont les grands types de réactions que vous suscitez ? Il y a ceux et celles qui nous disent :« Je vous admire ! » (surtout pas) ou : " - Je ne pourrais jamais faire ce que vous faîtes ! " ou : "- Je suis trop sensible ! ". Il y a aussi ceux et celles qui, par notre exemple, veulent suivre une formation. La réaction des malades est souvent la même, ils nous remercient et nous disent dans un "fond" d'espoir : « - Si je m'en sors, je visiterai moi aussi des malades ! » Les malades nous font cadeau de leur sourire. Quel bonheur de sortir d'une chambre avec ce regard accroché au nôtre. Il y a aussi les familles avec qui nous tissons des liens privilégiés... Nous essayons de leur apporter soutien, paroles réconfortantes, mais ce sont toujours des moments éprouvants... Que d'émotions partagées... Comment parvenez-vous à garder un équilibre face à la mort des personnes que vous entourez ? Nous avons chaque trimestre une réunion d'un groupe de paroles avec un psychologue spécialisé en soins palliatifs... Chacun s'exprime dans la plus grande clarté et "décharge" son "poids", ses difficultés rencontrées. La parole est toujours salvatrice… On repart plus léger... Quand on choisit d'accompagner des malades en fin de vie, on a déjà fait un petit chemin intérieur. Il faut les aimer... Quand j'arrive dans une chambre, je suis à la disposition du malade... Être bénévole est une école de vie et d'attention à l'autre. Je ne suis pas une " surfemme", j'agis aussi avec mes peines au fond de moi... J'ai de la chance de me réinvestir dans la vie car il le faut si on veut continuer... Pour me ressourcer !? Le chant, l'écriture, la peinture. L'Amour des miens, l'Amitié partagée. L'Amour est plus fort que la souffrance et la mort. Et ton corps et mon corps. Paroles de soignant ... Bonjour, je suis Philippe, infirmier et je dois vous le dire, nous sommes entre nous, échanger sur le corps me plait. Je veux ici redonner un peu de ce que j'ai reçu de mes patients. Le corps s'impose, il me pose questions. J'ai des doutes et je suis toujours à chercher derrière les mots, les intentions ou les incompréhensions qui me traversent. l'autre. Qu'est-ce que j'engage de moi? Le désir de soigner, la beauté, la nudité, et le désir tout court sont présents. En parler, l'apprécier, la chaleur d'un regard, des pleurs silencieux en disent plus que des paroles. Se savoir humain, fragile, humble sont des pistes pour approcher en douceur, cet autre, mon frère en espérance. Ce que j'ai à vous dire ici est personnel, "entre nous". Ce n'est pas le manuel du parfait infirmier sur la façon de soigner. Je veux vous raconter comment je me dépatouille avec mon corps et le corps de l'autre dans cet espace du soin et de la maladie. À bras-le-corps… Infirmier depuis 25 ans, je fais des soins à domicile sur le secteur de Tarbes et je travaille dans une équipe mobile douleurs soins palliatifs dans le réseau de santé "Arcade." Et bien sûr, je suis à SP2. On cherche toujours son corps, le mien, celui de l'autre. J'aimerais vous faire partager un peu de mon vécu de soignant (et d'homme aussi) dans cette histoire de corps. Et surtout mes interrogations face à cette somme de représentations sur le corps... Corps beau, corps fou, corps malade, corps mort, corps à corps ; chacun cherche le sien. Disserter sur le corps. Quel corps, le mien, ou le vôtre, ensemble ? Cela me parait une impossible rencontre. Histoire de corps… Dans ma pratique, j'approche quotidiennement des patients (bien patients) dont le corps est souvent abîmé, souffrant et caché. Que je tente de soigner à leur corps défendant. Je suis audessus d'eux, physiquement au contact. Sur leur corps à examiner, piquer, perfuser, panser, laver et autres pratiques qui nécessitent une prise au corps et beaucoup d'implication. Et je dois vous le dire, je prends plaisir à faire cela. Comment l'expliquer ? L’illusion d'être utile, l'impression de soulager, au moins de rassurer, de guérir parfois. Accompagner serait un bon terme, enfin j'essaie. Au cours des suivis en soins palliatifs, je rencontre plusieurs patients dont la santé décline et le corps s'épuise. La mort au bout de leur voyage, mais pas pour tous heureusement. Le possible d'un soin se situe autour de la rencontre des deux corps, deux personnes donc. Rencontre dure, douloureuse, mais émouvante, vivante. Comment approcher ? Qu'est ce qui me traverse quand je vais à la rencontre de Parler à propos du corps.... De quoi veux -je parler ? Du corps ? Vraiment ? Ou des représentations que je lui donne ? Il y a de premier abord une contradiction : le corps vit, bouge, vieillit et se meurt tout seul. Comment le mettre en mots sans le trahir, l'idéaliser ? Le corps se suffit à lui-même, il ne m’attend pas pour s'agiter, se montrer ou me faire chuter. Ma parole ne peut le cerner, le dompter, lui imposer ma volonté. Parler de son corps, quelle drôle d'idée. C'est une folie... "Je vais bien, merci !" c'est tout ce que j'ai envie de dire. Un peu de pudeur tout de même. Il fonctionne très bien ce corps et puis, je ne suis pas habitué à me livrer. Mais le corps, lui n'attend pas, il me transporte, s'impose, quoi que je lui dise. Mon corps me parle pourtant. Ah ! Me voir en ce miroir ! - Ah ! Me regarder en photos ! Et celui de l'autre… tous ces corps exposés, devinés, qui me troublent ou m'éloignent. C’est déroutant… Et mon corps et ton corps, ça me parle, ça me dit bien quelque chose....le corps nous distingue, fait notre image, notre identité, notre vie. Il est toujours là, comme une ombre.... Ce n'est pas une pierre, ni une machine, il est chaud, il bouge, il se cache ou se donne. Et le tien, le sien, je le regarde, le jauge, m'en émeut ou pas, je l'imagine, je le voudrais comme ci ou comme ça... le désirer, le posséder.... Il ne se réduit pas au seul physique, à la plastique. Il y a l'envie, l'espoir, la beauté, l'immortalité. J'aime le corps, les corps, la danse, l'envol même si je sais que la terre me rappelle toujours à l'ordre. Et aussi, on ne peut l'oublier, l'homme est un animal. Serait-ce au risque de se perdre ? A chercher les limites du corps, du mien, du tien, elles m'échappent. Il se trouve d'autres approches, d'autres secrets et d'autres fuites et je voudrais que jamais ne s'épuise cette envie de rencontre, ni ne meure l'espoir d'être sans limites, comme un sentiment d'immortalité pour moi et mes patients (vous avez remarqué "moi d'abord"). Soigner n'est pas que rationnel. Le corps soignant… Je fais partie du corps.... soignant, encore un corps... Evidemment, « soignant », ce n'est pas neutre. On me permet d'accéder au corps du patient ; lui-même me le demande parfois.... J'ai déjà du mal à m'occuper de mon corps; alors celui des autres... A la question de savoir pourquoi je suis infirmier, qui je soigne ? Allez, je vous donne la réponse : en premier, moi-même...! Dans cet accès au corps de l'autre, ce que je suis prêt à reconnaître; ce sont mes difficultés de soignant : la peur de ne pas savoir soulager, la peur de ne pas être à la hauteur des attentes, l'inaccessible guérison, le soulagement que l'on ne procure pas, la peur de l'autre, de son jugement, l'impossible rencontre, qui je suis, qui est l'autre. Que l'on refuse mes soins, être en échec, la peur de faire souffrir et de souffrir moi-même, peur d'attraper sa maladie, peur de mourir avec… « Est-ce contagieux, docteur ? » Du côté du soignant, il est de bon ton de donner une image apaisée, rassurante de la fonction, pas de vague, pas d'émotion, le "professionnel", ni fou ni pervers quoi ! Et bien sûr, ce qui se joue dans cet entre deux-là n'est pas si limpide. Faire corps … Comment approcher l'autre et tenter de le soigner. Nous, soignants, devons avoir des gestes, des attitudes précises, des techniques et des protocoles et on nous demande, on nous impose, une "neutralité bienveillante". Il y a les textes officiels. En tant que soignant je suis soumis à des règles professionnelles - Code de la santé publique Code de déontologie - par exemple, l'art. 2 stipule : "L’infirmier ou l’infirmière (...) respecte la dignité et l’intimité du patient et de la famille". Et aussi surtout je suis tenu au respect de chacun, savoir entendre ses projets, ses peurs, sa souffrance et ses espoirs et le plus important lui laisser sa liberté. Bien sûr, au quotidien, ce n'est pas si simple. Toucher sans désirer, la limite est si floue. Où sont les frontières entre le charnel, l'intime et le corps sans défense du patient. Elles doivent être claires. Il y a le licite et l'illicite; chacun en conscience se situe. Tout est dans l'intention. (suite page suivante) 5 Et ton corps et mon corps. Paroles de soignant … (suite) Par exemple : qu'est-ce que je fais là ? Je masse la peau avec mes mains nues pour relaxer ou je caresse et lutine... ?!!! Je risque parfois de me laisser submerger par mes émotions. Alors, petit à petit je me suis "attribué" des règles que je qualifierai d'éthique personnelle. En résumé, toucher sans "attoucher", voir sans posséder, l'affection sans le désir. Et donc bannir possession, envie, excitation. Si un patient s'interroge sur mes réactions, si, en l'état, il se demande ce que cela me fait ? Je ne lui dis pas, je veux juste que le patient sache que ça ne me fait "rien". Neutre et bienveillant ! Il y a plein de moyens de rester distant, de se cacher. De ne pas prendre de risque. Juste celui de passer à côté de la personne, entendre sa plainte ou son désir. Il est plus facile de régler le débit d'une perfusion que de soutenir le regard du patient. "Cela va beaucoup mieux là maintenant avec ce que je vous ai fait…" Difficile que le patient réponde "non !". L'accès au corps est facile : "Tournez vous, déshabillez-vous…", si je reste dans l'acte technique. Je suis payé "à l'acte". Mais il n'y a pas de rencontre, de colloque intime, de possibilité de soin sans regarder l'autre comme un autre moi-même. Esprit de corps… Si un soignant vous dit : "ça va peut-être vous faire un petit peu mal… " Méfiezvous, vous allez déguster ! Nous sommes assez experts pour minimiser la douleur, la détourner ou l'imposer. Surtout ne pas souffrir avec. Je ne supporte pas les cris des patients. Tant mieux, cela m'oblige à les soulager ! Dans une approche dite professionnelle on devrait rester froid, impersonnel et on arrive au corps du patient comme objet. Ce serait le plus simple émotionnellement parlant. Avec le pouvoir immense de disposer à volonté du corps de l'autre. Il y a dans notre langage des mots qui "tuent". "Tumeur" en est un ! Une dame avait trouvé une parade, elle me parlait de son cancer comme d'un renard qui, parfois, la rongeait, parfois, dormait dans sa tanière. "Mor-phine" n'est pas mal non plus... À mon corps défendant... Ne pas croire, nous ne sommes pas soumis à la tentation d'un corps beau chaque jour. Le plus fréquemment; ce ne sont pas nos désirs, nos pulsions qu'il faut étouffer, c'est notre résistance ou notre dégoût face à un corps abîmé, morcelé, gémissant, des plaies, des odeurs. Ce n'est pas "cacher ce sein que je ne saurais voir", mais masquer ces plaies, ces excréments. Cela me renvoie à ce que j'ai peur de devenir, à ma finitude, ma fragilité. Mettre des gants, se cacher derrière un masque chirurgical est une attitude de défense commune à notre profession. Comment approcher ce corps et comment en sortir? C'est ma question. À corps perdu... Je donne en soignant et je reçois de celui que je soigne. Demain, certainement, ce sera moi qui serai à sa place. Soigner comme être soigné, c'est une leçon de vie pour chacun. Vivre, c'est apprendre ILS NOUS SOUTIENNENT à mourir. Reconnaître en l'autre un autre moi-même. Nous sommes frères, nous sommes mortels. Enlever les barrières du savoir, celui qui est debout, celui qui est alité. Partager. C'est une piste. La mort est un événement naturel de la vie. L’acharnement thérapeutique est une bonne façon de nier le projet de vie du patient. De même que l'euthanasie est un moyen efficace de couper court à la souffrance... du soignant !!! Le corps n'est pas un commerce, c'est une personne. Chaque vie est unique. Chaque patient a son parcours. Certains croient qu'il est normal de souffrir pour mourir. Non ! Qu'est ce qui peut fonder la dignité humaine ? La dignité est intrinsèque, même malade, même grabataire. Si l'homme est digne, le corps est digne. Me donner corps et âme... Sourire, toucher le bras, une caresse légère sur la joue sont des gestes naturels. Laisser une place au silence, donner du temps, de la chaleur sont un gage d'humanité et me donnent chaque jour envie de continuer à être infirmier. Lors d'un soin, une banale injection intramusculaire dans le muscle fessier, la dame se place debout devant la fenêtre, relève ses jupes, se penche et attend. Je m'approche derrière elle et elle me laisse la piquer. Soudain, elle me dit avec un beau sourire : "pénétration éjaculation".... j'ai compris ce jour-là que la vie reste pleine de mystères et de poésie... CHAQUE ANNÉE Philippe Pranal : — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — — – — — — - - J’ ADHÈRE & JE S OUTIENS SP2 a besoin de votre adhésion : LA 25 € et de se faire connaître Vous recevrez le bulletin avec ses infos sur l’actualité, nos formations et nos activités. J’adhère à S P 2 NOM, Prénom : ……………………………………....………………………… Adresse complète : ...……………………………………………………………………………….…………………………. ………………………………. C P : …………..….. Ville : ………………………………………..…………………………… Téléphone : ………………………… …….Courriel : ……………………………………..@.......................................... 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