Grinde-2011-Darwinia..

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Grinde-2011-Darwinia..
RÉSUMÉ DE « DARWINIAN HAPPINESS », BJORN GRINDE, 2002
Résumé – Une bonne humeur par défaut, des plaisirs si la Discorde Darwinienne
n’est pas trop forte
Pour Grinde, chercheur en biologie, l’homme est déterminé à 40% par les gènes
communs à son espèce. En conformité avec la pensée Darwinienne de l’évolution, ceuxci ont été triés via la sélection naturelle et la sélection sexuelle. Si l’homme est doué de
libre arbitre, celui-ci est relatif car ses gènes ont pour rôle d’induire certains
comportements favorables au « succès biologique », c’est à dire à la survie et la
reproduction.
Grinde avance que notre état naturel est la « bonne humeur par défaut », les gènes ayant
intérêt à être véhiculés dans un porteur sain. Notre humeur par défaut n’est cependant
pas joyeuse de manière exubérante pour éviter la déperdition d’énergie correspondante.
En revanche, les gènes ont été sélectionnés dans un environnement de l’âge de pierre,
d’il y a 50 000 ans. Notre environnement d’aujourd’hui n’étant plus le même, il en
résulte une « discorde Dawinienne ». La clé du bonheur consiste à d’une part faire la
récolte des affects positifs auxquels nos gènes nous prédisposent, tout en évitant en
miroir les affects négatifs, et d’autre part, d’adapter notre environnement pour diminuer
cette « Discorde Darwinienne ».
Orientations de société ouvertes par le livre de Grinde
Le livre de Grinde ouvre des perspectives en termes d’évolution de société, en termes
d’éducation, d’entreprises, de la ville, de l’enfance, du vivre-ensemble ou des institutions.
La diminution de la « Discorde Darwinienne » suggèrerait par exemple dans
l’enseignement de laisser une plus grande part au jeu, y compris aux jeux physiques
entres élèves, et aux activités qui ne sont pas dirigées vers un but. Un enseignement sur
les incidences de la biologie sur notre bonheur pourrait être imaginé.
Dans l’entreprise, les pistes seraient de diminuer le poids du contrôle, les temps de
travail nocturnes, d’être vigilant vis à vis de la division scientifique des taches, et de
reconnaître la véritable valeur de la culture de la convivialité.
Pour autoriser le bonheur darwinien, les villes devraient permettre l’émergence d’ilots
d’habitants d’une centaine d’individus où la convivialité régnerait, laisser une part belle
à la nature, et permettre une exposition au soleil suffisante.
Le corps devrait retrouver sa juste place, s’adonnant suffisamment à l’exercice, goutant
aux forts plaisirs évolutionnistes du sexe (sur lequel le regard ne devrait pas être
culpabilisant), cherchant une exposition suffisante à la lumière du jour, et inhibant
moins ses émotions.
Un vivre ensemble de moindre Discorde Darwinienne requerrait de réorganiser les
cellules sociales (y compris en entreprise éventuellement) en groupes d’une centaine
d’individus, de soulager la pression du temps et d’adoucir, là où cela est possible, les
comportements compétitifs (notamment dans le système éducatif). Des médiations
locales pourraient être imaginées pour éviter les conflits installés, délétères et
anxiogènes.
Enfin, la parentalité devrait être éduquée aux enjeux Darwiniens des premiers jours de
la vie, accompagnée pour les familles les plus dépourvues autour de la naissance. Les
crèches pourraient être réinventées.
1. Un homme partiellement déterminé donc libre … partiellement
Comme socle de son ouvrage, Bjorn Grinde, chercheur en biologie, nous offre sa vision
de l’homme : un individu est déterminé par 3 grandes composantes, pour lesquelles il
attribue des poids respectifs : un socle génétique lié à l’espèce, pour 2/5 (il ne peut
déroger à certains fondamentaux comme une taille maximale par exemple), les
spécificités de son génome individuel (pour 1/5) et son développement propre (pour
2/5). L’auteur nous propose d’examiner notre socle d’espèce et d’en tirer des
conséquences sur notre capacité et nos chemins de bonheur en tant qu’individu de cette
espèce. Le libre-arbitre nous rend partiellement – selon les limites de notre conscience –
aptes à faire des choix par delà ces 3 composantes.
2. Un bonheur Darwinien contingent
Grinde définit le « Bonheur Darwinien » comme celui que l’on peut le saisir sur la base
de notre génome commun à l’espèce. Il consiste à d’une part saisir les opportunités de
plaisirs ou sensations positives en tirant parti de notre fonctionnement biologique et
d’autre part à éviter les tensions ou sensations négatives résultant de notre
environnement auquel notre génome d’espèce n’est plus parfaitement adapté, ce que
l’auteur nomme la « Discorde Darwinienne ». Viser le bonheur Darwinien exige donc une
compréhension de notre biologie et du chemin de l’évolution pour y aboutir.
D’après Darwin, nos gènes, en tant qu’espèce, ont été sélectionnés car ils conféraient un
avantage de survie (sélection naturelle) et de reproduction (sélection sexuelle) à celle-ci.
Le succès biologique d’une espèce se mesure à la biomasse totale de celle-ci. De ce point
de vue, l’espèce humaine connaît donc un succès écrasant. Toutefois, bonheur Darwinien
et succès biologique de l’espèce ne sont pas nécessairement alignés. Ils n’ont pas de
raison de l’être hors le constat que le bonheur Darwinien participe au succès de l’espèce
puisqu’il signale et contribue au bon fonctionnement des individus et augmente donc
leurs chances de succès et reproduction. En revanche, succès biologique n’implique pas
nécessairement bonheur Darwinien (qui importe peu à l’espèce, ou à ses gènes). Il en
résulte que la dynamique des gènes qui visent, via l’évolution, au succès de l’espèce ne
n’encourage pas nécessairement notre bonheur en tant qu’espèce. Il est donc important
de comprendre les mécanismes biologiques et évolutionnistes qui déterminent
partiellement nos comportements et notre bonheur.
3. Des plaisirs multiples sur un fond d’humeur joyeuse
Les plaisirs nous indiquent que ce qui nous arrive est bon pour nous. On peut classer les
plaisirs en utilisant 2 dimensions : besoins / chemins (ou « liking » / « wanting ») et
l’autre homéostasie / reproduction.
En utilisant le premier axe, les plaisirs biologiques peuvent résulter de plusieurs
sources : le « liking » c’est à dire l’atteinte d’un but biologique lié à des besoins ou à la
procréation, ou bien – plus en amont – le « wanting » c’est à dire l’engagement sur un
chemin visant à l’atteinte de ces buts biologiques (désir, etc.). Le « wanting » se traduit
par une augmentation de la présence de neurotransmetteurs comme la dopamine dans
le cerveau. Le « liking » est moins compris aujourd’hui mais passe notamment par une
présence accrue des endorphines.
En utilisant le 2e axe, le premier grand type de plaisirs est donc lié à l’utilité biologique :
ce sont les stimuli qui promeuvent l’homéostasie – maintien des paramètres
physiologiques de l’individu – au sens où ils font revenir à un niveau optimal de
fonctionnement, comme la suppression de la faim, le retour à une température
adéquate, l’étanchement de la soif. Ils encouragent la survie de l’individu. Le second
grand type de plaisirs concerne la procréation et comprend donc par extension ce qui a
un rapport avec l’amour, le sexe, et le soin apporté à la progéniture.
On peut noter 3 mécanismes fondamentaux du plaisir : l’accoutumance, le caractère
différentiel et l’atténuation. Tout d’abord, de trop fortes stimulations érodent l’intensité
du plaisir, notamment dans le cas des addictions. Ensuite, les mécanismes du plaisir sont
ainsi faits que nous sommes plus sensibles aux variations qu’aux valeurs absolues. Enfin,
les sensations tendent à se lisser avec l’âge tant dans les gammes positives que
négatives.
Si les plaisirs contribuent à déterminer l’humeur, ils ne la constituent pas à eux seuls, ni
par leur présence ou leur absence. En dehors de ces sensations, l’auteur définit un état
mental positif, le « default good mood » qui résulterait d’un « tonus joyeux » déterminés
par plusieurs zones, modules et neurotransmetteurs du cerveau.
Notre connaissance du cerveau est aujourd’hui suffisante pour donner du plaisir en
envoyant des stimulations électriques dans le cerveau directement dans les centres du
système de la récompense.
Pourtant, l’auteur recommande plutôt d’engager son corps et son esprit dans des taches
pour lesquels ils ont été conçus et d’apprendre à profiter de toutes les récompenses que
le cerveau offre alors. Il encourage néanmoins à ne pas recourir aux drogues, arguant
que, à cause de l’accoutumance, ces stimulations surpasseront difficilement sur la durée
notre propension naturelle au bonheur, notre « default good mood ». La possibilité d’une
drogue induisant une bonne humeur, sans effets indésirables autres, semble faible vu la
complexité et l’interconnexion des différents modules du cerveau.
Certains individus naissent ou se développent mal adaptés en termes de bonheur. La
nature de l’humeur joyeuse par défaut peut varier d’un individu à l’autre et certains
peuvent requérir un traitement pharmaceutique pour compenser une prédisposition
défavorable électrique, chimique ou hormonale.
4. Le sexe, activité de plaisir entre toutes, dans un contexte psychologique
complexe
Le sexe est l’activité humaine pour laquelle la nature a prévu de plus de récompenses, en
termes de plaisirs. C’est néanmoins une activité psychologiquement complexe. Pour
l’auteur, le regard social sur cette activité peut être une source importante de discorde
darwinienne si elle empêche le développement d’une sexualité saine et épanouie. Pour
lui, les discours de morale traditionnelle, selon leur ton, peuvent faire prendre le risque
de générer une approche non naturelle de ce plaisir fondamental qu’est le sexe. Il
recommande que la première pierre pour améliorer les relations sexuelles dans notre
société soit la construction d’une attitude de compréhension et d’ouverture d’esprit vis à
vis du sexe. En second lieu, il s’agit de prévenir le développement de sentiments de
honte dès le plus jeune âge à l’égard du sexe.
5. Moissonner les plaisirs pour lesquels la tête a été faite
Les individus dépensent 15% de leur énergie à jouer, contre 2 à 3% chez les animaux. En
effet, les jeux sont associés à une récompense en termes de plaisir car notre
participation à ceux-ci est avantageuse pour les gènes. Le jeu permet de terminer le
développement de l’individu en termes neurologiques, d’assimiler des règles sociales,
d’apprendre à gérer des émotions et de créer des liens sociaux durables. Les
chatouillements semblent programmés génétiquement comme un moyen de fabriquer
de l’attachement entre des individus.
Parmi les autres plaisirs pour lesquels notre tête a été faite, on compte :
- Le sourire et le rire : ils seraient récompensés par des plaisirs car ils servent la
fonction de formation de liens sociaux.
- L’exploration intellectuelle, l’entrainement et l’éducation : ils seraient favorisés
par la nécessité de comprendre son environnement et y acquérir des
compétences pour survivre
- L’acquisition de talents sportifs : ils permettent d’augmenter son habilité donc
ses chances de survie ; l’entrainement à haut-régime du sportif professionnel
n’est en revanche pas nécessaire
- La compétition : comme moyen de monter dans l’échelle sociale, est elle aussi
favorisée darwiniennement donc génératrice de récompenses
- L’imagination ou le rêve éveillé : ils sont efficaces pour donner du plaisir, que ce
soit via un livre, un film ou par pure imagination. Les gènes sont alors floués et ne
font pas la pleine différence entre expérience réelle et virtuelle
Ces plaisirs sont caractérisés par le fait que notre cerveau soit déjà câblé pour les livrer
mais aussi qu’ils ne dépendent pas de stimuli répétés : ils sont générés par l’individu, et
donc pas soumis à l’habituation.
6. L’Amour, source de plaisir, pour lutter contre la fragilité des petits
L’attachement amoureux peut apparaître surprenant dans un cadre de pensée
évolutionniste. Il semble que la capacité à s’attacher soit présente chez quelques espèces
où la progéniture est fragile et nécessite un temps important pour gagner son
autonomie. Généralement, la femelle a besoin d’une protection pour s’occuper des petits
ce temps-là et le mâle a intérêt à rester proche pour s’assurer que sa descendance
survivra. Le mécanisme sélectionné par la nature pour déclencher ce comportement est
de générer un attachement réciproque du mâle et de la femelle, l’amour. On attribue cet
attachement à différents neurotransmetteurs notamment l’ocytocyne. Il est probable
que l’attachement male-femelle ait été fabriqué à partir de – c’est à dire ait dérivé de –
l’attachement mère-petits, où il semble le plus puissant. Cet attachement est si
fondamental qu’un petit qui ne reçoit pas assez d’attention de ses géniteurs pourra
connaître des troubles du développement important.
7. Une moisson possible de plaisirs autres et dérivés
Pour l’auteur, les plaisirs sont accessibles en satisfaisant ses besoins primaires mais
l’individu doit également s’éduquer pour faire la moisson d’autres plaisirs plus
indirectement sélectionnés par l’évolution : la compassion et la solidarité, la religion, les
arts visuels, et la musique. Pour chacun de ces plaisirs, Bjorn Grinde décrit les
mécanismes évolutionnistes qui les ont fait émerger et en font des éléments à considérer
dans la quête du bonheur Darwinien.
8. Une conscience limitée, aux commandes
Les émotions sont des éléments ayant fait surface parmi des processus invisibles qui
déterminent l’humeur. En d’autres termes, ce qui détermine notre humeur ne nous est
pas nécessairement connu. Notre conscience ne couvre pas la totalité des profondeurs
des déterminants de notre humeur. Par ailleurs, l’esprit conscient n’a pas la pleine
possibilité d’agir directement sur son humeur par la simple volonté, ceci ayant été conçu
pour maintenir une certaine stabilité et robustesse de l’humeur chez l’individu.
La prise de contrôle par la conscience de certains modules fondamentaux conduit à des
fonctionnements sub-optimaux alors que le pilotage automatique aurait été meilleur :
les individus dorment moins que leur nature ne l’exige, et respirent de manière
imparfaite. De manière générale, notre civilisation souffre d’un manque de confiance
envers l’inconscient alors qu’il devrait parfois être écouté. L’autopilote doit être suivi
pour certaines fonctions, telles que le sport, le sommeil, etc.
Soulignons que le libre arbitre est restreint à l’esprit conscient et qu’à ce titre,
l’expression « libre-arbitre » interroge le degré de cette même liberté.
9. Des émotions faites pour être communiquées
Les émotions sont sociales par nature et à ce titre sont faites pour être communiquées.
Si elles peuvent être ressenties de manière solitaire, elles sont ainsi plus marquées ou
soulagées en présence d’individus amis. La norme sociale, dans certaines cultures, de
pudeur vis-à-vis de ses émotions est source de discorde émotionnelle.
Les émotions négatives semblent plus puissantes que les positives car elles sont
potentiellement corrélées des événements plus graves, un danger de mort par exemple.
Pour l’auteur, la tendance naturelle à retourner à un état naturel joyeux suggère de
donner une certaine latitude à ses émotions pour se déployer en attendant le retour au
mode joyeyx de croisière. Ainsi, le refoulement de la tristesse constituerait une discorde
Darwinienne.
10. La vulnérabilité du système émotionnel
Le système émotionnel a deux grandes caractéristiques : il est complexe au sens où son
architecture est dirigé vers un but délicat à définir qui est de déterminer notre
comportement ; également, il nécessite l’apport de l’environnement pour murir.
Pour exemple, l’absence de soins maternels ou paternels dans les 10 premiers jours de
la vie d’un nourrisson semble causer une plus grande vulnérabilité au stress chez
l’adulte. De manière plus générale, l’absence de présence parentale dans les stades
initiaux de la vie de l’enfant, peut causer une augmentation du risque de dépression,
voire des retards de développement physiques ou mentaux chez les orphelins. Grandir
sans présence parentale est l’une des pires formes de discorde darwinienne.
Pour l’auteur, les autres formes de discordes darwiniennes liées aux émotions sont :
- la nécessité de faire face à des conflits irrésolus et dans la durée (avec un voisin
ou un collègue) alors que nous avons été préparés pour réagir à des conflits
courts
- le manque de contrôle dans notre travail, ni sur les horaires, le contenu des
taches ou la sécurité de celui-ci.
- La non atteinte de certains buts : la réaction prévue par la nature est l’humeur
triste. Suractivée dans notre société où les points de comparaison sont
inatteignables, la dépression peut s’installer
- Le manque généralisé de soins et d’attention donnés et reçus par les individus : il
est également source de dysfonctionnements, qui tendent à s’installer
durablement via la robuste mémoire émotionnelle, c’est à dire via l’impression
durable de circuits neuronaux pour des émotions négatives telles que l’anxiété
Pour l’auteur, le bonheur Darwinien réside en partie dans la capacité à accéder ou
retourner vers notre bonne humeur par défaut et à avoir un système émotionnel bien
fonctionnel. Comme vu précédemment, l’expérience de la joie plus intense devra elle
passer par la moisson des plaisirs. Ils sont nécessaires car la nature n’avait pas intérêt à
nous doter d’un état par défaut fortement joyeux, qui aurait été consommateur de trop
d’énergie.
11. Des émotions négatives de 3 sortes
En contrepoint des sensations ou affects agréables, notre environnement peut
déclencher des états d’urgence d’agressivité, de peur ou d’inhibition, les trois
comportements / émotions négatifs fondamentaux, ancrés dans notre espèce et qui nous
permettaient de nous battre, de fuir ou de garder un profil bas en cas de danger (et
éviter un conflit potentiellement mortel).
12. Des sensations et émotions programmées pour être fortes
De manière générale, les sensations et émotions de l’espèce humaines sont, d’après
l’auteur, les plus fortes de toutes les espèces, en partie lié à l’émergence de la conscience
(et donc de la capacité d’auto-examen de celle-ci), et partie lié à la nécessité pour les
gènes de garder le contrôle malgré le libre-arbitre. Les êtres humains recherchent les
plaisirs et évitent les peines et douleurs. Ces affects doivent être suffisamment forts
pour permettre de maintenir les comportements programmés par l’évolution, malgré la
liberté de choix qui pourrait aller à leur encontre. Il est ainsi probable que les taux de
fécondité se maintiennent tant bien que mal au seuil de renouvellement de l’espèce dans
les pays occidentaux grâces aux désirs et plaisirs induits par le sexe, et ce malgré le
libre-arbitre rendu effectif par les contraceptifs par exemple. Les comportements
biologiques, c’est à dire les mécanismes sélectionnés par l’évolution nous faisant
rechercher les plaisirs et éviter les peines, sont donc puissants, malgré notre libre-
arbitre, et doivent être compris et pris en compte dans la recherche du bonheur
Darwinien.
13. Un environnement qui n’est plus adapté à nos gènes
Comme indiqué plus haut, en l’absence de sensations particulières, Bjorn Grinde affirme
que nous serions dans « une bonne humeur par défaut » (« default good mood »), car
c’est dans l’intérêt des gênes de résider dans un « porteur » content. Les conséquences
sont importantes car en résolvant les tensions entre notre environnement et nos gènes,
et en satisfaisant nos besoins primaires, nous serions par défaut de bonne humeur. Il
poursuit donc en affirmant que l’art de vivre consiste alors à ressentir des sensations
agréables sans avoir nécessairement recours à des stimuli spécifiques. La première
tache à accomplir est donc d’adapter notre environnement à nos gènes.
Plus précisément, pour l’auteur, la première cause des émotions négatives est la
« Discorde Darwinienne » liée au décalage entre notre environnement actuel et
l’Environnement Adapté à l’Evolution (EAE), c’est à dire celui de l’âge de pierre, il y a
50,000 ans, pour lequel nos gènes ont été sélectionnés.
Il est important de noter qu’il est probablement impossible de concilier un
environnement adapté à l’évolution et un environnement évolué (avec médecine,
communication, culture, progrès technique, etc.). En revanche, tout en retenant les
progrès accomplis par notre espèce, il semble pertinent de chercher à atténuer dans
notre environnement actuel les sources identifiées de Discorde Darwinienne.
14. Des groupes sociaux trop étendus
A l’époque de l’Environnement Adapté à l’Evolution, il y a 50 000 ans, les hommes
vivaient en clans, dont la taille variable était de (bien) moins de 100 membres. Ces tribus
ont commencé à disparaître il y a 10 000 ans. Le changement d’échelle des unités
sociales a plusieurs conséquences.
Tout d’abord, les phénomènes de comparaison, ancrés dans nos gènes, pour nous
encourager à faire mieux afin de survivre – c’est à dire dans le contexte social de la tribu,
à nous faire obtenir plus de nourriture et de partenaires sexuels – sont aujourd’hui
sources de malheur. En effet, si dans un groupe d’une centaine d’individus, il était
possible pour un grand nombre d’être bien classés parmi une des compétences
valorisées, a contrario, dans notre société actuelle, étendue et connectée, cet
accomplissement est rendu délicat. En présentant des images d’individus hors-normes,
les médias participent au processus de comparaison défavorable pour les individus. Il
semblerait de surcroit que nous soyons sensibles non pas à notre classement relatif (le
percentile) mais au classement absolu (combien d’individus sont devant nous). En
résumé, la compétition est programmée dans nos gènes mais nous pouvons difficilement
avoir le sentiment de gagner dans une société vaste et globalisée. C’est une première
source majeure de Discorde Darwinienne.
Ensuite, le changement de taille de l’unité sociale a une autre conséquence.
Historiquement, les comportements agressifs étaient réservés lors de combat avec
d’autres espèces ou avec des clans ennemis. La fréquence de telles rencontres était
relativement faible. A l’intérieur d’un clan, par sa taille plus restreinte, sa proximité
génomique et son organisation sociale, les rencontres agressives étaient rares. Par
comparaison, aujourd’hui, dans une société essentiellement urbaine donc dense et aux
interactions très nombreuses (cf. les transports publics), l’individu est soumis à des
rencontres avec des membres qui, d’un point de vue évolutionniste, sont des ennemis
potentiels, ce qui génère du stress. Les métiers aux interactions très fréquentes avec des
inconnus sont d’autant plus soumis à ce phénomène. C’est une source importante de
Discorde Darwinienne, qui déclenche des sensations appelées d’aversion.
15. Des sources de discorde Darwinienne multiples dans notre société
Parmi les éléments de différence entre notre environnement actuel et celui pour lequel
nos gènes ont été sélectionnés, donc comme sources potentielles de Discorde
Darwinienne, on peut noter :
- le travail (ou l’activité) nocturne de certains : nous sommes faits pour travailler le
jour et nous reposer la nuit
- le manque d’exercice : notre biologie exige de l’exercice
- l’abondance : nos mécanismes biologiques ne sont pas conçus pour un
environnement où la nourriture et les plaisirs sont abondants (pour nombre
d’individus de la société de consommation occidentale). Il est à noter que les
plaisirs résultants ne sont pas programmés pour nous rendre la vie agréable mais
pour induire des comportements. La surconsommation de nos sociétés est donc
en décalage avec notre programmation biologique.
- le manque de contrôle de notre existence (travail, loi, etc.) qui va à l’encontre
d’une liberté biologique première
- la profusion de stimulations : le stress n’est pas un mal en soi, il peut même,
lorsque ponctuel provoquer des sensations agréables car nous avons été
programmés pour répondre de manière fonctionnelle à une situation le
déclenchant (c’est une sensation agréable qui permet de faire face : une « coping
sensation »). Le stress active donc le système de récompense biologique dans une
phase initiale. En revanche, c’est la répétition ou l’installation du stress qui est
nocive pour l’individu.
- L’absence de plantes : nous sommes programmés pour être en présence de
plantes. Les recherches démontrent que les individus fonctionnent de manière
optimale en leur présence.
- La sous-exposition au soleil : notre métabolisme requiert de la vitamine D pour
fonctionner qui ne peut être synthétisée que par une exposition suffisante au
soleil. Les vies modernes, d’intérieur et de vêtements couvrants sont un obstacle
à notre besoin biologique de soleil.
- La division des tâches : notre existence tribale nous réservait des journées
incertaines mais non linéaires, en fort décalage avec notre société actuelle, où les
taches tendent à être compartimentées entre individus et uniformes pour chacun
d’entre eux
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La séparation physique des nourrissons des parents lorsqu’ils dorment dans des
lits ou des chambres séparées est en décalage par rapport aux besoins de
proximité tactile vers lesquels la nature nous a fait évoluer
L’inscription des taches dans un cadre horaire rigoureux : les hommes de l’âge de
pierre n’étaient pas soumis à des impératifs horaires permanents dans l’exercice
de leurs activités, même si certaines requéraient d’être exécutées dans une durée
définie (chasse pendant le jour, etc.)
Le caractère normatif des structures de la petite enfance (crèches, jardins
d’enfants) : les enfants devraient être autorisés à jouer et s’engager dans des jeux
physiques ou de confrontation (sous supervision), susceptibles à la fois de leur
faire faire de l’exercice et de participer à l’apprentissage
La non-convivialité de certaines cultures d’entreprise : nous sommes faits pour
engager des activités avec des individus que nous connaissons et en qui nous
avons confiance. Le niveau de stress des animaux vivant en communauté diminue
lorsque leur connaissance réciproque s’installe. La convivialité entre collègues
est susceptible de diminuer la discorde Darwinienne sur le lieu de travail
Le caractère non communautaire des existences citadines : comme vu plus haut,
une société organisée autour de noyaux de 100 à 150 personnes (cf. les
Hutterites) pourraient nous rapprocher du mode d’organisation tribale, associé à
une moindre discorde Darwinienne