Enquêtes sur un décor urbain : les boutiques parisiennes
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Enquêtes sur un décor urbain : les boutiques parisiennes
PhoCEM Base de données des collections photographiques du MuCEM Accès aux images Enquêtes sur un décor urbain : les boutiques parisiennes (1945 à 1950 et 1966 à 1976) Crèmerie. 25, rue de Bourgogne. Paris 7e (Ph.1949.43.137) © MuCEM - P. Soulier Le décor des boutiques parisiennes Jusqu’au 17e siècle, les clients n’entrent pas dans la boutique mais ont accès à un comptoir, directement accessible depuis la rue. Au 17e siècle, ils sont désormais accueillis à l’intérieur, dans un décor de dorures et de glaces. A partir de la fin du 18e siècle, notamment après la Révolution, le décor se porte sur la devanture : en effet, on est alors capable de réaliser de grandes vitres qu’on utilisera pour les vitrines et de concevoir différents modèles de lampes à huile pour les éclairer. Par ailleurs, les piétons peuvent désormais circuler sur des trottoirs. Après les magasins de luxe, les commerces d’alimentation font également l’objet d’une décoration soignée. A Paris, les travaux haussmaniens vont accélérer ce mouvement. C’est au milieu du 19e siècle que des ateliers spécialisés dans le décor des boutiques font leur apparition : la maison Thivet est fondée en 1854, Benoist en 1868, Anselm en 1887, Raybaud en 1912. Ces ateliers emploient une dizaine de personnes. Ils travaillent avec des entreprises d’installation de magasins qui servent d’intermédiaires. Les thèmes décoratifs, très 1 stéréotypés, sont puisés, entre autres, dans la peinture du 18e siècle (Boucher) et dans celle du 19e siècle qui présente la vie rurale (Millet). Les paysages rappellent la peinture de l’Ecole hollandaise ou de l’Ecole de Barbizon. Les motifs décoratifs sont adaptés à la spécificité de la boutique : un ange musicien sera ainsi transformé en ange pâtissier par l’ajout d’une toque. C’est toutefois le même répertoire décoratif qui est utilisé d’une boutique à l’autre. L’apogée de ces décors se situe vers 1900. Après la Première Guerre mondiale, le goût évolue et les décors peints disparaissent petits à petit au profit de nouveaux matériaux. Les enquêtes du MNATP sur le décor des boutiques La première enquête En 1945, Georges Henri Rivière, conservateur du Musée national des arts et traditions populaires et Michèle Richet qui travaille alors pour le Service des collections du musée, décident de consacrer une campagne photographique aux devantures des boutiques parisiennes. Ils sont en effet conscients qu’avec les transformations, parfois radicales, que subit la ville, ces décors sont en voie de disparition et qu’il est urgent d’en collecter la mémoire. C’est Pierre Soulier, dessinateur et photographe du musée qui est chargé de réaliser ces images. Environ un millier de clichés ont été pris lors de cette première campagne qui s’est achevée en 1950. Le reflet de Pierre Soulier photographiant la devanture d’une boulangerie-pâtisserie, 38, rue Rennequin. Paris 17e (Ph.1949.43.507) © MuCEM - Pierre Soulier Pierre Soulier photographie les façades des boutiques, les décors intérieurs, parfois les étalages, plus rarement les stores et les enseignes. Les prises de vues sont systématiques : vue d’ensemble de la boutique puis photographies de détails de l’extérieur et parfois aussi de 2 l’intérieur, si Soulier le jugeait intéressant et, sans doute, si le commerçant le laissait faire. Les enseignes, les étalages, les produits commercialisés ou les inscriptions au blanc d’Espagne sur les vitrines peuvent également retenir l’attention du photographe. Les commerçants ou les clients n’apparaissent que furtivement sur certaines photographies. Soulier ne les évite pas mais il est bien certain que nous sommes ici plus proches d’Atget 1 que de la photographie humaniste contemporaine : l’enquêteur doit se concentrer sur son sujet. Toutefois, l’appareil capte, même s’il s’agit, il est vrai, d’aspects plus anecdotiques, bien d’autres choses que le décor des boutiques stricto sensu. La Seconde guerre mondiale est proche : sur les images prises en 1945, des portraits du général de Gaulle2 et les drapeaux français ou alliés sont nettement visibles dans certaines devantures3. Le portrait du président Roosevelt est associé dans l’une d’elles à un journal qui titre « Victoire ! » tandis que des inscriptions rappellent le rationnement4 qui perdura quelques années encore après la fin de la guerre. Quelques-unes des photographies de Pierre Soulier témoignent aussi de la démolition de certains quartiers. 5 Des « petits riens » de la vie quotidienne des Parisiens qui, souvent indifférents au photographe, vaquent à leurs occupations, sont visibles sur certaines images. Parfois le commerçant semble surpris de ce qu’on photographie sa boutique et sur la marge de l’image, l’objectif capte son sourire amusé tandis qu’il caresse un chat qui profite d’un rayon de soleil. Boulangerie. 135, rue de Charonne. Paris 11e (Ph.1948.51.24) Sur les photographies qui présentent la devanture des boutiques, on aperçoit quelquefois le décor intérieur. Le photographe a figé la scène pour l’éternité et les spectateurs que nous sommes peuvent ainsi détailler à loisir tout ce qu’on leur donne à voir. A travers la vitrine de la boutique, les clients jettent souvent un œil surpris voire suspicieux sur ce personnage curieux qui photographie on ne sait quoi 6 : parfois ce sont des passants dont l’ image est capturée dans le reflet d’une glace7, qui s’interrogent... 1 Atget, Eugène. Enseignes et vieilles boutiques du vieux Paris. [1898-1913]. - [Paris], [1913]. - 60 photogr. pos. : n. et b. ; 16 x 22 cm et moins. 2 Ph.1945.67.51, 79, 82… 3 Ph.1945.67.9, 13, 16, 53, 73, 75, 81, Ph.1945.79.31 4 Ph.1945.67.33 5 Ph. 1945.67.83, 84 6 Par exemple Ph. 1948.51.54 7 Ph.1948.51.68, 49.43.79 3 Finalement, si le reflet ennuie et agace le photographe de boutiques, il augmente aussi singulièrement le champ photographié et confère à ces images une touche de poésie et d’humour. Certaines images ont aujourd’hui un caractère insolite qu’elles n’avaient pas au moment où elles ont été prises, comme celle où un chien se promène seul sur un trottoir, en plein Paris. On imagine que Pierre Soulier sourit sans doute en photographiant cet étalage avec un poisson qui «consomme» un citron ou cette vitrine avec un décor en sucre qui reproduit le ring du championnat du monde de boxe que vient de remporter Marcel Cerdan contre Tony Zale, en 1948. Boutique de cordonnier. 143, rue de Vaugirard. Paris 15e (Ph.1945.67.73) Poissonnier. Rue de Buci. Paris 6e (Ph.1949.43.101) Pièces de confiserie en sucre : match de boxe Cerdan - Zale (1948) (Ph.1948.58.2) Soulier complète également son travail par des prises de vues réalisées auprès de quelques professionnels. Il se rend ainsi chez Tarrisse, graveur sur glace, chez qui il photographie des maquettes de décor pour des plafonds8 ainsi que chez Janvier, fabricant d’enseignes9. 8 9 Ph. 1950.13.120 à 140 Ph.1950.16.1 à 6 4 Il réalisa au cours de ses déplacements dans Paris, des prises du vue sur d’autres sujets que les boutiques, sujets qui ont également fait l’objet d’ enquêtes comme celle sur le « Jeu des billets de banque du café Cayron, à Paris (1945) » ou cette autre, sur « Robert Eberlé, dessinateur sur trottoirs à Paris (1945-1956) »10. Moulin à eau. Panneau peint à l'huile sous verre sur une devanture de boulangerie. 7 rue Saint-Paul. Paris 4e (Ph.1945.67.7) La seconde enquête En 1966, une seconde enquête fut entreprise par des élèves de l’Ecole du Louvre, dans le cadre de travaux pratiques sous la direction de Michèle Margerie, en annexe du cours de Jean Cuisenier, directeur du MNATP et de Suzanne Tardieu, chargée de recherches au CNRS. Elle produisit des centaines de photographies, des informations enregistrées dans des questionnaires ainsi que des monographies portant sur les commerces les plus intéressants. Cette enquête se termina en 197611. Le travail de collecte sur ces décors a été complété par une enquête sur les artisans décorateurs qui les ont élaborés : il a été ainsi possible, parallèlement à des recherches purement bibliographiques, de rencontrer et d’interviewer sur la pratique de leurs métiers, ces artistes décorateurs aujourd’hui décédés. 10 Un parcours thématique de PHOCEM est consacré à chacune de ces enquêtes. Actuellement, seule une faible partie des photographies prises au cours de cette seconde enquête a été numérisée. 11 5 Le résultat de ces enquêtes Au cours de ces deux enquêtes ont été recensés 656 boulangeries, 254 boucheries, 200 charcuteries, 164 crémeries, 134 cafés et quelques autres boutiques. Parallèlement à ce travail d’enquête et à la collecte de documents et d’informations, le MNATP a acquis des enseignes, des panneaux, des plafonds, provenant de ces boutiques mais aussi des maquettes, des catalogues ainsi que l’outillage utilisé par les artistes décorateurs. C’est à partir de tous ces travaux qu’Edith Mauriange, Claudine Reinharez et Josselyne Chamarat ont pu concevoir une exposition, « Paris : Boutiques d’hier », présentée au MNATP du 16 mai au 17 octobre 1977. Une autre exposition « Artisans de l’élégance » réalisée par Martine Jaoul, Dominique JegatLetourneur et Florence Pizzorni-Itié au Musée national des arts et traditions populaires du 17 novembre 1993 au 15 mai 1994, a également utilisé les résultats de ces enquêtes, complétés par d’autres recherches. *** Sources Archives du MuCEM - Dossiers « Enquêtes sur le décor des boutiques » - ATP. Musée. Exposition, dossier « Paris : boutiques d’hier », 16/05/1977-17/10/1977 Imprimés - Reinharez, Claudine et Chamarat, Josselyne. Boutiques parisiennes à décor. Ethnologie française, 1976, VI, 2, p.163-180 - Paris, boutiques d'hier : Musée des arts et traditions populaires, 16 mai-17 octobre 1977. Paris : Musée des arts et traditions populaires, 1977 (Paris : Impr. moderne du Lion) - Artisans de l'élégance : Musée national des arts et traditions populaires, 17 novembre 1993-15 mai 1994 . - Paris : Réunion des musées nationaux, 1993. Il faut également signaler l'existence dans les collections du MuCEM, d'un album de cartes postales de la collection Hélène Meillassoux (album n°43) portant sur « Les boutiques et devantures ». Isabelle Gui, chargée d’études documentaires. Service des collections du Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Juillet 2010 Accès aux images 6