Un nouveau bombardier stratégique pour l`US Air Force

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Un nouveau bombardier stratégique pour l`US Air Force
TRIBUNE n° 702
Un nouveau bombardier
stratégique pour l’US Air Force
Jérôme Pellistrandi
Colonel, directeur de la rédaction de la RDN.
L
e choix annoncé par le Pentagone du constructeur Northrop Grumman
pour le futur programme de bombardier stratégique marque une étape décisive, même si de nombreuses données restent inconnues et que le flou est
sciemment entretenu par les autorités américaines. Les études autour du Long
Range Strike Bomber (LRS-B) ont débuté il y a 4 ans avec la définition des capacités conventionnelles et nucléaires. L’objectif est d’assurer la pérennité du bombardement stratégique jusqu’en 2070, voire au-delà.
Concrètement, il s’agit de remplacer deux classes de bombardiers, dont le
mythique B-52 Stratofortress. Celui-ci a effectué son premier vol en 1952 et est
entré en service trois ans plus tard. 744 appareils ont été construits jusqu’en 1962.
Depuis 1996, c’est la version B-52H introduite en 1961 qui reste en ligne. 76 B52H sont en service et devraient le rester jusqu’en 2040, d’autant plus que leur
taux de disponibilité reste très élevé (autour de 75 % en 2013). L’autre avion à remplacer est le Rockwell B-1 Lancer (à noter que Rockwell a été absorbé par Boeing
en 1996). Le B-1 est à géométrie variable ; il a fait son premier vol fin 1974 et entre
en service en 1986. Sur la centaine de B-1 construits, 63 sont encore utilisés et
devraient voler jusqu’en 2038, à l’arrivée du LRS-B. Son taux de disponibilité a été
de 58 % en 2013.
La troisième classe de bombardier – mais non concernée par le programme
LRS-B – est le B-2 Spirit construit justement par Northrop Grumman. Il a volé
pour la première fois en 1989 et est entré en service en 1997. 21 B-2 ont été
construits jusqu’en 2000 alors que la cible fixée était de 132 avions. Un appareil
s’est écrasé au décollage en 2008 ; les 20 restants seront utilisés jusqu’en 2058.
De gauche à droite : B-52 Stratofortress, B-1 Lancer et B-2 Spirit (Photos : US Air Force).
www.defnat.fr - 04 novembre 2015
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Image dévoilée par Northrop
en février 2015 dans une publicité.
La décision du 27 octobre 2015
confiant à Northrop Grumman la
direction du programme ne lève pas
toutes les inconnues autour du LRS-B,
malgré de nombreuses vues d’artistes
disponibles sur Internet (design d’une
aile volante). L’appareil serait plus
compact que l’actuel B-2 et son prix
Cliquez pour visionner
unitaire fixé à 606 millions de dollars
en 2016. La cible se situe entre 80 et 100, avec une durée de vie fixée à 50 ans. De
fait, le programme LRS-B coûtera environ 80 milliards de dollars s’il n’y a pas de
dérapage durant la phase de développement. Il y aura d’abord la fabrication de 3 à
4 prototypes puis une première tranche de 21 appareils à capacité conventionnelle,
en attendant l’option nucléaire autour de 2030.
Une autre incertitude concerne le pilotage du LRS-B où les deux options
ont été retenues, soit en mode équipage à bord, soit en mode drone.
Trois constructeurs, un choix stratégique
Avec le LRS-B, Northrop Grumman va pouvoir continuer à développer et
conforter sa sixième place dans le Top 100 des entreprises de défense. C’est aussi
un choix stratégique pour le Pentagone en permettant ainsi de maintenir un troisième constructeur d’avions. En effet, Lockheed Martin produit le F-35 * mais
aussi le vénérable F-16 *. Grâce au rachat de McDonnell Douglas, Boeing a en
catalogue le F-15 (constamment modernisé et qui doit désormais voler jusqu’en
2040) et le F-18 (qui reste un appareil très compétitif, en particulier à l’export). Sa
ligne de production est toujours ouverte notamment avec la version EA-18G
Growler dédiée à la guerre électronique commandée par l’US Navy et la Royal
Australian Air Force.
L’autre grand programme d’avion militaire conduit par Boeing concerne
l’avion de ravitaillement KC-46A destiné à succéder au Boeing KC-135 Stratotanker
avec 179 avions prévus à partir de 2017 ; contrat obtenu au terme d’un appel
d’offres controversé face à l’Airbus A330 MRTT. Boeing produit également l’avion
de patrouille maritime P-8A Poseidon, dérivé du Boeing 737. L’US Navy a prévu
d’en acquérir 125 tandis que l’Australie et l’Inde en achèteront 8 chacun.
* F-35 et F-16
Le F-35 a été commandé à plus de 3 000 exemplaires. 9 pays l’ont choisi, en plus des États-Unis. Toutefois,
les difficultés de cet avion ont entraîné de nombreuses critiques et une réduction des cibles prévues.
Le F-16 est entré en service en 1978. Plus de 4 500 appareils ont déjà été produits. Il est en service dans 25 pays et
sa production devrait continuer au-delà de 2017.
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TRIBUNE
Les déboires autour du F-35 et du KC-46A incitent donc le Pentagone à
beaucoup de prudence et à éviter la mise en place d’un duopole trop contraignant
autour de Lockheed et de Boeing. La viabilité du plan de charge de Northrop
Grumman est ainsi assurée pour au moins trois décennies, sachant que le LRS-B
ne sera pas exporté.
Un futur avion sans grand équivalent dans le monde
Le LRS-B n’aura pas dans l’immédiat de véritables concurrents. Pour les
pays occidentaux, les capacités de bombardement stratégique resteront très
restreintes, hormis le binôme Rafale-Scalp EG ou l’Eurofighter Typhoon équipé du
même missile. Pour la Russie, le Tupolev Tu-22M3 Backfire accuse son âge (1er vol
en 1969, en service en 1972 ; le standard M3 date de 1983), tandis que le Tu-160
Blackjack, concurrent direct du B-1, n’a été construit qu’à 35 exemplaires (1er vol
en 1981, en service en 1987) : elle pourrait toutefois être relancée avec 50 appareils prévus.
Du côté chinois, la priorité n’est pas à ce type d’avion qui reste complexe à
construire et dont l’emploi est coûteux, notamment pour la maintenance.

Avec le programme du LRS-B, l’US Air Force conservera une capacité
unique au niveau planétaire, dans un domaine où elle n’a plus de concurrent direct.
Il reste maintenant à voir comment va se dérouler la phase de développement et de
mise au point des futurs bombardiers. Il est sûr que les difficultés des F-35 et des
KC-46A devraient fortement influer pour éviter que les mêmes erreurs de management se produisent. Par ailleurs, il faudra que l’US Air Force réfléchisse désormais
au remplacement de deux matériels vieillissants dans des capacités clés : le Fairchild
A-10 Thunderbolt II (1er vol en 1972, en service en 1975) pour l’appui au sol et le
Lockheed C-5B Galaxy (1er vol en 1968, en service en 1969) prévu pour voler
jusqu’en 2040 pour le transport stratégique .
De gauche à droite : Tu-22M3 Backfire et Tu-160 Blackjack (Photos : Alex Beltyukov et Armée de l’air russe).
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