Pistes L`École des femmes

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Pistes L`École des femmes
Antigone-enligne
Molière, L’École des femmes
Piste pédagogique 7
Molière, L’École des femmes
Exemple d’analyse ciblée :
Acte V, scène IV (v. 1482 à v. 1540)
1. Avant de visionner ces extraits
a. Sensibiliser l’œil et l’oreille
Alors qu’Horace a enlevé Agnès et croit la protéger en la confiant à celui qu’il considère
comme un ami, il la remet sans le savoir entre les mains de celui-là même qui la séquestrait.
Le jeune homme s’éclipse laissant ainsi sa bien-aimée dans une situation critique, qui pourrait
être comique si on était dans le registre de la farce, mais étant donné les accents élégiaques de
la scène de séparation, ce qui attend Agnès ne peut que faire frémir un spectateur au fait du
quiproquo. Cette scène, ultime péripétie avant le dénouement de la pièce, offre donc un
retournement brutal de situation, puisque Agnès, qui se croyait libérée du joug de son tuteur,
se trouve face à lui. Or, le spectateur est surpris par un double renversement dans le rapport de
force qui oppose les personnages. Se démasquant au sens propre (Arnolphe était caché dans
son manteau), le vieil homme avoue son amour passionné et malheureux, tandis que la jeune
fille révèle une force de caractère insoupçonnée et se montre impassible devant la passion
d’Arnolphe. Cette scène est la quatrième à mettre Agnès et Arnolphe face à face (acte I,
scène III, acte II, scène V, acte III, scène II) et la première où Agnès tient tête au barbon. Elle
permet ainsi de mesurer le chemin parcouru par la jeune fille qui n’est plus du tout dans la
naïveté de la première scène, où elle répondait aux questions d’Arnolphe et lui avouait le vol
du ruban (acte II, scène V) ou bien lisait docilement les maximes du mariage (acte III, scène
II). C’est à présent une scène d’affrontement où chacun se révèle à l’autre dans sa vérité et où
la comédie prend parfois une tonalité tragique.
Dans la première partie de la scène (le passage étudié v. 1482 à v. 1540), Agnès affirme et
revendique son amour pour Horace, mettant à bas tout le stratagème élaboré par Arnolphe
pour ne pas être cocu. Non seulement Agnès n’est pas une « sotte », mais elle a une
conception de l’amour tout autre que celle d’Arnolphe. Cette scène est donc celle qui permet
d’éclairer tout à fait le titre de la pièce. En fonction de la « lecture » proposée par la mise en
scène et l’interprétation des acteurs, cet affrontement oscille entre le registre comique et le
registre tragique. Arnolphe peut être un vieux barbon dont on se moque ou, au contraire, un
homme passionnément amoureux qui souffre et s’humilie devant une ingrate – d’autant plus
cruelle qu’elle semble insensible à sa douleur.
b. Le contexte des spectacles
Les trois mises en scène offrent des visions très différentes de la scène. Celles-ci proviennent
essentiellement des partis pris esthétiques mais aussi de la nature de chacune de ces captations
ou recréations filmiques. Visuellement tout d’abord, celle de Raymond Rouleau – la plus
ancienne (1973) – étant une adaptation pour la télévision, opte pour un jeu réaliste à
l’intérieur d’un décor naturel reconstitué. Associant décors de théâtre et liberté de
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déplacements propre au cinéma, la réalisation joue sur le mouvement et les changements de
lieux. Celle de Didier Bezace (2001) a, quant à elle, été tournée en plein air et en public dans
la cour d’honneur du palais des Papes à Avignon, ce qui a une incidence certaine sur le jeu
des acteurs qui ont une diction plus appuyée et théâtralisée. Le décor est minimaliste : le
praticable fait de planches de bois contraste avec le choix référentiel de Rouleau ou Lassalle.
Celle de Jacques Lassalle (2006) est tournée à l’Athénée à Paris, dans une scénographie
subtile qui joue habilement de la dualité des espaces.
La scène se passe dans l’obscurité de la nuit et Arnolphe est tout d’abord camouflé dans son
manteau. On sera donc particulièrement attentif à la manière dont chacun des metteurs en
scène opère le dévoilement de l’identité d’Arnolphe aux yeux d’Agnès. Comment Bernard
Blier, Olivier Perrier et Pierre Arditi affirment-ils leur autorité sur la jeune fille ? Comment
Isabelle Adjani, Caroline Piette et Agnès Sourdillon parviennent-elles, quant à elles, à opérer
un renversement du rapport de force ?
2. Regarder ces extraits dans les trois mises en scène
3. Analyse
a. L’univers scénique
La scène se passe devant la maison de ville d’Arnolphe qui a lui-même fixé le lieu à Horace :
« Il faut me l’amener dans un lieu plus obscur./Mon allée est commode, et je l’y vais
attendre. » (v. 1451-1452, scène III). Horace s’adressant à Agnès l’invite donc à suivre cet
« ami » à qui elle est confiée : « Entrez dans cette porte et laissez-vous conduire. » (v. 1461,
scène III). L’espace est particulièrement important pour cette scène, puisque Agnès passe des
bras de son amant – qui n’a aucun endroit pour la protéger –, à un espace clos – qui est celui
de son geôlier. Arnolphe fait finalement volte-face : à peine Horace est-il hors de vue qu’il
semble changer de direction : « Venez, ce n’est pas là que je vous logerai,/Et votre gîte
ailleurs est par moi préparé. » (v. 1482-1483). L’obscurité est assurément un appui pour la
mise en scène qui joue du caractère romanesque de l’intrigue. Cette scène est complexe car
elle joue sur les ressorts de la surprise et sur celui du piège. Comment chaque metteur en
scène s’accommode-t-il de l’indication proposée par la dramaturgie de l’extérieur (la rue) à
l’intérieur (la maison d’Arnolphe) ? Comment montrer l’enfermement d’Agnès qui pensait
trouver la liberté ?
La version de Rouleau joue, de fait, de manière très suggestive du resserrement de l’espace
autour d’Agnès. La scène s’ouvre tout d’abord sur un espace ouvert : on attirera l’attention
des élèves sur le ciel sombre et nuageux, les branches dénudées de l’arbre, et ce qui pourrait
s’apparenter à une cour de ferme fermée par l’enceinte de la propriété d’Arnolphe. Quels
présages cet univers annonce-t-il ? La brutalité du personnage ouvrant la porte d’un brusque
coup de pied souligne la cruauté de ce retour dans le lieu qu’elle quittait. L’autorité du tuteur
passe par le mouvement qu’il impose à la jeune fille en la faisant entrer dans sa propriété :
« N’appelez point des yeux le galant à votre aide ;/Il est trop éloigné pour vous donner
secours. » (v. 1489-90). Le petit jardin dans lequel Agnès se promenait (acte II, scène V) est à
présent plongé dans l’obscurité et Agnès ne le traverse que poussée par Arnolphe qui la fait
entrer à l’intérieur du logis modeste et campagnard où il ramène la fugitive. La proximité des
murs et le cadrage en gros plan sur les visages accentuent l’effet d’enfermement et mettent en
relief l’affrontement des deux personnages.
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L’atmosphère nocturne est stylisée dans la mise en scène de Lassalle. Sur un cyclorama bleu
nuit se détachent des silhouettes d’arbres et la maison d’Arnolphe, au centre, s’élève audessus de l’enceinte qui s’avance en pointe. Arnolphe en long manteau et la tête recouverte
d’un chapeau à larges bords tient une lanterne à la main. Mais alors qu’il va ouvrir la porte de
la maison, il se découvre aux yeux d’Agnès et la scène se déroule finalement devant la porte.
Dans la mise en scène de Bezace, la scène se passe également en extérieur, sur le plateau nu
de la scène. Nul décor pour servir de plan réaliste au face à face. Les acteurs se détachent sur
le fond noir de la nuit avignonnaise dans une sobriété des effets qui renforce leur jeu, filmé de
manière rapprochée. Le lieu se limite à la joute verbale et l’autorité d’Arnolphe s’impose par
la façon dont il tient Agnès fermement dans sa main. L’enfermement des êtres est ici tout
intérieur, chacun des deux protagonistes semble muré dans sa propre solitude.
b. Dramaturgie et direction d’acteurs
Cette ouverture de scène amorce un retournement du rapport de force entre les deux
personnages d’Arnolphe et d’Agnès. Dans un premier temps, le vieil homme a le pouvoir sur
une jeune fille réduite à l’état d’objet puisqu’elle lui a été confiée. Le dévoilement de
l’identité du protecteur crée un effet dramatique d’autant plus fort qu’il signifie le retour dans
le lieu de séquestration et la fin de la relation avec l’amant. L’enjeu de cette scène pour Agnès
est donc d’affirmer la force de sa relation amoureuse et son émancipation par rapport à la
relation instaurée par son tuteur. Le rapport de force est amorcé dès le début de la scène :
Arnolphe prononce vingt-quatre vers à peine interrompus par le cri de surprise de la jeune
fille : il est donc largement en position de domination. Mais le rapport s’inverse peu à peu par
le raisonnement d’Agnès. Cette joute passe par un jeu serré des acteurs ; il s’agit d’un
véritable combat où le plus fort n’est pas celui qu’on croit.
Le rapport de force est mis en scène par Rouleau par la brutalité du mouvement : Blier pousse
Adjani sans ménagement, comme un père autoritaire le ferait avec sa fille fautive. La jeune
fille maintenue fermement par son tuteur semble être un jeune animal sauvage et terrifié pris
dans un piège. Le coup de pied à la porte montre autant la colère du personnage que son
manque de délicatesse. Ses paroles sont rythmées par les violentes poussées de la jeune fille
vers la maison. D’abord effrayée, elle finit par s’immobiliser et encaisse en silence des
remontrances qui pourraient être celles d’un père s’il ne s’agissait d’une scène de jalousie.
Blier tourne autour d’elle et on lit sur le visage de l’actrice un désarroi qui finit par éclater :
« Pourquoi me criez-vous ? » À partir de là, la scène bascule : Agnès se justifie à partir des
leçons prônées par le tuteur. Adjani joue d’une sincérité désarmante, montrant à quel point
Agnès cherche pour la première fois à établir un échange où elle ferait entendre sa voix
personnelle : « […] à vous parler franchement […] » Mais la jeune fille montre aussi par là
qu’elle ne cède rien. Regardant droit dans les yeux son tuteur, elle devient sa parfaite élève et
semble ne pas comprendre les reproches qui lui sont faits : « J’ai suivi vos leçons, et vous
m’avez prêché/Qu’il faut se marier pour ôter le péché. » (v. 1510-1511). Cet affrontement
oppose clairement la figure d’une fille sensible et sincère à celle d’un père buté qui ne joue
que sur le registre de la réprimande. Blier passe dans cette version pour un être borné,
uniquement préoccupé par son désir de dominer. La jeune et ravissante Adjani est si touchante
que le spectateur est immédiatement de son côté.
Le rapport qu’instaurent Arditi et Sourdillon est plus complexe. Le tête-à-tête est souligné par
l’extrême dépouillement de la mise en scène. Les deux acteurs sont face au public,
l’assujettissement d’Agnès est souligné par le fait qu’Arnolphe lui tient la main : son autorité
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passe en effet par la tension avec laquelle il serre cette main, image que le réalisateur cadre en
gros plan. La vraisemblance n’est pas le souci de Bezace car Arnolphe n’est point masqué, les
deux personnages se font face dès le début de la scène. Le choix de l’affrontement se passe
donc de la théâtralisation de l’effet de reconnaissance pour montrer deux êtres dans le plus
grand dépouillement. La réplique « Me connaissez-vous ? » et sa réponse « Hay » prennent ici
une autre signification. Arnolphe est réellement en demande de reconnaissance, tandis que la
jeune Agnès n’est pas surprise, elle sait bien qui est l’homme qui la tient ainsi. La scène
s’engage donc avec une tout autre tonalité. Arditi campe un vieil homme qui est d’emblée
dans la plainte : « Ah, ah, si jeune encor, vous jouez de ces tours » (v. 1491). Son aspect
échevelé, ses yeux qui clignotent comme affolés s’opposent à la rigueur qui caractérise
l’apparence d’Agnès, corsetée dans sa robe bleu marine et les cheveux noués en nattes serrées.
La silhouette d’écolière de Sourdillon contraste cependant avec son visage déterminé et
beaucoup plus mûr que ne l’était celui d’Adjani. L’accent n’est pas mis sur son innocence
mais sur sa détermination à sortir du joug qui la maintient encore. Si elle écoute attentivement
son tuteur, elle n’est nullement impressionnée par les reproches qu’il lui adresse. La leçon
semble s’inverser lorsqu’elle affirme sa conception de l’amour : « Il le fait, lui, si rempli de
plaisirs,/Que de se marier il donne des désirs. » (v. 1518-1519). Même lorsque Arditi lui
prend le visage entre ses mains, la jeune fille ne revendique que plus fermement son amour.
La violence exercée sur la jeune fille est alors davantage le signe de la souffrance d’Arnolphe
que de son autorité. Cette version inverse très clairement le rapport de force dès le début, pour
montrer un Arnolphe dont l’amour confine à la folie et qui peut, surtout dans la seconde partie
de la scène (hors extrait), susciter la compassion du spectateur alors qu’Agnès se montre
impassible et peut apparaître cruelle.
Dans la mise en scène de Lassalle, la scène s’ouvre par un affrontement physique. À peine la
jeune Agnès a-t-elle reconnu son tuteur qu’elle tente de lui échapper pour rejoindre Horace.
Mais Arnolphe la retient fermement et toute la scène va découler de ce premier corps à corps.
Le vieil homme finit par la mettre à terre et à asseoir son autorité en la maintenant de tout son
poids. Cette violence physique montre très concrètement l’assujettissement de la jeune femme
et sa position de victime. Arnolphe s’adresse à elle comme s’il lui infligeait une correction, la
souffrance physique se lit d’ailleurs sur le visage de l’actrice : « Et vous savez donner des
rendez-vous la nuit,/Et pour suivre un galant vous évader sans bruit ! » (v. 1494-1495). La
brutalité du rapport de force est rehaussée par les costumes : la fragilité d’Agnès est soulignée
par la longue chemise de nuit blanche et ses pieds nus, tandis qu’Arnolphe est habillé d’un
long manteau sombre qui le fait apparaître plus massif. Le rapport s’équilibre cependant au
moment où Agnès se relève (« C’est un homme qui dit qu’il me veut pour sa femme »
[v. 1509]) et finit par s’inverser. Si Arnolphe tient encore la jeune fille par les poignets et la
secoue avec vigueur, il la lâche quand elle lui déclare son amour pour Horace. On voit alors
très nettement le personnage du tuteur se fragiliser ; il s’éloigne et s’exprime de dos : « Et ne
saviez-vous pas que c’était me déplaire ? » (v. 1159). Caroline Piette ne joue cependant pas de
ce retournement et semble sincèrement désolée du mal qu’elle inflige. Tandis qu’Olivier
Perrier joue un homme démuni, elle se fait presque douce pour lui expliquer son erreur :
« Vraiment il en sait donc là-dessus plus que vous ;/Car à se faire aimer il n’a point eu de
peine. » (v. 1539-1540). Cette version montre deux êtres qui n’ont pu s’entendre en raison de
leurs divergences de point de vue sur l’amour. La couleur bleutée qui enveloppe la scène
l’unifie, atténuant sa cruauté.
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c. Synthèse
Ces trois versions apportent une richesse d’interprétation à une scène qui semble a priori ne
pas poser de problème de compréhension, même si elle révèle une Agnès qui n’a plus rien à
voir avec celle que le spectateur a vue auparavant. Alors que le barbon agit sur le mode
farcesque (le masque à l’ouverture de la scène), le topos de la précaution inutile se retourne
contre lui et se transforme en leçon qui le place dans la position du « sot », d’où le sentiment
d’ironie tragique que le spectateur peut ressentir. Il sera intéressant de proposer tout d’abord
aux élèves la version de Rouleau qui montre une Agnès proche de leur âge et un barbon dans
la tradition comique, dans un décor réaliste qui ne renonce pas aux détails pittoresques.
L’opposition entre les personnages est clairement associée à celle d’un père et sa fille. La
révolte de la jeune Adjani emportera aisément l’adhésion générale. La version de Lassalle
montre en revanche un Arnolphe plus en nuances : d’abord brutal, il se révèle beaucoup plus
vulnérable qu’on pourrait le penser. Perrier campe un Arnolphe plus humain que le simple
personnage comique. L’Agnès incarnée par Piette est, elle, une jeune femme qui pourrait être
contemporaine. L’affrontement joue moins sur la relation père/enfant que sur celle d’un
couple qui n’a pas la même conception de l’amour. Enfin, il sera sans doute judicieux de
garder la version de Bezace, beaucoup plus âpre, pour la fin car elle montre deux êtres en
souffrance, liés entre eux par la folie d’un homme. Arnolphe est ici un personnage extrême, sa
souffrance en devient presque effrayante. Le personnage interprété par Arditi est pathétique
voire tragique, tandis qu’Agnès semble prisonnière de cette relation ; la jeune fille est si
révoltée qu’elle apparaît dépourvue de toute compassion. Cette indifférence à la souffrance lui
donne un air de cruauté qui se révélera dans la seconde partie de la scène.
Ces visions très différentes montrent aux élèves l’amplitude des choix d’interprétation d’une
scène de théâtre et la richesse des nuances que les acteurs peuvent apporter.
Pistes d’utilisation des documents annexes
Cette première grande comédie de Molière associe deux dimensions antagonistes : le tragique
de l’enfermement et l’univers farcesque. Agnès est tenue recluse par monsieur de La Souche
au sortir du couvent, mais ses « geôliers », les deux serviteurs Alain et Georgette, semblent
tout droit sortis de la farce. Les documents complémentaires proposés inviteront les élèves à
s’interroger, d’une part sur les contraintes scénographiques spécifiques à la situation
dramatique : comment montrer au théâtre le double espace – celui de l’enfermement et celui
du monde extérieur – ? D’autre part, il s’agira d’aborder l’univers farcesque en comparant
différentes propositions de mises en scène du couple de valets.
1. Matérialiser l’espace de l’enfermement : un problème scénographique
Documents iconographiques :
– Photographie montrant la pièce L’École des femmes de Molière, mise en scène de Jacques
Lassalle à la Comédie Française, reprise du 7 juin 2013.
© Mirco Magliocca
– Affiche de L’École des femmes de Molière, mise en scène de Philippe Adrien au théâtre de
la Tempête en 2013.
© Isabelle Durand
Voir la bande-annonce réalisée par Visioscène.
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La séquestration d’Agnès est au cœur de cette comédie de Molière qui articule deux lieux
distincts : la maison de monsieur de La Souche où se trouve la jeune fille, et une place
publique, où se déroule la majorité des scènes. Ce double espace (intérieur et extérieur) pose
d’emblée un problème scénographique que le metteur en scène, en collaboration avec son
scénographe, aborde avant même de commencer à travailler avec ses acteurs.
a. Le décor légendaire de Jouvet et sa recréation
Comme l’écrit Louis Jouvet, qui monta la pièce au théâtre de l’Athénée en 1936 : « Pour
parler du théâtre, il faut commencer par parler de la machinerie1. » C’est avec la complicité de
l’ingénieux Christian Bérard qu’il propose un double espace articulé : les deux pans de
l’enceinte de la maison, qui s’avancent en angle sur le plateau, s’ouvrent et se referment sur le
jardin intérieur où la pupille est cloîtrée. La scénographe de Jacques Lassalle, Géraldine Allier,
s’est inspirée de cette construction pour élaborer le dispositif scénographique pour la mise en
scène de 2004. En l’absence de maquette de la mise en scène de Jouvet, les élèves pourront
l’imaginer à partir des extraits de la mise en scène de Jacques Lassalle qu’ils reverront à la
lumière des propos de la scénographe que l’on peut retrouver dans le dossier pédagogique du
théâtre de l’Athénée, novembre 2004.
b. Interroger d’autres propositions scénographiques
Documents iconographiques :
– Photographie montrant la pièce L’École des femmes de Molière, mise en scène de Catherine
Anne au théâtre des Quartiers d’Ivry en 2014. © Hervé Bellamy
(A Brûle-pourpoint est une compagnie théâtrale conventionnée et subventionnée par le
ministère de la Culture et de la Communication / Production : A Brûle-pourpoint /
Coproduction : Espace Malraux Scène Nationale de Chambéry et de la Savoie, Théâtre des
Quartiers d’Ivry, Comédie de Picardie avec le soutien du DIESE # Rhône-Alpes et la
participation artistique de l'ENSATT et du Jeune Théâtre National).
– Photographie montrant la pièce L’École des femmes de Molière, mise en scène de Jacques
Lassalle à la Comédie Française, reprise du 7 juin 2013. © Mirco Magliocca
– Affiche de L’École des femmes de Molière, mise en scène de Philippe Adrien au théâtre de
la Tempête en 2013. © Isabelle Durand
On pourra alors proposer aux élèves de confronter ces propos avec ceux d’une autre
scénographe, Sigolène de Chassy, qui imagine, quant à elle, un espace particulier pour la
metteure en scène Catherine Anne qui monte un diptyque : Agnès hier et aujourd’hui, dont
L’École des femmes est le pivot (création au théâtre d’Ivry Antoine Vitez, janvier 2014).
On soumettra une photo de la scénographie aux élèves qu’ils décriront et dont ils
détermineront les différents espaces de jeux, en précisant s’il s’agit d’espaces extérieurs ou
intérieurs. La maison d’Arnolphe ainsi conçue propose en effet différentes possibilités : la
porte tambour permet un passage rapide et comique (il laisse deviner un renfoncement qu’il
dérobe aussitôt), la pièce intérieure où se trouvent Agnès et Georgette s’ouvre sur l’extérieur
par un dispositif de vitre semi-opaque à guillotine, tandis qu’un escalier mène vers une
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Jouvet, Témoignages sur le théâtre, p. 138
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Molière, L’École des femmes
terrasse qui représente un espace privé mais en extérieur. C’est ici que se jouent les scènes
dans le jardin.
On complétera l’étude de la photo par les propos de la scénographe, Sigolène de Chassy2 :
« L'option de la mise en scène étant de jouer le diptyque dans le même espace, le dispositif
scénique propose de travailler sur un espace concret dont le traitement plastique sera
suffisamment abstrait pour contenir deux pièces se situant dans un contexte et une temporalité
différente. Le dispositif suggère à la fois l'enfermement et l'isolement avec une architecture
qui évoque une maison, un castelet, une place forte, une arche… Sa perspective
expressionniste renforce le regard de l’enfant sur le monde et donne un caractère dominateur à
l’édifice comme l’autorité d’un père sur sa progéniture. […] La sensation d’enfermement est
accentuée par l’espace vide du plateau. Ce castelet permet une variation de point de vue : que
ce soit le surplomb du toit terrasse ou les surgissements par la porte à tambour, les apparitions
derrière le grand vitrail coulissant, il s’agit d’une scénographie dynamique qui propose du
mouvement, des entrées et des sorties, où le dedans et le dehors sont imbriqués. […] »
Pour prolonger encore cette réflexion sur l’enfermement d’Agnès et sa matérialisation dans
l’espace scénographique, soumettons aux élèves la proposition que Jacques Lassalle et sa
scénographe Géraldine Allier ont adoptée pour une nouvelle mise en scène de la pièce à la
Comédie Française (2012).
À partir de la photo, on demandera aux élèves de décrire le dispositif imaginé : un décor
insulaire qui accentue encore l’isolement d’Agnès et montre par là la volonté de son geôlier
de la couper du monde. On ne peut accéder en effet à la maison de monsieur de La Souche
que par un bac. La machinerie n’est plus au service de la transformation de l’espace mais elle
est actionnée directement par le personnage de barbon tout entier livré à sa folie de
possession. Alors que le système de séquestration semble imparable, le jeune Horace
surmonte cependant cette difficulté, au nez et à la barbe d’Arnolphe.
Pour finir, on pourra proposer aux élèves de réfléchir à un visuel rendant compte de l’idée
d’enfermement d’Agnès qui pourrait être à l’origine d’une maquette pour l’affiche du
spectacle. À l’issu de cette recherche graphique, on leur soumettra l’affiche choisie par
Philippe Adrien qu’ils auront à commenter : que représente-elle ? Comment le graphiste a t-il
réussi à rendre perceptible un état (l’enfermement) et sa libération ? Ce visuel leur semble-t-il
pertinent – tant au niveau du sens que de sa réalisation ? Pourquoi ?
2. La farce dans la comédie sérieuse
Documents :
– Extrait vidéo de L’École des femmes, mise en scène de Philippe Adrien (Acte II, Scène 3),
produite par ARRT, en coréalisation avec le théâtre de la Tempête – captation audiovisuelle
coproduite par Visioscene.
– Extrait vidéo de L’École des femmes, mise en scène de Didier Bezace (Acte II, Scène 3).
Voir DVD L’École des femmes, réalisé par Don Kent, en Avignon à la cour d’honneur du
palais des papes, en 2001. © La Compagnie des Indes / ARTE France / Théâtre de la
Commune, 2001
– Photographie montrant la pièce L’École des femmes de Molière, mise en scène par Philippe
Adrien au théâtre de la Tempête en 2013. © Antonia Bozzi
Voir la bande-annonce réalisée par Visioscène.
2
Dossier du spectacle L’École des femmes, mise en scène par Catherine Anne au théâtre des Quartiers d’Ivry du
6 janvier au 2 février 2014.
© Canopé - CNDP - 2014.
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Molière, L’École des femmes
La farce, genre comique hérité du Moyen Âge, met en scène des personnages bouffons mais
réalistes (ils ont un nom, un métier, un ancrage social). Dans la farce, il s’agit avant tout de
faire rire le spectateur : par des thèmes et des caractères récurrents (le cocu, la ruse, etc.), des
jeux de scènes (mimiques, disputes, bastonnades, esquives, etc.) et des jeux de mots qui
manient avec plaisir le patois, le langage grossier et les images sexuelles. Au XVIIe siècle, le
genre connaît un véritable succès à travers le célèbre trio d’acteurs, Gros-Guillaume, Turlupin
et Gaultier-Gargouille. Molière, par ailleurs fervent admirateur du jeu farcesque des
comédiens dans la Commedia dell’arte dont il s’inspire dans nombre de pièces (citons entre
autres Les Fourberies de Scapin), invente une forme de comédie hybride, mêlant des éléments
tout droit sortis de la farce à une comédie sérieuse qui, elle, peut connaître des moments de
tensions dramatiques comme nous l’avons vu dans la scène IV de l’acte V. En proposant un
couple de valets dévoués mais simples, Molière introduit un élément farcesque qui s’expose
en miroir de celui formé par Arnolphe et Agnès.
Dans la relation maître-valet issue de la farce, ce dernier est souvent bien plus malin que le
maître (il n’y a qu’à voir le personnage de Scapin), ici, c’est le côté paysan, naïf et rustaud
que Molière met en avant (on retrouvera également des couples de paysans dans Dom Juan
quatre ans plus tard). Alain et Georgette, les « geôliers » d’Agnès, sont, certes, des personnes
simples qui ne comprennent pas bien les motivations de leur maître, mais ils sont solidement
ancrés dans une réalité matérielle (ils cherchent à profiter de la situation et à recueillir
quelques pièces) et montrent sur scène un couple solide et complice. Il sera intéressant dès
lors de mettre en perspective le couple Arnophe-Agnès à partir de celui que forment les
serviteurs, d’autant qu’Alain, dans cette scène, cherche à faire comprendre à Georgette la
raison qui motive l’état extrême dans lequel se trouve leur maître. Il s’agit donc d’expliquer
ce qu’est la jalousie à une femme qui semble ignorer ce sentiment.
On attirera l’attention des élèves sur le jeu farcesque des comédiens en proposant une vision
comparée de la scène dans deux mises en scène de Didier Bezace et de Philippe Adrien. On
insistera sur la différence de classe que Molière propose : il oppose en effet la bourgeoisie au
couple de paysans. Comment les mises en scène traitent-elles cet écart (décor, costumes, jeu) ?
Dégager les caractéristiques farcesques du jeu (décrire la gestuelle, les mimiques des
comédiens, leur interaction). Quelle mise en scène semble plus proche du jeu traditionnel de
la farce ? Comment les comédiens montrent-ils qu’ils sont un couple uni et amoureux (le jeu
est explicitement fondé sur le désir sexuel) ?
Comprendre en quoi l’explication d’Alain est savoureuse. Alain reprend la métaphore du
potage à Rabelais (Le Tiers Livre). Il utilise une réalité concrète et quotidienne pour Georgette
(la mise en scène de Ph. Adrien montre d’ailleurs un potager avec des choux, cf. photo) pour
expliquer un sentiment abstrait. Il s’agit de rendre plus compréhensible la « psychologie »
d’Arnolphe, autrement dit de le rendre « humain » aux yeux de sa servante. Ce faisant, il se
trouve ridiculisé aux yeux des spectateurs car l’image du potage porte à rire. Il y a là un
contre-point très efficace à la sensibilité d’Arnolphe qui, elle, l’entraîne sur un versant bien
plus sombre de la comédie. Cet échange introduit un écart qui met en perspective la manière
dont Arnolphe considère Agnès. La remarque de Georgette (v. 440-442) et la réponse de son
mari (444-445) ouvrent alors un débat sur le caractère possessif des hommes. Comment
pourrions-nous formuler de manière plus moderne l’enjeu de cet échange ? L’homme doit-il
considérer la femme comme un bien de consommation ? La femme est-elle une marchandise ?
Et surtout : la femme ne doit-elle se donner qu’à un seul et unique homme ? Toutes ces
questions (elles peuvent être nombreuses et développées en classe) montrent la portée critique
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Antigone-enligne
Molière, L’École des femmes
de la pièce qui s’appuie en grande partie sur l’introduction de la dimension farcesque dans la
comédie sérieuse.
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