L`enfant né d`un couple éphémère

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L`enfant né d`un couple éphémère
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L’enfant né d’un couple éphémère
Chantal Magnant, administratrice FFER
Psychologue, intervenante au Point Rencontre 86 à Poitiers
De 2009 à 2012, 49 enfants de moins de 3 ans sont accueillis au Point Rencontre AFCCC de
Poitiers. Ces enfants n’ont donc vécu que très peu de temps avec leurs deux parents. Il s’agit
de couples jeunes, qui se séparent juste après la naissance du premier enfant, parfois même
avant, ou de jeunes qui ont eu un enfant sans véritable projet de vie commune, souvent il
s’agit de couples mixtes, un des membres du couple est étranger souvent en situation
irrégulière. Nous avons un petit nombre de couples « virtuels » qui se sont rencontrés par
Internet et qui ont eu un enfant bien réel.
Dans un premier temps nous allons établir une différence entre ces familles. Puis nous
évoquerons nos questionnements et nos objectifs.
I. Qui sont ces couples ?
1. Un enfant pour recoller le couple. Il s’agit de couples qui rencontrent des
difficultés et qui envisagent d’avoir un enfant pour repartir sur de nouvelles bases.
Ces couples sont peu présents à l’espace de rencontre car souvent ils ont un vécu de
couple suffisamment positif pour que lors de la séparation, ils trouvent par euxmêmes des solutions adéquates pour leurs enfants.
2. Les couples anti-famille décrits par CAILAUD et DECHEF. Il y a eu
une émission au journal télévisé sur « les bébés clash », il s’agit le plus souvent d’un
premier bébé.
L’explication donnée lors de l’émission peut paraître un peu sommaire et
superficielle. Il s’agirait de jeunes parents qui ne se seraient pas représenté les
exigences d’un bébé, ils n’avaient pas pensé que cela bousculerait leur vie et cela
entraînait un conflit.
Nous accueillons de telles situations au Point Rencontre. Il s’agit de jeunes qui ont
réellement construit un couple, ils peuvent s’être engagés par un mariage, un Pacs,
ils ont désiré ensemble un enfant parfois après plusieurs années de vie commune,
mais ils ne peuvent construire une famille, ils ne peuvent passer du deux au trois.
L’unité familiale est impossible, plusieurs couples sont en concurrence, le couple
conjugal est mis à mal par le couple mère/enfant qui est en concurrence avec le
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couple père/enfant. Le premier enfant devient cause de divorce. Ce qui fonde ces
couples est un lien narcissique.
Nous pouvons alors distinguer deux catégories :
1- Une relation en miroir, le couple a établi une relation fusionnelle où l’autre
est identique, mais la naissance des enfants vient introduire une différence, vient
souligner la différence sexuelle qui introduit la notion de supériorité/infériorité.
Chacun des parents recherche dans l’enfant une ressemblance et il y a la question de
l’appropriation. À qui est l’enfant ? Qui l’a fait ? Est-ce que la femme n’a été qu’un
moule ? Ou au contraire, c’est le père qui est disqualifié « un spermatozoïde
minuscule, juste 5 min. » L’arrivée de l’enfant entraîne une guerre des sexes. Chacun
des parents veut établir avec l’enfant une relation fusionnelle et la relation de couple
jusque-là parfaite, sans heurt, n’est plus possible.
Nous citerons les cas de Dominique et Frédéric, tous les deux sont issus d’un milieu
socioculturel semblable, tous les deux sont les deuxièmes d’une fratrie de trois, lui de
trois garçons, elle de trois filles, tous les deux ont été attendus d’un sexe différent, lui
comme fille et elle comme garçon, tous les deux ont fait les mêmes études et exercent
la même profession, ils se sont rencontrés lors de leurs études. Ils forment un couple
dynamique, ils ont beaucoup d’amis et ils sont considérés comme un couple parfait
qui fait penser aux Météores de Michel TOURNIER.
À la naissance du premier enfant, la mère tombe malade et le père s’occupe seul et de
manière très positive de son premier bébé. À la naissance du second, la mère dit « Là
je ne serai pas malade et c’est moi qui vais m’occuper de mon bébé » comme si la
maladie avait été une maladie de complaisance pour sauver le couple. Ce nouveau
bébé ne peut pas être entouré de son père et de sa mère, le couple se dispute et éclate.
Le divorce n’apporte aucune solution car sept ans après, une expertise psychologique
est demandée, l’hébergement des enfants a été fixé au domicile de la mère puis du
père puis de la mère, là c’est le père qui revendique. Quand les enfants étaient confiés
à l’un, l’autre parent ne pouvait exercer son droit de visite.
2- Une relation narcissique où l’autre est un faire-valoir. Après sept ans de vie
commune, durant lesquels la femme explique « Mon mari m’avait mise sur un
piédestal » le couple envisage le projet d’avoir un enfant. Autour du troisième mois,
la mère part et va vivre chez ses parents et fait une demande de divorce en faisant
croire à son mari qu’elle a pratiqué une IVG. Le père a appris par la bande que son ex
avait accouché, il s’est rendu à la maternité où il a été très mal reçu. Le conflit a
perduré ou perdure…
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Dès la conception, l’enfant vient prendre la place du mari et vient mettre cette femme
sur un piédestal d’autant plus que dans l’histoire de cette mère, être enceinte vient
réparer, réveiller des souffrances liées à sa naissance.
3. Des parents par emboîtement antalgique. Depuis quelques années, nous
avons également des parents de très jeunes enfants (quelques mois, moins d’un an)
qui sont adressés au Point Rencontre par les Juges aux Affaires Familiales. Ces
personnes sont devenues « parents » après un ou peut-être quelques rapports
sexuels, alors que ce couple n’avait aucun projet de vie commune, aucun désir de
construire un couple ni projet d’avoir un enfant.
Un père disait « Oh ! On n’a pas vécu ensemble car elle, elle veut absolument vivre
en ville et moi à la campagne. » L’absence de contraception témoigne d’une relation
sexuelle sans représentation d’enfant. Dans ce cadre-là, nous pouvons citer « les
couples virtuels », les couples qui se sont rencontrés via Internet et qui d’un clic se
défont, même si un bébé réel est bien là.
Le pacte dé-négatif qui fonde ce couple (Pasch) est : la solitude, le sentiment
d’abandon, la détresse. Ils s’enlacent pour ne pas être seuls ou pour être seuls
ensemble. Il s’agit soit d’adolescents soit de jeunes un peu plus âgés, si l’un des
parents est étranger cela vient souvent encore rendre la situation plus complexe.
Quand le début de grossesse est découvert, ils ne vivent pas ensemble. Souvent
quand la mère informe le futur père, il dit « Tu n’as qu’à te faire avorter », ce qui
permet à la mère d’investir son enfant comme le sien propre et qui donne lieu à des
fantasmes de parthénogénèse. Mais à la naissance, le père se manifeste et fait valoir
ses droits à la paternité, ce qui fait que l’enfant est aussitôt mis dans une situation de
conflit.
Différence entre ces couples par « emboîtement antalgique » et des couples antifamille.
A. L’identité de père.
Que des mères désirent avoir un enfant pour elles toutes seules avec le fantasme de
l’avoir fait toute seule, est connu, mais ce qui est nouveau c’est la revendication des
pères. Nous faisons l’hypothèse que cette revendication de paternité vient compenser
une très grande fragilité au niveau de l’identité, voire une impossibilité à s’affirmer
dans une identification masculine et dans une position de séduction. C’est un anti
Don Juan, pour celui-ci l’important c’est de conquérir une femme, l’idée de paternité
n’est jamais présente. Là, au contraire, ils n’ont pas réellement cherché à séduire,
nous dirions plutôt, « ils sont tombés dans les bras l’un de l’autre » parce que l’un et
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l’autre sont semblables, ont une histoire semblable et douloureuse. Être reconnus
comme père, c’est ce qui fonde leur identité.
B. La place du couple dans le générationnel.
Nous retrouvons deux cas de figure, soit une rupture, soit un écrasement de la
différence de génération.
B.1- Une absence de grands-parents. Les membres du couple ont rompu ou sont plus
ou moins abandonnés par leurs parents. Par exemple, ils se sont rencontrés dans un
foyer d’hébergement.
B.2- Abrasement des différences de génération. Il s’agit souvent de parents très jeunes,
qui sont encore mineurs et les grands-parents sont alors, plus ou moins, investis dans
une fonction parentale. Ils participent alors au conflit, les couples de grands-parents
s’attaquent, se disqualifient. Le père et/ou la mère s’accrochent chacun à leur propre
parent. La mère ou le père, vient au Point Rencontre accompagné de sa mère ou
parfois de son père.
C. Une violence extrême.
La revendication du père à être présent auprès de son enfant soulève une haine
terrible qui perdure ou parfois qui s’apaise brutalement, sans que nous comprenions
pourquoi. Dans ces couples, nous ne pouvons pas vraiment parler de conflit
structuré. Nous ne sommes pas au niveau d’une opposition mais bien plus d’un déni
de l’autre, de l’annulation de l’autre. Il n’a rien à voir, il n’est pas concerné. Quand le
conflit s’apaise, c’est la mère qui le décide, se valorisant par sa gentillesse, elle
souligne sa grande bonté, parfois c’est parce qu’il lui fait pitié, mais elle peut aussi
bien, quelques semaines après, supprimer les rencontres, sans réelles raisons,
obligeant le père à ressaisir le Juge aux Affaires Familiales.
Cette violence est souvent exprimée directement :
Parfois de manière très crue Une mère nous disait combien elle serait contente de voir le
père se faire écraser devant elle.
Parfois de manière cynique Un père est venu au Point Rencontre plusieurs fois sans que
son enfant soit présenté, il appelle la mère au téléphone qui demandera à me parler.
Ses propos sont clairs : « Il peut faire ce qu’il veut, même s’il me fait mettre en prison,
il ne le verra pas ». C’est le seul contact que nous avons eu avec cette mère, elle n’est
jamais venue, le père est venu chercher des attestations, les avocats ont pris le
relais…
Au travers de l’enfant Une fois une mère, pour mettre le père en difficulté, nous a
amené son bébé sans rien, ni couche, ni doudou, ni biberon et sans lui avoir donné à
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manger. Finalement, nous avons pu lui donner un biberon et nous avons constaté
l’étonnement de la mère voyant son enfant dormir calmement dans les bras du père.
Parfois par des provocations et des critiques, voire des accusations mensongères, souvent au
travers de disqualifications Il leur faut sans cesse critiquer le père. Plus exactement il
s’agit de critiques du rôle maternel du père. Nous entendons de manière très
répétitive « Il n’a pas changé la couche, il ne lui a pas donné son biberon, les couches
sont pleines de pipi, de caca, il a mélangé le linge propre et le linge sale, il a mal
fermé le biberon… » La fonction paternelle ne semble jamais pensée.
Une oscillation extrême entre amour et haine Parfois nous observons une oscillation
extrême entre amour et haine. Nous entendons, le vendredi à la permanence, des
propos très violents, de haine par rapport à l’autre et le samedi nous les voyons
s’embrasser. Une jeune femme est venue plusieurs fois à la permanence pour me
faire lire les SMS que le père de son enfant lui envoyait qui étaient des déclarations
d’amour.
4. Une absence d’informations. Une de nos difficultés est d’avoir des
informations sur ces situations, sur ce qui fait conflit. Nous observons une réticence à
répondre à nos questions, il peut s’agir aussi d’une impossibilité à penser, à faire des
liens, pour eux la situation est comme ça, ils ne peuvent pas dire pourquoi. Leurs
réponses sont très pauvres, on entend une certaine banalisation « On a fait l’amour,
on a décidé de le garder, mais lui, il s’en fiche, quand j’ai été lui présenter, il était
avec ses copains et il m’a dit qu’il n’en avait rien à foutre ». Pouvons-nous entendre
cette réticence comme un sentiment de culpabilité ?
5. Les couples mixtes. Très souvent l’un ou l’autre des parents est étranger et en
situation irrégulière. L’enfant devient un enfant pour les papiers et le père est là
encore terriblement disqualifié dans sa fonction paternelle, s’il s’intéresse à son
enfant c’est pour avoir des papiers.
Une mère est allée dénoncer le père de son enfant comme étranger sans papier quand
celui-ci a fait des démarches auprès du Juge aux Affaires familiales pour rencontrer
son enfant.
Mais en dehors de cette question de papier, ces pères étrangers sont en très grande
difficulté. (Il s’agit le plus souvent des pères.) Dans cette situation de déracinement,
ces pères sont confrontés à une perte des repères fondamentaux.
a) Une perte d’identité culturelle. Être père les confirme dans une identité
néanmoins, cette place de père qui leur est laissée n’a rien à voir avec leurs valeurs
culturelles. Ils sont confrontés à la perte de leur cadre référentiel. Ils expriment un
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sentiment d’injustice, ils éprouvent des sentiments de révolte, ils ont le sentiment
d’une attaque personnelle : « La juge est raciste » « Dès qu’ils voient mon nom, ils
essayent de me briser », « Les intervenants sont du côté de mon ex parce qu’elle est
française ».
b) Une loi démocratique qui supplante une loi divine. Ils doivent respecter une loi
sociale qui leur paraît sans fondement, la loi divine ne peut qu’être supérieure, « La
loi divine est juste, la loi française injuste. » C’est sur la loi divine qu’ils fondent la
supériorité de l’homme sur la femme et l’autorité paternelle.
c) L’égalité homme-femme. Dans le pays d’origine, l’opposition masculin-féminin est
vécue dans un rapport d'inégalité : « Les hommes ont autorité sur les femmes en
vertu de la préférence que Dieu leur a accordée sur elles » (Coran, IV, 34). Se
conformer à une loi dite par le juge quand celui-ci est une femme est impensable. Un
père disait « C’est un pays de femmes, lorsque j’ai vu que la juge était aussi une
femme, j’ai compris que j’étais grillé d’avance ». Ces pères se trouvent confrontés à «
une loi sociale qui ne leur offre pas de fonction sociale à la hauteur de ses renoncements ».
C’est dans la violence qu’ils expriment leur rejet de cette loi sociale « injuste » car elle
les met dans une position égale à leur ex-conjointe. De plus, ils ont le sentiment que
leurs femmes en profitent.
II.
Notre questionnement
Séparation ou arrachement.
Il nous faut introduire le père auprès d’enfants qui ont vécu jusque-là collés à leur
mère. Une de nos grandes questions, nous pourrions dire inquiétude, est de devoir «
arracher » un enfant des bras d’une mère pour le mettre dans les bras d’un père qui
lui est totalement inconnu.
Bien entendu, nous n’arrachons pas un enfant, nous demandons à la mère de le
donner ou de nous le donner pour qu’on le conduise à son père, mais, sur le plan
fantasmatique, c’est un peu ce que cela nous évoque.
Le souci est que ce bébé ne connaît pas du tout son père, il est comme nous un
étranger à l’enfant et nous imposons une séparation très brutale. Nous avons eu des
bébés qui ont pleuré pendant très longtemps. En même temps, nous sommes étonnés
de voir ces pères s’occuper de leur enfant avec une très grande patience, ils sont très
présents, ils portent leur enfant pendant trois heures, ils sont tristes.
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III.
Nos objectifs
1- Un rôle éducatif. Nous avons un rôle éducatif d’accompagnement mais nous
cherchons aussi à mettre des mots et nous aidons ces pères à dire, à parler
avec leur enfant, nous les aidons à tenir avec plus de souplesse leur bébé.
2- L’introduction du tiers. Comment introduire ce père, comment faire penser
qu’il a fallu un père. Le refus du tiers concerne aussi les intervenants. Nous
pouvons évoquer une mère qui même après un an au Point Rencontre, refusait
le moindre geste de notre part tendant à lui apporter une aide. Elle refusait
que nous l’aidions à placer son enfant dans son sac kangourou ; un autre jour,
elle a remis les chaussures à son enfant (parce que le père les avait mises à
l’envers) sans accepter notre aide, sans utiliser une chaise ou une table et nous
voyions cette mère peu préoccupée du confort de son enfant.
3- Penser un espace de transition. C’est là une grande question et une de nos
grandes préoccupations. D’un côté, nous avons une ordonnance et le père
exige qu’elle soit respectée (il a déjà beaucoup trop attendu) et il lui est très
difficile de penser le vécu de son bébé, il ne peut comprendre que cela fasse
souffrir son enfant.
De l’autre, prendre du temps pour faire que le passage soit progressif est compris
comme une alliance avec la mère qui est la première à le ressentir comme cela, ce qui
renforce son opposition.
Un vendredi soir à la permanence, une jeune mère qui doit accompagner son enfant
pour la première fois m’interroge sur la nécessité d’un temps de transition pour aider
la séparation. Je suis très positivement reconnaissante envers cette mère qui veut bien
accepter une rencontre avec le père pour le bien de son enfant et qui pense à son
enfant. Le lendemain, je vois un enfant collé dans le sein de sa mère et le père qui est
derrière la mère et ce trio aligné tourne sur place. J’explique à la mère qu’elle doit
donner son enfant au père et partir. Elle m’affirme qu’hier, quelqu’un lui a dit qu’elle
pourrait rester au Point Rencontre avec le père. Je me demande qui a pu dire ça, puis
je me rends compte que c’est moi. Il y avait une telle différence entre le discours
positif de transition, de la nécessité d’un temps de présentation et l’image de cette
mère « rempart » que je ne pouvais pas faire de lien avec la personne que j’avais eue
au téléphone la veille.
Une des règles que nous donnons est que l’enfant ne soit pas dans les bras de la
mère, mais dans un transat ou dans une poussette, mais cette règle n’est pas toujours
acceptée.
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Cette question du passage de l’enfant des bras de la mère à ceux du père reste très
importante. Il faudrait rencontrer les juges pour penser un dispositif, notifié dans
l’ordonnance, mais nous ne savons pas trop comment on pourrait faire.
4- Un enfant réparateur. Dès le départ, ces enfants ont une mission écrasante de
combler un vide chez leurs deux parents, de renforcer leur identité. Beaucoup
de pères disent qu’avant la naissance, ils ne se représentaient pas ce que
pouvait être leur enfant. Puis, ils disent combien il est important pour eux et
qu’ils se seraient peut-être suicidés s’ils ne pouvaient pas le voir. Ils se
mobilisent pour trouver un travail, un logement. L’enfant est pour eux moteur
d’une réinsertion.
5- Être dans une fonction symbolique. Ces enfants sont un bien précieux que l’on
s’arrache, que l’on se dispute. Un père présenté comme très démuni est venu
au Point Rencontre rencontrer sa petite fille et lui a offert un bijou en or. Pour
lui, sa fille valait vraiment de l’or. Nous sommes souvent très atterrés, émus,
devant ces enfants qui sont si peu respectés pour eux-mêmes, qui sont pris
dans une violence. La question est comment réussir à sortir de cet
accablement, il nous faut nous déprendre de cette idée péjorative que nous
sommes devant un enfant du malheur. Le temps de réunion et d’échange en
équipe doit nous permettre d’introduire la place du symbolique. Il s’agit pour
nous de transformer, d’alléger cette réalité avec des mots.
6- Il nous faut apporter à cet enfant une parole sur sa naissance, afin que cette
naissance ne soit pas vécue comme un échec, comme un accident. Valoriser le
fait que cet enfant ait bien voulu naître.
7- Enfant dans une fonction de soutien. Une autre question qui a fait débat est :
faut-il valoriser cette position de soutien que l’enfant a pour ses deux
parents. Il nous semble important de reconnaître cette position que l’enfant a
pour ses parents, mais comment la limiter ? Comment permettre à un enfant
de s’en dégager, de faire aussi sa vie ? Il est important que cet enfant ne soit
pas pris dans le piège d’une position narcissique, de toute-puissance par
rapport à ses parents. Il doit être invité à vivre sa vie, et nous devons le
préserver dans sa place d’enfant.
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8- Résister à une tentation de clivage. Il nous faut sans cesse nous déprendre
d’une position de clivage dans laquelle chacun des parents voudrait nous
entraîner. Il n’y a pas un bon et un mauvais parent.
9- Travailler dans des conditions imparfaites. L’accueil de ces très jeunes
enfants au Point Rencontre nous pose problème, nous ne sommes pas
vraiment satisfaits, mais c’est peut-être soutenir des enfants que d’accepter de
travailler dans l’imperfection car pour eux aussi il n’y a pas de solution
satisfaisante.
Conclusion.
G. DELAISI de PARSEVAL (Dialogue n° 150 pages 71-83) définit les
conditions nécessaires pour qu’un enfant se développe harmonieusement :
-
« L’enfant a besoin de deux adultes (au moins) qui ont pu se constituer comme
parents ;
-
L’enfant a besoin de transparence et de vérité sur son histoire ;
-
L’enfant ne doit pas être pris dans des comportements de loyauté clivée entre
ses différents parents ; il a besoin d’être désiré pour lui-même pas seulement
pour colmater les blessures, les frustrations ou les deuils non faits ».
Notre objectif est de contribuer à ce que ces conditions soient possibles pour aider
des enfants à se construire à partir d’une histoire souvent complexe.
Mais dans ces situations, atteindre ces objectifs est compliqué, compromis. Par
ailleurs nous ne travaillons pas dans des situations idéales. Nous avons à les penser
ou panser, offrir une enveloppe de pensée, faire des hypothèses qui nous permettent
de comprendre l’un et l’autre des membres de la famille. Ces hypothèses sont le
contraire d’une certitude sur l’autre. Il nous faut accepter et travailler le manque et
penser le manque.