Le développement de la VoD en Europe
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Le développement de la VoD en Europe
Le développement de la vidéo à la demande en Europe, bouleversement des modes de diffusion du cinéma ? Philippe BAILLY, Directeur associé de NPA Conseil Joaquín GARCIA ORBEA, VOD Manager, Imaginio Javier VACAS, Consultant, Egeda Digital Marie-Christine LEVET, Président-Directeur-Général de Club Internet et de T-Online France Aviva SILVER, Directrice du programme MEDIA John WOODWARD, CEO, UK Film Council Jean-Paul SALOME, Réalisateur, Membre du Conseil d’Administration de l’ARP Henrik NILSSON-JARL, Directeur marketing, SF Anytime Le débat est animé par Pascal ROGARD, Directeur général de la SACD. Pascal ROGARD A la demande des organisations professionnelles d’auteurs et de producteurs, Philippe Bailly a mené une étude sur la vidéo à la demande en Europe. Cette étude a servi de base aux discussions sur la directive « Télévision sans frontières ». Joaquín García Orbea est VOD Manager chez Imaginio, une filiale VOD de Telefónica, qui est le grand groupe espagnol de télécommunications. Javier Vacas est consultant chez Egeda Digital, qui détient les droits des producteurs en Espagne et qui a eu des idées originales pour développer ce marché outrePyrénées. Henrik Nilsson-Jarl est Directeur marketing chez SF Anytime : ce service de VOD à l’échelle des pays nordiques est le principal détenteur de droits dans cette zone. Jean-Jacques BEINEIX Les auteurs, les réalisateurs et les producteurs ont toujours rêvé de supprimer les intermédiaires. L’époque actuelle fait que les intermédiaires sont plus importants que les œuvres, et que nous ne savons pas très bien où est le pilote. La VOD a émergé assez rapidement. Nous nous demandons à quelle sauce nous serons mangés. Il y a un siècle, le cinéma a pris la place des cafés-concerts, des hippodromes et des théâtres et ne s’est pas beaucoup posé de questions. Il y a quelques décennies, la télévision a fait son apparition. Le cinéma ne s’est alors pas beaucoup posé de questions. Aujourd’hui, le cinéma s’interroge sur son avenir dans un nouveau mode de diffusion. L’ARP a toujours été un peu en avance sur son temps et pas forcément à l’heure sur les trains. Souvenez-vous de NMV, qui était une assez belle initiative visant à faire de l’ARP un opérateur pour les DVD et les cassettes. Peut-être la salle disparaîtra-t-elle du fait du confort et de la flexibilité incomparables offerts par la VOD. La VOD sera-t-elle une occasion de transparence, ou bien existera-t-il une opacité plus importante qu’avec la salle et l’édition ? Pascal ROGARD La France est le seul pays européen où le monde du cinéma dans toutes ses composantes (producteurs, distributeurs, exploitants, auteurs) a mené un dialogue institutionnel avec les opérateurs de télécommunications et les sociétés de communication ayant développé des offres de VOD. Le 20 décembre 2005, juste avant les débats relatifs à la loi sur le droit d’auteur - ce qui n’est peut-être pas fortuit -, un accord prévoyant un encadrement des offres de VOD a été signé. L’objectif était de ne pas nuire à la télévision à péage ou aux salles de cinéma. Le délai de diffusion est de 33 semaines. Les négociations ont été ardues, car il a fallu trois mois pour passer de sept mois et demi à 33 semaines, ce qui représente deux jours d’écart. En anticipant sur les discussions sur la directive « Télévision sans frontières », nous avons également prévu des obligations d’investissement des opérateurs dans les œuvres cinématographiques d’expression française et dans les œuvres européennes. En ce qui concerne la transparence de la rémunération des auteurs, la SACD a passé avec la quasi-totalité des opérateurs des accords prévoyant le reversement d’un pourcentage du prix payé par le public. Je ne doute pas que les chiffres des opérateurs soient exacts, mais nous les contrôlerons en temps voulu. La VOD est bien plus transparente que le secteur de la location de vidéos. La VOD reste encore une activité émergente mais tous lui promettent un brillant avenir, d’autant plus que les opérateurs investissent dans les réseaux. Intéressons-nous également au contexte européen. Si nous voulons disposer d’une réglementation européenne efficace, la VOD doit aussi être régulée dans les autres pays. Aviva Silver représente ici la Commission européenne. Avant de lui donner la parole, je vais lui demander de transmettre à Madame Reding, de la part de l’ensemble de la communauté des créateurs européens, un message de très vive inquiétude. Je sais que Viviane Reding a toujours défendu la création. Lors des Rencontres de 2005, elle avait déclaré que les nouveaux services seraient inclus dans la directive « Télévision sans frontières » : sa promesse a été tenue. Notre inquiétude concerne les tentatives de la Commission européenne de porter atteinte à la rémunération pour copie privée. Cette rémunération est la contrepartie du droit, pour les particuliers, de copier les œuvres. Elle est répartie entre les auteurs, les artistesinterprètes et les producteurs : chacun en bénéficie. En France, elle sert également à financer la création. Si cette rémunération disparaissait au bénéfice des mesures techniques de protection (les fameux DRM), une source de financement de la création se tarirait. Chacun sait que les DRM ne sont pas fiables, car les systèmes de Microsoft et d’Apple ont été « craqués ». Je souhaite que la Commission européenne ne cède plus aux pressions des grands industriels, qui fabriquent d’ailleurs leurs appareils en Asie. A l’heure où l’Europe s’apprête à ratifier la convention de l’Unesco sur la diversité culturelle, il serait grave de s’attaquer à une mesure soutenant la création. A la Commission européenne, nous avons connu de mauvais génies nommés Brittan ou Bangemann. J’espère que McGreevy ne sera pas un mauvais génie de l’Europe pour la création audiovisuelle. Aviva SILVER J’ai bien reçu votre message, et je m’engage à le transmettre à la Commissaire et aux services appropriés de la Commission. Je suis venue vous parler de MEDIA 2007. L’ARP organise le débat de ce matin afin de nous aider à élaborer des lignes directrices dans notre nouvelle politique relative au numérique et à la VOD. Le programme actuel MEDIA PLUS prend déjà en compte le numérique, mais simplement dans le contexte des projets-pilotes. Ceux-ci nous servent depuis quatre ans de laboratoires pour tester de nouvelles idées. SF Anytime avait par exemple lancé un projet qui n’a malheureusement pas abouti sur le plan commercial. Nous pensons que le temps est venu de transformer ces projets-pilotes en un mécanisme à part entière. Nous souhaitons accompagner l’industrie du cinéma dans cette nouvelle démarche et encourager les opérateurs à saisir les opportunités du numérique. Le cinéma vit actuellement une situation difficile. En Europe, la fragmentation du marché et la concurrence des films extra-européens sont de lancinants problèmes. Nous estimons que les nouveaux moyens de distribution représentent une opportunité. Il faut qu’une offre d’œuvres audiovisuelles européennes apparaisse sur Internet. Nous prévoyons d’encourager les opérateurs à se regrouper pour élaborer cette offre. Nous avons également des projets pour le cinéma en salle mais aujourd’hui, le débat concerne surtout les détenteurs de droits. Les plates-formes disposent de moyens, mais les ayants-droit ne doivent pas devenir les parents pauvres du système. Nous souhaitons protéger et encourager les sociétés européennes indépendantes de production ou de distribution et les éditeurs de DVD et de vidéo. Nous voulons les inciter à se regrouper pour créer des plates-formes permettant au public d’avoir accès en ligne à un nombre élevé d’œuvres audiovisuelles européennes. Je souhaite rentrer à Bruxelles avec des suggestions. Quelles dépenses devraient être éligibles ? Comment transformer notre politique en des mesures concrètes soutenant la communauté des créateurs ? Pascal ROGARD L’Europe est à l’écoute. Des informations sont projetées à l’écran. Philippe BAILLY Les plates-formes se sont multipliées. Il en existe plus de 25 en France, mais des regroupements commencent à s’effectuer. Canal Play, du groupe Canal Plus, est également l’opérateur de VOD de Free et de MSN. Gloria, un indépendant, a signé avec la FNAC et avec le fournisseur d’accès Internet Neuf. Virgin a conclu un accord avec Alice et Numéricâble. Dans le même temps, les catalogues sont en train de s’ouvrir. A l’exception de MGM, les plus grandes majors et la plupart des grands studios indépendants ont signé avec au moins une plate-forme française. Chez les producteurs français, Pathé Europa est entré en 2002 dans Movie System ; les accords d’exclusivité signés avec Canal Play sont depuis lors arrivés à expiration. Universciné est en passe de démarrer son activité. Gaumont a mis en ligne une dizaine de ses titres. Parmi les acteurs importants de la production française, MK2 et UGC n’ont pas encore ouvert leurs titres à la VOD. Parallèlement à cette offre de cinéma, il se développe une offre importante de programmes audiovisuels. Les principales séries américaines sont maintenant disponibles : Lost, Prison Break, Desperate housewives... Les grandes fictions françaises le sont également : Marie Besnard, Le Maître du zodiaque, etc. Cela concerne également des feuilletons comme Plus belle la vie et des fictions courtes comme Kaamelot, sans oublier les documentaires et les films d’animation. Cette offre se développe sous une pression pressante des offres gratuites légales ou illégales. Les studios américains mettent aujourd’hui massivement en ligne leurs programmes-phares le soir même de leur diffusion. 40 millions de téléchargements de Lost et de Desperate housewives ont été effectués en deux mois aux USA. TF1 a testé une telle initiative cet été avec Le Maître du zodiaque. Les sites de partage de vidéos, quant à eux, sont maintenant les stars de la Bourse. YouTube a été racheté par Google pour 1,6 milliard de dollars. DailyMotion propose de manière massive des programmes non encore diffusés en France, tels que le premier épisode de la troisième saison de Lost : 100 000 personnes l’ont déjà visionné, et 6 à 8 000 personnes supplémentaires le font chaque jour. La saison prochaine de Desperate housewives et le début de la troisième saison de Nip/Tuck sont disponibles sur des platesformes Web 2.0. France Télévisions a renoncé à exploiter sur des plates-formes de VOD légales le documentaire sur Jacques Chirac diffusé cette semaine, mais il est disponible sur DailyMotion. Sur YouTube, vous pourrez retrouver des saisons entières de Kaamelot que M6 commercialise par ailleurs sur son site. Les plates-formes ont tendance à renvoyer à plus tard l’installation de technologies de filtrage. Notez qu’aux USA, YouTube limite à une durée de dix minutes les vidéos téléchargées par les internautes. Remarquez également que What, la plate-forme de partage vidéo de TF1, ne propose aucune vidéo copyrightée alors que la technologie est fournie par DailyMotion : cela prouve qu’il s’agit d’abord d’une question de bonne volonté. Cette pression des offres gratuites ne peut pas déboucher sur une proposition légale de films gratuits, car le protocole de décembre 2005 l’interdit. Les prix sont cependant tirés vers le bas. TPS propose aujourd’hui des films à partir de 0,49 euro. Orange vient de baisser ses tarifs d’un euro. Canal Play propose des mangas gratuits sur sa page d’accueil. Le site de TF1 propose de la VOD à partir d’un euro. Pour parvenir à faire payer les internautes, les opérateurs tentent d’offrir de la valeur ajoutée. Cela se traduit par davantage de souplesse dans la gestion des DRM, par des fenêtres d’accès rallongées, par la possibilité de graver un DVD ou du moins de transférer le fichier sur plusieurs terminaux, par un passage à la haute définition (entamé aux USA et initié en France par Canal Play)... Les opérateurs peuvent également jouer sur les fenêtres de sortie. En Grande-Bretagne, Channel Five propose, pour 1,49 livre, de visionner Les experts après leur diffusion. Si vous acceptez de payer 2,49 livres, vous pouvez même regarder l’épisode huit à quinze jours avant sa diffusion. Un peu moins de 20 % des Français peuvent définir ce qu’est la VOD. Le niveau d’information est fortement corrélé au niveau d’équipement : 10 % des Français dépourvus d’ordinateur connaissent la VOD, mais la proportion passe à 35 % pour les Français ayant la télévision sur ADSL. Il en est de même pour le niveau de consommation : 1 % des abonnés à l’Internet haut débit affirment avoir déjà consommé de la VOD, mais le pourcentage passe à 5 % pour les Français ayant la télévision sur ADSL. Le développement du triple play devrait donc favoriser le développement de la VOD, davantage sur le téléviseur que sur le PC. Les personnes estimant connaître la VOD savent que cette offre est légale, payante et plutôt orientée vers une mise à disposition temporaire de films de cinéma. L’image de la VOD est donc d’être davantage un vidéoclub virtuel qu’un moyen d’achat définitif de films. 80 % des abonnés de l’unique câblo-opérateur britannique ont déjà consommé au moins une fois de la VOD ; 15 % en achètent tous les mois, et une partie d’entre eux le font plusieurs fois par semaine. Le prix moyen d’une place de cinéma est de 5,80 euros. La location en boutique ou en VOD coûte 4 ou 5 euros. Les coûts d’accès aux films varient selon le médium utilisé, et il en est de même pour les niveaux de contribution à la production. Une étude réalisée en GrandeBretagne montre que la VOD, surtout sous la forme d’abonnement, a un impact relativement limité sur la consommation de la télévision gratuite, a un impact significatif sur les intentions d’abonnement à la télévision payante et a un impact assez fort sur la location de vidéos. Au cas où il serait possible de télécharger et de graver les films, la VOD aurait un impact encore plus significatif sur l’achat et la location de DVD. Pascal ROGARD Le schéma classique se reproduit. Il existera un système payant, un système légal gratuit financé par la publicité et la contrefaçon. Celle-ci pèse sur le niveau des prix. Jean-Paul SALOME Dans le passé, la diversité de l’offre nous a été promise. A une époque, la salle tenait cette promesse. A l’âge de 15 ans, j’ai vu Le mariage de Maria Braun à l’UGC Créteil. J’ai également regardé Mon oncle d’Amérique en prime time sur TF1. Je sais cependant que le monde a changé et que nous ne pouvons pas rester figés. La VOD nous est présentée comme le nouveau mode d’accès à la diversité. Restons vigilants car si la VOD remplace la boutique de location vidéo du quartier, ce seront les blockbusters français et américains et les comédies françaises qui seront mis en avant. Les films seront-ils tous égaux sur les plates-formes de VOD ? Parmi mes films à la carrière en salle plutôt honorable, je n’ai retrouvé en offre VOD que Restons groupés. L’un de mes films est réservé en diffusion TF1 mais les autres sont absents, y compris un premier téléfilm que j’avais réalisé pour Canal Plus. Lorsque nous souhaitons aller voir un film en salle, nous ne disposons que d’un laps de temps de cinq à sept semaines. Ce film reste ensuite privé de diffusion jusqu’à l’ouverture des premières fenêtres cryptées et l’édition en vidéo. Je pense qu’un jour, nous serons obligés de débattre à nouveau de la chronologie des médias. Nous, les réalisateurs, avons toujours essayé de protéger la diffusion en salle ; les salles ne protègent d’ailleurs pas toujours nos films. Entre la diffusion en salle et l’ouverture des premières fenêtres, les films sont vus par les pirates. Ne nous voilons pas la face. Le public ne se pose plus le problème de la légalité. C’est un problème d’éducation. La VOD devrait peut-être être l’équivalent moderne de la deuxième exclusivité. Ce dernier système d’exploitation n’existe plus et n’a jamais véritablement eu de successeur. Les films européens n’ont jamais été favorisés par la location vidéo. A un moment, la vente de DVD a permis un certain rééquilibrage mais ce marché est en déclin. La VOD devrait idéalement constituer une source de diversité, mais je ne suis pas certain qu’elle tiendra ses promesses. Soyons vigilants et œuvrons à un encadrement. Dans le passé, le mieux-disant culturel nous avait été promis, et nous savons ce qu’il en est advenu. Pascal ROGARD Tu as raison de penser que la chronologie des médias évoluera. Il est paradoxal qu’à certains moments, les films ne puissent être vus que de manière illégale. Ce n’est pas la nouvelle loi sur le droit d’auteur qui changera cette donne. Il est également exact que la location en boutique est favorisée dans la chronologie des médias par rapport à la location électronique, alors que celle-ci est totalement transparente en termes de rémunération des ayants-droit : le système de remontée de recettes y est assez similaire à celui des salles de cinéma. En outre, la VOD est bien plus ouverte que la location vidéo aux films français ou européens. Cessons de favoriser des modes de diffusion opaques et peu diversifiés. Les producteurs espagnols se sont regroupés pour favoriser des offres numériques et assurer la présence de leurs films dans ces nouveaux systèmes de diffusion. Javier VACAS Egeda Digital est le projet de mise à disposition de VOD dans un environnement business to consumer ou business to business. Egeda est la structure de gestion des droits des producteurs audiovisuels espagnols. Elle perçoit la redevance de copie privée ainsi que d’autres droits tels que les droits de communication publique et les droits de transmission. Les producteurs espagnols ont décidé de créer des plates-formes de films (principalement en espagnol) qui deviennent une référence pour le cinéma européen. Notre projet est basé sur la création de plates-formes numériques de haute, moyenne et basse qualités. La haute qualité sert à archiver, la moyenne qualité sert à la distribution à la télévision et dans les circuits établis et la basse qualité sert à la distribution aux particuliers. Cela nous permet d’aider les nombreux producteurs espagnols produisant peu de films, car ils ont difficilement accès aux réseaux traditionnels de distribution. Cela ne signifie pas que nous laissions de côté les blockbusters en espagnol ou d’autres films, car notre système permet la distribution de n’importe quel contenu. Nous concluons actuellement des accords relatifs à des séries, des documentaires, des dessins animés, etc. Nous offrons la possibilité d’une numérisation de haute qualité, ce qui permet d’archiver une œuvre dans de bonnes conditions. Nos affiliés peuvent travailler en business to consumer ou en business to business avec des garanties de qualité et de sécurité, tout en bénéficiant de notre soutien marketing. Nous utilisons des outils standard de watermarking et de DRM, ainsi que de visionnage (RealMedia, MediaPlayer, QuickTime...). Cette réunion de l’ensemble de la production en espagnol, et j’espère un jour de l’ensemble de la production européenne, est une initiative d’avant-garde et sans équivalent sur notre continent. Le public peut accéder à ce contenu de manière légale, facile, sécurisée et pour un prix raisonnable. La piraterie n’est après tout qu’un concurrent supplémentaire. Notre plateforme sera lancée début 2007, et nous nous tenons à votre disposition si vous souhaitez davantage d’explications. Pascal ROGARD Je ne sais pas si les producteurs français sont capables de se regrouper comme leurs confrères espagnols. Le cinéma britannique sera-t-il distribué en VOD, ou les films américains vont-ils continuer à se tailler la part du lion ? John WOODWARD Au Royaume-Uni, ce sont les règles de l’économie de marché qui prédominent. L’art est mis au service de l’argent. Le développement de la VOD va bouleverser le paysage, tant dans la production que dans la distribution. A mon avis, l’impact de la VOD sera aussi important que celui de l’arrivée du cinéma parlant, et plus important que ceux de l’arrivée de la couleur ou du grand écran. Nous sommes déjà entrés dans l’ère du numérique. Le pouvoir se trouve de plus en plus entre les mains du consommateur. Les 12-25 ans s’attendent de plus en plus souvent à pouvoir utiliser les médias numériques où ils le souhaitent et à tout moment. Ils sont dépourvus de patience. Faisons en sorte d’éviter le sort de l’industrie musicale, qui a vu son chiffre d’affaires chuter de 20 % du fait de sa lenteur d’adaptation aux nouvelles réalités. Tentons de satisfaire les consommateurs dans la mesure du possible. Au Royaume-Uni, nous considérons que la VOD et le numérique sont des opportunités de diffusion des films européens. Nous sommes cependant conscients du défi que cela représente. Les salles de cinéma voient leur période d’exclusivité se réduire de plus en plus. Les producteurs verront également les conditions de financement et d’acquisition des droits changer profondément. La VOD permettra d’élargir la gamme de films proposés au public car elle ne pose pas de problème de stockage physique. Au Royaume-Uni, nous constatons déjà que les consommateurs élargissent leur palette de choix lorsqu’ils louent un film en ligne : ils louent des films qui n’auraient pas eu de succès dans une boutique classique. C’est un phénomène très encourageant pour l’industrie britannique du cinéma, dans un marché dominé à 80 ou à 90 % par les films américains. Le problème n’est pas de disposer de plates-formes de distribution, mais d’assurer leur visibilité et l’absence de discrimination à l’encontre des œuvres européennes. Le problème de la numérisation des films doit être pris en compte, et je pense que le programme MEDIA en tirera les conséquences. Il sera également important d’encourager l’émergence de moteurs de recherche de VOD pour assurer la visibilité des œuvres. Les nouveaux films sont déjà disponibles en format numérique, mais la promotion du patrimoine doit clairement être un objectif majeur des autorités britanniques. Il est nécessaire de numériser les œuvres britanniques plus anciennes. Les Américains, de leur côté, sont très actifs dans la numérisation de leur patrimoine. Au Royaume-Uni, les subventions et les crédits d’impôt aux producteurs sont très limités. Nous pensons qu’avec le temps, la VOD deviendra un parfait substitut au DVD et à la télévision à péage. Cela posera un problème aux producteurs, car il leur sera difficile de remplacer les financements perçus grâce aux DVD et à la télévision à péage par les redevances de VOD - celles-ci n’arrivant qu’après la diffusion d’un film. Les tarifs de la VOD risquent également d’être assez bas. Etant donné que la taille du marché, les marges bénéficiaires et les prix ne sont pas encore connus, les années à venir risquent d’être rudes pour les acteurs du financement. Il sera cependant possible, pour les producteurs, de percevoir sur la VOD une part plus importante des recettes. Les ayants-droit pourront développer des mécanismes leur permettant d’être rémunérés d’une manière plus large et plus rapide. Des approches novatrices pourront être développées. La VOD constitue toutefois aussi une menace car, dans un marché britannique assez fortement libéralisé, la chronologie des médias est en cours d’évolution. Le modèle économique tout entier de l’industrie du cinéma se modifie. La piraterie oblige à restreindre la fenêtre d’exclusivité des salles. La VOD empiète sur la fenêtre d’exclusivité du DVD, et le DVD empiète donc sur la fenêtre d’exclusivité des salles. Le temps n’est plus au débat, mais à l’action. Les modèles économiques seront davantage flexibles. Au Royaume-Uni, de l’argent public est investi dans la numérisation des films. Nous orienterons probablement davantage qu’auparavant les soutiens étatiques vers le marketing et la communication. Nous souhaitons que les producteurs, les auteurs et les distributeurs consacrent les fonds publics à la promotion des films dans les mondes numérique et analogique. Nous sommes enclins à joindre nos efforts à d’autres programmes publics tels que MEDIA. Pascal ROGARD Les Britanniques se posent la bonne question : vous avez déclaré que la VOD est un substitut parfait au DVD et prendra progressivement la place de la télévision à péage. J’ai senti trembler les producteurs car si le DVD contribue peu au financement de la production, la télévision à péage joue un rôle primordial. Comme vous l’avez bien expliqué, le modèle de la VOD est un modèle de partage des recettes a posteriori. Or pour pouvoir se partager des recettes, il faut d’abord que des films existent. Les Américains ont la capacité de les financer à l’avance mais les Européens en sont dépourvus, d’où le système de préfinancement. Le problème de la chronologie des médias se pose dans toute l’Europe. Au nom de la lutte contre la contrefaçon, les majors américaines exercent une forte pression pour réduire le délai de diffusion des DVD, et donc également de la VOD. Nous ne pouvons pas garder la tête dans le sable et nous abstenir de réfléchir sur ce point. Henrik Nilsson-Jarl va nous décrire le modèle économique de la VOD dans les pays nordiques. Ce système est extrêmement puissant. Henrik NILSSON-JARL Nous travaillons dans la distribution cinématographique depuis cent ans, et nous sommes également actifs depuis vingt ans dans la distribution de cassettes, puis de DVD. Notre activité de VOD a démarré en 2002. Il était alors bien trop tôt. Nous couvrons actuellement la Finlande, la Norvège, la Suède et le Danemark. Le marché mûrit rapidement : il compte actuellement une dizaine d’acteurs. Je vous encourage à tester personnellement les services de VOD. L’Internet haut débit est fort répandu dans les pays nordiques. Nos films sont codés sous différents formats. Jusqu’ici, un seul accord a été conclu avec une major, mais des négociations sont en cours et la situation devrait évoluer rapidement. Il est essentiel d’offrir un large catalogue de films. Nous n’avons pas la possibilité de proposer une offre par abonnement. Les majors s’y opposent, ce qui est fort dommage car cela nous permettrait de lutter contre le téléchargement illégal. Dans les pays nordiques, le délai de diffusion des DVD était dans le passé de 180 jours mais il a diminué pour atteindre 90 jours. Certains studios l’ont même réduit à 45 jours, voire à zéro jour. Je pense qu’un délai de 45 jours est bien adapté. Je vous encourage à réduire en France votre délai de diffusion. Nous garantissons aux majors un minimum de chiffre d’affaires, et nous leur reversons également un pourcentage des ventes. Le prix de détail varie entre un et cinq euros dans les pays nordiques. Il est donc un peu plus élevé que dans les autres pays européens. Les vecteurs de distribution sont l’ordinateur et la télévision par Internet. La simplicité d’usage est importante. Nous tentons également de nous ouvrir le marché hôtelier. Deux facteurs principaux influencent le marché européen de la VOD : le délai de diffusion des DVD se rétrécit, et nous avons besoin de pouvoir proposer des offres par abonnement. Il faudrait que les consommateurs puissent payer un prix fixe chaque mois pour visionner tous les films qu’ils souhaitent. Cela nous aiderait, je l’espère, à lutter contre le téléchargement illégal. Pascal ROGARD Les questions de la chronologie des médias et de la régulation des offres par abonnement se posent dans toute l’Europe. Joaquín GARCIA ORBEA Au bout de deux ans, nous comptons déjà 300 000 clients. Nous avons commencé à travailler sur ce projet en 1998. Je précise qu’Imaginio n’est pas une filiale, mais un service de Telefónica, qui considère qu’il s’agit là d’une extension de son offre de téléphonie fixe. Nous intégrons la voix, Internet et la vidéo. Dans le futur, nous inclurons certainement une offre de téléphonie mobile. L’offre de VOD concerne le cinéma (y compris pour adultes) et les concerts. Imaginio propose tous les types de films : européens, latino-américains, asiatiques, américains indépendants, espagnols, des majors... Nous avons déjà conclu des accords avec Disney Buenavista, Dreamworks Paramount et Warner Brothers. Un quatrième studio est sur le point de signer, et nous sommes en discussion avec les autres acteurs du marché. Ces accords concernent le cinéma, mais nous négocions actuellement une extension aux séries télévisées. Notez qu’en Espagne, les films sont toujours doublés en espagnol ; il revient à nos fournisseurs d’assurer cette tâche. La fenêtre de diffusion de la VOD est celle du pay per view, après celle de la distribution vidéo. Nous coexistons donc avec des concurrents, et nos licences ne sont pas exclusives. Notre offre correspond au désir des clients de disposer d’un large choix tant culturel que chronologique : nous proposons aussi des classiques en noir et blanc - y compris japonais. Chaque mois, nous organisons un ou deux cycles (sur Kurosawa, sur Jean Renoir, etc.) pour enrichir la culture cinématographique de nos clients et susciter leur intérêt. Nous donnons ainsi de la visibilité à des cinématographies absentes des médias traditionnels. Notre offre comprend actuellement 400 titres, et nous souhaitons l’élargir. Paradoxalement, les clients sont parfois submergés par cette diversité. Notre défi est de communiquer sur les films de notre catalogue. Il faut également que les clients puissent facilement naviguer parmi les titres avec leur télécommande. Les clients comprennent facilement le concept de la VOD, qui est d’être un vidéoclub à la maison. Le client n’a pas besoin de sortir de chez lui, l’offre est disponible 24 heures sur 24 et les films peuvent être vus autant de fois que souhaité. Nous proposons un abonnement aux séries espagnoles télévisées ou de dessins animés, aux documentaires espagnols ou anglo-saxons et aux informations : notre concept est familial. A l’avenir, nous souhaitons élargir notre offre. En Espagne, la télévision à péage rencontre peu de succès, mais la location de vidéos est très populaire. La piraterie nous affecte tous. La plupart de nos clients sont également abonnés à Internet. Je suis sûr que la majorité d’entre eux tentent de se fournir un film illégalement avant de se décider à nous le louer. Telefónica ne fera cependant pas marche arrière, et investit en République tchèque et en Amérique latine. En juillet 2007, nous lancerons une plate-forme similaire pour l’ordinateur ; nos films ne peuvent actuellement être regardés qu’à la télévision. Pascal ROGARD Les opérateurs de télécommunications ne se limitent plus à la voix et aux emails. La rentabilité de leur métier de base s’érode, et ils souhaitent donc monter dans la chaîne de valeur pour accroître leur ARPU (average revenue per user). Marie-Christine Levet connaît très bien les questions de régulation, car elle a longtemps été la Présidente de l’Association des Fournisseurs d’Accès Internet. C’est avec elle que nous avons engagé les premières négociations ayant abouti à l’accord de décembre 2005. Marie-Christine LEVET Je remercie l’ARP d’avoir été la première organisation professionnelle à réunir autour d’une table les opérateurs de télécommunications, les réalisateurs et les ayants-droit. Ce n’est qu’en 2006 que le marché de la VOD a véritablement pris son essor en France et en Allemagne. L’accès à la VOD depuis un poste de télévision change fondamentalement la donne. Nous avons lancé la VOD sur ordinateur dès 2002, et notre actionnaire Deutsche Telekom a fait de même en Allemagne. A l’époque, tout comme aujourd’hui, cette offre était limitée aux films pour adultes et aux blockbusters plutôt ciblés sur les adolescents. Il est très compliqué de connecter un PC et un téléviseur, et c’est là que la VOD se heurte au problème du piratage. Les Allemands ont lancé la VOD sur téléviseur en 2003, mais le décodeur coûtait 900 euros et l’usage était très limité. C’est l’arrivée de la télévision sur ADSL en 2006 qui a donné le véritable signal du départ. Nous pénétrons maintenant dans le salon du client : un décodeur permet de regarder la télévision par IP et de consommer de la VOD. Le terme de VOD recouvre la VOD par streaming qui consiste en une location et la digital sale qui permet de conserver le fichier sur son ordinateur. Ce dernier cas de figure s’apparente fortement à l’achat de DVD. J’évoquerai ici la VOD par streaming, qui consiste en une location pour 24 heures. Depuis juin 2006, une technologie de Microsoft nous permet de totalement intégrer notre VOD à notre offre de télévision. Les clients peuvent regarder les chaînes gratuites, mais également les bouquets payants tels que TPS ou des chaînes à l’unité. En outre, notre club vidéo propose mille programmes dont 400 films. 70 % d’entre eux sont français et 30 % américains. En Allemagne, en revanche, 80 à 90 % des films proposés par Deutsche Telekom proviennent des USA. En France, nous mêlons des films à succès et des films au parcours en salle plus modeste. Cinq à sept nouveautés sont ajoutées chaque mois : au total, les nouveautés représentent moins de 5 % de notre offre. Les prix sont de 2,99 euros pour les films du catalogue, 3,99 euros pour les films nouveaux et 4,99 euros pour les films ayant enregistré plus d’un million d’entrées en salle. Nous nous situons dans une logique de partage de nos revenus avec les ayants-droit. Comme France Télécom, nous avons choisi de traiter directement avec les studios et les ayants-droit français : nous ne voyons pas l’intérêt de passer par un intermédiaire qui empièterait à la fois sur notre rémunération et sur celle des ayants-droit. Au bout de deux mois de service, le retour du terrain est très positif : 25 % de nos utilisateurs de télévision consomment de la VOD. Je pense que cela est dû à la facilité d’utilisation : pour louer un film, il suffit de cliquer sur sa télécommande. Ces clients louent en moyenne deux films par mois. Ils demandent avant tout des nouveautés : celles-ci représentent actuellement moins de 5 % de notre offre, mais elles pèsent 30 % du chiffre d’affaires. Cela concerne les blockbusters, mais également des films à la carrière en salle plus mitigée. Ceux-ci trouvent ainsi une seconde vie. Le consommateur est prêt à payer pour du haut de gamme, et en distingue très bien la différence avec les films piratés dont la qualité est médiocre et qui doivent être visionnés sur un ordinateur. Il existe une forte demande pour des formules d’abonnement. La charte que nous avons signée ne nous permet actuellement que de proposer des abonnements pour des films de catalogue, mais leur succès est nul. Un abonnement doit donc pouvoir englober des nouveautés. Il existe également une forte demande de test des usages. Il nous reste à convaincre 75 % de nos utilisateurs de télévision de consommer de la VOD. La VOD sur téléviseur offre un confort bien plus important que la VOD sur ordinateur. Nous diffusons les bandes-annonces de tous les films diffusés en salle pour inciter nos clients à fréquenter les cinémas. Nous voulons également proposer des offres gratuites visant à convaincre les consommateurs d’adopter les offres payantes. Sur Internet, ils ont pris l’habitude de la gratuité mais en y travaillant, nous parvenons, dans bien d’autres sujets (emails personnalisés, etc.), à les convertir à des services payants si ceux-ci sont de qualité. La largesse du catalogue est importante. Nos clients demandent tous les types de film. Nous n’avons pas le problème d’espace physique des vidéoclubs. J’invite donc tous les ayants-droit et tous les détenteurs de droits n’ayant pas encore franchi le pas à conclure des accords de VOD. Le consommateur est prêt à payer, et nous ne devons pas le décevoir. Cela sera la meilleure arme contre le piratage. Jean LABE, Président de la Fédération Nationale des Cinémas Français J’aime le cinéma. Nous sommes plusieurs à être venus à la profession d’exploitant par amour du cinéma. Un certain nombre d’auteurs et de réalisateurs accompagnent notre vie. Le cinéma ne montre pas n’importe quelle image et peut être immédiatement identifié car il existe une écriture cinématographique, un cadrage, un rythme, un montage et des plans. Le cinéma est un art qui justifie tous nos efforts, depuis des années, dans la défense de l’exception culturelle. Celle-ci comprend divers aspects, dont celui de la régulation. L’arrivée de la VOD nous pose à tous un problème car, aujourd’hui, les modes de diffusion se phagocytent mutuellement. Comment conserver un système caractérisé par un fort préfinancement des chaînes de télévision et par l’importance de Canal Plus, tout en l’ouvrant à de nouveaux diffuseurs ? De quelle manière et à quel rythme devons-nous procéder ? Jusqu’ici, la chronologie des médias permettait un amortissement successif des productions audiovisuelles. La VOD remplacera-telle le DVD, et si c’est le cas, à quel rythme ? Ce n’est pas en réduisant la fenêtre de diffusion de la salle que nous pourrons régler les difficultés. La salle est le lieu du spectacle cinématographique. Elle a besoin de bénéficier d’une forte priorité afin d’attirer les spectateurs. En France, le délai réglementé est de six mois. Aux USA, la moyenne (non réglementée) est de 4 mois et demi. Dans de nombreux pays, des accords plus ou moins respectés imposent un délai de six mois. Je suis en désaccord avec John Woodward : la solution ne consiste pas à réduire les fenêtres de la salle et du DVD pour faire de la place à la VOD. En France, la taxe sur les billets de cinéma est de 11 % : que la VOD soit taxée au même niveau si elle souhaite bénéficier du même délai. Pascal ROGARD La TVA sur la VOD est de 19,5 %. Jean LABE, Président de la Fédération Nationale des Cinémas Français Nous reversons la moitié de nos recettes. En 2004, nous avons enregistré 195 millions d’entrées. Le total, pour 2006, devrait être de 180 à 185 millions d’entrées. Si les salles sont davantage fragilisées, le cinéma disparaîtra car il a besoin d’elles pour s’exprimer en tant qu’art. Il ne restera alors plus que des images. Il nous est conseillé de tirer parti du numérique pour diffuser dans les salles des matchs de football et des concerts de Johnny Halliday afin d’attirer de nombreux spectateurs. Je me moque pas mal de cela ! Je veux que le public vienne voir des films de cinéma. Pascal ROGARD Personne, en France, n’a songé à remettre en cause les mesures de protection des salles. Ceux qui le souhaitent ont leur siège social de l’autre côté de l’Atlantique et invoquent la lutte contre la piraterie. Restons cependant lucides : il existe en Europe un mouvement général de réduction des délais de diffusion des DVD, sous l’influence des majors américaines. Jean-Paul SALOME En France, nous allons nous retrouver dans une situation très délicate. Nous sommes aujourd’hui le pays d’Europe où l’offre disponible en salles est la plus diversifiée, même si cet avantage s’amenuise. Au Royaume-Uni, par exemple, les films anglais ont très peu accès aux salles. J’espère que l’harmonisation européenne ne se fera pas par le plus petit dénominateur commun. Michel REILHAC, Directeur de l’unité cinéma, Arte France Quelle est la taille du marché de la VOD ? Palais royal est considéré comme un succès de VOD avec 17 000 visionnages. Il était une fois dans l’oued totalise 13 000 visionnages. Ce marché est totalement balbutiant et ne représente quasiment rien en termes de financement. Existe-t-il une étude prospective de son évolution d’ici à deux ou trois ans ? Les minimums garantis aux ayants-droit représentent-ils une tendance de fond ? En est-il de même pour les offres de VOD non exclusives ? Marie-Christine LEVET Les prévisions sont de 165 millions d’euros en 2010, avec un budget moyen par foyer de 70 euros par an. Cela correspondrait au visionnage de deux films par mois, ce qui est la moyenne actuelle de nos clients. Je pense avec vous que ce marché est encore dans les limbes. Les consommateurs commencent cependant à y prendre goût. Dans certains cas, nous nous trouvons effectivement dans une logique de minimum garanti. Javier VACAS Le marché reste de petite taille, mais il est en croissance. La consommation à la demande, c’est-à-dire où et quand le public le veut, est une tendance inexorable. Philippe BAILLY Nous estimons que 2 millions de transactions payantes ont été effectuées au premier semestre 2006, ce qui représente un chiffre d’affaires de 5 ou 6 millions d’euros. Sur l’ensemble de l’année, nous pouvons tabler sur 5 à 10 millions de transactions, pour un total de 20 à 30 millions d’euros. Les deux facteurs de forte croissance sont l’arrivée de la VOD sur téléviseur (d’usage bien plus convivial que la VOD sur ordinateur) et l’ouverture des catalogues. Sur 70 films sortis en janvier, 10 étaient présents en septembre sur au moins une plate-forme française. Pascal ROGARD La simplicité d’emploi de la VOD sur téléviseur change fondamentalement la donne. Olivier ?, comédien J’aime aller au musée, au cinéma, au théâtre. Pour moi, la VOD, cela ne vaut rien. Je trouve cela scandaleux. La résolution d’un écran de télévision est bien inférieure à celle d’un écran d’ordinateur, et tout le monde n’est pas équipé d’un écran HD. Vous n’arrêtez pas de parler d’argent alors que la culture est également une question d’art. Vous proposez un système d’obésité culturelle. Le consommateur n’aura pas à se déplacer. C’est horrible. Pascal ROGARD Nous souhaitons en priorité que les spectateurs se rendent dans les salles, mais il existe d’autres moyens de diffusion lorsqu’ils n’ont pas pu le faire. Radu MIHAILEANU La VOD va progressivement remplacer le DVD. J’ai eu la chance, pour mon dernier DVD, d’avoir des partenaires exceptionnels. Je salue Jean-Paul Commin de France Télévisions Distribution, qui est présent parmi nous. J’ai obtenu un DVD qui a dépassé tous mes rêves. Certains producteurs se regroupent pour créer une plate-forme. Quel est alors l’intérêt de passer par un autre intermédiaire qu’un producteur ? Notez que les frais techniques sont minimes, alors que la plate-forme conserve la moitié des recettes. Marc Bordure, Universciné La plate-forme Universciné a été créée à l’initiative de 34 producteurs indépendants. Son lancement commercial est prévu pour janvier. Notre démarche est originale car elle a été initiée dès 2001. A l’époque, nous avons largement été soutenus par les pouvoirs publics et notamment par le CNC, le Ministère des Affaires étrangères et la Procirep. Il s’agissait au départ de permettre aux antennes de l’Alliance française, à l’étranger, de télécharger une centaine de films français. L’objectif était également d’exercer une veille technologique. L’objectif de cette plate-forme est de redonner au public une culture cinématographique. Nous allons donc très fortement l’éditorialiser. Nous avons embauché Philippe Piazzo, ancien journaliste à Aden. Nous voulons proposer du contenu de manière intelligente. La VOD est une formidable opportunité de réexposer des films et de les exposer différemment pour que le public s’intéresse tant aux classiques qu’aux nouveautés. L’enjeu est évidemment économique, mais il est également politique. Il est assez rare que 34 producteurs s’unissent dans une structure commerciale. Ils seront d’ailleurs peut-être prochainement au nombre de 50. Dès janvier, nous proposerons 300 films. Notre objectif est d’en disposer de 500 en juin. Nous souhaitons défendre nos intérêts et garder la mainmise sur les prix et les droits de nos films. L’enjeu est également important au plan européen. Nous visons l’interopérabilité des plates-formes européennes. Nous avons noué de nombreux contacts, notamment à Copenhague. Fernando TRUEBA Comment faire pour que les films européens ne soient pas étouffés par les blockbusters américains et pour qu’ils aient une certaine visibilité ? Le DVD permettait de voir les films en version originale, et je crains que la VOD ne généralise l’affreuse pratique du doublage. Dans le passé, en Espagne, en Allemagne et en Italie, les gouvernements fascistes avaient rendu le doublage obligatoire. La Commission européenne devrait se poser la question de l’interdiction du doublage, même si c’est très utopique. Il pourrait cependant exister un impôt sur le doublage. Le doublage représente une altération de l’œuvre originale perpétrée dans le but de pénétrer un marché. Joaquín GARCIA ORBEA Ici, nous aimons tous le cinéma. Mais n’idéalisons pas trop les salles de cinéma, car les spectateurs ne partagent pas tous notre passion. Les Espagnols n’aiment pas tous leur cinéma national : celui-ci a une très faible audience. Ils demandent d’abord des films américains et des nouveautés. Nous avons besoin d’un délai de diffusion plus court. En Espagne, des salles ferment à cause du piratage. Nous exigeons le doublage, mais la VO est également possible. Dans peu de temps, le spectateur pourra choisir des sous-titres en version originale ou en espagnol. Le consommateur espagnol moyen n’a pas notre degré d’exigence culturelle. Un intervenant, Federation of European Directors Le programme MEDIA s’attache à la promotion des films européens. Le financement de la production constitue un problème, car les revenus de la VOD arrivent a posteriori. Or la qualité d’un film est forcément le résultat d’investissements préalables. Les consommateurs veulent toujours les prix les plus bas, mais je souhaiterais que les intervenants s’interrogent sur l’impact de prix en baisse sur la qualité des œuvres. René GAINVILLE, Auteur-Réalisateur-Producteur, Dynamic Production Un accord a-t-il été conclu entre les opérateurs de VOD et la SACD pour la perception et la répartition des droits ? Pascal ROGARD Un accord a été conclu avec quasiment tous les opérateurs de VOD. John WOODWARD J’aime le cinéma, et je crois en son avenir. L’art est important car il implique les individus et façonne leur vision du monde. L’artiste est au service de la société. Un espace suffisant doit être donné aux films, et les producteurs ont besoin de disposer de fonds. Je ne crois pas à la fin des salles, mais je pense que la VOD représente une formidable opportunité de diffusion pour les films britanniques. Aviva SILVER John Woodward est au cœur du sujet. La VOD représente une révolution imminente, et il est temps d’agir. Il existe un consensus sur l’impact potentiel de la VOD sur le DVD et sur la vidéo. Il faudra également que nous prenions en compte les effets de la VOD sur la chronologie des médias. Philippe Bailly a expliqué que pratiquement toutes les majors américaines étaient présentes sur ce marché. Il faut également que les Européens le soient. Le programme MEDIA devra donc s’intéresser particulièrement aux coûts de promotion et de marketing. Nos amis espagnols d’Egeda ont évoqué le besoin d’une exploitation plus longue. Pour donner de la visibilité aux contenus détenus par les petits producteurs, il faudra les regrouper. Cela devrait être inclus dans nos coûts éligibles. Les films ne seront pas tous égaux sur les plates-formes, mais la Commission européenne doit œuvrer à la réduction de ces inégalités et à l’encouragement de la diversité.