Dico collectionneur e
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Dico collectionneur e
Francis Bergeron Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect Né en juin 1952 à Crosne (Essonne). Militant « solidariste » dans les années 70 du XXe siècle, Francis Bergeron est arrêté en URSS en 1975 lors d’une manifestation de soutien aux dissidents soviétiques. L’année suivante, il combat à Beyrouth dans les rangs des phalanges libanaises. Collaborateur un temps de l’hebdomadaire Rivarol et du quotidien Présent, animateur (dans le Berry) d’associations culturelles non conformistes et président (sur l’île de Ré) de l’association des Amis d’Henri Béraud (500 adhérents), il est l’auteur de plusieurs essais politiques, d’ouvrages de « bibliophilie nationaliste » et d’études historiques. Il est par ailleurs l’auteur de la série de livres pour enfants « Le Clan des Bordesoule » dont les ventes cumulées représentent plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Francis Bergeron Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 2e édition revue, corrigée et augmentée Collection « Politiquement incorrect », dirigée par Philippe Randa Si vous voulez être informé(e) des parutions des éditions Dualpha (Paris XIVe), merci d’écrire à : Éditions Dualpha Boite 37 16 bis rue d’Odessa 75014 Paris ou de nous contacter au : Tél. 09 52 95 13 34 Fax. 09 57 95 13 34 ou par message électronique : [email protected] ou consulter le site internet : www.francephi.com © Illustrations : D.R. et collections particulières © Dualpha - 2006 ISBN 9782353740109 Ce guide représente un tiers de siècle de « chine ». Un tiers de siècle passé par son auteur à accumuler, au gré des ventes aux enchères et des brocantes, une masse de livres, affiches, jouets, timbres, cartes postales, tableaux, insignes, photos, journaux, bibelots, autour d’un thème principal : le nationalisme français. « Tout ce qui est national est nôtre » : cette formule du duc d’Orléans est aussi celle des chineurs nationalistes qui, de plus en plus nombreux, recherchent les témoignages des combats et des espérances de leurs ancêtres nationaux et nationalistes : chouans, royalistes, sociétés patriotiques, ligueurs, intellectuels des années trente, mouvements maréchalistes, épurés de 1944, résistants de l’Algérie française, jusqu’aux hommes et aux mouvements, aux journaux et aux revues qui ont préparé le renouveau du mouvement national. Que collectionner ? Où trouver ces documents, ces livres, ces témoignages ? Quelle valeur leur donner ? Ce sont quelques réponses à ces questions que tente d’apporter ce guide. Pour mes amis du Parc Brassens, clients et marchands, compagnons chineurs de mes petits matins blêmes. Et spécialement pour Bernard Vivier. FB Sommaire Avertissement Introduction : chiner politiquement incorrect 1 - Affiches 2 – Arnoux (Guy) 3 – Baffier (Jean) 4 - Bandes dessinées 5 – Barrès (Maurice) 6 – Béraud (Henri) 7 – Vieux papiers bonapartistes 8 – Bouret (Germaine) 9 – Brasillach (Robert) 10 – Calvo 11 - Cartes postales 12 – Céline (Louis-Ferdinand) 13 – Chack (Paul) 14 – Cinéma 15 - Décorations et médailles 16 - Dédicaces 17 – Déroulède (Paul) 18 - Dessins de presse 19 – Les Éditions de France 20 - Le Fleuve noir 9 11 15 21 25 31 39 45 57 61 65 73 77 81 87 95 107 113 117 123 127 131 8 POLITIQUEMENT INCORRECT 21 – Francisque 22 – Galas et kermesse 23 – Haedens (Kléber) 24 - Insignes 25 – Lapaire (Hugues) 26 – Littérature 27 – Manuscrits 28 – Le Masque (collection) 29 - Chiner du Maurras ? 30 - Moreaux-Deschanvres (Peinture) 31 – Percaline 32 – Pétain (Philippe) 33 – Pléïade (ollection) 34 – Policiers (romans) 35 – Saint-Loup (Marc Augier) 36 – Scoutisme 37 - Soldats de plomb 38 – Suire (Louis) 39 - Timbres 40 – Tintin 41 - Trains électriques 42 - Travail-Famille-Patrie 43 – Vandromme (Pol) 44 - Vieux papiers Conclusion : les anges gardiens et les vieux livres 137 143 149 153 157 161 173 181 187 197 201 207 211 215 219 225 231 235 239 243 255 261 265 269 277 Avertissement Le présent dictionnaire (qui reprend certains articles publiés dans le Guide du collectionneur politiquement incorrect, L’Æncre (1996), épuisé et collectionné à son tour (cote : 17 € !) ne prétend nullement à l’exhaustivité, et revendique hautement sa subjectivité. Que les févophiles (collectionneurs de fèves des galettes des rois), les copocléphiles (collectionneurs de porte-clés), les glucophiles (collectionneurs d’emballages de sucre, avec ou sans sucre), les éthylabellophiles (collectionneurs d’étiquettes de bouteilles de vin) veuillent bien ne pas m’en tenir rigueur. Introduction Chineur politiquement incorrect Cela fait bien trente-cinq ans que je fréquente les brocantes, les marchés aux puces, les salons du vieux papier, que je parcours les catalogues de libraires d’ancien, que je pousse les portes des antiquaires, que j’enchéris dans les salles de vente. Trente-cinq ans à accumuler livres, affiches, jouets, timbres, cartes postales, tableaux, insignes, photos, journaux, bibelots, autour d’un thème principal, presque unique : le nationalisme français (ou étranger : suivez mon regard… non pas là ! Ni là ! (d’ailleurs c’est interdit !) Mais du côté du Liban chrétien, de la Sainte Russie, de l’Argentine de Peron, du Portugal de Salazar, de la Belgique de Léon ou de l’Espagne du Caudillo. « Tout ce qui est national est nôtre » : cette formule du duc d’Orléans, qui fut aussi la devise du journal Aspects de la France, je l’ai faite mienne au cours de ma longue quête du Graal. 12 POLITIQUEMENT INCORRECT Dans le quotidien Présent, pendant une vingtaine d’années, j’ai essayé de faire partager cette passion, à l’occasion d’une rubrique régulière du supplément hebdomadaire du samedi, rubrique qui était intitulée finement La chine nationaliste. La chine nationaliste en question n’avait rien à voir, bien entendu, avec la république de Tchang Kaï-Chek. Cette chine-là vient du verbe chiner qui signifie à peu près « fréquenter puces et brocantes à la recherche d’objets anciens », dans la langue des brocanteurs. Cette chine nationaliste, c’est-à-dire tout à fait politiquement incorrecte, c’est l’incursion dans le royaume de l’objet ancien, et spécialement du papier sous toutes ses formes, à thèmes politiquement incorrects, droitistes, patriotiques, coloniaux, voire simplement nostalgiques d’un ordre ancien (celui que nous baptisons d’ailleurs curieusement « ordre nouveau »). Vous trouverez dans ces pages quelques-unes de ces chroniques chineuses, retouchées et réactualisées pour l’occasion. Au journal Présent, je ne me contentais d’ailleurs pas de rédiger cette chronique, je faisais aussi les poubelles, je chinais. Je récupérais les dessins de Chard, les manuscrits de Jean Madi- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 13 ran, papiers quadrillés parcourus par une belle écriture ronde et régulière. Ou ceux de François Brigneau : écriture plus minutieuse, pointue, mais que je ne peux plus jamais regarder sans être submergé par une terrible nostalgie. Car le collectionneur doit savoir repérer, dans son environnement quotidien, dans l’objet usuel du moment, dans l’ouvrage de ses contemporains, les trésors qui seront collectionnés demain. Ce Dictionnaire du chineur politiquement incorrect, ce guide du collectionneur droitisé à l’extrême, je le dédie moins à mes pairs en passion chineuse qu’au militant. À celui qui colle les affiches et les autocollants, qui vend les journaux à la criée, qui distribue les tracts, qui porte l’insigne à la boutonnière. Ce militant, race peu répandue, en fait, est bien évidemment la bénédiction du collectionneur d’objets à thème politique. Et ce militant est souvent déjà un futur chineur qui s’ignore peut-être. Car aussi étrange que cela puisse paraître, quand on a collé beaucoup d’affiches dans sa jeunesse, beaucoup trop, peut-être, et pas toujours bien inspirées (ah, les affiches du GAJman : « Seule la force paie » ! qui représentait une sorte de martien censé nous débarrasser du communisme et du capitalisme, 14 POLITIQUEMENT INCORRECT tu te souviens, Alain Boinet ?), vient un temps où le désir vous prend de les décoller, non pour les lacérer, mais pour les classer, les ranger soigneusement, les contempler (presque jamais), histoire de se dire de temps en temps : « À mon époque, l’engagement, la politique, c’était tout de même autre chose ! » Chapitre 1 Affiches : une passion qui décolle Bizarrement, la ligne de fracture, dans la collection d’affiches, ne recouvre pas exactement le clivage droite-gauche. Autrement dit, la qualité esthétique de l’affiche prime apparemment sur la couleur politique de celui qui l’a éditée. Et le collectionneur d’affiches qui achète celles du camp d’en face ne le fait pas pour le plaisir de les tagger, une fois rentré chez lui, mais parce qu’il apprécie le graphisme ou qu’il s’intéresse à l’illustrateur ou à l’événement décrit. Les grands illustrateurs Honneur d’abord aux grands illustrateurs. Cappiello, par exemple. Il a prêté son talent aux socialistes d’avant-guerre. Une affiche publicitaire pour Le Populaire, célèbre quotidien socialiste de l’époque, se vendra un bon millier d’euros. Cassandre, lui, préférait apporter son concours 16 POLITIQUEMENT INCORRECT au Jour, de Léon Bailby, beaucoup plus à droite. Il y a quelques années, la collection des affiches du Jour illustrées par Cassandre s’est vendue 4 000 €. Une grande affiche pour L’Humanité, signée F. Paul, peut se vendre 300 €. Celle à laquelle je pense portait ce slogan extrêmement original : « Le fascisme, voilà l’ennemi ». Autres illustrateurs connus, et appréciés des collectionneurs : Paul Colin (gauche), Galland (droite), Sennep (droite), Carlu (gauche), Alo (droite), Alain Saint-Ogan (pétainiste), Basset (gauche), Érik (Milice), etc. Le Centre de propagande des républicains nationaux Voyons maintenant les thèmes. Certains ont particulièrement inspiré les artistes. Ils correspondent aussi à des périodes plus agitées que d’autres. Le communisme et l’anticommunisme, par exemple. Dans les années vingt et trente, en faisant appel à Alo et Galland, ainsi qu’à Sennep, le Centre de propagande des républicains nationaux a pu inonder le pays d’affiches hostiles au Cartel des gauches de 1924 et au Front popu- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 17 laire de 1936 ; de même a-t-il su mettre en garde contre le communisme soviétique avec une force de suggestion qui n’a guère été égalée depuis lors, si ce n’est, peut-être, avec la fameuse affiche d’Ordre nouveau, « Brejnev, la peste dehors ! » des années soixante-dix. Une belle affiche de Galland se vend 150 €. Plusieurs d’entre elles sont reproduites dans l’album Les droites dans la rue, nationaux et nationalistes sous la IIIe République, en particulier celle montrant que, « derrière le brave travailleur trompé par les communistes, il y a ceux qui attendent le Grand Soir pour piller, incendier, tuer ». Puis arrive la guerre. On ne peut vraiment pas reprocher à la droite de ne pas avoir tiré le signal d’alarme sur les insuffisances de notre armement face à la menace allemande ! En témoignent les nombreuses affiches d’Henri de Kerillis sur ce thème, diffusées par le Centre de propagande des républicains nationaux. L’imagerie maréchaliste L’imagerie maréchaliste connaît actuellement un succès qui se confirme vente après vente. Au fur et à mesure que l’on diabolise Vichy, les collectionneurs marquent un engouement sans cesse 18 POLITIQUEMENT INCORRECT accru. D’autant qu’ils doivent disputer les documents fugitifs aux musées, bibliothèques et autres fondations, françaises ou étrangères, spécialisées dans la Shoah, qui opèrent actuellement de véritables razzias dans les ventes sur ces thèmes. L’affiche d’Alain Saint-Ogan sur la fête des Mères (1941), plutôt courante, ne se vend jamais moins de 100 €. Les affiches de petit format reproduisant des discours du Maréchal trouvent généralement preneurs à 40 ou 50 €. Mais les enchères sont considérablement plus élevées pour tous les thèmes plus politiques : affiches anti-anglaises, antimaçonniques, antibolcheviques, croisade européenne, affiches du PPF, du Francisme ou de la Milice : 1 200 € pour une grande affiche publicitaire du Cahier jaune, 400 € pour l’affiche antimaçonnique d’André Derain, « Les bobards sortent toujours du même nid », 450 € pour la célèbre affiche antiterroriste et anticommuniste, « Ils assassinent enveloppés dans les plis de notre drapeau ». De toutes les affiches de cette période, l’une des plus recherchées est celle de la Milice, « La France au service du peuple, Premier Congrès national de la Milice française ». Il faut compter 800 € au moins. Mais attention aux copies…. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 19 Seules les affiches de la Libération, les affiches d’après-guerre restent à des prix (politiquement) corrects : jamais plus d’une cinquantaine d’euros pour « Souviens-toi d’Oradour », 45 € pour « La France victorieuse », tout au plus 137 €, dans une vente aux enchères, à Versaille, en 2002, pour la fameuse affiche, reproduite dans tous les manuels scolaires, qui représente la victoire des Alliés symbolisée par quatre mains brisant la croix gammée. Ça l’affiche mal ! Mai 68 ne fait plus rêver… Sans doute faut-il ensuite attendre mai 1968 pour trouver une telle profusion d’affiches, avec des thèmes aussi forts. Une vente à Drouot proposait récemment une cinquantaine d’affiches sérigraphiques de mai-juin 1968. Mais force est de reconnaître que tous les slogans simplistes des soixante-huitards ont mal vieilli : « Bâtissons la société sans classe ni État » (24 mai 68), « Travailleurs français immigrés unis » (22–23 mai 68), « À bas les cadences infernales » (24–25 juin 68), « Tous unis contre la provocation gaulliste », etc. Il paraît que dans ce temps-là l’imagination était au Pouvoir… 20 POLITIQUEMENT INCORRECT Ces affiches font des petits prix, lors de dispersions, à croire que mai 1968 ne fait plus rêver grand monde. En tout cas pas les collectionneurs, présents à Drouot ce jour là, qui n’ont guère surenchéri que pour l’affiche d’Ordre nouveau, « Rejoins tes camarades » (1971), présentée très certainement pour la toute première fois en salle des ventes. Une adresse à Paris : La Galcante, rue de l’Arbre-Sec à Paris (1er). Mais aussi Drouot, et parfois le Parc Brassens. Chapitre 2 Guy Arnoux : il mérite une solennelle remise à l’honneur Guy Arnoux est né en 1886 à Paris ; il est mort en 1951 en Sologne. À partir de 1921, il avait été nommé peintre officiel de la Marine. Curieusement, alors que l’on n’en finit pas de découvrir et de redécouvrir d’excellents peintres, dessinateurs, illustrateurs, comme Germaine Bourret, Dignimont, Paul Iribe, Sennep, Job, Collot, Pierre Joubert et d’autres, aucune étude d’envergure n’a encore été consacrée, à notre connaissance, à Guy Arnoux. Arnoux fit pourtant une magnifique carrière d’illustrateur de livres. On lui connaît au moins quatre-vingt-dix illustrations d’ouvrages, des dizaines de gravures, de nombreux dessins publicitaires, et des menus de restaurant, qui sont d’ailleurs encore utilisés (sauf erreur par exemple Chez Françoise, aux 22 POLITIQUEMENT INCORRECT Invalides, et à Ma Bourgogne, Place des Vosges, dans le Marais) Mais Guy Arnoux, c’est d’abord et avant tout l’illustration de livres, et, spécialement de livres sur la mer. Il n’est donc pas étonnant que l’on trouve son nom associé à ceux de La Varende (La Phoebée, Le Maréchal de Tourville et son temps), de Mac Orlan (L’Ancre de miséricorde), de Claude Farrère, surtout (Vieille Marine, La Peur de Monsieur Fierce, La Bataille, Thomas l’Agnelet, le Disparu du Tarifa). Son nom est également inséparable de celui de nombre de bons écrivains de son temps, écrivains de la mer ou pas : Louis Desnoyers, Henri Duvernois, André Maurois, T’Serstevens, Henri Béraud (pour Le Beau Sergent du Roi et pour Le Vitriol de lune), Maurice Constantin-Weyer, Rudyard Kipling, Sacha Guitry, Édouard Peisson, Prosper Mérimée, Pierre Nord). Le dessin de Guy Arnoux est très vif, coloré, contrasté. On a l’impression qu’il utilise chaque couleur à l’état brut, telle qu’elle sort du tube. Cela donne à ses sujets une grande luminosité, une grande netteté. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 23 Patriote impeccable Ses thèmes de prédilection, avec la mer, les bateaux, les pirates, ce sont les drapeaux, les scènes militaires de tous genres (Code de l’honneur et du duel, Quelques Drapeaux, Le Soldat français dans la guerre, La Chanson des poilus, L’Epopée de la 3e division d’infanterie algérienne, Trois campagnes d’Alsace, Les Cadets de Saumur, Leclerc, Tambours et trompettes, Quatre canons français, Joffre, etc.). Il faut dire que Guy Arnoux a toujours fait preuve lui-même d’un impeccable patriotisme : il participe à la guerre de 1914, où il est blessé. En 1939, il tente en vain de reprendre du service armé (il a 54 ans). Il passe tout de même trois mois en Allemagne en 1945 avec la Première Armée. On trouve aussi, après la Première Guerre mondiale, des dessins de Guy Arnoux fustigeant l’internationale bolchevique, et spécialement sa version soviétique. De même trouve-t-on ses dessins dans les publications de la ligue patriotique et anticommuniste des Croix de Feu. Aujourd’hui la (re)découverte de Guy Arnoux se fait généralement par ses illustrations de bons textes pour bibliophiles. C’est chez les « lavarendiens » que l’on trouve sans doute le plus d’adep- 24 POLITIQUEMENT INCORRECT tes de Guy Arnoux, par un phénomène de capillarité. Mais ceux qui s’intéressent à la littérature maritime recherchent également ses illustrations. Peut-on imaginer par exemple la Maison des écrivains de la mer, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie sans un seul dessin de Guy Arnoux ? Quelques uns de ses dessins originaux sont passés en salles de vente, et n’atteignent pas encore des sommes monstrueuses. En 1992, une petite aquarelle : Le Joueur de golf, s’était vendue 500 FF (75 €). La même année, de grandes gouaches d’1,50 m sur 2 m, se sont vendues 12 000 FF et 18 000 FF : il s’agissait de suites de gouaches pour le salon de musique du vaisseau Lafayette. Entre les deux guerres, quelques expositions lui furent consacrées. Depuis sa mort, en 1951, rien de notable, semble-t-il. C’est donc un terrain vierge, qui reste à explorer pour un chineur, et plus généralement pour celui qui aime la mer, la belle illustration, le livre et…la patrie. Chapitre 3 Jean Baffier, sculpteur, berrichon, nationaliste Près de la poste, à Bourges, vous pouvez admirer une splendide statue de Louis XI assis. Toujours à Bourges, ne manquez pas d’aller voir L’HommeTaureau, monument consacré aux enfants du Cher (Haut-Berry) tombés lors de la guerre de 1870. Savez-vous que ces sculptures – et beaucoup d’autres, en Berry et ailleurs – sont dues à Jean Baffier, militant nationaliste ? Si vous le savez, surtout, arrangez-vous pour que l’information ne dépasse pas le cercle des amis sûrs. Car Jean Baffier était certes un activiste nationaliste, mais de la tendance la plus politiquement incorrecte, un disciple de Drumont, un adhérent des ligues antidreyfusardes. Si cela se savait, nous risquerions d’assister à une véritable chasse aux statues de Baffier, à une entreprise de démolition en règle, sous la conduite de quelque ligue de vertu antiraciste. 26 POLITIQUEMENT INCORRECT Et des statues de Baffier, il y en a beaucoup ! Ce tailleur de vignes devenu tailleur d’images a travaillé toutes les matières et nous laisse une série de monuments spectaculaires, émouvants ou imposants : un Marat, un Michel Servet, un Louis Lacombe, une Prieuse, des membres de sa famille (L’Angèle, L’Épine, Le Greffeux, La Mariette), « figures modestes, délicates, doucement humaines ». Le Marat est au Parc des Buttes-Chaumont à Paris, le Michel Servet est place de la mairie du XIVe arrondissement (du moins il y étaient encore il y a peu). L’œuvre de Baffier est considérable : des bustes, des statues en pied : Moissonneur buvant à la régalade, Le joueur de cornemuse, Le Bouvier bourbonnais, La Femme au gui, La Grand-mère, une Famille de laboureurs (décoration tombale imitée des sculptures médiévales, pour cette dernière œuvre). Jan Baffier est né le 18 novembre 1851 près du village de Neuvy-le-Barrois, dans le Cher. Très vite, ses dons de sculpteur se révèlent. Il monte à Paris, travaille dans des ateliers. Ses premières œuvres sont vite remarquées. Octave Mirbeau écrit dans Le Gaulois : « Vous êtes un artiste, un vrai. Votre œuvre est déjà belle et vous pouvez aspirer à devenir l’un des plus grands Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 27 parmi les sculpteurs de cette époque qui a si peu de sculpteurs ». Le jeune Baffier est un colosse, un géant de deux mètres de haut, à la barbe imposante. Un colosse qui a été saisi par la passion politique. Un jour, il décide d’aller corriger un député franc-maçon (c’est lui qui sera blessé). En 1902, il se présente aux élections à Saint-Amand, comme « candidat des comités ouvriers français républicains nationalistes ». il se définit à cette époque comme « ouvrier sculpteur berrichon, délégué général de la Ligue de la Patrie française, fondateur de la société des Gas du Berry et des Groupes corporatifs d’ouvriers d’art de plaisance de Bourges ». Dans sa profession de foi de candidat nationaliste, Baffier se déchaîne : « Vainqueur ou vaincu, je serai toujours résolu à donner tout mon être pour délivrer notre cher Berry de l’odieuse domination des spoliateurs, sophistes et tripoteurs d’affaires, lesquels nous mènent au collectivisme d’État, qui supprimera la propriété individuelle, anéantira la conscience humaine, et réduira notre race en esclavage. Vive la nation ! Vive la république nationale ! Vive le Berry ! ». 28 POLITIQUEMENT INCORRECT Un géant antibolchevique C’est pendant cette campagne électorale que Baffier va subir, seul, un véritable assaut de la part d’une centaine de militants communistes. Les militants d’extrême gauche « s’assemblent, se concertent », racontera un témoin. « Ils vont chercher des clairons et des gourdins puis, tels des Pygmées allant combattre un Centaure, ils se mettent en marche vers le lieu de la réunion au chant de L’Internationale. Lorsqu’il vit se ruer dans la salle ces gens à mine rébarbative, hurlant et gesticulant, Baffier se releva tranquillement, s’appuya au mur et secoua sa crinière comme un lion qui se prépare au combat. Dés l’abord il leur en imposa. Profitant de leur hésitation, il voulut placer quelques mots, mais ses premières paroles déchaînèrent des cris, des injures, des sonneries de clairon, un charivari assourdissant. Pas un cependant n’osait toucher au colosse qui les dépassait de plusieurs pieds. Enfin il se produisit brusquement une bousculade, une poussée telle que Baffier vit l’instant où ses mouvements allaient être complètement paralysés. Alors, d’une voix formidable qui domina le vacarme et fit reculer les plus avancés : — Un pas de plus, cria-t-il, et le premier qui me tombe sous la main, je le prends par une jambe et je m’en sers pour assommer les autres ! » Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 29 Selon le témoin, ces paroles produisirent un effet magique, et les marxistes évacuèrent la salle sans toucher un poil de la barbe de Baffier ! Néanmoins Baffier fut battu, recueillant cependant 3 767 voix à Saint-Amand. Cette belle figure du nationalisme et de la sculpture, dont les Real del Sarte, les Despiaux et les Belmondo forment en quelque sorte les disciples, tant sur le plan artistique que sur le plan de l’engagement, ce Berrichon splendide, meurt en 1920, dans la petite salle des morts de l’asile Notre-Dame-de-Bon-Secours à Paris. « Je l’ai vu étendu sur sa couche funèbre. (…) Il me parut immense et beau comme un prêtre de la Tradition », écrira un de ses amis. Il estimait que « la force et la grandeur d’un peuple ne résident pas dans son déracinement, mais dans ses attaches profondes avec le sol natal ». Jean Baffier est enterré au cimetière de Sancoins. Il ne faut bien évidemment pas laisser dans l’oubli cet artiste enraciné, aux antipodes de tous les cosmopolitismes de son temps. Et du nôtre. Je n’ai jamais eu l’occasion de voir passer en vente des tirages des sculptures de Baffier. Il ima- 30 POLITIQUEMENT INCORRECT gina aussi des meubles, de la vaisselle, dans le même esprit enraciné. Il en existe des photos (un énorme album illustré est paru aux États-Unis, consacré à cet artiste), mais où sont les originaux ? Chapitre 4 Bandes dessinées : la ligne claire est née dans la Belgique de Léon et de son copain Hergé Hier, on collectionnait les cartes téléphoniques, les pin’s, et avant-hier les porte-clés. Aujourd’hui, incontestablement, ce sont la carte postale et la bande dessinée qui ont la cote. Dans cette dernière spécialité, un chineur politiquement incorrect peut se constituer une très belle collection thématique. En effet, la bande dessinée a abordé quantités de thèmes politiques, religieux, culturels, qui rendent certains albums dignes de figurer dans la bibliothèque du plus bibliophile des nationaux. À commencer par le mythique Tintin au pays des Soviets. L’édition ordinaire, celle de 1930, est cotée 7 500 € par le très officiel catalogue BDM des Trésors de la bande dessinée. L’édition numérotée du même album, la tête de tirage, donc, 32 POLITIQUEMENT INCORRECT qui, pour un collectionneur de BD, est l’équivalent du « 1 franc vermillon » pour un collectionneur de timbres, atteint les 15 000 €. C’est la pièce mythique, par excellence. Plus accessibles sont les numéros du Petit vingtième, supplément hebdomadaire pour les enfants du journal quotidien de Bruxelles Le Vingtième siècle, de tendance droite catholique, très droite et très catholique. On peut y retrouver le Tintin au pays des soviets, mais en feuilletons, cette fois. Il faut quand même compter à présent une dizaine d’euros le numéro, et entre 20 et 50 € pièce, si Tintin figure en couverture. Vica chez les soviets La période 1940–1944 offre également quelques curiosités qui ne sont pas sans intérêt. Dans l’antisoviétisme, l’album Vica au paradis de l’URSS, (éd Dompol) – coté actuellement 500 € –, n’a rien à envier à Tintin au pays des Soviets. Vica défie l’oncle Sam (1 200 €) est plus anti-américain que Tintin en Amérique ; et Vica contre les services secrets anglais (500 €) bat Philippe Henriot et Henri Béraud réunis dans l’anglophobie ! Le bimensuel Le Téméraire (20 à 120 € le numéro) a publié à l’époque de nom- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 33 breux récits de Vica. « De qualité quant à la forme, scandaleux quant au fond » (dixit Trésors de la bande dessinée), les bandes publiées dans Le Téméraire font les délices des collectionneurs et indisposent considérablement le dénommé Pascal Ory qui leur a consacré un livre en 1979 pour les dénoncer. C’est le même Pascal Ory qui, dans Le Monde du 6 février 1975, écrivait à propos de Robert Brasillach : « À la date du 6 février 1975, je suis prêt à signer un appel en faveur de l’abolition de la peine de mort ; mais à celle du 6 février 1945, au nom d’une certaine idée de l’intellectuel et du militant, j’accepte de figurer parmi les douze hommes qui exécutèrent au petit matin le condamné Robert Brasillach dans la cour de la prison de Fresnes. » À la Libération, les Pascal Ory de l’époque persécutèrent Hergé, le père de Tintin, accusant Milou d’avoir « fourré son sale museau dans les poubelles allemandes ». Hergé trouva un défenseur courageux en la personne de l’un de ses confrères : E.P. Jacobs. En 1950, Jacobs publie son premier album de bandes dessinées : Le secret de l’espadon (coté 550 €). L’un des exégètes de l’œuvre de Jacobs, Claude Le Gallo, croit voir dans ce récit, qui est 34 POLITIQUEMENT INCORRECT l’histoire d’une guerre mondiale dont le monde libre sort vainqueur, un « reflet de l’abominable conflit qui venait de se terminer avec les terrifiantes destructions d’Hiroshima et de Nagasaki » (Le monde d’Edgar P. Jacobs, éd du Lombard, 1984, page 36). En fait Jacobs publie son album en pleine guerre froide. L’un des héros de cette bande dessinée expose d’ailleurs l’origine du conflit en parlant de guerre froide, et évoque même, par allusion, le rôle des partis communistes locaux : « D’autre part, un inlassable et insidieux travail de propagande et de noyautage a fini par saper le moral de la nation, permettant à un petit mais actif groupe d’individus de s’emparer des principaux postes de commande. » Et si l’on en doutait encore, il suffit de constater que le sigle de l’Empire du mal est une étoile rouge. Vive le Christ-Roi ! La première apparition de l’Oncle Paul, dans l’hebdomadaire Spirou, date de 1951. Plus de mille Histoires de l’Oncle Paul vont être publiées dans ce journal, qui a longtemps représenté ce que l’on faisait de mieux en matière de journaux pour enfants. Dans la série des Oncle Paul, on Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 35 trouve par exemple le récit du siège de l’Alcazar de Tolède, cet héroïque fait d’armes des patriotes espagnols, en juillet 1936. « Vive l’Espagne, vive le Christ-Roi ! », crie le fils du général Moscardo, avant d’être assassiné par les miliciens socialocommunistes. Les Spirou des années cinquante valent, en albums éditeurs reliés, entre 80 et 180 €. Pour l’édification des enfants, les meilleurs dessinateurs de l’époque vont illustrer des vies de héros et de saints : Jijé publie un Baden-Powell (1950, coté 120 €) et un Charles de Foucault (1959, coté 100 €) ; Reding produit une vie de Saint Vincent de Paul (1957, coté 90 €), Hubinon nous donne en deux tomes une très colonialiste vie de l’explorateur Stanley (1955 et 1956, 50 € chaque tome), etc. Côté fiction, Hubinon, sur un scénario de Charlier, édite deux albums consacrés à la guerre de Corée : Ciel de Corée et Avions sans pilote (1954, cotés 70 €). Ces albums qui ont été très fréquemment réédités depuis lors, avaient à l’époque été interdits en France. Au sein du Bataillon de Corée, des soldats français avaient le droit de mourir pour défendre le monde libre. Mais il était interdit de les donner en exemple aux enfants ! 36 POLITIQUEMENT INCORRECT Arrive mai 1968. La bande dessinée prend un virage écolo-gaucho-antimilitariste. Il faut attendre les années quatre-vingt pour que tout change à nouveau, et pour découvrir un récit de fiction à peine démarqué de l’exploit de Kolwesi : Le Piège aux cent mille dards (série Bernard Prince, de Greg, coté 12 €) ou bien l’humour au service de l’anticommunisme avec Le Goulag (15 €) de Dimitri. Dimitri, de son vrai nom Guy Sajer, est par ailleurs l’auteur d’un témoignage poignant sur les combattants du front de l’Est : Le Soldat oublié. Inutile de dire que le goulag, il sait ce que c’est ! Plus engagée encore, il y a cette Histoire de la civilisation, de Jack Marchal, qui avait été diffusée par le Front de la Jeunesse et le Parti des Forces Nouvelles (PFN) pas encore cotée. En 1980 paraît un album dont le titre, Au fil de l’Achéron, suggère très justement qu’il s’agit d’un récit onirique où le héros vogue quelque part entre la vie et la mort. Pourquoi cet album devrait-il obligatoirement figurer dans la bibliothèque du collectionneur de bande dessinée politiquement incorrect ? Parce que son auteur, Pscharr, n’est autre que Chard, dessinatrice de choc de Présent et de Rivarol. C’est, à notre Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 37 connaissance, son premier album de bandes dessinées. Elle en a réalisé plusieurs autres, ensuite, tous plus incorrects politiquement les uns que les autres, en particulier La Révolte de Crève Bouchure, histoire de la chouannerie berrichonne, qui eut deux éditions (1989 et 1996) aujourd’hui très recherchées. Chapitre 5 Barrès, tout Barrès La pertinente biographie d’Yves Chiron, parue il y a une bonne dizaine d’années, m’a donné envie de relire Barrès. Il est encore facile, aujourd’hui, de se constituer une belle bibliothèque barrésienne. De son vivant, en effet, l’écrivain lorrain connut des tirages fabuleux. Et depuis vingtcinq ans au moins, ses livres sont victimes d’un certain ostracisme. Même à droite, on préfère Céline le maudit, Drieu l’esthète, Brasillach le martyr, Maurras le doctrinaire, Bainville le visionnaire ou Daudet le truculent. Barrès a trop bien réussi sa double carrière politique et littéraire pour susciter des passions comparables à celles dont bénéficient les auteurs susnommés. D’où une cote bibliophilique relativement modeste. Ne croyez pas, toutefois, qu’il suffise de se baisser pour trouver en solde tout Barrès en reliure plein maroquin ! Il a certes fallu dix ans 40 POLITIQUEMENT INCORRECT pour écouler les 4 350 exemplaires de ses œuvres complètes en 20 volumes. Mais rappelons tout de même que lors d’une fameuse vente « Littérature du XXe siècle », en juin 1983, à l’hôtel Drouot, les Pages lorraines dans une belle reliure de Charles Meunier sont parties à l’équivalent de trente mille euros d’aujourd’hui, tandis qu’un manuscrit de 20 pages consacré à Colette Boudoche trouvait preneur à l’équivalent de 1 500 €. Et un amateur a été obligé de débourser l’équivalent de 1 500 € pour enlever un manuscrit autographe intitulé : Les Poilus sous l’Arc de Triomphe. Voici les éléments d’une honnête bibliothèque barrésienne, constituée en quelques années, à des prix défiant toute concurrence, au hasard des puces et des brocantes. Commençons par Huit jours chez M Renan (18e édition, 1913) achetés 1,5 € à la librairie Farfouille, 27 passage Verdeau, Paris 9e. Édition banale quoique numérotée, mais truffée toutefois d’une lettre autographe de Barrès à un certain Laurent, faisant référence à Huit jours chez M Renan (achetée 15 €, dans un lot, à la librairie Jacques Benelli, 244, rue St-Jacques, Paris 5e). Puis nous trouvons Le jardin de Bérénice (6 € à Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 41 un salon des collectionneurs) dans une reliure toilée éditeur de 1907. À noter : les belles aquarelles de A. Calbet. Amitiés françaises Très vite, nous arrivons au Barrès engagé. Voici les Scènes et doctrines du nationalisme (2 tomes, 20 €, salon des antiquaires de la porte Champerret, édition définitive, grand papier, numérotée, de 1925, coté 45 €). Amori et dolori sacrum appartient au cycle du culte de la terre et de la mort (5 €, édition reliée toile, puces de Vanves). Leurs figures est le troisième des romans dits de « l’énergie nationale » (2 €, puces de Vanves, dans l’édition brochée courante). Les Amitiés françaises dans une édition sur grand papier de 1919, peut encore se trouver facilement (2 €, chez un antiquaire de Pont-Chrétien, dans l’Indre) ; tandis que La Vierge assassinée est un petit volume beaucoup moins courant (acheté dans un lot et compté pour 1,5 €). Au service de l’Allemagne (série « les bastions de l’Est » est agréable à lire dans une élégante reliure cuir romantique, et dans l’édition Fayard qui comporte des gravures en couleur (20 € à la librairie du Casoar). Passons rapidement sur le 42 POLITIQUEMENT INCORRECT très académique Discours de réception de Barrès sous la coupole (2 €, au salon du vieux papier d’Argenton-sur-Creuse), pour nous plonger dans le Colette Boudoche, roman patriotique (réédition de 1917, 2 € à la librairie Farfouille) ; ajoutonsy, pour faire bonne mesure, L’angoisse de Pascal (2 € pour une réédition de 1923, salon du vieux papier, porte de Versailles). Il n’est pas désagréable de posséder, même dépareillés, quelques volumes de la série L’Ame française de la guerre (tome III, édition originale numérotée : 7 €), de la série Chronique de la Grande Guerre (Tome IV, édition originale numérotée, dédicacée aux frères Tharaud : 3 €, aux puces de Vanves), ou encore la série des Cahiers (3 € pièce, sur grand papier, au puces de Vanves). On se doit aussi d’avoir dans sa bibliothèque Le Génie du Rhin (2 €, brocante de la rue Legendre, dans le 17e arrondissement, édition brochée), Une enquête au pays du Levant (10 € les deux tomes dans une édition brochée) ainsi que ce livre posthume : Les Grands Problèmes du Rhin (édition reliée cuir, 15 € aux puces de Vanves). Que manque-t-il à cette bibliothèque barrésienne ? Les deux premiers tomes de la trilogie romanesque dite de « l’énergie nationale » (les Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 43 trois tomes cotés 90 €) : Les Déracinés (1897) et L’Appel au soldat (1900). Avec Leurs figures, nous touchons là au cœur de l’œuvre. Ajoutons enfin le plus connu de ses romans, La Colline inspirée, ainsi que le langoureux Jardin sur l’Oronte. Et sur Barrès ? Outre le désormais indispensable travail d’Yves Chiron (mais aujourd’hui épuisé, non réédité, à ma connaissance, et donc collectionné) il n’est pas inutile de se procurer le Barrès parmi nous de Pierre de Boisdeffre, le Barrès, défenseur de la civilisation d’Albert Garreau, La Route ascendante de Maurice Barrès de À Blanc-Péridier, ou le très précieux Barrès de Joseph Wagener (tous achetés dans des puces ou brocantes entre 1,5 et 3 €). Ajoutons aux ouvrages de référence, qui furent publiés lors du centenaire de Barrès, en 1962 : le Catalogue de la Bibliothèque nationale (3 €, librairie le Casoar) et la plaquette Centenaire de Maurice Barrès (8 € au stand de la Revue lorraine populaire, lors d’une Journée d’amitié française, cela remonte à quelques années !). Chapitre 6 Henri Béraud, retour en cote Quelle drôle d’idée, penserez-vous, que de vouloir donner des cotes aux livres, et en particulier aux livres d’Henri Béraud. Eh bien, non, justement, ce n’est pas une idée ridicule. Les peintres ont une cote. Les sculpteurs aussi. Pourquoi les écrivains n’en auraient-ils pas une, également ? D’autant que chaque livre a son histoire. Et que chaque exemplaire peut avoir aussi la sienne, en en faisant une pièce unique : qualité du papier, reliure, dédicace… La librairie La Vouivre avait publié il y a quelques années un très précieux catalogue entièrement consacré à Henri Béraud. Béraud, comme Pourrat, et aussi comme Maurras ou La Varende, est de ces écrivains qui intéressent plusieurs types de lecteurs et de collectionneurs : les passionnés d’histoire, ceux 46 POLITIQUEMENT INCORRECT qu’intéresse le débat d’idées, les non conformistes, mais également – public nombreux, de plus en plus nombreux – les amateurs de littérature régionaliste. Pour ces derniers, Pourrat, c’est l’Auvergne, La Varende, la Normandie, Maurras, Martigues et l’étang de Berre et Béraud, c’est Lyon et c’est aussi, dans une moindre mesure, l’île de Ré. C’est pourquoi La Vouivre titrait son catalogue : Quelques belles éditions d’Henri Béraud à destination des amateurs et des Lyonnais. Béraud a écrit une cinquantaine d’ouvrages qui, tous ou presque, étaient présentés dans ce catalogue, sur les plus grands papiers, souvent reliés demimaroquin ou plein maroquin, ce qui est la RollsRoyce de la reliure. Romans, reportages, critiques, polémiques, souvenirs… L’œuvre de Béraud peut être regroupée en cinq grandes catégories : les romans – ce sont eux qui lui ont apporté la notoriété – ; les grands reportages – ils lui ont apporté la consécration – ; les livres politiques et de polémique – ils lui ont valu bien des ennuis en 1944 – ; les souvenirs – sans doute ses chefs d’œuvre – ; les ouvrages de Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 47 critique théâtrale ou de peinture – la partie de son œuvre la moins connue. Parlons d’abord des romans. Ils eurent des tirages énormes. Et l’on peut trouver facilement, chez les bouquinistes, pour une somme ne dépassant pas 10 €, la plupart d’entre eux : Le Vitriol de lune, Le Martyre de l’obèse, Lazare, Au Capucin gourmand, Le Bois du templier pendu, Ciel de suie, Les Lurons de Sabolas. Le Martyre de l’obèse et Le Vitriol de lune lui valurent le prix Goncourt, et par conséquent les très gros tirages. Sa trilogie de « la conquête du pain » comporte les trois romans historiques : Le Bois du templier pendu, Les Lurons de Sabolas et Ciel de suie. Tous témoignent de l’attachement passionné de Béraud pour la région lyonnaise et pour les ancêtres véritables ou fictifs de Sabolas (Satolas, en fait). Béraud acheta sa propriété des « Trois bicoques » sur l’île de Ré, avec l’argent de son double Goncourt. « Il faut connaître la mélancolique douceur de l’île de Ré, qui tint dans sa vie tourmentée une immense place de labeur fécond et une fin doublement dramatique. Il est singulier que ce terrien, si attaché à ses origines – au Dauphiné, à Lyon – ait choisi un ermitage aussi éloigné de celles-ci que de sa nature, pour écrire 48 POLITIQUEMENT INCORRECT dans le calme, face à la mer, la plus grande partie de son œuvre romanesque » (introduction à La Gerbe d’or, Belle Édition, 1933). La Vouivre proposait un Vitriol de lune de premier tirage en édition ordinaire à 30 € et un autre exemplaire, in-8° relié demi-chagrin à coins, dos orné, tête dorée, avec un envoi autographe, pour 150 €. Le Martyre de l’obèse était proposé dans un demi-maroquin rouge à coins (Semet et Plumelle) pour la modique somme de 550 € ; le même, habillé de demi-maroquin havane (Kieffer), illustré par Gus Bofa, était proposé à 375 €. Lazare est un médiocre roman, sans doute le moins bon de Béraud. L’édition originale sur alfa valait 23 €, mais un exemplaire sur japon du tirage spécial pour les « amis lyonnais de l’auteur », avec un envoi, atteignait tout de même 300 €. L’édition originale du Bois du templier pendu, sur japon non rogné était proposée à 450 €. Sa suite, Les Lurons de Sabolas, valait 600 € dans un demi-maroquin gris à coins, avec une page originale du manuscrit. Et le troisième de la série, Ciel de suie, dans la même reliure, et également avec une page manuscrite, était proposée à 675 €. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 49 Moscou, Berlin et Rome Les grands reportages de Béraud, ce sont d’abord ses voyages à Moscou, Berlin et Rome. Il y a huit livres dans cette série : Le Flâneur salarié, Ce que j’ai vu à Moscou… à Berlin… à Rome, Rendez-vous européens, Émeutes en Espagne, Le Feu qui couve, et enfin Vienne, clef du monde. Dictateurs d’aujourd’hui est en fait une reprise partielle des Rendez-vous européens, de Ce que j’ai vu à Rome et de Le Feu qui couve. Quand il écrit ces livres, Béraud est encore un homme de gauche, vaguement séduit par les nouveaux dictateurs européens, mais bien loin d’exprimer quelque inconditionnalité que ce soit à leur égard. Les rendez-vous européens de ces huit livres nous font vivre de façon très vivante l’agitation de l’avant-guerre, et se relisent, un demi-siècle plus tard, sans déplaisir. L’édition originale sur alfa de Ce que j’ai vu à Moscou valait 50 €, le même sur japon impérial était vendu six fois plus cher. Les cotes sont à peu près identiques pour toute la série. Les livres politiques et polémiques de Béraud sont beaucoup plus rares que ceux que nous avons cités précédemment. Même en édition ordinaire, ils se vendent en principe une soixan- 50 POLITIQUEMENT INCORRECT taine d’euros, qu’il s’agisse de Pavés rouges, de Trois ans de colère, de ses deux pamphlets de l’Occupation Sans haine et sans crainte (recueil d’articles parus dans Gringoire), et Les raisons d’un silence (cote : 45 €), de son pamphlet antiGide La croisade des longues figures, de son percutant Faut-il réduire l’Angleterre en esclavage ? (cote : 45 €) et du peu fréquent Popu roi. Béraud aurait mérité le titre de prince des polémistes pour les années trente. Il a payé assez cher ce talent et son anglophobie. Puisqu’il s’est trouvé condamné à mort en 1944 pour des idées qu’il exprimait déjà – et avec quelle violence – dans les années trente. La Vouivre proposait Pavés rouges, Trois ans de colère et Popu roi en édition originale sur japon impérial numéroté entre 450 et 600 € chacun. Les livres les plus rares Les livres les plus rares de Béraud, Poèmes ambulants (1903), L’héritage des Symbolistes (1906), Peintres lyonnais (1910), Marrons de Lyon (1912), Les morts lyriques (1912), Voyage autour du cheval de Bronze (1912), Glabres (1915), Le Mémorial de la rue Sainte-Hélène (1919), tous parus avant que Béraud ne devienne le célèbre journa- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 51 liste de Gringoire, ne sont pas les plus recherchés, ni les plus cotés. La librairie La Vouivre les avait tous à son catalogue, ce qui est un rassemblement tout à fait exceptionnel. Et au regard de la rareté, les cotes ne sont pas effrayantes : de 60 € (Marrons de Lyon) à 180 € (Poèmes ambulants). Ces œuvres de jeunesse sont des poèmes, des contes, de la critique de peinture ou encore des « choses vues » à Lyon. Mais le meilleur de Béraud, ce qu’il faut lire à tout prix, et conserver absolument dans sa bibliothèque, ce sont ses souvenirs. Souvenirs d’enfance lyonnaise avec La gerbe d’or, souvenirs de ses vingt ans avec Qu’as-tu fait de ta jeunesse ? (cote : 40 €), commencé en 1935, les merveilleux Derniers beaux jours, qui vont de la fin de la Grande Guerre au début de la dernière, et enfin Quinze jours avec la mort (cote : 35 €), qui raconte son arrestation, sa condamnation à mort, et jusqu’à sa grâce. Un très grand livre aussi. La Vouivre proposait l’édition originale de La gerbe d’or sur japon impérial (1928), paraphée par Béraud, avec une page manuscrite pour 450 €. Le même titre sous emboîtage en hollande, valait 180 € et sur vélin d’Arches, 120 €. 52 POLITIQUEMENT INCORRECT On retrouve bien la hiérarchie classique des grands papiers : japon, hollande, vélin. Il y a ensuite les alfa, et enfin les papiers ordinaires. Une édition originale hollande de tête nominative de Quinze jours avec la mort vaut 180 €, et 210 € Les derniers beaux jours sur hollande. Les derniers beaux jours (cote : 30 €), le livre de Béraud que je chéris entre tous. Avec ces pages finales où Béraud raconte l’annonce de l’armistice de 1940, devant le monument aux morts de Saint-Clément-des Baleines, sur l’île de Ré. « Onze heures sonnèrent. Alors le maire s’avança vers le monument. C’était un paysan, un ancien soldat, un brave homme, un peu gauche, tanné par le vent, habitué au grand silence des marais. Dans sa main épaisse il tenait son chapeau. L’écharpe ceinturait sa veste campagnarde. Comme il est fréquent, ce laboureur avait une sorte de majesté. — Mes amis, dit-il, nous allons penser à nos camarades, les morts des deux guerres. Dans ce jour de deuil, restons fidèles à ceux qui donnèrent leur vie… Un grand malheur nous est arrivé, mes amis… Il parlait, sans gestes, d’un ton égal et grave, avec ses mots de tous les jours. Il n’avait rien d’un beau parleur. Ce qu’il avait à dire, il le trouvait en luimême, dans la vérité de sa souffrance, et n’importe Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 53 lequel des paysans qui l’écoutaient aurait parlé comme lui. Mais les paroles du cœur ont une grande force. À cette heure, en ce coin perdu, un homme simple entre les simples faisait toucher à ses semblables le malheur du pays. Tous l’éprouvaient comme moi. J’entendais pleurer. Combien dura cette minute ? Le vent se levait, roulant les nuages sur les terres, dans un ciel démesuré. À mesure que se prolongeait le silence, les femmes sanglotaient plus fort. Les hommes se détournaient. Une voix enrouée cria : — Vive la France ! Puis, sans une parole, tous s’en allèrent à leurs maisons que le soleil entre deux nuées baignait d’un rayon pâle et triste. » Association rétaise des amis d’Henri Béraud : BP 3, 17111 Loix en Ré. Un « Béraud » introuvable : Le Nœud au mouchoir Henri Béraud a donc publié huit pamphlet. Entre Sans haine et sans crainte et Les Raisons d’un silence, il y a Le Nœud au mouchoir qui réunit un ensemble de textes parus dans Gringoire entre 1942 et 1943. Et pourtant c’est le direc- 54 POLITIQUEMENT INCORRECT teur de Gringoire, Horace de Carbuccia, qui va littéralement boycotter ce livre. Lors du procès de Béraud, il sera expliqué que la direction des Éditions de France (et donc de Gringoire) a empêché la diffusion du livre, qui n’a donc guere dû dépasser les 500 exemplaires hors commerce ou numérotés du tirage de tête (il est coté 450 € dans le Guidargus Henri Béraud 2003-2004. Très peu d’amateurs de Béraud, très peu de collectionneurs, possèdent cet ouvrage rarissime. Le livre s’ouvre avec la fameuse injonction « Tiens-toi droit » (face à l’Occupant) et se termine, sous le titre « Accident du travail », par l’évocation d’un attentat auquel Béraud vient d’échapper. la plupart des textes sont à forte connotation anti-anglaise. Béraud rend un hommage appuyé à Charles Maurras, « un homme qui ne s’est jamais trompé ». À noter aussi un très bel hommage à Louis XVI (« Le Roi et le pain ») qui montre à quel point Henri Béraud avait évolué du républicanisme gauchisant de sa jeunesse à un traditionalisme nationaliste. Ce livre a fait l’objet d’une édition pirate, en 2000. Mais surtout la totalité des textes a été rééditée dans le cadre des trois volumes, récem- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 55 ment publiés, qui reprennent tous les textes de Béraud à Gringoire, de 1928 à 1943. Et par un extraordinaire clin d’œil de l’Histoire, c’est le fils d’Horace de Carbuccia qui a assuré cette (superbe) publication ! Chapitre 7 Vieux papiers bonapartistes Au moment de mourir, un vieux nationaliste de Toulouse, qui était aussi un collectionneur de souvenirs de l’Empire, prononça cette ultime phrase : « Je vois le soleil d’Austerlitz ». C’est son fils, aujourd’hui (2006) avocat toulousain et adjoint au maire, qui m’a rapporté ce fait. Une jolie formule qui montre que cet homme avait toute sa vie été fasciné par la gloire de l’Empire. Napoléon, le culte de Napoléon dans la littérature populaire, c’était également l’un des thèmes de prédilection du grand collectionneur, journaliste, et historien du cinéma, Éric Leguèbe, aujourd’hui disparu. L’une des dernière fois que je le rencontrai, c’était au « salon du vieux papier », Porte de Champerret. Il errait comme une âme en peine entre les stands : c’est qu’il faisait le constat qu’il possédait déjà tout – ou presque – sur le sujet. 58 POLITIQUEMENT INCORRECT Bonaparte sauva la Révolution française. À ce titre il aurait dû susciter un définitif mouvement de rejet chez les chineurs politiquement incorrects. Mais après Bonaparte il y a Napoléon. Et Napoléon, c’est l’Empire, c’est l’Europe française, c’est la gloire des victoires, l’épopée fantastique, les uniformes les plus beaux que l’on ait jamais imaginés. Et c’est pour cela, sans doute, que l’Empire et le Petit Tondu continuent à fasciner des générations de collectionneurs patriotes. Un catalogue d’une librairie de la banlieue ouest m’est récemment passé entre les mains ; il était tout entier consacré à « Napoléon et son temps ». Pour 200 à 300 €, il proposait des lettres d’Antoine-Auguste Parmentier (1737-1813), agronome, pharmacien, militaire, dont le nom est étroitement associé à l’œuvre de Louis XVI, mais aussi à l’Empire et aux Invalides. La pièce exceptionnelle de ce catalogue était le journal de bord du Northumberland. Pour 13 500 €, vous pouviez vous offrir ce document de cent pages, témoignage du commandant du vaisseau anglais qui conduisit Napoléon à SainteHélène, du 7 août au 17 novembre 1815. Le Northumberland transporta l’Empereur, le comte Bertrand (de Châteauroux), le général Montho- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 59 lon, le général Gourgaud, le comte de Las Cazes, leurs proches et leurs serviteurs, ainsi qu’un chirurgien. Puis, arrivé à Sainte-Hélène, il débarqua tout le monde, y compris l’équipage qui entreprit de participer aux travaux d’aménagement du site. Le journal de bord révèle que les Anglais s’inquiétaient d’une éventuelle attaque qui leur enlèverait leur glorieux otage ; c’est pourquoi les défenses de l’île et de ses abords furent renforcées. Pour un adepte de l’Empire, ce journal de bord constitue certainement une sorte de must. Mais toutes les autres pièces du catalogue étaient passionnantes car, à travers ces documents bruts, c’est un aperçu intimiste sur l’Histoire de France qui s’opère ainsi, de fabuleux éclairages sur une époque bruyante, héroïque, fastueuse, qui fait rêver et rend nostalgique. Le Bonapartiste (synonyme d’esclavagiste, en langage politiquement correct) lira avec profit les livres de Jean Tulard, et les articles de Franck Delétraz dans Présent. Chapitre 8 Les dessins « incorrects », mais néanmoins charmants, de Germaine Bouret Dans les années trente à quarante, après Poulbot, avant Pierre Joubert (l’univers scout) et Pierre Probst (Caroline, Pouf et Youpi), Germaine Bouret fut la grande dessinatrice de l’enfance. Les « bébés Bouret » sont très caractéristiques : ce sont des garçons ou des filles âgés de 3 à 7 ans, aux grosses joues bien rondes et bien roses, au sourire allant d’une oreille à l’autre : de bonnes bouilles de gros bébés bien nourris, heureux de vivre. Aujourd’hui la « cote » de Germaine Bouret est littéralement en train d’exploser. Pourquoi ? C’est un mystère. Il semble que, moins l’on fait d’enfants, plus ces portraits de petits, pleins de vie et de santé, sont recherchés. Mais peut-être est-ce la nostalgie des temps où les rues étaient pleines de têtes blondes qui fait le 62 POLITIQUEMENT INCORRECT succès de ces dessins. Il n’y a plus guère d’enfants dans nos rues, plus de cris d’enfants dans les cours. C’est qu’à l’abstinence démographique vient s’ajouter l’insécurité : l’insécurité des voitures et l’insécurité des détraqués, et aussi des « jeunes », qui ne sont pas exactement les mêmes que ceux que dessinait Germaine Bouret… on ne laisse donc plus les enfants jouer seuls. Mais revenons à Germaine Bouret. J’ai assisté, il y a quelques années, à Drouot, à la grande vente aux enchères qui a consacré cette artiste. La salle n° 4 de l’Hôtel Drouot était bourrée à craquer. Pourtant une dizaine d’amateurs tout au plus se sont partagés les lots mis en vente : livres, albums à colorier, cartes postales, projets publicitaires, assiettes à bouillie, puzzles, jeux, boites à biscuit… C’est que les batailles d’enchères ont découragé la plupart des collectionneurs présents. Le record a par exemple été atteint par un projet d’affiche publicitaire pour « le bon lait Maggi », qui s’est vendu l’équivalent de 2 300 €, pour une estimation près de dix fois moindre ! Un projet d’affiche pour le Secours national du Maréchal Pétain : « Entr’aide d’hiver. Grâce à vous, des milliers d’enfants partiront en vacances » a trouvé preneur à 500 € ; deux albums à Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 63 colorier : Nounouk et Le petit Poucet, étaient disputés jusqu’à … 350 €. Dans le Dictionnaire commenté de livres politiquement incorrect, l’album Il était une fois un Maréchal de France, par Paluel-Marmont, illustré par Germaine Bouret, est cotée 35 €, 65 € pour la version cartonnée. Cotes bien raisonnables au regard des prix atteints dans cette vente de Drouot. D’ailleurs le BDM, catalogue encyclopédique des trésors de la bande dessinée, donne une cote de 80 à 100 € pour ces mêmes albums. Quant aux cartes postales au profit du Secours national et des œuvres charitables de Vichy, de Germaine Bouret, elles valaient 3 € il n’y a guère, elle se négocient à 10 € aujourd’hui. Un lot de 38 cartes s’est vendu par exemple 300 €. Je suis bien certain que vous avez tous quelques cartes de ce type dans votre grenier ou dans une boite à chaussures. C’est le moment de vous en défaire, de « réaliser votre placement », avant que les adeptes du « politiquement correct » ne s’avisent que ces cartes comportent généralement un portrait (discret) du Maréchal, ce qui en fait bien évidemment des instruments d’apologie de crimes contre l’humanité. Il pourrait donc arriver à Germaine Bouret et à ses enfants joufflus ce qui est arrivé aux frères 64 POLITIQUEMENT INCORRECT Lumière, interdits de découverte du cinéma, à Alexis Carrel, sans doute Prix Nobel de médecine par erreur, à Georges Claude, interdit de découverte de l’air liquide, au colonel Rémy, interdit de maréchalisme après sa mort, à Valette d’Osia, interdit de Vercors, à Georges Bidault et Jacques Soustelle, rayés de la Résistance, à Hector Berlioz, interdit de Panthéon, à Karajan, interdit d’orchestre etc. En tout cas, cela pend au nez de ces petits morveux, ces « bébés Bouret », un peu trop joyeux et souriants, même aux heures les plus sombres etc. (air connu). Chapitre 9 Brasillach à l’hôtel Drouot Charles Filippi a été le plus grand collectionneur d’ouvrages de Robert Brasillach que l’on connaisse. Pourquoi a-t-il vendu cette bibliothèque exceptionnelle, un après-midi d’octobre 1995, à la salle des ventes de Drouot ? « — Parce que j’ai 83 ans et que je n’ai pas d’enfants, m’avait-il alors confié pour Présent. Parce que je préfère que chacun de mes livres gagne désormais les bibliothèques d’amoureux des livres, comme moi ». Pendant deux heures, ce mercredi-là, deux cents livres exceptionnels furent donc dispersés aux enchères. Dans la salle, avaient pris place de nombreux amis de Robert Brasillach, puisque les pièces les plus exceptionnelles : livres, manuscrits, lettres, concernaient le poète assassiné. On reconnaissait, par exemple, très entourée, Anne Brassié. 66 POLITIQUEMENT INCORRECT Très vite, il est apparu que les estimations de l’expert Pierre Meaudre, pourtant élevées, voleraient en éclats. « — C’est logique, expliquait Louis de Condé, libraire à Vichy : la plupart de ces livres ont des reliures de qualité. Et le fait qu’ils proviennent d’une bibliothèque prestigieuse, avec leur ex-libris, les rend d’autant plus désirables. » On attendait 600 € de Présence de Virgile (édition originale en maroquin crème avec un manuscrit de Brasillach relié en tête) : il fit 1 000 €. On attendait 800 ou 900 € du Voleur d’étincelles dédicacé au colonel Larpent. Il fit 3 000 €. On attendait 600€ de Portraits, avec un feuillet autographe de Brasillach sur Paul Morand. Il fit 1 500 €. L’Histoire du cinéma dédicacée était enlevée à 2 200€, Le Marchand d’oiseaux à 3 000 €, La Conquérante, dédicacée à 1 500 €, les Poèmes des Éditions Balzac (1944), dédicacés à Paul Valéry : 1 350 €, la vraie édition originale des Poèmes de Fresnes à 1 350 € également, l’édition originale sur grand papier de Six heures à perdre (1953) à plus de 1 000 €. Signalons au passage que les études parues dans les années cinquante de Jean Madiran et de Pol Vandromme, vendues en un lot, trouvèrent preneur à 130 €. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 67 Mais voici les trois records de la soirée : 3 500 € pour Le Marchand d’oiseaux dans une édition de 1958 superbement reliée par J-P Miguet, 4 000 € pour Les sept couleurs avec envoi autographe de Robert Brasillach, les plats ornés d’un superbe décor mosaïqué, et enfin 4 350 € (sur une estimation de 1 800 à 2 300 €) pour l’édition originale sur grand papier, avec jolie dédicace, de Comme le temps passe, qui fait partie des chefs-d’œuvre de la littérature française de ce siècle. D’où cette cote extraordinaire pour un ouvrage broché, paru en 1937. Les manuscrits de Robert Brasillach eurent également un énorme succès. Car il fallut 1 500 € à un amateur pour s’offrir des poèmes de jeunesse de Brasillach (estimation : 300/400 €), 1 000 € pour 16 feuillets sur Virgile, 3 750 € pour 151 feuillets sur Pierre Corneille, 2 200 € pour un lot de lettres à Charles Maurras et quelques autres. Une lettre de Céline à Brasillach, très amusante, partit à 2 300 € (estimée 1 000/1 200 €). Quelques autres records Notons aussi qu’au cours de cette vente, quelques autres records furent battus : des poèmes manuscrits de Philippe Henriot partaient à 68 POLITIQUEMENT INCORRECT 740 €, une belle édition reliée des Manants du roi était enlevée à 2 200 €, un petit agenda personnel de Charles Maurras, pour l’année 1944, se vendait 1 000 € ; une très belle édition de Venises par Paul Morand, enrichie d’un manuscrit autographe de Robert Brasillach, Paul Morand, partait à 3 800 €, pour une estimation à 1 200/1 500 €. Une édition originale reliée demi-maroquin des Décombres de Lucien Rebatet, estimée 900 € était enlevée à 2 200 €. À des prix pareils, seuls des amateurs particulièrement fortunés purent se partager les plus belles pièces de la bibliothèque Filippi. Les autres durent se rabattre sur des lots plus modestes. Georges Chamboulive, Pied Noir vivant en Berry, repartit avec un manuscrit de Maurice Bardèche, Une autre image de Robert Brasillach, qui avait été publié dans Rivarol du 1er février 1985, à l’occasion du trentième anniversaire de l’assassinat du poète (300 €), la librairie Les Oies sauvages que dirige Marc Vidal s’offrait une brochure Le Paris de Balzac, texte de Brasillach publié en 1984, inédit jusqu’à cette date (60 €). Louis de Condé, plus classique, rentrait chez lui, à Vichy (bien entendu !) avec, sous le bras, L’Avenir de l’intelligence, de Charles Maurras, Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 69 édition originale en demi-maroquin rouge à coins, avec envoi autographe de l’écrivain royaliste (245 €). La meilleure affaire de la soirée ? 500 € – seulement, serait-on tenté d’écrire – pour les épreuves corrigées par Brasillach lui-même du texte ayant servi à imprimer l’édition originale de La Conquérante. L’heureux acheteur était un garçon de 24 ans. « Brasillach, je ne l’avais qu’en Livre de Poche, m’avait-il expliqué ce jour là. Je suis particulièrement ému de cette acquisition. » Comme on le comprend ! Association Les Amis de Robert Brasillach, Case Postale CH-1211, Genève 3 Suisse. Les Oies sauvages BP 16 77343 Pontault-Combault. Les deux versions des Cadets de l’Alcazar Les Cadets de l’Alcazar, ouvrage de 92 pages publié par la librairie Plon fin octobre 1936, fut écrit par Henri Massis et Robert Brasillach pendant le siège même. Et les dernières pages, raconte Maurice Bardèche dans le tome V des Œuvres complètes de Robert Brasillach, furent rédigées « à l’imprime- 70 POLITIQUEMENT INCORRECT rie de Meaux le jour même de la délivrance de l’Alcazar, le 28 septembre ». L’ouvrage eut beaucoup de succès, puisqu’il s’en vendit 50 000 exemplaires. C’est un titre de Brasillach assez facile à se procurer. Néanmoins il ne fut jamais réédité après-guerre, si ce n’est dans les Œuvres complètes du Club de l’honnête homme (1963). C’est pourquoi les librairies d’occasion et d’ancien proposent ce mince ouvrage autour de 50 €. Outre le titre, faisant référence aux cadets, l’édition originale se reconnaît par sa photo pleine page qui représente des soldats libérés, au pied des ruines de l’Alcazar. Le livre débute d’emblée avec l’épisode du célèbre dialogue téléphonique entre le colonel Moscardo et son fils. Une seule illustration : le fac-similé de deux pages du journal El Alcazar publié par les défenseurs de l’Alcazar. En 1939, la librairie Plon publie une nouvelle édition, très largement modifiée, de ce livre. D’abord le titre. Le livre ne s’appelle plus Les Cadets de l’Alcazar, mais Le Siège de l’Alcazar. En fait – mais on ne le sut qu’à la levée du siège, c’est-à-dire après la parution de la première édition – les cadets n’avaient été qu’une poignée à Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 71 participer à l’événement. Le titre de la première édition ne reflétait donc pas fidèlement la réalité. Ensuite cette nouvelle édition comporte une préface du général Moscardo lui-même. Elle est datée de novembre 1938. Moscardo ne dit pas un mot de la mort dramatique et admirable de son fils. Au moment où il écrit la préface, la guerre n’est pas finie. Il préfère mettre l’accent sur le combat en cours : « L’Espagne, sous la main providentielle de Franco, montre, une fois de plus, les chemins de l’honneur et de l’histoire. » Cette édition, sur papier de meilleure qualité, comporte une dizaine de photos. Les modifications de Robert Brasillach Le texte de Brasillach et Massis comporte des modifications. C’est Robert Brasillach qui a procédé à la relecture et à ces modifications. Page 6, Robert Brasillach donne par exemple l’effectif exact des assiégés. Il n’y a que huit cadets, l’essentiel des troupes étant composé de 150 officiers et 600 gardes civils. Beaucoup d’autres détails du siège, inconnus ou racontés de façon erronée, seront également modifiés dans la dernière édition, qui est celle 72 POLITIQUEMENT INCORRECT reprise dans les Œuvres complètes du Club de l’honnête homme. Les différences sont donc loin d’être mineures. Le chapitre Les deux Espagnes a été permuté avec le passage comportant les paroles de la Bandera, de l’hymne des requetes carlistes ou de celui des Chemises bleues. Une note en fin de livre précise que la première édition, composée d’après les témoignages français et espagnols d’alors, a été traduite en Espagne, en Amérique, en Angleterre, en Italie et en Suède. « Depuis, d’autres ouvrages ont paru en divers pays. Les deux plus importants sont El Sitio del Alcazar de J. Arraras et L. Jordana (Saragosse) et The Siege of Alcazar du Major Geoffrey Mac-Neill Moss (New York). » En final, Le Siège de l’Alcazar est devenu un livre assez différent des Cadets de l’Alcazar. Et ce Siège de l’Alcazar a une cote plus élevée. Il vaut les 80 € de cote que lui attribue le Dictionnaire de livres politiquement incorrects, alors que Les Cadets ne valent « que » 60 €.. Chapitre 10 Calvo, curieux illustrateur antifasciste La scène s’est passée à l’hôtel Drouot, en 1993. On dispersait ce jour-là une série d’ouvrages pour enfants illustrés par le dessinateur Calvo. Cinquante-cinq lots contenant quelques ouvrages assez rares, mais surtout les albums phares : les deux tomes de La Bête est morte, qui racontent la guerre de 1940 à la manière de Benjamin Rabier. Car Calvo (1892–1957) fait partie de ces dessinateurs qui mettent en situation humaine des animaux. La tradition est longue, de Rabier à Walt Disney en passant par Macherot et ses mulots ou le médiocre Pif le chien de C. Arnal, publié par la presse communiste. Ce jour de 1993, donc, l’expert, Roland Buret, avait prévu quelques batailles d’enchères autour des albums La Bête est morte, et le calme plat pour le reste. Mais, très vite, plusieurs col- 74 POLITIQUEMENT INCORRECT lectionneurs montèrent au créneau, faisant exploser littéralement les enchères. Donner près de 1 000 € pour acquérir les deux tomes de La Bête est morte, c’est un peu cher. Mais que dire des 750 € de l’abécédaire Mr Loyal présente, sur une estimation située à la moitié de ce chiffre ? Ou des 500 € de Bir Hakeim ? Les 150 € et plus des petits livres pour enfants Coquin, Croquemulot, Patamousse, Robin des Bois, Rosalie, Souricette, Tagada, D’Artagnan, Cri-Cri, Moustache, etc ? Tous ces livres pour enfants, voire pour bébés, dont les héros sont des chats, des chiens, des souris, une voiture, des lapins, des loups, des ours sont à présent des objets de collection. Et Calvo se retrouve parmi la petite cohorte des plus grands illustrateurs de livres pour enfants, à l’égal d’un Job ou d’un Hansi. Qu’est-ce qui a pu assurer une telle notoriété, un tel succès, à Calvo, dont certains dessins étaient si proches pourtant de ceux des studio Disney qu’il a dû les retoucher ? C’est que Calvo a créé la première bande dessinée antifasciste. Dans La Bête est morte, la Seconde Guerre mondiale se trouve transposée avec les Allemands qui sont des loups, les Fran- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 75 çais des lapins (sic !), les Anglais des bouledogues, etc. Du coup, Calvo a été promu grand défenseur de la démocratie, et célébré à ce titre dans la presse underground ou de gauche. Et toute l’œuvre de Calvo a alors connu une deuxième jeunesse, analysée, collectionnée, exposée. Parachutistes et troupes de choc Mais là, horreur : on découvre que Calvo a énormément publié pendant l’Occupation, et que ce fut même sa période la plus prolifique : Un Chasseur sachant chasser (1942), La Croisière fantastique (1942), la série des Croquemulot (1943 et 1944), Hardi les gars (1943), Patamousse (1943), Le petit roman policier (1941), Les Voyages de Gulliver (1941)… Alors, faire de Calvo un anti-Vica (Vica, célèbre dessinateur antibolchevique pendant l’Occupation), c’est aller un peu vite en besogne. D’autant qu’en creusant encore la question, on s’aperçoit que Calvo a laissé toute une œuvre militariste, patriotique, et certainement fasciste aux yeux des habituels censeurs de l’Établissement. Dans L’Armée française au combat, Calvo illustre sur une ou deux pages des thèmes militaires 76 POLITIQUEMENT INCORRECT relatifs à la Seconde Guerre mondiale : Sur les dragueurs de mines, Avant le départ, etc. Il publie également de superbes planches dans le supplément du journal Armée française : parachutistes, troupes de choc. Lors de la vente aux enchères du 4 avril 1993, ces revues, illustrées par Calvo, qui étaient estimées à 13 € pièce, se sont vendues dix fois plus cher ! Calvo a rejoint la cour des grands, à travers l’ensemble de son œuvre, susceptible en fin de compte de satisfaire aussi le chineur politiquement incorrect. Chapitre 11 Cartes postales : ça commence bien, avec l’affaire Dreyfus ! Curieux destin que celui de la collection de cartes postales. Au début de ce siècle, chaque famille conservait religieusement, dans des superbes albums art nouveau, recouverts de percaline polychrome, ces petits rectangles de carton, relativement peu attrayants au regard de nos techniques modernes de photographie et de reproduction. Depuis une bonne vingtaine d’années, toutefois, la cartophilie est redevenue à la mode. Elle a largement détrôné la philatélie, me semble-t-il. La carte postale a été témoin de son temps et c’est là qu’elle peut trouver sa place dans ce dictionnaire de la chine politiquement incorrect. À l’époque de l’âge d’or de la carte postale, on ne photographiait pas uniquement les châteaux et les cathédrales, et il n’était pas jugé de mauvais goût d’acheter et d’envoyer une carte représen- 78 POLITIQUEMENT INCORRECT tant par exemple le déraillement d’un train et le garde-barrière responsable du déraillement, ou encore des cadavres de bandits corses. La carte postale est donc aussi une source de renseignements, un important gisement de documents iconographiques. Tous les événements politiques se retrouvent sur les cartes postales. L’affaire Dreyfus donne lieu à de nombreuses cartes polémiques – aujourd’hui très recherchées. Il s’agit le plus souvent de cartes dessinées, comme la série réalisée par Couturier (dreyfusard) et qui cote environ 150 € pièce. Dans les cartes dites à système, on peut trouver (très difficilement) une carte représentant Dreyfus, et dont le nez est une baudruche qui se gonfle. Drapeaux pris à l’ennemi La période qui va de 1879 à 1906, est marquée par les mesures antireligieuses des gouvernements successifs. Dans le domaine de la carte postale, cela s’est traduit par de nombreuses photos de scènes d’expulsion et d’inventaires. La prise de l’église du Gros-Caillou à Paris a fait l’objet d’une série de cartes où l’on voit les autopompes disperser les manifestants, puis les pompiers attaquer la porte de l’église à la hache (chaque carte : 40 €). Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 79 La carte la plus recherchée est celle représentant l’église de Cominac gardée par deux ours (cote : environ 230 €). Les Camelots du roi et la Ligue des patriotes ont fait éditer de nombreuses cartes de propagande. Une série étonnante est celle des « drapeaux pris à l’ennemi », qui montre des drapeaux SFIO et CGT, et raconte les circonstances dans lesquelles ces drapeaux ont été enlevés. Le Fort Chabrol, l’affaire Syveton, les multiples coups de main patriotiques de Déroulède, les fêtes de Jeanne d’Arc ont également été immortalisés pour le plus grand plaisir des collectionneurs de cartes postales. Dans les années trente, les Croix de Feu diffusent abondamment les portraits de leurs chefs, Mermoz, La Rocque, Ybarnegaray ; de son côté, le très actif Centre de propagande des républicains nationaux édite des dessins anticommunistes de Galland qui sont diffusés à la fois sous forme d’affiches, de tracts et de cartes postales (cote : 10 €). Un collectionneur de cartes postales qui se spécialiserait dans le droitisme, pourrait aussi faire figurer plusieurs cartes modernes dans sa collection : celle de l’Esprit public par exemple, pour la 80 POLITIQUEMENT INCORRECT défense de l’Algérie française, ou encore la série des cartes chouannes illustrées par Chard, les cartes pour le Sud-Vietnam (prise de Hué), les photos de Céline diffusées par le Bulletin célinien, etc. Il manque d’ailleurs, chez les adeptes du politiquement incorrect, un éditeur qui se consacrerait à immortaliser systématiquement par la carte nos grands hommes, nos fêtes, nos deuils et nos joies. Chapitre 12 Céline : cote maximum Quoi de neuf ? Céline, Céline, Céline. Bardamu hante la littérature du XXe siècle et la domine. Il hante aussi – gloire posthume oblige – les rêves les plus fous des collectionneurs et des bibliophiles. Dans leur édition ordinaire, Bagatelles pour un massacre (Cote 150 €), Les beaux draps (Cote 200 €) ou L’École des cadavres (Cote 300 €), qui avaient connu des tirages vertigineux lors de leur parution, se vendent comme des petits pains, dés qu’un marchand en propose à la vente. Dans une vente organisée à l’hôtel Drouot, il y a quelques années, était proposée une vingtaine de livres de Céline, tous en édition originale. Rien d’étonnant si les prix ont été à la hauteur de l’événement. D’autant que figuraient dans cette vente plusieurs textes très peu courants : Pour tuer le chômage, tueront-ils les chômeurs ? 82 POLITIQUEMENT INCORRECT (1933), Qu’on s’explique, postface au Voyage au bout de la nuit (1933), Hommage à Émile Zola (1936), texte de la seule conférence publique que Céline ait jamais faite, et Vive l’amnistie Monsieur ! (1963). L’édition la plus connue du pamphlet de Céline contre Jean-Paul Sartre À l’agité du bocal, est celle qu’Albert Paraz avait incorporée dans son propre livre de souvenirs céliniens : Le Gala des vaches (cote : 50 €). L’édition Lanauve de Tartas (1948) est beaucoup plus rare, en revanche, puisqu’on n’en connaît que 200 exemplaires. Une partie du manuscrit de Casse-pipe (commencé en 1936, dispersé et perdu en 1944, publié en 1949) était vendue au cours d’une vacation d’autographes, la même année. La vente proposait également un pastiche de Céline fait par Albert Paraz et relatif au prix Nobel. En marge, Céline a porté cette mention ironique : « Moi, regarde, si j’avais conseillé à tous les jeunes gens de se faire…, j’aurais remporté le Nobel comme Gide ; le Parlement aurait voté un budget spécial pour acheter ma maison ! La convertir en musée ! » Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 83 Réfugié politique Sous l’autorité de Mes Ader, Picard et Tajan, lors d’une autre vente, 70 lettres de Céline étaient proposées aux amateurs. Adressées de son exil danois à son ami d’enfance, le joaillier Georges Geoffroy, entre 1947 et 1950, elle correspondent à l’époque où Céline accomplit sa traversée du désert. L’écrivain, qui vient juste de sortir de prison, est traité en pestiféré. Ses lettres traduisent souvent son désespoir. « Nous sommes ensevelis dans notre supplice, écrit-il le 5 juin 1947, gorgés de chagrin, de misères et d’outrages en tout genre. (…) On a tué Denoël, mon éditeur… dans la rue… nous avons presque tout perdu – brûlés, pillés, dépouillés par des amis sur lesquels nous comptions. (…) Je ne sais pas si l’on me gardera ici comme réfugié politique – je l’espère – si l’on me livrera à la France… je ne crois pas. En tout cas, je n’ai plus aucun moyen de gagner ma vie… Je suis tombé ici sur un ambassadeur de France, petit premier n° 1… qui a servi Vichy toute la guerre et qui voulait se racheter en me faisant livrer. Quel courage ! Il a relancé les Danois si bien que je suis resté 17 mois en réclusion. » 84 POLITIQUEMENT INCORRECT On se rend compte, à lire ces lignes, à quel point ce genre de document est important pour la connaissance de Céline. Mais que dire alors du manuscrit autographe de Férie pour une autre fois – Normance qui fut vendu le même jour ? Trois mille six cent quatrevingt-deux feuillets donnant des versions parfois très différentes de l’édition définitive publiée en 1954 chez Gallimard. Normance, c’est la chronique colorée d’un immeuble de Montmartre pendant le bombardement de Paris par la RAF. Le personnage central du roman s’appelle Normance, un « popotam ronfleur ». Lui, Céline, le narrateur, se veut « philosophe du pratrabroumm ». Du Jacques Perret réécrit par Frédéric Dard, en quelque sorte. À feuilleter ces manuscrits, on découvre un Céline pointilleux, perfectionniste. Ces phrases hachées, bourrées de points d’exclamation et de points de suspension, ces éructations délirantes ne jaillissaient pas spontanément du stylo. Elles sont le fruit d’un travail laborieux. C’est toute la différence, précisément, entre Céline et Frédéric Dard. Ce n’est pas seulement parce qu’il sent le soufre que Céline suscite cet engouement chez les collectionneurs, comme en attestent les prix Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 85 records atteints par certains de ses manuscrits (100 000 € le manuscrit autographe de Mort à crédit, en 1984, et ensuite des prix toujours plus élevés), c’est aussi parce qu’il apparaît de plus en plus clairement qu’il est l’un des deux ou trois écrivains français qui laisseront leur empreinte indélébile sur la littérature du XXe siècle. Le Bulletin célinien BP 70, B1000 Bruxelles 22, Belgique. Chapitre 13 Paul Chack, figure de proue de la littérature maritime Paul Chack est né en 1875 d’un noble irlandais et d’une cantatrice. Sa vocation à lui, c’est la mer : « J’ai été marin, écrit-il dans Tu seras marin. Quarante années durant, j’ai servi (…) À bord de quinze bâtiments de guerre, j’ai exercé à peu près tous les métiers. J’ai fait mes premiers quarts à la voile, tour à tour sur deux frégates. J’ai parcouru les sept mers et bien des terres. À l’époque de la piraterie tonkinoise, j’ai briqué le fleuve Rouge, la rivière Claire et la rivière Noire. J’ai été spécialiste de l’électricité, de la torpille et du canonnage. J’ai commandé un sous-marin en temps de paix et un contre-torpilleur pendant la guerre. Bref j’ai servi ». En 1921, capitaine de Frégate, Paul Chack devient le responsable du Service historique de la marine. Deux ans plus tard, il publie à la Société 88 POLITIQUEMENT INCORRECT d’Éditions géographiques maritimes et coloniales, sous la direction du service historique et de l’état-major de la marine, une très volumineuse étude : La Guerre des Croiseurs. C’est sans doute le plus rare des ouvrages de Paul Chack : près de 900 pages en deux tomes. J’ai trouvé ces ouvrages au très plaisant marché au puces de Châteauroux (le 1er dimanche de chaque mois, d’octobre à juillet), pour 70 € seulement. Il est vrai qu’il manquait les atlas, en principe joints. Chez Flammarion, il publie en collaboration avec un autre écrivain de la mer, Claude Farrère, deux ouvrages consacrés aux premiers mois de la guerre de 14 : Sur mer et Deux combats navals, puis Combats et batailles sur mer, toujours avec Claude Farrère (3 € pièce aux puces de Châteauroux). En 1931, il écrit une biographie de Du Chaffault, sous le titre L’Homme d’Ouessant (Librairie de la Revue française). Marins à la bataille Mais Paul Chack a été remarqué par Horace de Carbuccia ; et il va devenir, avec Henri Béraud, Joseph Kessel, Marcel Prevost et Maurice Larrouy (autre écrivain maritime) l’un des principaux auteurs de « l’écurie » des Édi- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 89 tions de France. Tous ses livres vont alors être publiés aux Éditions de France : Tu seras marin, Branlebas de combat, Ceux du blocus, Sur les bancs de Flandre, On se bat sur mer, Ho Ang-Tham Pirate, Deux batailles navales, Pavillon haut, Traversées épiques, Croisières merveilleuses. Ces ouvrages ne sont pas rares. Les tirages étaient importants. Tous ceux qui avaient fait la guerre dans la marine, en particulier sur les théâtres d’opérations extérieures, souhaitaient faire l’acquisition de ces livres. Les couvertures étaient illustrées par un excellent peintre de marine, Léon Haffner. J’ai acquis chacun de ces livres entre 1,5 et 12 €, selon l’état, le tirage, la présence d’un envoi. Tu seras marin, Traversées épiques et Croisières merveilleuses sont toutefois plus difficiles à trouver. Le Courbet, de chez Amiot-Dumont, est une courageuse édition de l’immédiat après-guerre (1949). L’ouvrage possède une jaquette illustrée d’une belle aquarelle de Charles Fouqueray, autre grand peintre de marine. Mon exemplaire ne m’a coûté que 10 € (Parc Brassens, 1998). Il est bien complet, avec sa bande publicitaire : « Un inédit de Paul Chack, une de ses plus belles réussites ». 90 POLITIQUEMENT INCORRECT Mais les séries les plus collectionnées sont les séries « Marins à la bataille » et « La Mer et notre Empire » : 23 ouvrages, dont la parution s’est échelonnée de 1937 à 1942. Les premiers ouvrages, qui se présentaient sous la forme de plaquettes d’une centaine de pages, avec une illustration en couleur pleine page d’Haffner, sont très courants. Un bon chineur les trouvera facilement, pour une somme modique (j’ai payé les miens de 2 à 6 €). Tout se complique avec les derniers numéros, ceux de la série « La Mer et notre Empire », parus pendant l’Occupation, avec des tirages plus modestes. Les tous derniers titres, comme Du « Soleil royal » à la « Normandie », publiés dans un format plus petit, en 1942, ne sont vraiment pas fréquents. Aucune étude importante sur l’œuvre de Paul Chack n’a été réalisée, à ma connaissance. Outre sa grande expérience maritime, ses sources furent sans doute les différents journaux de bord qu’il pouvait consulter au Service historique de la marine. Ses livres sont souvent accompagnés de cartes et de croquis, qu’il réalisait lui-même, et qui sont extrêmement précis et exacts. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 91 Président de l’Association des écrivains combattants, Chack est anticommuniste et aussi anglophobe, comme nombre d’officiers de la Royale, une anglophobie qui sera exacerbée par le massacre de Mers-El-Kébir. En 1941, il fonde à Paris le Comité d’action antibolchevique et organise l’exposition « Le Bolchevisme contre l’Europe » à la salle Wagram, en juin 1942. Jean Mabire a écrit, dans Que lire ? : « Paul Chack croit au mythe de la croisade européenne contre le péril rouge, qui remplace le péril jaune de sa jeunesse. Comme on dit vulgairement, il se mouille ». Il participe ainsi à la création d’un vague Front révolutionnaire national, qui n’a pas laissé de traces bien éblouissantes. Suffisantes, toutefois, pour qu’il soit arrêté le 23 août 1944. En même temps que Sacha Guitry. Et la veille de l’arrestation de Béraud. Jugé le 18 décembre 1944, il sera fusillé le 9 janvier 1945. On dit qu’il aurait flanché devant ses juges. Mais Pierre Malo, qui l’a vu partir à la mort, raconte : « Je n’oublierai jamais la silhouette de cet homme. Il était d’un calme extraordinaire, d’un calme hautain, impavide, méprisant ». 92 POLITIQUEMENT INCORRECT J’ai tout Paul Chack ! Dans Quinze jours avec la mort, Henri Béraud a raconté les quelques mots échangés avec Paul Chack, peu avant son assassinat légal : — Au revoir, Chack, je vais prier pour vous ! — Au revoir, cher Béraud, moi aussi je vais prier pour vous… Sa dernière phrase, Béraud put l’entendre de sa cellule : « Vive la France ! ». « Vive la France ! Je meurs pour mes idées », précise le Dictionnaire commenté de la Collaboration française, de Philippe Randa. Aux Éditions France Empire, en 1969, l’écrivain maritime Jean-Jacques Antier a complété les œuvres de Paul Chack, pour donner en trois tomes, sous leur double signature, une monumentale Histoire maritime de la Première Guerre mondiale. Jean-Jacques Antier reconnaît qu’il doit sa vocation de reporter naval à Paul Chack. Il se place d’ailleurs en digne héritier littéraire du Commandant Chack. Mais mise à part cette notable exception, Paul Chack continue à subir un scandaleux ostracisme. Dans le catalogue Le Livre de la Mer, d’un récent Salon du livre maritime de Concarneau, Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 93 il n’était même pas cité ! Et si la Maison des écrivains de la mer de Saint-Gilles-Croix-de-Vie fait figurer cet auteur en bonne place, il est arrivé, nous explique son président et fondateur, qu’un visiteur s’en indigne, incapable toutefois d’expliquer en quoi cette présence justifiait son indignation. Ah, si, il avait été fusillé en 1945. Alors, vous pensez ! Quant à moi, avec mes quarante-quatre ouvrages de Paul Chack, trouvés en quinze années de chine – avant Internet, Ebay et les sites de livres rares – je peux briller dans les dîners parisiens avec cette simple phrase : « J’ai tout Paul Chack ! ». Chapitre 14 Cinéma : d’Arletty à Raimu, que le meilleur Citez-moi un réalisateur de cinéma ayant fait des films vraiment incorrects, sur le plan politique ? Le nom que je vais vous citer ne vous serait certainement pas venu spontanément à l’idée : Marcel Pagnol. Oui, Marcel Pagnol, celui du Château de ma mère et de La gloire de mon père. Au tout début du cinéma parlant, les thèmes de la préférence nationale et de l’antiparlementarisme étaient très présents, et Pagnol contribua à les alimenter. Sa pièce Topaze est portée à l’écran en 1932 (elle le sera de nouveau en 1936, et en 1950 avec Fernandel). Dans cette pièce, l’antiparlementarisme est fortement exprimé. Pagnol est en phase avec les manifestants du 6 février. Dans Le Schpountz (avec Fernandel également), Pagnol se livre à une satire du monde du cinéma, aux mains des milieux cosmopolites les 96 POLITIQUEMENT INCORRECT plus insupportables. Pagnol développe le même thème que Paul Morand dans son roman Francela-Doulce. L’affairisme cosmopolite est un thème qui revient durant tout l’avant-guerre. On pense à l’excellente comédie Ces messieurs de la santé, avec Raimu, Pauline Carton et Edwige Feuillère. On pense à La Banque Nemo (1934), un film rarissime qui raconte comment un ancien employé de bureau, très ambitieux, peut, en toute impunité, commettre les pires escroqueries avec la complicité d’hommes politiques. Ce film fit l’objet de tentatives d’interdiction, et certaines scènes furent coupées, en particulier celle d’un conseil des ministres fort peu à l’honneur desdits ministres. Ce film n’a jamais été rediffusé depuis 1934. Qui en détient une copie ? Une copie sans les coupures ? Dans Le Père Lampion (1934) du grand réalisateur Christian-Jaque (Les Disparus de SaintAgil, Fanfan la Tulipe, Babette s’en va-t-en guerre, etc), un égoutier, sosie du président du Conseil, devient président du Conseil à la suite d’un coup d’État, et dirige bien mieux le pays que le politicien à qui il a succédé. D’autres films de la même époque, Baccara (1935), Le Roi (1936, avec Raimu et Gaby Morlay) semblent influen- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 97 cés par les retombées de l’affaire Stavisky et comportent de violentes critiques de l’affairisme républicain. Un second thème des films que l’on pourrait qualifier de politiquement incorrects, selon les critères actuels de nos soi-disant faiseurs d’opinion, est celui du patriotisme. Dans Les Hommes nouveaux (1936) Marcel L’Herbier, à partir d’un roman de Claude Farrère, évoque l’œuvre de Lyautey au Maroc. Jacques de Baroncelli exploite la même veine dans L’Homme du Niger (1939). La Grande Illusion (1937) était sûrement un film de gauche, dans l’esprit de son réalisateur, Jean Renoir, si proche des communistes. En fait, c’est l’un des plus beaux films d’hommage à l’esprit aristocratique, et aux valeurs patriotiques. Les acteurs, Gabin, Von Stroheim, et surtout Pierre Fresnay, ont totalement transformé l’esprit du film. À partir de 1936, les films politiquement incorrects (selon les critères d’aujourd’hui, pas à l’époque de leur sortie) sont nombreux : Marthe Richard au service de la France (1936), Les Otages (1939), Trois de Saint-Cyr, qui fut un énorme succès (1938), Légion d’honneur (1938), Le chemin de l’honneur (1939), Sœurs d’armes (1937), Passeur d’hommes (1937), Deuxième bureau contre 98 POLITIQUEMENT INCORRECT Kommandantur (1939), Les Héros de la Marne (1938). Venus d’Allemagne, d’autres films exaltent un autre nationalisme. On pense au Jeune hitlérien Quex (1934) ou encore au très beau Triomphe de la volonté de l’incomparable cinéaste, la belle Leni Riefenstahl (1934). Tous les spécialistes du cinéma savent (mais personne n’ose le dire, à part quelques vrais bons spécialistes comme Philippe d’Hugues ou le jeune Pascal-Manuel Heu) que l’Occupation fut l’âge d’or du cinéma français. À l’abri de la concurrence américaine, et avec un public n’ayant guère le choix des distractions et dont les déplacements étaient limités, les réalisateurs français : Marcel Carné, Jacques Prévert, Claude Autant-Lara, Marcel L’Herbier, Jean Grémillon, Jacques Becker, Jean Delannoy, Robert Bresson, Christian-Jaque, Henri Decoin, André Cayatte, Louis Daquin, Abel Gance, HG Clouzot ont tourné, ces années-là, leurs meilleurs films. Deux cent vingt films de fiction ont été tournés pendant la période de l’État français. Les thèmes sont toujours positifs et mettent en valeur la France, en particulier dans sa dimension rurale. Les Visiteurs du soir, de Prévert et Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 99 Carné, énorme succès de l’époque, est un film médiéval romantique, en rupture avec l’ambiance amorale de l’avant-guerre. Et pourtant ni Prévert ni Carné ne passaient jusque-là pour de dangereux dynamiteurs des valeurs républicaines. Dans le même genre, il y a L’éternel retour (1943) inspiré de Jean Cocteau. D’après le spécialiste du cinéma, Jacques Siclier, homme de gauche, les films les plus influencés par « l’ordre moral et social » du maréchal Pétain furent Le Voile bleu (1942) avec Gaby Morlay, Signé illisible (1942), La Loi du printemps (1942), Cap au large (1942), Monsieur de Lourdines (1942), d’après un roman du fasciste (il ne s’en cachait guère) Alphonse de Chateaubriant, Port d’attache, Le Carrefour des enfants perdus (1943), Le Bal des passants (1943), Jeannou (1943), Patricia (1942), Le Moussaillon (1943). Quel cinéphile nous permettra-t-il un jour de voir ces films ? Il faut signaler deux courts métrages de la société Nova Films : Les Corrupteurs, contre le capitalisme, et Forces occultes, sur la franc-maçonnerie. Plusieurs films furent interdits à la Libération par les épurateurs : Les Inconnus dans la maison d’Henri Decoin, d’après Simenon, La Vie de 100 POLITIQUEMENT INCORRECT plaisir, et aussi Le Corbeau de Clouzot. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde pour qualifier Le Corbeau de chef-d’œuvre ; on en fait même un film résistantialiste, Clouzot étant censé avoir ainsi critiqué indirectement « les collaborateurs qui dénonçaient les juifs ». Mais cette légende-là, nul n’avait encore eu l’idée de la construire en 1944. Le film fut donc interdit et Clouzot eut quelques ennuis. Il faut dire que dans l’ambiance août-décembre 1944, les épurateurs exploitaient des sacs postaux entiers de lettres de dénonciation des collaborateurs supposés. Combien de malheureux innocents furent assassinés, emprisonnés, combien de femmes furent tondues, eurent les pointes de seins coupées, furent promenées nues dans les rues de leur ville ou de leur village, parce qu’un sale corbeau les avait dénoncées. On comprend que le film Le Corbeau ait pu donner mauvaise conscience à ces justiciers improvisés, résistants de la 25e heure. Évidemment le cinéma non conformiste traversa un passage à vide dans la France d’après-guerre, passage à vide qui n’est d’ailleurs pas terminé tant la prégnance marxiste, puis post-marxiste, et en tout état de cause cosmopolite, fut et reste forte dans ce secteur. Bien sûr on peut classer films de Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 101 droite le Nez-de-cuir dYves Allégret, d’après le roman de Jean de la Varende, La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara, d’après le chef-d’œuvre de Marcel Aymé, Le Caporal épinglé d’après le royaliste Jacques Perret, autre film de Renoir, qui fut décidément un curieux cinéaste de gauche. Ou encore Le Feu follet, d’après le roman de Drieu La Rochelle. Ces films sont d’abord des histoires, racontées à partir de bons livres. Un point c’est tout. Parmi les cinéastes de l’après-guerre, certains vont passer pour être de droite, au simple motif qu’ils ne sont pas communistes et qu’ils n’appartiennent pas à l’intelligentsia de gauche : JeanPierre Melville, Alexandre Astruc, Éric Rohmer, Jacques Rivette, François Truffaut. Ce dernier écrit d’ailleurs dans Arts, l’hebdomadaire culturel de Jacques Laurent. Mais ces cinéastes n’ont pas réalisé de films que l’on puisse vraiment considérer politiquement incorrects ou non conformistes. C’est l’Algérie française qui va nous donner l’occasion de renouer avec un cinéma de droite. Robert Enrico avec La belle vie (1963), Alain Cavalier avec Le Combat dans l’île (1961) et L’Insoumis (1964), René Gainville avec Le Complot (1973), Pierre Schoendoerffer avec La 102 POLITIQUEMENT INCORRECT 317e section (1964), Le Crabe-Tambour (1977), L’Honneur d’un capitaine (1982) nous donnent des films de droite, mais finalement plutôt acceptables par le PC (le politiquement correct). En fait il n’y a jamais eu, après la guerre, à droite, de films comparables à Z ou à Dupontla-joie, c’est-à-dire de films militants, partisans. C’est des États-Unis que nous sont venus les premiers vrais films de droite, avec Les bérets verts de John Wayne, les séries de Chuck Norris, de Silvester Stallone ou de Clint Eastwood, ou encore le superbe Soleil de nuit avec le danseur russe Mikhaël Barichnikov, réfugié à l’Ouest. Vent d’Est, le film de Robert Enrico, largement boycotté par la presse politiquement correcte, est peut-être le premier film français franchement à droite de l’après-guerre. Sa carrière dans les salles de cinéma a été très courte. Sa carrière vidéo un peu plus longue. Quant au collectionneur, il cherchera bien évidemment à se procurer les affiches de ces films (salons du vieux papier, bouquinistes du Parc Brassens…). Ouvrage de référence : Le Cinéguide par Éric Leguèbe, repris ensuite par Pierre Malpouge, collection Omnibus Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 103 Le film le plus anticommuniste de tous les temps Le film s’appelle Bolchevisme. Il date vraisemblablement de 1919. C’est la Cinémathèque royale de Bruxelles qui l’a découvert, restauré et reproduit. C’est un film muet, bien entendu, en cinq bobines. Les titres et les dialogues écrits sont en deux langues : français et flamand. Ce film pose une énigme. On ne sait qui l’a tourné, ni où, ni quand exactement. On ne connaît pas les acteurs. La Cinémathèque royale a consulté le Gosfilmofond à Moscou, qui ne sait rien, ou prétend ne rien savoir. Aucun spécialiste ou historien du cinéma n’est capable d’apporter quelque précision que ce soit. La Cinémathèque royale de Belgique centralise les informations éventuelles qui permettraient d’en savoir plus. Ce film est à la fois émouvant et symptomatique. Il est émouvant car plusieurs éléments semblent prouver qu’il a été tourné par des émigrés russes et que les acteurs eux-mêmes sont russes. Les visages, les costumes, les attitudes ont un ton d’authenticité qui a frappé ceux qui l’ont vu. Au-delà de la valeur de propagande, il y a l’intérêt ethnologique. Le film est symptomatique, en outre, car il prouve, s’il en était enco- 104 POLITIQUEMENT INCORRECT re besoin, que l’on savait tout, ou que l’on pouvait tout savoir, dès les années vingt et même en 1919, sur ce qui se passait réellement en URSS. Bolchevisme a été tourné en décors réels, avec des moyens limités. Son authenticité lui donne pourtant une grande force. C’est en toute hypothèse, comme l’écrit Raymond Borde pour les Archives de la cinémathèque de Toulouse, « un témoignage de première main sur l’état d’esprit des Russes blancs ». Le film comprend quatre parties : avant la Révolution, la Révolution, le nouveau régime, la fuite. Trois personnages ont des rôles de premier plan : Élisabeth, une fille de l’aristocratie russe, qui adhère au bolchevisme, puis s’en écarte avec horreur ; Olga, autre jeune aristocrate qui parviendra à fuir l’URSS dans un wagon à bestiaux ; Labedjew, un ancien palefrenier devenu commissaire politique. Le film se termine bien, puisque les héros parviennent à échapper aux Rouges. Mais le cours du récit ne cache rien des monstruosités du régime nouveau : la bureaucratie, les tribunaux populaires, le vol et les violations de domicile, la Tchéka toute puissante. L’une des scènes, particulièrement réaliste, se déroule dans les caves de la Tchéka : on assiste à la mise à Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 105 mort de deux détenus, abattus dans le dos, au revolver : « Pour aujourd’hui, nous avons assez diminué la liste des bourgeois », s’exclame, joyeux, le chef des tchékistes. Le film se termine par cette déclaration d’Élisabeth : « J’ai tout perdu. Mon idéal a été foulé aux pieds. J’avais cru que le bolchevisme apporterait le bonheur à l’humanité. Il a rendu les hommes encore plus mauvais. Ce pauvre peuple que j’ai cru émanciper, il n’a jamais été plus esclave de ses chefs. Le bolchevisme a tué toutes mes espérances. » On croirait l’une de ces innombrables confessions d’anciens bolchevistes, telles qu’on en lisait périodiquement dans les colonnes du Monde ou telles qu’on en entendait chez Bernard Pivot, il y a quelques années. On croirait lire du Pierre Daix, du Jean Ellenstein, du Roger Garaudy première manière, etc. Chapitre 15 Décorations : Les nationaux furent souvent des collectionneurs qui s’ignoraient Phaléristiques : en êtes-vous ? Ce n’est ni une maladie tropicale, ni un terme scientifique pour évoquer des pratiques cochonnes. La phaléristique, c’est autre chose. Ceux qui ont étudié le latin et l’histoire romaine se souviennent peutêtre que le phalère était une médaille destinée à récompenser les légionnaires romains, lorsqu’ils avaient fait preuve d’un courage particulier sur le champ de bataille. Cette médaille, ils la portaient ensuite sur la poitrine, mais parfois aussi sur le casque ou sur le harnachement du cheval. La phaléristique, aujourd’hui, c’est tout simplement le nom que se donnent les collectionneurs de décorations militaires ou civiles. Il y avait la philatélie, la cartophilie, la bédérastie (bande dessinée), etc. Alors pourquoi pas la phaléristique ? 108 POLITIQUEMENT INCORRECT Même si nous ne sommes pas issus de familles de militaires, nous possédons certainement dans nos archives familiales quelques décorations de soldats : les croix de guerre et médailles commémoratives 1914-1918 d’un grand-père ou d’un vieil oncle. L’héroïsme de toute une génération La phaléristique est une façon de remettre à l’honneur ces documents qui attestent du courage physique dont sut faire preuve notre peuple aux heures sombres Et si les décorations liées à la Grande Guerre sont les plus répandues, c’est précisément parce que leur nombre est à la mesure de l’héroïsme de toute une génération. Faites excuse, messieurs les naturalisés de fraîche date. Mais il me semble que ceux qui ont eu un grand-père trois fois blessé et deux fois gazé à Verdun, et deux ou trois oncles portés disparus aux Éparges et sur la Marne, sont encore plus Français que d’autres. Oh ! ces propos ne visent pas forcément les Beurs et Africains noirs récemment francisés. N’oublions pas que les régiments coloniaux eu- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 109 rent leur part de sacrifice. Je pense d’ailleurs qu’ils auraient dû être et rester français, par le sang versé. Mais un fossé ne peut pas ne pas exister entre les petits-enfants de ceux qui montèrent à l’assaut des tranchées allemandes en chantant « Demain sur nos tombeaux les blés seront plus beaux », et ceux qui viennent tout juste de choisir la France parce que le niveau de vie y est meilleur. « Revenons à la phaléristique ! », me direz-vous. Vous avez raison : je m’écarte du sujet ; mais avouez aussi qu’à partir d’une poignée de décorations militaires, il est possible de se livrer à d’intéressantes – et très actuelles – méditations ! Alors, premier acte du futur collectionneur : exhumer du grenier les décorations du grandpère, les sortir de leur cadre poussiéreux, les nettoyer (à l’eau savonneuse tiède) et les ranger soigneusement dans un médaillier, ou mieux, à la place d’honneur, dans une vitrine. Ne pas oublier de noter sur un carré de bristol l’intitulé de la décoration, le grade dans l’Ordre, et surtout la date d’attribution avec le nom du récipiendaire. Faire ces simples gestes, c’est déjà ressusciter un peu du patrimoine familial, remettre à l’honneur la patrie charnelle. 110 POLITIQUEMENT INCORRECT Toutes les médailles Si vient ensuite le virus du collectionneur, alors les domaines d’investigation sont nombreux. Nous vous conseillons tout particulièrement : – les médailles liées à la Restauration : ordre du Lys (1814), ordre du Brassard de Bordeaux (1814), croix des Volontaires royaux (1815), ordre de la Fidélité (1816) ; – les médailles liées à la guerre de 1870–1871 qui évoquent Detaille, Neuville, Sonis, Déroulède et la naissance du nationalisme moderne ; – celles de l’épopée coloniale, aux noms qui chantent au cœur : médaille du Dahomey, médaille du Tonkin, etc ; – les médailles civiles qui rappellent que la colonisation fut aussi une belle aventure humaine : médailles d’honneur des épidémies (Algérie, Colonies, France d’Outre-Mer, 1900 et 1927) ; – la rare médaille de Corée (1952). Ceci sans oublier l’inépuisable variété des médailles étrangères : de la Croisade contre le communisme (Roumanie) à la Croix de Fer 1re classe en passant par celles du Front de l’Est ou les ordres généreusement accordés par l’empereur Bokassa. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 111 Symptomatique : les décorations des pays de l’Est de l’époque communiste sont souvent éditées dans un métal de mauvaise qualité, type fer blanc. La phaléristique est-elle de droite ? Certainement. Imagine-t-on Karl Zéro, Harlem Désir, Renaud ou José Bové présenter leur collection de décorations militaires ? Et puis à droite beaucoup font de la phaléristique sans le savoir. Il suffit de regarder la poitrine des militants du Cercle national des combattants, lors des défilés de Jeanne d’Arc ! Pour progresser dans cette science, nous vous renvoyons à un petit manuel écrit il y a quelques années par Fernand Leplat : La phaléristique ou collectionner les décorations. Fernand Leplat était (je crains qu’il ne soit plus de ce monde à l’heure où j’écris ces lignes) le détenteur de la plus grande collection privée de médailles et décorations. Il m’avait dit un jour qu’investir dans une collection de décorations, cela valait du SaintGobain. Aujourd’hui on dirait du Bouygues ou du PPR. Alors pourquoi ne pas joindre en effet l’utile à l’agréable ? Chapitre 16 Dédicaces : dans l’intimité de nos grands hommes Le collectionneur de dédicaces court de salons du livre en fêtes des Bleu-Banc-Rouge (BBR), de journées de Chiré en journées de Radio Courtoisie, pour obtenir de ses auteurs préférés les quelques lignes hâtivement rédigées qui enrichissent les pages de garde de ses livres. Que cherche ainsi le collectionneur ? À se prouver que l’intimité avec l’auteur est allée audelà d’une simple communion dans l’instant de la lecture. Mais les brocantes, les puces, les salons du vieux papier permettent également de se procurer les dédicaces d’auteurs du passé, adressées à d’autres. Ici le jeu consiste à dénicher un envoi plus dense qu’une simple formule de politesse, sur grand papier, c’est-à-dire sur une édition de tête – écrite par une personnalité à une autre personnalité. 114 POLITIQUEMENT INCORRECT Voici deux exemples de trouvailles récentes. En 1938, Paul Marion, dirigeant du PPF de Doriot, ancien militant communiste et futur ministre du maréchal Pétain, dédicace le programme politique du PPF à Pierre Laval (45 €, salon des antiquaires de la Porte Champerret). Autre dédicace amusante : celle de Georges Valois, auteur d’une pièce intitulée Journée d’Europe, à Gaston Bergery (15 €, Puces de Vanves). Valois est un ancien anarchiste, passé à l’Action française, dont il sera l’un des principaux dirigeants. En 1926, il rompt avec Maurras pour créer le premier parti fasciste français, avant de dériver à gauche. Il mourra dans un camp de concentration allemand, pendant l’Occupation. Gaston Bergery, le bénéficiaire de la dédicace est un dirigeant radical, donc de centre gauche, au moment où Valois lui offre ce livre. Bergery deviendra, sous l’Occupation, un farouche partisan de la Collaboration. La dédicace fait allusion à Marcel Bucart en le critiquant. Bucart milita avec Valois, avant de créer son propre parti, les Francistes. Il fut fusillé en mars 1946 pour collaboration. Cette courte dédicace résume en quelque sorte tous les chassés-croisés idéologiques de l’avantguerre et de l’Occupation, et le destin tragique Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 115 d’une génération divisée avec elle-même, mais qui se battit toujours pour la France. Les puces peuvent réserver quelques étrangetés dans ce domaine. Ainsi un brocanteur de la porte de Vanves proposait en 1989 à ses clients les derniers romans parus à des prix défiant toute concurrence : quelques euros pour Le bal du dodo, L’île bleue, Le royaume d’Arles, le dernier Volkoff, etc. Tous ces livres étaient dédicacés à l’Académicien Jacques Laurent, alias Cécil Saint-Laurent. Assortiment de mots gentils qui lui avaient été adressés, et qui ont terminé chez les puciers, alors que l’encre du stylo n’était pas encore sèche : Didier Decoin pour Meurtres à l’anglaise, Éric Ollivier pour Les godelureaux, Pierre Bourgeois pour Sade, Jean Duché pour Pour l’amour d’Aimée, etc. Tous livres provenant des services de presse. Ce qui prouve que Jacques Laurent vendait aussitôt au poids les livres qu’on lui offrait. Mais il faut dire que, bien que goncourisé, il n’avait guère de place pour stocker ses livres : il vivait dans un modeste appartement, et son vrai lieu de vie était plutôt la brasserie Lipp. Chapitre 17 Le déroulédisme reste encore une passion bon marché Le déroulédisme est une maladie rare, très rare. Elle peut néanmoins s’attraper aux détours d’un salon du vieux papier de collection. Vous ne connaissiez jusqu’à ce jour Déroulède que de nom. Il évoquait pour vous une longue silhouette à petite tête et barbiche, un personnage à la limite de la politique et du comique, un poète pompier et suranné. Et dans ce salon du vieux papier, voilà que vous êtes séduit par une belle édition illustrée des Feuilles de route, un in-quarto de 280 pages relié en demi-chagrin et comportant en couverture un dessin en relief. Vous déboursez les 25 € que vous en demande le brocanteur. Et non content de prévoir sa place dans votre bibliothèque, vous vous risquez à l’ouvrir et à le lire. C’est simple, c’est rapide, c’est comme cela que l’on devient un ami de Paul Déroulède. 118 POLITIQUEMENT INCORRECT Patriote, il l’était certainement. Jusqu’à l’excès ? Mais peut-on reprocher un excès d’amour ? Seule l’indifférence est condamnable. Pompier ? Évidemment, mais quand il écrit ses Chants du soldat (Cotés 60 € pièce), il y a le feu à la maison France. Personnage fascinant et méconnu, personnage injustement moqué, agitateur hors pair : voilà le Déroulède qu’il s’agit à présent de redécouvrir. Dure mission que de vouloir faire aimer Déroulède. À la différence d’autres figures du patriotisme français, l’auteur des Chants du soldat est plus souvent brocardé que critiqué. Il ne suscite pas non plus cette dévotion que l’on trouve chez les maurrassiens pour Maurras, les anciens Croix-de-Feu pour La Rocque, ou les admirateurs de la duchesse de Berry. Il fallait être Belge pour créer une association des Amis de Paul Déroulède. Force est de constater qu’au terme d’une quinzaine d’années d’existence le bilan n’est pas négligeable. Il faut en particulier noter que les seuls ouvrages de Déroulède disponibles sont ceux qu’a précisément réédités l’association belge des amis de Paul Deroulède : Corneille et son œuvre, Hommage à sainte Jeanne d’Arc, Refrains militaires, Marches et sonneries, Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 119 Chants du paysan, Chants du soldat, Nouveaux chants du soldat. Des plaquettes d’une quarantaine de pages chacune, vendues au modeste prix de quelques euros l’unité. Les chants du soldat L’association édite également un bulletin au tarif d’abonnement lui aussi ultra compétitif. La chronique la plus étonnante, dans ce bulletin, est la cote bibliophilique de Paul Déroulède. La dimension littéraire du personnage est privilégiée, et une recension régulière nous donne le cours du Déroulède sur le marché du livre ancien. Les chants du soldat en édition brochée se vendent autour de 12 €, de même que la biographie des frères Tharaud, La vie et la mort de Paul Déroulède. Les Feuilles de route dans une reliure demi-toilée sont proposées à 16 € par un libraire. Un exemplaire sur hollande bien relié de la pièce de théâtre La Moabite s’est vendu 100 €, il y a quelques temps. Le volume, daté de 1881, comportait un bel envoi autographe. Cette pièce de théâtre fut interdite par la censure. Notons enfin qu’une lettre autographe de Paul Déroulède peut se vendre autour de 50 €. 120 POLITIQUEMENT INCORRECT Le déroulédisme reste donc encore, pour l’heure, un culte bon marché. Les amis de Paul Déroulède, BP 1446B, 1420 Braine l’Alleud, Belgique L’analyse graphologique de Paul Déroulède On le sait depuis l’affaire Dreyfus, qui a révélé la culpabilité du capitaine après une savante analyse de son écriture, la graphologie est une science à peu près exacte ; aussi est-ce avec beaucoup d’intérêt que j’ai acquis, en 2002, au marché du livre ancien du Parc Brassens, à Paris, pour la royale somme de 2 €, une analyse graphologique détaillée de Paul Déroulède. Il s’agissait en fait d’une conférence madame William Serieyx faite le 17 mars 1923, sous l’autorité de la société de graphologie. Cette conférence, présidée par Charles Le Goffic, et qui avait très exactement pour titre « L’écriture de Paul Déroulède », a fait l’objet d’une publication de vingt pages, ainsi que d’une affichette de 40 cm par 60 cm, avec une belle photo de l’homme politique, et la reproduction de plusieurs de ses lettres. Que nous apprend donc la graphologie, que l’on ne sache déjà de Déroulède ? Franchement Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 121 rien. Madame Seryex, dans cette conférence sans doute admirable, mais au cours de laquelle de nombreux ligueurs patriotiques piquèrent vraisemblablement du nez (comme à toutes les époques, les soldats et les héros résistent mieux à l’ennemi qu’à l’ennui), expliqua que « l’écriture de Déroulède, c’est l’unité dans la diversité. Ses gestes sont des étincelles, mais ramassez-les, vous aurez un feu… » Les militants de la Ligue des patriotes apprirent ainsi, effarés, que chez Déroulède, les barres des t sont « longues, marques de vivacité » ; « fines : plus de vivacité que de violence » ; « en coup de glaive : esprit caustique ». Dans sa signature, le D de Déroulède est penché, et même couché, « paraphe de lutte, menaçant et décidé ». Le corps de la signature de Déroulède est « gladiole » (?), » l’écriture monte, claironnante » (sic !). Il y en a donc comme cela vingt pages, avec en conclusion, les constantes de l’écriture de Déroulède : « Dynamisme et stabilité… force et souplesse…partout puissance, rayonnement de l’Idée pour laquelle on agit et dont on n’est que l’esclave. » (Applaudissements répétés des auditeurs.) 122 POLITIQUEMENT INCORRECT Tout cela est bien vu, n’est-ce pas ? Mais à la date où la graphologue nous livre les secrets de Déroulède, cela fait presque dix ans qu’il est mort. Sa vie s’était déroulée, avec pour public, toute la France patriotique : « Je ne suis qu’un sonneur de clairon, je ne veux pas, je ne peux être autre chose… ». C’était la moindre des choses que son écriture soit claironnante ! Il n’était pas très difficile à Madame Serieyx de faire la savante devant un parterre de vieux militants tout acquis à cette graphologie-là ! L’étude graphologique de Déroulède reste donc une curiosité. Et pour en savoir plus sur Déroulède, il vaut mieux s’en remettre par exemple à la collection des cinquante numéros du Bulletin des Amis de Paul Déroulède. Cette association s’est créée en 1983, en Belgique, et elle continue son étonnant travail. Une chose est sûre : si la forme des t prouve que Déroulède a su faire preuve de persévérance et de ténacité, que dire alors des déroulédiens belges, qui le célèbrent encore, prés d’un siècle après sa mort ! Le nom du chef de file des déroulédiens : JeanPierre Hamblenne. Un nom qui ne possède aucun t. Dommage ! Sa signature aurait sûrement été « claironnante », et sûrement aussi « gladiolée ». Chapitre 18 Dessins de presse : les plus condamnés sont les plus recherchés Au plan professionnel, c’est l’un de ces terribles inspecteurs du travail qui font trembler les chefs d’entreprise. Sans doute un « rouge », un « bolchevique », se disent-ils. D’autant qu’il en offre toutes les apparences physiques : la barbe noire en bataille, l’œil mauvais, le ventre agressivement pointé en avant. Mais dans le privé, Jean D., inspecteur du travail en banlieue communiste, est d’abord un collectionneur fanatique. Chaque week-end, en effet, Jean D. part, un sac de toile en bandoulière, en direction des marchés aux puces parisiens. À Vanves, La Villette, Montreuil, Clignancourt, au KremlinBicêtre, tous les ramasseurs de vieux papiers le connaissent. « Vous n’auriez rien sur l’Affaire ? Pas de cartes postales du Fort Chabrol ? Combien cette collection de La libre parole illustrée ? 124 POLITIQUEMENT INCORRECT C’est que la collection de l’inspecteur du travail Jean D. est très spécialisée. Il recherche les documents illustrés politiquement incorrects et patriotiques. D’avant 1914 uniquement. Son appartement est une caverne (on serait tenté d’écrire une caserne) pour Ali Baba politiquement incorrect. Dans son salon, les affiches antidreyfusarde les plus rares (et les plus folles) voisinent avec des gravures d’Alphonse de Neuville et des dessins originaux de Fouqueray. Cette caricature de Caran d’Ache, violente charge contre les francs-maçons, un brocanteur la lui a cédée pour une centaine d’euros. Une excellente affaire. Cette affiche grand format de Willette, illustrateur hors pair, et néanmoins candidat antisémite pour un siège de député à Montmartre, est une pièce peu banale non plus. Jean D. l’a payée 400 € dans un salon du vieux papier de collection. C’est un prix un peu élevé pour une affiche, mais honnêtement, qui résisterait à l’envie d’orner son salon d’un tel document (1,5 x 2 m) ? Forain, Abel Faivre, Caran d’Ache, Cham, Léandre, Willette, Steinlen, Sem, Gus Bofa : en ces temps-là, les caricaturistes et les dessinateurs de presse donnaient le ton du débat politique. Et Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 125 beaucoup des meilleurs, Forain et Caran d’Ache en particulier, ne faisaient pas mystère de leur engagement dans le camp politiquement incorrect. Dommage que Jean D. ait limité sa quête de documents iconographiques à la première partie de la IIIe République. Après 1914, en effet, une nouvelle génération de dessinateurs, tout aussi talentueuse, apparaît. Hermann-Paul, venu de l’extrême gauche, Sennep, Ben, Bib, Paul Iribe vont largement contribuer au succès de la presse de droite, et aux folles journées de janvier et février 1934. Dans une joute toute pacifique, ils affrontent les dessinateurs communistes ou progressistes, dont les plus célèbres s’appellent alors HP Gassier et Jean Effel. Jacques Letheve, qui est l’auteur d’un excellent petit ouvrage consacré à la caricature et à la presse sous la IIIe République, ouvrage lui-même épuisé aujourd’hui et recherché par les collectionneurs, constatait : « En 1870, la caricature française a déjà ses lettres de noblesse et nul ne peut oublier dans ce domaine les grands maîtres de l’époque Louis-Philippe. Mais avec la IIIe République, c’est de soixante-dix ans de liberté politique et morale presque absolue qu’elle va pouvoir profiter : de Gill à Sennep et de Daumier à Jean Effel, les 126 POLITIQUEMENT INCORRECT talents ne lui ont pas manqué non plus : quant aux journaux, ils sont si nombreux et si divers, qu’aucun autre temps ni aucun pays n’en a connu et n’en connaîtra peut-être de semblables. » Chez les collectionneurs, le dessin de presse bénéficie aujourd’hui d’un engouement considérable. Il est à la fois témoignage, œuvre artistique, instrument de communication et document historique. Et si Daumier (républicain) reste le plus recherché – certains de ses dessins ont battu des records, à Drouot – le gros bataillon des dessinateurs de droite, d’hier et d’aujourd’hui, prouve qu’il y a une tradition très vivace du dessin de presse dans cette famille de pensée. Konk, Redon, Miège, Pinatel, Chard, ces dessinateurs de presse sont tout à fait dignes de leurs grands ancêtres. Chapitre 19 Les formidables « Éditions de France » C’est en 1923, sous le patronage de Marcel Prévost, que le corse Horace de Carbuccia crée les Éditions de France. Cette maison va publier plus d’un millier d’ouvrages, en vingt ans. L’épuration, la fuite de Carbuccia (il ne réapparaîtra qu’en 1950) ont fait disparaître les Éditions de France, contraintes par la commission consultative d’épuration de changer de nom. Depuis lors existent les Éditions de Paris, qui poursuivent d’ailleurs une politique éditoriale intéressante (le catalogue peut être demandé aux Éditions de Paris : BP 301-07, 75327 Paris Cédex 07). Mais on a oublié que les Éditions de France constituèrent l’un des plus prestigieux lieux d’édition, avec des auteurs qui furent découverts, lancés, promus et magnifiquement publiés dans cette maison. 128 POLITIQUEMENT INCORRECT Des noms ? Marcel Prévost, d’abord, bien qu’il soit un peu (beaucoup) tombé de mode. Ce sont aussi ces extraordinaires écrivains de marine que furent Paul Chack et Maurice Larrouy. Inutile de parler d’Henri Béraud, qui fut l’un des plus grands auteurs de cette maison. Un contrat en or massif le liait à Carbuccia. La famille Carbuccia conserve encore pieusement dans sa bibliothèque les manuscrits de Béraud, merveilleusement reliés, ainsi que d’innombrables éditions originales, dédicacées à Adry de Carbuccia, l’épouse d’Horace. Les Éditions de France, c’est encore Joseph Kessel, grand reporter et grand soiffard devant l’éternel. C’est Francis Carco, Maurice Dekobra, Jean Galtier-Boissière (le directeur du prestigieux Crapouillot), Jacques de Lacretelle, Albert Londres, Pierre Mac Orlan, Somerset Maugham, ou des écrivains « d’investigation » comme Paul Allard ou Robert Boucard. Les tirages étaient phénoménaux, l’éclectisme de bon aloi. L’anti-Gallimard La collection « Le Livre d’aujourd’hui » proposait des livres à 6 francs, ce qui, dans les années trente, devait correspondre peu ou prou Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 129 à nos « Livres de poche ». Chaque livre comportait un dessin de couverture en couleurs. Une autre collection proposait des romans policiers. La collection s’appelait : « À ne pas lire la nuit ». un excellent titre générique, même si les romans étaient de valeur inégale. Pendant l’Occupation, Carbuccia publie quelques livres qui lui seront sévèrement reprochés en 1944 : quelques ouvrages de Philippe Henriot, du savant pétainiste Georges Claude, de Jacques Doriot. Des recueils d’articles polémiques de Béaud. Et puis cette plaquette de Carbuccia luimême : Adieu à mon ami anglais (cote : 28 €). Plus tard, Carbuccia reviendra en France. Mais ni Gringoire ni les Éditions de France ne purent ressusciter. Ce que publient aujourd’hui les Éditions de Paris est parfois remarquable. Mais l’éditeur avoue des tirages de quelques centaines d’exemplaires, quand Horace de Carbuccia, avec ses Éditions de France, dépassait souvent les 300 000 exemplaires, avec beaucoup de livres de ses auteurs fétiches. La spoliation de 1944, le vandalisme révolutionnaire, le communisme rampant, sont passés par là, pour faire taire un grand éditeur corse et français. 130 POLITIQUEMENT INCORRECT Il n’empêche que l’histoire des Éditions de France reste à écrire. Et que les collectionneurs bibliophiles devraient commencer à s’intéresser à cet éditeur qui publiait, sous des jaquettes bien illustrées, le meilleur de la littérature populaire au bon sens du mot. Les Éditions de France, c’était l’anti-Gallimard. Chapitre 20 « Fleuve noir » : sa rive droite a toujours été bien fréquentée La littérature populaire de langue française peut se résumer en trois collections-phares : Le Masque, qui est la plus ancienne, avec Agatha Christie comme étendard ; la Série noire, réputée intellectuelle, sulfureuse… et le Fleuve noir. Mais le Fleuve noir à lui seul forme déjà un océan dans le domaine de la littérature populaire. Pensez : 100 collections différentes, 1 000 auteurs, 10 000 titres, près d’un milliard d’ouvrages imprimés et vendus ! Tel est l’incroyable bilan, sur cinquante ans seulement, de cette maison dont San Antonio sera et reste l’auteur fétiche, et qui doit aussi une partie de son succès aux dessins de couverture réalistes, signés Gourdon ou Brantonne. Le Fleuve noir a toujours fait la part belle aux auteurs politiquement incorrects, et spécialement 132 POLITIQUEMENT INCORRECT d’extrême droite. À l’origine, le Fleuve noir est perçu comme « de droite », et la Série noire « de gauche ». Classement très arbitraire, au seul motif, sans doute, que dans la Série noire, les héros sont souvent des truands, des loosers, des anti-héros, tandis qu’au Fleuve noir, les policiers, les détectives, les justiciers ont généralement le beau rôle, et sont couverts de femmes. Mais José Giovanni, ADG, Albert Simonin, Peter Cheney, Ange Bastiani, André Duquesne, auteurs Série noire, peuvent difficilement passer pour des auteurs de gauche ! Et d’ailleurs André Duquesne, qui est l’auteur de quatre très bons romans à la Série noire, est aussi un auteur du Fleuve noir, sous le pseudonyme de Peter Randa, où il a publié plus de 350 titres, entre 1955 et 1979, date de sa mort accidentelle : 102 titres de la collection « Spécial police », 28 titres de la collection « L’Aventurier » et 79 titres de science-fiction (collection « Anticipation »). On trouve aussi Duquesne, alias Randa, au Masque (pseudonyme : Jules Hardouin). Dans le tome III de sa série Que lire ? Portraits d’écrivains, Jean Mabire nous présente en trois pages cet auteur gaulois qui milita dans sa jeunesse chez les fascistes suisses (sic !), mais il faut trois autres pages à Mabire, dans le Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 133 même ouvrage, pour présenter les « principales œuvres » de Randa-Duquesne-Hardouin-Roucayrol. Au total près de 400 titres à son actif. Et tout reste lisible aujourd’hui encore. Même s’il ne s’agit pas forcément de 400 chefs-d’œuvre. San Antonio lisait Brigneau Quand on parle du Fleuve noir, on pense d’abord à la série « Spécial police », à Frédéric Dard alias San Antonio, un auteur qui vaut mieux que sa réputation d’auteur de gaudrioles argotiques pour halls de gare. Même si les vingt, trente, ou quarante derniers San Antonio sentent le filon laborieusement exploité. Richissime homme de gauche vivant en Suisse pour des raisons fiscales, Frédéric Dard, d’origine lyonnaise, n’en a pas moins jamais caché son admiration pour son collègue lyonnais en littérature Béraud le maudit. Et si les ligues de vertu antiracistes et homosexuelles se mettaient à éplucher la Série des San Antonio, le nouveau Code pénal à la main, le beau commissaire (spécialiste des amours ancillaires) et ses amis Berrurier et Pinaud seraient en prison depuis longtemps, et pour longtemps ! Ces policiers là n’aimaient guère les « tantouses », et méprisaient royalement 134 POLITIQUEMENT INCORRECT les « bicots ». relisez les vieux Fleuve noir (pas seulement San Antonio, d’ailleurs) et vous serez étonnés. Mais le Fleuve noir, c’est aussi la collection « Feu » : 244 volumes qui paraîtront entre 1964 et 1975, avec 69 auteurs différents. Savez-vous qui dirigeait la collection « Feu » ?, cette collection de récits de guerre ? Saint-Loup, tout simplement. Marc Augier, dit Saint-Loup, dont à présent les ouvrages sont chassés des bibliothèques, y compris ses récits de course en montagne, et qui n’est plus réédité que chez des éditeurs confidentiels. Mais qui est de plus en plus collectionné, bien entendu (voir le chapitre que je lui consacre plus loin). Un amateur de SaintLoup se doit donc de rechercher aussi ces 244 volumes de la collection « Feu ». Le Fleuve noir, c’est la collection « Anticipation », avec 2 002 romans, publiés entre 1951 et 1997. Parmi les auteurs : les identitaires Jimmy Guieu, Peter Randa, déjà cité, mais aussi Philippe Randa, le prestigieux éditeur du présent dictionnaire (un petit coup de lèche ne fera pas de mal à ma diffusion) ! Les productions Fleuve noir, celles d’avant 1970, sont à présent collectionnées, et les pre- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 135 miers romans, les « têtes de collections », atteignent des cotes à trois chiffres. Parmi les San Antonio, par exemple, un titre a particulièrement la cote : celui où le commissaire San Antonio fait l’apologie d’un article de… François Brigneau, dans Minute. Alors, vous voyez que cette collection « grand public », que nos parents et grands-parents trouvaient certainement de mauvais goût, et dont ils nous déconseillaient vivement la lecture, mérite mieux que sa réputation ! Chapitre 21 Francisque : elle se porte bien « Il y a Francisque et francisque », explique volontiers Jacques Sidos, collectionneur de timbres et d’objets maréchalistes. « Celle-ci avec un petit “f ” tricolore dans un écusson sur fond blanc, n’importe qui pouvait la porter. En fait, ne l’arboraient au revers de la veste que les fidèles du Maréchal. Ils se disaient ostensiblement pour lui. La francisque était une hache de guerre, vous le savez, maniée par les Francs et les Germains. C’est l’arrêté du 15 novembre 1941 qui en fit un emblème national. Des fonctionnaires, des employés, des ouvriers, des stagiaires de l’État, des élèves manifestaient fièrement, par elle, leur attachement au chef de l’État. » Ça, c’est l’insigne. Mais la décoration ? Faisons à nouveau appel à la science de Jacques Sidos : « Elle récompensait les services rendus à l’État français ou au Maréchal. Elle 138 POLITIQUEMENT INCORRECT aussi vit le jour en 1941. Un arrêté (26 mai) et une loi (16 octobre) lui ont conféré ses titres de noblesse. La Francisque, avec un « F » majuscule, devint le signe distinctif d’un ordre (…). Très demandée, elle s’imposait par sa beauté ! Conçu par le joaillier Robert Ehret, ce bijou faisait des envieux. » Inutile de dire qu’il est pratiquement impossible au collectionneur d’insignes de se procurer cette francisque-là. Il n’y en eut, semble-t-il, que 2 626 de distribuées. Il faut se reporter aux publications de deux autres collectionneurs fameux, Gérard Le Marec et Pierre-Philippe Lambert, pour avoir une nomenclature exhaustive des francisques insignes et des Francisques décorations qui ont existé. Il est beaucoup plus facile de collectionner la francisque sur pièces de monnaie. Chaque famille française a, au fond d’une vieille boîte ou empilées dans un verre à moutarde, ces pièces de l’État français, parfois percées au centre. Certaines de ces pièces ornées du symbole à présent honni restèrent en circulation jusque dans les années soixante. Pièces de un franc, deux francs ou cinq francs, comptées pour un, deux ou cinq centimes. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 139 Pétain en plastique chez Mokarex ! Aujourd’hui on ne peut imaginer que de telles pièces aient pu circuler librement plusieurs années après la fin de la guerre. L’insupportable police de la pensée qui assure la censure de nos médias ne le supporterait sûrement pas. Et pourtant il n’y avait pas scandale dans les années soixante, comme il n’y avait pas scandale quand le café Mokarex offrait à titre publicitaire un petit maréchal Pétain en plastique. Mais l’amateur de francisques va trouver son plus grand bonheur dans la philatélie. Il y a une trentaine d’années, Jacques Sidos avait présenté une étonnante exposition philatélique consacrée à la vie et à l’œuvre du Maréchal. Et les nombreux visiteurs avaient pu retrouver, à travers les timbres émis tant en France que dans l’Empire colonial, la hache à deux tranchants de l’État français. Aujourd’hui il y a fort à parier qu’une telle exposition serait interdite… En 1943 était émise une bande composée de quatre portraits du Maréchal séparés par une francisque tricolore. La cote de cette bande est de quelques dizaines d’euros. En 1944, pour le 88e anniversaire du Maréchal, un portrait en buste, de profil, avait été édité, sur semis de 140 POLITIQUEMENT INCORRECT francisques (petite cote). Beaucoup plus rares et plus cotés, les timbres de service. Ils étaient utilisés pour affranchir les courriers officiels de l’État français. La série de 15 timbres à la francisque est cotée plus de 1 000 €, la plus grosse cote étant réalisée par le 70 centimes gris-noir (environ 500 €). Autrefois, et jusqu’à une date récente, les timbres de la période 1940-1944 ne valaient pas grand chose. Ils avaient connu de gros tirages : généralement plus d’un million d’exemplaires pour chaque timbre. Et dans cette époque d’incertitude, les timbres avaient parfois été stockés au même titre que les bougies et les allumettes, en tant que produit de première nécessité. Si bien qu’il est courant de trouver des lots de ces timbres non oblitérés. Il n’empêche que leur valeur augmente rapidement actuellement, preuve d’un engouement accru. La paire de timbres Légion tricolore commence à avoir une cote solide, les cinq timbres de la bande vendue en 1943 au profit du Secours national (2 portraits du Maréchal et 3 illustrations de la devise Travail, Famille, Patrie) valent autour de 150 €. Les timbres LVF voient leur cote s’envoler et, sur lettre, il faut pour le Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 141 coup mettre sur la table plusieurs centaines d’euros pour s’en procurer un exemplaire. C’est que cette collection en percute d’autres : le militaria 1940-1944, la philatélie pure, les adeptes de souvenirs maréchalistes, etc. Et ici aussi il se vérifie que les tabous entraînent la rareté, la rareté entraîne les cotes, les cotes entraînent l’envie de collection. Un peu de censure éloigne des souvenirs maréchalistes. Beaucoup de censure et de police de la pensée en rapproche. Chapitre 22 Galas et kermesses d’avant-guerre C’est chez un excellent bouquiniste du Parc Brassens que j’ai trouvé cette plaquette royaliste : « Ligue d’Action française – kermesse des XV et XVI décembre 1933 » (8 €). Vendue (ou offerte ?) lors de cette kermesse, la plaquette compte trente pages, avec des textes de madame Léon Daudet, de son mari sur le « loyal vin de France » (il connaissait bien le sujet !), de Pierre Varillon sur la gastronomie ; et un inattendu « Épître sur la poutargue » par Jacques Bainville en quarante quatre vers. Mais le véritable intérêt de cette publication, c’est son volet publicitaire. Plus de quatre cent annonceurs vantaient leurs produits ou leurs services dans cette plaquette. Le ligueur d’Action française pouvait ainsi noter chez qui acheter en toute tranquillité d’esprit royaliste sa cristallerie (chez Baccarat), ses chocolats (Au Lys royal, 144 POLITIQUEMENT INCORRECT déjà !), ou ses layettes. Au 75 de la rue du Cardinal Lemoine, il pouvait descendre à la Pension de Famille des Grandes Écoles. La lessive SaintMarc, les cirages Baranne ou Kiwi ou les éponges Spontex faisaient également partie des mécènes de l’AF. C’est dans l’alimentation générale et les produits de luxe que les organisateurs de la kermesse royalistes semblent avoir trouvé les annonceurs les plus militants : charcuterie, foie gras, champignons, confitures, miel, truffes, « produits coloniaux », pâtisserie, légumes secs ou frais, cafés : tous les produits du terroir sont représentés à la kermesse de l’AF. « Consommons les produits français », exhorte Firmin Bacconnier. Et surtout pas les produits germaniques (attention à Liebig !). Consommons et buvons, surtout ! Beaucoup des annonceurs et exposants sont des producteurs de vins et spiritueux Il y a là les vins de Corbières, les crus de Saint-Emilion, « le bon vin du roi Henri », le Jurançon de la maison Saut frères, à Pau, le « vin des Ducs d’Orléans », « les vins de l’Orléanais chantés par Rabelais, Jules Lemaître et Léon Daudet », et des centaines d’autres grands crus, vins de table, vins de des- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 145 sert, champagnes, vins mousseux, eaux de vie et liqueurs diverses. Enfin les amateurs de livres pouvaient se rabattre sur le Grand livre de la cuisine, de Prosper Montagné et Prosper Salles, préfacé par Henri Béraud, ou sur les Éloges de la cuisine française d’Édouard Nigon, avec une présentation de Sacha Guitry. Toute cette bonne chère contribua-t-elle à faire progresser le royalisme ? Soixante-dix ans plus tard, on peut en douter. Sans doute favorisa-t-elle néanmoins l’embonpoint de Léon Daudet. Ce qui, déjà, n’était pas rien. Pierre Dac chez les Croix de Feu C’est au même parc Brassens que j’ai « chiné » un étonnant programme de gala Croix de Feu daté du 14 mars 1936. Ce « document fugitif » est particulièrement intéressant, car il nous en apprend beaucoup plus sur les Croix de Feu que bien des thèses et bien des émissions soi-disant historiques mais à sens unique. On découvre d’abord que ce gala était organisé « au profit des œuvres sociales du mouvement » : 4 487 enfants envoyés à la campagne ou à la mer, 146 POLITIQUEMENT INCORRECT 196 000 repas servis à Paris, 550 000 repas servis en France, 2 597 consultations données dans les dispensaires, une tonne de vêtements fournie aux inondés d’Avignon, des emplois trouvés pour des milliers de chômeurs etc. Ainsi donc les Croix de Feu ne se contentaient pas de défiler en casque allemand et au pas de l’oie, dans l’espoir de renverser la République (selon l’imagerie officielle) ! Par ailleurs, ce magnifique programme de gala n’est pas illustré par un obscur gribouilleur d’extrême droite, mais par Guy Arnoux, peintre de marine, l’un des plus talentueux artistes de l’entredeux-guerres, à qui l’on doit les illustrations de nombreux chefs d’œuvres de la littérature française. Mais plus fort encore : parmi les artistes se produisant au cours de ce gala, on trouve Damia ou Suzy Solidor, mais aussi Pierre dac et Mireille. André Isaac, dit Pierre Dac, chansonnier (1893-1975), qu’on retrouvera à Radio-Londres, puis à L’Os à mœlle, et dans les sketches hilarants de Francis Blanche. Mireille, la chanteuse, l’animatrice du « petit conservatoire », mais aussi l’épouse d’Emmanuel Berl (1892-1976), écrivain et journaliste de vieille souche française… et juive. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 147 Mais alors, que penser de l’antisémitisme des militants Croix de Feu et de leurs chefs, qui les faisait néanmoins inviter des artistes juifs ? Et que penser de ces artistes juifs allant soutenir les Croix de Feu ? Ce qu’il faut en penser ? C’est que tout cela repose sur d’incroyables mensonges ressassés à longueur d’année. On peut penser ce que l’on veut de l’attitude de La Rocque et des Croix de Feu, en particulier lors du 6 février 1934 ; on peut penser ce que l’on veut de leurs positions souvent velléitaires et isolationnistes, sur la scène politique française, mais ce qui est certain – et ce programme de gala, « document fugitif » par excellence le prouve –, c’est que les Croix de Feu, chefs et militants, n’étaient ni racistes, ni antisémites, ni fascistes, ni même « d’extrême droite ». C’était un mouvement patriote, de droite, dont l’encadrement était fourni pour l’essentiel paR les anciens combattants. Et ce n’était « que cela ». Chapitre 23 Kléber Haedens le magnifique Le critique littéraire Kléber Haedens nous a fait son Adios (Grasset) en 1974, avant de nous quitter définitivement deux ans plus tard. Le travail de deuil dura vingt ans. Puis l’homme de lettres – qui était aussi un vrai personnage – revint sur le devant de la scène littéraire. C’est l’un des vrais bonheurs de la littérature que ces oublis et des redécouvertes périodiques. Depuis la publication par Étienne de Montéty de son Salut à Kléber Haedens (Grasset, 1996, acheté 5 € au Parc Brassens, chez Philippe Carrey, spécialiste des Hussards), on n’en finit pas de redécouvrir celui qui fut aussi un écrivain, un gastronome, un sportif. Et un homme de droite. Pour camper cette silhouette massive, cette carrure de joueur de rugby, et cette trogne de buveur de bonnes bouteilles, il faut lire Montéty, ou au moins les quatre pages qui lui sont consa- 150 POLITIQUEMENT INCORRECT crées dans le Tome 5 de l’extraordinaire série des Que lire ? de Jean Mabire. Mais pour aimer Haedens, il faut le lire, bien entendu. Malheureusement son œuvre, mis à part les milliers de d’articles de critique littéraire et de chronique sportive, est rare, et surtout, pour l’essentiel, elle n’est plus disponible en librairie. Il faut donc se rabattre sur les bouquinistes et les libraires d’ancien. Feu follet Ceux-ci proposent occasionnellement des Haedens. Par exemple la librairie par correspondance « Les Oies sauvages » (BP 16, 77343 PontaultCombault cédex). J’ai trouvé dans l’un de ses derniers catalogues un Adios (avec dossier bio-iconographique) pour 10 €. Chez Philippe Carrey (déjà cité, qui se définit comme « bouquiniste-juristeturfiste »), il y a toujours quelques Haedens proposés à des prix incroyablement raisonnables (entre 5 et 15 € selon la rareté). Et sur ces prix là, il vous accordera 10 % sans barguiner, pourvu que vous lui déclariez votre passion pour Alphonse Boudard, José Giovanni ou Luis Nucéra. Si vous cherchez des KléBer Haedens vraiment rares, sur grand papier, avec envoi, et si vous êtes Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 151 prêt à y mettre le prix, alors adressez-vous au « Feu follet ». Ses catalogues proposent des titres introuvables, ou dans des éditions originales introuvables ailleurs. Qui peut se vanter d’avoir dans sa bibliothèque L’École des parents (Correa, 1937) ? Introuvable. Le « Feu follet » en proposait un exemplaire avec envoi pour une centaine d’euros. Pour la même somme vous pouviez vous offrir un Haedens encore plus rare : Une jeune serpente, avec envoi, un roman de 1940. Le Paradoxe sur le roman (1941) était proposé dans les mêmes zones de prix. Le même ouvrage chez Philippe Carrey coûtera le quart de ce prix. Mais à peine proposé, déjà vendu ! Voici Gérard de Nerval ou la sagesse romantique, avec envoi, pour 70 €. Bizarrement, avec Charles Maurras, Nerval est l’une des idoles de Kléber Haedens. Le premier roman à succès d’Haedens, Salut au Kentucky, avec envoi, vaut 80 €. Tandis que L’Eté finit sous les tilleuls (son titre le plus connu, mais pas le meilleur), exemplaire numéroté sur hollande, paru chez Grasset, qui obtint le prix Interallié en 1966, vaut 200 €. Ces livres sont chers ? Certes. Mais avec cet ensemble, vous avez tout Kléber Haedens, ou presque. Que manque-t-il ? Magnolia-Jules, roman 152 POLITIQUEMENT INCORRECT de 1938 ; une anthologie poétique parue en 1942 ; un roman de 1955 : Adieu à la rose ; L’Air du pays, chroniques publiées en 1963 chez Albin Michel ; mais surtout son chef d’œuvre, cette Histoire de la littérature française, un ouvrage totalement subjectif où figure tout ce qu’on aime (cote : 30 €). Haedens ne s’y révèle pas obligatoirement bon prophète. Par exemple quand il écrit que « Céline écrit systématiquement un argot souvent incompréhensible qui risque de rendre ses ouvrages très périssables, car l’argot est la langue la moins stable qui soit ». Faux sur toute la ligne : Céline n’écrit pas en argot. L’argot est loin d’être une langue instable, comme le démontrait encore récemment Claude Duneton dans l’une de ses chroniques du Figaro littéraire. Quant aux ouvrages de Céline, ils sont devenus, comme chacun sait, des classiques. Lucchini et quelques autres démontrent régulièrement ce que ce jugement à l’emporte pièce de Haedens a d’erroné. Mais qu’importe. Et au contraire, même, l’arbitraire d’Haedens fait de son Histoire de la littérature française un régal et non un pensum ou un cimetière ; D’une certaine façon, c’est le plus impérissable et le plus stable de ses livres, pour parler comme lui ! Chapitre 24 Insignes militants L’insigne politique ne ferait-il plus recette ? Il est rare, aujourd’hui, de croiser dans la rue un homme ou une femme arborant au revers du veston ou du col de chemise l’insigne distinctif d’une appartenance politique. Où sont passés les petits Lénine métalliques encore si fréquemment arborés par les militants communistes dans les années soixante ? Où sont les trois flèches de la SFIO, les insignes des ligues ? L’insigne ne se porte plus guère, mais il se vend toujours (cher : 30 € et plus pour les insignes anciens, bien meilleur marché pour les insignes et pin’s des années 80 : à partir de quelques euros). Chaque parti, chaque syndicat, chaque groupuscule continue à diffuser son insigne propre. Sans doute à l’usage des seuls collectionneurs… 154 POLITIQUEMENT INCORRECT On trouve actuellement sur le marché de l’insigne la petite flamme tricolore du Front national, les fleurs de lys toujours bienvenues des maurrassiens. Le bicentenaire de la Révolution (et des guerres chouannes) a suscité de nombreux pin’s à l’effigie de Cadoudal, Cathelineau, Charrette, Louis XVI, etc. Brasillach, Maurras, Céline, Le Pen et bien d’autres, existent également en pin’s. mais je ne les ai jamais vus au revers d’une veste. Remontons dans le temps. Au-delà du trident (version argent ou version or) des solidaristes français, de la croix celtique portée en pendentif d’Ordre nouveau, pour arriver au RPF. De tout l’après-guerre, c’est le mouvement qui a donné lieu à la plus grande profusion d’insignes. On y reconnaîtra un héritage (le seul peut-être) du mouvement Croix de feu d’avant-guerre. On peut encore trouver dans les marchés au puces pour une poignée d’euros, l’insigne ordinaire du RPF. Âge d’or L’âge d’or de l’insigne se situe incontestablement dans les années trente. C’est, pour le collectionneur, un véritable régal. Les photos d’époque montrent d’ailleurs que chaque militant portait Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 155 son insigne, au brassard ou au revers du veston, ou les deux à la fois, voire sur le béret en plus. Xavier Vallat ne montait jamais à la tribune de l’Assemblée nationale sans arborer l’insigne Croix de feu. Ce qui lui a valu plus d’une fois des démêlés avec les députés communistes. Lors de la dissolution des ligues, les Camelots du roi portaient à la boutonnière une pièce de dix sous (« dissous » !) À gauche, on ne lésinait pas non plus sur le métal militant. Une pluie de bonnets phrygiens et de triples flèches socialistes accompagna l’arrivée du Front populaire au pouvoir. Mais dans ce domaine comme dans bien d’autres, les grandes réussites viennent de la droite. Pour ses chemises vertes, Henri Dorgères créa un insigne de 3,5 centimètres sur 4,5 centimètres représentant une fourche et une faux croisées sur une gerbe de blé. Superbe ! Il a raconté quelle fut sa colère lorsqu’il apprit que l’un de ses adjoints avait pris l’initiative de refaire un tirage de l’insigne, mais en format beaucoup plus petit : « On ne défend bien un métier que dans la mesure où l’on en est fier », disait-il. Et puis il y a un insigne qui fait rêver tous les collectionneurs. Il est décrit par Philippe Bour- 156 POLITIQUEMENT INCORRECT drel dans son livre sur la Cagoule. Édité par le Comité de défense des patriotes emprisonnés, il représente un ancien combattant – sur fond bleu horizon bien entendu – dont les mains sont enchaînées. L’insigne entendait stigmatiser l’arrestation de prestigieuses figures de la droite, anciens combattants : le Dr Pozzo di Borgo, le général Duseigneur, Loustaunau-Lacau, etc. Mais très vite les informations sur les activités de comité secret d’action révolutionnaire d’Eugène Deloncle (liquidation d’agitateurs italiens et surtout, attentat meurtrier au siège du CNPF) ont interrompu sa diffusion. Un lot de cet insigne mythique dort-il encore dans les greniers des descendants de MarieMadeleine Fourcade ou de l’amiral Sanguinetti ? De quoi alimenter les rêves les plus fous d’un collectionneur d’insignes… Chapitre 25 Hugues Lapaire et les écrivains berrichons contre-révolutionnaires L’excellent libraire Jean-Louis Mathis, qui vend sur catalogue (12, rue Madame, 37150 Bleré) propose régulièrement des livres régionalistes, et plus spécialement sur le Berry et la Touraine. Il y a quelques temps, son catalogue comportait de nombreux livres d’Hugues Lapaire. Hugues Lapaire, même dans le Berry, bien peu le lisent encore. Et c’est dommage. Car tous ceux qui prônent l’enracinement et l’identité contre le cosmopolitisme, la patrie et les patries d’Europe face au mondialisme, devraient s’intéresser à des auteurs comme cet Hugues Lapaire, surtout s’ils ont des racines berrichonnes ; Dans son catalogue, Jean-Louis Mathis proposait 25 ouvrages d’Hugues Lapaire, parmi lesquels La Cuisine berrichonne, Le Bestiaire berrichon, illustré par un autre Berrichon beaucoup 158 POLITIQUEMENT INCORRECT plus connu, Benjamin Rabier, Le Pays berrichon illustré par Jean Baffier (voir le chapitre le concernant), et beaucoup d’autres titres rares ou peu connus. Tous ces ouvrages étaient offerts à des prix compris entre 25 et 60 €. En salle de vente, à Châteauroux ou Bourges, ils feraient sans doute le double. Ces ouvrages comportaient généralement des envois. Par exemple à André Theuriet ou à quelque autre personnalité politiques ou littéraires de la IIIe République. Ce que déteste Lapaire Hugues Lapaire naît en 1869 à Sancoins, dans le Cher, non loin de ce pays de Sancerre qui fut le théâtre d’une chouannerie tardive, en 1796. Entre 1898 et 1948, sur cinquante ans, donc, Lapaire va publier une cinquantaine d’ouvrages, consacrés pour l’essentiel au Berry. Rien de ce qui est berrichon ne saurait échapper à l’observation attentive de Lapaire, véritable entomologiste des mœurs et du folklore local. Ce que déteste Lapaire : le socialisme, l’Internationale, la CGT, le cosmopolitisme. Ce qu’il aime par dessus tout : le patois local, les chansons du pays, les coutumes ancestrales, les légendes du Berry, les objets de la vie quotidienne du paysan. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 159 Pendant un demi-siècle, Lapaire va participer à l’animation du paysage berrichon, avec ses amis le sculpteur nationaliste Jean Baffier, le prêtre Hector de Corlay (l’abbé Jacob), le monarchiste Hilaire de Vesvre, le contre-révolutionnaire Gabriel Nigond, le peintre catholique Fernand Maillaud. Hugues Lapaire a retrouvé dans les écrits de George Sans de nombreux renseignements sur les coutumes de la vie de sa province. Car George Sand ne fut pas seulement une romancière, elle ne fut pas seulement la révolutionnaire de 1848, ce fut aussi une grande observatrice des mœurs de son pays de Nohant, cette « vallée noire » comme elle l’appelait, cette terre de Nohant où j’ai été élevée, où j’ai passé toute ma vie et où je souhaiterais pouvoir mourir ». Si Hugues Lapaire se sent des connivences avec George Sand, c’est bien entendu avec cette George Sand là, la bonne dame de Nohant, celle de La Mare au diable (avec la grande et belle scène du mariage) et des « romans rustiques » écrits entre 1845 et 1853. Hugues Lapaire a 7 ans quand meurt George Sand. Il n’empêche que l’auteur de La Petite Fadette aura une influence essentielle sur l’œuvre de Lapaire, et détermine- 160 POLITIQUEMENT INCORRECT ra sans doute sa vocation d’écrivain et de conservateur des traditions du Berry. Hugues Lapaire est mort oublié en 1967, à l’âge de 98 ans, dernier de sa génération. Si on devait citer des disciples, on pourrait évoquer Jean-Louis Boncoeur, le berger conteur du BasBerry, l’auteur du Village aux sortilèges et du Diable aux champs, on pourrait évoquer la revue Berry, les archéologues de l’équipe du Docteur Allain et cette Maintenance du Berry qui fit parler d’elle entre 1989 et 1996, lors des commémorations du bicentenaire de la Révolution française et de la « Vendée » de Palluau-sur-Indre. Nigond, Maillaud, Boncoeur, Nivet, Baffier, Hilaire de Vesvre, l’abbé Jacob, le docteur Jacques Allain, tous ces bons soldats de l’enracinement et de la cause berrichonne se sont engouffrés dans la brèche qu’avait su ouvrir leur aîné Hugues Lapaire, à l’aube du XXe siècle. Chapitre 26 Littérature : les auteurs qui montent, les auteurs qui descendent Bonne nouvelle : on ne lit plus Sartre. Ou plus exactement, dans le domaine de la bibliophilie, les livres de Jean-Paul Sartre sont de moins en moins souvent demandés. C’est une petite enquête, à laquelle je me suis livré récemment auprès des marchands du parc Brassens, qui me l’a appris. Le parc Brassens, dans le XIVe arrondissement, est certainement le meilleur endroit pour connaître le cours du livre ancien. Imaginez en bordure d’un grand parc très arboré, un rassemblement de cinquante marchands de livre ancien ou d’occasion. Tout le samedi et tout le dimanche, de 9 à 17 h, ces marchands qui, le reste de la semaine, tiennent boutique dans Paris, sur les quais ou en province, viennent à la rencontre d’un public de mille ou deux mille adeptes du vieux livre. 162 POLITIQUEMENT INCORRECT Je les connais tous et je les aime tous : le Hollandais Jeff qui possède le plus grand assortiment de livres écrits par Jean Mabire (une collection difficile à avoir complète tant l’œuvre est abondante !), le maurassien du Pélican noir, l’ancien d’Occident, le sarkozyste, gaulliste dans ses votes, à droite de la droite dans ses propos. Et jusqu’à l’anarchiste, spécialisé dans les ouvrages sur la prison, l’argot, les bandits et les socialistes de la IIIe République (ce qui est à peu près la même chose). Tous ces marchands sont là, le week-end entier, habités par une passion : le livre, le vieux livre, celui qui n’a plus d’odeur, mais qui a une histoire, comme en témoignent la reliure, les dédicaces, les tampons sur la page de garde. J’ai donc demandé à ces professionnels quels étaient, aujourd’hui, les livres recherchés et quelles étaient les drouilles, les auteurs que plus personne ne lit (en attendant une éventuelle redécouverte…). Les réponses, pratiquement spontanées, ont été très proches d’un stand à l’autre, et l’on peut donc penser que mon enquête vaut bien davantage qu’un sondage. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 163 Céline et Drieu Qui trouve-t-on tout en haut de l’échelle ? Les surréalistes, hélas, mais aussi tout le bataillon des maudits, de nos maudits à nous. Jamais sans doute Céline et Drieu n’ont été autant recherchés. Tout de Céline et Drieu, mais aussi tout sur Céline et Drieu. Et ceci malgré des tirages qui furent parfois faramineux. Pensez qu’un Voyage au bout de la nuit dans une édition ordinaire d’avant-guerre, vous sera proposée autour d’une centaine d’euros. Les marchands de Brassens font partie des vendeurs raisonnables, mais la demande est telle que, pour cet ouvrage très courant, d’autres marchands, plus âpres au gain, tapent au prix maximal. Mais pas seulement Drieu et Céline. Brasillach, Rebatet, Cousteau, Béraud, Fontenoy, Bardèche, voient leur cote monter régulièrement. Ils semblerait que les menaces de la « police juive de la pensée » comme écrivait il y a quelques années Annie Kriegel dans Le Figaro, poussent de nouvelles générations à la passion collectionneuse. Et qui sont les laissés pour compte ? À de très rares exceptions près, il s’agit d’auteurs ayant appartenu au prêt-à-penser de leur époque : Sartre et Gide, Georges Duhamel et Victor Margue- 164 POLITIQUEMENT INCORRECT ritte, Louise Hervieu et Roger Martin du Gard, Romain Rolland et Henri Barbusse. Dans les délaissés, tous n’étaient pas négligeables : Anatole France, Paul Bourget, Paul Valéry, et même Paul Claudel ou Henry de Montherlant. Ils furent immenses dans leur temps. Ils glissent dans l’oubli de la non-lecture, aujourd’hui. Le retour en grâce de Loti Ce qui est intéressant, c’est de noter que certains auteurs, oubliés un temps, font une seconde carrière grâce aux bibliophiles. Pierre Loti, considéré comme un auteur suranné jusqu’à ces dernières années, redevient furieusement à la mode. Le superbe musée qui lui est consacré, à Rochefort, n’est peut-être pas étranger à cet engouement nouveau. Mais on explique moins la seconde jeunesse de Paul Morand. Sa traversée du désert a duré vingt bonnes années. Cet écrivain de race fut longtemps défendu par la seule Ginette Guitard-Auviste, qui doit aujourd’hui se réjouir de ce retour en faveur. De même Paul Chack : cet écrivain maritime, qui fut président d’honneur de la Ligue des volontaires français contre le bolchevisme, ce qui Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 165 lui valut d’être fusillé en 1944, est très collectionné. Il faut dire que ses livres sont généralement fort bien illustrés, et qu’ils correspondent à l’engouement actuel pour les sports marins. Citons encore, parmi les écrivains recherchés et lus, Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Max Jacob, Colette (hé oui !), Julien Gracq. À la mort de Staline, les étudiants de la rue d’Ulm, grande école censée former nos professeurs, prirent le deuil. « Heureusement, il reste son œuvre écrite », dit l’un d’eux. En fait, le communisme ne conserve pas bien, et les œuvres des conformistes des années trente et au-delà se reconvertissent lentement mais sûrement en pâte à papier, tandis que celles des non-conformistes, nettoyées, gommées, recollées, recouvertes de papier cristal, gagnent en rangs serrés les étagères de nos bibliothèques, comme autant de bons petits soldats d’une guerre des mots qui ne finira jamais. Littérature clandestine d’après-guerre Toute une littérature clandestine a vu le jour au début de la IVe République, tentant d’échap- 166 POLITIQUEMENT INCORRECT per à la nouvelle censure, à l’épuration, et plus encore à la terreur communiste. En janvier 1949, dans les Écrits de Paris, l’écrivain André Thérive publia un excellent papier sur la question. Thérive était particulièrement bien placé pour parler de ce sujet. Réfugié en Suisse, il avait lui-même publié deux petits ouvrages, Traité de la délation et Traité de l’intolérance qui, par la dérision, traitaient de l’épuration (1947 et 1948, cote : 15 € chaque). Chronologiquement, ce sont les poèmes de Robert Brasillach qui ont constitué la première œuvre clandestine de la IVe République. Barreaux, sous le pseudonyme transparent de Robert Chénier, contient treize poèmes écrits par Brasillach avant sa condamnation. Des copies dactylographiées circulèrent dès les premiers mois de 1945. En septembre 1945, les éditions de Minuit et demi publient ces textes en 36 pages, format 13,5 x 21,5 (cote : 200 €). En 1946, c’est sous le titre La Mort en face. Derniers poèmes écrits à la prison de Fresnes que paraissent les derniers poèmes de Brasillach, ceux d’après la condamnation (cote : 200 €). Aucun nom d’éditeur n’est mentionné pour cet ouvrage qui porte comme date d’impression : Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 167 6 février 1946, soit le premier anniversaire de la mort du poète. Les textes de Barreaux (cote : 380 €) et de La Mort en face (cote : 200 €) formeront les Poèmes de Fresnes, publiés la même année, aux éditions de la Pensée française. Brasillach, encore, alimente la littérature clandestine d’après-guerre avec sa Lettre à un soldat de la classe 60, publiée au Pavillon noir, la même année (cote : 80 €). Le jeune condamné à mort se livre à un examen de conscience. Le destinataire supposé de la lettre est un garçon né en 1940, mobilisable en 1960, « … vivant dans un monde où l’honnêteté intellectuelle aura reparu (tous les miracles sont possibles) ». Alfred Fabre-Luce, qui aura imperturbablement publié son journal sous tous les régimes, et dans toutes les situations, trouve le moyen d’être jeté en prison pendant l’épuration, après avoir connu les prisons allemandes. Il est à noter que certains tomes de son Journal de la France sont considérés comme collaborationnistes et ont été interdits en 1945, tandis que d’autres tomes du même Journal figurent dans le catalogue des ouvrages de la Résistance. Voilà ce qui s’appelle un homme libre ! (Cote du tome 1 : 15 €, du tome 2 : 12 €, du tome 3 : 45 €, du tome 4 : 45 €). 168 POLITIQUEMENT INCORRECT Les deux brochures de Fabre-Luce Au nom des silencieux et Le Mystère du Maréchal sont courageusement signées mais, publiées aux hypothétiques éditions de Midi, elles entrent bien, elles aussi, dans le cadre de cette étude sur les éditions clandestines (cote : 15 €). En 1946 toujours, Louis Rougier publie clandestinement son Bilan du gaullisme (25 €), dont les textes seront ensuite repris dans Défaite des vainqueurs. L’ancien sénateur anticommuniste Gustave Gautherot étrille, sous le pseudonyme de Gallus, La politique française du Parti communiste dans une brochure courageuse, qui démontre la traîtrise constante du parti moscoutaire. Parmi les premiers thèmes recensés dans cette littérature clandestine, on trouve la vie à Fresnes ou dans d’autres prisons du régime (Affres, ouvrage collectif, La Ballade de la geôle de Fresnes, de Louis Truc, Fresnes, de Rio, Journal d’un condamné à mort, de Robert Poulet, mais signé xxx, coté 50 €, Prisons de l’épuration, etc). Bientôt vont paraître les premiers témoignages sur la terreur communiste. Écrits par définition par des hommes en liberté, et donc non compromis dans la collaboration, ces récits, ces re- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 169 cueils de faits scandaleux, de répressions ignobles, frappant aveuglément hommes, femmes et enfants, anciens militants politiques et notables apolitiques, paraissent clandestinement ou sous pseudonymes, tout simplement par crainte d’une vengeance communiste. Voyage en absurdie Un certain J-P Abel publie en 1948 L’Age de Caïn qui relate les atrocités, les tortures et les assassinats commis à l’école dentaire de l’avenue de Choisy (figure toujours au catalogue des Nouvelles Éditions Latines, 20 €). Abel n’est autre que René Chateau, socialiste pacifiste, obligé cependant de dissimuler son identité pour éviter les mesures de rétorsion. En 1948 également, Mauloy publie Les nouveaux saigneurs chez d’hypothétiques Éditions de la Balance. Citons aussi les livres de Claude Jamet (Fifi roi, coté 20 €), de R. Cardinne-Petit (Les Otages de la peur), de Sisley Huddleston (Terreur 1944), du chanoine Desgranges (Les Crimes masqués du résistancialisme (coté 18 €). Tous ces livres n’étaient pas interdits ou clandestins, mais le moins qu’on puisse dire, c’est que leur diffusion ne fut guère encouragée par l’Establishment de l’époque. 170 POLITIQUEMENT INCORRECT Un seul de tous ces livres clandestins ou semiclandestins des années 1945-1948 connut les gros tirages, le succès : c’est le Voyage en absurdie, un ouvrage de petit format illustré par des caricatures que les spécialistes identifièrent rapidement comme étant dues au crayon de Ben, ou Benjamin Guittoneau. Quant au texte, signé Arouet, il fut tour à tour attribué à Pierre Gaxotte, Sacha Guitry, René Benjamin, Clément Vautel, Charles Maurras, voire le général Leclerc. En fait, cette satire antigaulliste et antirésistancialiste était également due à Ben. « Voyage en absurdie éclata comme une bombe à retardement, écrit Jean Galtier-Boissière. Ce remarquable conte satirique à la manière de Candide (…) déborda bientôt le cadre de la clandestinité et devint le best-seller parisien de l’après-Libération. » Qui est Benjamin Guittoneau ? Le regretté Pierre Monnier, dans Minute du 9 octobre 1991, notait qu’« en 1936, il était déjà présent dans de nombreux journaux qui, tous, avaient en commun la culture du mauvais esprit : entendez que leurs rédacteurs et dessinateurs se situaient plus ou moins dans la mouvance maurrassienne et que chez eux, Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 171 comme chez Léon Daudet, le scepticisme à l’égard du personnel de l’État républicain se transformait naturellement en critique astucieuse et rigolarde. » La première édition du Voyage en absurdie est venue de Stockholm. Il s’agissait véritablement d’un libelle anonyme et clandestin. L’édition définitive (Édition de la Couronne) désigne Ben comme étant bien l’auteur de l’ouvrage. Selon André Thérive, il a couru des contrefaçons et des éditions aberrantes de ce livre. Le nom de l’Absurdie est devenu d’emploi courant. C’est dire le succès de l’ouvrage. Ce livre est « sûr de demeurer dans l’histoire » écrit Thérive en 1949. Bien vu, puisque plus de 40 ans après, ce pied de nez aux résistancialistes (ne pas confondre avec les vrais résistants) continue à être recherché par les collectionneurs (cote : 25 €) et a fait l’objet d’une toute récente réédition. Le développement de la littérature clandestine est, qu’on le veuille ou non, un baromètre des libertés réelles. Force est de constater qu’en ces premières années d’après-guerre, où le Parti communiste était aux affaires en France, et où ses alliés soviétiques occupaient la moitié de l’Europe, ces libertés n’étaient pas assurées. 172 POLITIQUEMENT INCORRECT Mais il y a toujours une poignée d’auteurs courageux et quelques milliers de lecteurs avides et persévérants pour assurer une survie de la pensée non conforme à l’ordre politique du moment. Chapitre 27 Manuscrits : la droite littéraire fait mieux que la rente Pinay C’est une vente aux enchères exceptionnelle qui s’est déroulée il y a quelques années à l’hôtel Drouot. On y avait dispersé, en effet, une partie (une toute petite partie, nous assurait-on), de la bibliothèque d’un riche Américain vivant à Paris. Cet homme avait des goûts littéraires éclectiques, mais sûrs ; il avait acquis les manuscrits de nombreuses œuvres célèbres et fait relier splendidement sa bibliothèque. Sous le marteau d’ivoire ont donc défilé les plus grands écrivains français du XXe siècle, de A comme Alain à V comme Valéry, la vente étant centrée exclusivement sur les auteurs contemporains. Il est intéressant de voir sous un angle inhabituel – le prix que peuvent en donner des amateurs venus, pour l’occasion, du monde entier – le poids respectif de ces écrivains. La géographie 174 POLITIQUEMENT INCORRECT littéraire qui se dessine alors n’a pas grand-chose à voir avec les gloires médiatisées. Car les valeurs solides, celles qui se sont arrachées, au cours de cette vente, sont des œuvres d’auteurs penchant le plus souvent à droite. Notons, d’abord, que c’est Louis-Ferdinand Céline qui tient le haut du pavé ; il domine absolument le XXe siècle, comme il a dominé cette vente. Un libraire parisien a donné, en effet, 80 000 € (exactement 510 000 francs, nous étions encore à l’époque des francs) pour une partie du manuscrit autographe de Mort à crédit. Céline y travailla de 1932 à 1936. Tandis que la Société des manuscrits et autographes français donnait plus de 30 000 € pour le manuscrit de D’un château l’autre (publié chez Gallimard en 1957) où Céline raconte le séjour à Sigmaringen en 1944 de personnalités du gouvernement de Vichy. Bagatelles pour un massacre dans une reliure mosaïque de Paul Bonet, était enlevé à plus de 15 000 €. Ce titre n’a pas été réédité, Dieu sait pourquoi (le MRAP aussi). Certains documents éclairent d’un jour nouveau l’histoire des idées politiques de l’entredeux-guerres. Ainsi cette lettre de Georges Bernanos à Charles Maurras (4 septembre 1926) Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 175 adjugée 750 €. L’Action française vient d’être condamnée par l’archevêque de Bordeaux, le cardinal Andrieu. Bernanos écrit à Maurras : « … je suis à vous depuis si longtemps ! presque l’enfance… Et encore, je ne vous ai pas trouvé, je vous cherchais sans vous connaître, je vous ai toujours appartenu… Permettez-moi de me compromettre pour vous (…) Laissez à un écrivain catholique, qui compte pour l’instant beaucoup de prêtres parmi ses amis, la fierté d’exprimer publiquement, et avec le plus d’éclat possible, son mépris d’une abominable injustice. » Puis Bernanos plaide pour la conversion de Maurras dont l’agnosticisme est bien connu. « C’est impossible et très beau » a noté Maurras au dos de l’enveloppe. Autre manuscrit intéressant, la contribution de Robert Brasillach à l’ouvrage de Jacques Bainville, Les Dictateurs. Dans ce texte intitulé L’Amérique latine, et qui fut publié sous le titre Histoire abrégée, mais fantastique des dictatures de l’Amérique latine, Robert Brasillach concluait que ces dictateurs étaient souvent d’origine modeste, « des gardiens de troupeaux, des dresseurs de chevaux. Mais ils se révèlent vite des hommes d’État, peu gâchés par des conceptions abstraites. Et c’est 176 POLITIQUEMENT INCORRECT grâce à eux que des nations trop jeunes, sans cesse agitées par des guerres, ont pu se former et se perpétuer ». Jacques Bainville a nuancé ce texte, jugé, sans doute, d’esprit trop fasciste. Dans Les Dictateurs, la conclusion évoque des « hommes d’État peu gênés par des conceptions morales. Malgré leurs excès, c’est grâce à eux que ces nations (…) ont pu se former et se perpétuer. L’histoire romanesque des pires d’entre eux contient des détails qui font frémir. Ils ont gardé les peuples comme ils gardaient leurs troupeaux, ils les ont dressés comme ils dressaient des chevaux. Nouvel avis aux pays qui ne veulent pas être exposés à subir les duretés des gouvernements d’exception. C’est de ne pas se mettre dans le cas d’en avoir un besoin indispensable ». Un amateur a donné 800 € du manuscrit en partie inédit de Robert Brasillach. Parmi les 560 pièces, presque toutes exceptionnelles, qui ont été dispersées pendant les trois jours que dura cette vente, notons le très beau livre du poète fasciste Gabriele d’Annunzio, Le Feu dont la reliure en veau gris-brun présentait un visage de femme, composition incisée dans le style Art Nouveau, et qui s’est arraché à 5 000 € ; notons également les éditions originales de Marcel Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 177 Aymé, qui se sont vendues entre 750 et 1 300 €, quelques manuscrits de Maurice Barrès, tout vibrants de ferveur et d’enthousiasme patriotiques (650 à 1 000 €), le manuscrit autographe de 14 juillet d’Henri Béraud (500 €, une affaire, quand on voit l’envolée de la cote de cet auteur !), un grand nombre d’éditions originales ou de lettres de Bernanos (de 300 à 3 000 €), de Robert Brasillach (800 à 900 € chacune), d’Alphonse de Chateaubriant (1 300 à 1 500 €), de Michel Déon (750 € pour le manuscrit autographe de son roman Je ne veux jamais l’oublier), de Drieu La Rochelle (350 € pour un article manuscrit de deux pages et demi) ; un collectionneur donnait 2 500 € d’une édition particulièrement bien reliée par Augoyat et Cuzin de La Vie de garçon de Jean Galtier-Boissière. Un petit carnet autographe de Jean de La Varende s’enlevait à 800 € ; tandis que, quelques minutes plus tard, l’insupportable éructeur de chansons, Pierre Perret se faisait souffler un manuscrit autographe de 33 chroniques de théâtre de Paul Léautaud, manuscrit qu’un autre amateur emportait pour la coquette somme de 23 000 € (dans la France socialiste de l’époque, il y avait encore quelques pauvres gens heureux !). 178 POLITIQUEMENT INCORRECT L’ouvrage de Maurras Les Amants de Venise dans une reliure de maroquin bleu signée Semet et Plumelle, et comportant de nombreux documents manuscrits se vendait 1 400 €, seulement, serait-on tenté d’écrire. Tandis qu’une dizaine de manuscrits ou de volumes des tirages de tête de Montherlant étaient adjugés entre 500 et 3 000 €. Roger Nimier, dont les manuscrits sont rares, puisqu’il est mort à 37 ans, a accroché l’intérêt d’un amateur qui a donné 1 000 € du manuscrit d’un roman peu connu, Perfide, tandis que le manuscrit du Caporal épinglé de Jacques Perret était vendu 2 000 € à la bibliothèque de l’Arsenal qui avait fait jouer son droit de préemption. Signalons enfin cette édition originale des Décombres de Lucien Rebatet qui s’est vendue 750 €. Certes, quelques auteurs à succès aux idées de gauche bien connues ont également eu la faveur de certains bibliophiles ; le manuscrit autographe de La Peste de Camus, dont la lecture est rendue obligatoire dans les écoles laïques, et les autres, dès le plus jeune âge, a été enlevé à 30 000 €, tandis qu’une paire de manuscrits de Sartre, à l’origine de sa pièce Le Diable et le bon Dieu, trouvait preneur à 6 000 €. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 179 Mais l’impression qui domine de cette vente aux enchères, c’est que les auteurs de la droite d’idées ont beaucoup plus de succès et sont beaucoup plus recherchés qu’on ne pourrait le croire à la lecture des manuels scolaires et universitaires. La seconde leçon à tirer, c’est qu’en cette période d’incertitude boursière, investir à droite restait un placement rentable. Le livre de droite est une valeur-refuge : peut-être certains lecteurs n’y avaient-ils pas songé. Alors, lecteurs, gardez tout, vos collections de journaux, vos exemplaires dédicacés par Chard, vos œuvres complètes de Brigneau, Raspail, Mabire, Madiran, Brassier, Chiron, tout, gardez tout ! Et puis, fouillez vos greniers. Un trésor est (peut-être) caché dedans, comme dit la fable. Un sinistre crétin a publié (en 2006) un livre pour expliquer que la droite littéraire d’aprèsguerre, c’était souffre et moisi. Cette moisissure là vaut celle de nos meilleurs fromages : à déguster également chaque jour, midi et soir, avec un verre de Menetou-Salon, par exemple. Chapitre 28 Le vrai visage du « Masque » Dans le domaine du roman policier, les célèbres couvertures jaunes au masque noir et à la plume blanche font partie de nos nostalgies les plus universellement partagées. C’est pour cela qu’on les aime. Mais que cachent ces couvertures ? Qui étaient ces auteurs au nom généralement délicieusement british ? Distillaient-ils une idéologie, et laquelle ? Quelques noms viennent immédiatement à l’esprit : Agatha Christie, bien entendu, mais aussi Steeman, Exbrayat, Pierre Véry, Pierre Nord, Boileau et Narcejac. Souvent de grands écrivains se sont frottés au roman policier. Mais le polar n’est-il pas immoral par essence ? N’y a-t-il pas un côté malsain à vouloir distraire le lecteur avec des affaires de meurtres ? Albert Pigasse, le fondateur de la collection, répondait 182 POLITIQUEMENT INCORRECT ainsi à cette interrogation : « Lorsqu’on a la responsabilité d’une collection de romans policiers, il faut s’attacher à distraire les gens et non à les empoisonner. Dans tous les romans du Masque, j’y tiens, j’y ai tenu et je continue à y tenir, vous ne trouverez jamais, jamais, jamais le crime qui soit justifié ; quelle que soit la situation, le délinquant, l’assassin, le voleur (…) est toujours puni et malgré toutes les astuces qu’il a pu découvrir il y a des policiers plus intelligents que lui qui arrivent à le pincer… Le roman policier doit être une distraction, ça ne doit pas être un poison. » Pas mal, non ? Passons en revue quelques-uns des auteurs du Masque et nous constaterons qu’une sélection s’est opérée, qui a concentré dans cette collection de nombreux talents franchement réactionnaires. À la lettre A, nous trouvons par exemple Edward Aarons. Ce prolifique auteur américain a publié six titres au Masque. Chez lui, les méchants sont généralement communistes. Comme dans la vie… Le journaliste Simon Arbellot, de sensibilité royaliste, auteur d’une bonne petite biographie de Maurras, Charles Maurras, homme d’action (1937), a publié cinq titres au Masque. Étonnant, n’est-ce pas ? Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 183 Autre surprise à la lettre D. Nous trouvons en effet un certain Mark Demwell, auteur de trois Masque. Or, Mark Demwell n’est autre que Marc Demeulenaere, ou encore Marc Dem, auteur du très étrange Les juifs de l’espace et de quelques autres ouvrages, plus sérieux, sur la crise de l’Église. Il fut une grande signature du Choc du mois première manière. Lesley Egon, qui publie un livre au Masque, L’honneur est sauf, a pour elle d’être une dirigeante de l’association américaine antimarxiste John Birch Society. Pour Lesley Egon, alias Elizabeth Linington, le roman policier est un lieu où l’on peut opposer « la vérité au mensonge, la loi et l’ordre à l’anarchie, les codes moraux à l’immoralité ». Autre auteur peu connu en France : Sidney Horler. Ce Britannique a écrit plus de cent cinquante romans, la plupart policiers ou d’espionnage. Deux d’entre eux, L’homme chauve et Le sceau de la pieuvre, ont été traduits et publiés au Masque. Sidney Horler est un écrivain et journaliste très connu outre-Manche pour son nationalisme ; c’est d’ailleurs pourquoi les associations soi-disant antiracistes, qui sévissent là-bas aussi, en ont fait l’une de leurs cibles privilégiées. 184 POLITIQUEMENT INCORRECT Le Belge Louis Jurdant, auteur du Gardien de la porte noire (1941) a côtoyé Léon Degrelle dans sa carrière de journaliste catholique. C’est aux éditions Rex qu’il publie ses premiers livres. Qui est Bernard Lallier, auteur de Terreur à Nantes (1977) ? Tout simplement le romancier Éric Deschodt, qui, pour l’occasion, s’est fait aider de Philippe Heduy. Éric Deschodt écrivait fréquemment dans Présent, au moment du lancement du quotidien non conformiste. John Mac Gregor a publié, également en 1977, Le commissaire-priseur. Personne ne connaît Mac Gregor, qui semble être l’homme d’un seul livre. Mais Jean Bourdier, qui fut une grande signature de Minute, est plus célèbre. Vous l’avez deviné : Mac Gregor et Bourdier ne sont qu’une seule et même personne. Robin Moore, qui a publié, au Masque, L’argent de la rançon (1978) n’est pas plus connu que Mac Gregor. Mais si je vous dis que Moore est l’auteur de The green berets, à partir duquel John Wayne a tiré son fameux film, vous comprendrez que ce Robin Moore mérite toute notre attention. Quand Pierre Nord a publié ses premiers romans au Masque, il s’appelait encore André Brouillard, le bien nommé, avait le grade de capitaine, Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 185 et participait aux actions antisubversives et antiFront populaire de la Cagoule militaire, ou plus exactement de cette nébuleuse anticommuniste qui entendait préparer la résistance aux bolcheviques comme aux nationaux-socialistes. Le très prolifique autant qu’anticommuniste Peter Randa (le père de Philippe) a donné au Masque, sous le pseudonyme de F-M Roucayrol un roman : Étranges aveux (1957), et quatre autres romans sous celui de Jules Hardhouin. Deuxième grande dame anglaise du crime après Agatha Christie, Dorothy Sayers a publié sept romans au Masque. Politiquement à droite comme Agatha Christie, Dorothy Sayers avait en outre des convictions religieuses très affirmées. Nombre de romans publiés avant-guerre, pendant l’Occupation (Dalila n’est pas Dalila, par Claude Virmonne, 1941) ou après-guerre, s’en prennent directement ou indirectement à la révolution bolchevique. En fait, remarquait pour le déplorer l’auteur britannique d’un essai sur le roman policier : Crime story and their audience, le marxisant Colin Watson, de très nombreux auteurs de thrillers ou de romans d’aventure comme Sidney Horler, Agatha Christie, Edgar Wallace, Edward Oppenheim – tous publiés au Masque– étaient très, très à droite. 186 POLITIQUEMENT INCORRECT Quant aux francophones comme Exbrayat ou Steeman, il aurait été difficile de les faire passer pour des gauchistes ! Ce qui confirme bien que la collection du Masque mérite vraiment toute notre confiance et éventuellement notre passion collectionneuse. Quelle est la cote des vieux Masque ? Sans leur très rares et très fragiles jaquettes en couleur signées Jean Bernard, les vieux volumes du Masque ne valent rien ou presque. Mettons 5 € pour les cartonnés et 1 ou 2 € pour les vieux brochés. Mais les 300 ou 400 premiers romans (jusqu’au milieu des années quarante) comportaient ces jaquettes en couleur qui font les délices des collectionneurs. L’infaillible Silas Lod, de S.A. Steeman cote 150 €, La Main de marbre, de J.D. Carr se négocie une centaine d’euros. Un Boileau comme Le Repos de Bacchus (1938) vaut également une centaine d’euros. Les Agatha Christie et les Sayers sont eux aussi très recherchés. Les titres les plus mythiques (Les dix petits nègres…, valent une petite fortune). Pour acheter et vendre des romans policiers anciens, la meilleure adresse est sans doute la librairie Choc Corridor, à Lyon, mais au Parc Brassens, vous trouverez également de très bons spécialistes. Chapitre 29 Chiner du Maurras ? Oui, car il n’est plus édité Savez-vous que la bibliographie de Maurras comporte plus de 200 titres ? Cela en fait l’un des auteurs contemporains les plus abondants. Avec Simenon, Enid Blyton, et quels rares autres parmi lesquels il faut compter son cher Léon Daudet. Mais Charles Maurras n’a pas décliné toute sa vie un seul genre littéraire, avec ses héros récurrents. Le roman policier, par exemple (Maurras en a toutefois écrit un : Le Mont de saturne, publié en 1950). Maurras a au contraire touché à des genres littéraires très différenciés. Beaucoup de ses 200 ouvrages sont des livres importants, voire capitaux, soit dans le domaine littéraire et poétique, soit dans le domaines des idées, du combat politique, soit même pour la connaissance du régionalisme provençal. Sans parler des études historiques, des pamphlets, des récits de voyage. 188 POLITIQUEMENT INCORRECT Et pourtant, comme le note Alain de Benoist dans le texte de présentation de sa bibliographie Charles Maurras et l’Action française (Bulletin Charles Maurras, 16 rue du Berry, 36 250 Niherne), étude reprise dans l’un des quatre tomes de ses études bibliographiques générales (Éditions Deterna), « actuellement dix titres de Maurras seulement peuvent être fournis chez les éditeurs ». Encore deux de ces titres sont-ils des fonds d’éditions d’origine, des années 1922 et 1932 ! Les Pages littéraires choisies et le Prologue d’un essai sur la critique sont en effet encore disponibles. Parmi ces Maurras disponibles, nous trouvons un inédit, Trois devoirs, une initiative du Bulletin Charles Maurras 2001), et quatre rééditions : Mes idées politiques, Anthinéa, Enquête sur la monarchie, et Les Amants de Venise. Ce dernier ouvrage, consacré au couple Sand-Musset, et dont l’édition originale date de 1902, est le seul des dix livres de Maurras à être proposé par un « grand » éditeur. En l’occurrence Flammarion. Triste bilan ! Ainsi en ce début de XXIe siècle, le surdoué de la philosophie, de la politique et des lettres qu’était Maurras ne se trouve pratiquement plus dans les circuits normaux de librairie. L’étudiant, le passionné de littérature Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 189 des années 1900, le militant royaliste, l’adepte du félibrige, qui va se tourner naturellement vers un site d’achat d’Internet, vers son libraire de quartier, vers la FNAC, ne trouvera – au mieux – que l’un ou l’autre de ces titres. Quant aux 190 autres ouvrages, ils sont royalement ignorés – c’es le cas de le dire -. Pourtant, comment prétendre connaître Charles Maurras, si l’on n’a pas lu ou au moins parcouru Le Chemin de Paradis (1895), Trois idées politiques (1898), L’Avenir de l’intelligence (1905), Le Dilemme de Marc Sangnier (1906), Kiel et Tanger (1910), L’Etang de Berre (1915), Quand les Français ne s’aimaient pas (1916), Tombeaux (1921), La Bonne Mort (1926), La Bagarre de Fustel (1928), Au signe de Flore (1931), Devant l’Allemagne éternelle (1937), La Seule France (1941), La Contrerévolution spontanée (1943), Au grand juge de France (1949), et la sensationnelle correspondance BarrèsMaurras de 1970, avec les commentaires de Massis et la présentation de Guy Dupré ? Cette sélection est d’ailleurs totalement arbitraire. En fonction des goûts de chacun, la partie maurrassienne de sa bibliothèque personnelle peut être constituée d’autres titres, ou de titres d’autres époques. 190 POLITIQUEMENT INCORRECT Le paradoxe, c’est que Maurras continue à susciter nombre de travaux, livres, thèses et publications. Jean Madiran et Yves Chiron ont énormément contribué à nous donner toujours envie de mieux connaître cet homme d’exception. Et en première page du Figaro littéraire de la rentrée 2006, c’est encore Maurras que l’on trouve, à l’occasion de la sortie d’une nouvelle volumineuse étude qui lui est consacrée. Qu’est-ce qui nous est aujourd’hui le plus étranger, dans l’œuvre de Maurras ? Sans doute le culte rendu à Anatole France. Maurras, comme Massis, comme beaucoup d’autres, raffolait d’Anatole France, de son écriture classique impeccable, sans surprise. Mais que tout cela a vieilli ! Curieusement Pierre Benoit ou Henry Bordeaux, même, se laissent encore lire avec un certain plaisir, quand Anatole France nous tombe des mains. Lisez donc La Maison d’Henry Bordeaux (est-ce même réédité ? Sûrement pas !) C’est un excellent roman idéologique. Et les idées qu’il véhicule, qui étaient sans doute considérées comme le comble du conformisme, à l’époque, prennent aujourd’hui une délicieuse saveur de politiquement incorrect. Mais inversement Anatole France… Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 191 Un libraire d’ancien de l’île de Ré, spécialisé dans la bonne littérature du XXe siècle, me disait que, dans son stock de livres de grande qualité bibliophilique (grands papiers, belles illustrations, reliures prestigieuses, envois), les Anatole France lui étaient restés sur les bras. Et pour ma part, je suis bien certain qu’Anatole France, politique et poète, écrit par Maurras en 1924, excite moins la curiosité que Le Bon Revolver et le méchant bâton ou La Violence et la mesure, du même Maurras, publiés la même année ! Pour compléter votre bibliothèque maurrassienne, rien ne vaut le parc Brassens (au Pélican noir, par exemple, stand de livres exclusivement maurrassiens), les quais de la Seine, et bien entendu Internet. Savez-vous que le Bulletin Charles Maurras d’Yves Chiron diffuse régulièrement des listes de livres de Maurras d’occasion, à des prix imbattables ? Dans mon Guide des grands livres de l’homme de droite (1993), je m’étais amusé à donner une cote aux livres de Maurras les plus recherchés et les plus marquants. Rien ne dépassait 300 F, mis à part le Dictionnaire politique et critique (publié entre 1932 et 1934) qui rassemble des textes de Maurras en cinq forts volumes de grand format 192 POLITIQUEMENT INCORRECT (ouvrage établi par les soins de Pierre Chardon). J’avais donné à ce Dictionnaire une cote de 2 500 F. Il les vaut bien. Le Dictionnaire commenté de livres politiquement incorrects, que j’ai récemment co-écrit avec Philippe Randa, reprend pour partie les textes de ce Guide de 1993. Mais les cotes sont à présent exprimées en euros. Force est de constater qu’il n’y a pas eu de flambée des prix sur le Maurras. Internet, avec ses sites spécialisés et ses moteurs de recherche, a incroyablement facilité le travail du chineur. Et Maurras d’occasion reste donc un auteur abordable, y compris pour les adeptes de beaux livres. De son vivant il connut des tirages et des retirages remarquables. Maurras n’était pas avare de dédicaces (certes illisibles). Quant à ses amis éditeurs, ils adoraient réaliser des petits tirages numérotés et sur grand papier de ses textes. On peut donc facilement, et pour des sommes modiques, faire de belles trouvailles. Ce qui est plus difficile avec Daudet ou Bainville, les deux autres monstres sacrés de l’âge d’or de l’AF, qui semblent avoir eu la dédicace moins abondante et le « grand papier » moins généreux. Alain de Benoist a recensé 216 titres différents de Maurras, 78 préfaces ou postfaces, 10 ouvrages Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 193 de correspondances, 505 thèses, mémoires, livres, sur Maurras et l’AF. Quel terrain de chasse pour un « chineur » maurrasien ! Et dans la poche, cette petite Bibliographie, pour se retrouver dans ce maquis des lettres. Elle est tellement plus pratique que les deux énormes volumes de Roger Joseph. En 1980, en effet, un maurrassien aujourd’hui disparu, Roger Joseph, avait publié l’œuvre d’une vie : la recension de tout ce qui existait, à l’époque, de et sur Maurras, jusqu’aux enregistrements sonores, films, sculptures, médailles, peintures, photographies etc. Un monument. La somme des sommes, en somme ! Mais à présent ce travail de Roger Joseph est lui même devenu objet de collection. Tiré à 1 000 exemplaires, tous numérotés, dans une belle reliure pleine toile et un emboitage, il est déjà classé et analysé, en référence B73, dans la Bibliographie d’Alain de Benoist. Étonnant, non ? Maurras, entre polémique et occultisme. C’est une petite revue trouvée sur les quais de la Seine : Le Digest de l’occultisme. Cette revue, qui paraissait dans les années d’après-guerre, s’intéressait à toutes les sciences occultes : astrologie, alchimie, magie noire ou blanche, kabba- 194 POLITIQUEMENT INCORRECT le, sorcellerie, cartomancie, radiesthésie, spiritisme, hypnotisme, magnétisme, voyance, transmission de pensées etc. Le « etc. » est d’ailleurs impressionnant, après une telle énumération. Dans son numéro d’octobre 1952, la revue consacre un numéro à Charles Maurras, qui fait d’ailleurs la couverture. En fait, il s’agit simplement d’une étude graphologique de l’écriture de Maurras et de sa signature. Quelle déception, quand on espérait un Maurras en revenant ou en tourneur de tables ! L’analyse de l’écriture de Maurras corrobore tout ce que l’on sait du polémiste de l’Action française : « Activité cérébrale, indépendance, passion, énergie, orgueil, autorité et combativité opiniâtre ». « L’écriture, bouillonnante, montante, en hauteur, dynamogéniée (sic) révèle l’activité vibrante, très éveillée, permanente, de qualité : le mouvement cérébral est perpétuellement en ébullition et le scripteur doit adopter une allure précipitée pour le suivre ». On apprend aussi que Maurras a « une pointe de féminité dans l’écriture (…). Elle paraît appartenir au domaine affectif ». Maurras homo ? Ce serait un scoop ! Et en totale contradiction avec tout ce que l’on sait, par sa correspondance, surtout, de sa vie amoureuse. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 195 Enfin Maurras est « assez ombrageux, facilement boudeur ». En conclusion l’auteur nous explique que le tempérament de Maurras apparaît « sanguin, bilieux, nerveux ». Dans la typologie de La Senne, l’auteur le classerait plus volontiers chez les passionnés que chez les flegmatiques. On s’en serait douté ! La graphologie du polémiste apparaît donc effectivement conforme à ce que l’on sait de Maurras. Mais quel est le mérite d’analyser l’écriture non anonyme d’un homme au soir de sa vie, à l’âge où cet homme, par ses combats, par sa vie publique, s’est tout entier révélé ? Le Digest de l’occultisme aurait pu nous épater vraiment s’il avait par exemple été en mesure d’annoncer que Maurras disparaîtrait quelques semaines après la mise en vente de ce numéro. Car Maurras, effectivement, est mort le 16 novembre 1952, peu de jours après la parution de la revue. Les abonnés du Digest de l’Occultisme y virent toutefois sûrement un signe. Chapitre 30 Moreau-Deschanvres, le peintre de la Foi Si l’on vous disait : « Préférez-vous Picasso ou Auguste Moreau-Deschanvres ? », je suis bien persuadé que vous répondriez immédiatement Moreau-Deschanvres ! Vous ne connaissez sans doute rien de Moreau-Deschanvres, mais vous auriez raison quand même. Un superbe album consacré à ce peintre engagé (dans le bon sens) du Valenciennois nous rappelle que la peinture, reine des salles de ventes et des musées d’art, a toute sa place dans ce dictionnaire. Né en 1838, Auguste Moreau commence à peindre tout jeune, sous la férule d’un professeur de dessin et de peinture nommé Julien Potier (1796-1865), peintre attitré de la duchesse de Berry. Il se fait rapidement une réputation de grand portraitiste dans toute la région Nord-Pasde-Calais. 198 POLITIQUEMENT INCORRECT Mais Moreau-Deschanvres, originaire d’une famille profondément catholique, estime qu’il doit également mettre son talent au service de sa foi. Nous sommes à l’époque de la séparation de l’Église et de l’État, de la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, de l’expulsion des Chartreux, des perquisitions à La Croix et au Pèlerin, des inventaires, etc. C’est le triomphe du combisme. Moreau-Deschanvres, lui, peint et expose des thèmes religieux : Chemin de Croix (1893), La vision de saint Dominique (1893), Saint Armand terrassant le dragon (1899), Les sœurs de la Charité chez les veuves (1903), Le benedicite (1906), etc. La presse anticléricale ne manque pas d’épingler ce peintre réactionnaire, « faiseur de bonshommes copiés sur photographies, plat valet aux petits pieds toujours reçu dans les salons grâce à son échine souple (…), plus épicier qu’artiste » (Le progrès de Denain, 2 juillet 1885). Peintre réactionnaire Ce genre de critique n’a jamais dérangé Moreau-Deschanvres dans ses convictions. En 1907, au lendemain des Inventaires, il expose une toile au titre exact, fort explicite et fort sym- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 199 bolique : « Les sœurs de la Charité d’Arras dans la charrette qui les mène à l’échafaud à Cambrai, le 8 messidor An II (26 juin 1794) ». Ce tableau illustre le martyre de sœur Madeleine Fontaine et de ses religieuses (béatifiées en 1920), leur arrivée sur la grand-place de Cambrai, où se dresse la sinistre guillotine. La composition, dans les teintes brunes, est relevée par les cocardes et les écharpes des révolutionnaires. À Arras, pendant la Révolution française, le représentant du peuple était un prêtre apostat (déjà !), le terrible et mal nommé Joseph Lebon. Il s’acharna sur les sœurs de la Charité, et sur beaucoup d’autres innocents. C’est lui qui les envoya à la guillotine. Par dérision, on leur posa leur chapelet sur la tête, dans la charrette qui les menait vers leur supplice. À plusieurs reprises avant de mourir, la sœur Madeleine Fontaine avait lancé à la populace qui assistait aux exécutions : « Nous sommes les dernières victimes ». Prédiction peu crédible, car à l’époque ce sont des dizaines de têtes qui tombent chaque fois, à Cambrai. Or, la guillotine de Cambrai cessa de fonctionner après l’assassinat des quatre religieuses et de leur compagnon de 200 POLITIQUEMENT INCORRECT martyre, Jean Payen, guillotiné pour avoir refusé d’assister aux messes sacrilèges de Joseph Lebon, quand il était curé constitutionnel. La guillotine fut même démontée rapidement. Et la prédiction de sœur Fontaine se réalisa donc. Quant à Lebon, il finit lui aussi, la tête tranchée, le 15 octobre 1795. Ce n’était que justice. Pour ce tableau, mais aussi pour cent autres, Auguste Moreau-Deschanvres mérite d’être (re)découvert. Le travail de Jean-Claude Poinsignon, un critique d’art de Valenciennes, a fait fortement monter la cote de ce petit maître de la Belle Époque. Aussi, amis lecteurs du Nord et du Pas-deCalais, à vos greniers ! Exhumez les portraits de vos ancêtres et examinez la signature. Si vous trouvez un Moreau-Deschanvres, votre fortune est faite. Chapitre 31 La percaline dans toute sa gloire Il y a quarante ou cinquante ans, ces gros livres pour enfants, à la couverture bariolée, ces livres de prix pour bons élèves des années folles, ne valaient rien du tout. Ils encombraient les greniers, au mieux, les chambres d’enfants, mais on ne les lisait plus guère, mis à part Jules Verne. C’est justement par Jules Verne que la gloire des « percalines » (c’est le nom que l’on donne à ces couvertures) est arrivée. Par Jules Verne et par Michel Roethel, le libraire de L’Ile mystérieuse (7, rue Lagrange, Paris 5e), pape incontesté des livres en cartonnage d’éditeurs XIXe et XXe siècles, et donc spécialiste des Jules Verne sous percaline. Mais qu’estce que cette fameuse percaline ? La percaline, nous disent les Larousse de l’époque, est une « toile de coton, légère et lustrée, employée surtout comme doublure de vêtements ». Comme 202 POLITIQUEMENT INCORRECT doublure de vêtements, certes, mais aussi comme couverture de livres. Et cette toile de coton fine peut facilement être travaillée et décorée, peinte, y compris par des techniques mécaniques, modernes pour l’époque. Entre 1850 et la guerre de 1914, beaucoup de livres, et en particulier les livres pour enfants, qui n’étaient offerts qu’aux grandes occasions : Noël, Communion, anniversaires et Prix de fin d’année, furent édités, en grand format, avec tranches dorées et, sous percaline rouge, bleue, verte parfois, avec le premier plat et le dos ornés de fins décors polychromes ou dorés. Les Jules Verne tiennent bien évidemment la place d’honneur dans ce domaine, car l’éditeur de Jules Verne, Hetzel, fut certainement un précurseur dans l’art de présenter les récits de ses auteurs fétiches. Le collectionneur de Jules Verne sais très bien ce que signifient les formules mystérieuses : « cartonnage polychrome à un éléphant », « aux initiales JV et JH », « au steamer », « aux feuilles d’acanthe », « à la sphère dorée », « aux deux éléphants », « au portrait collé », « au ballon », « à l’obus »… En principe le collectionneur cherche seulement un type de reliure. Le jeu consiste à trou- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 203 ver tous les Jules Verne ayant été édités sous l’une de ces reliures. L’ancienneté de parution et le type de reliure n’ont pas une très grande importance dans l’établissement des cotes. Les Jules Verne « au steamer », « aux initiales » ou « aux feuilles d’acanthe » sont certes plutôt moins recherchées que ceux dits « à la sphère dorée », « au portrait collé » ou « au ballon ». Et pourtant les Jules Verne « aux initiales » sont parmi les plus anciens, les Jules Verne « au steamer » parmi les plus beaux ; À la vérité, ce sont certains titres, parce qu’ils sont du premier tirage ou parce que ces titres, peu demandés, à l’époque, ont été moins réédités, qui attirent les amateurs, font flamber les cotes par exemple César Cascabel sous une percaline « à la sphère dorée », L’école des Robinson « à la sphère dorée », La Jaganda « à la sphère dorée, Les Indes noires « à la sphère dorée », Robur le conquérant « à la sphère dorée » ou Le Secret de Wilhelm Storitz « à un éléphant ». Un champion du colonialisme Que vient donc faire Jules Verne chez les chineurs non conformistes ? L’éditeur, Hetzel, était un ancien communard, un peu sulfureux, donc, 204 POLITIQUEMENT INCORRECT pour son époque, mais parfaitement correct, aujourd’hui. Quand à Jules Verne, le caractère scientifique de ses romans lui donne une réputation d’homme du progrès, donc d’homme de gauche. N’en croyez rien. Jules Verne était, certes, un passionné des machines, de l’avenir, du progrès, mais sur le plan politique, c’était un parfait conservateur. Dieu, la foi, ne sont pas absents de ses livres. Par ailleurs je serais curieux de savoir si les rééditions récentes de livres comme Le Château des Carpates en ont supprimé les digressions antisémites. Et si enfin l’on veut bannir le colonialisme de toute l’œuvre vernienne, autant jeter tout Jules Verne aux oubliettes ! Après Jules Verne, l’amateur de « percalines » se tournera vers les Job. Là, ce n’est pas l’auteur qui compte, mais le dessinateur. Dans les années 1900, Job a illustré de nombreux livres d’histoire, y compris d’ailleurs la Petite histoire de France de Jacques Bainville. Ces livres atteignent à présent des cotes de plusieurs centaines d’euros. Citons par exemple le Murat de G. Montorgueil, illustré par Job, souvent proposé à plus de 1 000 €. Enfin on ne pourra échapper aux Paul d’Ivoi, dont la saga Lavarédienne a créé le mythe du grand reporter, ni aux Danrit, formidable série Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 205 ultranationaliste et militariste d’avant 14. Le colonel Danrit était le pseudonyme d’un officier très proche des milieux nationalistes. Mais vous pouvez aussi vous tourner vers des percalines plus pieuses, plus sérieuses, quoique tout aussi belles, et nettement moins chères (pour un temps encore, mais cela ne durera pas) : les percalines de la maison Mame ou de la maison Desclée. On peut trouver de superbes Saint Martin, Christophe Colomb, Saint Augustin, un Fabiola, La Croisade des enfants, La France et le Sacré-Cœur, les Missions catholiques au XIXe siècle, et plusieurs Jeanne d’Arc. Sans parler de Saint Louis, des Croisades, ou de La Chevalerie (réédité assez récemment, dans une présentation plutôt laide). Ces livres somptueux, véritables œuvres d’art de la bibliophilie, se négocient entre 100 et 300 €. Il arrive même, dans les vide-greniers, ou chez des libraires d’ancien dont ce n’est pas la spécialité, de les trouver pour 30 ou 40 €. Achetez, sans hésiter ! Voilà des ouvrages qui sont loin d’être encore à leur juste prix, et qui devraient rapidement rejoindre la cote des Jules Verne, Paul d’Ivoi et Danrit, dans les cotes élevées. D’autant que les textes, paradoxalement, ont plutôt mieux vieilli que les romans de l’enfance de nos arrière-grands-parents. Chapitre 32 Pétain : du pétainisme à la pétinolâtrie Je suis un pétinolâtre. Quand cette passion m’at-elle pris ? Je ne saurais le dire. Peut-être vers 7 ou 8 ans, en collectionnant les timbres. Le joyau de ma collection, celui que je préférais, était le Buste du Maréchal, brun noir, édité par la poste à l’occasion de son 88e anniversaire, en 1944. Quand la mode des cartes postales est arrivée, à la fin des années soixante-dix, je n’ai pas été pris au dépourvu : j’avais déjà mon stock de cartes estampillées « Secours national d’entraide d’hiver du Maréchal » (cote : 8 à 10 €). Il n’y a guère que les pièces de 1 et 2 francs à la francisque que je n’ai pas conservées pieusement. Elles étaient trop nombreuses en circulation, à cette époque là. Vous l’avez deviné : je suis un pétinolâtre. Attention : ne confondez pas avec les pétainistes. Ceux-là se contentent de défendre la mémoire du vainqueur de Verdun. Le pétinolâtre, lui, se 208 POLITIQUEMENT INCORRECT passionne en plus pour tout ce qui touche au Maréchal : documents, livres, objets. Il bondit s’il entend, dans une conversation, à la radio, les mots « Maréchal » ou « Pétain ». Il peut, dans une page du journal Le Monde, déceler en moins d’une minute si l’un de ces deux mots magiques y figure. Déjà, tout petit, j’éprouvais une sympathie particulière pour un vieil ami de la famille, le colonel Pététin, au seul motif qu’il était militaire et que son nom semblait comme une ébauche, le bégaiement de celui du Maréchal. À vingt ans, je courais les marchés aux puces, à la recherche d’affiches. L’État français en a produit de très belles. Il y a eu la période des insignes, aussi : la vraie francisque (celle de Mitterrand), et la fausse, que l’on distingue par le système des attaches. Puis il y a eu les objets : les assiettes et plats à barbe, les médailles, les cendriers. Ce thème semble inépuisable. Il y a quelques années, au Salon du vieux papier de collection, à Versailles, j’ai découvert la pièce maîtresse de ma collection : une plaque de rue en tôle émaillée : « Place du Maréchal Pétain ». Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 209 Demain, pétinologue ? Ma femme n’apprécie guère cette passion. Elle s’est vite lassée des vacances à l’île d’Yeu, et trouve ruineuses mes commandes de « bimbeloteries » comme elle dit péjorativement, auprès de l’Association nationale Pétain Verdun toujours bien fournie. Mon fils, Philippe, partagera sûrement ma manie, quand il aura l’âge de raison, si j’en juge au plaisir qu’il a à chanter à tue-tête, sur le chemin de l’école : « Maréchal nous voilà ! ». Je lui ai appris également un poème qui commence ainsi : « Maréchal, nous voilà ! : ce chant mâle et grandiose Résonne dans nos cœurs sevrés d’apothéose », et qui se termine avec ces vers tout aussi bien venus : « Enfant, ferme les yeux au mensonge régnant, Lave à l’eau de Vichy le sol couvert de sang ». Son institutrice a demandé à me voir… Mon rêve secret ? Acheter une maison à Verdun. Je l’appellerais « Nous voilà », je m’y enfermerais pour lire les œuvres complètes de Me Isorni, espérant ainsi passer du stade de pétinolâtre à celui de pétinologue… 210 POLITIQUEMENT INCORRECT Ouvrage de référence : Organisations, mouvements et unités de l’État français, P-P Lambert et G. Le Marec (Éditions Grancher) Chapitre 33 Ce curieux engouement pour la Pléïade On peut se demander ce qui justifie l’engouement à l’égard des livres de La Pléïade, cette collection créée en 1931 par l’éditeur Gallimard. Les reliures, en cuir, ou plus exactement en croûte de cuir, sont assez laides, et le papier bible de l’impression rend ces livres illisibles. L’attrait est donc ailleurs. C’est l’idée de posséder un concentré de ce que Gallimard a labellisé « chef d’œuvre de la littérature et du savoir ». On peut en effet se féliciter de faire tenir Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit (en un seul volume) sur trois centimètres de sa bibliothèque au lieu de douze, et À la recherche du temps perdu sur douze centimètres (trois volumes) au lieu d’un demi-mètre. En revanche les Albums de la Pléïade peuvent présenter un réel intérêt pour les amateurs de littérature et pour les collectionneurs. Les Albums 212 POLITIQUEMENT INCORRECT ne sont pas les livres. Les Albums, ce sont ces biographies, imprimées sur papier épais, et largement illustrées, qui, chaque année, sont offertes par les libraires, à ceux de leurs clients qui achètent trois Pléïade d’un coup. Ce produit promotionnel a été créé en 1962. Or il se trouve que ces Albums, qui n’étaient que des cadeaux publicitaires, sont très bien rédigés, par des spécialistes des auteurs traités. Ils sont à présent recherchés, de plus en plus, et ils font l’objet de cotations très officielles. Un « chineur » politiquement incorrect aura donc à cœur de se procurer le Balzac (1962), le Céline (1977), le Montherlant (1979), le Giono (1980), le Faulkner (1995), le Marcel Aymé (2001). L’album de l’année 2000 est écrit par Jean d’Ormesson et consacré à l’histoire de la NRF. Il est également très intéressant, avec tout un passage (illustré) sur la polémique Gide-Béraud. Avant le Balzac, avait été publié un Dictionnaire des auteurs de la Pléïade, dictionnaire biographique illustré, préfacé par Roger Nimier. Un bijou totalement introuvable, hélas. Le Balzac se négocie autour de 500 €. J’ai trouvé mon exemplaire sur un vide-grenier de l’île de Ré, l’été dernier, pour la modique somme de… 1,6 € (après avoir Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 213 âprement marchandé). Encore celui-ci comportait-il un envoi de l’auteur (pas Balzac, bien entendu, mais l’auteur du Balzac). Le Céline a une côte de 230 €. J’ai chiné le mien, il y a une bonne quinzaine d’années, aux Emmaüs de Châteauroux pour 20 F, soit 3 €. le Montherlant, écrit par Pierre Sipriot (bien entendu), vaut plus d’une centaine d’euros. De même le Giono ou le Faulkner. Le Marcel Aymé est trop récent pour atteindre d’emblée cette cote, mais à 50 € c’est déjà une affaire à ne pas laisser passer. De Michel Mohrt à Pierre Sipriot Tout Marcel Aymé a été publié en Pléïade, en trois tomes, y compris son roman inachevé Denise. Marcel Aymé « pléïadisé », c’est formidable pour la postérité. Mais pour la lecture, on peut préférer Marcel Aymé à La Belle Édition (six tomes illustrés, publiés au début des années soixante-dix). C’est dans cette même collection qu’ont été publiés les romans de La Varende et de Béraud. Dans La Belle Édition, La Jument verte est illustrée par l’excellent André Collot, La Vouivre par Jacques Thévenet, Le Passe-muraille par A.D. Steinlein, Le Bœuf clandestin par Maurice Leroy, La Belle Image par Gaston de Sainte-Croix, et Le 214 POLITIQUEMENT INCORRECT Vin de Paris (et autres nouvelles, dont La fameuse Traversée de Paris) par Gaston Barret. Habituellement les gros et beaux livres illustrés de La Belle Édition se négocient autour d’une centaine d’euros pièce. J’ai trouvé les six Marcel Aymé bien reliés en demi-chagrin bleu (dos à cinq nerfs) pour la somme total de 200 €, aux Puces de Châteauroux, le 4 février 2001. Belle affaire ! Ceux qui n’ont pas ma chance, ou qui n’aiment pas se lever tôt pour aller chiner, peuvent donc s’offrir les trois tomes des œuvres romanesques complètes de Marcel Aymé en Pleïade. Mais revenons un instant sur les Albums Pléïades, pour noter que le Faulkner est écrit par Michel Mohrt et le Marcel Aymé par Michel Lécureur, qui préside la société des amis de Marcel Aymé. Autant de gages de sérieux et de qualité. Et l’amateur des œuvres de Michel Mohrt (il y en a de plus en plus, même si cet académicien est la discrétion même) devra lui aussi chercher à se procurer cet Album Marcel Aymé, ce qui va le rendre encore plus désirable et coté. Chapitre 34 Policiers (romans) : série noire et chemises brunes ? Le polar, le roman policier, est lui aussi devenu un objet de collection ! On le cote, on le met en catalogues, on le vend dans des librairies spécialisées comme Aux livres d’Alésia ou la librairie de Roland Buret, passage Verdeau. Et que cherche-t-on dans ces vieux romans policiers, souvent écrits à la va-vite et tirés à des dizaines de milliers d’exemplaires ? Comme toujours, un peu de son passé. Ces Série noire, avec leur charmant liseré jaune, ces « Spécial police », publiés au Fleuve Noir avec les couvertures très kitsch de Gourdon, et les Masque aux 1 800 titres différents, dont Agatha Christie reste la vedette incontestée, c’est tout cela que vient chercher le collectionneur de romans policiers. La lecture du polar est généralement associée aux moments heureux : la vie étudiante, du 216 POLITIQUEMENT INCORRECT temps où les étudiants ne pensaient pas trop à travailler, les vacances, les longs voyages en train. La plupart des vieux polars n’ont aucune valeur marchande. Mais certains titres, certaines collections, s’arrachent à prix d’or. Parmi ces perles rares, le premier San Antonio, Laissez tomber la fille, écrit au temps bien lointain où Frédéric Dard savait raconter une histoire (1951). Il cote aujourd’hui une centaine d’euros. Ou Neiges d’antan de Don Tracy (Série Noire, 1945), qu’on ne peut trouver à moins de 150 €. Mais les auteurs les plus recherchés restent les grands classiques : Conan Doyle et son Sherlock Holmes, Maurice Leblanc et Arsène Lupin, Gaston Leroux et ses deux héros : Joseph Rouletabille et Chéribibi, Jean Ray et Harry Dickson. L’amateur de romans policiers est très traditionaliste ! Un autre auteur est en train de rejoindre les plus grands : Léo Malet et son détective, Nestor Burma. Léo Malet nous est d’autant plus sympathique que cet ancien anarcho-trotskiste n’a jamais pardonné aux communistes le coup du piolet ; et au moment de sa mort (en mars 1996), il avait atteint les rives d’un anarchisme de droite de bon aloi, à la Louis-Ferdinand Céline, et revendiquait haut et fort son lepenisme, Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 217 au grand dam des interviewers qui tentaient, en vain, de le faire taire sur ce thème, et de le cantonner à ses seuls engagements de jeunesse (beaucoup plus corrects !). Le rayon « Policiers » d’une bibliothèque politiquement incorrecte se doit de compter les quinze volumes des Nouveaux mystères de Paris. Léo Malet y raconte un crime par arrondissement (éd Robert Laffont, 1954 à 1958, 23 € pièce). Il est souhaitable d’avoir également quelques Agatha Christie, ne serait-ce que parce que la génitrice de Miss Marple fut un farouche défenseur de la messe en latin. Parmi les Anglais sympathiques, on ne peut manquer de citer GK Chesterton, avec son personnage de prêtre détective, le père Brown (entre 15 et 20 €, dans la collection de Gallimard). Il faut avoir aussi tout ADG (La divine surprise, Les panadeux, cotés une dizaine d’euros en Série Noire). Il n’est pas inutile non plus d’avoir un roman de Jean-Marie Hoedick (pseudonyme de Georges Blond), un autre de Laurent Labattu (pseudonyme de Jacques Laurent-Cely, alias Cecil SaintLaurent). Sans oublier quelques Bob Morane (par Henri Vernes), à cause de leurs splendides couvertures dessinées par Pierre Joubert, et les 218 POLITIQUEMENT INCORRECT mythiques Aventures de Valentin Vey, par François Brigneau. Choc Corridor (7 et 9 rue des Trois Maries, 69005 Lyon). Roland Buret (6 passage Verdeau, 75009 Paris) Chapitre 35 Saint-Loup : un inconnu très, très demandé Dans les années cinquante, soixante, soixantedix, Saint-Loup, alias Marc Augier, était un auteur publié chez Fasquelle, Arthaud, Plon, Les Presses de la Cité, Amiot-Dumont, Presses Pocket, La Table Ronde. Renault de Billancourt, La Montagne n’a pas voulu ou Les Volontaires (cotés entre 40 et 50 €) se trouvaient dans la plupart des bibliothèques paroissiales ou municipales. En vitrine, chez votre libraire, vous pouviez trouver aussi bien Front de l’Est de Léon Degrelle que Les Hérétiques de Saint-Loup. Les livres pour enfants des plus grands éditeurs pouvaient publier 15 histoires de montagne, avec des extraits de Face nord ou de La Montagne n’a pas voulu. Imaginez aujourd’hui le scandale si on découvrait ce qui était banal, il y a trente ans : un ancien Waffen SS en vente libre, et même laissé à portée de la main innocente d’enfants ? 220 POLITIQUEMENT INCORRECT Les tirages de ces ouvrages furent considérables, en particulier les récits de montagne, la trilogie du Front de l’Ets (Les Volontaires, les Nostalgiques, Les Hérétiques), et les aventures industrielles de l’automobile (Renault, Berliet, Volkswagen). Aujourd’hui l’intérêt pour l’œuvre de SaintLoup reste pratiquement identique, comme le note la préface d’une récente biographie de SaintLoup, écrite par Jérome Moreau. Cet auteur « est aujourd’hui condamné aux publications confidentielles destinées à un public restreint de fidèles qui sont souvent tentés de réduire une œuvre et une personnalité aussi foisonnantes à leurs aspects les plus sulfureux ». Dans l’ouvrage collectif Rencontres avec SaintLoup (Les Amis de Saint-Loup, 1991), un Jean Mabire, un Philippe Conrad, un Jean-Claude Valla, un Michel Marmin, un Jean-Jacques Mourreau, un Pierre Vial, qui appartiennent à la génération d’après-guerre, contemporaine de mai 68, plus que de la guerre d’Indochine, même, s’accordent pour souligner l’influence que put jouer Saint-Loup sur eux, par l’intermédiaire de ses livres. Et pour qui connaît bien la fois l’œuvre d’un Jean Raspail et celle de Saint-Loup, il est indéniable que bien des thèmes ont été retra- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 221 vaillés par Raspail d’une façon sans doute plus littéraire, qui avaient été trouvés chez SaintLoup : à commencer par Antoine de Tounens, les Alakaloufs, ou encore certaines nouvelles de La Hache des steppes. Aventurier politique, écrivain éclectique, soldat d’élite, grand sportif, journaliste courageux, visage superbe à la Mermoz, Saint-Loup est un auteur particulièrement intéressant. Il a une vraie cote. Les collectionneurs, les bibliophiles, s’arrachent les premières éditions de ses romans et essais. Alors même que tout ou presque été réédité chez des petits éditeurs de combat : Le Trident, Le Flambeau, L’Æncre, Art et Histoire d’Europe, Avalon, Godefroy de Bouillon, Gergovie, Irminsul, la cote des Saint-Loup ne cesse de grimper. Ne pas oublier Marc Augier Un Saint-Loup ancien est rarement proposé à moins de 20 ou 25 €. Encore s’agit-il généralement des titres les plus « anodins » et les plus courants : Renault de Billancourt ou La Montagne n’a pas voulu, récit d’accidents de montagne ; Les ouvrages plus « historiques », la trilogie du Front de l’Est, par exemple, ou la série des « patries charnelles » (Bretagne, Israël, pays cathare) 222 POLITIQUEMENT INCORRECT qui bénéficiaient également d’énormes tirages, se négocient entre 25 et 50 €. Encore faut-ils qu’ils soient munis de leur jaquette, en bon état. Les ouvrages parus sous le nom de Marc Augier (jusqu’en 1944) ont une cote bien supérieure, qui a tendance à dépasser les 60 € (Les Skieurs de la nuit, Les Copains de la belle étoile, ou, plus rare encore, Les Partisans). Mais les Saint-Loup les plus durs à « chiner » ne sont pas ceux-là. Ce sont certains récits de montagne d’après-guerre, comme Monts Pacifique (cote : 42 €), La Peau de l’Aurochs, Montagne sans dieu, ou même le médiocre roman La République du Mont-Blanc. Certains libraires, quand ils ont la chance d’avoir entre les mains l’un de ces titres, et à condition qu’ils en connaissent la rareté et l’intérêt, en fixent parfois le prix jusqu’à 150 €. Une folie, allez-vous dire ? certes. Mais le vrai anticonformisme de cet intellectuel ultra-engagé, le caractère confidentiel des rééditions actuelles, sa notoriété néanmoins grandissante, colportée de bouche à oreille, comme un mot de passe, rendent particulièrement désirables ces éditions anciennes. Pour peu qu’elles soient valorisées par un envoi, alors les prix flambent. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 223 Mais lisez donc la biographie de Jérôme Moreau (Sous le signe de la roue solaire. Itinéraire politique de Saint-Loup), vous comprendrez pourquoi cet écrivain n’a pas fini de nous fasciner. Chapitre 36 Scoutisme : on en connaît maintenant la valeur (marchande) La vente aux enchères qui s’est déroulée en 1995 à l’hôtel Drouot sous la houlette de Me NéretMinet (expert : Roland Buret), a fixé, pour la première fois semble-t-il, et pour longtemps, une sorte de cote des objets, souvenirs, livres, documents divers du monde du scoutisme. Cette vente très spécialisée s’était déroulée devant un public toujours prêt, mais surtout attentif et très érudit sur ces questions de scoutisme. On reconnaissait dans la salle le père Argouac’h (Riaumont), les auteurs « Signe de Piste » JeanLouis Foncine (décédé à Paris le 29 janvier 2005 à l’âge de 92 ans) et Jean-Claude Alain, et beaucoup d’autres passionnés de l’univers scout. Neuf thèmes structuraient la vente : les revues, les livres illustrés et illustrations, les disques, les dessins originaux (en particulier de Pierre Jou- 226 POLITIQUEMENT INCORRECT bert), les romans scouts, les ouvrages techniques sur le scoutisme, les affiches, les cartes postales et autres documents, les objets et habits scouts. Le père Argouac’h fit une razzia sur les revues (spécialement celles d’avant-guerre s’adressant aux Chefs) et sur les ouvrages techniques. Les romans scouts du « Signe de Piste » vendus en lots partaient à des prix mettant chaque roman à une moyenne de 5 à 10 € le livre. Au détail, les marchands demandent à présent plutôt 10 à 15 € par volume, selon leur rareté, les volumes avec jaquettes papiers des années de l’immédiat après-guerre étant les plus recherchés, car les plus difficiles à trouver en bon état. Jean-Louis Foncine et Jean-Claude Alain tentaient en vain de racheter leurs propres livres. Foncine dut se contenter de s’offrir les 5 volumes de La fusée, supplément annuel du Signe de Piste, publié en 1953, 1954, 1955, 1974 et 1975/1976 (75 €). Jean-Claude Alain dut renoncer à acquérir huit de ses propres romans publiés dans les années cinquante chez Casterman, Roitelet, Soleil Levant, Jamboree (180 € les 8 volumes). Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 227 Les dessins originaux de Pierre Joubert Mais ce sont les dessins originaux de Pierre Joubert et les objets scouts qui, dépassant les estimations pourtant fortes, ont créé la surprise. Les dessins originaux de Joubert, tout d’abord : plusieurs encres de couleur, de petit format (11x15 cm) pour un livre de la collection Cadet Détective, partirent entre 200 et 400 € chaque, tandis qu’un petit portrait de jeune scout (4x13 cm) se vendait 230 €. Les estimations de l’expert étaient situées entre 150 et 180 € pour chacune de ces illustrations. Enfin une gouache en couleurs pour la couverture d’un roman qui n’était d’ailleurs pas un Signe de Piste ni un Bob Morane (ce sont les couvertures de Pierre Joubert les plus recherchées) partit à 600 €. Parmi les objets scouts, il faut signaler des mâts de meute (100 à 130 €), une fourche de chef routier (50 €), des fanions de patrouille ou de guide (100 à 130 €), et surtout un superbe bâton des Scouts de France, décoré de nombreux pictogrammes en couleurs et dessins indiens, ainsi que d’une croix potencée rouge avec gravure « Ardèche, Morvan » (230 €). Un record, très certainement, pour ce genre d’objets, plus décoratif et plus chargé d’ émotion que bien des 228 POLITIQUEMENT INCORRECT objets présentés au nouveau musée Chirac des « Arts premiers ». Record encore, pour un drapeau tricolore avec franges dorées de la 10e Troupe des scouts de France de Rennes, groupe Jean Charcot. Années trente, indiquèrent les spécialistes présents dans la salle, alors que le catalogue annonçait « années cinquante ». Après une furieuse bataille d’enchères, cette pièce superbe, estimée 150 €, fut adjugée quatre fois ce prix à un collectionneur au grand désespoir du père Argouac’h qui la convoitait pour son musée scout de Riaumont. Un musée scout, et un centre de documentation scoute qui, néanmoins, à l’occasion de cette vente, se seront enrichis de quelques belles trouvailles, pour le plus grand profit de la mémoire scoute. Hergé, dessinateur du scoutisme Les grandes ventes aux enchères dites de « tintinomania » nous ont révélé l’œuvre d’Hergé des origines, quand le créateur de Tintin jouait les Pierre Joubert belge et illustrait les livres et revues du scoutisme. Ces ventes nous ont permis en effet de découvrir des collections du Boy-scout belge, introu- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 229 vables, bien évidemment, en France. Chacune des quatre années de parution de cette revue trouvent preneur entre 500 € (1927) et 750 € (1930). C’est dans Le Boy-scout belge que paraît Totor CP des Hannetons, sorte d’ébauche du futur Tintin. De nombreux autres dessins d’Hergé figurent dans des revues rarissimes comme Le Blé qui lève, hebdomadaire de l’Association catholique de la jeunesse belge (un numéro spécial a trouvé preneur à 130 € au cours de l’une de ces ventes), L’Effort, autre hebdomadaire catholique s’adressant cette fois aux plus de 16 ans (il faut payer 70 € environ pour s’offrir un exemplaire), ou encore Les Dossiers du bulletin des chefs, publication destinée aux chefs et routiers du scoutisme belge. Le dessin de couverture représente un scout devant le Christ-Roi. Il est signé Hergé. Et un collectionneur en a donné 200 € pour se l’offrir. Un manuel de technique scoute (1931) Partons en hike ! illustré de 11 petits dessins noir et blanc d’Hergé s’est vendu 300 €. Trois cents euros, aussi, pour Cancan, une revue scoute ronéotée de dix pages dont la couverture est illustrée d’un beau dessin d’Hergé. 230 POLITIQUEMENT INCORRECT Un livre de chants scouts édité par l’Unité Saint-Louis dans les années trente et intitulé Hardis, a trouvé preneur à 200 €, parce qu’il comportait deux dessins signés Hergé, et inconnus à ce jour. Hergé a également illustré plusieurs livres scouts ou catholiques comme L’âme de la mer, Pour un ordre nouveau, L’histoire de la guerre scolaire, dont l’auteur n’est autre que Léon Degrelle, Mile, Le Christ, roi des affaires, La légende d’Albert Ier, Le carnaval de Binche. Certains de ces ouvrages se sont arrachés jusqu’à 500 €. Quelle leçon tirer de ces ventes de Tintinomania ? Pour le commun des mortels, il est déjà trop tard pour se lancer dans la collection du scoutisme façon Hergé. Chapitre 37 Soldats de plomb : antimilitaristes s’abstenir Peut-il y avoir plus grand bonheur que celui de contempler deux ou trois étagères de soldats de plomb ? En rang par six comme pour un 14 juillet, précédés de drapeaux et de la clique, ils représentent à la fois le retour à l’enfance, le goût de la qualité – heureuse époque où l’on peignait les jouets à la main et où le plastique n’existait pas – et, consciemment ou non, une certaine idée de la France. La très grande variété des uniformes a inspiré les créateurs de ces petits personnages en plomb. L’épopée napoléonienne domine complètement le royaume du soldat de plomb. Le nostalgique de l’époque coloniale s’offrira, quant à lui, des boîtes de « Fuscos à l’attaque », « Goumiers et spahis », « Infanterie de marine affrontant des indigènes ». Les plus beaux sont sans 232 POLITIQUEMENT INCORRECT conteste les « soldats de l’armée des Indes », des Anglais, certes, mais de l’époque Kipling et Baden Powell ! Les adeptes du tricolore n’ont que l’embarras du choix, car l’âge d’or du soldat de plomb s’est situé précisément à une époque qui va de 1870 à 1914 où – mis à part le fâcheux intermède de l’affaire Dreyfus – les cris de « Vive l’armée » et de « Vive la patrie » ralliaient tous les Français. Bien souvent le petit garçon avait pour seuls jouets une toupie, un cerceau et sa boîte de soldats de plomb. Les plus courants étaient ceux de la marque Lucotte ou CBG ; ils étaient de forme ronde-bosse, c’est-à-dire en relief, et mesuraient environ 5 cm. Mais on rencontrait aussi des sujets de plus petite taille et plats, les fameux Nuremberg, très pratiques pour la réalisation de dioramas et la reconstitution, presque nombre pour nombre, des grandes batailles de jadis. Dans les années trente et quarante, en Allemagne, en Belgique, et peut-être ailleurs (Suisse ?), certains fabricants utilisèrent des mélanges de plâtre, farine, des sortes de matières plastiques avant l’heure, comme le gutta percha ; la marque Elastolin a notamment produit des figurines extrêmement fines de soldats allemands, qui sont Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 233 aujourd’hui très collectionnées. Ces matières se prêtaient mieux que le plomb au travail de modelage, semblait-il. Mussolini en soldat de plomb Le flambeau du soldat de plomb de qualité n’a véritablement été repris qu’à une époque récente par des artisans qui sont de véritables artistes. Le petit soldat a perdu sa fonction ludique (d’autant que le plomb est un métal toxique) et il est devenu objet de décoration et de collection. Les Espagnols, seuls, ont maintenu (au moins jusqu’à la mort de Franco) la tradition des productions en grandes séries et accessibles à toutes les bourses, avec leurs Allemands marchant au pas de l’oie, les phalangistes, les carlistes, les personnages historiques. Le prix d’un soldat de plomb ? Il faut compter au minimum 23 € pour un ronde-bosse, 50 € s’il s’agit d’un cavalier ou d’un personnage plus rare que le simple piéton défilant. Les Nuremberg valent moins cher, d’autant qu’ils se vendent souvent par lots relativement importants. Il est donc possible d’en trouver autour de 4 ou 5 € l’unité. Pour se procurer un ChiangKaï-shek, un Franco ou un Mussolini, il était 234 POLITIQUEMENT INCORRECT plus économique, jusqu’à une époque récente, de faire le voyage à Madrid plutôt que d’aller passage du Havre à Paris. Notons qu’Ebay a fait nettement chuter les prix, car la vente entre amateurs, sans l’intermédiaires des marchands, en est grandement facilitée. C’est généralement au hasard que tout collectionneur doit ses plus belles trouvailles. Puis-je résister à l’orgueil de vous décrire le clou de ma collection personnelle ? Il s’agit d’un petit lot de personnages, acheté pour l’équivalent de 45 €, chez un brocanteur d’Angoulême lors d’un voyage avec Alain Sanders et le dessinateur Aramis, il y a quelques années : Mussolini à cheval, bras tendu, le Négus à cheval, un chemise noire, deux soldats de l’armée régulière italienne, deux Éthiopiens… Des jouets d’enfants datant de la guerre italo-éthiopienne, et malgré cela, dans un état de conservation exceptionnel. Chacun en tirera la morale de son choix. Chapitre 38 Louis Suire, peintre, éditeur, illustrateur, d’une Île-de-Ré « d’avant Jospin » Louis Suire (1899-1987) est un Rochelais –entendez : un habitant de La Rochelle – qui a peint toute sa vie la Charente maritime, ses principaux paysages, à commencer par le port de La Rochelle, l’île de Ré, l’île d’Oléron. Son œuvre picturale couvre la période qui va des années trente aux années quatre-vingt, qui est celle de l’extraordinaire boum touristique de cette région. Suire veut très vite vivre de son pinceau et fréquente les peintres professionnels dès son plus jeune âge. L’artiste a eu comme maître Louis Giraudeau, peintre de l’île de Ré à qui l’écrivain Henri Béraud racheta les Trois Bicoques en 1922, grand oncle de l’acteur Bernard Giraudeau (Bernard Giraudeau qui, tout jeune acteur, joua dans la pièce de Robert Brasillach, La Reine de 236 POLITIQUEMENT INCORRECT Césarée). C’est le peintre Giraudeau qui fit connaître l’île de Ré au jeune Suire (il avait alors 13 ans). Plus tard Louis Suire acheta lui aussi une « bicoque » sur l’île de Ré, dans un hameau à demi ruiné du bout de l’île, « La Rivière », un hameau qui est devenu aujourd’hui l’un des endroits les plus prisés de l’île… Inutile de vous dire que les ruines ont été relevées depuis longtemps, dans ce hameau dont tous les habitants doivent être à présent imposés sur la fortune. Louis Suire a peint l’île de Ré, l’île des années trente et cinquante, l’île d’avant le pont (1988), bien entendu. C’est l’île des moulins, des ânes en culottes, des femmes portant la « quichenotte », la coiffure traditionnelle, à la sortie de la messe. C’est un peu l’île de Suzy Solidor, d’Henri Béraud, de Paul Colin, de Pierre Daye. Ce n’est pas celle de Jospin, de Toubon, de Guy Bedos et de Régine Desforges. Et si Louis Suire a contribué au succès de l’île, ce succès rejaillit à son tour sur l’œuvre de Louis Suire, et a considérablement augmenté le nombre de ceux qui collectionnent ses tableaux. Qu’est-ce qui fait le succès de cet artiste ? C’est que sa palette a su tirer le meilleur parti des maisons blanches, des ciels bleus, des éten- Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 237 dues d’eau (mer ou marais poitevins) et des massifs de roses trémières. Ce sont des paysages que l’on aurait pu croire réservés au Portugal, des luminosités de Côte d’Azur. Tout cela, au fond, assez peu connu jusqu’à une date récente, et assez peu exploité par les peintres. En 1926, le peintre se fait éditeur, aussi. Il crée les éditions À la Rose des vents, et va publier une trentaine d’ouvrages en cinquante ans. Ces livres sont parfois écrits par lui, parfois par d’autres, mais sont illustrés de ses dessins, pastels et aquarelles. L’anti-Jospin, sur l’île de Ré La qualité des papiers utilisés, les petits tirages, les sujets –uniquement des thèmes régionalistes – ont fait que ces livres sont désormais très collectionnés. D’autant que, raconte son fils Claude Suire, « les illustrations étaient reproduites en typographie, mais mon père les colorait toutes à la main et pour chaque volume ! C’était un travail de fourmi, de bénédictin, même, qui durait tout l’hiver et davantage ». la cote de tels livres ? La librairie Quillet, à Loix, propose L’île d’Oléron, paysage et histoire (1954) à 230 €, Quatre héroïnes d’amour au pays de Poitou et de Sain- 238 POLITIQUEMENT INCORRECT tonge, par Maurice Rat (1957) à 260 €, Ré en 1627, par Guy Marion (1967) à 380 € ou Images du pays d’Ouest (1970) à 275 €. On constate une cote déjà impressionnante pour des livres somme toute récents. Suire a illustré une dizaine d’autres ouvrages, réalisés par d’autres éditeurs, et écrits notamment par P.J. Toulet, Gaston Chéreau (Le Vent du destin), Eugène Fromentin (Dominique). Quelles étaient les idées de Louis Suire ? Assez éloignées de celles des « bobos » qui envahissent l’île de Ré en août. Lisez Images du pays d’Ouest, et vous constaterez qu’il se plaçait résolument du côté des Vendéens contre les colonnes infernales, du côté de la foi et de la fidélité, contre un certain « monde moderne ». Comme le peintre Fernand Maillaud, en Berry, Louis Suire a illustré le bonheur de vivre dans une France rurale préservée longtemps des miasmes de la corruption des villes. Un équilibre, une harmonie, qu’a su fixer à jamais sa peinture. Chapitre 39 Timbres : il y eut de bonnes années Rien de plus agaçant qu’un collectionneur de timbres, polarisé par ce seul sujet. Reconnaissons pourtant que le timbre-poste est un témoin remarquable de son époque. À travers le timbreposte, l’histoire de France commence seulement avec Napoléon III. La guerre de 1870 et le siège de Paris ont donné lieu à des envois de courrier par ballons. Cinquante-six ballons montés, partis de Paris, ont transporté vers la province et l’étranger du courrier et des journaux. Leurs affranchissements font le bonheur des collectionneurs. Ni l’anticléricalisme d’avant 1914 ni le Bloc national et le Cartel des gauches d’après la victoire, ne se traduiront philatéliquement parlant, par une production engagée. Tout au plus peuton noter qu’il est dans l’air du temps de fêter Jeanne d’Arc en 1929 (timbre du 5e centenaire de la délivrance d’Orléans), et l’Algérie française 240 POLITIQUEMENT INCORRECT en 1930 (centenaire de l’Algérie française : vue prise de Mustapha supérieur, à Alger). Ce sont les hommes du Front populaire, en fait, qui, les premiers, vont utiliser le timbre à titre de propagande. En 1936 et 1937, on ne compte pas les séries vendues au profit des chômeurs intellectuels (sic !) des réfugiés politiques, des œuvres sociales des PTT, du Rassemblement universel pour la paix… Portraits de Jean Jaurès, de Gambetta, de Victor Hugo, scènes de la Révolution française. C’est à cette époque, aussi, où l’inculture triomphe, qu’est commise la plus connue des bourdes philatéliques : un portrait de Descartes à l’occasion du tricentenaire du « Discours sur la méthode » (au lieu du Discours de la méthode). Pendant les quatre années que va durer l’État français, le timbre-poste va servir à entretenir le patriotisme et l’unité nationale : les effigies du maréchal Pétain figurent en nombre, et attestent de la popularité du vainqueur de Verdun. Mais le seul timbre de propagande est celui édité au profit de la Légion tricolore, armée politique destinée à « représenter la France sur tous les théâtres d’opération où nos intérêts nationaux sont en jeu ». Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 241 Les timbres de la Légion tricolore se présentent sous forme de bandes verticales, l’une bleue, l’autre rouge, séparées par une bande blanche. Après la guerre, le timbre conserve et accentue sa fonction de révélateur des conflits idéologiques. La Résistance devient le premier des sujets philatéliques, tandis que des timbres sont émis à la gloire de Proudhon, Blanqui, Louis Blanc (1948), Paul Langevin (1948), Danton et Robespierre (1950), Jules Ferry (1951), Rousseau (1956), Jules Guesde (1957), Léo Lagrange (1957), Jaurès encore (1959), Marc Sangnier (1960), Camus (1967), Gide (1969), De Gaulle (1971), mais aussi Péguy (1950), Saint Louis (1954), Honoré d’Estienne d’Orves (1957), le père de Foucauld (1959), Louis-Marie Grignon de Montfort (1974), Marie Noël et Bernanos (1978), etc. À partir de 1981, toutefois, la balance penche à nouveau nettement à gauche, comme si la France n’avait produit que des Marx Dormoy, des Flora Tristan, des René Cassin et autres Vincent Auriol. Et nous avons dorénavant droit chaque année à un timbre maçonnique, comme le remarquait récemment Présent. 242 POLITIQUEMENT INCORRECT Un timbre Louis XVI ? Oui : aux Maldives Pour acheter un beau timbre de Louis XVI ? Il faut aller jusqu’aux Maldives ! Car si la poste française n’a pas jugé nécessaire de consacrer le moindre timbre à l’effigie du roi martyr lors du bicentenaire de sa mort, les Maldives nous proposent un Louis XVI en costume d’apparat absolument superbe pour 15 L. D’autres pays n’ont pas été en reste : SaintMarin, le Togo et le Vietnam ont illustré l’arrestation du roi et de sa famille ; le Sierra Leone nous offre un portrait du souverain. La République des Comores a représenté sur un timbre à 75 F Louis XVI montant à l’échafaud. Madagascar a illustré notre bon roi faisant ses adieux à sa famille. Un timbre de Norfolk, enfin, montre Louis XVI s’entretenant avec La Pérouse. La France, elle, à la date du bicentenaire du martyre du roi, a préféré publier un timbre maçonnique. Hasard… Chapitre 40 Tintin et la tintinophilie Maniaques ou collectionneurs ? Il existe un sous-groupe très particulier de l’espèce humaine : il s’agit des tintinophiles. En octobre, on les rencontre au Salon de la bande dessinée, faisant provision de boîtes de crabe extra (distribuées par Omar Ben Salaad). Leurs vacances, ils les passent au château de la Chapelle d’Angillon, où ils visitent à dix reprises le musée Tintin Ils consacreront un week-end d’hiver pour une virée en Belgique, espérant rapporter dans leur valise un exemplaire du fétiche arumbaya à l’oreille cassée, dont un musée de Bruxelles vend des copies. Ces fanatiques possèdent bien entendu tous les albums d’Hergé dans les éditions les plus anciennes, celles qui comportaient un « dos toilé » (en fait cartonné) rouge, jaune et parfois bleu. Ils ont dans leur bibliothèque Le monde d’Hergé, de Benoît Peeters, Tintin et moi, Entretiens avec 244 POLITIQUEMENT INCORRECT Hergé de Numa Sadoul, L’école d’Hergé de François Rivière, le « Spécial Hergé » publié en 1978 par les Cahiers de la bande dessinée et surtout celui que la regrettée revue Bédésup consacra à l’immortel petit reporter belge. Le Monde de Tintin Ont-ils le rarissime ouvrage de Pol Vandromme, paru chez Gallimard en 1959 : Le monde de Tintin ? C’est à partir de là, de cette possession, que la tintinophilie trouve vraiment sa place dans notre série de thèmes de collection politiquement incorrects. La première étude de fond sur l’œuvre d’Hergé est en effet ce livre du critique belge Pol Vandromme. Un livre, soit dit en passant paru dans une collection où l’on trouve aussi l’enquête de François Brigneau : L’aventure est finie pour eux (1962). Les collectionneurs qui s’arrachent le Vandromme (coté 130 €) ignorent vraisemblablement que ce même Pol Vandromme est l’auteur d’un Robert Brasillach, d’un Drieu La Rochelle, d’un Marcel Aymé, d’un Roger Nimier, d’un Jacques Perret…enfin tout ce qu’on aime ! Pol Vandromme est le premier à avoir révélé les ressorts psychologiques du monde d’Hergé. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 245 Le premier à avoir fait une lecture adulte de l’œuvre hergéenne. Depuis lors le travail de Pol Vandromme a été constamment pillé par tous les exégètes du monde tintinesque, y compris par ceux qui ont cherché à obtenir une espèce de condamnation morale de l’œuvre d’Hergé, qualifiée de raciste, colonialiste, cléricale et anticommuniste. Mais ont paru depuis lors beaucoup de dossiers et de travaux qui ont totalement renouvelé l’approche de l’univers de Tintin. Je pense d’abord au catalogue de l’exposition Tintin de 1985 au château de La Chapelle d’Angillon (vendu l’équivalent de 7,5 € à l’époque, il était déjà recherché l’été suivant par les collectionneurs). Jean d’Ogny, le maître d’œuvre de ce catalogue, avait travaillé dans le respect total de la dimension héroïque des albums de Tintin. Second document : le numéro 80 d’une revue aujourd’hui disparue : L’Astrolabe, intitulé La bande dessinée : un sujet trop sérieux pour ne pas le laisser aux enfants. C’était un panorama de la bande dessinée actuelle et passée, vue de droite. Il a fait grincer quelques dents du côté des adeptes de la BD écolo-porno. Tintin tenait une large place dans cette étude : « Pour comprendre notre 246 POLITIQUEMENT INCORRECT monde, lisez Tintin » ; « 50 ans avant Soljenitsyne : Tintin au pays des Soviets ». Et puis il y avait ce dessin de Jouannic pour illustrer l’article « la BD est de droite » où l’on voyaitt un Tintin dont le visage rappelait étrangement celui de JeanMarie Le Pen . Diffusé à Angoulème, le numéro fit scandale, et l’affaire faillit mal tourner pour les diffuseurs de cette sympathique revue. Il y eut ce Bédésup qui titrait « Tintin for president », et dont la couverture s’ornait d’un magnifique portrait en pied de Tintin par Aramis. Trois autres publications, extrêmement rares et recherchées, feraient le bonheur de bien des Tintinophiles, mais elles sont totalement interdites. Il y a d’abord la plaquette d’Olivier Mathieu, publiée en 1990, et intitulée De Léon Degrelle à Tintin. À l’époque on pouvait se la procurer pour l’équivalent de 6 € auprès de la revue de poésie belge Altaïr. J’estime aujourd’hui sa cote à 60 € au moins. Tintin son copain Quelques années plus tard, très précisément en 1993, plusieurs journalistes de Présent, dont votre serviteur, publiaient Hergé et nous, un ouvrage Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 247 d’une centaine de pages illustré par Aramis et Chard. Les foudres de la Fondation Hergé tombèrent sur l’éditeur. Il s’en suivit une lourde condamnation et l’interdiction absolue de diffuser ce livre, dont le tirage n’avait pas été conséquent, en toute hypothèse. Hergé et nous n’a donc connu qu’une diffusion de quelques centaines d’exemplaires. Il s’en vendait sous le manteau au prix de 75 €, il y a quatre ou cinq ans. Un exemplaire a été proposé en salle de vente, récemment, mais je ne sais quel sort lui a été réservé. Périodiquement je suis contacté par des collectionneurs qui se disent prêts à débourser 150 € et plus pour l’acheter. Mais hélas, je ne peux rien leur proposer. Sinon je serais un homme riche ! Dernier ouvrage, lui aussi rapidement interdit : le magnifique Tintin mon copain, de Léon Degrelle, paru en décembre 2000. Le 19 janvier 2005, la librairie parisienne La Licorne bleue était condamnée à 4 000 € d’amende, et son gérant à quatre mois de prison avec sursis, pour avoir vendu cet ouvrage. Oui, vous avez bien lu, pour avoir vendu un livre, un libraire, en France, a été récemment condamné à de la prison et à une forte amende. Il semble que même la simple possession de ce livre, à titre privé, soit interdi- 248 POLITIQUEMENT INCORRECT te. Abondamment illustré, cet ouvrage est magnifique. Inutile de vous dire que je le possède. Mais la cachette est inviolable… En résumé : il est impossible qu’un tel tir groupé venu de la droite n’ait pas d’influence sur les tintinophiles qui n’avaient déjà peut-être pas besoin de cela pour œuvrer dans la bonne direction…, ceci malgré les procès et les interdits. Une chose est sûre : amis lecteur, découpez et conservez soigneusement ce chapitre. Si vous rencontrez un tintinophile, vous pouvez le lui échanger, ou le lui vendre à prix d’or ! Tintin vendu (aux enchères) Qui aurait pu imaginer que Tintin deviendrait une vedette des salles de vente ? Qui aurait admis qu’on puisse vendre un jour un album Tintin au prix d’un incunable du Moyen Âge, et un dessin original d’Hergé au prix d’un Van Gogh ? L’engouement pour la bande dessiné antique d’une manière générale, et plus spécialement pour l’œuvre d’Hergé, a commencé à se faire sentir au début des années quatre-vingt. Cet intérêt a correspondu à l’accession au pouvoir d’achat de la génération des ex-adolescents de l’après-guerre jusqu’à la fin des années soixante, Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 249 qui pouvaient éprouver éventuellement un brin de nostalgie pour les Spirou, Tintin, Cœurs vaillants et autres Pilote de ces années-là que l’on dit avoir été l’âge d’or de la bande dessinée. Mais les premières ventes aux enchères spécialisées ont traité la bande dessinée comme un produit bas de gamme. Les cotes étaient encore modestes, et aucun commissaire-priseur ne croyait vraiment à l’avenir de ce thème de collection. Les premières ventes, à Drouot, reléguèrent la BD ancienne et les dessins originaux des maîtres au rang de la collection de boutons, ou de cendriers publicitaires. C’est amusant, mais ce n’est ni médiatique ni lucratif. Le premier à avoir compris que le public amateur de BD ancienne pouvait lui aussi être attiré dans les salles de vente a été le libraire parisien Roland Buret (6, passage Verdeau, 75009 Paris). Un catalogue bien fait, un peu de publicité chez les clients habituels de la librairie et dans les revues spécialisées, une marchandise de qualité, sortant de l’ordinaire, l’aventure méritait certainement d’être tentée. L’une de ces premières ventes de qualité eut lieu en 1989 à Drouot, il y a donc plus de 15 ans. Ce jour-là, les commissaires-priseurs, alors 250 POLITIQUEMENT INCORRECT associés, Néret-Minet et Couteau-Bégarie, dispersèrent environ 300 lots. Et tout de suite les albums Tintin et les objets Tintin se trouvèrent en tête de la demande. Une planche originale de l’album L’Oreille cassée, qui avait été estimée par Roland Buret entre 4 500 et 5 000 € (du moins l’équivalent en francs), trouvait finalement preneur à 140 000 francs, soit pratiquement 20 000 €. La plupart des autres estimations étaient également pulvérisées. Un amateur déboursait par exemple 6 000 F sur estimation de 2 000 F pour une lettre autographe d’Hergé avec dessin original à l’encre noire représentant Tintin et Milou signée. À cette occasion, les spécialistes ont pu constater également que les albums Tintin se collectionnaient à présent comme les timbres. De même que le vrai philatéliste cherche les dentelés et les non-dentelés, et tous les types correspondant à des retirages de planches de timbres différents, de même le tintinolâtre cherche à décliner la gamme des 24 albums Tintin dans tous les types d’édition possibles : en noir et blanc, avec de grands dessins couleurs hors texte, dos toilé jaune, rouge, bleu, et toutes les variétés identifiables au deuxième plat, qui donnait Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 251 les titres au catalogue de la maison Casterman, et qui permet ainsi de deviner l’année de parution (le copyright n’a aucune signification). Au cours de cette même première vraie vente spécialisée de 1989, une simple carte de vœux des studios Hergé, signée, non d’Hergé, mais de sa veuve, trouvait amateur à 700 F. Signe, là aussi, d’un engouement pour un thème secondaire de collection hergéenne : la carte de vœux des studios Hergé. Mais cette vente de 1989 allait-elle être un simple feu de paille ? Trois mois plus tard, les mêmes commissaires-priseurs, au même endroit, avec le même expert, dispersaient une nouvelle collection de bandes dessinées. Même succès. Même succès d’audience, même succès médiatique. Mais surtout même succès financier. Avec toujours cette prédominance de la demande sur l’œuvre d’Hergé. D’où l’idée d’organiser, en décembre 1990, une très grande vente, un événement médiatique, autour de Tintin. Un superbe catalogue tout en couleurs fut édité ; il était lui-même destiné à être collectionné, une fois la vente passée. Ce qui a bien été le cas (5 500 exemplaires vendus !). 252 POLITIQUEMENT INCORRECT Trois cents personnes se pressaient ce 8 décembre 1990, à l’espace Kronenbourg, avenue Georges-V, pour se partager, sur la journée entière, environ 500 lots. Dans la foule, on reconnaissait le chanteur gauchiste Renaud, Paul-Loup Sulitzer, Patrick Segal et diverses autres vedettes du tout-Paris. Cette vente rapporta environ deux millions de francs, 64 % des lots ayant dépassé l’estimation de l’expert, Roland Buret. Le produit final de cette quatrième vente professionnelle était supérieur au total des trois premières, confirmant s’il en était besoin, que Tintin était désormais une valeur sûre dans un marché de l’art fluctuant. Le dessin vedette de la vente, une couverture originale en couleurs des Cigares du pharaon fut vendue séparément, dans les coulisses (donc hors taxes) pour la modique somme de 3 100 000 F (elle avait été achetée 150 000 F sept ans plus tôt). Depuis lors, Tintin s’est retrouvé plus d’une fois dans les salles de vente, en particulier en 1992, où 400 lots hergéens furent dispersés. Mais désormais les salles de vente de province font aussi du Tintin. À Laval, une vente est organisée chaque année depuis 1992. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 253 Internet a contribué à ralentir l’inflation. Grosso modo, les pièces de moyenne gamme, surtout si elles présentent l’usure (normale) d’une bande dessinée qui a été beaucoup lue, ne se vendent pas à plus de 50% de la cote officielle. Mais ceci n’est pas vrai pour les documents et albums les plus rares, qui ne se vendent d’ailleurs pas par ses canaux là. Faut-il s’inquiéter qu’un art mineur comme la BD, que l’œuvre hergéenne, aussi futile, soient ainsi mis à l’honneur et fassent l’objet de telles spéculations ? Regardez l’art moderne, regardez la culture hip-hop à la Jack Lang, le succès du rap-tag dans la culture dominante et vous vous direz qu’après tout la petite saga Tintin est beaucoup plus porteuse de valeurs que cette « avantgarde » artistique, si parisienne, si frelatée. Chapitre 41 Trains électriques : une idée de l’infini Marchand de trains de collection ! Peut-il exister plus beau métier ? En ouvrant boutique au 65 rue Laugier dans le XVIIe arrondissement de Paris, Laurent de Beauvais a très certainement réalisé un rêve de jeunesse. L’enseigne de la boutique de Laurent de Beauvais représente un train et une gare, pas n’importe laquelle, celle de… Beauvais, bien entendu. Ce collectionneur, fils de collectionneur, a rassemblé dans cette caverne d’Ali Baba ludique des centaines de trains et de wagons miniatures de toutes marques : grosses machines à vapeur d’avant-guerre, Trans Europ Express, luxueuses voitures Pullman ; les vitrines de sa boutique ressemblent à une gare de triage, la plus belle des gares de triage. D’autant que les décors sont tout aussi exceptionnels : gare en tôle de marque Bing, tirelires-kiosques Menier, voitures, personnages, maisonnettes. Tout cela en 256 POLITIQUEMENT INCORRECT plastique, parfois, mais le plus souvent en tôle lithographiée ou en plomb. Laurent de Beauvais avoue éprouver un plaisir tout particulier à réaliser les décors de sa vitrine. Ce n’est pas le réalisme de l’objet miniaturisé que l’on cherche à mettre en valeur, ici, mais plutôt le caractère naïf et plaisant à l’œil de ce qui a été d’abord et avant tout un jouet d’enfant. On joue en effet au train électrique ou au train tout court depuis prés de cent cinquante ans. Dès 1859, le prince impérial avait son petit train installé dans le parc de Saint-Cloud. Un train déjà très réaliste avec sa locomotive d’un mètre de long, son viaduc, sa gare. La miniaturisation Plus nous nous rapprochons de l’époque contemporaine, et plus le train-jouet se miniaturise, exiguïté des appartements oblige. Il se généralise, aussi, devenant réellement bon marché, avec les marques françaises Jef et Jouef et la marque franco-anglaise Hornby, tandis que, dans le haut de gamme, l’Allemand Märklin s’impose. L’échelle de nos grands-parents, c’est le 1/43e. Après la guerre apparaît l’échelle dite HO, la plus répandue aujourd’hui (1/87e). Elle permet Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 257 de faire circuler un réseau sur une grande table de salle à manger, par exemple. À partir de 1964, la miniaturisation franchit un nouveau pas avec les échelles N ou Z (1/160e et 1/220e). Les locomotives sont de vrais petit chefs-d’œuvre de mécanique, mais que reste-t-il du plaisir du ferrovipathe – c’est ainsi que l’on nomme les amateurs de trains-jouets – quand il faut une loupe pour apprécier sa collection ? Le ferrovipathe est-il de droite ou de gauche ? Grave question, mais qui, curieusement, ne semble pas, jusqu’à présent, avoir passionné les politologues. Il y a en France 50 000 amateurs de chemins de fer miniatures d’âge adulte (ou censés l’être). Qu’une partie d’entre eux appartienne à la gauche, ce n’est malheureusement pas impossible, en particulier chez les retraités SNCF convertis sur le tard aux joies du trainjouet après avoir épuisé celles des vrais trains (et nous avoir épuisés par leurs grèves à répétition). Mais le train électrique est un jeu qui, par essence, implique un certain goût pour l’ordre, la logique, la discipline. Les convois doivent pouvoir circuler dans tous les sens, se croiser, s’arrêter, repartir, changer de voie, sans jamais se percuter ou dérailler. 258 POLITIQUEMENT INCORRECT Un rail, dans son parfait parallélisme, donne une idée de l’infini. Ce qui nous amène à Dieu. Et puis, pas de lutte des classes, ici. L’amateur véritable apprécie autant les wagons de 1re ou de 2e classe, voire les anciens 3e classe de la Deutsche Reichsbahn. Le fascinant, dans un réseau en mouvement, c’est cet ordre universel : tout bouge, tout vit, mais tout est ordonné par la volonté du Grand Horloger, en l’occurrence le ferrovipathe luimême. C’est pourquoi, sans doute, les collectionneurs de trains-jouets sont légion, à droite. L’un des plus grands collectionneurs, Michel Desgranges, fut longtemps secrétaire général de l’Association professionnelle de la presse monarchique. Quant au regretté Henri Vincenot, le grand romancier de la Bourgogne et de la SNCF, il se situait plutôt dans la mouvance littéraire d’un Marcel Aymé ou d’un Jacques Perret. Dans l’histoire des droites, le chemin de fer a toute sa place. Il est présent aux heures tragiques : c’est le train qui écrase le conseiller Prince, mettant un terme abrupt à l’affaire Stavisky ; c’est le train blindé de l’amiral Koltchak, face aux hordes rouges de Trotski et Frounze. Un Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 259 train blindé qui, soit dit en passant, avait tout de même une autre allure que le wagon plombé de Lénine ! Le général Boulanger Mais le train est également associé aux épisodes exaltants. C’est le wagon de Rethondes, apothéose de la carrière militaire de Foch et de Weygand. C’est l’exil clermontois du général Boulanger ; tous les chromos de l’époque ont illustré cet épisode : des milliers de Parisiens tentent de s’opposer au départ de leur héros, le général Revanche. Ils ont envahi les quais de la gare de Lyon. Certains d’entre eux se sont couchés sur la voie ferrée (Déroulède les fera lever d’un geste de sa canne). Boulanger monte sur la machine haut le pied, et salue une dernière fois la foule. Il reviendra à Paris en héros national dès l’année suivante, avant de connaître le destin que l’on sait. C’est sans doute par référence à cette scène que Laurent de Beauvais a accroché dans sa boutique un grand portrait polychrome du général Boulanger, qui semble désormais présider aux destinées d’un univers pour lilliputiens. La roche tarpéienne est proche du Capitole, semble nous rappeler 260 POLITIQUEMENT INCORRECT Ernest-Georges Boulanger. Et le Capitole, comme chacun sait, est l’un de nos plus beaux trains, la pièce maîtresse de toute collection qui se respecte… Laurent de Beauvais (65, rue Laugier, 75017 Paris). Chapitre 42 Travail-Famille-Patrie : + 10 % Lu dans Timbroscopie, le magazine de la philatélie active : « Travail, Famille, Patrie : + 10 % ». Voici une information qui réjouira tous ceux qui sont attachés à ce triptyque de valeurs incontournables. Évidemment – et on ne peut que le regretter –, Timbroscopie ne fait pas allusion à une progression des idées sous-tendues par ces trois mots, ni même à une progression électorale des défenseurs du Travail, de la Famille, de la Patrie. Il s’agit, plus prosaïquement, de la cote des timbres-poste consacrés à ce thème. D’une année sur l’autre, en effet, les catalogues de timbresposte ont répercuté cette hausse de 10 %. C’est néanmoins un bon signe car, jusqu’à présent, l’État français avait mauvaise presse chez les philatélistes. Les timbres de cette époque voyaient leur cote stagner de façon décevante. Pourquoi 262 POLITIQUEMENT INCORRECT cela ? Parce que ces timbres ont été achetés en tant que valeur refuge, stockés dans les armoires, sous les piles de draps, ou enterrés avec bijoux et louis d’or, dans la lessiveuse, au fond du jardin. Quand la guerre a pris fin, des planches entières de timbres neufs ont refait surface, provoquant un marasme dans le « Pétain », ou dans le « Travail, Famille, Patrie ». C’est précisément la fin de ce purgatoire que nous annonce l’envolée de la cote. Plus 10 %, ce n’est pas rien dans un marché globalement très calme. À quoi attribuer cette progression ? Sans doute à l’engouement sur le thème de la dernière guerre et de l’Occupation chez les philatélistes. Et puis il y a cet interdit jeté sur tout ce qui est souvenirs maréchalistes. L’attrait du péché joue à plein. Il n’en reste pas moins que les timbres de cette époque sont encore abordables, et à la portée de (presque) toutes les bourses. Tous les timbres des années noires Chez Philatélie-Nation, par exemple (16, passage des Panoramas, 75002 Paris) il est possible d’acheter la totalité des timbres français parus entre 1940 et 1944. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 263 De tels lots ne comportent toutefois pas les timbres émis pour l’affranchissement du courrier des soldats de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme. Un cadeau inattendu (et à présent un peu coûteux) à faire à un jeune philatéliste politiquement incorrect. Le thème des Chantiers de la jeunesse provoque également un fort engouement. Un petit opuscule consacré à l’histoire postale des Chantiers de la jeunesse nous donne de précieux renseignements sur la cote des entiers postaux (cartes postales à thème dont le timbre est imprimé et non pas collé) et des cachets postaux émis par les Chantiers de jeunesse En gros, de tels documents valent ne trentaine d’euros. Il faut compter 75 € pour un entier postal et jusqu’à 100 € pour certaines marques de la Jeunesse ouvrière française en Allemagne, Chantiers de jeunesse de la Marine, FFI-Chantiers de la jeunesse des Pyrénées-Gascogne. Une conclusion plus politique que philatélique Les auteurs de cette plaquette concluent ainsi leur étude : « Si l’on considère l’étroitesse de la marge de manœuvre qui était nécessairement celle 264 POLITIQUEMENT INCORRECT des chefs en des temps si difficiles, on ne peut qu’être frappés par le résultat globalement positif qui fut celui de l’opération Chantiers de jeunesse. » Une conclusion dont la portée dépasse largement le cercle des collectionneurs de timbres de la Seconde Guerre mondiale, n’est-il pas vrai ? Chapitre 43 Pol Vandromme Vous avez forcément quelque part un « Pol Vandromme » dans votre bibliothèque, si vous êtes amateur de bonne littérature. Ceci pour deux raisons : d’abord parce que Vandromme est un écrivain belge qui s’est mis un jour au service de la littérature française. Ensuite parce que Vandromme publie énormément, deux ou trois livres par an, et sur des sujets assez divers, mais touchant toujours au monde des lettres. Né à Charleroi en 1927, directeur du journal Le Rappel de Charleroi, ce voyageur immobile qu’est Pol Vandromme mérite d’être « chiné », d’être collectionné, car aucun de ses innombrables livres n’est négligeable. Ce sont au contraire des ouvrages de référence, et qui font date. À mes yeux les deux plus étonnants, très précieux pour un collectionneur, sont Le Monde de Tintin (1959, coté 130 €) et La Droite buisson- 266 POLITIQUEMENT INCORRECT nière (1960). Le Monde de Tintin est la première étude sur l’univers d’Hergé. Avec une prescience étonnante, Vandromme a vu, à une époque où la bande dessinée était considérée comme une lecture vulgaire, à laisser aux enfants (et encore !), qu’Hergé était en train de bâtir une œuvre, une œuvre géniale, universelle. Vandromme a aussi révélé le premier les nondits de Tintin, et la lecture adulte qui pouvait en être faite. Depuis lors psychologues, sociologues, politologues, tintinophiles, tintinophobes – et jusqu’à Léon Degrelle – ont décortiqué la saga de ce jeune héros et de son chien Milou, de son ami le capitaine Haddock. Mais, encore une fois, Vandromme a été le premier, et longtemps le seul, à avoir découvert du génie là où tout le monde (à commencer par Hergé lui même) voyait un petit talent d’amuseur. Bravo, Pol ! Le Monde de Tintin a été réédité en 1994 à La Table ronde. Lors de ventes spécialisées, il peut trouver preneur jusqu’à 175 €. Quelques années après que Bernard Frank, dans la revue de Sartre, Les Temps modernes, ait révélé qu’un complot de hussards menaçait la république des lettres, Pol Vandromme publiait La Droite buissonnière. C’est la découverte Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 267 qu’une secrète complicité unissait en effet tout un monde allant de Marcel Aymé à Paul Sérant et de Boutang à Blondin en passant par Perret. Depuis lors cette droite buissonnière a été bien des fois revisitée. La cote de La Droite buissonnière, dans son édition d’origine, est de 40 €. Ensuite, que lire de Vandromme ? Son Brasillach (Plon, 1956), son Le Vigan (Revue célinienne 1980), son Rebatet (Éditions universitaires, 1968), son Céline (Pardès, 2001), son Michel Déon (La Table ronde, 1990), son Anouilh, son Jacques Perret, son Michel Mohrt, son Simenon, son Félicien Marceau, son Drieu la Rochelle, son Marcel Aymé, et aussi ses souvenirs de jeunesse, et ses Bivouacs d’un hussard (2002). Pour quelqu’un qui, comme moi, et comme vous, sans doute, possède une bibliothèque importante, le recensement de ce que l’on a et de ce qui manque est pratiquement impossible, car le réflexe est de classer son Rebatet avec Rebatet, son Tintin avec les bandes dessinées, son Europe en chemise, avec les ouvrages consacrés aux ligues d’avant-guerre, son Le Vigan avec les ouvrages sur le cinéma etc. Le plus simple, une fois ce constat réalisé, c’est de retrier – une fois de plus – sa bibliothèque, de reprendre et rassembler 268 POLITIQUEMENT INCORRECT tous ces ouvrages, de les classer à la lettre V comme Vandromme, au rayon littérature, entre le critique André Thérive et le romancier Roger Vercel. Car en final Pol Vandromme, au service des lettres contemporaines françaises, nous donne un œuvre parfaitement singulière. Chapitre 44 Vieux papiers : quand la vie d’un homme vaut 120 F La vie d’un homme pour 120 F. C’est le prix que demandait un bouquiniste du marché au puces de la porte de Vanves pour un lot de vieux papiers, dans les années quatre vingt dix : documents administratifs, photos, lettres, papiers d’identité, cahiers, ayant appartenu à un certain capitaine Colomines « Vous verrez ; ça devrait vous intéresser. Il a été mystérieusement assassiné à la Libération », m’avait précisé le marchand pour m’appâter. C’est ainsi que l’histoire du capitaine Colomines, né le 12 août 1893 à Perpignan, mort le 2 septembre 1944 à Bordeaux, est arrivée entre mes mains. A-t-il encore de la famille, des proches qui se souviendraient de lui, alors même que ses papiers les plus intimes ont été dispersés ainsi, pour finir à l’étal d’un brocanteur ? 270 POLITIQUEMENT INCORRECT La vie du capitaine Colomines, telle qu’elle peut être reconstituée à partir de ces documents, mérite pourtant d’être racontée ; elle jette une lumière crue sur une époque où les Français ne s’aimaient pas, mais qu’avec leur mémoire courte ils ont déjà oubliée. Jeune soldat de la classe 1913, Colomines fut blessé à deux reprises en 1917, et cité quatre fois, dont deux fois à l’ordre de l’Armée. Il termina la Grande Guerre avec la Croix de Guerre, étoile de vermeil, étoile d’argent et deux palmes, et fut fait chevalier de la Légion d’Honneur. Durant l’entre-deux-guerres, il n’est pas absurde de penser qu’il fut de ces anciens combattants qui, dans la mouvance des ligues, s’opposaient à la médiocratisation de la France, oublieuse du sacrifice de toute une génération. Dans ses papiers, une carte de visite de Charles Maurras, seul indice permettant de se faire une idée sur les sympathies de Colomines Rappelé par ordre de mobilisation le 3 septembre 1939, Colomines s’illustre à nouveau, puisqu’il est cité à l’ordre du régiment, et décoré de la Croix de Guerre, étoile de bronze. Fait prisonnier le 22 juin 1940, il est libéré un an plus tard, pour reprendre son activité de patron Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 271 d’une petite entreprise de maçonnerie, et participe à la fondation de l’Association des prisonniers de la guerre 1939–1940, qui a pour but de venir en aide à ceux qui sont toujours dans les oflags d’Allemagne. Est-ce dans le cadre de ces activités nouvelles que le capitaine Colomines va rencontrer le commandant Pierre Costantini, autre héros de la guerre 1914–1918 ? Ou bien est-il attiré, comme le furent beaucoup de jeunes gens de l’époque, par le prestige de cet aviateur célèbre ? Toujours est-il qu’en septembre 1941, à son retour de captivité, le capitaine Colomines adhère à la Ligue française d’entraide sociale et de collaboration européenne, de Pierre Costantini. Il y cotisera exactement six mois. Dans sa Revue d’histoire du fascisme, François Duprat ramène cet engagement à sa juste proportion, en rappelant ce qu’était cette Ligue : « La Ligue prétend compter de nombreuses sections en zone occupée : Bordeaux, Angoulême, Mont-de-Marsan, La Rochelle, Rochefort, Angers, Saumur, Nantes, Rouen, Dijon. Sur Paris, en tout cas, ses effectifs étaient squelettiques, au grand maximum 200 adhérents. En réalité, Dijon représente le seul point fort de la Ligue (…). Elle a bientôt 80 adhérents ; sa sec- 272 POLITIQUEMENT INCORRECT tion de la Ligue des jeunes, fort peu politisée (elle regroupe des fanatiques de l’aviation intéressés par… les modèles réduits !) a quinze membres en 1942 (…). Ailleurs, la Ligue ne joue qu’un rôle infime, quand elle n’existe pas seulement sur le papier. » Quelle fut l’activité du capitaine Colomines au sein de cette Ligue fantomatique, qui n’a guère laissé de traces dans l’Histoire ? Ce que nous savons, c’est qu’à cause de ces six mois de cotisations, le 31 août 1944, un groupe de FFI kidnappait le capitaine Colomines à son domicile, et l’emmenait au 55, rue Villedieu, à Bordeaux, un poste de FFI qui n’était autre que le domicile privé d’un des nombreux commandants de la Résistance. Là, un courageux personnage répondant à l’appellation de capitaine Dubreuilh arracha le ruban de la Légion d’Honneur de Colomines, et le gifla. Sa pipe et son pistolet À 18 heures, ce 31 août 1944, le capitaine Colomines put griffonner sur un papier un message à sa famille : « Ayons confiance ; je crois avoir été un bon Français ; si je me suis trompé, ma bonne foi est entière. Vive la France. Je vous embrasse tous (…). » Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 273 Nul ne devait jamais le revoir vivant. À la nouvelle de son arrestation, ses amis tentèrent d’intervenir. Les ouvriers de sa petite entreprise familiale portèrent la pétition suivante au commissariat : « Nous soussignés, employés et ouvriers de l’entreprise Colomines dont les noms suivent, certifions sur l’honneur que le capitaine Colomines notre dévoué patron a toujours été pour nous un employeur qui a toujours et en toutes circonstances sauvegardé nos intérêts. Parmi nous un grand nombre ont été grâce à lui soustraits au service en Allemagne. Malgré les risques qu’il encourait comme personnellement responsable, certains ne sont pas retournés en Allemagne, leur permission de travailleurs libres terminée ; un autre, prisonnier évadé, est resté grâce au patron. Jamais à l’entreprise le patron n’a parlé politique. C’est un Français qui nous a prouvé qu’il agissait toujours pour la France. Nombreux sont les cas que nous pouvons citer et que nous demandons à citer où son courage nous a sauvés de l’emprise ennemie. Qu’il nous soit rendu, qu’il puisse travailler avec nous à la tête de tous, nous le suivrons de tout notre cœur, Français comme lui, car nous savons qu’il ne demande qu’à reprendre la tenue militaire qu’il a toujours portée avec honneur et courage. » 274 POLITIQUEMENT INCORRECT Le 2 septembre 1944, à 2 heures du matin, la sœur du capitaine Colomines était informée qu’il avait essayé de s’échapper, qu’il avait menacé les gardiens d’une bouteille (sic !) et que les gardiens avaient été obligés de l’abattre. Deux balles au cœur, quatre balles dans la tête : en fait, le capitaine Colomines fut vraisemblablement abattu pendant son sommeil. Ceux qui ont vu le corps ont déclaré qu’il reposait sans trace de lutte. Ses vêtements étaient impeccables, sans poussière. De même le pantalon et les chaussures. Aucune ecchymose. Visage calme. Ainsi finit l’histoire du capitaine Colomines, minuscule péripétie d’un drame beaucoup plus vaste, celui de l’Épuration. Un an plus tard, sa veuve reçut un extrait des minutes du greffe de la Cour d’appel de Paris lui apprenant que son mari « ayant appartenu postérieurement au 1er janvier 1941 à un mouvement collaborateur était suspendu [pas déchu] de ses droits de vote, d’élection et d’éligibilité ». Ces fichus fonctionnaires, toujours le mot pour rire. Cent vingt francs pour connaître le destin du capitaine Colomines était-ce payer trop cher ? Il y a soixante ans, une vie humaine ne valait même pas ce prix. Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 275 Cette histoire, je l’ai racontée dans Présent, il y a donc quelques années. Et j’eus le plaisir de recevoir la lettre d’un vieux monsieur, très ému, qui se souvenait parfaitement de Colomines, de son courage, de ses engagements, de « ses deux meilleurs amis : sa pipe et son pistolet ». Conclusion Les anges gardiens et les vieux livres « Depuis Chardonne, je crois aux anges gardiens. » Paul Morand, Ce que je voulais vous dire aujourd’hui J’en discutais l’autre jour à un dîner parisien avec le docteur Merlin : la recherche de vieux livres, la bibliophilie, la constitution d’une bonne bibliothèque, c’est une chasse au trésor perpétuellement recommencée. Le livre a peut-être cet avantage sur tout autre objet ancien, que le meilleur spécialiste ne peut être spécialiste en tout, ne peut tout savoir. C’est chez un libraire du Parc Brassens, plutôt spécialisé dans le surréalisme et autres escroqueries littéraires, que j’ai trouvé L’École du renégat, de Jean Fontenoy. Il ignorait bien évidemment qui 278 POLITIQUEMENT INCORRECT était Jean Fontenoy et quelle mort étrange il trouva, en 1945, dans Berlin en flammes, sous un uniforme qui n’était pas celui de son pays. Pour financer une croisade C’est chez le grand spécialiste de Jules Verne, Michel Roethel, que j’ai acheté, il y a plus de vingt ans, mon premier « Tintin au dos blanc ». À l’époque, je l’ai payé 1 (un) Franc ! Etait-ce un prix ? Sur le coup, je n’y ai pas vu ce qui me saute aux yeux aujourd’hui : c’était un signe de mon ange gardien. Dont Michel Roethel n’avait été qu’un intermédiaire. N’est-ce pas en effet à ce même libraire que j’avais vendu, cinq ans auparavant, ma propre collection de vieux Jules Verne cartonnés, pour financer mon voyage au Liban chrétien avec Jacques Arnould, Philippe de Vergnette, et quelques autres jeunes croisés, tous bien décidés à apporter à nos frères libanais le soutien actif – et armé – des chrétiens de France ? Ce « Tintin au dos blanc », c’était sans doute un geste de mon ange gardien, une sorte de remerciement pour la vente des Jules Verne. La chasse aux vieux livres est faite de cent émotions de cette nature, de cent coups de cœur, quand on découvre au milieu d’un étal sans Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 279 grand intérêt LE livre qu’on recherchait depuis des mois, des années. Entre la poire et le fromage, je développais cette idée à mon voisin de table, ce docteur Merlin que je savais chansonnant, mais que j’ignorais jusqu’alors chineur. Et quel chineur ! Merlin semblait sceptique. — Je pense en effet que beaucoup de trouvailles sont dues tout simplement à mon ange gardien, lui expliquai-je. Comme tout le monde, comme vous, docteur, j’ai un ange gardien. Et celui-ci, semble-t-il, connaît ma passion bouquineuse. Il s’amuse, parfois, à la satisfaire. De préférence dans les moments inattendus. — Exemple ? — Exemple ! En vacances dans le Morbihan, il y a quelques années, je suis allé faire un tour à la charmante brocante du quartier Saint-Goustan, à Auray. À la même époque, j’avais découvert incidemment que Léon Degrelle avait publié dans les années cinquante un roman de science-fiction intitulé La Grande Bagarre, sous le pseudonyme de Doutreligne. J’aimerais bien trouver ce livre, me disais-je en descendant la rue menant à la brocante. Au premier stand, dans une lessiveuse en tôle, pleine de vieux romans 280 POLITIQUEMENT INCORRECT policiers dépenaillés, il m’attendait. La Grande Bagarre était là. Pour moi. Pour la première fois, ce jour là, je me suis dit que mon Ange gardien, quelque peu facétieux, me précédait dans les brocantes, les foires aux livres et les vide-greniers, pour favoriser mes trouvailles. Mais attendez la suite, Merlin. Elle vous surprendra. Il y a deux mois à peine, j’entre dans un « Centre des occasions », à Bagneux, sur la Nationale 20. Dans la partie livres, cent mètres au moins de rayonnages alignaient des Livres de Poche, des Delly, des Louise Hervieu et autres Régine Desforges dépareillés. L’ensemble, dans une demi pénombre, était tellement rebutant que j’étais sur le point de renoncer à y jeter un coup d’œil. Un seul livre dépassait, sur une rangée, comme s’il avait été extrait de son étagère, d’une pichenette. De l’allée centrale, à dix mètres au moins, j’ai lu le nom de l’auteur : Caroline Jones. Je l’ai lu, ou plutôt je l’ai deviné. C’était un livre sur la reine d’Angleterre. Un livre que je cherchais depuis très longtemps (nous étions avant l’ère d’Internet et des sites de livres anciens). Parce que je savais – et mon ange gardien aussi, apparemment – que Caroline Jones n’était autre que François Brigneau. Un pseudonyme dont il usait Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 281 dans les années cinquante. Pour des romans grivois, mais pas seulement. — Ne me faites pas croire que vous imaginez que votre ange gardien, avec ses petites ailes, vous a précédé dans ce « Centre des occasions » pour pousser ce livre au milieu de dix mille autres, vous permettre de le trouver tout de suite ? Merlin restait sceptique. — Attendez, Merlin, l’histoire ne s’arrête pas là. Ce serait trop simple, en effet. Ce livre était également recherché depuis des années par Anne Le Pape, la collaboratrice attitrée de François Brigneau. Aussi, je ne pus faire mieux que de le lui offrir, la mort dans l’âme. Mais mon ange gardien veillait toujours. À peine une semaine plus tard, Anne Le Pape m’appelle : depuis dix ans, elle avait laissé chez plusieurs libraires d’ancien qu’elle connaissait, la consigne de lui trouver ce titre de Caroline Jones, à n’importe quel prix. Pendant dix ans, rien. Et pratiquement le lendemain de mon cadeau, l’un d’eux se manifesta : il venait de « rentrer » ce titre, et le proposait, enfin, à Anne Le Pape ! Anne ne pouvait faire autrement que de m’offrir cet exemplaire-là. Et c’est ainsi qu’une seconde fois je pus entrer en possession de ce livre. Mais franche- 282 POLITIQUEMENT INCORRECT ment, Merlin, comment ne pas voir dans la trouvaille de ce libraire un nouveau geste de mon propre ange gardien, destiné à me récompenser de mon (très beau) geste ? » Le docteur Merlin est un esprit fort. Visiblement, il ne croit ni à Dieu ni à diable, et encore moins, sans doute, aux anges gadiens. Peutêtre, à la rigueur, à l’Ankou, aux Trolls, farfadets et autres bestioles qui hantent les landes celtes. Forcément, avec le nom qu’il porte ! Mes histoires semblaient le laisser de marbre. — Mais vous Merlin, qui êtes un chineur fou, ne vous est-il pas arrivé de faire des trouvailles tout aussi improbables ? — Si fait, m’avoua-t-il, après un long silence. Un jour, je me suis rendu dans un vide-grenier. C’était le vide-grenier le plus nul, le plus minable, le plus affreux qu’on puisse imaginer. Le paradis des cadeaux Total et des peluches pelées. À cette époque, je me passionnais pour l’écrivain maritime Paul Chack, et rien ne m’aurait comblé davantage que de dénicher quelques ouvrages de cet auteur. « Ce n’est pas ici que j’en trouverai », bougonnai-je. Au stand, il y avait une caisse de vieux livres. C’était à peu près tout ce qui était un peu ancien, Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect 283 dans ce vide-grenier ! Par acquis de conscience, par désœuvrement, par pure conscience professionnelle de chineur, je soulevai les premiers livres, qui n’avaient strictement aucun intérêt. Au dessous : une caisse entière de Paul Chack ! Tous ces titres que je convoitais. Ceux de la collection « Marins à la bataille », et les autres, avec les magnifiques couvertures illustrées par Haffner. Ma main tremblait en tendant au propriétaire du stand, un ventripotent banlieusard vêtu d’un superbe jogging fluo, en tendant le billet de… 5 €, qui me permit d’emporter le lot. — Et comment expliquez-vous cette trouvaille ? — C’est vrai, je ne me l’explique pas. — Alors, vous voyez ! triomphai-je en enfonçant ma cuillère dans une délicieuse Poire Belle Hélène. Vaincu, Merlin se transforma en rat… de bibliothèque, bien entendu ! PRINCIPALES ŒUVRES DE FRANCIS BERGERON Vade Mecum du Voyageur de la Liberté, Le Trident (1977) ; réédition Ed. solidaristes (1979) Le Goulag avant le Goulag, DMM (1987) Itinéraire d’un chrétien progressiste, DMM (1988) Guide des citations de l’homme de droite, Le Trident (1989) La Révolte de Crève-Bouchure (Bande dessinée et dossier), Vérité en BasBerry (1989 ; réédition Triomphe (1996) Le Syndicat du Livre ou la mainmise communiste sur la presse, Difralivre (1989) Guide des grands livres de l’homme de droite, Ed. Bergeron-Sanders (1993) Guide du collectionneur politiquement incorrect, L’Æncre (1996) Béraud, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2003) Léon Daudet, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2006) Monfreid, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2009) Saint-Loup, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2010) Georges Rémi, dit Hergé, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2011) Bardèche, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2012) En collaboration Cinq continents accusent Amnesty, DMM (1982) Les Droites dans la rue, nationaux et nationalistes sous la IIIe République, DMM (1985) De Le Pen à Le Pen : nationaux et nationalistes sous la Ve République, DMM (1986) Les Héros de l’Alcazar (Bande dessinée et dossier), Cercle franco-hispanique (1987) Le Pen, le livre blanc d’un phénomène, L’Orme rond (1988) Guide de l’homme de droite à Paris, Le Trident (1988 ; nouvelle édition (1989) Guidargus, le livre politique sous l’Occupation (sous le pseudonyme d’Agathon), Cercle franco-hispanique (1990) Codréanu et la garde de fer, (sous le pseudonyme d’Agathon, Cercle francohispanique (1991) 286 POLITIQUEMENT INCORRECT Hergé et nous, Ed. Bergeron-Sanders (1994) Dictionnaire commenté de livres politiquement incorrects, Dualpha, (2006) Romans pour enfants Série Diables bleus (Clovis) Le Mystère de la chèvrerie Le Mystère du vieux Menton Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Le Série Bordesoule (Triomphe) Secret de la statue volée Secret d’Argentomagus Secret des mille étangs Secret du grand-père disparu (avec Alain Sanders) Secret du phare des baleines Secret du bandit éthiopien (avec Alain Sanders) Secret du clocher d’Ars Secret de l’abbaye de Clairac (avec Alain Sanders) Secret de Trousse Chemise Secret de la rue Pierre Loti Secret du bagnard de Saint Martin Secret des ânes en culotte Secret du Moulin de Bois Plage Secret du tombeau d’Obazine Secret du tournoi de Bannegon Secret du Fort Boyard Secret de la dune d’Escoublac Secret de la maison du sénéchal Secret de la grotte des Korrigans Secret de la plage de Boisvinet Secret des Remparts de Guerande Secret de la crue d'Argenton Secret du Fort de Penthièvre secret des 24h démentes secret de la Chabotterie Le club des Diables bleus (Clovis) Le mystère de la Chèvrerie Le mystère du vieux Menton Collection « À nouveau siècle, nouveaux enjeux », dirigée par Philippe Randa aux éditions de l’Æncre La Tyrannie de la transparence – Pierre Le Vigan, préface d’Arnaud Guyot-Jeannin L’islam chez lui chez nous – Norbert Multeau, préface de Jean-Pierre Péroncel-Hugoz D’une colonisation l’autre. Vers la guerre civile - Émil Darhel Réflexions sur le Pouvoir – Dr Bernard Plouvier Le XXIe siècle et la tentation cosmopolite – Dr Bernard Plouvier Le FN et le social – François Vial (présente), préface de Marine Le Pen aux éditions Dualpha 12 Théories de l’État et de la Société – Pierre Chassard Sarkozy le tout-à-l’ego – Démocrite Justice expédiée ou expéditive ? – Démocrite La mercatique ou le nouvel art de la guerre – Gilles Falavigna La patrie, l’Europe et le monde – Pierre Le Vigan-Jacques Marlaud (présentent) Le Front du Cachalot – Pierre Le Vigan, préface de Michel Marmin À Marie la très douce mère de Jésus – Abbé Pierre Molin Les Saints Patrons des nations européennes – Abbé Pierre Molin Le Christ décrypté – Jean-Louis Omer Les Alter Européens – Frédéric Pichon (présente), préface d’Alexis Arette L’injustice et la trahison (Israël, les Arabes et la Palestine) – Mokhtar Sakhri La Terreur islamique (Les démons de la Foi) – Mokhtar Sakhri Collection « Politiquement incorrect », dirigée par Philippe Randa aux éditions de l’Æncre Martin Heidegger, philosophe incorrect - Jean-Pierre Blanchard Aux sources du national-populisme - Jean-Pierre Blanchard Profanation - Chard, préface de Philippe Randa Le Théâtre de Satan - Me Éric Delcroix La Salsa des cloportes - Pierre Descaves, préface de Bruno Gollnisch La Démocratie travestie par les mots - Richard Dessens Avant-guerre. Chronique d’un cataclysme annoncé - Guillaume Faye L’Archéofuturisme. Techno-science et retour aux valeurs ancestrales - Guillaume Faye Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistance européenne - Guillaume Faye Le Racisme anti-français - Henri de Fersan Solutions nationales à la crise mondiale - André Gandillon Les “Antisémites” de gauche - Roland Gaucher & Philippe Randa Quand grossissent les têtes molles - Pierre Monnier, préface de Philippe Randa Délit et rature - Rolandaël Écrits politiquement incorrects - Jean Silve de Ventavon D’une colonisation l’autre – Emil Darhel aux éditions Déterna La faim justifie les moyens - Jean-Pierre Blanchard, préface de Philippe Randa Mythes et races - Jean-Pierre Blanchard, préface de Philippe Gautier Les chemins de la victoire - Jacques Bompard Les nouveaux nationalistes - Christian Bouchet (présente) Jeunes Nationalistes d’aujourd’hui - Christian Bouchet (présente) Le testament d’un Européen - Jean de Brem Des rêves suffisamment grands - Pierre Descaves, préface de Jean-Claude Martinez La Salsa des cloportes - Pierre Descaves, préface de Bruno Gollnisch Désacralisée, la France devient folle - Georges Dillinger La France LICRAtisée - Anne Kling, préface d’Alain Soral Aux Voleurs ! - Konk, préface de Philippe Randa Les Manipulateurs de la culture - Roland Gaucher, préface de Philippe Randa La Racisme anti-allemand - Philippe Gautier Les Avenues de la Ve - Béatrice Péreire Rivarol, hebdomadaire d’opposition nationale - Marc Laudelout (présente) Ordre nouveau - Alain Renault (présente) Le Dilemme. les jeunes face à la vocation du mariage - Marie-Claude Sarrot Comme une veillée d’armes - Jean-François Touzé aux éditions Dualpha Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect - Francis Bergeron Les nouveaux païens - Christian Bouchet Les Faux Amis de l’Amérique - Patrick Brunot, préface de Dimitri O. Rogosin Lettres enfin ouvertes au directeur du Monde - Gilbert Comte Carnet d’un Réfractaire - Jean Curutchet, préface de Philippe Randa Banlieues en feu - Gilles Falavigna, préface de Nicolas Tandler La Mystification antiraciste - Gilles Falavigna À la recherche des Dieux - Bruno Favrit, préface de Piere Gillieth La Germanophobie - Philippe Gautier, préface de Jean-Pierre Blanchard Le racisme anti-allemand - Philippe Gautier Faut-il sauver la sécurité sociale ? - Dr Régis Giet, préface de Jacques Marseille Diverses droites - Patrick Gofman Être royaliste - Thiery Jolif (présente) Retour au réel - Maxime Laguerre, préface d’Alain de Benoist Paroles d’initié - Hervé Laurent La Justice malade du cancer - Emmanuel Ludot Interpellations (Questionnements métapolitiques) - Jacques Marlaud, préface d’Anne Brassié Vers la société multiraciste - Jean-Jacques Matringhem et Philippe Randa (présentent) Lumières de France - Abbé Pierre Molin, préface de Georges Daix Promenades de l’esprit - Abbé Pierre Molin Tables d’hôte - Franck Nicolle, avec la collaboration de Wilfried Da Costa Oliveira L’Antirépublique - Jean-Louis Omer Chroniques Barbares - Philippe Randa – 1993-2001 (tome I) – Le Bien va mal (tome II), préface de Christian Bouchet – Nous, les Insurgents ! (tome III) – Présumé coupable politique (tome IV), préface de Serge de Beketch – La France d’en haut les urnes (tome V), préface de Jean Robin – Sans vergogne politique (tome VI), préface de Philippe Pichon – À l’ombre de l’Europe d’en haut (tome VII), préface de Pierre Vial, 2010 – Sous haute surveillance politique (tome VIII), préface de Pierre Le Vigan, 2011 – Indignations politiques (tome IX), préface de Nicolas Bonnal, 2012 L’État de la judéomanie - Jean Robin Quand l’islam frappe à la porte - Jean-Claude Rolinat, préface d’Olivier Pichon ; postface de Christian Bouchet Les Démons de la Foi - Mokhtar Sakhri Génération et évolution humaines - Francis Verdavoine-Bourget Surpopulation : un drame planétaire ! - Francis Verdavoine-Bourget Le Génie du judaïsme - Dominique Zardi, préface de Philippe Randa L’Algérie des mirages - Dominique Zardi, préface de Jean-Claude Rolinat Catalogue gratuit sur simple demande en écrivant à : Francephi diffusion Boite 37 16 bis rue d’Odessa 75014 Paris Tél. 09 52 95 13 34 - Fax. 09 57 95 13 34 Mél. : [email protected] www.francephi.com Vous y trouverez la présentation de tous les livres des éditions Dualpha - Déterna - L’Æncre dirigées par Philippe Randa Cinéma… Histoire… Ésotérisme… Essais politiques… Guerre d’Algérie… Littérature… Seconde Guerre mondiale…