Dico collectionneur e

Transcription

Dico collectionneur e
Francis Bergeron
Dictionnaire
du collectionneur
politiquement
incorrect
Né en juin 1952 à Crosne (Essonne). Militant
« solidariste » dans les années 70 du XXe siècle,
Francis Bergeron est arrêté en URSS en 1975
lors d’une manifestation de soutien aux dissidents soviétiques. L’année suivante, il combat à
Beyrouth dans les rangs des phalanges libanaises.
Collaborateur un temps de l’hebdomadaire
Rivarol et du quotidien Présent, animateur (dans
le Berry) d’associations culturelles non conformistes et président (sur l’île de Ré) de l’association des Amis d’Henri Béraud (500 adhérents),
il est l’auteur de plusieurs essais politiques, d’ouvrages de « bibliophilie nationaliste » et d’études
historiques. Il est par ailleurs l’auteur de la série
de livres pour enfants « Le Clan des Bordesoule »
dont les ventes cumulées représentent plusieurs
dizaines de milliers d’exemplaires.
Francis Bergeron
Dictionnaire
du collectionneur
politiquement incorrect
2e édition
revue, corrigée et augmentée
Collection « Politiquement incorrect », dirigée par Philippe Randa
Si vous voulez être informé(e)
des parutions des éditions Dualpha (Paris XIVe),
merci d’écrire à :
Éditions Dualpha
Boite 37
16 bis rue d’Odessa
75014 Paris
ou de nous contacter au :
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© Illustrations : D.R. et collections particulières
© Dualpha - 2006
ISBN 9782353740109
Ce guide représente un tiers de siècle de
« chine ». Un tiers de siècle passé par son auteur
à accumuler, au gré des ventes aux enchères et
des brocantes, une masse de livres, affiches,
jouets, timbres, cartes postales, tableaux, insignes,
photos, journaux, bibelots, autour d’un thème
principal : le nationalisme français.
« Tout ce qui est national est nôtre » : cette formule du duc d’Orléans est aussi celle des chineurs
nationalistes qui, de plus en plus nombreux,
recherchent les témoignages des combats et des
espérances de leurs ancêtres nationaux et nationalistes : chouans, royalistes, sociétés patriotiques,
ligueurs, intellectuels des années trente, mouvements maréchalistes, épurés de 1944, résistants de
l’Algérie française, jusqu’aux hommes et aux mouvements, aux journaux et aux revues qui ont préparé le renouveau du mouvement national.
Que collectionner ? Où trouver ces documents,
ces livres, ces témoignages ? Quelle valeur leur
donner ? Ce sont quelques réponses à ces questions que tente d’apporter ce guide.
Pour mes amis du Parc Brassens,
clients et marchands,
compagnons chineurs
de mes petits matins blêmes.
Et spécialement
pour Bernard Vivier.
FB
Sommaire
Avertissement
Introduction : chiner politiquement incorrect
1 - Affiches
2 – Arnoux (Guy)
3 – Baffier (Jean)
4 - Bandes dessinées
5 – Barrès (Maurice)
6 – Béraud (Henri)
7 – Vieux papiers bonapartistes
8 – Bouret (Germaine)
9 – Brasillach (Robert)
10 – Calvo
11 - Cartes postales
12 – Céline (Louis-Ferdinand)
13 – Chack (Paul)
14 – Cinéma
15 - Décorations et médailles
16 - Dédicaces
17 – Déroulède (Paul)
18 - Dessins de presse
19 – Les Éditions de France
20 - Le Fleuve noir
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8
POLITIQUEMENT
INCORRECT
21 – Francisque
22 – Galas et kermesse
23 – Haedens (Kléber)
24 - Insignes
25 – Lapaire (Hugues)
26 – Littérature
27 – Manuscrits
28 – Le Masque (collection)
29 - Chiner du Maurras ?
30 - Moreaux-Deschanvres (Peinture)
31 – Percaline
32 – Pétain (Philippe)
33 – Pléïade (ollection)
34 – Policiers (romans)
35 – Saint-Loup (Marc Augier)
36 – Scoutisme
37 - Soldats de plomb
38 – Suire (Louis)
39 - Timbres
40 – Tintin
41 - Trains électriques
42 - Travail-Famille-Patrie
43 – Vandromme (Pol)
44 - Vieux papiers
Conclusion : les anges gardiens et les vieux livres
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Avertissement
Le présent dictionnaire (qui reprend certains
articles publiés dans le Guide du collectionneur
politiquement incorrect, L’Æncre (1996), épuisé et
collectionné à son tour (cote : 17 € !) ne prétend nullement à l’exhaustivité, et revendique
hautement sa subjectivité.
Que les févophiles (collectionneurs de fèves des
galettes des rois), les copocléphiles (collectionneurs de porte-clés), les glucophiles (collectionneurs d’emballages de sucre, avec ou sans sucre),
les éthylabellophiles (collectionneurs d’étiquettes
de bouteilles de vin) veuillent bien ne pas m’en
tenir rigueur.
Introduction
Chineur politiquement incorrect
Cela fait bien trente-cinq ans que je fréquente
les brocantes, les marchés aux puces, les salons du
vieux papier, que je parcours les catalogues de
libraires d’ancien, que je pousse les portes des antiquaires, que j’enchéris dans les salles de vente.
Trente-cinq ans à accumuler livres, affiches,
jouets, timbres, cartes postales, tableaux, insignes,
photos, journaux, bibelots, autour d’un thème
principal, presque unique : le nationalisme français
(ou étranger : suivez mon regard… non pas là !
Ni là ! (d’ailleurs c’est interdit !) Mais du côté du
Liban chrétien, de la Sainte Russie, de l’Argentine
de Peron, du Portugal de Salazar, de la Belgique
de Léon ou de l’Espagne du Caudillo.
« Tout ce qui est national est nôtre » : cette
formule du duc d’Orléans, qui fut aussi la devise du journal Aspects de la France, je l’ai faite
mienne au cours de ma longue quête du Graal.
12
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Dans le quotidien Présent, pendant une vingtaine d’années, j’ai essayé de faire partager cette
passion, à l’occasion d’une rubrique régulière du
supplément hebdomadaire du samedi, rubrique
qui était intitulée finement La chine nationaliste.
La chine nationaliste en question n’avait rien à
voir, bien entendu, avec la république de Tchang
Kaï-Chek. Cette chine-là vient du verbe chiner
qui signifie à peu près « fréquenter puces et brocantes à la recherche d’objets anciens », dans la
langue des brocanteurs.
Cette chine nationaliste, c’est-à-dire tout à fait
politiquement incorrecte, c’est l’incursion dans le
royaume de l’objet ancien, et spécialement du
papier sous toutes ses formes, à thèmes politiquement incorrects, droitistes, patriotiques, coloniaux, voire simplement nostalgiques d’un ordre
ancien (celui que nous baptisons d’ailleurs
curieusement « ordre nouveau »).
Vous trouverez dans ces pages quelques-unes
de ces chroniques chineuses, retouchées et réactualisées pour l’occasion.
Au journal Présent, je ne me contentais d’ailleurs pas de rédiger cette chronique, je faisais
aussi les poubelles, je chinais. Je récupérais les
dessins de Chard, les manuscrits de Jean Madi-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
13
ran, papiers quadrillés parcourus par une belle
écriture ronde et régulière. Ou ceux de François
Brigneau : écriture plus minutieuse, pointue,
mais que je ne peux plus jamais regarder sans
être submergé par une terrible nostalgie.
Car le collectionneur doit savoir repérer, dans
son environnement quotidien, dans l’objet usuel
du moment, dans l’ouvrage de ses contemporains, les trésors qui seront collectionnés demain.
Ce Dictionnaire du chineur politiquement incorrect, ce guide du collectionneur droitisé à l’extrême, je le dédie moins à mes pairs en passion chineuse qu’au militant. À celui qui colle les affiches
et les autocollants, qui vend les journaux à la
criée, qui distribue les tracts, qui porte l’insigne à
la boutonnière. Ce militant, race peu répandue,
en fait, est bien évidemment la bénédiction du
collectionneur d’objets à thème politique.
Et ce militant est souvent déjà un futur chineur qui s’ignore peut-être. Car aussi étrange
que cela puisse paraître, quand on a collé beaucoup d’affiches dans sa jeunesse, beaucoup trop,
peut-être, et pas toujours bien inspirées (ah, les
affiches du GAJman : « Seule la force paie » !
qui représentait une sorte de martien censé nous
débarrasser du communisme et du capitalisme,
14
POLITIQUEMENT
INCORRECT
tu te souviens, Alain Boinet ?), vient un temps
où le désir vous prend de les décoller, non pour
les lacérer, mais pour les classer, les ranger soigneusement, les contempler (presque jamais),
histoire de se dire de temps en temps : « À mon
époque, l’engagement, la politique, c’était tout
de même autre chose ! »
Chapitre 1
Affiches : une passion qui décolle
Bizarrement, la ligne de fracture, dans la collection d’affiches, ne recouvre pas exactement le
clivage droite-gauche. Autrement dit, la qualité
esthétique de l’affiche prime apparemment sur la
couleur politique de celui qui l’a éditée. Et le
collectionneur d’affiches qui achète celles du
camp d’en face ne le fait pas pour le plaisir de
les tagger, une fois rentré chez lui, mais parce
qu’il apprécie le graphisme ou qu’il s’intéresse à
l’illustrateur ou à l’événement décrit.
Les grands illustrateurs
Honneur d’abord aux grands illustrateurs.
Cappiello, par exemple. Il a prêté son talent aux
socialistes d’avant-guerre. Une affiche publicitaire pour Le Populaire, célèbre quotidien socialiste
de l’époque, se vendra un bon millier d’euros.
Cassandre, lui, préférait apporter son concours
16
POLITIQUEMENT
INCORRECT
au Jour, de Léon Bailby, beaucoup plus à droite.
Il y a quelques années, la collection des affiches
du Jour illustrées par Cassandre s’est vendue
4 000 €. Une grande affiche pour L’Humanité,
signée F. Paul, peut se vendre 300 €. Celle à
laquelle je pense portait ce slogan extrêmement
original : « Le fascisme, voilà l’ennemi ».
Autres illustrateurs connus, et appréciés des
collectionneurs : Paul Colin (gauche), Galland
(droite), Sennep (droite), Carlu (gauche), Alo
(droite), Alain Saint-Ogan (pétainiste), Basset
(gauche), Érik (Milice), etc.
Le Centre de propagande
des républicains nationaux
Voyons maintenant les thèmes. Certains ont
particulièrement inspiré les artistes. Ils correspondent aussi à des périodes plus agitées que
d’autres. Le communisme et l’anticommunisme,
par exemple.
Dans les années vingt et trente, en faisant
appel à Alo et Galland, ainsi qu’à Sennep, le
Centre de propagande des républicains nationaux a pu inonder le pays d’affiches hostiles au
Cartel des gauches de 1924 et au Front popu-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
17
laire de 1936 ; de même a-t-il su mettre en garde
contre le communisme soviétique avec une force
de suggestion qui n’a guère été égalée depuis
lors, si ce n’est, peut-être, avec la fameuse affiche
d’Ordre nouveau, « Brejnev, la peste dehors ! »
des années soixante-dix.
Une belle affiche de Galland se vend 150 €.
Plusieurs d’entre elles sont reproduites dans l’album Les droites dans la rue, nationaux et nationalistes sous la IIIe République, en particulier celle
montrant que, « derrière le brave travailleur trompé par les communistes, il y a ceux qui attendent
le Grand Soir pour piller, incendier, tuer ».
Puis arrive la guerre. On ne peut vraiment pas
reprocher à la droite de ne pas avoir tiré le signal
d’alarme sur les insuffisances de notre armement
face à la menace allemande ! En témoignent les
nombreuses affiches d’Henri de Kerillis sur ce
thème, diffusées par le Centre de propagande des
républicains nationaux.
L’imagerie maréchaliste
L’imagerie maréchaliste connaît actuellement
un succès qui se confirme vente après vente. Au
fur et à mesure que l’on diabolise Vichy, les collectionneurs marquent un engouement sans cesse
18
POLITIQUEMENT
INCORRECT
accru. D’autant qu’ils doivent disputer les documents fugitifs aux musées, bibliothèques et autres fondations, françaises ou étrangères, spécialisées dans la Shoah, qui opèrent actuellement de
véritables razzias dans les ventes sur ces thèmes.
L’affiche d’Alain Saint-Ogan sur la fête des
Mères (1941), plutôt courante, ne se vend jamais
moins de 100 €. Les affiches de petit format
reproduisant des discours du Maréchal trouvent
généralement preneurs à 40 ou 50 €. Mais les
enchères sont considérablement plus élevées
pour tous les thèmes plus politiques : affiches
anti-anglaises, antimaçonniques, antibolcheviques, croisade européenne, affiches du PPF, du
Francisme ou de la Milice : 1 200 € pour une
grande affiche publicitaire du Cahier jaune, 400
€ pour l’affiche antimaçonnique d’André
Derain, « Les bobards sortent toujours du même
nid », 450 € pour la célèbre affiche antiterroriste et anticommuniste, « Ils assassinent enveloppés dans les plis de notre drapeau ».
De toutes les affiches de cette période, l’une
des plus recherchées est celle de la Milice, « La
France au service du peuple, Premier Congrès
national de la Milice française ». Il faut compter
800 € au moins. Mais attention aux copies….
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
19
Seules les affiches de la Libération, les affiches
d’après-guerre restent à des prix (politiquement)
corrects : jamais plus d’une cinquantaine d’euros
pour « Souviens-toi d’Oradour », 45 € pour
« La France victorieuse », tout au plus 137 €,
dans une vente aux enchères, à Versaille, en
2002, pour la fameuse affiche, reproduite dans
tous les manuels scolaires, qui représente la victoire des Alliés symbolisée par quatre mains brisant la croix gammée.
Ça l’affiche mal !
Mai 68 ne fait plus rêver…
Sans doute faut-il ensuite attendre mai 1968
pour trouver une telle profusion d’affiches, avec
des thèmes aussi forts. Une vente à Drouot proposait récemment une cinquantaine d’affiches
sérigraphiques de mai-juin 1968. Mais force est
de reconnaître que tous les slogans simplistes des
soixante-huitards ont mal vieilli : « Bâtissons la
société sans classe ni État » (24 mai 68),
« Travailleurs français immigrés unis » (22–23
mai 68), « À bas les cadences infernales » (24–25
juin 68), « Tous unis contre la provocation gaulliste », etc. Il paraît que dans ce temps-là l’imagination était au Pouvoir…
20
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Ces affiches font des petits prix, lors de dispersions, à croire que mai 1968 ne fait plus rêver
grand monde. En tout cas pas les collectionneurs, présents à Drouot ce jour là, qui n’ont
guère surenchéri que pour l’affiche d’Ordre nouveau, « Rejoins tes camarades » (1971), présentée très certainement pour la toute première fois
en salle des ventes.
Une adresse à Paris : La Galcante, rue de
l’Arbre-Sec à Paris (1er). Mais aussi Drouot, et
parfois le Parc Brassens.
Chapitre 2
Guy Arnoux :
il mérite une solennelle remise à l’honneur
Guy Arnoux est né en 1886 à Paris ; il est
mort en 1951 en Sologne. À partir de 1921, il
avait été nommé peintre officiel de la Marine.
Curieusement, alors que l’on n’en finit pas de
découvrir et de redécouvrir d’excellents peintres,
dessinateurs, illustrateurs, comme Germaine
Bourret, Dignimont, Paul Iribe, Sennep, Job,
Collot, Pierre Joubert et d’autres, aucune étude
d’envergure n’a encore été consacrée, à notre
connaissance, à Guy Arnoux.
Arnoux fit pourtant une magnifique carrière
d’illustrateur de livres.
On lui connaît au moins quatre-vingt-dix
illustrations d’ouvrages, des dizaines de gravures,
de nombreux dessins publicitaires, et des menus
de restaurant, qui sont d’ailleurs encore utilisés
(sauf erreur par exemple Chez Françoise, aux
22
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Invalides, et à Ma Bourgogne, Place des Vosges,
dans le Marais)
Mais Guy Arnoux, c’est d’abord et avant tout
l’illustration de livres, et, spécialement de livres
sur la mer.
Il n’est donc pas étonnant que l’on trouve son
nom associé à ceux de La Varende (La Phoebée,
Le Maréchal de Tourville et son temps), de Mac
Orlan (L’Ancre de miséricorde), de Claude Farrère, surtout (Vieille Marine, La Peur de Monsieur
Fierce, La Bataille, Thomas l’Agnelet, le Disparu
du Tarifa).
Son nom est également inséparable de celui de
nombre de bons écrivains de son temps, écrivains de la mer ou pas : Louis Desnoyers, Henri
Duvernois, André Maurois, T’Serstevens, Henri
Béraud (pour Le Beau Sergent du Roi et pour Le
Vitriol de lune), Maurice Constantin-Weyer,
Rudyard Kipling, Sacha Guitry, Édouard Peisson, Prosper Mérimée, Pierre Nord).
Le dessin de Guy Arnoux est très vif, coloré,
contrasté. On a l’impression qu’il utilise chaque
couleur à l’état brut, telle qu’elle sort du tube.
Cela donne à ses sujets une grande luminosité,
une grande netteté.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
23
Patriote impeccable
Ses thèmes de prédilection, avec la mer, les
bateaux, les pirates, ce sont les drapeaux, les
scènes militaires de tous genres (Code de l’honneur et du duel, Quelques Drapeaux, Le Soldat
français dans la guerre, La Chanson des poilus,
L’Epopée de la 3e division d’infanterie algérienne,
Trois campagnes d’Alsace, Les Cadets de Saumur,
Leclerc, Tambours et trompettes, Quatre canons
français, Joffre, etc.).
Il faut dire que Guy Arnoux a toujours fait preuve lui-même d’un impeccable patriotisme : il participe à la guerre de 1914, où il est blessé. En
1939, il tente en vain de reprendre du service armé
(il a 54 ans). Il passe tout de même trois mois en
Allemagne en 1945 avec la Première Armée.
On trouve aussi, après la Première Guerre
mondiale, des dessins de Guy Arnoux fustigeant
l’internationale bolchevique, et spécialement sa
version soviétique. De même trouve-t-on ses dessins dans les publications de la ligue patriotique
et anticommuniste des Croix de Feu.
Aujourd’hui la (re)découverte de Guy Arnoux
se fait généralement par ses illustrations de bons
textes pour bibliophiles. C’est chez les « lavarendiens » que l’on trouve sans doute le plus d’adep-
24
POLITIQUEMENT
INCORRECT
tes de Guy Arnoux, par un phénomène de capillarité. Mais ceux qui s’intéressent à la littérature
maritime recherchent également ses illustrations.
Peut-on imaginer par exemple la Maison des écrivains de la mer, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie sans
un seul dessin de Guy Arnoux ?
Quelques uns de ses dessins originaux sont passés en salles de vente, et n’atteignent pas encore
des sommes monstrueuses. En 1992, une petite
aquarelle : Le Joueur de golf, s’était vendue 500 FF
(75 €). La même année, de grandes gouaches
d’1,50 m sur 2 m, se sont vendues 12 000 FF et
18 000 FF : il s’agissait de suites de gouaches pour
le salon de musique du vaisseau Lafayette.
Entre les deux guerres, quelques expositions
lui furent consacrées. Depuis sa mort, en 1951,
rien de notable, semble-t-il. C’est donc un terrain vierge, qui reste à explorer pour un chineur,
et plus généralement pour celui qui aime la mer,
la belle illustration, le livre et…la patrie.
Chapitre 3
Jean Baffier,
sculpteur, berrichon, nationaliste
Près de la poste, à Bourges, vous pouvez admirer une splendide statue de Louis XI assis. Toujours
à Bourges, ne manquez pas d’aller voir L’HommeTaureau, monument consacré aux enfants du Cher
(Haut-Berry) tombés lors de la guerre de 1870.
Savez-vous que ces sculptures – et beaucoup
d’autres, en Berry et ailleurs – sont dues à Jean
Baffier, militant nationaliste ? Si vous le savez, surtout, arrangez-vous pour que l’information ne
dépasse pas le cercle des amis sûrs. Car Jean Baffier
était certes un activiste nationaliste, mais de la tendance la plus politiquement incorrecte, un disciple
de Drumont, un adhérent des ligues antidreyfusardes. Si cela se savait, nous risquerions d’assister
à une véritable chasse aux statues de Baffier, à une
entreprise de démolition en règle, sous la conduite de quelque ligue de vertu antiraciste.
26
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Et des statues de Baffier, il y en a beaucoup !
Ce tailleur de vignes devenu tailleur d’images a
travaillé toutes les matières et nous laisse une série
de monuments spectaculaires, émouvants ou
imposants : un Marat, un Michel Servet, un Louis
Lacombe, une Prieuse, des membres de sa famille
(L’Angèle, L’Épine, Le Greffeux, La Mariette), « figures modestes, délicates, doucement humaines ».
Le Marat est au Parc des Buttes-Chaumont à
Paris, le Michel Servet est place de la mairie du
XIVe arrondissement (du moins il y étaient encore il y a peu). L’œuvre de Baffier est considérable : des bustes, des statues en pied : Moissonneur buvant à la régalade, Le joueur de cornemuse,
Le Bouvier bourbonnais, La Femme au gui, La
Grand-mère, une Famille de laboureurs (décoration tombale imitée des sculptures médiévales,
pour cette dernière œuvre).
Jan Baffier est né le 18 novembre 1851 près
du village de Neuvy-le-Barrois, dans le Cher.
Très vite, ses dons de sculpteur se révèlent. Il
monte à Paris, travaille dans des ateliers. Ses premières œuvres sont vite remarquées. Octave Mirbeau écrit dans Le Gaulois : « Vous êtes un artiste, un vrai. Votre œuvre est déjà belle et vous
pouvez aspirer à devenir l’un des plus grands
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
27
parmi les sculpteurs de cette époque qui a si peu
de sculpteurs ».
Le jeune Baffier est un colosse, un géant de
deux mètres de haut, à la barbe imposante. Un
colosse qui a été saisi par la passion politique.
Un jour, il décide d’aller corriger un député
franc-maçon (c’est lui qui sera blessé). En 1902,
il se présente aux élections à Saint-Amand,
comme « candidat des comités ouvriers français
républicains nationalistes ». il se définit à cette
époque comme « ouvrier sculpteur berrichon,
délégué général de la Ligue de la Patrie française, fondateur de la société des Gas du Berry et
des Groupes corporatifs d’ouvriers d’art de plaisance de Bourges ».
Dans sa profession de foi de candidat nationaliste, Baffier se déchaîne : « Vainqueur ou vaincu, je serai toujours résolu à donner tout mon
être pour délivrer notre cher Berry de l’odieuse
domination des spoliateurs, sophistes et tripoteurs d’affaires, lesquels nous mènent au collectivisme d’État, qui supprimera la propriété individuelle, anéantira la conscience humaine, et
réduira notre race en esclavage. Vive la nation !
Vive la république nationale ! Vive le Berry ! ».
28
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Un géant antibolchevique
C’est pendant cette campagne électorale que
Baffier va subir, seul, un véritable assaut de la
part d’une centaine de militants communistes.
Les militants d’extrême gauche « s’assemblent, se
concertent », racontera un témoin.
« Ils vont chercher des clairons et des gourdins puis,
tels des Pygmées allant combattre un Centaure, ils se
mettent en marche vers le lieu de la réunion au chant
de L’Internationale. Lorsqu’il vit se ruer dans la salle
ces gens à mine rébarbative, hurlant et gesticulant,
Baffier se releva tranquillement, s’appuya au mur et
secoua sa crinière comme un lion qui se prépare au
combat. Dés l’abord il leur en imposa. Profitant de
leur hésitation, il voulut placer quelques mots, mais
ses premières paroles déchaînèrent des cris, des injures,
des sonneries de clairon, un charivari assourdissant.
Pas un cependant n’osait toucher au colosse qui les
dépassait de plusieurs pieds. Enfin il se produisit brusquement une bousculade, une poussée telle que Baffier
vit l’instant où ses mouvements allaient être complètement paralysés. Alors, d’une voix formidable qui
domina le vacarme et fit reculer les plus avancés :
— Un pas de plus, cria-t-il, et le premier qui
me tombe sous la main, je le prends par une jambe
et je m’en sers pour assommer les autres ! »
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
29
Selon le témoin, ces paroles produisirent un
effet magique, et les marxistes évacuèrent la salle
sans toucher un poil de la barbe de Baffier !
Néanmoins Baffier fut battu, recueillant
cependant 3 767 voix à Saint-Amand.
Cette belle figure du nationalisme et de la
sculpture, dont les Real del Sarte, les Despiaux
et les Belmondo forment en quelque sorte les
disciples, tant sur le plan artistique que sur le
plan de l’engagement, ce Berrichon splendide,
meurt en 1920, dans la petite salle des morts de
l’asile Notre-Dame-de-Bon-Secours à Paris. « Je
l’ai vu étendu sur sa couche funèbre. (…) Il me
parut immense et beau comme un prêtre de la
Tradition », écrira un de ses amis.
Il estimait que « la force et la grandeur d’un
peuple ne résident pas dans son déracinement,
mais dans ses attaches profondes avec le sol natal ».
Jean Baffier est enterré au cimetière de Sancoins.
Il ne faut bien évidemment pas laisser dans
l’oubli cet artiste enraciné, aux antipodes de tous
les cosmopolitismes de son temps. Et du nôtre.
Je n’ai jamais eu l’occasion de voir passer en
vente des tirages des sculptures de Baffier. Il ima-
30
POLITIQUEMENT
INCORRECT
gina aussi des meubles, de la vaisselle, dans le
même esprit enraciné. Il en existe des photos (un
énorme album illustré est paru aux États-Unis,
consacré à cet artiste), mais où sont les originaux ?
Chapitre 4
Bandes dessinées : la ligne claire est née
dans la Belgique de Léon
et de son copain Hergé
Hier, on collectionnait les cartes téléphoniques, les pin’s, et avant-hier les porte-clés. Aujourd’hui, incontestablement, ce sont la carte
postale et la bande dessinée qui ont la cote.
Dans cette dernière spécialité, un chineur politiquement incorrect peut se constituer une très
belle collection thématique. En effet, la bande
dessinée a abordé quantités de thèmes politiques,
religieux, culturels, qui rendent certains albums
dignes de figurer dans la bibliothèque du plus
bibliophile des nationaux.
À commencer par le mythique Tintin au pays
des Soviets. L’édition ordinaire, celle de 1930, est
cotée 7 500 € par le très officiel catalogue BDM
des Trésors de la bande dessinée. L’édition numérotée du même album, la tête de tirage, donc,
32
POLITIQUEMENT
INCORRECT
qui, pour un collectionneur de BD, est l’équivalent du « 1 franc vermillon » pour un collectionneur de timbres, atteint les 15 000 €. C’est
la pièce mythique, par excellence.
Plus accessibles sont les numéros du Petit vingtième, supplément hebdomadaire pour les enfants
du journal quotidien de Bruxelles Le Vingtième
siècle, de tendance droite catholique, très droite et
très catholique. On peut y retrouver le Tintin au
pays des soviets, mais en feuilletons, cette fois. Il
faut quand même compter à présent une dizaine
d’euros le numéro, et entre 20 et 50 € pièce, si
Tintin figure en couverture.
Vica chez les soviets
La période 1940–1944 offre également quelques curiosités qui ne sont pas sans intérêt. Dans
l’antisoviétisme, l’album Vica au paradis de
l’URSS, (éd Dompol) – coté actuellement
500 € –, n’a rien à envier à Tintin au pays des
Soviets. Vica défie l’oncle Sam (1 200 €) est plus
anti-américain que Tintin en Amérique ; et Vica
contre les services secrets anglais (500 €) bat
Philippe Henriot et Henri Béraud réunis dans
l’anglophobie ! Le bimensuel Le Téméraire (20 à
120 € le numéro) a publié à l’époque de nom-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
33
breux récits de Vica. « De qualité quant à la
forme, scandaleux quant au fond » (dixit Trésors
de la bande dessinée), les bandes publiées dans Le
Téméraire font les délices des collectionneurs et
indisposent considérablement le dénommé
Pascal Ory qui leur a consacré un livre en 1979
pour les dénoncer.
C’est le même Pascal Ory qui, dans Le Monde
du 6 février 1975, écrivait à propos de Robert
Brasillach : « À la date du 6 février 1975, je suis
prêt à signer un appel en faveur de l’abolition de la
peine de mort ; mais à celle du 6 février 1945, au
nom d’une certaine idée de l’intellectuel et du militant, j’accepte de figurer parmi les douze hommes
qui exécutèrent au petit matin le condamné Robert
Brasillach dans la cour de la prison de Fresnes. »
À la Libération, les Pascal Ory de l’époque
persécutèrent Hergé, le père de Tintin, accusant
Milou d’avoir « fourré son sale museau dans les
poubelles allemandes ». Hergé trouva un défenseur courageux en la personne de l’un de ses
confrères : E.P. Jacobs.
En 1950, Jacobs publie son premier album de
bandes dessinées : Le secret de l’espadon (coté
550 €). L’un des exégètes de l’œuvre de Jacobs,
Claude Le Gallo, croit voir dans ce récit, qui est
34
POLITIQUEMENT
INCORRECT
l’histoire d’une guerre mondiale dont le monde
libre sort vainqueur, un « reflet de l’abominable
conflit qui venait de se terminer avec les terrifiantes destructions d’Hiroshima et de Nagasaki »
(Le monde d’Edgar P. Jacobs, éd du Lombard,
1984, page 36). En fait Jacobs publie son album
en pleine guerre froide. L’un des héros de cette
bande dessinée expose d’ailleurs l’origine du
conflit en parlant de guerre froide, et évoque
même, par allusion, le rôle des partis communistes locaux : « D’autre part, un inlassable et insidieux travail de propagande et de noyautage a fini
par saper le moral de la nation, permettant à un
petit mais actif groupe d’individus de s’emparer des
principaux postes de commande. »
Et si l’on en doutait encore, il suffit de constater que le sigle de l’Empire du mal est une étoile rouge.
Vive le Christ-Roi !
La première apparition de l’Oncle Paul, dans
l’hebdomadaire Spirou, date de 1951. Plus de
mille Histoires de l’Oncle Paul vont être publiées
dans ce journal, qui a longtemps représenté ce
que l’on faisait de mieux en matière de journaux
pour enfants. Dans la série des Oncle Paul, on
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
35
trouve par exemple le récit du siège de l’Alcazar
de Tolède, cet héroïque fait d’armes des patriotes
espagnols, en juillet 1936. « Vive l’Espagne, vive
le Christ-Roi ! », crie le fils du général Moscardo,
avant d’être assassiné par les miliciens socialocommunistes. Les Spirou des années cinquante valent, en albums éditeurs reliés, entre 80 et 180 €.
Pour l’édification des enfants, les meilleurs
dessinateurs de l’époque vont illustrer des vies de
héros et de saints : Jijé publie un Baden-Powell
(1950, coté 120 €) et un Charles de Foucault
(1959, coté 100 €) ; Reding produit une vie de
Saint Vincent de Paul (1957, coté 90 €),
Hubinon nous donne en deux tomes une très
colonialiste vie de l’explorateur Stanley (1955 et
1956, 50 € chaque tome), etc.
Côté fiction, Hubinon, sur un scénario de
Charlier, édite deux albums consacrés à la guerre de Corée : Ciel de Corée et Avions sans pilote
(1954, cotés 70 €). Ces albums qui ont été très
fréquemment réédités depuis lors, avaient à
l’époque été interdits en France. Au sein du
Bataillon de Corée, des soldats français avaient le
droit de mourir pour défendre le monde libre.
Mais il était interdit de les donner en exemple
aux enfants !
36
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Arrive mai 1968. La bande dessinée prend un
virage écolo-gaucho-antimilitariste. Il faut attendre les années quatre-vingt pour que tout change à nouveau, et pour découvrir un récit de fiction à peine démarqué de l’exploit de Kolwesi :
Le Piège aux cent mille dards (série Bernard
Prince, de Greg, coté 12 €) ou bien l’humour
au service de l’anticommunisme avec Le Goulag
(15 €) de Dimitri. Dimitri, de son vrai nom
Guy Sajer, est par ailleurs l’auteur d’un témoignage poignant sur les combattants du front de
l’Est : Le Soldat oublié. Inutile de dire que le
goulag, il sait ce que c’est ! Plus engagée encore,
il y a cette Histoire de la civilisation, de Jack
Marchal, qui avait été diffusée par le Front de la
Jeunesse et le Parti des Forces Nouvelles (PFN)
pas encore cotée.
En 1980 paraît un album dont le titre, Au fil
de l’Achéron, suggère très justement qu’il s’agit
d’un récit onirique où le héros vogue quelque
part entre la vie et la mort. Pourquoi cet album
devrait-il obligatoirement figurer dans la bibliothèque du collectionneur de bande dessinée politiquement incorrect ? Parce que son auteur,
Pscharr, n’est autre que Chard, dessinatrice de
choc de Présent et de Rivarol. C’est, à notre
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
37
connaissance, son premier album de bandes dessinées. Elle en a réalisé plusieurs autres, ensuite,
tous plus incorrects politiquement les uns que
les autres, en particulier La Révolte de Crève Bouchure, histoire de la chouannerie berrichonne,
qui eut deux éditions (1989 et 1996) aujourd’hui très recherchées.
Chapitre 5
Barrès, tout Barrès
La pertinente biographie d’Yves Chiron, parue
il y a une bonne dizaine d’années, m’a donné
envie de relire Barrès. Il est encore facile, aujourd’hui, de se constituer une belle bibliothèque
barrésienne. De son vivant, en effet, l’écrivain lorrain connut des tirages fabuleux. Et depuis vingtcinq ans au moins, ses livres sont victimes d’un
certain ostracisme. Même à droite, on préfère
Céline le maudit, Drieu l’esthète, Brasillach le
martyr, Maurras le doctrinaire, Bainville le visionnaire ou Daudet le truculent. Barrès a trop bien
réussi sa double carrière politique et littéraire pour
susciter des passions comparables à celles dont
bénéficient les auteurs susnommés. D’où une cote
bibliophilique relativement modeste.
Ne croyez pas, toutefois, qu’il suffise de se
baisser pour trouver en solde tout Barrès en
reliure plein maroquin ! Il a certes fallu dix ans
40
POLITIQUEMENT
INCORRECT
pour écouler les 4 350 exemplaires de ses œuvres
complètes en 20 volumes. Mais rappelons tout
de même que lors d’une fameuse vente « Littérature du XXe siècle », en juin 1983, à l’hôtel
Drouot, les Pages lorraines dans une belle reliure
de Charles Meunier sont parties à l’équivalent de
trente mille euros d’aujourd’hui, tandis qu’un
manuscrit de 20 pages consacré à Colette Boudoche trouvait preneur à l’équivalent de 1 500 €.
Et un amateur a été obligé de débourser l’équivalent de 1 500 € pour enlever un manuscrit
autographe intitulé : Les Poilus sous l’Arc de
Triomphe.
Voici les éléments d’une honnête bibliothèque
barrésienne, constituée en quelques années, à des
prix défiant toute concurrence, au hasard des
puces et des brocantes.
Commençons par Huit jours chez M Renan
(18e édition, 1913) achetés 1,5 € à la librairie
Farfouille, 27 passage Verdeau, Paris 9e. Édition
banale quoique numérotée, mais truffée toutefois
d’une lettre autographe de Barrès à un certain
Laurent, faisant référence à Huit jours chez M
Renan (achetée 15 €, dans un lot, à la librairie
Jacques Benelli, 244, rue St-Jacques, Paris 5e).
Puis nous trouvons Le jardin de Bérénice (6 € à
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
41
un salon des collectionneurs) dans une reliure
toilée éditeur de 1907. À noter : les belles aquarelles de A. Calbet.
Amitiés françaises
Très vite, nous arrivons au Barrès engagé.
Voici les Scènes et doctrines du nationalisme (2
tomes, 20 €, salon des antiquaires de la porte
Champerret, édition définitive, grand papier,
numérotée, de 1925, coté 45 €). Amori et dolori sacrum appartient au cycle du culte de la terre
et de la mort (5 €, édition reliée toile, puces de
Vanves). Leurs figures est le troisième des romans
dits de « l’énergie nationale » (2 €, puces de
Vanves, dans l’édition brochée courante).
Les Amitiés françaises dans une édition sur grand
papier de 1919, peut encore se trouver facilement
(2 €, chez un antiquaire de Pont-Chrétien, dans
l’Indre) ; tandis que La Vierge assassinée est un
petit volume beaucoup moins courant (acheté
dans un lot et compté pour 1,5 €).
Au service de l’Allemagne (série « les bastions de
l’Est » est agréable à lire dans une élégante reliure cuir romantique, et dans l’édition Fayard qui
comporte des gravures en couleur (20 € à la
librairie du Casoar). Passons rapidement sur le
42
POLITIQUEMENT
INCORRECT
très académique Discours de réception de Barrès
sous la coupole (2 €, au salon du vieux papier
d’Argenton-sur-Creuse), pour nous plonger dans
le Colette Boudoche, roman patriotique (réédition
de 1917, 2 € à la librairie Farfouille) ; ajoutonsy, pour faire bonne mesure, L’angoisse de Pascal
(2 € pour une réédition de 1923, salon du vieux
papier, porte de Versailles).
Il n’est pas désagréable de posséder, même
dépareillés, quelques volumes de la série L’Ame
française de la guerre (tome III, édition originale
numérotée : 7 €), de la série Chronique de la
Grande Guerre (Tome IV, édition originale numérotée, dédicacée aux frères Tharaud : 3 €, aux
puces de Vanves), ou encore la série des Cahiers
(3 € pièce, sur grand papier, au puces de Vanves).
On se doit aussi d’avoir dans sa bibliothèque Le
Génie du Rhin (2 €, brocante de la rue Legendre,
dans le 17e arrondissement, édition brochée), Une
enquête au pays du Levant (10 € les deux tomes
dans une édition brochée) ainsi que ce livre posthume : Les Grands Problèmes du Rhin (édition
reliée cuir, 15 € aux puces de Vanves).
Que manque-t-il à cette bibliothèque barrésienne ? Les deux premiers tomes de la trilogie
romanesque dite de « l’énergie nationale » (les
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
43
trois tomes cotés 90 €) : Les Déracinés (1897) et
L’Appel au soldat (1900). Avec Leurs figures, nous
touchons là au cœur de l’œuvre. Ajoutons enfin
le plus connu de ses romans, La Colline inspirée,
ainsi que le langoureux Jardin sur l’Oronte.
Et sur Barrès ? Outre le désormais indispensable travail d’Yves Chiron (mais aujourd’hui
épuisé, non réédité, à ma connaissance, et donc
collectionné) il n’est pas inutile de se procurer le
Barrès parmi nous de Pierre de Boisdeffre, le
Barrès, défenseur de la civilisation d’Albert Garreau, La Route ascendante de Maurice Barrès de À
Blanc-Péridier, ou le très précieux Barrès de
Joseph Wagener (tous achetés dans des puces ou
brocantes entre 1,5 et 3 €). Ajoutons aux ouvrages de référence, qui furent publiés lors du centenaire de Barrès, en 1962 : le Catalogue de la
Bibliothèque nationale (3 €, librairie le Casoar)
et la plaquette Centenaire de Maurice Barrès (8 €
au stand de la Revue lorraine populaire, lors d’une
Journée d’amitié française, cela remonte à quelques années !).
Chapitre 6
Henri Béraud, retour en cote
Quelle drôle d’idée, penserez-vous, que de
vouloir donner des cotes aux livres, et en particulier aux livres d’Henri Béraud. Eh bien, non,
justement, ce n’est pas une idée ridicule. Les
peintres ont une cote. Les sculpteurs aussi.
Pourquoi les écrivains n’en auraient-ils pas une,
également ?
D’autant que chaque livre a son histoire. Et
que chaque exemplaire peut avoir aussi la sienne, en en faisant une pièce unique : qualité du
papier, reliure, dédicace…
La librairie La Vouivre avait publié il y a
quelques années un très précieux catalogue entièrement consacré à Henri Béraud.
Béraud, comme Pourrat, et aussi comme
Maurras ou La Varende, est de ces écrivains qui
intéressent plusieurs types de lecteurs et de collectionneurs : les passionnés d’histoire, ceux
46
POLITIQUEMENT
INCORRECT
qu’intéresse le débat d’idées, les non conformistes, mais également – public nombreux, de
plus en plus nombreux – les amateurs de littérature régionaliste. Pour ces derniers, Pourrat,
c’est l’Auvergne, La Varende, la Normandie,
Maurras, Martigues et l’étang de Berre et Béraud, c’est Lyon et c’est aussi, dans une moindre
mesure, l’île de Ré.
C’est pourquoi La Vouivre titrait son catalogue : Quelques belles éditions d’Henri Béraud à
destination des amateurs et des Lyonnais. Béraud a
écrit une cinquantaine d’ouvrages qui, tous ou
presque, étaient présentés dans ce catalogue, sur
les plus grands papiers, souvent reliés demimaroquin ou plein maroquin, ce qui est la RollsRoyce de la reliure.
Romans, reportages, critiques,
polémiques, souvenirs…
L’œuvre de Béraud peut être regroupée en cinq
grandes catégories : les romans – ce sont eux qui
lui ont apporté la notoriété – ; les grands reportages – ils lui ont apporté la consécration – ; les
livres politiques et de polémique – ils lui ont
valu bien des ennuis en 1944 – ; les souvenirs –
sans doute ses chefs d’œuvre – ; les ouvrages de
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
47
critique théâtrale ou de peinture – la partie de
son œuvre la moins connue.
Parlons d’abord des romans. Ils eurent des
tirages énormes. Et l’on peut trouver facilement,
chez les bouquinistes, pour une somme ne dépassant pas 10 €, la plupart d’entre eux : Le Vitriol
de lune, Le Martyre de l’obèse, Lazare, Au Capucin
gourmand, Le Bois du templier pendu, Ciel de suie,
Les Lurons de Sabolas. Le Martyre de l’obèse et Le
Vitriol de lune lui valurent le prix Goncourt, et
par conséquent les très gros tirages. Sa trilogie de
« la conquête du pain » comporte les trois romans
historiques : Le Bois du templier pendu, Les Lurons
de Sabolas et Ciel de suie. Tous témoignent de
l’attachement passionné de Béraud pour la région
lyonnaise et pour les ancêtres véritables ou fictifs
de Sabolas (Satolas, en fait).
Béraud acheta sa propriété des « Trois bicoques » sur l’île de Ré, avec l’argent de son double
Goncourt. « Il faut connaître la mélancolique
douceur de l’île de Ré, qui tint dans sa vie tourmentée une immense place de labeur fécond et
une fin doublement dramatique. Il est singulier
que ce terrien, si attaché à ses origines – au
Dauphiné, à Lyon – ait choisi un ermitage aussi
éloigné de celles-ci que de sa nature, pour écrire
48
POLITIQUEMENT
INCORRECT
dans le calme, face à la mer, la plus grande partie de son œuvre romanesque » (introduction à
La Gerbe d’or, Belle Édition, 1933).
La Vouivre proposait un Vitriol de lune de premier tirage en édition ordinaire à 30 € et un
autre exemplaire, in-8° relié demi-chagrin à
coins, dos orné, tête dorée, avec un envoi autographe, pour 150 €. Le Martyre de l’obèse était
proposé dans un demi-maroquin rouge à coins
(Semet et Plumelle) pour la modique somme de
550 € ; le même, habillé de demi-maroquin
havane (Kieffer), illustré par Gus Bofa, était proposé à 375 €. Lazare est un médiocre roman,
sans doute le moins bon de Béraud. L’édition
originale sur alfa valait 23 €, mais un exemplaire sur japon du tirage spécial pour les « amis
lyonnais de l’auteur », avec un envoi, atteignait
tout de même 300 €.
L’édition originale du Bois du templier pendu,
sur japon non rogné était proposée à 450 €. Sa
suite, Les Lurons de Sabolas, valait 600 € dans
un demi-maroquin gris à coins, avec une page
originale du manuscrit. Et le troisième de la
série, Ciel de suie, dans la même reliure, et également avec une page manuscrite, était proposée
à 675 €.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
49
Moscou, Berlin et Rome
Les grands reportages de Béraud, ce sont
d’abord ses voyages à Moscou, Berlin et Rome.
Il y a huit livres dans cette série : Le Flâneur
salarié, Ce que j’ai vu à Moscou… à Berlin… à
Rome, Rendez-vous européens, Émeutes en Espagne,
Le Feu qui couve, et enfin Vienne, clef du monde.
Dictateurs d’aujourd’hui est en fait une reprise
partielle des Rendez-vous européens, de Ce que j’ai
vu à Rome et de Le Feu qui couve.
Quand il écrit ces livres, Béraud est encore un
homme de gauche, vaguement séduit par les
nouveaux dictateurs européens, mais bien loin
d’exprimer quelque inconditionnalité que ce soit
à leur égard. Les rendez-vous européens de ces
huit livres nous font vivre de façon très vivante
l’agitation de l’avant-guerre, et se relisent, un
demi-siècle plus tard, sans déplaisir.
L’édition originale sur alfa de Ce que j’ai vu à
Moscou valait 50 €, le même sur japon impérial
était vendu six fois plus cher. Les cotes sont à
peu près identiques pour toute la série.
Les livres politiques et polémiques de Béraud
sont beaucoup plus rares que ceux que nous
avons cités précédemment. Même en édition
ordinaire, ils se vendent en principe une soixan-
50
POLITIQUEMENT
INCORRECT
taine d’euros, qu’il s’agisse de Pavés rouges, de
Trois ans de colère, de ses deux pamphlets de
l’Occupation Sans haine et sans crainte (recueil
d’articles parus dans Gringoire), et Les raisons
d’un silence (cote : 45 €), de son pamphlet antiGide La croisade des longues figures, de son percutant Faut-il réduire l’Angleterre en esclavage ?
(cote : 45 €) et du peu fréquent Popu roi. Béraud aurait mérité le titre de prince des polémistes pour les années trente. Il a payé assez cher
ce talent et son anglophobie. Puisqu’il s’est trouvé condamné à mort en 1944 pour des idées
qu’il exprimait déjà – et avec quelle violence –
dans les années trente. La Vouivre proposait
Pavés rouges, Trois ans de colère et Popu roi en
édition originale sur japon impérial numéroté
entre 450 et 600 € chacun.
Les livres les plus rares
Les livres les plus rares de Béraud, Poèmes ambulants (1903), L’héritage des Symbolistes (1906),
Peintres lyonnais (1910), Marrons de Lyon (1912),
Les morts lyriques (1912), Voyage autour du cheval de Bronze (1912), Glabres (1915), Le Mémorial de la rue Sainte-Hélène (1919), tous parus
avant que Béraud ne devienne le célèbre journa-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
51
liste de Gringoire, ne sont pas les plus recherchés,
ni les plus cotés. La librairie La Vouivre les avait
tous à son catalogue, ce qui est un rassemblement tout à fait exceptionnel. Et au regard de la
rareté, les cotes ne sont pas effrayantes : de 60 €
(Marrons de Lyon) à 180 € (Poèmes ambulants).
Ces œuvres de jeunesse sont des poèmes, des
contes, de la critique de peinture ou encore des
« choses vues » à Lyon.
Mais le meilleur de Béraud, ce qu’il faut lire à
tout prix, et conserver absolument dans sa
bibliothèque, ce sont ses souvenirs. Souvenirs
d’enfance lyonnaise avec La gerbe d’or, souvenirs
de ses vingt ans avec Qu’as-tu fait de ta jeunesse ?
(cote : 40 €), commencé en 1935, les merveilleux Derniers beaux jours, qui vont de la fin
de la Grande Guerre au début de la dernière, et
enfin Quinze jours avec la mort (cote : 35 €),
qui raconte son arrestation, sa condamnation à
mort, et jusqu’à sa grâce. Un très grand livre
aussi.
La Vouivre proposait l’édition originale de La
gerbe d’or sur japon impérial (1928), paraphée
par Béraud, avec une page manuscrite pour
450 €. Le même titre sous emboîtage en hollande, valait 180 € et sur vélin d’Arches, 120 €.
52
POLITIQUEMENT
INCORRECT
On retrouve bien la hiérarchie classique des
grands papiers : japon, hollande, vélin. Il y a
ensuite les alfa, et enfin les papiers ordinaires.
Une édition originale hollande de tête nominative de Quinze jours avec la mort vaut 180 €,
et 210 € Les derniers beaux jours sur hollande.
Les derniers beaux jours (cote : 30 €), le livre
de Béraud que je chéris entre tous. Avec ces pages
finales où Béraud raconte l’annonce de l’armistice
de 1940, devant le monument aux morts de
Saint-Clément-des Baleines, sur l’île de Ré.
« Onze heures sonnèrent. Alors le maire s’avança
vers le monument. C’était un paysan, un ancien
soldat, un brave homme, un peu gauche, tanné par
le vent, habitué au grand silence des marais. Dans
sa main épaisse il tenait son chapeau. L’écharpe
ceinturait sa veste campagnarde. Comme il est fréquent, ce laboureur avait une sorte de majesté.
— Mes amis, dit-il, nous allons penser à nos
camarades, les morts des deux guerres. Dans ce jour
de deuil, restons fidèles à ceux qui donnèrent leur
vie… Un grand malheur nous est arrivé, mes amis…
Il parlait, sans gestes, d’un ton égal et grave, avec
ses mots de tous les jours. Il n’avait rien d’un beau
parleur. Ce qu’il avait à dire, il le trouvait en luimême, dans la vérité de sa souffrance, et n’importe
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
53
lequel des paysans qui l’écoutaient aurait parlé
comme lui. Mais les paroles du cœur ont une grande force. À cette heure, en ce coin perdu, un homme
simple entre les simples faisait toucher à ses semblables le malheur du pays. Tous l’éprouvaient
comme moi. J’entendais pleurer. Combien dura
cette minute ? Le vent se levait, roulant les nuages
sur les terres, dans un ciel démesuré. À mesure que
se prolongeait le silence, les femmes sanglotaient
plus fort. Les hommes se détournaient.
Une voix enrouée cria :
— Vive la France !
Puis, sans une parole, tous s’en allèrent à leurs
maisons que le soleil entre deux nuées baignait d’un
rayon pâle et triste. »
Association rétaise des amis d’Henri Béraud :
BP 3, 17111 Loix en Ré.
Un « Béraud » introuvable :
Le Nœud au mouchoir
Henri Béraud a donc publié huit pamphlet.
Entre Sans haine et sans crainte et Les Raisons
d’un silence, il y a Le Nœud au mouchoir qui réunit un ensemble de textes parus dans Gringoire
entre 1942 et 1943. Et pourtant c’est le direc-
54
POLITIQUEMENT
INCORRECT
teur de Gringoire, Horace de Carbuccia, qui va
littéralement boycotter ce livre. Lors du procès
de Béraud, il sera expliqué que la direction des
Éditions de France (et donc de Gringoire) a
empêché la diffusion du livre, qui n’a donc guere
dû dépasser les 500 exemplaires hors commerce
ou numérotés du tirage de tête (il est coté 450 €
dans le Guidargus Henri Béraud 2003-2004.
Très peu d’amateurs de Béraud, très peu de
collectionneurs, possèdent cet ouvrage rarissime.
Le livre s’ouvre avec la fameuse injonction
« Tiens-toi droit » (face à l’Occupant) et se termine, sous le titre « Accident du travail », par
l’évocation d’un attentat auquel Béraud vient
d’échapper. la plupart des textes sont à forte
connotation anti-anglaise. Béraud rend un hommage appuyé à Charles Maurras, « un homme
qui ne s’est jamais trompé ».
À noter aussi un très bel hommage à
Louis XVI (« Le Roi et le pain ») qui montre à
quel point Henri Béraud avait évolué du républicanisme gauchisant de sa jeunesse à un traditionalisme nationaliste.
Ce livre a fait l’objet d’une édition pirate, en
2000. Mais surtout la totalité des textes a été
rééditée dans le cadre des trois volumes, récem-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
55
ment publiés, qui reprennent tous les textes de
Béraud à Gringoire, de 1928 à 1943. Et par un
extraordinaire clin d’œil de l’Histoire, c’est le fils
d’Horace de Carbuccia qui a assuré cette (superbe) publication !
Chapitre 7
Vieux papiers bonapartistes
Au moment de mourir, un vieux nationaliste
de Toulouse, qui était aussi un collectionneur de
souvenirs de l’Empire, prononça cette ultime
phrase : « Je vois le soleil d’Austerlitz ». C’est son
fils, aujourd’hui (2006) avocat toulousain et
adjoint au maire, qui m’a rapporté ce fait. Une
jolie formule qui montre que cet homme avait
toute sa vie été fasciné par la gloire de l’Empire.
Napoléon, le culte de Napoléon dans la littérature populaire, c’était également l’un des thèmes de prédilection du grand collectionneur,
journaliste, et historien du cinéma, Éric Leguèbe, aujourd’hui disparu. L’une des dernière fois
que je le rencontrai, c’était au « salon du vieux
papier », Porte de Champerret. Il errait comme
une âme en peine entre les stands : c’est qu’il faisait le constat qu’il possédait déjà tout – ou
presque – sur le sujet.
58
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Bonaparte sauva la Révolution française. À ce
titre il aurait dû susciter un définitif mouvement
de rejet chez les chineurs politiquement incorrects. Mais après Bonaparte il y a Napoléon. Et
Napoléon, c’est l’Empire, c’est l’Europe française,
c’est la gloire des victoires, l’épopée fantastique,
les uniformes les plus beaux que l’on ait jamais
imaginés. Et c’est pour cela, sans doute, que
l’Empire et le Petit Tondu continuent à fasciner
des générations de collectionneurs patriotes.
Un catalogue d’une librairie de la banlieue
ouest m’est récemment passé entre les mains ; il
était tout entier consacré à « Napoléon et son
temps ». Pour 200 à 300 €, il proposait des lettres d’Antoine-Auguste Parmentier (1737-1813),
agronome, pharmacien, militaire, dont le nom
est étroitement associé à l’œuvre de Louis XVI,
mais aussi à l’Empire et aux Invalides.
La pièce exceptionnelle de ce catalogue était le
journal de bord du Northumberland. Pour
13 500 €, vous pouviez vous offrir ce document
de cent pages, témoignage du commandant du
vaisseau anglais qui conduisit Napoléon à SainteHélène, du 7 août au 17 novembre 1815. Le
Northumberland transporta l’Empereur, le comte
Bertrand (de Châteauroux), le général Montho-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
59
lon, le général Gourgaud, le comte de Las Cazes,
leurs proches et leurs serviteurs, ainsi qu’un chirurgien. Puis, arrivé à Sainte-Hélène, il débarqua
tout le monde, y compris l’équipage qui entreprit
de participer aux travaux d’aménagement du site.
Le journal de bord révèle que les Anglais s’inquiétaient d’une éventuelle attaque qui leur enlèverait
leur glorieux otage ; c’est pourquoi les défenses de
l’île et de ses abords furent renforcées.
Pour un adepte de l’Empire, ce journal de
bord constitue certainement une sorte de must.
Mais toutes les autres pièces du catalogue étaient
passionnantes car, à travers ces documents bruts,
c’est un aperçu intimiste sur l’Histoire de France
qui s’opère ainsi, de fabuleux éclairages sur une
époque bruyante, héroïque, fastueuse, qui fait
rêver et rend nostalgique.
Le Bonapartiste (synonyme d’esclavagiste, en
langage politiquement correct) lira avec profit les
livres de Jean Tulard, et les articles de Franck
Delétraz dans Présent.
Chapitre 8
Les dessins « incorrects »,
mais néanmoins charmants,
de Germaine Bouret
Dans les années trente à quarante, après
Poulbot, avant Pierre Joubert (l’univers scout) et
Pierre Probst (Caroline, Pouf et Youpi), Germaine
Bouret fut la grande dessinatrice de l’enfance. Les
« bébés Bouret » sont très caractéristiques : ce sont
des garçons ou des filles âgés de 3 à 7 ans, aux
grosses joues bien rondes et bien roses, au sourire allant d’une oreille à l’autre : de bonnes bouilles
de gros bébés bien nourris, heureux de vivre.
Aujourd’hui la « cote » de Germaine Bouret est
littéralement en train d’exploser.
Pourquoi ? C’est un mystère. Il semble que,
moins l’on fait d’enfants, plus ces portraits de
petits, pleins de vie et de santé, sont recherchés.
Mais peut-être est-ce la nostalgie des temps où les
rues étaient pleines de têtes blondes qui fait le
62
POLITIQUEMENT
INCORRECT
succès de ces dessins. Il n’y a plus guère d’enfants
dans nos rues, plus de cris d’enfants dans les
cours. C’est qu’à l’abstinence démographique
vient s’ajouter l’insécurité : l’insécurité des voitures et l’insécurité des détraqués, et aussi des
« jeunes », qui ne sont pas exactement les mêmes
que ceux que dessinait Germaine Bouret… on ne
laisse donc plus les enfants jouer seuls.
Mais revenons à Germaine Bouret. J’ai assisté, il
y a quelques années, à Drouot, à la grande vente
aux enchères qui a consacré cette artiste. La salle
n° 4 de l’Hôtel Drouot était bourrée à craquer.
Pourtant une dizaine d’amateurs tout au plus se
sont partagés les lots mis en vente : livres, albums
à colorier, cartes postales, projets publicitaires,
assiettes à bouillie, puzzles, jeux, boites à biscuit…
C’est que les batailles d’enchères ont découragé la plupart des collectionneurs présents. Le
record a par exemple été atteint par un projet
d’affiche publicitaire pour « le bon lait Maggi »,
qui s’est vendu l’équivalent de 2 300 €, pour
une estimation près de dix fois moindre !
Un projet d’affiche pour le Secours national
du Maréchal Pétain : « Entr’aide d’hiver. Grâce
à vous, des milliers d’enfants partiront en vacances » a trouvé preneur à 500 € ; deux albums à
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
63
colorier : Nounouk et Le petit Poucet, étaient disputés jusqu’à … 350 €.
Dans le Dictionnaire commenté de livres politiquement incorrect, l’album Il était une fois un
Maréchal de France, par Paluel-Marmont, illustré
par Germaine Bouret, est cotée 35 €, 65 € pour
la version cartonnée. Cotes bien raisonnables au
regard des prix atteints dans cette vente de
Drouot. D’ailleurs le BDM, catalogue encyclopédique des trésors de la bande dessinée, donne une
cote de 80 à 100 € pour ces mêmes albums.
Quant aux cartes postales au profit du Secours
national et des œuvres charitables de Vichy, de
Germaine Bouret, elles valaient 3 € il n’y a guère,
elle se négocient à 10 € aujourd’hui. Un lot de 38
cartes s’est vendu par exemple 300 €. Je suis bien
certain que vous avez tous quelques cartes de ce
type dans votre grenier ou dans une boite à chaussures. C’est le moment de vous en défaire, de « réaliser votre placement », avant que les adeptes du
« politiquement correct » ne s’avisent que ces cartes
comportent généralement un portrait (discret) du
Maréchal, ce qui en fait bien évidemment des instruments d’apologie de crimes contre l’humanité.
Il pourrait donc arriver à Germaine Bouret et
à ses enfants joufflus ce qui est arrivé aux frères
64
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Lumière, interdits de découverte du cinéma, à
Alexis Carrel, sans doute Prix Nobel de médecine par erreur, à Georges Claude, interdit de
découverte de l’air liquide, au colonel Rémy,
interdit de maréchalisme après sa mort, à Valette
d’Osia, interdit de Vercors, à Georges Bidault et
Jacques Soustelle, rayés de la Résistance, à
Hector Berlioz, interdit de Panthéon, à Karajan,
interdit d’orchestre etc. En tout cas, cela pend au
nez de ces petits morveux, ces « bébés Bouret »,
un peu trop joyeux et souriants, même aux
heures les plus sombres etc. (air connu).
Chapitre 9
Brasillach à l’hôtel Drouot
Charles Filippi a été le plus grand collectionneur d’ouvrages de Robert Brasillach que l’on
connaisse. Pourquoi a-t-il vendu cette bibliothèque exceptionnelle, un après-midi d’octobre
1995, à la salle des ventes de Drouot ?
« — Parce que j’ai 83 ans et que je n’ai pas
d’enfants, m’avait-il alors confié pour Présent.
Parce que je préfère que chacun de mes livres gagne
désormais les bibliothèques d’amoureux des livres,
comme moi ».
Pendant deux heures, ce mercredi-là, deux
cents livres exceptionnels furent donc dispersés
aux enchères. Dans la salle, avaient pris place de
nombreux amis de Robert Brasillach, puisque les
pièces les plus exceptionnelles : livres, manuscrits, lettres, concernaient le poète assassiné. On
reconnaissait, par exemple, très entourée, Anne
Brassié.
66
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Très vite, il est apparu que les estimations de
l’expert Pierre Meaudre, pourtant élevées, voleraient en éclats.
« — C’est logique, expliquait Louis de Condé,
libraire à Vichy : la plupart de ces livres ont des
reliures de qualité. Et le fait qu’ils proviennent
d’une bibliothèque prestigieuse, avec leur ex-libris,
les rend d’autant plus désirables. »
On attendait 600 € de Présence de Virgile (édition
originale en maroquin crème avec un manuscrit de
Brasillach relié en tête) : il fit 1 000 €. On attendait 800 ou 900 € du Voleur d’étincelles dédicacé au
colonel Larpent. Il fit 3 000 €. On attendait 600€
de Portraits, avec un feuillet autographe de Brasillach
sur Paul Morand. Il fit 1 500 €. L’Histoire du cinéma dédicacée était enlevée à 2 200€, Le Marchand
d’oiseaux à 3 000 €, La Conquérante, dédicacée à
1 500 €, les Poèmes des Éditions Balzac (1944),
dédicacés à Paul Valéry : 1 350 €, la vraie édition
originale des Poèmes de Fresnes à 1 350 € également,
l’édition originale sur grand papier de Six heures à
perdre (1953) à plus de 1 000 €.
Signalons au passage que les études parues
dans les années cinquante de Jean Madiran et de
Pol Vandromme, vendues en un lot, trouvèrent
preneur à 130 €.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
67
Mais voici les trois records de la soirée :
3 500 € pour Le Marchand d’oiseaux dans une
édition de 1958 superbement reliée par J-P Miguet, 4 000 € pour Les sept couleurs avec envoi
autographe de Robert Brasillach, les plats ornés
d’un superbe décor mosaïqué, et enfin 4 350 €
(sur une estimation de 1 800 à 2 300 €) pour
l’édition originale sur grand papier, avec jolie
dédicace, de Comme le temps passe, qui fait partie
des chefs-d’œuvre de la littérature française de ce
siècle. D’où cette cote extraordinaire pour un
ouvrage broché, paru en 1937.
Les manuscrits de Robert Brasillach eurent également un énorme succès. Car il fallut 1 500 € à
un amateur pour s’offrir des poèmes de jeunesse
de Brasillach (estimation : 300/400 €), 1 000 €
pour 16 feuillets sur Virgile, 3 750 € pour 151
feuillets sur Pierre Corneille, 2 200 € pour un lot
de lettres à Charles Maurras et quelques autres.
Une lettre de Céline à Brasillach, très amusante, partit à 2 300 € (estimée 1 000/1 200 €).
Quelques autres records
Notons aussi qu’au cours de cette vente, quelques autres records furent battus : des poèmes
manuscrits de Philippe Henriot partaient à
68
POLITIQUEMENT
INCORRECT
740 €, une belle édition reliée des Manants du
roi était enlevée à 2 200 €, un petit agenda personnel de Charles Maurras, pour l’année 1944,
se vendait 1 000 € ; une très belle édition de
Venises par Paul Morand, enrichie d’un manuscrit autographe de Robert Brasillach, Paul
Morand, partait à 3 800 €, pour une estimation
à 1 200/1 500 €. Une édition originale reliée
demi-maroquin des Décombres de Lucien Rebatet, estimée 900 € était enlevée à 2 200 €.
À des prix pareils, seuls des amateurs particulièrement fortunés purent se partager les plus
belles pièces de la bibliothèque Filippi. Les
autres durent se rabattre sur des lots plus modestes. Georges Chamboulive, Pied Noir vivant
en Berry, repartit avec un manuscrit de Maurice
Bardèche, Une autre image de Robert Brasillach,
qui avait été publié dans Rivarol du 1er février
1985, à l’occasion du trentième anniversaire de
l’assassinat du poète (300 €), la librairie Les
Oies sauvages que dirige Marc Vidal s’offrait une
brochure Le Paris de Balzac, texte de Brasillach
publié en 1984, inédit jusqu’à cette date (60 €).
Louis de Condé, plus classique, rentrait chez
lui, à Vichy (bien entendu !) avec, sous le bras,
L’Avenir de l’intelligence, de Charles Maurras,
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
69
édition originale en demi-maroquin rouge à
coins, avec envoi autographe de l’écrivain royaliste (245 €).
La meilleure affaire de la soirée ? 500 € – seulement, serait-on tenté d’écrire – pour les épreuves corrigées par Brasillach lui-même du texte
ayant servi à imprimer l’édition originale de La
Conquérante. L’heureux acheteur était un garçon
de 24 ans. « Brasillach, je ne l’avais qu’en Livre
de Poche, m’avait-il expliqué ce jour là. Je suis
particulièrement ému de cette acquisition. »
Comme on le comprend !
Association Les Amis de Robert Brasillach,
Case Postale CH-1211, Genève 3 Suisse.
Les Oies sauvages BP 16 77343 Pontault-Combault.
Les deux versions des Cadets de l’Alcazar
Les Cadets de l’Alcazar, ouvrage de 92 pages
publié par la librairie Plon fin octobre 1936, fut
écrit par Henri Massis et Robert Brasillach pendant le siège même.
Et les dernières pages, raconte Maurice Bardèche dans le tome V des Œuvres complètes de
Robert Brasillach, furent rédigées « à l’imprime-
70
POLITIQUEMENT
INCORRECT
rie de Meaux le jour même de la délivrance de
l’Alcazar, le 28 septembre ».
L’ouvrage eut beaucoup de succès, puisqu’il
s’en vendit 50 000 exemplaires. C’est un titre de
Brasillach assez facile à se procurer. Néanmoins
il ne fut jamais réédité après-guerre, si ce n’est
dans les Œuvres complètes du Club de l’honnête
homme (1963). C’est pourquoi les librairies
d’occasion et d’ancien proposent ce mince ouvrage autour de 50 €.
Outre le titre, faisant référence aux cadets,
l’édition originale se reconnaît par sa photo pleine page qui représente des soldats libérés, au
pied des ruines de l’Alcazar. Le livre débute
d’emblée avec l’épisode du célèbre dialogue téléphonique entre le colonel Moscardo et son fils.
Une seule illustration : le fac-similé de deux pages du journal El Alcazar publié par les défenseurs de l’Alcazar.
En 1939, la librairie Plon publie une nouvelle
édition, très largement modifiée, de ce livre.
D’abord le titre. Le livre ne s’appelle plus Les
Cadets de l’Alcazar, mais Le Siège de l’Alcazar. En
fait – mais on ne le sut qu’à la levée du siège,
c’est-à-dire après la parution de la première édition – les cadets n’avaient été qu’une poignée à
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
71
participer à l’événement. Le titre de la première
édition ne reflétait donc pas fidèlement la réalité.
Ensuite cette nouvelle édition comporte une
préface du général Moscardo lui-même. Elle est
datée de novembre 1938. Moscardo ne dit pas un
mot de la mort dramatique et admirable de son
fils. Au moment où il écrit la préface, la guerre
n’est pas finie. Il préfère mettre l’accent sur le
combat en cours : « L’Espagne, sous la main providentielle de Franco, montre, une fois de plus, les
chemins de l’honneur et de l’histoire. »
Cette édition, sur papier de meilleure qualité,
comporte une dizaine de photos.
Les modifications de Robert Brasillach
Le texte de Brasillach et Massis comporte des
modifications. C’est Robert Brasillach qui a procédé à la relecture et à ces modifications. Page 6,
Robert Brasillach donne par exemple l’effectif
exact des assiégés. Il n’y a que huit cadets, l’essentiel des troupes étant composé de 150 officiers et 600 gardes civils.
Beaucoup d’autres détails du siège, inconnus
ou racontés de façon erronée, seront également
modifiés dans la dernière édition, qui est celle
72
POLITIQUEMENT
INCORRECT
reprise dans les Œuvres complètes du Club de
l’honnête homme. Les différences sont donc loin
d’être mineures.
Le chapitre Les deux Espagnes a été permuté
avec le passage comportant les paroles de la
Bandera, de l’hymne des requetes carlistes ou de
celui des Chemises bleues.
Une note en fin de livre précise que la première édition, composée d’après les témoignages
français et espagnols d’alors, a été traduite en
Espagne, en Amérique, en Angleterre, en Italie
et en Suède.
« Depuis, d’autres ouvrages ont paru en divers
pays. Les deux plus importants sont El Sitio del
Alcazar de J. Arraras et L. Jordana (Saragosse) et
The Siege of Alcazar du Major Geoffrey Mac-Neill
Moss (New York). »
En final, Le Siège de l’Alcazar est devenu un
livre assez différent des Cadets de l’Alcazar. Et ce
Siège de l’Alcazar a une cote plus élevée. Il vaut
les 80 € de cote que lui attribue le Dictionnaire
de livres politiquement incorrects, alors que Les
Cadets ne valent « que » 60 €..
Chapitre 10
Calvo, curieux illustrateur antifasciste
La scène s’est passée à l’hôtel Drouot, en
1993. On dispersait ce jour-là une série d’ouvrages pour enfants illustrés par le dessinateur
Calvo. Cinquante-cinq lots contenant quelques
ouvrages assez rares, mais surtout les albums
phares : les deux tomes de La Bête est morte, qui
racontent la guerre de 1940 à la manière de Benjamin Rabier.
Car Calvo (1892–1957) fait partie de ces dessinateurs qui mettent en situation humaine des
animaux. La tradition est longue, de Rabier à
Walt Disney en passant par Macherot et ses
mulots ou le médiocre Pif le chien de C. Arnal,
publié par la presse communiste.
Ce jour de 1993, donc, l’expert, Roland Buret, avait prévu quelques batailles d’enchères
autour des albums La Bête est morte, et le calme
plat pour le reste. Mais, très vite, plusieurs col-
74
POLITIQUEMENT
INCORRECT
lectionneurs montèrent au créneau, faisant exploser littéralement les enchères.
Donner près de 1 000 € pour acquérir les
deux tomes de La Bête est morte, c’est un peu
cher. Mais que dire des 750 € de l’abécédaire
Mr Loyal présente, sur une estimation située à la
moitié de ce chiffre ? Ou des 500 € de Bir
Hakeim ? Les 150 € et plus des petits livres pour
enfants Coquin, Croquemulot, Patamousse, Robin
des Bois, Rosalie, Souricette, Tagada, D’Artagnan,
Cri-Cri, Moustache, etc ? Tous ces livres pour
enfants, voire pour bébés, dont les héros sont des
chats, des chiens, des souris, une voiture, des
lapins, des loups, des ours sont à présent des
objets de collection.
Et Calvo se retrouve parmi la petite cohorte
des plus grands illustrateurs de livres pour enfants, à l’égal d’un Job ou d’un Hansi.
Qu’est-ce qui a pu assurer une telle notoriété,
un tel succès, à Calvo, dont certains dessins
étaient si proches pourtant de ceux des studio
Disney qu’il a dû les retoucher ?
C’est que Calvo a créé la première bande dessinée antifasciste. Dans La Bête est morte, la Seconde Guerre mondiale se trouve transposée
avec les Allemands qui sont des loups, les Fran-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
75
çais des lapins (sic !), les Anglais des bouledogues, etc. Du coup, Calvo a été promu grand
défenseur de la démocratie, et célébré à ce titre
dans la presse underground ou de gauche.
Et toute l’œuvre de Calvo a alors connu une
deuxième jeunesse, analysée, collectionnée, exposée.
Parachutistes et troupes de choc
Mais là, horreur : on découvre que Calvo a
énormément publié pendant l’Occupation, et
que ce fut même sa période la plus prolifique :
Un Chasseur sachant chasser (1942), La Croisière
fantastique (1942), la série des Croquemulot
(1943 et 1944), Hardi les gars (1943), Patamousse (1943), Le petit roman policier (1941), Les
Voyages de Gulliver (1941)…
Alors, faire de Calvo un anti-Vica (Vica, célèbre dessinateur antibolchevique pendant l’Occupation), c’est aller un peu vite en besogne.
D’autant qu’en creusant encore la question, on
s’aperçoit que Calvo a laissé toute une œuvre militariste, patriotique, et certainement fasciste aux
yeux des habituels censeurs de l’Établissement.
Dans L’Armée française au combat, Calvo illustre sur une ou deux pages des thèmes militaires
76
POLITIQUEMENT
INCORRECT
relatifs à la Seconde Guerre mondiale : Sur les
dragueurs de mines, Avant le départ, etc.
Il publie également de superbes planches dans
le supplément du journal Armée française : parachutistes, troupes de choc.
Lors de la vente aux enchères du 4 avril 1993,
ces revues, illustrées par Calvo, qui étaient estimées
à 13 € pièce, se sont vendues dix fois plus cher !
Calvo a rejoint la cour des grands, à travers
l’ensemble de son œuvre, susceptible en fin de
compte de satisfaire aussi le chineur politiquement incorrect.
Chapitre 11
Cartes postales :
ça commence bien, avec l’affaire Dreyfus !
Curieux destin que celui de la collection de cartes postales. Au début de ce siècle, chaque famille
conservait religieusement, dans des superbes
albums art nouveau, recouverts de percaline polychrome, ces petits rectangles de carton, relativement peu attrayants au regard de nos techniques
modernes de photographie et de reproduction.
Depuis une bonne vingtaine d’années, toutefois, la cartophilie est redevenue à la mode. Elle
a largement détrôné la philatélie, me semble-t-il.
La carte postale a été témoin de son temps et
c’est là qu’elle peut trouver sa place dans ce dictionnaire de la chine politiquement incorrect. À
l’époque de l’âge d’or de la carte postale, on ne
photographiait pas uniquement les châteaux et
les cathédrales, et il n’était pas jugé de mauvais
goût d’acheter et d’envoyer une carte représen-
78
POLITIQUEMENT
INCORRECT
tant par exemple le déraillement d’un train et le
garde-barrière responsable du déraillement, ou
encore des cadavres de bandits corses.
La carte postale est donc aussi une source de
renseignements, un important gisement de documents iconographiques. Tous les événements
politiques se retrouvent sur les cartes postales.
L’affaire Dreyfus donne lieu à de nombreuses
cartes polémiques – aujourd’hui très recherchées.
Il s’agit le plus souvent de cartes dessinées,
comme la série réalisée par Couturier (dreyfusard) et qui cote environ 150 € pièce. Dans les
cartes dites à système, on peut trouver (très difficilement) une carte représentant Dreyfus, et
dont le nez est une baudruche qui se gonfle.
Drapeaux pris à l’ennemi
La période qui va de 1879 à 1906, est marquée
par les mesures antireligieuses des gouvernements
successifs. Dans le domaine de la carte postale, cela
s’est traduit par de nombreuses photos de scènes
d’expulsion et d’inventaires. La prise de l’église du
Gros-Caillou à Paris a fait l’objet d’une série de
cartes où l’on voit les autopompes disperser les
manifestants, puis les pompiers attaquer la porte de
l’église à la hache (chaque carte : 40 €).
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
79
La carte la plus recherchée est celle représentant l’église de Cominac gardée par deux ours
(cote : environ 230 €).
Les Camelots du roi et la Ligue des patriotes
ont fait éditer de nombreuses cartes de propagande. Une série étonnante est celle des « drapeaux pris à l’ennemi », qui montre des drapeaux SFIO et CGT, et raconte les circonstances
dans lesquelles ces drapeaux ont été enlevés.
Le Fort Chabrol, l’affaire Syveton, les multiples coups de main patriotiques de Déroulède,
les fêtes de Jeanne d’Arc ont également été
immortalisés pour le plus grand plaisir des collectionneurs de cartes postales.
Dans les années trente, les Croix de Feu diffusent abondamment les portraits de leurs chefs,
Mermoz, La Rocque, Ybarnegaray ; de son côté,
le très actif Centre de propagande des républicains nationaux édite des dessins anticommunistes de Galland qui sont diffusés à la fois sous
forme d’affiches, de tracts et de cartes postales
(cote : 10 €).
Un collectionneur de cartes postales qui se spécialiserait dans le droitisme, pourrait aussi faire
figurer plusieurs cartes modernes dans sa collection : celle de l’Esprit public par exemple, pour la
80
POLITIQUEMENT
INCORRECT
défense de l’Algérie française, ou encore la série des
cartes chouannes illustrées par Chard, les cartes
pour le Sud-Vietnam (prise de Hué), les photos de
Céline diffusées par le Bulletin célinien, etc.
Il manque d’ailleurs, chez les adeptes du politiquement incorrect, un éditeur qui se consacrerait
à immortaliser systématiquement par la carte nos
grands hommes, nos fêtes, nos deuils et nos joies.
Chapitre 12
Céline : cote maximum
Quoi de neuf ? Céline, Céline, Céline. Bardamu hante la littérature du XXe siècle et la
domine. Il hante aussi – gloire posthume oblige – les rêves les plus fous des collectionneurs et
des bibliophiles.
Dans leur édition ordinaire, Bagatelles pour un
massacre (Cote 150 €), Les beaux draps (Cote
200 €) ou L’École des cadavres (Cote 300 €), qui
avaient connu des tirages vertigineux lors de leur
parution, se vendent comme des petits pains, dés
qu’un marchand en propose à la vente.
Dans une vente organisée à l’hôtel Drouot, il
y a quelques années, était proposée une vingtaine de livres de Céline, tous en édition originale.
Rien d’étonnant si les prix ont été à la hauteur
de l’événement. D’autant que figuraient dans
cette vente plusieurs textes très peu courants :
Pour tuer le chômage, tueront-ils les chômeurs ?
82
POLITIQUEMENT
INCORRECT
(1933), Qu’on s’explique, postface au Voyage au
bout de la nuit (1933), Hommage à Émile Zola
(1936), texte de la seule conférence publique
que Céline ait jamais faite, et Vive l’amnistie
Monsieur ! (1963).
L’édition la plus connue du pamphlet de Céline
contre Jean-Paul Sartre À l’agité du bocal, est celle
qu’Albert Paraz avait incorporée dans son propre
livre de souvenirs céliniens : Le Gala des vaches
(cote : 50 €).
L’édition Lanauve de Tartas (1948) est beaucoup plus rare, en revanche, puisqu’on n’en connaît que 200 exemplaires.
Une partie du manuscrit de Casse-pipe (commencé en 1936, dispersé et perdu en 1944,
publié en 1949) était vendue au cours d’une
vacation d’autographes, la même année. La vente
proposait également un pastiche de Céline fait
par Albert Paraz et relatif au prix Nobel.
En marge, Céline a porté cette mention ironique : « Moi, regarde, si j’avais conseillé à tous les
jeunes gens de se faire…, j’aurais remporté le Nobel
comme Gide ; le Parlement aurait voté un budget
spécial pour acheter ma maison ! La convertir en
musée ! »
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
83
Réfugié politique
Sous l’autorité de Mes Ader, Picard et Tajan,
lors d’une autre vente, 70 lettres de Céline
étaient proposées aux amateurs.
Adressées de son exil danois à son ami d’enfance, le joaillier Georges Geoffroy, entre 1947
et 1950, elle correspondent à l’époque où Céline
accomplit sa traversée du désert. L’écrivain, qui
vient juste de sortir de prison, est traité en pestiféré. Ses lettres traduisent souvent son désespoir.
« Nous sommes ensevelis dans notre supplice,
écrit-il le 5 juin 1947, gorgés de chagrin, de misères et d’outrages en tout genre. (…) On a tué Denoël, mon éditeur… dans la rue… nous avons
presque tout perdu – brûlés, pillés, dépouillés par
des amis sur lesquels nous comptions. (…) Je ne sais
pas si l’on me gardera ici comme réfugié politique –
je l’espère – si l’on me livrera à la France… je ne
crois pas. En tout cas, je n’ai plus aucun moyen de
gagner ma vie… Je suis tombé ici sur un ambassadeur de France, petit premier n° 1… qui a servi
Vichy toute la guerre et qui voulait se racheter en
me faisant livrer. Quel courage ! Il a relancé les
Danois si bien que je suis resté 17 mois en réclusion. »
84
POLITIQUEMENT
INCORRECT
On se rend compte, à lire ces lignes, à quel
point ce genre de document est important pour
la connaissance de Céline.
Mais que dire alors du manuscrit autographe
de Férie pour une autre fois – Normance qui fut
vendu le même jour ? Trois mille six cent quatrevingt-deux feuillets donnant des versions parfois
très différentes de l’édition définitive publiée en
1954 chez Gallimard.
Normance, c’est la chronique colorée d’un
immeuble de Montmartre pendant le bombardement de Paris par la RAF. Le personnage central
du roman s’appelle Normance, un « popotam
ronfleur ». Lui, Céline, le narrateur, se veut « philosophe du pratrabroumm ». Du Jacques Perret
réécrit par Frédéric Dard, en quelque sorte.
À feuilleter ces manuscrits, on découvre un
Céline pointilleux, perfectionniste. Ces phrases
hachées, bourrées de points d’exclamation et de
points de suspension, ces éructations délirantes ne
jaillissaient pas spontanément du stylo. Elles sont
le fruit d’un travail laborieux. C’est toute la différence, précisément, entre Céline et Frédéric Dard.
Ce n’est pas seulement parce qu’il sent le
soufre que Céline suscite cet engouement chez
les collectionneurs, comme en attestent les prix
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
85
records atteints par certains de ses manuscrits
(100 000 € le manuscrit autographe de Mort à
crédit, en 1984, et ensuite des prix toujours plus
élevés), c’est aussi parce qu’il apparaît de plus en
plus clairement qu’il est l’un des deux ou trois
écrivains français qui laisseront leur empreinte
indélébile sur la littérature du XXe siècle.
Le Bulletin célinien BP 70, B1000 Bruxelles
22, Belgique.
Chapitre 13
Paul Chack, figure de proue
de la littérature maritime
Paul Chack est né en 1875 d’un noble irlandais et d’une cantatrice. Sa vocation à lui, c’est
la mer : « J’ai été marin, écrit-il dans Tu seras
marin. Quarante années durant, j’ai servi (…) À
bord de quinze bâtiments de guerre, j’ai exercé à
peu près tous les métiers. J’ai fait mes premiers
quarts à la voile, tour à tour sur deux frégates.
J’ai parcouru les sept mers et bien des terres. À
l’époque de la piraterie tonkinoise, j’ai briqué le
fleuve Rouge, la rivière Claire et la rivière Noire.
J’ai été spécialiste de l’électricité, de la torpille et
du canonnage. J’ai commandé un sous-marin en
temps de paix et un contre-torpilleur pendant la
guerre. Bref j’ai servi ».
En 1921, capitaine de Frégate, Paul Chack
devient le responsable du Service historique de la
marine. Deux ans plus tard, il publie à la Société
88
POLITIQUEMENT
INCORRECT
d’Éditions géographiques maritimes et coloniales, sous la direction du service historique et
de l’état-major de la marine, une très volumineuse étude : La Guerre des Croiseurs. C’est sans
doute le plus rare des ouvrages de Paul Chack :
près de 900 pages en deux tomes. J’ai trouvé ces
ouvrages au très plaisant marché au puces de
Châteauroux (le 1er dimanche de chaque mois,
d’octobre à juillet), pour 70 € seulement. Il est
vrai qu’il manquait les atlas, en principe joints.
Chez Flammarion, il publie en collaboration
avec un autre écrivain de la mer, Claude Farrère,
deux ouvrages consacrés aux premiers mois de la
guerre de 14 : Sur mer et Deux combats navals,
puis Combats et batailles sur mer, toujours avec
Claude Farrère (3 € pièce aux puces de Châteauroux). En 1931, il écrit une biographie de
Du Chaffault, sous le titre L’Homme d’Ouessant
(Librairie de la Revue française).
Marins à la bataille
Mais Paul Chack a été remarqué par Horace
de Carbuccia ; et il va devenir, avec Henri
Béraud, Joseph Kessel, Marcel Prevost et
Maurice Larrouy (autre écrivain maritime) l’un
des principaux auteurs de « l’écurie » des Édi-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
89
tions de France. Tous ses livres vont alors être
publiés aux Éditions de France : Tu seras marin,
Branlebas de combat, Ceux du blocus, Sur les bancs
de Flandre, On se bat sur mer, Ho Ang-Tham
Pirate, Deux batailles navales, Pavillon haut,
Traversées épiques, Croisières merveilleuses.
Ces ouvrages ne sont pas rares. Les tirages
étaient importants. Tous ceux qui avaient fait la
guerre dans la marine, en particulier sur les
théâtres d’opérations extérieures, souhaitaient
faire l’acquisition de ces livres. Les couvertures
étaient illustrées par un excellent peintre de
marine, Léon Haffner.
J’ai acquis chacun de ces livres entre 1,5 et 12 €,
selon l’état, le tirage, la présence d’un envoi. Tu seras
marin, Traversées épiques et Croisières merveilleuses
sont toutefois plus difficiles à trouver. Le Courbet,
de chez Amiot-Dumont, est une courageuse édition
de l’immédiat après-guerre (1949). L’ouvrage possède une jaquette illustrée d’une belle aquarelle de
Charles Fouqueray, autre grand peintre de marine.
Mon exemplaire ne m’a coûté que 10 € (Parc
Brassens, 1998).
Il est bien complet, avec sa bande publicitaire : « Un inédit de Paul Chack, une de ses plus
belles réussites ».
90
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Mais les séries les plus collectionnées sont les
séries « Marins à la bataille » et « La Mer et
notre Empire » : 23 ouvrages, dont la parution
s’est échelonnée de 1937 à 1942.
Les premiers ouvrages, qui se présentaient sous
la forme de plaquettes d’une centaine de pages,
avec une illustration en couleur pleine page
d’Haffner, sont très courants. Un bon chineur
les trouvera facilement, pour une somme modique (j’ai payé les miens de 2 à 6 €).
Tout se complique avec les derniers numéros,
ceux de la série « La Mer et notre Empire », parus pendant l’Occupation, avec des tirages plus
modestes. Les tous derniers titres, comme Du
« Soleil royal » à la « Normandie », publiés dans
un format plus petit, en 1942, ne sont vraiment
pas fréquents.
Aucune étude importante sur l’œuvre de Paul
Chack n’a été réalisée, à ma connaissance. Outre
sa grande expérience maritime, ses sources furent
sans doute les différents journaux de bord qu’il
pouvait consulter au Service historique de la
marine.
Ses livres sont souvent accompagnés de cartes
et de croquis, qu’il réalisait lui-même, et qui sont
extrêmement précis et exacts.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
91
Président de l’Association des écrivains combattants, Chack est anticommuniste et aussi
anglophobe, comme nombre d’officiers de la
Royale, une anglophobie qui sera exacerbée par
le massacre de Mers-El-Kébir.
En 1941, il fonde à Paris le Comité d’action
antibolchevique et organise l’exposition « Le
Bolchevisme contre l’Europe » à la salle Wagram,
en juin 1942. Jean Mabire a écrit, dans Que
lire ? : « Paul Chack croit au mythe de la croisade
européenne contre le péril rouge, qui remplace le
péril jaune de sa jeunesse. Comme on dit vulgairement, il se mouille ».
Il participe ainsi à la création d’un vague
Front révolutionnaire national, qui n’a pas laissé
de traces bien éblouissantes.
Suffisantes, toutefois, pour qu’il soit arrêté le
23 août 1944. En même temps que Sacha
Guitry. Et la veille de l’arrestation de Béraud.
Jugé le 18 décembre 1944, il sera fusillé le 9
janvier 1945. On dit qu’il aurait flanché devant
ses juges. Mais Pierre Malo, qui l’a vu partir à la
mort, raconte : « Je n’oublierai jamais la silhouette de cet homme. Il était d’un calme extraordinaire, d’un calme hautain, impavide, méprisant ».
92
POLITIQUEMENT
INCORRECT
J’ai tout Paul Chack !
Dans Quinze jours avec la mort, Henri Béraud
a raconté les quelques mots échangés avec Paul
Chack, peu avant son assassinat légal :
— Au revoir, Chack, je vais prier pour vous !
— Au revoir, cher Béraud, moi aussi je vais
prier pour vous…
Sa dernière phrase, Béraud put l’entendre de
sa cellule : « Vive la France ! ». « Vive la France !
Je meurs pour mes idées », précise le Dictionnaire commenté de la Collaboration française, de Philippe Randa.
Aux Éditions France Empire, en 1969, l’écrivain maritime Jean-Jacques Antier a complété les
œuvres de Paul Chack, pour donner en trois
tomes, sous leur double signature, une monumentale Histoire maritime de la Première Guerre
mondiale. Jean-Jacques Antier reconnaît qu’il
doit sa vocation de reporter naval à Paul Chack.
Il se place d’ailleurs en digne héritier littéraire du
Commandant Chack.
Mais mise à part cette notable exception, Paul
Chack continue à subir un scandaleux ostracisme. Dans le catalogue Le Livre de la Mer, d’un
récent Salon du livre maritime de Concarneau,
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
93
il n’était même pas cité ! Et si la Maison des écrivains de la mer de Saint-Gilles-Croix-de-Vie fait
figurer cet auteur en bonne place, il est arrivé,
nous explique son président et fondateur, qu’un
visiteur s’en indigne, incapable toutefois d’expliquer en quoi cette présence justifiait son indignation. Ah, si, il avait été fusillé en 1945. Alors,
vous pensez !
Quant à moi, avec mes quarante-quatre
ouvrages de Paul Chack, trouvés en quinze
années de chine – avant Internet, Ebay et les sites
de livres rares – je peux briller dans les dîners
parisiens avec cette simple phrase : « J’ai tout
Paul Chack ! ».
Chapitre 14
Cinéma : d’Arletty à Raimu, que le meilleur
Citez-moi un réalisateur de cinéma ayant fait
des films vraiment incorrects, sur le plan politique ? Le nom que je vais vous citer ne vous
serait certainement pas venu spontanément à
l’idée : Marcel Pagnol.
Oui, Marcel Pagnol, celui du Château de ma
mère et de La gloire de mon père. Au tout début
du cinéma parlant, les thèmes de la préférence
nationale et de l’antiparlementarisme étaient très
présents, et Pagnol contribua à les alimenter. Sa
pièce Topaze est portée à l’écran en 1932 (elle le
sera de nouveau en 1936, et en 1950 avec Fernandel). Dans cette pièce, l’antiparlementarisme
est fortement exprimé. Pagnol est en phase avec
les manifestants du 6 février.
Dans Le Schpountz (avec Fernandel également), Pagnol se livre à une satire du monde du
cinéma, aux mains des milieux cosmopolites les
96
POLITIQUEMENT
INCORRECT
plus insupportables. Pagnol développe le même
thème que Paul Morand dans son roman Francela-Doulce.
L’affairisme cosmopolite est un thème qui revient
durant tout l’avant-guerre. On pense à l’excellente
comédie Ces messieurs de la santé, avec Raimu,
Pauline Carton et Edwige Feuillère. On pense à La
Banque Nemo (1934), un film rarissime qui raconte comment un ancien employé de bureau, très
ambitieux, peut, en toute impunité, commettre les
pires escroqueries avec la complicité d’hommes
politiques. Ce film fit l’objet de tentatives d’interdiction, et certaines scènes furent coupées, en particulier celle d’un conseil des ministres fort peu à
l’honneur desdits ministres. Ce film n’a jamais été
rediffusé depuis 1934. Qui en détient une copie ?
Une copie sans les coupures ?
Dans Le Père Lampion (1934) du grand réalisateur Christian-Jaque (Les Disparus de SaintAgil, Fanfan la Tulipe, Babette s’en va-t-en guerre,
etc), un égoutier, sosie du président du Conseil,
devient président du Conseil à la suite d’un
coup d’État, et dirige bien mieux le pays que le
politicien à qui il a succédé. D’autres films de la
même époque, Baccara (1935), Le Roi (1936,
avec Raimu et Gaby Morlay) semblent influen-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
97
cés par les retombées de l’affaire Stavisky et comportent de violentes critiques de l’affairisme
républicain.
Un second thème des films que l’on pourrait
qualifier de politiquement incorrects, selon les critères actuels de nos soi-disant faiseurs d’opinion,
est celui du patriotisme. Dans Les Hommes nouveaux (1936) Marcel L’Herbier, à partir d’un
roman de Claude Farrère, évoque l’œuvre de
Lyautey au Maroc. Jacques de Baroncelli exploite
la même veine dans L’Homme du Niger (1939).
La Grande Illusion (1937) était sûrement un film
de gauche, dans l’esprit de son réalisateur, Jean
Renoir, si proche des communistes. En fait, c’est
l’un des plus beaux films d’hommage à l’esprit aristocratique, et aux valeurs patriotiques. Les acteurs,
Gabin, Von Stroheim, et surtout Pierre Fresnay,
ont totalement transformé l’esprit du film.
À partir de 1936, les films politiquement incorrects (selon les critères d’aujourd’hui, pas à
l’époque de leur sortie) sont nombreux : Marthe
Richard au service de la France (1936), Les Otages
(1939), Trois de Saint-Cyr, qui fut un énorme
succès (1938), Légion d’honneur (1938), Le chemin de l’honneur (1939), Sœurs d’armes (1937),
Passeur d’hommes (1937), Deuxième bureau contre
98
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Kommandantur (1939), Les Héros de la Marne
(1938).
Venus d’Allemagne, d’autres films exaltent un
autre nationalisme. On pense au Jeune hitlérien
Quex (1934) ou encore au très beau Triomphe de
la volonté de l’incomparable cinéaste, la belle
Leni Riefenstahl (1934).
Tous les spécialistes du cinéma savent (mais
personne n’ose le dire, à part quelques vrais bons
spécialistes comme Philippe d’Hugues ou le
jeune Pascal-Manuel Heu) que l’Occupation fut
l’âge d’or du cinéma français.
À l’abri de la concurrence américaine, et avec
un public n’ayant guère le choix des distractions
et dont les déplacements étaient limités, les réalisateurs français : Marcel Carné, Jacques Prévert,
Claude Autant-Lara, Marcel L’Herbier, Jean
Grémillon, Jacques Becker, Jean Delannoy, Robert
Bresson, Christian-Jaque, Henri Decoin, André
Cayatte, Louis Daquin, Abel Gance, HG Clouzot
ont tourné, ces années-là, leurs meilleurs films.
Deux cent vingt films de fiction ont été tournés pendant la période de l’État français. Les
thèmes sont toujours positifs et mettent en
valeur la France, en particulier dans sa dimension rurale. Les Visiteurs du soir, de Prévert et
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
99
Carné, énorme succès de l’époque, est un film
médiéval romantique, en rupture avec l’ambiance amorale de l’avant-guerre. Et pourtant ni
Prévert ni Carné ne passaient jusque-là pour de
dangereux dynamiteurs des valeurs républicaines.
Dans le même genre, il y a L’éternel retour
(1943) inspiré de Jean Cocteau.
D’après le spécialiste du cinéma, Jacques
Siclier, homme de gauche, les films les plus
influencés par « l’ordre moral et social » du
maréchal Pétain furent Le Voile bleu (1942) avec
Gaby Morlay, Signé illisible (1942), La Loi du
printemps (1942), Cap au large (1942), Monsieur
de Lourdines (1942), d’après un roman du fasciste (il ne s’en cachait guère) Alphonse de Chateaubriant, Port d’attache, Le Carrefour des enfants perdus (1943), Le Bal des passants (1943),
Jeannou (1943), Patricia (1942), Le Moussaillon
(1943). Quel cinéphile nous permettra-t-il un
jour de voir ces films ?
Il faut signaler deux courts métrages de la société Nova Films : Les Corrupteurs, contre le capitalisme, et Forces occultes, sur la franc-maçonnerie.
Plusieurs films furent interdits à la Libération
par les épurateurs : Les Inconnus dans la maison
d’Henri Decoin, d’après Simenon, La Vie de
100
POLITIQUEMENT
INCORRECT
plaisir, et aussi Le Corbeau de Clouzot. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde pour qualifier Le
Corbeau de chef-d’œuvre ; on en fait même un
film résistantialiste, Clouzot étant censé avoir
ainsi critiqué indirectement « les collaborateurs
qui dénonçaient les juifs ».
Mais cette légende-là, nul n’avait encore eu
l’idée de la construire en 1944. Le film fut donc
interdit et Clouzot eut quelques ennuis. Il faut
dire que dans l’ambiance août-décembre 1944, les
épurateurs exploitaient des sacs postaux entiers de
lettres de dénonciation des collaborateurs supposés. Combien de malheureux innocents furent
assassinés, emprisonnés, combien de femmes
furent tondues, eurent les pointes de seins coupées,
furent promenées nues dans les rues de leur ville
ou de leur village, parce qu’un sale corbeau les
avait dénoncées. On comprend que le film Le
Corbeau ait pu donner mauvaise conscience à ces
justiciers improvisés, résistants de la 25e heure.
Évidemment le cinéma non conformiste traversa
un passage à vide dans la France d’après-guerre,
passage à vide qui n’est d’ailleurs pas terminé tant
la prégnance marxiste, puis post-marxiste, et en
tout état de cause cosmopolite, fut et reste forte
dans ce secteur. Bien sûr on peut classer films de
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
101
droite le Nez-de-cuir dYves Allégret, d’après le
roman de Jean de la Varende, La Traversée de Paris
de Claude Autant-Lara, d’après le chef-d’œuvre de
Marcel Aymé, Le Caporal épinglé d’après le royaliste Jacques Perret, autre film de Renoir, qui fut décidément un curieux cinéaste de gauche. Ou encore
Le Feu follet, d’après le roman de Drieu La Rochelle. Ces films sont d’abord des histoires, racontées à partir de bons livres. Un point c’est tout.
Parmi les cinéastes de l’après-guerre, certains
vont passer pour être de droite, au simple motif
qu’ils ne sont pas communistes et qu’ils n’appartiennent pas à l’intelligentsia de gauche : JeanPierre Melville, Alexandre Astruc, Éric Rohmer,
Jacques Rivette, François Truffaut. Ce dernier
écrit d’ailleurs dans Arts, l’hebdomadaire culturel
de Jacques Laurent.
Mais ces cinéastes n’ont pas réalisé de films
que l’on puisse vraiment considérer politiquement incorrects ou non conformistes.
C’est l’Algérie française qui va nous donner
l’occasion de renouer avec un cinéma de droite.
Robert Enrico avec La belle vie (1963), Alain
Cavalier avec Le Combat dans l’île (1961) et
L’Insoumis (1964), René Gainville avec Le
Complot (1973), Pierre Schoendoerffer avec La
102
POLITIQUEMENT
INCORRECT
317e section (1964), Le Crabe-Tambour (1977),
L’Honneur d’un capitaine (1982) nous donnent
des films de droite, mais finalement plutôt
acceptables par le PC (le politiquement correct).
En fait il n’y a jamais eu, après la guerre, à
droite, de films comparables à Z ou à Dupontla-joie, c’est-à-dire de films militants, partisans.
C’est des États-Unis que nous sont venus les premiers vrais films de droite, avec Les bérets verts
de John Wayne, les séries de Chuck Norris, de
Silvester Stallone ou de Clint Eastwood, ou
encore le superbe Soleil de nuit avec le danseur
russe Mikhaël Barichnikov, réfugié à l’Ouest.
Vent d’Est, le film de Robert Enrico, largement
boycotté par la presse politiquement correcte, est
peut-être le premier film français franchement à
droite de l’après-guerre. Sa carrière dans les salles
de cinéma a été très courte. Sa carrière vidéo un
peu plus longue.
Quant au collectionneur, il cherchera bien évidemment à se procurer les affiches de ces films
(salons du vieux papier, bouquinistes du Parc
Brassens…).
Ouvrage de référence : Le Cinéguide par Éric
Leguèbe, repris ensuite par Pierre Malpouge, collection Omnibus
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
103
Le film le plus anticommuniste
de tous les temps
Le film s’appelle Bolchevisme. Il date vraisemblablement de 1919. C’est la Cinémathèque
royale de Bruxelles qui l’a découvert, restauré et
reproduit. C’est un film muet, bien entendu, en
cinq bobines. Les titres et les dialogues écrits
sont en deux langues : français et flamand.
Ce film pose une énigme. On ne sait qui l’a
tourné, ni où, ni quand exactement. On ne
connaît pas les acteurs. La Cinémathèque royale a
consulté le Gosfilmofond à Moscou, qui ne sait
rien, ou prétend ne rien savoir. Aucun spécialiste
ou historien du cinéma n’est capable d’apporter
quelque précision que ce soit. La Cinémathèque
royale de Belgique centralise les informations
éventuelles qui permettraient d’en savoir plus.
Ce film est à la fois émouvant et symptomatique. Il est émouvant car plusieurs éléments
semblent prouver qu’il a été tourné par des émigrés russes et que les acteurs eux-mêmes sont
russes. Les visages, les costumes, les attitudes ont
un ton d’authenticité qui a frappé ceux qui l’ont
vu. Au-delà de la valeur de propagande, il y a
l’intérêt ethnologique. Le film est symptomatique, en outre, car il prouve, s’il en était enco-
104
POLITIQUEMENT
INCORRECT
re besoin, que l’on savait tout, ou que l’on pouvait tout savoir, dès les années vingt et même en
1919, sur ce qui se passait réellement en URSS.
Bolchevisme a été tourné en décors réels, avec
des moyens limités. Son authenticité lui donne
pourtant une grande force. C’est en toute hypothèse, comme l’écrit Raymond Borde pour les
Archives de la cinémathèque de Toulouse, « un
témoignage de première main sur l’état d’esprit
des Russes blancs ».
Le film comprend quatre parties : avant la
Révolution, la Révolution, le nouveau régime, la
fuite. Trois personnages ont des rôles de premier
plan : Élisabeth, une fille de l’aristocratie russe,
qui adhère au bolchevisme, puis s’en écarte avec
horreur ; Olga, autre jeune aristocrate qui parviendra à fuir l’URSS dans un wagon à bestiaux ;
Labedjew, un ancien palefrenier devenu commissaire politique. Le film se termine bien, puisque
les héros parviennent à échapper aux Rouges.
Mais le cours du récit ne cache rien des monstruosités du régime nouveau : la bureaucratie, les
tribunaux populaires, le vol et les violations de
domicile, la Tchéka toute puissante. L’une des
scènes, particulièrement réaliste, se déroule dans
les caves de la Tchéka : on assiste à la mise à
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
105
mort de deux détenus, abattus dans le dos, au
revolver : « Pour aujourd’hui, nous avons assez
diminué la liste des bourgeois », s’exclame,
joyeux, le chef des tchékistes.
Le film se termine par cette déclaration d’Élisabeth : « J’ai tout perdu. Mon idéal a été foulé
aux pieds. J’avais cru que le bolchevisme apporterait le bonheur à l’humanité. Il a rendu les hommes encore plus mauvais. Ce pauvre peuple que j’ai
cru émanciper, il n’a jamais été plus esclave de ses
chefs. Le bolchevisme a tué toutes mes espérances. »
On croirait l’une de ces innombrables confessions d’anciens bolchevistes, telles qu’on en lisait
périodiquement dans les colonnes du Monde ou
telles qu’on en entendait chez Bernard Pivot, il
y a quelques années. On croirait lire du Pierre
Daix, du Jean Ellenstein, du Roger Garaudy première manière, etc.
Chapitre 15
Décorations : Les nationaux furent souvent
des collectionneurs qui s’ignoraient
Phaléristiques : en êtes-vous ? Ce n’est ni une
maladie tropicale, ni un terme scientifique pour
évoquer des pratiques cochonnes. La phaléristique, c’est autre chose. Ceux qui ont étudié le
latin et l’histoire romaine se souviennent peutêtre que le phalère était une médaille destinée à
récompenser les légionnaires romains, lorsqu’ils
avaient fait preuve d’un courage particulier sur le
champ de bataille. Cette médaille, ils la portaient ensuite sur la poitrine, mais parfois aussi
sur le casque ou sur le harnachement du cheval.
La phaléristique, aujourd’hui, c’est tout simplement le nom que se donnent les collectionneurs de décorations militaires ou civiles. Il y
avait la philatélie, la cartophilie, la bédérastie
(bande dessinée), etc. Alors pourquoi pas la phaléristique ?
108
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Même si nous ne sommes pas issus de familles
de militaires, nous possédons certainement dans
nos archives familiales quelques décorations de
soldats : les croix de guerre et médailles commémoratives 1914-1918 d’un grand-père ou
d’un vieil oncle.
L’héroïsme de toute une génération
La phaléristique est une façon de remettre à
l’honneur ces documents qui attestent du courage physique dont sut faire preuve notre peuple
aux heures sombres
Et si les décorations liées à la Grande Guerre
sont les plus répandues, c’est précisément parce
que leur nombre est à la mesure de l’héroïsme
de toute une génération.
Faites excuse, messieurs les naturalisés de
fraîche date. Mais il me semble que ceux qui ont
eu un grand-père trois fois blessé et deux fois
gazé à Verdun, et deux ou trois oncles portés disparus aux Éparges et sur la Marne, sont encore
plus Français que d’autres.
Oh ! ces propos ne visent pas forcément les
Beurs et Africains noirs récemment francisés.
N’oublions pas que les régiments coloniaux eu-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
109
rent leur part de sacrifice. Je pense d’ailleurs
qu’ils auraient dû être et rester français, par le
sang versé. Mais un fossé ne peut pas ne pas
exister entre les petits-enfants de ceux qui montèrent à l’assaut des tranchées allemandes en
chantant « Demain sur nos tombeaux les blés
seront plus beaux », et ceux qui viennent tout
juste de choisir la France parce que le niveau de
vie y est meilleur.
« Revenons à la phaléristique ! », me direz-vous.
Vous avez raison : je m’écarte du sujet ; mais
avouez aussi qu’à partir d’une poignée de décorations militaires, il est possible de se livrer à
d’intéressantes – et très actuelles – méditations !
Alors, premier acte du futur collectionneur :
exhumer du grenier les décorations du grandpère, les sortir de leur cadre poussiéreux, les nettoyer (à l’eau savonneuse tiède) et les ranger soigneusement dans un médaillier, ou mieux, à la
place d’honneur, dans une vitrine.
Ne pas oublier de noter sur un carré de bristol l’intitulé de la décoration, le grade dans
l’Ordre, et surtout la date d’attribution avec le
nom du récipiendaire. Faire ces simples gestes,
c’est déjà ressusciter un peu du patrimoine familial, remettre à l’honneur la patrie charnelle.
110
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Toutes les médailles
Si vient ensuite le virus du collectionneur,
alors les domaines d’investigation sont nombreux. Nous vous conseillons tout particulièrement :
– les médailles liées à la Restauration : ordre
du Lys (1814), ordre du Brassard de Bordeaux
(1814), croix des Volontaires royaux (1815),
ordre de la Fidélité (1816) ;
– les médailles liées à la guerre de 1870–1871
qui évoquent Detaille, Neuville, Sonis, Déroulède et la naissance du nationalisme moderne ;
– celles de l’épopée coloniale, aux noms qui
chantent au cœur : médaille du Dahomey, médaille du Tonkin, etc ;
– les médailles civiles qui rappellent que la
colonisation fut aussi une belle aventure humaine : médailles d’honneur des épidémies (Algérie,
Colonies, France d’Outre-Mer, 1900 et 1927) ;
– la rare médaille de Corée (1952). Ceci sans
oublier l’inépuisable variété des médailles étrangères : de la Croisade contre le communisme
(Roumanie) à la Croix de Fer 1re classe en passant par celles du Front de l’Est ou les ordres
généreusement accordés par l’empereur Bokassa.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
111
Symptomatique : les décorations des pays de
l’Est de l’époque communiste sont souvent éditées
dans un métal de mauvaise qualité, type fer blanc.
La phaléristique est-elle de droite ? Certainement. Imagine-t-on Karl Zéro, Harlem Désir,
Renaud ou José Bové présenter leur collection de
décorations militaires ?
Et puis à droite beaucoup font de la phaléristique sans le savoir. Il suffit de regarder la poitrine des militants du Cercle national des combattants, lors des défilés de Jeanne d’Arc !
Pour progresser dans cette science, nous vous
renvoyons à un petit manuel écrit il y a quelques
années par Fernand Leplat : La phaléristique ou
collectionner les décorations. Fernand Leplat était
(je crains qu’il ne soit plus de ce monde à l’heure
où j’écris ces lignes) le détenteur de la plus grande collection privée de médailles et décorations.
Il m’avait dit un jour qu’investir dans une collection de décorations, cela valait du SaintGobain. Aujourd’hui on dirait du Bouygues ou
du PPR. Alors pourquoi ne pas joindre en effet
l’utile à l’agréable ?
Chapitre 16
Dédicaces :
dans l’intimité de nos grands hommes
Le collectionneur de dédicaces court de salons
du livre en fêtes des Bleu-Banc-Rouge (BBR), de
journées de Chiré en journées de Radio Courtoisie, pour obtenir de ses auteurs préférés les
quelques lignes hâtivement rédigées qui enrichissent les pages de garde de ses livres.
Que cherche ainsi le collectionneur ? À se
prouver que l’intimité avec l’auteur est allée audelà d’une simple communion dans l’instant de
la lecture.
Mais les brocantes, les puces, les salons du vieux
papier permettent également de se procurer les
dédicaces d’auteurs du passé, adressées à d’autres.
Ici le jeu consiste à dénicher un envoi plus dense
qu’une simple formule de politesse, sur grand
papier, c’est-à-dire sur une édition de tête – écrite
par une personnalité à une autre personnalité.
114
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Voici deux exemples de trouvailles récentes.
En 1938, Paul Marion, dirigeant du PPF de
Doriot, ancien militant communiste et futur
ministre du maréchal Pétain, dédicace le programme politique du PPF à Pierre Laval (45 €,
salon des antiquaires de la Porte Champerret).
Autre dédicace amusante : celle de Georges Valois, auteur d’une pièce intitulée Journée d’Europe, à Gaston Bergery (15 €, Puces de Vanves).
Valois est un ancien anarchiste, passé à l’Action
française, dont il sera l’un des principaux dirigeants. En 1926, il rompt avec Maurras pour créer
le premier parti fasciste français, avant de dériver
à gauche. Il mourra dans un camp de concentration allemand, pendant l’Occupation. Gaston
Bergery, le bénéficiaire de la dédicace est un dirigeant radical, donc de centre gauche, au moment
où Valois lui offre ce livre. Bergery deviendra, sous
l’Occupation, un farouche partisan de la Collaboration. La dédicace fait allusion à Marcel Bucart
en le critiquant. Bucart milita avec Valois, avant
de créer son propre parti, les Francistes. Il fut
fusillé en mars 1946 pour collaboration.
Cette courte dédicace résume en quelque sorte
tous les chassés-croisés idéologiques de l’avantguerre et de l’Occupation, et le destin tragique
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
115
d’une génération divisée avec elle-même, mais
qui se battit toujours pour la France.
Les puces peuvent réserver quelques étrangetés
dans ce domaine. Ainsi un brocanteur de la
porte de Vanves proposait en 1989 à ses clients
les derniers romans parus à des prix défiant toute
concurrence : quelques euros pour Le bal du
dodo, L’île bleue, Le royaume d’Arles, le dernier
Volkoff, etc.
Tous ces livres étaient dédicacés à l’Académicien Jacques Laurent, alias Cécil Saint-Laurent.
Assortiment de mots gentils qui lui avaient été
adressés, et qui ont terminé chez les puciers,
alors que l’encre du stylo n’était pas encore
sèche : Didier Decoin pour Meurtres à l’anglaise,
Éric Ollivier pour Les godelureaux, Pierre Bourgeois pour Sade, Jean Duché pour Pour l’amour
d’Aimée, etc.
Tous livres provenant des services de presse.
Ce qui prouve que Jacques Laurent vendait aussitôt au poids les livres qu’on lui offrait. Mais il
faut dire que, bien que goncourisé, il n’avait
guère de place pour stocker ses livres : il vivait
dans un modeste appartement, et son vrai lieu
de vie était plutôt la brasserie Lipp.
Chapitre 17
Le déroulédisme reste encore
une passion bon marché
Le déroulédisme est une maladie rare, très
rare. Elle peut néanmoins s’attraper aux détours
d’un salon du vieux papier de collection.
Vous ne connaissiez jusqu’à ce jour Déroulède
que de nom. Il évoquait pour vous une longue silhouette à petite tête et barbiche, un personnage à
la limite de la politique et du comique, un poète
pompier et suranné. Et dans ce salon du vieux
papier, voilà que vous êtes séduit par une belle édition illustrée des Feuilles de route, un in-quarto de
280 pages relié en demi-chagrin et comportant en
couverture un dessin en relief. Vous déboursez les
25 € que vous en demande le brocanteur. Et non
content de prévoir sa place dans votre bibliothèque, vous vous risquez à l’ouvrir et à le lire.
C’est simple, c’est rapide, c’est comme cela que
l’on devient un ami de Paul Déroulède.
118
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Patriote, il l’était certainement. Jusqu’à l’excès ?
Mais peut-on reprocher un excès d’amour ? Seule
l’indifférence est condamnable.
Pompier ? Évidemment, mais quand il écrit ses
Chants du soldat (Cotés 60 € pièce), il y a le feu
à la maison France.
Personnage fascinant et méconnu, personnage
injustement moqué, agitateur hors pair : voilà le
Déroulède qu’il s’agit à présent de redécouvrir.
Dure mission que de vouloir faire aimer
Déroulède. À la différence d’autres figures du
patriotisme français, l’auteur des Chants du soldat est plus souvent brocardé que critiqué. Il ne
suscite pas non plus cette dévotion que l’on
trouve chez les maurrassiens pour Maurras, les
anciens Croix-de-Feu pour La Rocque, ou les
admirateurs de la duchesse de Berry.
Il fallait être Belge pour créer une association
des Amis de Paul Déroulède. Force est de constater qu’au terme d’une quinzaine d’années d’existence le bilan n’est pas négligeable. Il faut en particulier noter que les seuls ouvrages de Déroulède
disponibles sont ceux qu’a précisément réédités
l’association belge des amis de Paul Deroulède :
Corneille et son œuvre, Hommage à sainte Jeanne
d’Arc, Refrains militaires, Marches et sonneries,
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
119
Chants du paysan, Chants du soldat, Nouveaux
chants du soldat. Des plaquettes d’une quarantaine de pages chacune, vendues au modeste prix de
quelques euros l’unité.
Les chants du soldat
L’association édite également un bulletin au
tarif d’abonnement lui aussi ultra compétitif. La
chronique la plus étonnante, dans ce bulletin, est
la cote bibliophilique de Paul Déroulède. La
dimension littéraire du personnage est privilégiée,
et une recension régulière nous donne le cours du
Déroulède sur le marché du livre ancien.
Les chants du soldat en édition brochée se vendent autour de 12 €, de même que la biographie
des frères Tharaud, La vie et la mort de Paul
Déroulède. Les Feuilles de route dans une reliure
demi-toilée sont proposées à 16 € par un libraire.
Un exemplaire sur hollande bien relié de la
pièce de théâtre La Moabite s’est vendu 100 €,
il y a quelques temps. Le volume, daté de 1881,
comportait un bel envoi autographe. Cette pièce
de théâtre fut interdite par la censure.
Notons enfin qu’une lettre autographe de Paul
Déroulède peut se vendre autour de 50 €.
120
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Le déroulédisme reste donc encore, pour
l’heure, un culte bon marché.
Les amis de Paul Déroulède, BP 1446B, 1420
Braine l’Alleud, Belgique
L’analyse graphologique de Paul Déroulède
On le sait depuis l’affaire Dreyfus, qui a révélé la culpabilité du capitaine après une savante
analyse de son écriture, la graphologie est une
science à peu près exacte ; aussi est-ce avec beaucoup d’intérêt que j’ai acquis, en 2002, au marché du livre ancien du Parc Brassens, à Paris,
pour la royale somme de 2 €, une analyse graphologique détaillée de Paul Déroulède.
Il s’agissait en fait d’une conférence madame
William Serieyx faite le 17 mars 1923, sous l’autorité de la société de graphologie. Cette conférence,
présidée par Charles Le Goffic, et qui avait très
exactement pour titre « L’écriture de Paul Déroulède », a fait l’objet d’une publication de vingt
pages, ainsi que d’une affichette de 40 cm par 60
cm, avec une belle photo de l’homme politique, et
la reproduction de plusieurs de ses lettres.
Que nous apprend donc la graphologie, que
l’on ne sache déjà de Déroulède ? Franchement
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
121
rien. Madame Seryex, dans cette conférence sans
doute admirable, mais au cours de laquelle de
nombreux ligueurs patriotiques piquèrent vraisemblablement du nez (comme à toutes les
époques, les soldats et les héros résistent mieux
à l’ennemi qu’à l’ennui), expliqua que « l’écriture de Déroulède, c’est l’unité dans la diversité. Ses
gestes sont des étincelles, mais ramassez-les, vous
aurez un feu… »
Les militants de la Ligue des patriotes apprirent ainsi, effarés, que chez Déroulède, les barres
des t sont « longues, marques de vivacité » ;
« fines : plus de vivacité que de violence » ; « en
coup de glaive : esprit caustique ».
Dans sa signature, le D de Déroulède est penché, et même couché, « paraphe de lutte, menaçant et décidé ». Le corps de la signature de Déroulède est « gladiole » (?), » l’écriture monte,
claironnante » (sic !).
Il y en a donc comme cela vingt pages, avec
en conclusion, les constantes de l’écriture de
Déroulède : « Dynamisme et stabilité… force et
souplesse…partout puissance, rayonnement de
l’Idée pour laquelle on agit et dont on n’est que
l’esclave. »
(Applaudissements répétés des auditeurs.)
122
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Tout cela est bien vu, n’est-ce pas ? Mais à la
date où la graphologue nous livre les secrets de
Déroulède, cela fait presque dix ans qu’il est
mort. Sa vie s’était déroulée, avec pour public,
toute la France patriotique : « Je ne suis qu’un
sonneur de clairon, je ne veux pas, je ne peux
être autre chose… ». C’était la moindre des
choses que son écriture soit claironnante ! Il
n’était pas très difficile à Madame Serieyx de
faire la savante devant un parterre de vieux militants tout acquis à cette graphologie-là !
L’étude graphologique de Déroulède reste
donc une curiosité. Et pour en savoir plus sur
Déroulède, il vaut mieux s’en remettre par
exemple à la collection des cinquante numéros
du Bulletin des Amis de Paul Déroulède. Cette
association s’est créée en 1983, en Belgique, et
elle continue son étonnant travail. Une chose est
sûre : si la forme des t prouve que Déroulède a
su faire preuve de persévérance et de ténacité,
que dire alors des déroulédiens belges, qui le
célèbrent encore, prés d’un siècle après sa mort !
Le nom du chef de file des déroulédiens : JeanPierre Hamblenne. Un nom qui ne possède aucun
t. Dommage ! Sa signature aurait sûrement été
« claironnante », et sûrement aussi « gladiolée ».
Chapitre 18
Dessins de presse :
les plus condamnés sont les plus recherchés
Au plan professionnel, c’est l’un de ces terribles inspecteurs du travail qui font trembler les
chefs d’entreprise. Sans doute un « rouge », un
« bolchevique », se disent-ils. D’autant qu’il en
offre toutes les apparences physiques : la barbe
noire en bataille, l’œil mauvais, le ventre agressivement pointé en avant. Mais dans le privé, Jean
D., inspecteur du travail en banlieue communiste, est d’abord un collectionneur fanatique.
Chaque week-end, en effet, Jean D. part, un
sac de toile en bandoulière, en direction des
marchés aux puces parisiens. À Vanves, La Villette, Montreuil, Clignancourt, au KremlinBicêtre, tous les ramasseurs de vieux papiers le
connaissent. « Vous n’auriez rien sur l’Affaire ?
Pas de cartes postales du Fort Chabrol ? Combien cette collection de La libre parole illustrée ?
124
POLITIQUEMENT
INCORRECT
C’est que la collection de l’inspecteur du travail Jean D. est très spécialisée. Il recherche les
documents illustrés politiquement incorrects et
patriotiques. D’avant 1914 uniquement.
Son appartement est une caverne (on serait
tenté d’écrire une caserne) pour Ali Baba politiquement incorrect. Dans son salon, les affiches
antidreyfusarde les plus rares (et les plus folles)
voisinent avec des gravures d’Alphonse de Neuville et des dessins originaux de Fouqueray.
Cette caricature de Caran d’Ache, violente
charge contre les francs-maçons, un brocanteur
la lui a cédée pour une centaine d’euros. Une
excellente affaire. Cette affiche grand format de
Willette, illustrateur hors pair, et néanmoins
candidat antisémite pour un siège de député à
Montmartre, est une pièce peu banale non plus.
Jean D. l’a payée 400 € dans un salon du vieux
papier de collection. C’est un prix un peu élevé
pour une affiche, mais honnêtement, qui résisterait à l’envie d’orner son salon d’un tel document (1,5 x 2 m) ?
Forain, Abel Faivre, Caran d’Ache, Cham, Léandre, Willette, Steinlen, Sem, Gus Bofa : en ces
temps-là, les caricaturistes et les dessinateurs de
presse donnaient le ton du débat politique. Et
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
125
beaucoup des meilleurs, Forain et Caran d’Ache en
particulier, ne faisaient pas mystère de leur engagement dans le camp politiquement incorrect.
Dommage que Jean D. ait limité sa quête de
documents iconographiques à la première partie de
la IIIe République. Après 1914, en effet, une nouvelle génération de dessinateurs, tout aussi talentueuse, apparaît. Hermann-Paul, venu de l’extrême
gauche, Sennep, Ben, Bib, Paul Iribe vont largement contribuer au succès de la presse de droite, et
aux folles journées de janvier et février 1934.
Dans une joute toute pacifique, ils affrontent
les dessinateurs communistes ou progressistes,
dont les plus célèbres s’appellent alors HP Gassier et Jean Effel.
Jacques Letheve, qui est l’auteur d’un excellent
petit ouvrage consacré à la caricature et à la presse sous la IIIe République, ouvrage lui-même épuisé aujourd’hui et recherché par les collectionneurs,
constatait : « En 1870, la caricature française a
déjà ses lettres de noblesse et nul ne peut oublier
dans ce domaine les grands maîtres de l’époque
Louis-Philippe. Mais avec la IIIe République, c’est
de soixante-dix ans de liberté politique et morale
presque absolue qu’elle va pouvoir profiter : de
Gill à Sennep et de Daumier à Jean Effel, les
126
POLITIQUEMENT
INCORRECT
talents ne lui ont pas manqué non plus : quant
aux journaux, ils sont si nombreux et si divers,
qu’aucun autre temps ni aucun pays n’en a connu
et n’en connaîtra peut-être de semblables. »
Chez les collectionneurs, le dessin de presse
bénéficie aujourd’hui d’un engouement considérable. Il est à la fois témoignage, œuvre artistique, instrument de communication et document historique. Et si Daumier (républicain)
reste le plus recherché – certains de ses dessins
ont battu des records, à Drouot – le gros bataillon des dessinateurs de droite, d’hier et d’aujourd’hui, prouve qu’il y a une tradition très vivace
du dessin de presse dans cette famille de pensée.
Konk, Redon, Miège, Pinatel, Chard, ces dessinateurs de presse sont tout à fait dignes de leurs
grands ancêtres.
Chapitre 19
Les formidables « Éditions de France »
C’est en 1923, sous le patronage de Marcel
Prévost, que le corse Horace de Carbuccia crée
les Éditions de France.
Cette maison va publier plus d’un millier
d’ouvrages, en vingt ans. L’épuration, la fuite de
Carbuccia (il ne réapparaîtra qu’en 1950) ont
fait disparaître les Éditions de France, contraintes par la commission consultative d’épuration de changer de nom. Depuis lors existent les
Éditions de Paris, qui poursuivent d’ailleurs une
politique éditoriale intéressante (le catalogue
peut être demandé aux Éditions de Paris : BP
301-07, 75327 Paris Cédex 07).
Mais on a oublié que les Éditions de France
constituèrent l’un des plus prestigieux lieux
d’édition, avec des auteurs qui furent découverts,
lancés, promus et magnifiquement publiés dans
cette maison.
128
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Des noms ? Marcel Prévost, d’abord, bien qu’il
soit un peu (beaucoup) tombé de mode. Ce sont
aussi ces extraordinaires écrivains de marine que
furent Paul Chack et Maurice Larrouy. Inutile de
parler d’Henri Béraud, qui fut l’un des plus grands
auteurs de cette maison. Un contrat en or massif
le liait à Carbuccia. La famille Carbuccia conserve
encore pieusement dans sa bibliothèque les manuscrits de Béraud, merveilleusement reliés, ainsi que
d’innombrables éditions originales, dédicacées à
Adry de Carbuccia, l’épouse d’Horace.
Les Éditions de France, c’est encore Joseph
Kessel, grand reporter et grand soiffard devant
l’éternel. C’est Francis Carco, Maurice Dekobra,
Jean Galtier-Boissière (le directeur du prestigieux
Crapouillot), Jacques de Lacretelle, Albert Londres, Pierre Mac Orlan, Somerset Maugham, ou
des écrivains « d’investigation » comme Paul
Allard ou Robert Boucard.
Les tirages étaient phénoménaux, l’éclectisme
de bon aloi.
L’anti-Gallimard
La collection « Le Livre d’aujourd’hui » proposait des livres à 6 francs, ce qui, dans les
années trente, devait correspondre peu ou prou
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
129
à nos « Livres de poche ». Chaque livre comportait un dessin de couverture en couleurs. Une
autre collection proposait des romans policiers.
La collection s’appelait : « À ne pas lire la nuit ».
un excellent titre générique, même si les romans
étaient de valeur inégale.
Pendant l’Occupation, Carbuccia publie quelques livres qui lui seront sévèrement reprochés en
1944 : quelques ouvrages de Philippe Henriot, du
savant pétainiste Georges Claude, de Jacques
Doriot. Des recueils d’articles polémiques de
Béaud. Et puis cette plaquette de Carbuccia luimême : Adieu à mon ami anglais (cote : 28 €).
Plus tard, Carbuccia reviendra en France. Mais
ni Gringoire ni les Éditions de France ne purent
ressusciter.
Ce que publient aujourd’hui les Éditions de
Paris est parfois remarquable. Mais l’éditeur avoue
des tirages de quelques centaines d’exemplaires,
quand Horace de Carbuccia, avec ses Éditions de
France, dépassait souvent les 300 000 exemplaires,
avec beaucoup de livres de ses auteurs fétiches.
La spoliation de 1944, le vandalisme révolutionnaire, le communisme rampant, sont passés
par là, pour faire taire un grand éditeur corse et
français.
130
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Il n’empêche que l’histoire des Éditions de
France reste à écrire. Et que les collectionneurs
bibliophiles devraient commencer à s’intéresser à
cet éditeur qui publiait, sous des jaquettes bien
illustrées, le meilleur de la littérature populaire
au bon sens du mot. Les Éditions de France,
c’était l’anti-Gallimard.
Chapitre 20
« Fleuve noir » : sa rive droite
a toujours été bien fréquentée
La littérature populaire de langue française
peut se résumer en trois collections-phares : Le
Masque, qui est la plus ancienne, avec Agatha
Christie comme étendard ; la Série noire, réputée intellectuelle, sulfureuse… et le Fleuve noir.
Mais le Fleuve noir à lui seul forme déjà un
océan dans le domaine de la littérature populaire. Pensez : 100 collections différentes, 1 000 auteurs, 10 000 titres, près d’un milliard d’ouvrages imprimés et vendus ! Tel est l’incroyable
bilan, sur cinquante ans seulement, de cette maison dont San Antonio sera et reste l’auteur fétiche, et qui doit aussi une partie de son succès
aux dessins de couverture réalistes, signés Gourdon ou Brantonne.
Le Fleuve noir a toujours fait la part belle aux
auteurs politiquement incorrects, et spécialement
132
POLITIQUEMENT
INCORRECT
d’extrême droite. À l’origine, le Fleuve noir est
perçu comme « de droite », et la Série noire « de
gauche ». Classement très arbitraire, au seul
motif, sans doute, que dans la Série noire, les
héros sont souvent des truands, des loosers, des
anti-héros, tandis qu’au Fleuve noir, les policiers,
les détectives, les justiciers ont généralement le
beau rôle, et sont couverts de femmes.
Mais José Giovanni, ADG, Albert Simonin,
Peter Cheney, Ange Bastiani, André Duquesne,
auteurs Série noire, peuvent difficilement passer
pour des auteurs de gauche ! Et d’ailleurs André
Duquesne, qui est l’auteur de quatre très bons
romans à la Série noire, est aussi un auteur du
Fleuve noir, sous le pseudonyme de Peter Randa,
où il a publié plus de 350 titres, entre 1955 et
1979, date de sa mort accidentelle : 102 titres de
la collection « Spécial police », 28 titres de la collection « L’Aventurier » et 79 titres de science-fiction (collection « Anticipation »). On trouve aussi
Duquesne, alias Randa, au Masque (pseudonyme :
Jules Hardouin). Dans le tome III de sa série Que
lire ? Portraits d’écrivains, Jean Mabire nous présente en trois pages cet auteur gaulois qui milita
dans sa jeunesse chez les fascistes suisses (sic !),
mais il faut trois autres pages à Mabire, dans le
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
133
même ouvrage, pour présenter les « principales
œuvres » de Randa-Duquesne-Hardouin-Roucayrol. Au total près de 400 titres à son actif. Et tout
reste lisible aujourd’hui encore. Même s’il ne s’agit
pas forcément de 400 chefs-d’œuvre.
San Antonio lisait Brigneau
Quand on parle du Fleuve noir, on pense
d’abord à la série « Spécial police », à Frédéric
Dard alias San Antonio, un auteur qui vaut
mieux que sa réputation d’auteur de gaudrioles
argotiques pour halls de gare. Même si les vingt,
trente, ou quarante derniers San Antonio sentent
le filon laborieusement exploité. Richissime
homme de gauche vivant en Suisse pour des raisons fiscales, Frédéric Dard, d’origine lyonnaise,
n’en a pas moins jamais caché son admiration
pour son collègue lyonnais en littérature Béraud
le maudit. Et si les ligues de vertu antiracistes et
homosexuelles se mettaient à éplucher la Série
des San Antonio, le nouveau Code pénal à la
main, le beau commissaire (spécialiste des
amours ancillaires) et ses amis Berrurier et
Pinaud seraient en prison depuis longtemps, et
pour longtemps ! Ces policiers là n’aimaient
guère les « tantouses », et méprisaient royalement
134
POLITIQUEMENT
INCORRECT
les « bicots ». relisez les vieux Fleuve noir (pas
seulement San Antonio, d’ailleurs) et vous serez
étonnés.
Mais le Fleuve noir, c’est aussi la collection
« Feu » : 244 volumes qui paraîtront entre 1964
et 1975, avec 69 auteurs différents. Savez-vous
qui dirigeait la collection « Feu » ?, cette collection de récits de guerre ? Saint-Loup, tout simplement. Marc Augier, dit Saint-Loup, dont à
présent les ouvrages sont chassés des bibliothèques, y compris ses récits de course en montagne, et qui n’est plus réédité que chez des éditeurs confidentiels. Mais qui est de plus en plus
collectionné, bien entendu (voir le chapitre que
je lui consacre plus loin). Un amateur de SaintLoup se doit donc de rechercher aussi ces 244
volumes de la collection « Feu ».
Le Fleuve noir, c’est la collection « Anticipation », avec 2 002 romans, publiés entre 1951
et 1997. Parmi les auteurs : les identitaires Jimmy Guieu, Peter Randa, déjà cité, mais aussi
Philippe Randa, le prestigieux éditeur du présent
dictionnaire (un petit coup de lèche ne fera pas
de mal à ma diffusion) !
Les productions Fleuve noir, celles d’avant
1970, sont à présent collectionnées, et les pre-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
135
miers romans, les « têtes de collections », atteignent des cotes à trois chiffres.
Parmi les San Antonio, par exemple, un titre a
particulièrement la cote : celui où le commissaire
San Antonio fait l’apologie d’un article de… François Brigneau, dans Minute. Alors, vous voyez que
cette collection « grand public », que nos parents
et grands-parents trouvaient certainement de mauvais goût, et dont ils nous déconseillaient vivement
la lecture, mérite mieux que sa réputation !
Chapitre 21
Francisque : elle se porte bien
« Il y a Francisque et francisque », explique
volontiers Jacques Sidos, collectionneur de timbres et d’objets maréchalistes. « Celle-ci avec un
petit “f ” tricolore dans un écusson sur fond blanc,
n’importe qui pouvait la porter. En fait, ne l’arboraient au revers de la veste que les fidèles du
Maréchal. Ils se disaient ostensiblement pour lui.
La francisque était une hache de guerre, vous le
savez, maniée par les Francs et les Germains. C’est
l’arrêté du 15 novembre 1941 qui en fit un emblème national. Des fonctionnaires, des employés, des
ouvriers, des stagiaires de l’État, des élèves manifestaient fièrement, par elle, leur attachement au chef
de l’État. »
Ça, c’est l’insigne. Mais la décoration ?
Faisons à nouveau appel à la science de
Jacques Sidos : « Elle récompensait les services
rendus à l’État français ou au Maréchal. Elle
138
POLITIQUEMENT
INCORRECT
aussi vit le jour en 1941. Un arrêté (26 mai) et
une loi (16 octobre) lui ont conféré ses titres de
noblesse. La Francisque, avec un « F » majuscule, devint le signe distinctif d’un ordre (…). Très
demandée, elle s’imposait par sa beauté ! Conçu
par le joaillier Robert Ehret, ce bijou faisait des
envieux. » Inutile de dire qu’il est pratiquement
impossible au collectionneur d’insignes de se
procurer cette francisque-là. Il n’y en eut,
semble-t-il, que 2 626 de distribuées.
Il faut se reporter aux publications de deux
autres collectionneurs fameux, Gérard Le Marec
et Pierre-Philippe Lambert, pour avoir une
nomenclature exhaustive des francisques insignes
et des Francisques décorations qui ont existé.
Il est beaucoup plus facile de collectionner la
francisque sur pièces de monnaie. Chaque famille française a, au fond d’une vieille boîte ou empilées dans un verre à moutarde, ces pièces de
l’État français, parfois percées au centre. Certaines de ces pièces ornées du symbole à présent
honni restèrent en circulation jusque dans les
années soixante. Pièces de un franc, deux francs
ou cinq francs, comptées pour un, deux ou cinq
centimes.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
139
Pétain en plastique chez Mokarex !
Aujourd’hui on ne peut imaginer que de telles
pièces aient pu circuler librement plusieurs
années après la fin de la guerre. L’insupportable
police de la pensée qui assure la censure de nos
médias ne le supporterait sûrement pas. Et pourtant il n’y avait pas scandale dans les années
soixante, comme il n’y avait pas scandale quand
le café Mokarex offrait à titre publicitaire un
petit maréchal Pétain en plastique.
Mais l’amateur de francisques va trouver son
plus grand bonheur dans la philatélie. Il y a une
trentaine d’années, Jacques Sidos avait présenté
une étonnante exposition philatélique consacrée
à la vie et à l’œuvre du Maréchal. Et les nombreux visiteurs avaient pu retrouver, à travers les
timbres émis tant en France que dans l’Empire
colonial, la hache à deux tranchants de l’État
français. Aujourd’hui il y a fort à parier qu’une
telle exposition serait interdite…
En 1943 était émise une bande composée de
quatre portraits du Maréchal séparés par une
francisque tricolore. La cote de cette bande est
de quelques dizaines d’euros. En 1944, pour le
88e anniversaire du Maréchal, un portrait en
buste, de profil, avait été édité, sur semis de
140
POLITIQUEMENT
INCORRECT
francisques (petite cote). Beaucoup plus rares et
plus cotés, les timbres de service. Ils étaient utilisés pour affranchir les courriers officiels de
l’État français. La série de 15 timbres à la francisque est cotée plus de 1 000 €, la plus grosse
cote étant réalisée par le 70 centimes gris-noir
(environ 500 €).
Autrefois, et jusqu’à une date récente, les
timbres de la période 1940-1944 ne valaient pas
grand chose. Ils avaient connu de gros tirages :
généralement plus d’un million d’exemplaires
pour chaque timbre.
Et dans cette époque d’incertitude, les timbres
avaient parfois été stockés au même titre que les
bougies et les allumettes, en tant que produit de
première nécessité. Si bien qu’il est courant de
trouver des lots de ces timbres non oblitérés. Il
n’empêche que leur valeur augmente rapidement
actuellement, preuve d’un engouement accru.
La paire de timbres Légion tricolore commence à avoir une cote solide, les cinq timbres de la
bande vendue en 1943 au profit du Secours
national (2 portraits du Maréchal et 3 illustrations de la devise Travail, Famille, Patrie)
valent autour de 150 €. Les timbres LVF voient
leur cote s’envoler et, sur lettre, il faut pour le
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
141
coup mettre sur la table plusieurs centaines d’euros pour s’en procurer un exemplaire.
C’est que cette collection en percute d’autres :
le militaria 1940-1944, la philatélie pure, les
adeptes de souvenirs maréchalistes, etc. Et ici
aussi il se vérifie que les tabous entraînent la
rareté, la rareté entraîne les cotes, les cotes
entraînent l’envie de collection. Un peu de censure éloigne des souvenirs maréchalistes. Beaucoup de censure et de police de la pensée en rapproche.
Chapitre 22
Galas et kermesses d’avant-guerre
C’est chez un excellent bouquiniste du Parc
Brassens que j’ai trouvé cette plaquette royaliste :
« Ligue d’Action française – kermesse des XV et
XVI décembre 1933 » (8 €). Vendue (ou offerte ?) lors de cette kermesse, la plaquette compte trente pages, avec des textes de madame Léon
Daudet, de son mari sur le « loyal vin de France »
(il connaissait bien le sujet !), de Pierre Varillon
sur la gastronomie ; et un inattendu « Épître sur
la poutargue » par Jacques Bainville en quarante
quatre vers.
Mais le véritable intérêt de cette publication,
c’est son volet publicitaire. Plus de quatre cent
annonceurs vantaient leurs produits ou leurs services dans cette plaquette. Le ligueur d’Action
française pouvait ainsi noter chez qui acheter en
toute tranquillité d’esprit royaliste sa cristallerie
(chez Baccarat), ses chocolats (Au Lys royal,
144
POLITIQUEMENT
INCORRECT
déjà !), ou ses layettes. Au 75 de la rue du Cardinal Lemoine, il pouvait descendre à la Pension
de Famille des Grandes Écoles. La lessive SaintMarc, les cirages Baranne ou Kiwi ou les éponges Spontex faisaient également partie des
mécènes de l’AF.
C’est dans l’alimentation générale et les produits de luxe que les organisateurs de la kermesse royalistes semblent avoir trouvé les annonceurs les plus militants : charcuterie, foie gras,
champignons, confitures, miel, truffes, « produits coloniaux », pâtisserie, légumes secs ou
frais, cafés : tous les produits du terroir sont
représentés à la kermesse de l’AF. « Consommons les produits français », exhorte Firmin
Bacconnier. Et surtout pas les produits germaniques (attention à Liebig !).
Consommons et buvons, surtout ! Beaucoup
des annonceurs et exposants sont des producteurs de vins et spiritueux Il y a là les vins de
Corbières, les crus de Saint-Emilion, « le bon vin
du roi Henri », le Jurançon de la maison Saut
frères, à Pau, le « vin des Ducs d’Orléans », « les
vins de l’Orléanais chantés par Rabelais, Jules
Lemaître et Léon Daudet », et des centaines
d’autres grands crus, vins de table, vins de des-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
145
sert, champagnes, vins mousseux, eaux de vie et
liqueurs diverses.
Enfin les amateurs de livres pouvaient se
rabattre sur le Grand livre de la cuisine, de Prosper Montagné et Prosper Salles, préfacé par
Henri Béraud, ou sur les Éloges de la cuisine française d’Édouard Nigon, avec une présentation
de Sacha Guitry.
Toute cette bonne chère contribua-t-elle à
faire progresser le royalisme ? Soixante-dix ans
plus tard, on peut en douter. Sans doute favorisa-t-elle néanmoins l’embonpoint de Léon Daudet. Ce qui, déjà, n’était pas rien.
Pierre Dac chez les Croix de Feu
C’est au même parc Brassens que j’ai « chiné »
un étonnant programme de gala Croix de Feu
daté du 14 mars 1936. Ce « document fugitif »
est particulièrement intéressant, car il nous en
apprend beaucoup plus sur les Croix de Feu que
bien des thèses et bien des émissions soi-disant
historiques mais à sens unique.
On découvre d’abord que ce gala était organisé
« au profit des œuvres sociales du mouvement » :
4 487 enfants envoyés à la campagne ou à la mer,
146
POLITIQUEMENT
INCORRECT
196 000 repas servis à Paris, 550 000 repas servis
en France, 2 597 consultations données dans les
dispensaires, une tonne de vêtements fournie aux
inondés d’Avignon, des emplois trouvés pour des
milliers de chômeurs etc.
Ainsi donc les Croix de Feu ne se contentaient
pas de défiler en casque allemand et au pas de
l’oie, dans l’espoir de renverser la République
(selon l’imagerie officielle) !
Par ailleurs, ce magnifique programme de gala
n’est pas illustré par un obscur gribouilleur d’extrême droite, mais par Guy Arnoux, peintre de marine, l’un des plus talentueux artistes de l’entredeux-guerres, à qui l’on doit les illustrations de
nombreux chefs d’œuvres de la littérature française.
Mais plus fort encore : parmi les artistes se produisant au cours de ce gala, on trouve Damia ou
Suzy Solidor, mais aussi Pierre dac et Mireille.
André Isaac, dit Pierre Dac, chansonnier
(1893-1975), qu’on retrouvera à Radio-Londres,
puis à L’Os à mœlle, et dans les sketches hilarants
de Francis Blanche.
Mireille, la chanteuse, l’animatrice du « petit
conservatoire », mais aussi l’épouse d’Emmanuel
Berl (1892-1976), écrivain et journaliste de vieille souche française… et juive.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
147
Mais alors, que penser de l’antisémitisme des
militants Croix de Feu et de leurs chefs, qui les
faisait néanmoins inviter des artistes juifs ? Et
que penser de ces artistes juifs allant soutenir les
Croix de Feu ?
Ce qu’il faut en penser ? C’est que tout cela
repose sur d’incroyables mensonges ressassés à
longueur d’année. On peut penser ce que l’on
veut de l’attitude de La Rocque et des Croix de
Feu, en particulier lors du 6 février 1934 ; on
peut penser ce que l’on veut de leurs positions
souvent velléitaires et isolationnistes, sur la scène
politique française, mais ce qui est certain – et ce
programme de gala, « document fugitif » par
excellence le prouve –, c’est que les Croix de Feu,
chefs et militants, n’étaient ni racistes, ni antisémites, ni fascistes, ni même « d’extrême droite ».
C’était un mouvement patriote, de droite, dont
l’encadrement était fourni pour l’essentiel paR les
anciens combattants. Et ce n’était « que cela ».
Chapitre 23
Kléber Haedens le magnifique
Le critique littéraire Kléber Haedens nous a
fait son Adios (Grasset) en 1974, avant de nous
quitter définitivement deux ans plus tard. Le travail de deuil dura vingt ans. Puis l’homme de
lettres – qui était aussi un vrai personnage –
revint sur le devant de la scène littéraire.
C’est l’un des vrais bonheurs de la littérature
que ces oublis et des redécouvertes périodiques.
Depuis la publication par Étienne de Montéty de
son Salut à Kléber Haedens (Grasset, 1996, acheté 5 € au Parc Brassens, chez Philippe Carrey,
spécialiste des Hussards), on n’en finit pas de redécouvrir celui qui fut aussi un écrivain, un gastronome, un sportif. Et un homme de droite.
Pour camper cette silhouette massive, cette
carrure de joueur de rugby, et cette trogne de
buveur de bonnes bouteilles, il faut lire Montéty,
ou au moins les quatre pages qui lui sont consa-
150
POLITIQUEMENT
INCORRECT
crées dans le Tome 5 de l’extraordinaire série des
Que lire ? de Jean Mabire.
Mais pour aimer Haedens, il faut le lire, bien
entendu. Malheureusement son œuvre, mis à
part les milliers de d’articles de critique littéraire et de chronique sportive, est rare, et surtout,
pour l’essentiel, elle n’est plus disponible en
librairie. Il faut donc se rabattre sur les bouquinistes et les libraires d’ancien.
Feu follet
Ceux-ci proposent occasionnellement des Haedens. Par exemple la librairie par correspondance
« Les Oies sauvages » (BP 16, 77343 PontaultCombault cédex). J’ai trouvé dans l’un de ses derniers catalogues un Adios (avec dossier bio-iconographique) pour 10 €. Chez Philippe Carrey (déjà
cité, qui se définit comme « bouquiniste-juristeturfiste »), il y a toujours quelques Haedens proposés à des prix incroyablement raisonnables
(entre 5 et 15 € selon la rareté). Et sur ces prix
là, il vous accordera 10 % sans barguiner, pourvu
que vous lui déclariez votre passion pour Alphonse
Boudard, José Giovanni ou Luis Nucéra.
Si vous cherchez des KléBer Haedens vraiment
rares, sur grand papier, avec envoi, et si vous êtes
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
151
prêt à y mettre le prix, alors adressez-vous au « Feu
follet ». Ses catalogues proposent des titres introuvables, ou dans des éditions originales introuvables ailleurs. Qui peut se vanter d’avoir dans sa
bibliothèque L’École des parents (Correa, 1937) ?
Introuvable. Le « Feu follet » en proposait un
exemplaire avec envoi pour une centaine d’euros.
Pour la même somme vous pouviez vous offrir
un Haedens encore plus rare : Une jeune serpente, avec envoi, un roman de 1940. Le Paradoxe
sur le roman (1941) était proposé dans les
mêmes zones de prix. Le même ouvrage chez
Philippe Carrey coûtera le quart de ce prix. Mais
à peine proposé, déjà vendu ! Voici Gérard de
Nerval ou la sagesse romantique, avec envoi, pour
70 €. Bizarrement, avec Charles Maurras, Nerval
est l’une des idoles de Kléber Haedens.
Le premier roman à succès d’Haedens, Salut
au Kentucky, avec envoi, vaut 80 €. Tandis que
L’Eté finit sous les tilleuls (son titre le plus connu,
mais pas le meilleur), exemplaire numéroté sur
hollande, paru chez Grasset, qui obtint le prix
Interallié en 1966, vaut 200 €.
Ces livres sont chers ? Certes. Mais avec cet
ensemble, vous avez tout Kléber Haedens, ou
presque. Que manque-t-il ? Magnolia-Jules, roman
152
POLITIQUEMENT
INCORRECT
de 1938 ; une anthologie poétique parue en
1942 ; un roman de 1955 : Adieu à la rose ; L’Air
du pays, chroniques publiées en 1963 chez Albin
Michel ; mais surtout son chef d’œuvre, cette
Histoire de la littérature française, un ouvrage totalement subjectif où figure tout ce qu’on aime
(cote : 30 €). Haedens ne s’y révèle pas obligatoirement bon prophète. Par exemple quand il
écrit que « Céline écrit systématiquement un
argot souvent incompréhensible qui risque de
rendre ses ouvrages très périssables, car l’argot est
la langue la moins stable qui soit ». Faux sur toute
la ligne : Céline n’écrit pas en argot. L’argot est
loin d’être une langue instable, comme le démontrait encore récemment Claude Duneton dans
l’une de ses chroniques du Figaro littéraire.
Quant aux ouvrages de Céline, ils sont devenus, comme chacun sait, des classiques. Lucchini
et quelques autres démontrent régulièrement ce
que ce jugement à l’emporte pièce de Haedens a
d’erroné. Mais qu’importe. Et au contraire,
même, l’arbitraire d’Haedens fait de son Histoire
de la littérature française un régal et non un pensum ou un cimetière ; D’une certaine façon,
c’est le plus impérissable et le plus stable de ses
livres, pour parler comme lui !
Chapitre 24
Insignes militants
L’insigne politique ne ferait-il plus recette ? Il
est rare, aujourd’hui, de croiser dans la rue un
homme ou une femme arborant au revers du
veston ou du col de chemise l’insigne distinctif
d’une appartenance politique.
Où sont passés les petits Lénine métalliques
encore si fréquemment arborés par les militants
communistes dans les années soixante ? Où sont
les trois flèches de la SFIO, les insignes des ligues ?
L’insigne ne se porte plus guère, mais il se
vend toujours (cher : 30 € et plus pour les insignes anciens, bien meilleur marché pour les insignes et pin’s des années 80 : à partir de quelques
euros). Chaque parti, chaque syndicat, chaque
groupuscule continue à diffuser son insigne propre. Sans doute à l’usage des seuls collectionneurs…
154
POLITIQUEMENT
INCORRECT
On trouve actuellement sur le marché de l’insigne la petite flamme tricolore du Front national, les fleurs de lys toujours bienvenues des
maurrassiens. Le bicentenaire de la Révolution
(et des guerres chouannes) a suscité de nombreux pin’s à l’effigie de Cadoudal, Cathelineau,
Charrette, Louis XVI, etc. Brasillach, Maurras,
Céline, Le Pen et bien d’autres, existent également en pin’s. mais je ne les ai jamais vus au
revers d’une veste.
Remontons dans le temps. Au-delà du trident
(version argent ou version or) des solidaristes français, de la croix celtique portée en pendentif
d’Ordre nouveau, pour arriver au RPF. De tout
l’après-guerre, c’est le mouvement qui a donné
lieu à la plus grande profusion d’insignes. On y
reconnaîtra un héritage (le seul peut-être) du
mouvement Croix de feu d’avant-guerre. On peut
encore trouver dans les marchés au puces pour
une poignée d’euros, l’insigne ordinaire du RPF.
Âge d’or
L’âge d’or de l’insigne se situe incontestablement dans les années trente. C’est, pour le collectionneur, un véritable régal. Les photos d’époque
montrent d’ailleurs que chaque militant portait
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
155
son insigne, au brassard ou au revers du veston,
ou les deux à la fois, voire sur le béret en plus.
Xavier Vallat ne montait jamais à la tribune de
l’Assemblée nationale sans arborer l’insigne Croix
de feu. Ce qui lui a valu plus d’une fois des démêlés avec les députés communistes.
Lors de la dissolution des ligues, les Camelots
du roi portaient à la boutonnière une pièce de
dix sous (« dissous » !)
À gauche, on ne lésinait pas non plus sur le
métal militant. Une pluie de bonnets phrygiens
et de triples flèches socialistes accompagna l’arrivée du Front populaire au pouvoir.
Mais dans ce domaine comme dans bien
d’autres, les grandes réussites viennent de la droite. Pour ses chemises vertes, Henri Dorgères créa
un insigne de 3,5 centimètres sur 4,5 centimètres
représentant une fourche et une faux croisées sur
une gerbe de blé. Superbe ! Il a raconté quelle fut
sa colère lorsqu’il apprit que l’un de ses adjoints
avait pris l’initiative de refaire un tirage de
l’insigne, mais en format beaucoup plus petit :
« On ne défend bien un métier que dans la
mesure où l’on en est fier », disait-il.
Et puis il y a un insigne qui fait rêver tous les
collectionneurs. Il est décrit par Philippe Bour-
156
POLITIQUEMENT
INCORRECT
drel dans son livre sur la Cagoule. Édité par le
Comité de défense des patriotes emprisonnés, il
représente un ancien combattant – sur fond bleu
horizon bien entendu – dont les mains sont enchaînées. L’insigne entendait stigmatiser l’arrestation de prestigieuses figures de la droite, anciens
combattants : le Dr Pozzo di Borgo, le général
Duseigneur, Loustaunau-Lacau, etc. Mais très
vite les informations sur les activités de comité
secret d’action révolutionnaire d’Eugène Deloncle (liquidation d’agitateurs italiens et surtout,
attentat meurtrier au siège du CNPF) ont interrompu sa diffusion.
Un lot de cet insigne mythique dort-il encore
dans les greniers des descendants de MarieMadeleine Fourcade ou de l’amiral Sanguinetti ?
De quoi alimenter les rêves les plus fous d’un
collectionneur d’insignes…
Chapitre 25
Hugues Lapaire et les écrivains berrichons
contre-révolutionnaires
L’excellent libraire Jean-Louis Mathis, qui vend
sur catalogue (12, rue Madame, 37150 Bleré) propose régulièrement des livres régionalistes, et plus
spécialement sur le Berry et la Touraine. Il y a
quelques temps, son catalogue comportait de
nombreux livres d’Hugues Lapaire.
Hugues Lapaire, même dans le Berry, bien peu
le lisent encore. Et c’est dommage. Car tous
ceux qui prônent l’enracinement et l’identité
contre le cosmopolitisme, la patrie et les patries
d’Europe face au mondialisme, devraient s’intéresser à des auteurs comme cet Hugues Lapaire,
surtout s’ils ont des racines berrichonnes ;
Dans son catalogue, Jean-Louis Mathis proposait 25 ouvrages d’Hugues Lapaire, parmi lesquels La Cuisine berrichonne, Le Bestiaire berrichon, illustré par un autre Berrichon beaucoup
158
POLITIQUEMENT
INCORRECT
plus connu, Benjamin Rabier, Le Pays berrichon
illustré par Jean Baffier (voir le chapitre le concernant), et beaucoup d’autres titres rares ou peu
connus. Tous ces ouvrages étaient offerts à des
prix compris entre 25 et 60 €. En salle de vente,
à Châteauroux ou Bourges, ils feraient sans
doute le double. Ces ouvrages comportaient généralement des envois. Par exemple à André
Theuriet ou à quelque autre personnalité politiques ou littéraires de la IIIe République.
Ce que déteste Lapaire
Hugues Lapaire naît en 1869 à Sancoins, dans
le Cher, non loin de ce pays de Sancerre qui fut
le théâtre d’une chouannerie tardive, en 1796.
Entre 1898 et 1948, sur cinquante ans, donc,
Lapaire va publier une cinquantaine d’ouvrages,
consacrés pour l’essentiel au Berry. Rien de ce
qui est berrichon ne saurait échapper à l’observation attentive de Lapaire, véritable entomologiste des mœurs et du folklore local.
Ce que déteste Lapaire : le socialisme, l’Internationale, la CGT, le cosmopolitisme. Ce qu’il
aime par dessus tout : le patois local, les chansons
du pays, les coutumes ancestrales, les légendes du
Berry, les objets de la vie quotidienne du paysan.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
159
Pendant un demi-siècle, Lapaire va participer
à l’animation du paysage berrichon, avec ses
amis le sculpteur nationaliste Jean Baffier, le prêtre Hector de Corlay (l’abbé Jacob), le monarchiste Hilaire de Vesvre, le contre-révolutionnaire Gabriel Nigond, le peintre catholique Fernand
Maillaud.
Hugues Lapaire a retrouvé dans les écrits de
George Sans de nombreux renseignements sur
les coutumes de la vie de sa province. Car
George Sand ne fut pas seulement une romancière, elle ne fut pas seulement la révolutionnaire de 1848, ce fut aussi une grande observatrice
des mœurs de son pays de Nohant, cette « vallée noire » comme elle l’appelait, cette terre de
Nohant où j’ai été élevée, où j’ai passé toute ma
vie et où je souhaiterais pouvoir mourir ».
Si Hugues Lapaire se sent des connivences
avec George Sand, c’est bien entendu avec cette
George Sand là, la bonne dame de Nohant, celle
de La Mare au diable (avec la grande et belle
scène du mariage) et des « romans rustiques »
écrits entre 1845 et 1853. Hugues Lapaire a 7
ans quand meurt George Sand. Il n’empêche que
l’auteur de La Petite Fadette aura une influence
essentielle sur l’œuvre de Lapaire, et détermine-
160
POLITIQUEMENT
INCORRECT
ra sans doute sa vocation d’écrivain et de conservateur des traditions du Berry.
Hugues Lapaire est mort oublié en 1967, à
l’âge de 98 ans, dernier de sa génération. Si on
devait citer des disciples, on pourrait évoquer
Jean-Louis Boncoeur, le berger conteur du BasBerry, l’auteur du Village aux sortilèges et du
Diable aux champs, on pourrait évoquer la revue
Berry, les archéologues de l’équipe du Docteur
Allain et cette Maintenance du Berry qui fit parler d’elle entre 1989 et 1996, lors des commémorations du bicentenaire de la Révolution française et de la « Vendée » de Palluau-sur-Indre.
Nigond, Maillaud, Boncoeur, Nivet, Baffier,
Hilaire de Vesvre, l’abbé Jacob, le docteur Jacques Allain, tous ces bons soldats de l’enracinement et de la cause berrichonne se sont engouffrés dans la brèche qu’avait su ouvrir leur
aîné Hugues Lapaire, à l’aube du XXe siècle.
Chapitre 26
Littérature : les auteurs qui montent,
les auteurs qui descendent
Bonne nouvelle : on ne lit plus Sartre. Ou
plus exactement, dans le domaine de la bibliophilie, les livres de Jean-Paul Sartre sont de
moins en moins souvent demandés.
C’est une petite enquête, à laquelle je me suis
livré récemment auprès des marchands du parc
Brassens, qui me l’a appris.
Le parc Brassens, dans le XIVe arrondissement,
est certainement le meilleur endroit pour connaître
le cours du livre ancien. Imaginez en bordure d’un
grand parc très arboré, un rassemblement de cinquante marchands de livre ancien ou d’occasion.
Tout le samedi et tout le dimanche, de 9 à 17 h,
ces marchands qui, le reste de la semaine, tiennent
boutique dans Paris, sur les quais ou en province,
viennent à la rencontre d’un public de mille ou
deux mille adeptes du vieux livre.
162
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Je les connais tous et je les aime tous : le Hollandais Jeff qui possède le plus grand assortiment
de livres écrits par Jean Mabire (une collection
difficile à avoir complète tant l’œuvre est abondante !), le maurassien du Pélican noir, l’ancien
d’Occident, le sarkozyste, gaulliste dans ses
votes, à droite de la droite dans ses propos. Et
jusqu’à l’anarchiste, spécialisé dans les ouvrages
sur la prison, l’argot, les bandits et les socialistes
de la IIIe République (ce qui est à peu près la
même chose). Tous ces marchands sont là, le
week-end entier, habités par une passion : le
livre, le vieux livre, celui qui n’a plus d’odeur,
mais qui a une histoire, comme en témoignent
la reliure, les dédicaces, les tampons sur la page
de garde.
J’ai donc demandé à ces professionnels quels
étaient, aujourd’hui, les livres recherchés et
quelles étaient les drouilles, les auteurs que plus
personne ne lit (en attendant une éventuelle
redécouverte…).
Les réponses, pratiquement spontanées, ont
été très proches d’un stand à l’autre, et l’on peut
donc penser que mon enquête vaut bien davantage qu’un sondage.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
163
Céline et Drieu
Qui trouve-t-on tout en haut de l’échelle ? Les
surréalistes, hélas, mais aussi tout le bataillon des
maudits, de nos maudits à nous. Jamais sans
doute Céline et Drieu n’ont été autant recherchés. Tout de Céline et Drieu, mais aussi tout
sur Céline et Drieu. Et ceci malgré des tirages
qui furent parfois faramineux. Pensez qu’un
Voyage au bout de la nuit dans une édition ordinaire d’avant-guerre, vous sera proposée autour
d’une centaine d’euros. Les marchands de Brassens font partie des vendeurs raisonnables, mais
la demande est telle que, pour cet ouvrage très
courant, d’autres marchands, plus âpres au gain,
tapent au prix maximal.
Mais pas seulement Drieu et Céline. Brasillach,
Rebatet, Cousteau, Béraud, Fontenoy, Bardèche,
voient leur cote monter régulièrement. Ils semblerait que les menaces de la « police juive de la
pensée » comme écrivait il y a quelques années
Annie Kriegel dans Le Figaro, poussent de nouvelles générations à la passion collectionneuse.
Et qui sont les laissés pour compte ? À de très
rares exceptions près, il s’agit d’auteurs ayant
appartenu au prêt-à-penser de leur époque : Sartre et Gide, Georges Duhamel et Victor Margue-
164
POLITIQUEMENT
INCORRECT
ritte, Louise Hervieu et Roger Martin du Gard,
Romain Rolland et Henri Barbusse.
Dans les délaissés, tous n’étaient pas négligeables : Anatole France, Paul Bourget, Paul Valéry, et même Paul Claudel ou Henry de Montherlant. Ils furent immenses dans leur temps. Ils
glissent dans l’oubli de la non-lecture, aujourd’hui.
Le retour en grâce de Loti
Ce qui est intéressant, c’est de noter que certains auteurs, oubliés un temps, font une seconde carrière grâce aux bibliophiles. Pierre Loti,
considéré comme un auteur suranné jusqu’à ces
dernières années, redevient furieusement à la
mode. Le superbe musée qui lui est consacré, à
Rochefort, n’est peut-être pas étranger à cet
engouement nouveau. Mais on explique moins
la seconde jeunesse de Paul Morand. Sa traversée du désert a duré vingt bonnes années. Cet
écrivain de race fut longtemps défendu par la
seule Ginette Guitard-Auviste, qui doit aujourd’hui se réjouir de ce retour en faveur.
De même Paul Chack : cet écrivain maritime,
qui fut président d’honneur de la Ligue des
volontaires français contre le bolchevisme, ce qui
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
165
lui valut d’être fusillé en 1944, est très collectionné. Il faut dire que ses livres sont généralement fort bien illustrés, et qu’ils correspondent
à l’engouement actuel pour les sports marins.
Citons encore, parmi les écrivains recherchés
et lus, Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Max
Jacob, Colette (hé oui !), Julien Gracq.
À la mort de Staline, les étudiants de la rue
d’Ulm, grande école censée former nos professeurs, prirent le deuil.
« Heureusement, il reste son œuvre écrite »,
dit l’un d’eux.
En fait, le communisme ne conserve pas bien,
et les œuvres des conformistes des années trente
et au-delà se reconvertissent lentement mais
sûrement en pâte à papier, tandis que celles des
non-conformistes, nettoyées, gommées, recollées,
recouvertes de papier cristal, gagnent en rangs
serrés les étagères de nos bibliothèques, comme
autant de bons petits soldats d’une guerre des
mots qui ne finira jamais.
Littérature clandestine d’après-guerre
Toute une littérature clandestine a vu le jour
au début de la IVe République, tentant d’échap-
166
POLITIQUEMENT
INCORRECT
per à la nouvelle censure, à l’épuration, et plus
encore à la terreur communiste.
En janvier 1949, dans les Écrits de Paris, l’écrivain André Thérive publia un excellent papier
sur la question. Thérive était particulièrement
bien placé pour parler de ce sujet. Réfugié en
Suisse, il avait lui-même publié deux petits
ouvrages, Traité de la délation et Traité de l’intolérance qui, par la dérision, traitaient de l’épuration (1947 et 1948, cote : 15 € chaque).
Chronologiquement, ce sont les poèmes de
Robert Brasillach qui ont constitué la première
œuvre clandestine de la IVe République. Barreaux, sous le pseudonyme transparent de Robert
Chénier, contient treize poèmes écrits par
Brasillach avant sa condamnation. Des copies
dactylographiées circulèrent dès les premiers
mois de 1945. En septembre 1945, les éditions
de Minuit et demi publient ces textes en 36
pages, format 13,5 x 21,5 (cote : 200 €). En
1946, c’est sous le titre La Mort en face. Derniers
poèmes écrits à la prison de Fresnes que paraissent
les derniers poèmes de Brasillach, ceux d’après la
condamnation (cote : 200 €).
Aucun nom d’éditeur n’est mentionné pour
cet ouvrage qui porte comme date d’impression :
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
167
6 février 1946, soit le premier anniversaire de la
mort du poète. Les textes de Barreaux (cote :
380 €) et de La Mort en face (cote : 200 €) formeront les Poèmes de Fresnes, publiés la même
année, aux éditions de la Pensée française.
Brasillach, encore, alimente la littérature clandestine d’après-guerre avec sa Lettre à un soldat
de la classe 60, publiée au Pavillon noir, la même
année (cote : 80 €). Le jeune condamné à mort
se livre à un examen de conscience. Le destinataire supposé de la lettre est un garçon né en
1940, mobilisable en 1960, « … vivant dans un
monde où l’honnêteté intellectuelle aura reparu
(tous les miracles sont possibles) ».
Alfred Fabre-Luce, qui aura imperturbablement
publié son journal sous tous les régimes, et dans
toutes les situations, trouve le moyen d’être jeté
en prison pendant l’épuration, après avoir connu
les prisons allemandes. Il est à noter que certains
tomes de son Journal de la France sont considérés
comme collaborationnistes et ont été interdits en
1945, tandis que d’autres tomes du même Journal
figurent dans le catalogue des ouvrages de la
Résistance. Voilà ce qui s’appelle un homme
libre ! (Cote du tome 1 : 15 €, du tome 2 : 12 €,
du tome 3 : 45 €, du tome 4 : 45 €).
168
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Les deux brochures de Fabre-Luce Au nom des
silencieux et Le Mystère du Maréchal sont courageusement signées mais, publiées aux hypothétiques éditions de Midi, elles entrent bien, elles
aussi, dans le cadre de cette étude sur les éditions
clandestines (cote : 15 €).
En 1946 toujours, Louis Rougier publie clandestinement son Bilan du gaullisme (25 €), dont
les textes seront ensuite repris dans Défaite des
vainqueurs.
L’ancien sénateur anticommuniste Gustave
Gautherot étrille, sous le pseudonyme de Gallus,
La politique française du Parti communiste dans
une brochure courageuse, qui démontre la traîtrise constante du parti moscoutaire.
Parmi les premiers thèmes recensés dans cette
littérature clandestine, on trouve la vie à Fresnes
ou dans d’autres prisons du régime (Affres, ouvrage collectif, La Ballade de la geôle de Fresnes,
de Louis Truc, Fresnes, de Rio, Journal d’un
condamné à mort, de Robert Poulet, mais signé
xxx, coté 50 €, Prisons de l’épuration, etc).
Bientôt vont paraître les premiers témoignages
sur la terreur communiste. Écrits par définition
par des hommes en liberté, et donc non compromis dans la collaboration, ces récits, ces re-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
169
cueils de faits scandaleux, de répressions ignobles, frappant aveuglément hommes, femmes et
enfants, anciens militants politiques et notables
apolitiques, paraissent clandestinement ou sous
pseudonymes, tout simplement par crainte d’une
vengeance communiste.
Voyage en absurdie
Un certain J-P Abel publie en 1948 L’Age de
Caïn qui relate les atrocités, les tortures et les assassinats commis à l’école dentaire de l’avenue de
Choisy (figure toujours au catalogue des Nouvelles Éditions Latines, 20 €). Abel n’est autre
que René Chateau, socialiste pacifiste, obligé
cependant de dissimuler son identité pour éviter
les mesures de rétorsion. En 1948 également,
Mauloy publie Les nouveaux saigneurs chez d’hypothétiques Éditions de la Balance. Citons aussi
les livres de Claude Jamet (Fifi roi, coté 20 €), de
R. Cardinne-Petit (Les Otages de la peur), de Sisley
Huddleston (Terreur 1944), du chanoine Desgranges (Les Crimes masqués du résistancialisme
(coté 18 €). Tous ces livres n’étaient pas interdits
ou clandestins, mais le moins qu’on puisse dire,
c’est que leur diffusion ne fut guère encouragée
par l’Establishment de l’époque.
170
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Un seul de tous ces livres clandestins ou semiclandestins des années 1945-1948 connut les
gros tirages, le succès : c’est le Voyage en absurdie, un ouvrage de petit format illustré par des
caricatures que les spécialistes identifièrent rapidement comme étant dues au crayon de Ben, ou
Benjamin Guittoneau.
Quant au texte, signé Arouet, il fut tour à
tour attribué à Pierre Gaxotte, Sacha Guitry,
René Benjamin, Clément Vautel, Charles Maurras, voire le général Leclerc. En fait, cette satire
antigaulliste et antirésistancialiste était également
due à Ben.
« Voyage en absurdie éclata comme une bombe
à retardement, écrit Jean Galtier-Boissière. Ce
remarquable conte satirique à la manière de
Candide (…) déborda bientôt le cadre de la
clandestinité et devint le best-seller parisien de
l’après-Libération. »
Qui est Benjamin Guittoneau ? Le regretté Pierre
Monnier, dans Minute du 9 octobre 1991, notait
qu’« en 1936, il était déjà présent dans de nombreux journaux qui, tous, avaient en commun la
culture du mauvais esprit : entendez que leurs rédacteurs et dessinateurs se situaient plus ou moins
dans la mouvance maurrassienne et que chez eux,
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
171
comme chez Léon Daudet, le scepticisme à l’égard
du personnel de l’État républicain se transformait
naturellement en critique astucieuse et rigolarde. »
La première édition du Voyage en absurdie est
venue de Stockholm. Il s’agissait véritablement
d’un libelle anonyme et clandestin. L’édition
définitive (Édition de la Couronne) désigne Ben
comme étant bien l’auteur de l’ouvrage. Selon
André Thérive, il a couru des contrefaçons et des
éditions aberrantes de ce livre. Le nom de l’Absurdie est devenu d’emploi courant. C’est dire le
succès de l’ouvrage.
Ce livre est « sûr de demeurer dans l’histoire »
écrit Thérive en 1949. Bien vu, puisque plus de 40
ans après, ce pied de nez aux résistancialistes (ne
pas confondre avec les vrais résistants) continue à
être recherché par les collectionneurs (cote : 25 €)
et a fait l’objet d’une toute récente réédition.
Le développement de la littérature clandestine
est, qu’on le veuille ou non, un baromètre des
libertés réelles.
Force est de constater qu’en ces premières
années d’après-guerre, où le Parti communiste
était aux affaires en France, et où ses alliés soviétiques occupaient la moitié de l’Europe, ces
libertés n’étaient pas assurées.
172
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Mais il y a toujours une poignée d’auteurs
courageux et quelques milliers de lecteurs avides
et persévérants pour assurer une survie de la pensée non conforme à l’ordre politique du moment.
Chapitre 27
Manuscrits : la droite littéraire
fait mieux que la rente Pinay
C’est une vente aux enchères exceptionnelle
qui s’est déroulée il y a quelques années à l’hôtel
Drouot. On y avait dispersé, en effet, une partie (une toute petite partie, nous assurait-on), de
la bibliothèque d’un riche Américain vivant à
Paris. Cet homme avait des goûts littéraires
éclectiques, mais sûrs ; il avait acquis les manuscrits de nombreuses œuvres célèbres et fait relier
splendidement sa bibliothèque. Sous le marteau
d’ivoire ont donc défilé les plus grands écrivains
français du XXe siècle, de A comme Alain à V
comme Valéry, la vente étant centrée exclusivement sur les auteurs contemporains.
Il est intéressant de voir sous un angle inhabituel – le prix que peuvent en donner des amateurs venus, pour l’occasion, du monde entier –
le poids respectif de ces écrivains. La géographie
174
POLITIQUEMENT
INCORRECT
littéraire qui se dessine alors n’a pas grand-chose
à voir avec les gloires médiatisées. Car les valeurs
solides, celles qui se sont arrachées, au cours de
cette vente, sont des œuvres d’auteurs penchant
le plus souvent à droite.
Notons, d’abord, que c’est Louis-Ferdinand
Céline qui tient le haut du pavé ; il domine
absolument le XXe siècle, comme il a dominé
cette vente. Un libraire parisien a donné, en
effet, 80 000 € (exactement 510 000 francs,
nous étions encore à l’époque des francs) pour
une partie du manuscrit autographe de Mort à
crédit. Céline y travailla de 1932 à 1936. Tandis
que la Société des manuscrits et autographes
français donnait plus de 30 000 € pour le
manuscrit de D’un château l’autre (publié chez
Gallimard en 1957) où Céline raconte le séjour
à Sigmaringen en 1944 de personnalités du gouvernement de Vichy. Bagatelles pour un massacre
dans une reliure mosaïque de Paul Bonet, était
enlevé à plus de 15 000 €. Ce titre n’a pas été
réédité, Dieu sait pourquoi (le MRAP aussi).
Certains documents éclairent d’un jour nouveau l’histoire des idées politiques de l’entredeux-guerres. Ainsi cette lettre de Georges Bernanos à Charles Maurras (4 septembre 1926)
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
175
adjugée 750 €. L’Action française vient d’être
condamnée par l’archevêque de Bordeaux, le cardinal Andrieu. Bernanos écrit à Maurras : « …
je suis à vous depuis si longtemps ! presque l’enfance… Et encore, je ne vous ai pas trouvé, je vous
cherchais sans vous connaître, je vous ai toujours
appartenu… Permettez-moi de me compromettre
pour vous (…) Laissez à un écrivain catholique,
qui compte pour l’instant beaucoup de prêtres
parmi ses amis, la fierté d’exprimer publiquement,
et avec le plus d’éclat possible, son mépris d’une
abominable injustice. »
Puis Bernanos plaide pour la conversion de
Maurras dont l’agnosticisme est bien connu.
« C’est impossible et très beau » a noté Maurras
au dos de l’enveloppe.
Autre manuscrit intéressant, la contribution de
Robert Brasillach à l’ouvrage de Jacques Bainville,
Les Dictateurs. Dans ce texte intitulé L’Amérique
latine, et qui fut publié sous le titre Histoire abrégée, mais fantastique des dictatures de l’Amérique
latine, Robert Brasillach concluait que ces dictateurs étaient souvent d’origine modeste, « des gardiens de troupeaux, des dresseurs de chevaux.
Mais ils se révèlent vite des hommes d’État, peu
gâchés par des conceptions abstraites. Et c’est
176
POLITIQUEMENT
INCORRECT
grâce à eux que des nations trop jeunes, sans cesse
agitées par des guerres, ont pu se former et se perpétuer ». Jacques Bainville a nuancé ce texte, jugé,
sans doute, d’esprit trop fasciste.
Dans Les Dictateurs, la conclusion évoque des
« hommes d’État peu gênés par des conceptions
morales. Malgré leurs excès, c’est grâce à eux que
ces nations (…) ont pu se former et se perpétuer. L’histoire romanesque des pires d’entre eux
contient des détails qui font frémir. Ils ont gardé
les peuples comme ils gardaient leurs troupeaux,
ils les ont dressés comme ils dressaient des chevaux. Nouvel avis aux pays qui ne veulent pas
être exposés à subir les duretés des gouvernements d’exception. C’est de ne pas se mettre
dans le cas d’en avoir un besoin indispensable ».
Un amateur a donné 800 € du manuscrit en
partie inédit de Robert Brasillach.
Parmi les 560 pièces, presque toutes exceptionnelles, qui ont été dispersées pendant les trois
jours que dura cette vente, notons le très beau
livre du poète fasciste Gabriele d’Annunzio, Le
Feu dont la reliure en veau gris-brun présentait un
visage de femme, composition incisée dans le style
Art Nouveau, et qui s’est arraché à 5 000 € ;
notons également les éditions originales de Marcel
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
177
Aymé, qui se sont vendues entre 750 et 1 300 €,
quelques manuscrits de Maurice Barrès, tout
vibrants de ferveur et d’enthousiasme patriotiques
(650 à 1 000 €), le manuscrit autographe de 14
juillet d’Henri Béraud (500 €, une affaire, quand
on voit l’envolée de la cote de cet auteur !), un
grand nombre d’éditions originales ou de lettres
de Bernanos (de 300 à 3 000 €), de Robert
Brasillach (800 à 900 € chacune), d’Alphonse de
Chateaubriant (1 300 à 1 500 €), de Michel
Déon (750 € pour le manuscrit autographe de
son roman Je ne veux jamais l’oublier), de Drieu
La Rochelle (350 € pour un article manuscrit de
deux pages et demi) ; un collectionneur donnait
2 500 € d’une édition particulièrement bien reliée
par Augoyat et Cuzin de La Vie de garçon de Jean
Galtier-Boissière.
Un petit carnet autographe de Jean de La
Varende s’enlevait à 800 € ; tandis que, quelques
minutes plus tard, l’insupportable éructeur de
chansons, Pierre Perret se faisait souffler un manuscrit autographe de 33 chroniques de théâtre de
Paul Léautaud, manuscrit qu’un autre amateur
emportait pour la coquette somme de 23 000 €
(dans la France socialiste de l’époque, il y avait
encore quelques pauvres gens heureux !).
178
POLITIQUEMENT
INCORRECT
L’ouvrage de Maurras Les Amants de Venise
dans une reliure de maroquin bleu signée Semet
et Plumelle, et comportant de nombreux documents manuscrits se vendait 1 400 €, seulement, serait-on tenté d’écrire. Tandis qu’une
dizaine de manuscrits ou de volumes des tirages
de tête de Montherlant étaient adjugés entre 500
et 3 000 €.
Roger Nimier, dont les manuscrits sont rares,
puisqu’il est mort à 37 ans, a accroché l’intérêt
d’un amateur qui a donné 1 000 € du manuscrit
d’un roman peu connu, Perfide, tandis que le
manuscrit du Caporal épinglé de Jacques Perret
était vendu 2 000 € à la bibliothèque de l’Arsenal
qui avait fait jouer son droit de préemption.
Signalons enfin cette édition originale des Décombres de Lucien Rebatet qui s’est vendue 750 €.
Certes, quelques auteurs à succès aux idées de
gauche bien connues ont également eu la faveur
de certains bibliophiles ; le manuscrit autographe
de La Peste de Camus, dont la lecture est rendue
obligatoire dans les écoles laïques, et les autres,
dès le plus jeune âge, a été enlevé à 30 000 €,
tandis qu’une paire de manuscrits de Sartre, à
l’origine de sa pièce Le Diable et le bon Dieu,
trouvait preneur à 6 000 €.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
179
Mais l’impression qui domine de cette vente
aux enchères, c’est que les auteurs de la droite
d’idées ont beaucoup plus de succès et sont
beaucoup plus recherchés qu’on ne pourrait le
croire à la lecture des manuels scolaires et universitaires.
La seconde leçon à tirer, c’est qu’en cette
période d’incertitude boursière, investir à droite
restait un placement rentable. Le livre de droite
est une valeur-refuge : peut-être certains lecteurs
n’y avaient-ils pas songé. Alors, lecteurs, gardez
tout, vos collections de journaux, vos exemplaires dédicacés par Chard, vos œuvres complètes de Brigneau, Raspail, Mabire, Madiran,
Brassier, Chiron, tout, gardez tout !
Et puis, fouillez vos greniers. Un trésor est
(peut-être) caché dedans, comme dit la fable.
Un sinistre crétin a publié (en 2006) un livre
pour expliquer que la droite littéraire d’aprèsguerre, c’était souffre et moisi. Cette moisissure
là vaut celle de nos meilleurs fromages : à déguster également chaque jour, midi et soir, avec un
verre de Menetou-Salon, par exemple.
Chapitre 28
Le vrai visage du « Masque »
Dans le domaine du roman policier, les célèbres couvertures jaunes au masque noir et à la
plume blanche font partie de nos nostalgies les
plus universellement partagées. C’est pour cela
qu’on les aime.
Mais que cachent ces couvertures ? Qui
étaient ces auteurs au nom généralement délicieusement british ? Distillaient-ils une idéologie, et laquelle ?
Quelques noms viennent immédiatement à
l’esprit : Agatha Christie, bien entendu, mais
aussi Steeman, Exbrayat, Pierre Véry, Pierre
Nord, Boileau et Narcejac. Souvent de grands
écrivains se sont frottés au roman policier.
Mais le polar n’est-il pas immoral par essence ?
N’y a-t-il pas un côté malsain à vouloir distraire le
lecteur avec des affaires de meurtres ? Albert
Pigasse, le fondateur de la collection, répondait
182
POLITIQUEMENT
INCORRECT
ainsi à cette interrogation : « Lorsqu’on a la responsabilité d’une collection de romans policiers, il
faut s’attacher à distraire les gens et non à les empoisonner. Dans tous les romans du Masque, j’y tiens,
j’y ai tenu et je continue à y tenir, vous ne trouverez
jamais, jamais, jamais le crime qui soit justifié ;
quelle que soit la situation, le délinquant, l’assassin,
le voleur (…) est toujours puni et malgré toutes les
astuces qu’il a pu découvrir il y a des policiers plus
intelligents que lui qui arrivent à le pincer… Le
roman policier doit être une distraction, ça ne doit
pas être un poison. » Pas mal, non ?
Passons en revue quelques-uns des auteurs du
Masque et nous constaterons qu’une sélection
s’est opérée, qui a concentré dans cette collection
de nombreux talents franchement réactionnaires.
À la lettre A, nous trouvons par exemple
Edward Aarons. Ce prolifique auteur américain
a publié six titres au Masque. Chez lui, les méchants sont généralement communistes. Comme
dans la vie…
Le journaliste Simon Arbellot, de sensibilité
royaliste, auteur d’une bonne petite biographie
de Maurras, Charles Maurras, homme d’action
(1937), a publié cinq titres au Masque. Étonnant, n’est-ce pas ?
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
183
Autre surprise à la lettre D. Nous trouvons en
effet un certain Mark Demwell, auteur de trois
Masque.
Or, Mark Demwell n’est autre que Marc
Demeulenaere, ou encore Marc Dem, auteur du
très étrange Les juifs de l’espace et de quelques
autres ouvrages, plus sérieux, sur la crise de
l’Église. Il fut une grande signature du Choc du
mois première manière.
Lesley Egon, qui publie un livre au Masque,
L’honneur est sauf, a pour elle d’être une dirigeante de l’association américaine antimarxiste John
Birch Society. Pour Lesley Egon, alias Elizabeth
Linington, le roman policier est un lieu où l’on
peut opposer « la vérité au mensonge, la loi et l’ordre à l’anarchie, les codes moraux à l’immoralité ».
Autre auteur peu connu en France : Sidney
Horler. Ce Britannique a écrit plus de cent cinquante romans, la plupart policiers ou d’espionnage. Deux d’entre eux, L’homme chauve et Le
sceau de la pieuvre, ont été traduits et publiés au
Masque. Sidney Horler est un écrivain et journaliste très connu outre-Manche pour son nationalisme ; c’est d’ailleurs pourquoi les associations
soi-disant antiracistes, qui sévissent là-bas aussi,
en ont fait l’une de leurs cibles privilégiées.
184
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Le Belge Louis Jurdant, auteur du Gardien de
la porte noire (1941) a côtoyé Léon Degrelle
dans sa carrière de journaliste catholique. C’est
aux éditions Rex qu’il publie ses premiers livres.
Qui est Bernard Lallier, auteur de Terreur à
Nantes (1977) ? Tout simplement le romancier
Éric Deschodt, qui, pour l’occasion, s’est fait
aider de Philippe Heduy. Éric Deschodt écrivait
fréquemment dans Présent, au moment du lancement du quotidien non conformiste.
John Mac Gregor a publié, également en
1977, Le commissaire-priseur. Personne ne connaît Mac Gregor, qui semble être l’homme d’un
seul livre. Mais Jean Bourdier, qui fut une grande signature de Minute, est plus célèbre. Vous
l’avez deviné : Mac Gregor et Bourdier ne sont
qu’une seule et même personne.
Robin Moore, qui a publié, au Masque, L’argent
de la rançon (1978) n’est pas plus connu que Mac
Gregor. Mais si je vous dis que Moore est l’auteur
de The green berets, à partir duquel John Wayne a
tiré son fameux film, vous comprendrez que ce
Robin Moore mérite toute notre attention.
Quand Pierre Nord a publié ses premiers romans au Masque, il s’appelait encore André Brouillard, le bien nommé, avait le grade de capitaine,
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
185
et participait aux actions antisubversives et antiFront populaire de la Cagoule militaire, ou plus
exactement de cette nébuleuse anticommuniste
qui entendait préparer la résistance aux bolcheviques comme aux nationaux-socialistes.
Le très prolifique autant qu’anticommuniste
Peter Randa (le père de Philippe) a donné au
Masque, sous le pseudonyme de F-M Roucayrol
un roman : Étranges aveux (1957), et quatre
autres romans sous celui de Jules Hardhouin.
Deuxième grande dame anglaise du crime
après Agatha Christie, Dorothy Sayers a publié
sept romans au Masque. Politiquement à droite
comme Agatha Christie, Dorothy Sayers avait en
outre des convictions religieuses très affirmées.
Nombre de romans publiés avant-guerre, pendant l’Occupation (Dalila n’est pas Dalila, par Claude Virmonne, 1941) ou après-guerre, s’en prennent
directement ou indirectement à la révolution bolchevique. En fait, remarquait pour le déplorer l’auteur britannique d’un essai sur le roman policier :
Crime story and their audience, le marxisant Colin
Watson, de très nombreux auteurs de thrillers ou de
romans d’aventure comme Sidney Horler, Agatha
Christie, Edgar Wallace, Edward Oppenheim – tous
publiés au Masque– étaient très, très à droite.
186
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Quant aux francophones comme Exbrayat ou
Steeman, il aurait été difficile de les faire passer
pour des gauchistes ! Ce qui confirme bien que
la collection du Masque mérite vraiment toute
notre confiance et éventuellement notre passion
collectionneuse.
Quelle est la cote des vieux Masque ? Sans
leur très rares et très fragiles jaquettes en couleur
signées Jean Bernard, les vieux volumes du
Masque ne valent rien ou presque. Mettons 5 €
pour les cartonnés et 1 ou 2 € pour les vieux
brochés. Mais les 300 ou 400 premiers romans
(jusqu’au milieu des années quarante) comportaient ces jaquettes en couleur qui font les
délices des collectionneurs. L’infaillible Silas Lod,
de S.A. Steeman cote 150 €, La Main de marbre, de J.D. Carr se négocie une centaine d’euros. Un Boileau comme Le Repos de Bacchus
(1938) vaut également une centaine d’euros. Les
Agatha Christie et les Sayers sont eux aussi très
recherchés. Les titres les plus mythiques (Les dix
petits nègres…, valent une petite fortune).
Pour acheter et vendre des romans policiers anciens, la meilleure adresse est sans doute la librairie
Choc Corridor, à Lyon, mais au Parc Brassens,
vous trouverez également de très bons spécialistes.
Chapitre 29
Chiner du Maurras ?
Oui, car il n’est plus édité
Savez-vous que la bibliographie de Maurras
comporte plus de 200 titres ? Cela en fait l’un des
auteurs contemporains les plus abondants. Avec
Simenon, Enid Blyton, et quels rares autres parmi
lesquels il faut compter son cher Léon Daudet.
Mais Charles Maurras n’a pas décliné toute sa
vie un seul genre littéraire, avec ses héros récurrents. Le roman policier, par exemple (Maurras en
a toutefois écrit un : Le Mont de saturne, publié en
1950). Maurras a au contraire touché à des genres
littéraires très différenciés. Beaucoup de ses 200
ouvrages sont des livres importants, voire capitaux,
soit dans le domaine littéraire et poétique, soit
dans le domaines des idées, du combat politique,
soit même pour la connaissance du régionalisme
provençal. Sans parler des études historiques, des
pamphlets, des récits de voyage.
188
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Et pourtant, comme le note Alain de Benoist
dans le texte de présentation de sa bibliographie
Charles Maurras et l’Action française (Bulletin
Charles Maurras, 16 rue du Berry, 36 250 Niherne), étude reprise dans l’un des quatre tomes de
ses études bibliographiques générales (Éditions
Deterna), « actuellement dix titres de Maurras seulement peuvent être fournis chez les éditeurs ».
Encore deux de ces titres sont-ils des fonds d’éditions d’origine, des années 1922 et 1932 ! Les
Pages littéraires choisies et le Prologue d’un essai sur
la critique sont en effet encore disponibles.
Parmi ces Maurras disponibles, nous trouvons
un inédit, Trois devoirs, une initiative du Bulletin
Charles Maurras 2001), et quatre rééditions : Mes
idées politiques, Anthinéa, Enquête sur la monarchie, et Les Amants de Venise. Ce dernier ouvrage, consacré au couple Sand-Musset, et dont
l’édition originale date de 1902, est le seul des
dix livres de Maurras à être proposé par un
« grand » éditeur. En l’occurrence Flammarion.
Triste bilan ! Ainsi en ce début de XXIe siècle,
le surdoué de la philosophie, de la politique et
des lettres qu’était Maurras ne se trouve pratiquement plus dans les circuits normaux de
librairie. L’étudiant, le passionné de littérature
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
189
des années 1900, le militant royaliste, l’adepte
du félibrige, qui va se tourner naturellement vers
un site d’achat d’Internet, vers son libraire de
quartier, vers la FNAC, ne trouvera – au mieux
– que l’un ou l’autre de ces titres.
Quant aux 190 autres ouvrages, ils sont royalement ignorés – c’es le cas de le dire -. Pourtant,
comment prétendre connaître Charles Maurras, si
l’on n’a pas lu ou au moins parcouru Le Chemin
de Paradis (1895), Trois idées politiques (1898),
L’Avenir de l’intelligence (1905), Le Dilemme de
Marc Sangnier (1906), Kiel et Tanger (1910),
L’Etang de Berre (1915), Quand les Français ne
s’aimaient pas (1916), Tombeaux (1921), La Bonne
Mort (1926), La Bagarre de Fustel (1928), Au signe
de Flore (1931), Devant l’Allemagne éternelle
(1937), La Seule France (1941), La Contrerévolution spontanée (1943), Au grand juge de France
(1949), et la sensationnelle correspondance BarrèsMaurras de 1970, avec les commentaires de Massis
et la présentation de Guy Dupré ?
Cette sélection est d’ailleurs totalement arbitraire. En fonction des goûts de chacun, la partie maurrassienne de sa bibliothèque personnelle
peut être constituée d’autres titres, ou de titres
d’autres époques.
190
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Le paradoxe, c’est que Maurras continue à susciter nombre de travaux, livres, thèses et publications. Jean Madiran et Yves Chiron ont énormément contribué à nous donner toujours envie
de mieux connaître cet homme d’exception. Et
en première page du Figaro littéraire de la rentrée 2006, c’est encore Maurras que l’on trouve,
à l’occasion de la sortie d’une nouvelle volumineuse étude qui lui est consacrée.
Qu’est-ce qui nous est aujourd’hui le plus
étranger, dans l’œuvre de Maurras ? Sans doute
le culte rendu à Anatole France. Maurras, comme
Massis, comme beaucoup d’autres, raffolait
d’Anatole France, de son écriture classique impeccable, sans surprise. Mais que tout cela a
vieilli ! Curieusement Pierre Benoit ou Henry
Bordeaux, même, se laissent encore lire avec un
certain plaisir, quand Anatole France nous tombe
des mains. Lisez donc La Maison d’Henry Bordeaux (est-ce même réédité ? Sûrement pas !)
C’est un excellent roman idéologique. Et les
idées qu’il véhicule, qui étaient sans doute considérées comme le comble du conformisme, à
l’époque, prennent aujourd’hui une délicieuse
saveur de politiquement incorrect. Mais inversement Anatole France…
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
191
Un libraire d’ancien de l’île de Ré, spécialisé
dans la bonne littérature du XXe siècle, me disait
que, dans son stock de livres de grande qualité
bibliophilique (grands papiers, belles illustrations, reliures prestigieuses, envois), les Anatole
France lui étaient restés sur les bras. Et pour ma
part, je suis bien certain qu’Anatole France, politique et poète, écrit par Maurras en 1924, excite
moins la curiosité que Le Bon Revolver et le
méchant bâton ou La Violence et la mesure, du
même Maurras, publiés la même année !
Pour compléter votre bibliothèque maurrassienne, rien ne vaut le parc Brassens (au Pélican
noir, par exemple, stand de livres exclusivement
maurrassiens), les quais de la Seine, et bien
entendu Internet. Savez-vous que le Bulletin
Charles Maurras d’Yves Chiron diffuse régulièrement des listes de livres de Maurras d’occasion,
à des prix imbattables ?
Dans mon Guide des grands livres de l’homme
de droite (1993), je m’étais amusé à donner une
cote aux livres de Maurras les plus recherchés et
les plus marquants. Rien ne dépassait 300 F, mis
à part le Dictionnaire politique et critique (publié
entre 1932 et 1934) qui rassemble des textes de
Maurras en cinq forts volumes de grand format
192
POLITIQUEMENT
INCORRECT
(ouvrage établi par les soins de Pierre Chardon).
J’avais donné à ce Dictionnaire une cote de
2 500 F. Il les vaut bien. Le Dictionnaire commenté de livres politiquement incorrects, que j’ai
récemment co-écrit avec Philippe Randa, reprend pour partie les textes de ce Guide de
1993. Mais les cotes sont à présent exprimées en
euros. Force est de constater qu’il n’y a pas eu
de flambée des prix sur le Maurras. Internet,
avec ses sites spécialisés et ses moteurs de
recherche, a incroyablement facilité le travail du
chineur. Et Maurras d’occasion reste donc un
auteur abordable, y compris pour les adeptes de
beaux livres. De son vivant il connut des tirages
et des retirages remarquables. Maurras n’était pas
avare de dédicaces (certes illisibles). Quant à ses
amis éditeurs, ils adoraient réaliser des petits tirages numérotés et sur grand papier de ses textes.
On peut donc facilement, et pour des sommes
modiques, faire de belles trouvailles. Ce qui est
plus difficile avec Daudet ou Bainville, les deux
autres monstres sacrés de l’âge d’or de l’AF, qui
semblent avoir eu la dédicace moins abondante
et le « grand papier » moins généreux.
Alain de Benoist a recensé 216 titres différents
de Maurras, 78 préfaces ou postfaces, 10 ouvrages
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
193
de correspondances, 505 thèses, mémoires, livres,
sur Maurras et l’AF. Quel terrain de chasse pour
un « chineur » maurrasien ! Et dans la poche, cette
petite Bibliographie, pour se retrouver dans ce
maquis des lettres. Elle est tellement plus pratique
que les deux énormes volumes de Roger Joseph.
En 1980, en effet, un maurrassien aujourd’hui
disparu, Roger Joseph, avait publié l’œuvre d’une
vie : la recension de tout ce qui existait, à l’époque,
de et sur Maurras, jusqu’aux enregistrements sonores, films, sculptures, médailles, peintures, photographies etc. Un monument. La somme des
sommes, en somme ! Mais à présent ce travail de
Roger Joseph est lui même devenu objet de collection. Tiré à 1 000 exemplaires, tous numérotés,
dans une belle reliure pleine toile et un emboitage,
il est déjà classé et analysé, en référence B73, dans
la Bibliographie d’Alain de Benoist. Étonnant,
non ?
Maurras, entre polémique et occultisme.
C’est une petite revue trouvée sur les quais de
la Seine : Le Digest de l’occultisme. Cette revue,
qui paraissait dans les années d’après-guerre,
s’intéressait à toutes les sciences occultes : astrologie, alchimie, magie noire ou blanche, kabba-
194
POLITIQUEMENT
INCORRECT
le, sorcellerie, cartomancie, radiesthésie, spiritisme, hypnotisme, magnétisme, voyance, transmission de pensées etc. Le « etc. » est d’ailleurs
impressionnant, après une telle énumération.
Dans son numéro d’octobre 1952, la revue
consacre un numéro à Charles Maurras, qui fait
d’ailleurs la couverture. En fait, il s’agit simplement d’une étude graphologique de l’écriture de
Maurras et de sa signature. Quelle déception,
quand on espérait un Maurras en revenant ou en
tourneur de tables !
L’analyse de l’écriture de Maurras corrobore tout
ce que l’on sait du polémiste de l’Action française :
« Activité cérébrale, indépendance, passion, énergie,
orgueil, autorité et combativité opiniâtre ».
« L’écriture, bouillonnante, montante, en hauteur,
dynamogéniée (sic) révèle l’activité vibrante, très
éveillée, permanente, de qualité : le mouvement cérébral est perpétuellement en ébullition et le scripteur
doit adopter une allure précipitée pour le suivre ».
On apprend aussi que Maurras a « une pointe
de féminité dans l’écriture (…). Elle paraît appartenir au domaine affectif ». Maurras homo ? Ce
serait un scoop ! Et en totale contradiction avec
tout ce que l’on sait, par sa correspondance, surtout, de sa vie amoureuse.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
195
Enfin Maurras est « assez ombrageux, facilement boudeur ». En conclusion l’auteur nous
explique que le tempérament de Maurras apparaît « sanguin, bilieux, nerveux ». Dans la typologie de La Senne, l’auteur le classerait plus
volontiers chez les passionnés que chez les flegmatiques. On s’en serait douté !
La graphologie du polémiste apparaît donc
effectivement conforme à ce que l’on sait de
Maurras. Mais quel est le mérite d’analyser l’écriture non anonyme d’un homme au soir de sa
vie, à l’âge où cet homme, par ses combats, par
sa vie publique, s’est tout entier révélé ? Le
Digest de l’occultisme aurait pu nous épater vraiment s’il avait par exemple été en mesure d’annoncer que Maurras disparaîtrait quelques semaines après la mise en vente de ce numéro. Car
Maurras, effectivement, est mort le 16 novembre
1952, peu de jours après la parution de la revue.
Les abonnés du Digest de l’Occultisme y virent
toutefois sûrement un signe.
Chapitre 30
Moreau-Deschanvres, le peintre de la Foi
Si l’on vous disait : « Préférez-vous Picasso ou
Auguste Moreau-Deschanvres ? », je suis bien persuadé que vous répondriez immédiatement
Moreau-Deschanvres ! Vous ne connaissez sans
doute rien de Moreau-Deschanvres, mais vous
auriez raison quand même.
Un superbe album consacré à ce peintre engagé (dans le bon sens) du Valenciennois nous rappelle que la peinture, reine des salles de ventes
et des musées d’art, a toute sa place dans ce dictionnaire.
Né en 1838, Auguste Moreau commence à
peindre tout jeune, sous la férule d’un professeur
de dessin et de peinture nommé Julien Potier
(1796-1865), peintre attitré de la duchesse de
Berry. Il se fait rapidement une réputation de
grand portraitiste dans toute la région Nord-Pasde-Calais.
198
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Mais Moreau-Deschanvres, originaire d’une
famille profondément catholique, estime qu’il
doit également mettre son talent au service de sa
foi. Nous sommes à l’époque de la séparation de
l’Église et de l’État, de la rupture des relations
diplomatiques avec le Vatican, de l’expulsion des
Chartreux, des perquisitions à La Croix et au
Pèlerin, des inventaires, etc. C’est le triomphe du
combisme. Moreau-Deschanvres, lui, peint et
expose des thèmes religieux : Chemin de Croix
(1893), La vision de saint Dominique (1893),
Saint Armand terrassant le dragon (1899), Les
sœurs de la Charité chez les veuves (1903), Le
benedicite (1906), etc.
La presse anticléricale ne manque pas d’épingler ce peintre réactionnaire, « faiseur de bonshommes copiés sur photographies, plat valet aux
petits pieds toujours reçu dans les salons grâce à
son échine souple (…), plus épicier qu’artiste »
(Le progrès de Denain, 2 juillet 1885).
Peintre réactionnaire
Ce genre de critique n’a jamais dérangé
Moreau-Deschanvres dans ses convictions. En
1907, au lendemain des Inventaires, il expose
une toile au titre exact, fort explicite et fort sym-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
199
bolique : « Les sœurs de la Charité d’Arras dans
la charrette qui les mène à l’échafaud à Cambrai,
le 8 messidor An II (26 juin 1794) ». Ce tableau
illustre le martyre de sœur Madeleine Fontaine
et de ses religieuses (béatifiées en 1920), leur
arrivée sur la grand-place de Cambrai, où se
dresse la sinistre guillotine.
La composition, dans les teintes brunes, est
relevée par les cocardes et les écharpes des révolutionnaires.
À Arras, pendant la Révolution française, le
représentant du peuple était un prêtre apostat
(déjà !), le terrible et mal nommé Joseph Lebon.
Il s’acharna sur les sœurs de la Charité, et sur
beaucoup d’autres innocents. C’est lui qui les
envoya à la guillotine. Par dérision, on leur posa
leur chapelet sur la tête, dans la charrette qui les
menait vers leur supplice.
À plusieurs reprises avant de mourir, la sœur
Madeleine Fontaine avait lancé à la populace qui
assistait aux exécutions : « Nous sommes les dernières victimes ». Prédiction peu crédible, car à
l’époque ce sont des dizaines de têtes qui tombent chaque fois, à Cambrai. Or, la guillotine de
Cambrai cessa de fonctionner après l’assassinat
des quatre religieuses et de leur compagnon de
200
POLITIQUEMENT
INCORRECT
martyre, Jean Payen, guillotiné pour avoir refusé
d’assister aux messes sacrilèges de Joseph Lebon,
quand il était curé constitutionnel. La guillotine
fut même démontée rapidement. Et la prédiction de sœur Fontaine se réalisa donc.
Quant à Lebon, il finit lui aussi, la tête tranchée, le 15 octobre 1795. Ce n’était que justice.
Pour ce tableau, mais aussi pour cent autres,
Auguste Moreau-Deschanvres mérite d’être (re)découvert. Le travail de Jean-Claude Poinsignon, un
critique d’art de Valenciennes, a fait fortement
monter la cote de ce petit maître de la Belle Époque. Aussi, amis lecteurs du Nord et du Pas-deCalais, à vos greniers ! Exhumez les portraits de vos
ancêtres et examinez la signature. Si vous trouvez
un Moreau-Deschanvres, votre fortune est faite.
Chapitre 31
La percaline dans toute sa gloire
Il y a quarante ou cinquante ans, ces gros
livres pour enfants, à la couverture bariolée, ces
livres de prix pour bons élèves des années folles,
ne valaient rien du tout. Ils encombraient les
greniers, au mieux, les chambres d’enfants, mais
on ne les lisait plus guère, mis à part Jules Verne.
C’est justement par Jules Verne que la gloire des
« percalines » (c’est le nom que l’on donne à ces
couvertures) est arrivée.
Par Jules Verne et par Michel Roethel, le
libraire de L’Ile mystérieuse (7, rue Lagrange,
Paris 5e), pape incontesté des livres en cartonnage d’éditeurs XIXe et XXe siècles, et donc spécialiste des Jules Verne sous percaline. Mais qu’estce que cette fameuse percaline ? La percaline,
nous disent les Larousse de l’époque, est une
« toile de coton, légère et lustrée, employée surtout comme doublure de vêtements ». Comme
202
POLITIQUEMENT
INCORRECT
doublure de vêtements, certes, mais aussi comme
couverture de livres. Et cette toile de coton fine
peut facilement être travaillée et décorée, peinte,
y compris par des techniques mécaniques,
modernes pour l’époque.
Entre 1850 et la guerre de 1914, beaucoup de
livres, et en particulier les livres pour enfants,
qui n’étaient offerts qu’aux grandes occasions :
Noël, Communion, anniversaires et Prix de fin
d’année, furent édités, en grand format, avec
tranches dorées et, sous percaline rouge, bleue,
verte parfois, avec le premier plat et le dos ornés
de fins décors polychromes ou dorés.
Les Jules Verne tiennent bien évidemment la
place d’honneur dans ce domaine, car l’éditeur
de Jules Verne, Hetzel, fut certainement un précurseur dans l’art de présenter les récits de ses
auteurs fétiches. Le collectionneur de Jules Verne
sais très bien ce que signifient les formules mystérieuses : « cartonnage polychrome à un éléphant », « aux initiales JV et JH », « au steamer »,
« aux feuilles d’acanthe », « à la sphère dorée »,
« aux deux éléphants », « au portrait collé », « au
ballon », « à l’obus »…
En principe le collectionneur cherche seulement un type de reliure. Le jeu consiste à trou-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
203
ver tous les Jules Verne ayant été édités sous
l’une de ces reliures.
L’ancienneté de parution et le type de reliure
n’ont pas une très grande importance dans l’établissement des cotes. Les Jules Verne « au steamer », « aux initiales » ou « aux feuilles d’acanthe » sont certes plutôt moins recherchées que
ceux dits « à la sphère dorée », « au portrait collé »
ou « au ballon ». Et pourtant les Jules Verne « aux
initiales » sont parmi les plus anciens, les Jules
Verne « au steamer » parmi les plus beaux ;
À la vérité, ce sont certains titres, parce qu’ils
sont du premier tirage ou parce que ces titres,
peu demandés, à l’époque, ont été moins réédités, qui attirent les amateurs, font flamber les
cotes par exemple César Cascabel sous une percaline « à la sphère dorée », L’école des Robinson
« à la sphère dorée », La Jaganda « à la sphère
dorée, Les Indes noires « à la sphère dorée »,
Robur le conquérant « à la sphère dorée » ou Le
Secret de Wilhelm Storitz « à un éléphant ».
Un champion du colonialisme
Que vient donc faire Jules Verne chez les chineurs non conformistes ? L’éditeur, Hetzel, était
un ancien communard, un peu sulfureux, donc,
204
POLITIQUEMENT
INCORRECT
pour son époque, mais parfaitement correct,
aujourd’hui. Quand à Jules Verne, le caractère
scientifique de ses romans lui donne une réputation d’homme du progrès, donc d’homme de
gauche. N’en croyez rien. Jules Verne était, certes,
un passionné des machines, de l’avenir, du progrès, mais sur le plan politique, c’était un parfait
conservateur. Dieu, la foi, ne sont pas absents de
ses livres. Par ailleurs je serais curieux de savoir si
les rééditions récentes de livres comme Le Château
des Carpates en ont supprimé les digressions antisémites. Et si enfin l’on veut bannir le colonialisme de toute l’œuvre vernienne, autant jeter tout
Jules Verne aux oubliettes !
Après Jules Verne, l’amateur de « percalines » se
tournera vers les Job. Là, ce n’est pas l’auteur qui
compte, mais le dessinateur. Dans les années
1900, Job a illustré de nombreux livres d’histoire,
y compris d’ailleurs la Petite histoire de France de
Jacques Bainville. Ces livres atteignent à présent
des cotes de plusieurs centaines d’euros. Citons
par exemple le Murat de G. Montorgueil, illustré
par Job, souvent proposé à plus de 1 000 €.
Enfin on ne pourra échapper aux Paul d’Ivoi,
dont la saga Lavarédienne a créé le mythe du
grand reporter, ni aux Danrit, formidable série
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
205
ultranationaliste et militariste d’avant 14. Le
colonel Danrit était le pseudonyme d’un officier
très proche des milieux nationalistes.
Mais vous pouvez aussi vous tourner vers des
percalines plus pieuses, plus sérieuses, quoique
tout aussi belles, et nettement moins chères (pour
un temps encore, mais cela ne durera pas) : les
percalines de la maison Mame ou de la maison
Desclée. On peut trouver de superbes Saint
Martin, Christophe Colomb, Saint Augustin, un
Fabiola, La Croisade des enfants, La France et le
Sacré-Cœur, les Missions catholiques au XIXe siècle, et
plusieurs Jeanne d’Arc. Sans parler de Saint Louis,
des Croisades, ou de La Chevalerie (réédité assez
récemment, dans une présentation plutôt laide).
Ces livres somptueux, véritables œuvres d’art de
la bibliophilie, se négocient entre 100 et 300 €. Il
arrive même, dans les vide-greniers, ou chez des
libraires d’ancien dont ce n’est pas la spécialité, de
les trouver pour 30 ou 40 €. Achetez, sans hésiter !
Voilà des ouvrages qui sont loin d’être encore à leur
juste prix, et qui devraient rapidement rejoindre la
cote des Jules Verne, Paul d’Ivoi et Danrit, dans les
cotes élevées. D’autant que les textes, paradoxalement, ont plutôt mieux vieilli que les romans de
l’enfance de nos arrière-grands-parents.
Chapitre 32
Pétain : du pétainisme à la pétinolâtrie
Je suis un pétinolâtre. Quand cette passion m’at-elle pris ? Je ne saurais le dire. Peut-être vers 7
ou 8 ans, en collectionnant les timbres. Le joyau
de ma collection, celui que je préférais, était le
Buste du Maréchal, brun noir, édité par la poste à
l’occasion de son 88e anniversaire, en 1944.
Quand la mode des cartes postales est arrivée, à la
fin des années soixante-dix, je n’ai pas été pris au
dépourvu : j’avais déjà mon stock de cartes estampillées « Secours national d’entraide d’hiver du
Maréchal » (cote : 8 à 10 €). Il n’y a guère que
les pièces de 1 et 2 francs à la francisque que je
n’ai pas conservées pieusement. Elles étaient trop
nombreuses en circulation, à cette époque là.
Vous l’avez deviné : je suis un pétinolâtre.
Attention : ne confondez pas avec les pétainistes.
Ceux-là se contentent de défendre la mémoire
du vainqueur de Verdun. Le pétinolâtre, lui, se
208
POLITIQUEMENT
INCORRECT
passionne en plus pour tout ce qui touche au
Maréchal : documents, livres, objets.
Il bondit s’il entend, dans une conversation, à
la radio, les mots « Maréchal » ou « Pétain ». Il
peut, dans une page du journal Le Monde, déceler en moins d’une minute si l’un de ces deux
mots magiques y figure.
Déjà, tout petit, j’éprouvais une sympathie
particulière pour un vieil ami de la famille, le
colonel Pététin, au seul motif qu’il était militaire et que son nom semblait comme une ébauche, le bégaiement de celui du Maréchal.
À vingt ans, je courais les marchés aux puces,
à la recherche d’affiches. L’État français en a produit de très belles. Il y a eu la période des insignes, aussi : la vraie francisque (celle de Mitterrand), et la fausse, que l’on distingue par le
système des attaches.
Puis il y a eu les objets : les assiettes et plats
à barbe, les médailles, les cendriers. Ce thème
semble inépuisable. Il y a quelques années, au
Salon du vieux papier de collection, à Versailles,
j’ai découvert la pièce maîtresse de ma collection : une plaque de rue en tôle émaillée : « Place
du Maréchal Pétain ».
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
209
Demain, pétinologue ?
Ma femme n’apprécie guère cette passion. Elle
s’est vite lassée des vacances à l’île d’Yeu, et trouve ruineuses mes commandes de « bimbeloteries » comme elle dit péjorativement, auprès de
l’Association nationale Pétain Verdun toujours
bien fournie. Mon fils, Philippe, partagera sûrement ma manie, quand il aura l’âge de raison, si
j’en juge au plaisir qu’il a à chanter à tue-tête,
sur le chemin de l’école : « Maréchal nous
voilà ! ». Je lui ai appris également un poème qui
commence ainsi :
« Maréchal, nous voilà ! : ce chant mâle et grandiose
Résonne dans nos cœurs sevrés d’apothéose »,
et qui se termine avec ces vers tout aussi bien
venus :
« Enfant, ferme les yeux au mensonge régnant,
Lave à l’eau de Vichy le sol couvert de sang ».
Son institutrice a demandé à me voir…
Mon rêve secret ? Acheter une maison à Verdun. Je l’appellerais « Nous voilà », je m’y enfermerais pour lire les œuvres complètes de
Me Isorni, espérant ainsi passer du stade de pétinolâtre à celui de pétinologue…
210
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Ouvrage de référence : Organisations, mouvements et unités de l’État français, P-P Lambert
et G. Le Marec (Éditions Grancher)
Chapitre 33
Ce curieux engouement pour la Pléïade
On peut se demander ce qui justifie l’engouement à l’égard des livres de La Pléïade, cette collection créée en 1931 par l’éditeur Gallimard.
Les reliures, en cuir, ou plus exactement en croûte de cuir, sont assez laides, et le papier bible de
l’impression rend ces livres illisibles. L’attrait est
donc ailleurs. C’est l’idée de posséder un concentré de ce que Gallimard a labellisé « chef
d’œuvre de la littérature et du savoir ».
On peut en effet se féliciter de faire tenir
Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit (en un
seul volume) sur trois centimètres de sa bibliothèque au lieu de douze, et À la recherche du
temps perdu sur douze centimètres (trois volumes) au lieu d’un demi-mètre.
En revanche les Albums de la Pléïade peuvent
présenter un réel intérêt pour les amateurs de littérature et pour les collectionneurs. Les Albums
212
POLITIQUEMENT
INCORRECT
ne sont pas les livres. Les Albums, ce sont ces
biographies, imprimées sur papier épais, et largement illustrées, qui, chaque année, sont
offertes par les libraires, à ceux de leurs clients
qui achètent trois Pléïade d’un coup. Ce produit
promotionnel a été créé en 1962.
Or il se trouve que ces Albums, qui n’étaient
que des cadeaux publicitaires, sont très bien rédigés, par des spécialistes des auteurs traités. Ils
sont à présent recherchés, de plus en plus, et ils
font l’objet de cotations très officielles. Un « chineur » politiquement incorrect aura donc à cœur
de se procurer le Balzac (1962), le Céline (1977),
le Montherlant (1979), le Giono (1980), le Faulkner (1995), le Marcel Aymé (2001). L’album de
l’année 2000 est écrit par Jean d’Ormesson et
consacré à l’histoire de la NRF. Il est également
très intéressant, avec tout un passage (illustré)
sur la polémique Gide-Béraud.
Avant le Balzac, avait été publié un Dictionnaire
des auteurs de la Pléïade, dictionnaire biographique illustré, préfacé par Roger Nimier. Un bijou
totalement introuvable, hélas. Le Balzac se négocie autour de 500 €. J’ai trouvé mon exemplaire
sur un vide-grenier de l’île de Ré, l’été dernier,
pour la modique somme de… 1,6 € (après avoir
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
213
âprement marchandé). Encore celui-ci comportait-il un envoi de l’auteur (pas Balzac, bien
entendu, mais l’auteur du Balzac). Le Céline a une
côte de 230 €. J’ai chiné le mien, il y a une bonne quinzaine d’années, aux Emmaüs de Châteauroux pour 20 F, soit 3 €. le Montherlant, écrit par
Pierre Sipriot (bien entendu), vaut plus d’une
centaine d’euros. De même le Giono ou le Faulkner. Le Marcel Aymé est trop récent pour atteindre
d’emblée cette cote, mais à 50 € c’est déjà une
affaire à ne pas laisser passer.
De Michel Mohrt à Pierre Sipriot
Tout Marcel Aymé a été publié en Pléïade, en
trois tomes, y compris son roman inachevé Denise.
Marcel Aymé « pléïadisé », c’est formidable pour
la postérité. Mais pour la lecture, on peut préférer
Marcel Aymé à La Belle Édition (six tomes illustrés, publiés au début des années soixante-dix).
C’est dans cette même collection qu’ont été
publiés les romans de La Varende et de Béraud.
Dans La Belle Édition, La Jument verte est
illustrée par l’excellent André Collot, La Vouivre
par Jacques Thévenet, Le Passe-muraille par A.D.
Steinlein, Le Bœuf clandestin par Maurice Leroy,
La Belle Image par Gaston de Sainte-Croix, et Le
214
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Vin de Paris (et autres nouvelles, dont La fameuse Traversée de Paris) par Gaston Barret. Habituellement les gros et beaux livres illustrés de La
Belle Édition se négocient autour d’une centaine
d’euros pièce. J’ai trouvé les six Marcel Aymé
bien reliés en demi-chagrin bleu (dos à cinq
nerfs) pour la somme total de 200 €, aux Puces
de Châteauroux, le 4 février 2001. Belle affaire !
Ceux qui n’ont pas ma chance, ou qui n’aiment pas se lever tôt pour aller chiner, peuvent
donc s’offrir les trois tomes des œuvres romanesques complètes de Marcel Aymé en Pleïade.
Mais revenons un instant sur les Albums
Pléïades, pour noter que le Faulkner est écrit par
Michel Mohrt et le Marcel Aymé par Michel
Lécureur, qui préside la société des amis de
Marcel Aymé. Autant de gages de sérieux et de
qualité. Et l’amateur des œuvres de Michel Mohrt
(il y en a de plus en plus, même si cet académicien est la discrétion même) devra lui aussi chercher à se procurer cet Album Marcel Aymé, ce qui
va le rendre encore plus désirable et coté.
Chapitre 34
Policiers (romans) :
série noire et chemises brunes ?
Le polar, le roman policier, est lui aussi devenu un objet de collection ! On le cote, on le met
en catalogues, on le vend dans des librairies spécialisées comme Aux livres d’Alésia ou la librairie de Roland Buret, passage Verdeau.
Et que cherche-t-on dans ces vieux romans
policiers, souvent écrits à la va-vite et tirés à des
dizaines de milliers d’exemplaires ? Comme toujours, un peu de son passé. Ces Série noire, avec
leur charmant liseré jaune, ces « Spécial police »,
publiés au Fleuve Noir avec les couvertures très
kitsch de Gourdon, et les Masque aux 1 800
titres différents, dont Agatha Christie reste la
vedette incontestée, c’est tout cela que vient
chercher le collectionneur de romans policiers.
La lecture du polar est généralement associée
aux moments heureux : la vie étudiante, du
216
POLITIQUEMENT
INCORRECT
temps où les étudiants ne pensaient pas trop à
travailler, les vacances, les longs voyages en train.
La plupart des vieux polars n’ont aucune
valeur marchande. Mais certains titres, certaines
collections, s’arrachent à prix d’or. Parmi ces
perles rares, le premier San Antonio, Laissez tomber la fille, écrit au temps bien lointain où Frédéric Dard savait raconter une histoire (1951). Il
cote aujourd’hui une centaine d’euros. Ou Neiges
d’antan de Don Tracy (Série Noire, 1945), qu’on
ne peut trouver à moins de 150 €.
Mais les auteurs les plus recherchés restent les
grands classiques : Conan Doyle et son Sherlock
Holmes, Maurice Leblanc et Arsène Lupin, Gaston Leroux et ses deux héros : Joseph Rouletabille
et Chéribibi, Jean Ray et Harry Dickson. L’amateur de romans policiers est très traditionaliste !
Un autre auteur est en train de rejoindre les
plus grands : Léo Malet et son détective, Nestor
Burma. Léo Malet nous est d’autant plus sympathique que cet ancien anarcho-trotskiste n’a
jamais pardonné aux communistes le coup du
piolet ; et au moment de sa mort (en mars
1996), il avait atteint les rives d’un anarchisme
de droite de bon aloi, à la Louis-Ferdinand Céline, et revendiquait haut et fort son lepenisme,
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
217
au grand dam des interviewers qui tentaient, en
vain, de le faire taire sur ce thème, et de le cantonner à ses seuls engagements de jeunesse
(beaucoup plus corrects !).
Le rayon « Policiers » d’une bibliothèque politiquement incorrecte se doit de compter les quinze
volumes des Nouveaux mystères de Paris. Léo Malet
y raconte un crime par arrondissement (éd Robert
Laffont, 1954 à 1958, 23 € pièce).
Il est souhaitable d’avoir également quelques
Agatha Christie, ne serait-ce que parce que la
génitrice de Miss Marple fut un farouche défenseur de la messe en latin. Parmi les Anglais sympathiques, on ne peut manquer de citer GK
Chesterton, avec son personnage de prêtre détective, le père Brown (entre 15 et 20 €, dans la
collection de Gallimard). Il faut avoir aussi tout
ADG (La divine surprise, Les panadeux, cotés une
dizaine d’euros en Série Noire).
Il n’est pas inutile non plus d’avoir un roman
de Jean-Marie Hoedick (pseudonyme de Georges
Blond), un autre de Laurent Labattu (pseudonyme de Jacques Laurent-Cely, alias Cecil SaintLaurent). Sans oublier quelques Bob Morane (par
Henri Vernes), à cause de leurs splendides couvertures dessinées par Pierre Joubert, et les
218
POLITIQUEMENT
INCORRECT
mythiques Aventures de Valentin Vey, par
François Brigneau.
Choc Corridor (7 et 9 rue des Trois Maries,
69005 Lyon).
Roland Buret (6 passage Verdeau, 75009 Paris)
Chapitre 35
Saint-Loup : un inconnu très, très demandé
Dans les années cinquante, soixante, soixantedix, Saint-Loup, alias Marc Augier, était un auteur
publié chez Fasquelle, Arthaud, Plon, Les Presses
de la Cité, Amiot-Dumont, Presses Pocket, La
Table Ronde. Renault de Billancourt, La Montagne
n’a pas voulu ou Les Volontaires (cotés entre 40 et
50 €) se trouvaient dans la plupart des bibliothèques paroissiales ou municipales. En vitrine, chez
votre libraire, vous pouviez trouver aussi bien
Front de l’Est de Léon Degrelle que Les Hérétiques
de Saint-Loup. Les livres pour enfants des plus
grands éditeurs pouvaient publier 15 histoires de
montagne, avec des extraits de Face nord ou de La
Montagne n’a pas voulu.
Imaginez aujourd’hui le scandale si on découvrait ce qui était banal, il y a trente ans : un
ancien Waffen SS en vente libre, et même laissé
à portée de la main innocente d’enfants ?
220
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Les tirages de ces ouvrages furent considérables,
en particulier les récits de montagne, la trilogie du
Front de l’Ets (Les Volontaires, les Nostalgiques, Les
Hérétiques), et les aventures industrielles de l’automobile (Renault, Berliet, Volkswagen).
Aujourd’hui l’intérêt pour l’œuvre de SaintLoup reste pratiquement identique, comme le
note la préface d’une récente biographie de SaintLoup, écrite par Jérome Moreau. Cet auteur « est
aujourd’hui condamné aux publications confidentielles destinées à un public restreint de fidèles qui
sont souvent tentés de réduire une œuvre et une
personnalité aussi foisonnantes à leurs aspects les
plus sulfureux ».
Dans l’ouvrage collectif Rencontres avec SaintLoup (Les Amis de Saint-Loup, 1991), un Jean
Mabire, un Philippe Conrad, un Jean-Claude
Valla, un Michel Marmin, un Jean-Jacques
Mourreau, un Pierre Vial, qui appartiennent à la
génération d’après-guerre, contemporaine de mai
68, plus que de la guerre d’Indochine, même,
s’accordent pour souligner l’influence que put
jouer Saint-Loup sur eux, par l’intermédiaire de
ses livres. Et pour qui connaît bien la fois l’œuvre d’un Jean Raspail et celle de Saint-Loup, il
est indéniable que bien des thèmes ont été retra-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
221
vaillés par Raspail d’une façon sans doute plus
littéraire, qui avaient été trouvés chez SaintLoup : à commencer par Antoine de Tounens,
les Alakaloufs, ou encore certaines nouvelles de
La Hache des steppes.
Aventurier politique, écrivain éclectique, soldat
d’élite, grand sportif, journaliste courageux, visage
superbe à la Mermoz, Saint-Loup est un auteur
particulièrement intéressant. Il a une vraie cote.
Les collectionneurs, les bibliophiles, s’arrachent les
premières éditions de ses romans et essais. Alors
même que tout ou presque été réédité chez des
petits éditeurs de combat : Le Trident, Le Flambeau, L’Æncre, Art et Histoire d’Europe, Avalon,
Godefroy de Bouillon, Gergovie, Irminsul, la cote
des Saint-Loup ne cesse de grimper.
Ne pas oublier Marc Augier
Un Saint-Loup ancien est rarement proposé à
moins de 20 ou 25 €. Encore s’agit-il généralement des titres les plus « anodins » et les plus
courants : Renault de Billancourt ou La Montagne n’a pas voulu, récit d’accidents de montagne ;
Les ouvrages plus « historiques », la trilogie du
Front de l’Est, par exemple, ou la série des « patries charnelles » (Bretagne, Israël, pays cathare)
222
POLITIQUEMENT
INCORRECT
qui bénéficiaient également d’énormes tirages, se
négocient entre 25 et 50 €. Encore faut-ils qu’ils
soient munis de leur jaquette, en bon état.
Les ouvrages parus sous le nom de Marc
Augier (jusqu’en 1944) ont une cote bien supérieure, qui a tendance à dépasser les 60 € (Les
Skieurs de la nuit, Les Copains de la belle étoile,
ou, plus rare encore, Les Partisans).
Mais les Saint-Loup les plus durs à « chiner »
ne sont pas ceux-là. Ce sont certains récits de
montagne d’après-guerre, comme Monts Pacifique (cote : 42 €), La Peau de l’Aurochs, Montagne sans dieu, ou même le médiocre roman La
République du Mont-Blanc. Certains libraires,
quand ils ont la chance d’avoir entre les mains
l’un de ces titres, et à condition qu’ils en connaissent la rareté et l’intérêt, en fixent parfois le
prix jusqu’à 150 €. Une folie, allez-vous dire ?
certes. Mais le vrai anticonformisme de cet intellectuel ultra-engagé, le caractère confidentiel des
rééditions actuelles, sa notoriété néanmoins
grandissante, colportée de bouche à oreille, comme un mot de passe, rendent particulièrement
désirables ces éditions anciennes. Pour peu
qu’elles soient valorisées par un envoi, alors les
prix flambent.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
223
Mais lisez donc la biographie de Jérôme Moreau (Sous le signe de la roue solaire. Itinéraire politique de Saint-Loup), vous comprendrez pourquoi
cet écrivain n’a pas fini de nous fasciner.
Chapitre 36
Scoutisme : on en connaît maintenant
la valeur (marchande)
La vente aux enchères qui s’est déroulée en 1995
à l’hôtel Drouot sous la houlette de Me NéretMinet (expert : Roland Buret), a fixé, pour la première fois semble-t-il, et pour longtemps, une
sorte de cote des objets, souvenirs, livres, documents divers du monde du scoutisme.
Cette vente très spécialisée s’était déroulée devant un public toujours prêt, mais surtout attentif
et très érudit sur ces questions de scoutisme.
On reconnaissait dans la salle le père Argouac’h
(Riaumont), les auteurs « Signe de Piste » JeanLouis Foncine (décédé à Paris le 29 janvier 2005
à l’âge de 92 ans) et Jean-Claude Alain, et beaucoup d’autres passionnés de l’univers scout.
Neuf thèmes structuraient la vente : les revues,
les livres illustrés et illustrations, les disques, les
dessins originaux (en particulier de Pierre Jou-
226
POLITIQUEMENT
INCORRECT
bert), les romans scouts, les ouvrages techniques
sur le scoutisme, les affiches, les cartes postales
et autres documents, les objets et habits scouts.
Le père Argouac’h fit une razzia sur les revues
(spécialement celles d’avant-guerre s’adressant
aux Chefs) et sur les ouvrages techniques.
Les romans scouts du « Signe de Piste » vendus en lots partaient à des prix mettant chaque
roman à une moyenne de 5 à 10 € le livre.
Au détail, les marchands demandent à présent
plutôt 10 à 15 € par volume, selon leur rareté,
les volumes avec jaquettes papiers des années de
l’immédiat après-guerre étant les plus recherchés,
car les plus difficiles à trouver en bon état.
Jean-Louis Foncine et Jean-Claude Alain tentaient en vain de racheter leurs propres livres.
Foncine dut se contenter de s’offrir les 5 volumes de La fusée, supplément annuel du Signe de
Piste, publié en 1953, 1954, 1955, 1974 et
1975/1976 (75 €).
Jean-Claude Alain dut renoncer à acquérir
huit de ses propres romans publiés dans les
années cinquante chez Casterman, Roitelet,
Soleil Levant, Jamboree (180 € les 8 volumes).
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
227
Les dessins originaux de Pierre Joubert
Mais ce sont les dessins originaux de Pierre
Joubert et les objets scouts qui, dépassant les
estimations pourtant fortes, ont créé la surprise.
Les dessins originaux de Joubert, tout d’abord :
plusieurs encres de couleur, de petit format
(11x15 cm) pour un livre de la collection Cadet
Détective, partirent entre 200 et 400 € chaque,
tandis qu’un petit portrait de jeune scout
(4x13 cm) se vendait 230 €. Les estimations de
l’expert étaient situées entre 150 et 180 € pour
chacune de ces illustrations. Enfin une gouache
en couleurs pour la couverture d’un roman qui
n’était d’ailleurs pas un Signe de Piste ni un Bob
Morane (ce sont les couvertures de Pierre Joubert
les plus recherchées) partit à 600 €.
Parmi les objets scouts, il faut signaler des
mâts de meute (100 à 130 €), une fourche de
chef routier (50 €), des fanions de patrouille ou
de guide (100 à 130 €), et surtout un superbe
bâton des Scouts de France, décoré de nombreux
pictogrammes en couleurs et dessins indiens,
ainsi que d’une croix potencée rouge avec gravure « Ardèche, Morvan » (230 €). Un record,
très certainement, pour ce genre d’objets, plus
décoratif et plus chargé d’ émotion que bien des
228
POLITIQUEMENT
INCORRECT
objets présentés au nouveau musée Chirac des
« Arts premiers ».
Record encore, pour un drapeau tricolore avec
franges dorées de la 10e Troupe des scouts de
France de Rennes, groupe Jean Charcot. Années
trente, indiquèrent les spécialistes présents dans
la salle, alors que le catalogue annonçait « années
cinquante ». Après une furieuse bataille d’enchères, cette pièce superbe, estimée 150 €, fut adjugée quatre fois ce prix à un collectionneur au
grand désespoir du père Argouac’h qui la convoitait pour son musée scout de Riaumont.
Un musée scout, et un centre de documentation
scoute qui, néanmoins, à l’occasion de cette vente,
se seront enrichis de quelques belles trouvailles,
pour le plus grand profit de la mémoire scoute.
Hergé, dessinateur du scoutisme
Les grandes ventes aux enchères dites de « tintinomania » nous ont révélé l’œuvre d’Hergé des
origines, quand le créateur de Tintin jouait les
Pierre Joubert belge et illustrait les livres et
revues du scoutisme.
Ces ventes nous ont permis en effet de découvrir des collections du Boy-scout belge, introu-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
229
vables, bien évidemment, en France. Chacune
des quatre années de parution de cette revue
trouvent preneur entre 500 € (1927) et 750 €
(1930). C’est dans Le Boy-scout belge que paraît
Totor CP des Hannetons, sorte d’ébauche du
futur Tintin.
De nombreux autres dessins d’Hergé figurent
dans des revues rarissimes comme Le Blé qui
lève, hebdomadaire de l’Association catholique
de la jeunesse belge (un numéro spécial a trouvé preneur à 130 € au cours de l’une de ces
ventes), L’Effort, autre hebdomadaire catholique
s’adressant cette fois aux plus de 16 ans (il faut
payer 70 € environ pour s’offrir un exemplaire),
ou encore Les Dossiers du bulletin des chefs, publication destinée aux chefs et routiers du scoutisme belge. Le dessin de couverture représente un
scout devant le Christ-Roi. Il est signé Hergé. Et
un collectionneur en a donné 200 € pour se
l’offrir.
Un manuel de technique scoute (1931)
Partons en hike ! illustré de 11 petits dessins noir
et blanc d’Hergé s’est vendu 300 €. Trois cents
euros, aussi, pour Cancan, une revue scoute
ronéotée de dix pages dont la couverture est
illustrée d’un beau dessin d’Hergé.
230
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Un livre de chants scouts édité par l’Unité
Saint-Louis dans les années trente et intitulé
Hardis, a trouvé preneur à 200 €, parce qu’il
comportait deux dessins signés Hergé, et inconnus à ce jour.
Hergé a également illustré plusieurs livres
scouts ou catholiques comme L’âme de la mer,
Pour un ordre nouveau, L’histoire de la guerre scolaire, dont l’auteur n’est autre que Léon Degrelle, Mile, Le Christ, roi des affaires, La légende
d’Albert Ier, Le carnaval de Binche. Certains de
ces ouvrages se sont arrachés jusqu’à 500 €.
Quelle leçon tirer de ces ventes de Tintinomania ? Pour le commun des mortels, il est déjà
trop tard pour se lancer dans la collection du
scoutisme façon Hergé.
Chapitre 37
Soldats de plomb : antimilitaristes s’abstenir
Peut-il y avoir plus grand bonheur que celui
de contempler deux ou trois étagères de soldats
de plomb ?
En rang par six comme pour un 14 juillet,
précédés de drapeaux et de la clique, ils représentent à la fois le retour à l’enfance, le goût de
la qualité – heureuse époque où l’on peignait les
jouets à la main et où le plastique n’existait pas –
et, consciemment ou non, une certaine idée de
la France.
La très grande variété des uniformes a inspiré
les créateurs de ces petits personnages en plomb.
L’épopée napoléonienne domine complètement le royaume du soldat de plomb. Le nostalgique de l’époque coloniale s’offrira, quant à
lui, des boîtes de « Fuscos à l’attaque », « Goumiers et spahis », « Infanterie de marine affrontant des indigènes ». Les plus beaux sont sans
232
POLITIQUEMENT
INCORRECT
conteste les « soldats de l’armée des Indes », des
Anglais, certes, mais de l’époque Kipling et
Baden Powell !
Les adeptes du tricolore n’ont que l’embarras
du choix, car l’âge d’or du soldat de plomb s’est
situé précisément à une époque qui va de 1870
à 1914 où – mis à part le fâcheux intermède de
l’affaire Dreyfus – les cris de « Vive l’armée » et
de « Vive la patrie » ralliaient tous les Français.
Bien souvent le petit garçon avait pour seuls
jouets une toupie, un cerceau et sa boîte de soldats de plomb. Les plus courants étaient ceux de
la marque Lucotte ou CBG ; ils étaient de forme
ronde-bosse, c’est-à-dire en relief, et mesuraient
environ 5 cm. Mais on rencontrait aussi des
sujets de plus petite taille et plats, les fameux
Nuremberg, très pratiques pour la réalisation de
dioramas et la reconstitution, presque nombre
pour nombre, des grandes batailles de jadis.
Dans les années trente et quarante, en Allemagne, en Belgique, et peut-être ailleurs (Suisse ?), certains fabricants utilisèrent des mélanges
de plâtre, farine, des sortes de matières plastiques
avant l’heure, comme le gutta percha ; la marque
Elastolin a notamment produit des figurines
extrêmement fines de soldats allemands, qui sont
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
233
aujourd’hui très collectionnées. Ces matières se
prêtaient mieux que le plomb au travail de
modelage, semblait-il.
Mussolini en soldat de plomb
Le flambeau du soldat de plomb de qualité n’a
véritablement été repris qu’à une époque récente par des artisans qui sont de véritables artistes.
Le petit soldat a perdu sa fonction ludique
(d’autant que le plomb est un métal toxique) et
il est devenu objet de décoration et de collection. Les Espagnols, seuls, ont maintenu (au
moins jusqu’à la mort de Franco) la tradition des
productions en grandes séries et accessibles à
toutes les bourses, avec leurs Allemands marchant au pas de l’oie, les phalangistes, les carlistes, les personnages historiques.
Le prix d’un soldat de plomb ? Il faut compter au minimum 23 € pour un ronde-bosse,
50 € s’il s’agit d’un cavalier ou d’un personnage
plus rare que le simple piéton défilant. Les
Nuremberg valent moins cher, d’autant qu’ils se
vendent souvent par lots relativement importants. Il est donc possible d’en trouver autour de
4 ou 5 € l’unité. Pour se procurer un ChiangKaï-shek, un Franco ou un Mussolini, il était
234
POLITIQUEMENT
INCORRECT
plus économique, jusqu’à une époque récente, de
faire le voyage à Madrid plutôt que d’aller passage du Havre à Paris.
Notons qu’Ebay a fait nettement chuter les prix,
car la vente entre amateurs, sans l’intermédiaires
des marchands, en est grandement facilitée.
C’est généralement au hasard que tout collectionneur doit ses plus belles trouvailles. Puis-je
résister à l’orgueil de vous décrire le clou de ma
collection personnelle ? Il s’agit d’un petit lot de
personnages, acheté pour l’équivalent de 45 €,
chez un brocanteur d’Angoulême lors d’un voyage avec Alain Sanders et le dessinateur Aramis, il
y a quelques années : Mussolini à cheval, bras
tendu, le Négus à cheval, un chemise noire, deux
soldats de l’armée régulière italienne, deux
Éthiopiens… Des jouets d’enfants datant de la
guerre italo-éthiopienne, et malgré cela, dans un
état de conservation exceptionnel.
Chacun en tirera la morale de son choix.
Chapitre 38
Louis Suire, peintre, éditeur, illustrateur,
d’une Île-de-Ré « d’avant Jospin »
Louis Suire (1899-1987) est un Rochelais
–entendez : un habitant de La Rochelle – qui a
peint toute sa vie la Charente maritime, ses principaux paysages, à commencer par le port de La
Rochelle, l’île de Ré, l’île d’Oléron.
Son œuvre picturale couvre la période qui va
des années trente aux années quatre-vingt, qui
est celle de l’extraordinaire boum touristique de
cette région.
Suire veut très vite vivre de son pinceau et fréquente les peintres professionnels dès son plus
jeune âge. L’artiste a eu comme maître Louis
Giraudeau, peintre de l’île de Ré à qui l’écrivain
Henri Béraud racheta les Trois Bicoques en
1922, grand oncle de l’acteur Bernard Giraudeau
(Bernard Giraudeau qui, tout jeune acteur, joua
dans la pièce de Robert Brasillach, La Reine de
236
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Césarée). C’est le peintre Giraudeau qui fit
connaître l’île de Ré au jeune Suire (il avait alors
13 ans). Plus tard Louis Suire acheta lui aussi
une « bicoque » sur l’île de Ré, dans un hameau
à demi ruiné du bout de l’île, « La Rivière », un
hameau qui est devenu aujourd’hui l’un des
endroits les plus prisés de l’île… Inutile de vous
dire que les ruines ont été relevées depuis longtemps, dans ce hameau dont tous les habitants
doivent être à présent imposés sur la fortune.
Louis Suire a peint l’île de Ré, l’île des années
trente et cinquante, l’île d’avant le pont (1988),
bien entendu. C’est l’île des moulins, des ânes
en culottes, des femmes portant la « quichenotte », la coiffure traditionnelle, à la sortie de la
messe. C’est un peu l’île de Suzy Solidor, d’Henri Béraud, de Paul Colin, de Pierre Daye. Ce
n’est pas celle de Jospin, de Toubon, de Guy
Bedos et de Régine Desforges.
Et si Louis Suire a contribué au succès de l’île,
ce succès rejaillit à son tour sur l’œuvre de Louis
Suire, et a considérablement augmenté le nombre de ceux qui collectionnent ses tableaux.
Qu’est-ce qui fait le succès de cet artiste ?
C’est que sa palette a su tirer le meilleur parti
des maisons blanches, des ciels bleus, des éten-
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
237
dues d’eau (mer ou marais poitevins) et des massifs de roses trémières. Ce sont des paysages que
l’on aurait pu croire réservés au Portugal, des
luminosités de Côte d’Azur. Tout cela, au fond,
assez peu connu jusqu’à une date récente, et
assez peu exploité par les peintres.
En 1926, le peintre se fait éditeur, aussi. Il
crée les éditions À la Rose des vents, et va
publier une trentaine d’ouvrages en cinquante
ans. Ces livres sont parfois écrits par lui, parfois
par d’autres, mais sont illustrés de ses dessins,
pastels et aquarelles.
L’anti-Jospin, sur l’île de Ré
La qualité des papiers utilisés, les petits tirages,
les sujets –uniquement des thèmes régionalistes
– ont fait que ces livres sont désormais très collectionnés. D’autant que, raconte son fils Claude
Suire, « les illustrations étaient reproduites en
typographie, mais mon père les colorait toutes à
la main et pour chaque volume ! C’était un travail de fourmi, de bénédictin, même, qui durait
tout l’hiver et davantage ». la cote de tels livres ?
La librairie Quillet, à Loix, propose L’île d’Oléron, paysage et histoire (1954) à 230 €, Quatre
héroïnes d’amour au pays de Poitou et de Sain-
238
POLITIQUEMENT
INCORRECT
tonge, par Maurice Rat (1957) à 260 €, Ré en
1627, par Guy Marion (1967) à 380 € ou
Images du pays d’Ouest (1970) à 275 €.
On constate une cote déjà impressionnante
pour des livres somme toute récents.
Suire a illustré une dizaine d’autres ouvrages,
réalisés par d’autres éditeurs, et écrits notamment par P.J. Toulet, Gaston Chéreau (Le Vent
du destin), Eugène Fromentin (Dominique).
Quelles étaient les idées de Louis Suire ? Assez
éloignées de celles des « bobos » qui envahissent
l’île de Ré en août. Lisez Images du pays d’Ouest,
et vous constaterez qu’il se plaçait résolument du
côté des Vendéens contre les colonnes infernales,
du côté de la foi et de la fidélité, contre un certain « monde moderne ». Comme le peintre
Fernand Maillaud, en Berry, Louis Suire a illustré le bonheur de vivre dans une France rurale
préservée longtemps des miasmes de la corruption des villes. Un équilibre, une harmonie, qu’a
su fixer à jamais sa peinture.
Chapitre 39
Timbres : il y eut de bonnes années
Rien de plus agaçant qu’un collectionneur de
timbres, polarisé par ce seul sujet. Reconnaissons
pourtant que le timbre-poste est un témoin
remarquable de son époque. À travers le timbreposte, l’histoire de France commence seulement
avec Napoléon III. La guerre de 1870 et le siège
de Paris ont donné lieu à des envois de courrier
par ballons. Cinquante-six ballons montés, partis
de Paris, ont transporté vers la province et l’étranger du courrier et des journaux. Leurs affranchissements font le bonheur des collectionneurs.
Ni l’anticléricalisme d’avant 1914 ni le Bloc
national et le Cartel des gauches d’après la victoire, ne se traduiront philatéliquement parlant,
par une production engagée. Tout au plus peuton noter qu’il est dans l’air du temps de fêter
Jeanne d’Arc en 1929 (timbre du 5e centenaire
de la délivrance d’Orléans), et l’Algérie française
240
POLITIQUEMENT
INCORRECT
en 1930 (centenaire de l’Algérie française : vue
prise de Mustapha supérieur, à Alger).
Ce sont les hommes du Front populaire, en
fait, qui, les premiers, vont utiliser le timbre à
titre de propagande. En 1936 et 1937, on ne
compte pas les séries vendues au profit des chômeurs intellectuels (sic !) des réfugiés politiques,
des œuvres sociales des PTT, du Rassemblement
universel pour la paix… Portraits de Jean Jaurès,
de Gambetta, de Victor Hugo, scènes de la Révolution française.
C’est à cette époque, aussi, où l’inculture
triomphe, qu’est commise la plus connue des
bourdes philatéliques : un portrait de Descartes
à l’occasion du tricentenaire du « Discours sur la
méthode » (au lieu du Discours de la méthode).
Pendant les quatre années que va durer l’État
français, le timbre-poste va servir à entretenir le
patriotisme et l’unité nationale : les effigies du
maréchal Pétain figurent en nombre, et attestent
de la popularité du vainqueur de Verdun. Mais
le seul timbre de propagande est celui édité au
profit de la Légion tricolore, armée politique
destinée à « représenter la France sur tous les
théâtres d’opération où nos intérêts nationaux
sont en jeu ».
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
241
Les timbres de la Légion tricolore se présentent sous forme de bandes verticales, l’une bleue,
l’autre rouge, séparées par une bande blanche.
Après la guerre, le timbre conserve et accentue
sa fonction de révélateur des conflits idéologiques. La Résistance devient le premier des
sujets philatéliques, tandis que des timbres sont
émis à la gloire de Proudhon, Blanqui, Louis
Blanc (1948), Paul Langevin (1948), Danton et
Robespierre (1950), Jules Ferry (1951), Rousseau (1956), Jules Guesde (1957), Léo Lagrange
(1957), Jaurès encore (1959), Marc Sangnier
(1960), Camus (1967), Gide (1969), De Gaulle
(1971), mais aussi Péguy (1950), Saint Louis
(1954), Honoré d’Estienne d’Orves (1957), le
père de Foucauld (1959), Louis-Marie Grignon
de Montfort (1974), Marie Noël et Bernanos
(1978), etc.
À partir de 1981, toutefois, la balance penche
à nouveau nettement à gauche, comme si la
France n’avait produit que des Marx Dormoy,
des Flora Tristan, des René Cassin et autres Vincent Auriol.
Et nous avons dorénavant droit chaque année
à un timbre maçonnique, comme le remarquait
récemment Présent.
242
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Un timbre Louis XVI ? Oui : aux Maldives
Pour acheter un beau timbre de Louis XVI ?
Il faut aller jusqu’aux Maldives ! Car si la poste
française n’a pas jugé nécessaire de consacrer le
moindre timbre à l’effigie du roi martyr lors du
bicentenaire de sa mort, les Maldives nous proposent un Louis XVI en costume d’apparat
absolument superbe pour 15 L.
D’autres pays n’ont pas été en reste : SaintMarin, le Togo et le Vietnam ont illustré l’arrestation du roi et de sa famille ; le Sierra Leone
nous offre un portrait du souverain. La République des Comores a représenté sur un timbre à
75 F Louis XVI montant à l’échafaud. Madagascar a illustré notre bon roi faisant ses adieux à sa
famille. Un timbre de Norfolk, enfin, montre
Louis XVI s’entretenant avec La Pérouse.
La France, elle, à la date du bicentenaire du
martyre du roi, a préféré publier un timbre
maçonnique. Hasard…
Chapitre 40
Tintin et la tintinophilie
Maniaques ou collectionneurs ? Il existe un
sous-groupe très particulier de l’espèce humaine :
il s’agit des tintinophiles. En octobre, on les rencontre au Salon de la bande dessinée, faisant
provision de boîtes de crabe extra (distribuées
par Omar Ben Salaad). Leurs vacances, ils les
passent au château de la Chapelle d’Angillon, où
ils visitent à dix reprises le musée Tintin
Ils consacreront un week-end d’hiver pour une
virée en Belgique, espérant rapporter dans leur valise un exemplaire du fétiche arumbaya à l’oreille cassée, dont un musée de Bruxelles vend des copies.
Ces fanatiques possèdent bien entendu tous
les albums d’Hergé dans les éditions les plus anciennes, celles qui comportaient un « dos toilé »
(en fait cartonné) rouge, jaune et parfois bleu.
Ils ont dans leur bibliothèque Le monde d’Hergé,
de Benoît Peeters, Tintin et moi, Entretiens avec
244
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Hergé de Numa Sadoul, L’école d’Hergé de François Rivière, le « Spécial Hergé » publié en 1978
par les Cahiers de la bande dessinée et surtout
celui que la regrettée revue Bédésup consacra à
l’immortel petit reporter belge.
Le Monde de Tintin
Ont-ils le rarissime ouvrage de Pol Vandromme, paru chez Gallimard en 1959 : Le monde de
Tintin ? C’est à partir de là, de cette possession,
que la tintinophilie trouve vraiment sa place
dans notre série de thèmes de collection politiquement incorrects.
La première étude de fond sur l’œuvre d’Hergé est en effet ce livre du critique belge Pol
Vandromme. Un livre, soit dit en passant paru
dans une collection où l’on trouve aussi l’enquête de François Brigneau : L’aventure est finie
pour eux (1962). Les collectionneurs qui s’arrachent le Vandromme (coté 130 €) ignorent vraisemblablement que ce même Pol Vandromme
est l’auteur d’un Robert Brasillach, d’un Drieu La
Rochelle, d’un Marcel Aymé, d’un Roger Nimier,
d’un Jacques Perret…enfin tout ce qu’on aime !
Pol Vandromme est le premier à avoir révélé
les ressorts psychologiques du monde d’Hergé.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
245
Le premier à avoir fait une lecture adulte de
l’œuvre hergéenne. Depuis lors le travail de Pol
Vandromme a été constamment pillé par tous les
exégètes du monde tintinesque, y compris par
ceux qui ont cherché à obtenir une espèce de
condamnation morale de l’œuvre d’Hergé, qualifiée de raciste, colonialiste, cléricale et anticommuniste.
Mais ont paru depuis lors beaucoup de dossiers et de travaux qui ont totalement renouvelé
l’approche de l’univers de Tintin.
Je pense d’abord au catalogue de l’exposition
Tintin de 1985 au château de La Chapelle d’Angillon (vendu l’équivalent de 7,5 € à l’époque,
il était déjà recherché l’été suivant par les collectionneurs). Jean d’Ogny, le maître d’œuvre de ce
catalogue, avait travaillé dans le respect total de
la dimension héroïque des albums de Tintin.
Second document : le numéro 80 d’une revue
aujourd’hui disparue : L’Astrolabe, intitulé La
bande dessinée : un sujet trop sérieux pour ne pas le
laisser aux enfants. C’était un panorama de la
bande dessinée actuelle et passée, vue de droite. Il
a fait grincer quelques dents du côté des adeptes
de la BD écolo-porno. Tintin tenait une large
place dans cette étude : « Pour comprendre notre
246
POLITIQUEMENT
INCORRECT
monde, lisez Tintin » ; « 50 ans avant Soljenitsyne : Tintin au pays des Soviets ». Et puis il y
avait ce dessin de Jouannic pour illustrer l’article
« la BD est de droite » où l’on voyaitt un Tintin
dont le visage rappelait étrangement celui de JeanMarie Le Pen . Diffusé à Angoulème, le numéro
fit scandale, et l’affaire faillit mal tourner pour les
diffuseurs de cette sympathique revue.
Il y eut ce Bédésup qui titrait « Tintin for president », et dont la couverture s’ornait d’un magnifique portrait en pied de Tintin par Aramis.
Trois autres publications, extrêmement rares et
recherchées, feraient le bonheur de bien des Tintinophiles, mais elles sont totalement interdites.
Il y a d’abord la plaquette d’Olivier Mathieu,
publiée en 1990, et intitulée De Léon Degrelle
à Tintin. À l’époque on pouvait se la procurer
pour l’équivalent de 6 € auprès de la revue de
poésie belge Altaïr. J’estime aujourd’hui sa cote
à 60 € au moins.
Tintin son copain
Quelques années plus tard, très précisément en
1993, plusieurs journalistes de Présent, dont votre
serviteur, publiaient Hergé et nous, un ouvrage
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
247
d’une centaine de pages illustré par Aramis et
Chard. Les foudres de la Fondation Hergé tombèrent sur l’éditeur. Il s’en suivit une lourde
condamnation et l’interdiction absolue de diffuser
ce livre, dont le tirage n’avait pas été conséquent,
en toute hypothèse. Hergé et nous n’a donc connu
qu’une diffusion de quelques centaines d’exemplaires. Il s’en vendait sous le manteau au prix de
75 €, il y a quatre ou cinq ans. Un exemplaire a
été proposé en salle de vente, récemment, mais je
ne sais quel sort lui a été réservé. Périodiquement
je suis contacté par des collectionneurs qui se
disent prêts à débourser 150 € et plus pour
l’acheter. Mais hélas, je ne peux rien leur proposer. Sinon je serais un homme riche !
Dernier ouvrage, lui aussi rapidement interdit : le magnifique Tintin mon copain, de Léon
Degrelle, paru en décembre 2000. Le 19 janvier
2005, la librairie parisienne La Licorne bleue
était condamnée à 4 000 € d’amende, et son
gérant à quatre mois de prison avec sursis, pour
avoir vendu cet ouvrage. Oui, vous avez bien lu,
pour avoir vendu un livre, un libraire, en France,
a été récemment condamné à de la prison et à
une forte amende. Il semble que même la simple
possession de ce livre, à titre privé, soit interdi-
248
POLITIQUEMENT
INCORRECT
te. Abondamment illustré, cet ouvrage est magnifique. Inutile de vous dire que je le possède.
Mais la cachette est inviolable…
En résumé : il est impossible qu’un tel tir
groupé venu de la droite n’ait pas d’influence sur
les tintinophiles qui n’avaient déjà peut-être pas
besoin de cela pour œuvrer dans la bonne direction…, ceci malgré les procès et les interdits.
Une chose est sûre : amis lecteur, découpez et
conservez soigneusement ce chapitre. Si vous
rencontrez un tintinophile, vous pouvez le lui
échanger, ou le lui vendre à prix d’or !
Tintin vendu (aux enchères)
Qui aurait pu imaginer que Tintin deviendrait
une vedette des salles de vente ? Qui aurait admis
qu’on puisse vendre un jour un album Tintin au
prix d’un incunable du Moyen Âge, et un dessin
original d’Hergé au prix d’un Van Gogh ?
L’engouement pour la bande dessiné antique
d’une manière générale, et plus spécialement
pour l’œuvre d’Hergé, a commencé à se faire
sentir au début des années quatre-vingt. Cet
intérêt a correspondu à l’accession au pouvoir
d’achat de la génération des ex-adolescents de
l’après-guerre jusqu’à la fin des années soixante,
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
249
qui pouvaient éprouver éventuellement un brin
de nostalgie pour les Spirou, Tintin, Cœurs vaillants et autres Pilote de ces années-là que l’on dit
avoir été l’âge d’or de la bande dessinée.
Mais les premières ventes aux enchères spécialisées ont traité la bande dessinée comme un
produit bas de gamme. Les cotes étaient encore
modestes, et aucun commissaire-priseur ne
croyait vraiment à l’avenir de ce thème de collection. Les premières ventes, à Drouot, reléguèrent la BD ancienne et les dessins originaux des
maîtres au rang de la collection de boutons, ou
de cendriers publicitaires. C’est amusant, mais ce
n’est ni médiatique ni lucratif.
Le premier à avoir compris que le public amateur de BD ancienne pouvait lui aussi être attiré dans les salles de vente a été le libraire parisien Roland Buret (6, passage Verdeau, 75009
Paris). Un catalogue bien fait, un peu de publicité chez les clients habituels de la librairie et
dans les revues spécialisées, une marchandise de
qualité, sortant de l’ordinaire, l’aventure méritait
certainement d’être tentée.
L’une de ces premières ventes de qualité eut
lieu en 1989 à Drouot, il y a donc plus de 15
ans. Ce jour-là, les commissaires-priseurs, alors
250
POLITIQUEMENT
INCORRECT
associés, Néret-Minet et Couteau-Bégarie, dispersèrent environ 300 lots.
Et tout de suite les albums Tintin et les objets
Tintin se trouvèrent en tête de la demande. Une
planche originale de l’album L’Oreille cassée, qui
avait été estimée par Roland Buret entre 4 500
et 5 000 € (du moins l’équivalent en francs),
trouvait finalement preneur à 140 000 francs,
soit pratiquement 20 000 €. La plupart des
autres estimations étaient également pulvérisées.
Un amateur déboursait par exemple 6 000 F sur
estimation de 2 000 F pour une lettre autographe d’Hergé avec dessin original à l’encre
noire représentant Tintin et Milou signée.
À cette occasion, les spécialistes ont pu constater également que les albums Tintin se collectionnaient à présent comme les timbres. De
même que le vrai philatéliste cherche les dentelés et les non-dentelés, et tous les types correspondant à des retirages de planches de timbres
différents, de même le tintinolâtre cherche à
décliner la gamme des 24 albums Tintin dans
tous les types d’édition possibles : en noir et
blanc, avec de grands dessins couleurs hors texte,
dos toilé jaune, rouge, bleu, et toutes les variétés identifiables au deuxième plat, qui donnait
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
251
les titres au catalogue de la maison Casterman,
et qui permet ainsi de deviner l’année de parution (le copyright n’a aucune signification).
Au cours de cette même première vraie vente
spécialisée de 1989, une simple carte de vœux
des studios Hergé, signée, non d’Hergé, mais de
sa veuve, trouvait amateur à 700 F. Signe, là
aussi, d’un engouement pour un thème secondaire de collection hergéenne : la carte de vœux
des studios Hergé.
Mais cette vente de 1989 allait-elle être un
simple feu de paille ? Trois mois plus tard, les
mêmes commissaires-priseurs, au même endroit,
avec le même expert, dispersaient une nouvelle
collection de bandes dessinées. Même succès.
Même succès d’audience, même succès médiatique. Mais surtout même succès financier. Avec
toujours cette prédominance de la demande sur
l’œuvre d’Hergé.
D’où l’idée d’organiser, en décembre 1990,
une très grande vente, un événement médiatique, autour de Tintin. Un superbe catalogue
tout en couleurs fut édité ; il était lui-même destiné à être collectionné, une fois la vente passée.
Ce qui a bien été le cas (5 500 exemplaires vendus !).
252
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Trois cents personnes se pressaient ce 8 décembre 1990, à l’espace Kronenbourg, avenue
Georges-V, pour se partager, sur la journée entière, environ 500 lots.
Dans la foule, on reconnaissait le chanteur
gauchiste Renaud, Paul-Loup Sulitzer, Patrick
Segal et diverses autres vedettes du tout-Paris.
Cette vente rapporta environ deux millions de
francs, 64 % des lots ayant dépassé l’estimation
de l’expert, Roland Buret.
Le produit final de cette quatrième vente professionnelle était supérieur au total des trois premières, confirmant s’il en était besoin, que
Tintin était désormais une valeur sûre dans un
marché de l’art fluctuant. Le dessin vedette de la
vente, une couverture originale en couleurs des
Cigares du pharaon fut vendue séparément, dans
les coulisses (donc hors taxes) pour la modique
somme de 3 100 000 F (elle avait été achetée
150 000 F sept ans plus tôt).
Depuis lors, Tintin s’est retrouvé plus d’une
fois dans les salles de vente, en particulier en
1992, où 400 lots hergéens furent dispersés.
Mais désormais les salles de vente de province
font aussi du Tintin. À Laval, une vente est
organisée chaque année depuis 1992.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
253
Internet a contribué à ralentir l’inflation.
Grosso modo, les pièces de moyenne gamme,
surtout si elles présentent l’usure (normale)
d’une bande dessinée qui a été beaucoup lue, ne
se vendent pas à plus de 50% de la cote officielle. Mais ceci n’est pas vrai pour les documents et albums les plus rares, qui ne se vendent
d’ailleurs pas par ses canaux là.
Faut-il s’inquiéter qu’un art mineur comme la
BD, que l’œuvre hergéenne, aussi futile, soient
ainsi mis à l’honneur et fassent l’objet de telles
spéculations ? Regardez l’art moderne, regardez
la culture hip-hop à la Jack Lang, le succès du
rap-tag dans la culture dominante et vous vous
direz qu’après tout la petite saga Tintin est beaucoup plus porteuse de valeurs que cette « avantgarde » artistique, si parisienne, si frelatée.
Chapitre 41
Trains électriques : une idée de l’infini
Marchand de trains de collection ! Peut-il exister plus beau métier ? En ouvrant boutique au
65 rue Laugier dans le XVIIe arrondissement de
Paris, Laurent de Beauvais a très certainement
réalisé un rêve de jeunesse.
L’enseigne de la boutique de Laurent de Beauvais
représente un train et une gare, pas n’importe
laquelle, celle de… Beauvais, bien entendu. Ce collectionneur, fils de collectionneur, a rassemblé dans
cette caverne d’Ali Baba ludique des centaines de
trains et de wagons miniatures de toutes marques :
grosses machines à vapeur d’avant-guerre, Trans
Europ Express, luxueuses voitures Pullman ; les
vitrines de sa boutique ressemblent à une gare de
triage, la plus belle des gares de triage. D’autant
que les décors sont tout aussi exceptionnels : gare
en tôle de marque Bing, tirelires-kiosques Menier,
voitures, personnages, maisonnettes. Tout cela en
256
POLITIQUEMENT
INCORRECT
plastique, parfois, mais le plus souvent en tôle
lithographiée ou en plomb. Laurent de Beauvais
avoue éprouver un plaisir tout particulier à réaliser
les décors de sa vitrine.
Ce n’est pas le réalisme de l’objet miniaturisé que
l’on cherche à mettre en valeur, ici, mais plutôt le
caractère naïf et plaisant à l’œil de ce qui a été
d’abord et avant tout un jouet d’enfant. On joue
en effet au train électrique ou au train tout court
depuis prés de cent cinquante ans.
Dès 1859, le prince impérial avait son petit train
installé dans le parc de Saint-Cloud. Un train déjà
très réaliste avec sa locomotive d’un mètre de long,
son viaduc, sa gare.
La miniaturisation
Plus nous nous rapprochons de l’époque
contemporaine, et plus le train-jouet se miniaturise, exiguïté des appartements oblige. Il se généralise, aussi, devenant réellement bon marché,
avec les marques françaises Jef et Jouef et la
marque franco-anglaise Hornby, tandis que, dans
le haut de gamme, l’Allemand Märklin s’impose. L’échelle de nos grands-parents, c’est le 1/43e.
Après la guerre apparaît l’échelle dite HO, la
plus répandue aujourd’hui (1/87e). Elle permet
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
257
de faire circuler un réseau sur une grande table
de salle à manger, par exemple. À partir de
1964, la miniaturisation franchit un nouveau pas
avec les échelles N ou Z (1/160e et 1/220e). Les
locomotives sont de vrais petit chefs-d’œuvre de
mécanique, mais que reste-t-il du plaisir du ferrovipathe – c’est ainsi que l’on nomme les amateurs de trains-jouets – quand il faut une loupe
pour apprécier sa collection ?
Le ferrovipathe est-il de droite ou de gauche ?
Grave question, mais qui, curieusement, ne
semble pas, jusqu’à présent, avoir passionné les
politologues. Il y a en France 50 000 amateurs
de chemins de fer miniatures d’âge adulte (ou
censés l’être). Qu’une partie d’entre eux appartienne à la gauche, ce n’est malheureusement pas
impossible, en particulier chez les retraités
SNCF convertis sur le tard aux joies du trainjouet après avoir épuisé celles des vrais trains (et
nous avoir épuisés par leurs grèves à répétition).
Mais le train électrique est un jeu qui, par
essence, implique un certain goût pour l’ordre,
la logique, la discipline. Les convois doivent
pouvoir circuler dans tous les sens, se croiser,
s’arrêter, repartir, changer de voie, sans jamais se
percuter ou dérailler.
258
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Un rail, dans son parfait parallélisme, donne
une idée de l’infini. Ce qui nous amène à Dieu.
Et puis, pas de lutte des classes, ici. L’amateur
véritable apprécie autant les wagons de 1re ou de
2e classe, voire les anciens 3e classe de la
Deutsche Reichsbahn.
Le fascinant, dans un réseau en mouvement,
c’est cet ordre universel : tout bouge, tout vit,
mais tout est ordonné par la volonté du Grand
Horloger, en l’occurrence le ferrovipathe luimême. C’est pourquoi, sans doute, les collectionneurs de trains-jouets sont légion, à droite.
L’un des plus grands collectionneurs, Michel
Desgranges, fut longtemps secrétaire général de
l’Association professionnelle de la presse monarchique.
Quant au regretté Henri Vincenot, le grand
romancier de la Bourgogne et de la SNCF, il se
situait plutôt dans la mouvance littéraire d’un
Marcel Aymé ou d’un Jacques Perret.
Dans l’histoire des droites, le chemin de fer a
toute sa place. Il est présent aux heures tragiques : c’est le train qui écrase le conseiller Prince, mettant un terme abrupt à l’affaire Stavisky ;
c’est le train blindé de l’amiral Koltchak, face
aux hordes rouges de Trotski et Frounze. Un
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
259
train blindé qui, soit dit en passant, avait tout
de même une autre allure que le wagon plombé
de Lénine !
Le général Boulanger
Mais le train est également associé aux épisodes exaltants. C’est le wagon de Rethondes,
apothéose de la carrière militaire de Foch et de
Weygand. C’est l’exil clermontois du général
Boulanger ; tous les chromos de l’époque ont
illustré cet épisode : des milliers de Parisiens tentent de s’opposer au départ de leur héros, le
général Revanche. Ils ont envahi les quais de la
gare de Lyon. Certains d’entre eux se sont couchés sur la voie ferrée (Déroulède les fera lever
d’un geste de sa canne).
Boulanger monte sur la machine haut le pied,
et salue une dernière fois la foule. Il reviendra à
Paris en héros national dès l’année suivante,
avant de connaître le destin que l’on sait. C’est
sans doute par référence à cette scène que Laurent de Beauvais a accroché dans sa boutique un
grand portrait polychrome du général Boulanger,
qui semble désormais présider aux destinées d’un
univers pour lilliputiens. La roche tarpéienne est
proche du Capitole, semble nous rappeler
260
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Ernest-Georges Boulanger. Et le Capitole, comme chacun sait, est l’un de nos plus beaux trains,
la pièce maîtresse de toute collection qui se respecte…
Laurent de Beauvais (65, rue Laugier, 75017
Paris).
Chapitre 42
Travail-Famille-Patrie : + 10 %
Lu dans Timbroscopie, le magazine de la philatélie active : « Travail, Famille, Patrie :
+ 10 % ». Voici une information qui réjouira
tous ceux qui sont attachés à ce triptyque de
valeurs incontournables.
Évidemment – et on ne peut que le regretter –, Timbroscopie ne fait pas allusion à une
progression des idées sous-tendues par ces trois
mots, ni même à une progression électorale des
défenseurs du Travail, de la Famille, de la Patrie.
Il s’agit, plus prosaïquement, de la cote des
timbres-poste consacrés à ce thème. D’une année
sur l’autre, en effet, les catalogues de timbresposte ont répercuté cette hausse de 10 %.
C’est néanmoins un bon signe car, jusqu’à présent, l’État français avait mauvaise presse chez les
philatélistes. Les timbres de cette époque voyaient
leur cote stagner de façon décevante. Pourquoi
262
POLITIQUEMENT
INCORRECT
cela ? Parce que ces timbres ont été achetés en tant
que valeur refuge, stockés dans les armoires, sous
les piles de draps, ou enterrés avec bijoux et louis
d’or, dans la lessiveuse, au fond du jardin.
Quand la guerre a pris fin, des planches
entières de timbres neufs ont refait surface, provoquant un marasme dans le « Pétain », ou dans
le « Travail, Famille, Patrie ». C’est précisément
la fin de ce purgatoire que nous annonce l’envolée de la cote. Plus 10 %, ce n’est pas rien dans
un marché globalement très calme.
À quoi attribuer cette progression ? Sans doute
à l’engouement sur le thème de la dernière guerre et de l’Occupation chez les philatélistes. Et
puis il y a cet interdit jeté sur tout ce qui est
souvenirs maréchalistes. L’attrait du péché joue à
plein. Il n’en reste pas moins que les timbres de
cette époque sont encore abordables, et à la portée de (presque) toutes les bourses.
Tous les timbres des années noires
Chez Philatélie-Nation, par exemple (16, passage des Panoramas, 75002 Paris) il est possible
d’acheter la totalité des timbres français parus
entre 1940 et 1944.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
263
De tels lots ne comportent toutefois pas les
timbres émis pour l’affranchissement du courrier
des soldats de la Légion des volontaires français
contre le bolchevisme. Un cadeau inattendu (et
à présent un peu coûteux) à faire à un jeune philatéliste politiquement incorrect.
Le thème des Chantiers de la jeunesse provoque également un fort engouement. Un petit
opuscule consacré à l’histoire postale des Chantiers de la jeunesse nous donne de précieux renseignements sur la cote des entiers postaux
(cartes postales à thème dont le timbre est imprimé et non pas collé) et des cachets postaux émis
par les Chantiers de jeunesse
En gros, de tels documents valent ne trentaine d’euros. Il faut compter 75 € pour un entier
postal et jusqu’à 100 € pour certaines marques
de la Jeunesse ouvrière française en Allemagne,
Chantiers de jeunesse de la Marine, FFI-Chantiers de la jeunesse des Pyrénées-Gascogne.
Une conclusion plus politique que philatélique
Les auteurs de cette plaquette concluent ainsi
leur étude : « Si l’on considère l’étroitesse de la
marge de manœuvre qui était nécessairement celle
264
POLITIQUEMENT
INCORRECT
des chefs en des temps si difficiles, on ne peut
qu’être frappés par le résultat globalement positif
qui fut celui de l’opération Chantiers de jeunesse. »
Une conclusion dont la portée dépasse largement le cercle des collectionneurs de timbres de
la Seconde Guerre mondiale, n’est-il pas vrai ?
Chapitre 43
Pol Vandromme
Vous avez forcément quelque part un « Pol
Vandromme » dans votre bibliothèque, si vous
êtes amateur de bonne littérature. Ceci pour
deux raisons : d’abord parce que Vandromme est
un écrivain belge qui s’est mis un jour au service de la littérature française. Ensuite parce que
Vandromme publie énormément, deux ou trois
livres par an, et sur des sujets assez divers, mais
touchant toujours au monde des lettres.
Né à Charleroi en 1927, directeur du journal
Le Rappel de Charleroi, ce voyageur immobile
qu’est Pol Vandromme mérite d’être « chiné »,
d’être collectionné, car aucun de ses innombrables livres n’est négligeable. Ce sont au contraire des ouvrages de référence, et qui font date.
À mes yeux les deux plus étonnants, très précieux pour un collectionneur, sont Le Monde de
Tintin (1959, coté 130 €) et La Droite buisson-
266
POLITIQUEMENT
INCORRECT
nière (1960). Le Monde de Tintin est la première étude sur l’univers d’Hergé. Avec une prescience étonnante, Vandromme a vu, à une époque où la bande dessinée était considérée comme
une lecture vulgaire, à laisser aux enfants (et
encore !), qu’Hergé était en train de bâtir une
œuvre, une œuvre géniale, universelle.
Vandromme a aussi révélé le premier les nondits de Tintin, et la lecture adulte qui pouvait en
être faite. Depuis lors psychologues, sociologues,
politologues, tintinophiles, tintinophobes – et
jusqu’à Léon Degrelle – ont décortiqué la saga
de ce jeune héros et de son chien Milou, de son
ami le capitaine Haddock. Mais, encore une fois,
Vandromme a été le premier, et longtemps le
seul, à avoir découvert du génie là où tout le
monde (à commencer par Hergé lui même)
voyait un petit talent d’amuseur. Bravo, Pol !
Le Monde de Tintin a été réédité en 1994 à La
Table ronde. Lors de ventes spécialisées, il peut
trouver preneur jusqu’à 175 €.
Quelques années après que Bernard Frank,
dans la revue de Sartre, Les Temps modernes, ait
révélé qu’un complot de hussards menaçait la
république des lettres, Pol Vandromme publiait
La Droite buissonnière. C’est la découverte
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
267
qu’une secrète complicité unissait en effet tout
un monde allant de Marcel Aymé à Paul Sérant
et de Boutang à Blondin en passant par Perret.
Depuis lors cette droite buissonnière a été bien
des fois revisitée. La cote de La Droite buissonnière, dans son édition d’origine, est de 40 €.
Ensuite, que lire de Vandromme ? Son Brasillach (Plon, 1956), son Le Vigan (Revue célinienne 1980), son Rebatet (Éditions universitaires,
1968), son Céline (Pardès, 2001), son Michel
Déon (La Table ronde, 1990), son Anouilh, son
Jacques Perret, son Michel Mohrt, son Simenon,
son Félicien Marceau, son Drieu la Rochelle, son
Marcel Aymé, et aussi ses souvenirs de jeunesse,
et ses Bivouacs d’un hussard (2002).
Pour quelqu’un qui, comme moi, et comme
vous, sans doute, possède une bibliothèque importante, le recensement de ce que l’on a et de
ce qui manque est pratiquement impossible, car
le réflexe est de classer son Rebatet avec Rebatet,
son Tintin avec les bandes dessinées, son Europe
en chemise, avec les ouvrages consacrés aux ligues
d’avant-guerre, son Le Vigan avec les ouvrages
sur le cinéma etc. Le plus simple, une fois ce
constat réalisé, c’est de retrier – une fois de plus
– sa bibliothèque, de reprendre et rassembler
268
POLITIQUEMENT
INCORRECT
tous ces ouvrages, de les classer à la lettre V
comme Vandromme, au rayon littérature, entre
le critique André Thérive et le romancier Roger
Vercel. Car en final Pol Vandromme, au service
des lettres contemporaines françaises, nous
donne un œuvre parfaitement singulière.
Chapitre 44
Vieux papiers :
quand la vie d’un homme vaut 120 F
La vie d’un homme pour 120 F. C’est le prix
que demandait un bouquiniste du marché au
puces de la porte de Vanves pour un lot de vieux
papiers, dans les années quatre vingt dix : documents administratifs, photos, lettres, papiers
d’identité, cahiers, ayant appartenu à un certain
capitaine Colomines « Vous verrez ; ça devrait
vous intéresser. Il a été mystérieusement assassiné à la Libération », m’avait précisé le marchand
pour m’appâter.
C’est ainsi que l’histoire du capitaine Colomines, né le 12 août 1893 à Perpignan, mort le
2 septembre 1944 à Bordeaux, est arrivée entre
mes mains. A-t-il encore de la famille, des
proches qui se souviendraient de lui, alors même
que ses papiers les plus intimes ont été dispersés
ainsi, pour finir à l’étal d’un brocanteur ?
270
POLITIQUEMENT
INCORRECT
La vie du capitaine Colomines, telle qu’elle
peut être reconstituée à partir de ces documents,
mérite pourtant d’être racontée ; elle jette une
lumière crue sur une époque où les Français ne
s’aimaient pas, mais qu’avec leur mémoire courte ils ont déjà oubliée.
Jeune soldat de la classe 1913, Colomines fut
blessé à deux reprises en 1917, et cité quatre
fois, dont deux fois à l’ordre de l’Armée. Il termina la Grande Guerre avec la Croix de Guerre,
étoile de vermeil, étoile d’argent et deux palmes,
et fut fait chevalier de la Légion d’Honneur.
Durant l’entre-deux-guerres, il n’est pas absurde de penser qu’il fut de ces anciens combattants
qui, dans la mouvance des ligues, s’opposaient à
la médiocratisation de la France, oublieuse du
sacrifice de toute une génération. Dans ses
papiers, une carte de visite de Charles Maurras,
seul indice permettant de se faire une idée sur
les sympathies de Colomines
Rappelé par ordre de mobilisation le 3 septembre 1939, Colomines s’illustre à nouveau,
puisqu’il est cité à l’ordre du régiment, et décoré de la Croix de Guerre, étoile de bronze. Fait
prisonnier le 22 juin 1940, il est libéré un an
plus tard, pour reprendre son activité de patron
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
271
d’une petite entreprise de maçonnerie, et participe à la fondation de l’Association des prisonniers de la guerre 1939–1940, qui a pour but de
venir en aide à ceux qui sont toujours dans les
oflags d’Allemagne.
Est-ce dans le cadre de ces activités nouvelles
que le capitaine Colomines va rencontrer le
commandant Pierre Costantini, autre héros de la
guerre 1914–1918 ? Ou bien est-il attiré, comme le furent beaucoup de jeunes gens de
l’époque, par le prestige de cet aviateur célèbre ?
Toujours est-il qu’en septembre 1941, à son
retour de captivité, le capitaine Colomines adhère à la Ligue française d’entraide sociale et de
collaboration européenne, de Pierre Costantini.
Il y cotisera exactement six mois.
Dans sa Revue d’histoire du fascisme, François
Duprat ramène cet engagement à sa juste proportion, en rappelant ce qu’était cette Ligue : « La
Ligue prétend compter de nombreuses sections en zone
occupée : Bordeaux, Angoulême, Mont-de-Marsan,
La Rochelle, Rochefort, Angers, Saumur, Nantes,
Rouen, Dijon. Sur Paris, en tout cas, ses effectifs
étaient squelettiques, au grand maximum 200 adhérents. En réalité, Dijon représente le seul point fort de
la Ligue (…). Elle a bientôt 80 adhérents ; sa sec-
272
POLITIQUEMENT
INCORRECT
tion de la Ligue des jeunes, fort peu politisée (elle
regroupe des fanatiques de l’aviation intéressés par…
les modèles réduits !) a quinze membres en 1942
(…). Ailleurs, la Ligue ne joue qu’un rôle infime,
quand elle n’existe pas seulement sur le papier. »
Quelle fut l’activité du capitaine Colomines au
sein de cette Ligue fantomatique, qui n’a guère
laissé de traces dans l’Histoire ? Ce que nous
savons, c’est qu’à cause de ces six mois de cotisations, le 31 août 1944, un groupe de FFI kidnappait le capitaine Colomines à son domicile,
et l’emmenait au 55, rue Villedieu, à Bordeaux,
un poste de FFI qui n’était autre que le domicile privé d’un des nombreux commandants de la
Résistance. Là, un courageux personnage répondant à l’appellation de capitaine Dubreuilh arracha le ruban de la Légion d’Honneur de Colomines, et le gifla.
Sa pipe et son pistolet
À 18 heures, ce 31 août 1944, le capitaine
Colomines put griffonner sur un papier un message à sa famille : « Ayons confiance ; je crois avoir
été un bon Français ; si je me suis trompé, ma
bonne foi est entière.
Vive la France. Je vous embrasse tous (…). »
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
273
Nul ne devait jamais le revoir vivant.
À la nouvelle de son arrestation, ses amis tentèrent d’intervenir. Les ouvriers de sa petite
entreprise familiale portèrent la pétition suivante au commissariat : « Nous soussignés, employés et
ouvriers de l’entreprise Colomines dont les noms
suivent, certifions sur l’honneur que le capitaine
Colomines notre dévoué patron a toujours été pour
nous un employeur qui a toujours et en toutes circonstances sauvegardé nos intérêts. Parmi nous un
grand nombre ont été grâce à lui soustraits au service en Allemagne. Malgré les risques qu’il encourait comme personnellement responsable, certains ne
sont pas retournés en Allemagne, leur permission de
travailleurs libres terminée ; un autre, prisonnier
évadé, est resté grâce au patron.
Jamais à l’entreprise le patron n’a parlé politique.
C’est un Français qui nous a prouvé qu’il agissait
toujours pour la France. Nombreux sont les cas que
nous pouvons citer et que nous demandons à citer
où son courage nous a sauvés de l’emprise ennemie.
Qu’il nous soit rendu, qu’il puisse travailler avec
nous à la tête de tous, nous le suivrons de tout notre
cœur, Français comme lui, car nous savons qu’il ne
demande qu’à reprendre la tenue militaire qu’il a
toujours portée avec honneur et courage. »
274
POLITIQUEMENT
INCORRECT
Le 2 septembre 1944, à 2 heures du matin, la
sœur du capitaine Colomines était informée
qu’il avait essayé de s’échapper, qu’il avait menacé les gardiens d’une bouteille (sic !) et que les
gardiens avaient été obligés de l’abattre.
Deux balles au cœur, quatre balles dans la
tête : en fait, le capitaine Colomines fut vraisemblablement abattu pendant son sommeil. Ceux
qui ont vu le corps ont déclaré qu’il reposait sans
trace de lutte. Ses vêtements étaient impeccables,
sans poussière. De même le pantalon et les
chaussures. Aucune ecchymose. Visage calme.
Ainsi finit l’histoire du capitaine Colomines,
minuscule péripétie d’un drame beaucoup plus
vaste, celui de l’Épuration.
Un an plus tard, sa veuve reçut un extrait des
minutes du greffe de la Cour d’appel de Paris lui
apprenant que son mari « ayant appartenu postérieurement au 1er janvier 1941 à un mouvement
collaborateur était suspendu [pas déchu] de ses droits
de vote, d’élection et d’éligibilité ». Ces fichus fonctionnaires, toujours le mot pour rire.
Cent vingt francs pour connaître le destin du
capitaine Colomines était-ce payer trop cher ? Il
y a soixante ans, une vie humaine ne valait
même pas ce prix.
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
275
Cette histoire, je l’ai racontée dans Présent, il
y a donc quelques années. Et j’eus le plaisir de
recevoir la lettre d’un vieux monsieur, très ému,
qui se souvenait parfaitement de Colomines, de
son courage, de ses engagements, de « ses deux
meilleurs amis : sa pipe et son pistolet ».
Conclusion
Les anges gardiens et les vieux livres
« Depuis Chardonne,
je crois aux anges gardiens. »
Paul Morand,
Ce que je voulais vous dire aujourd’hui
J’en discutais l’autre jour à un dîner parisien
avec le docteur Merlin : la recherche de vieux
livres, la bibliophilie, la constitution d’une bonne bibliothèque, c’est une chasse au trésor perpétuellement recommencée.
Le livre a peut-être cet avantage sur tout autre
objet ancien, que le meilleur spécialiste ne peut
être spécialiste en tout, ne peut tout savoir. C’est
chez un libraire du Parc Brassens, plutôt spécialisé dans le surréalisme et autres escroqueries littéraires, que j’ai trouvé L’École du renégat, de
Jean Fontenoy. Il ignorait bien évidemment qui
278
POLITIQUEMENT
INCORRECT
était Jean Fontenoy et quelle mort étrange il
trouva, en 1945, dans Berlin en flammes, sous
un uniforme qui n’était pas celui de son pays.
Pour financer une croisade
C’est chez le grand spécialiste de Jules Verne,
Michel Roethel, que j’ai acheté, il y a plus de
vingt ans, mon premier « Tintin au dos blanc ».
À l’époque, je l’ai payé 1 (un) Franc ! Etait-ce
un prix ? Sur le coup, je n’y ai pas vu ce qui me
saute aux yeux aujourd’hui : c’était un signe de
mon ange gardien. Dont Michel Roethel n’avait
été qu’un intermédiaire. N’est-ce pas en effet à
ce même libraire que j’avais vendu, cinq ans
auparavant, ma propre collection de vieux Jules
Verne cartonnés, pour financer mon voyage au
Liban chrétien avec Jacques Arnould, Philippe
de Vergnette, et quelques autres jeunes croisés,
tous bien décidés à apporter à nos frères libanais
le soutien actif – et armé – des chrétiens de
France ? Ce « Tintin au dos blanc », c’était sans
doute un geste de mon ange gardien, une sorte
de remerciement pour la vente des Jules Verne.
La chasse aux vieux livres est faite de cent
émotions de cette nature, de cent coups de cœur,
quand on découvre au milieu d’un étal sans
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
279
grand intérêt LE livre qu’on recherchait depuis
des mois, des années.
Entre la poire et le fromage, je développais
cette idée à mon voisin de table, ce docteur Merlin que je savais chansonnant, mais que j’ignorais jusqu’alors chineur. Et quel chineur ! Merlin
semblait sceptique.
— Je pense en effet que beaucoup de trouvailles sont dues tout simplement à mon ange
gardien, lui expliquai-je. Comme tout le monde,
comme vous, docteur, j’ai un ange gardien. Et
celui-ci, semble-t-il, connaît ma passion bouquineuse. Il s’amuse, parfois, à la satisfaire. De préférence dans les moments inattendus.
— Exemple ?
— Exemple ! En vacances dans le Morbihan,
il y a quelques années, je suis allé faire un tour
à la charmante brocante du quartier Saint-Goustan, à Auray. À la même époque, j’avais découvert incidemment que Léon Degrelle avait publié dans les années cinquante un roman de
science-fiction intitulé La Grande Bagarre, sous
le pseudonyme de Doutreligne. J’aimerais bien
trouver ce livre, me disais-je en descendant la rue
menant à la brocante. Au premier stand, dans
une lessiveuse en tôle, pleine de vieux romans
280
POLITIQUEMENT
INCORRECT
policiers dépenaillés, il m’attendait. La Grande
Bagarre était là. Pour moi. Pour la première fois,
ce jour là, je me suis dit que mon Ange gardien,
quelque peu facétieux, me précédait dans les
brocantes, les foires aux livres et les vide-greniers,
pour favoriser mes trouvailles.
Mais attendez la suite, Merlin. Elle vous surprendra. Il y a deux mois à peine, j’entre dans un
« Centre des occasions », à Bagneux, sur la
Nationale 20. Dans la partie livres, cent mètres au
moins de rayonnages alignaient des Livres de
Poche, des Delly, des Louise Hervieu et autres
Régine Desforges dépareillés. L’ensemble, dans
une demi pénombre, était tellement rebutant que
j’étais sur le point de renoncer à y jeter un coup
d’œil. Un seul livre dépassait, sur une rangée,
comme s’il avait été extrait de son étagère, d’une
pichenette. De l’allée centrale, à dix mètres au
moins, j’ai lu le nom de l’auteur : Caroline Jones.
Je l’ai lu, ou plutôt je l’ai deviné. C’était un livre
sur la reine d’Angleterre. Un livre que je cherchais
depuis très longtemps (nous étions avant l’ère
d’Internet et des sites de livres anciens). Parce que
je savais – et mon ange gardien aussi, apparemment – que Caroline Jones n’était autre que
François Brigneau. Un pseudonyme dont il usait
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
281
dans les années cinquante. Pour des romans grivois, mais pas seulement.
— Ne me faites pas croire que vous imaginez
que votre ange gardien, avec ses petites ailes, vous
a précédé dans ce « Centre des occasions » pour
pousser ce livre au milieu de dix mille autres, vous
permettre de le trouver tout de suite ?
Merlin restait sceptique.
— Attendez, Merlin, l’histoire ne s’arrête pas
là. Ce serait trop simple, en effet. Ce livre était
également recherché depuis des années par Anne
Le Pape, la collaboratrice attitrée de François
Brigneau. Aussi, je ne pus faire mieux que de le
lui offrir, la mort dans l’âme.
Mais mon ange gardien veillait toujours. À
peine une semaine plus tard, Anne Le Pape m’appelle : depuis dix ans, elle avait laissé chez plusieurs libraires d’ancien qu’elle connaissait, la
consigne de lui trouver ce titre de Caroline Jones,
à n’importe quel prix. Pendant dix ans, rien. Et
pratiquement le lendemain de mon cadeau, l’un
d’eux se manifesta : il venait de « rentrer » ce titre,
et le proposait, enfin, à Anne Le Pape ! Anne ne
pouvait faire autrement que de m’offrir cet exemplaire-là. Et c’est ainsi qu’une seconde fois je pus
entrer en possession de ce livre. Mais franche-
282
POLITIQUEMENT
INCORRECT
ment, Merlin, comment ne pas voir dans la trouvaille de ce libraire un nouveau geste de mon
propre ange gardien, destiné à me récompenser de
mon (très beau) geste ? »
Le docteur Merlin est un esprit fort. Visiblement, il ne croit ni à Dieu ni à diable, et encore moins, sans doute, aux anges gadiens. Peutêtre, à la rigueur, à l’Ankou, aux Trolls, farfadets
et autres bestioles qui hantent les landes celtes.
Forcément, avec le nom qu’il porte ! Mes histoires semblaient le laisser de marbre.
— Mais vous Merlin, qui êtes un chineur fou,
ne vous est-il pas arrivé de faire des trouvailles
tout aussi improbables ?
— Si fait, m’avoua-t-il, après un long silence.
Un jour, je me suis rendu dans un vide-grenier.
C’était le vide-grenier le plus nul, le plus minable, le plus affreux qu’on puisse imaginer. Le
paradis des cadeaux Total et des peluches pelées.
À cette époque, je me passionnais pour l’écrivain
maritime Paul Chack, et rien ne m’aurait comblé davantage que de dénicher quelques ouvrages
de cet auteur. « Ce n’est pas ici que j’en trouverai », bougonnai-je.
Au stand, il y avait une caisse de vieux livres.
C’était à peu près tout ce qui était un peu ancien,
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect
283
dans ce vide-grenier ! Par acquis de conscience,
par désœuvrement, par pure conscience professionnelle de chineur, je soulevai les premiers livres,
qui n’avaient strictement aucun intérêt. Au dessous : une caisse entière de Paul Chack ! Tous ces
titres que je convoitais. Ceux de la collection
« Marins à la bataille », et les autres, avec les
magnifiques couvertures illustrées par Haffner.
Ma main tremblait en tendant au propriétaire du
stand, un ventripotent banlieusard vêtu d’un
superbe jogging fluo, en tendant le billet de…
5 €, qui me permit d’emporter le lot.
— Et comment expliquez-vous cette trouvaille ?
— C’est vrai, je ne me l’explique pas.
— Alors, vous voyez ! triomphai-je en enfonçant
ma cuillère dans une délicieuse Poire Belle Hélène.
Vaincu, Merlin se transforma en rat… de bibliothèque, bien entendu !
PRINCIPALES
ŒUVRES DE
FRANCIS BERGERON
Vade Mecum du Voyageur de la Liberté, Le Trident (1977) ; réédition Ed.
solidaristes (1979)
Le Goulag avant le Goulag, DMM (1987)
Itinéraire d’un chrétien progressiste, DMM (1988)
Guide des citations de l’homme de droite, Le Trident (1989)
La Révolte de Crève-Bouchure (Bande dessinée et dossier), Vérité en BasBerry (1989 ; réédition Triomphe (1996)
Le Syndicat du Livre ou la mainmise communiste sur la presse, Difralivre
(1989)
Guide des grands livres de l’homme de droite, Ed. Bergeron-Sanders (1993)
Guide du collectionneur politiquement incorrect, L’Æncre (1996)
Béraud, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2003)
Léon Daudet, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2006)
Monfreid, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2009)
Saint-Loup, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2010)
Georges Rémi, dit Hergé, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2011)
Bardèche, Pardès, coll. Qui suis-je ? (2012)
En collaboration
Cinq continents accusent Amnesty, DMM (1982)
Les Droites dans la rue, nationaux et nationalistes sous la IIIe République,
DMM (1985)
De Le Pen à Le Pen : nationaux et nationalistes sous la Ve République,
DMM (1986)
Les Héros de l’Alcazar (Bande dessinée et dossier), Cercle franco-hispanique
(1987)
Le Pen, le livre blanc d’un phénomène, L’Orme rond (1988)
Guide de l’homme de droite à Paris, Le Trident (1988 ; nouvelle édition
(1989)
Guidargus, le livre politique sous l’Occupation (sous le pseudonyme
d’Agathon), Cercle franco-hispanique (1990)
Codréanu et la garde de fer, (sous le pseudonyme d’Agathon, Cercle francohispanique (1991)
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POLITIQUEMENT
INCORRECT
Hergé et nous, Ed. Bergeron-Sanders (1994)
Dictionnaire commenté de livres politiquement incorrects, Dualpha, (2006)
Romans pour enfants
Série Diables bleus (Clovis)
Le Mystère de la chèvrerie
Le Mystère du vieux Menton
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Série Bordesoule (Triomphe)
Secret de la statue volée
Secret d’Argentomagus
Secret des mille étangs
Secret du grand-père disparu (avec Alain Sanders)
Secret du phare des baleines
Secret du bandit éthiopien (avec Alain Sanders)
Secret du clocher d’Ars
Secret de l’abbaye de Clairac (avec Alain Sanders)
Secret de Trousse Chemise
Secret de la rue Pierre Loti
Secret du bagnard de Saint Martin
Secret des ânes en culotte
Secret du Moulin de Bois Plage
Secret du tombeau d’Obazine
Secret du tournoi de Bannegon
Secret du Fort Boyard
Secret de la dune d’Escoublac
Secret de la maison du sénéchal
Secret de la grotte des Korrigans
Secret de la plage de Boisvinet
Secret des Remparts de Guerande
Secret de la crue d'Argenton
Secret du Fort de Penthièvre
secret des 24h démentes
secret de la Chabotterie
Le club des Diables bleus (Clovis)
Le mystère de la Chèvrerie
Le mystère du vieux Menton
Collection « À nouveau siècle, nouveaux enjeux »,
dirigée par Philippe Randa
aux éditions de l’Æncre
La Tyrannie de la transparence – Pierre Le Vigan, préface d’Arnaud Guyot-Jeannin
L’islam chez lui chez nous – Norbert Multeau, préface de Jean-Pierre Péroncel-Hugoz
D’une colonisation l’autre. Vers la guerre civile - Émil Darhel
Réflexions sur le Pouvoir – Dr Bernard Plouvier
Le XXIe siècle et la tentation cosmopolite – Dr Bernard Plouvier
Le FN et le social – François Vial (présente), préface de Marine Le Pen
aux éditions Dualpha
12 Théories de l’État et de la Société – Pierre Chassard
Sarkozy le tout-à-l’ego – Démocrite
Justice expédiée ou expéditive ? – Démocrite
La mercatique ou le nouvel art de la guerre – Gilles Falavigna
La patrie, l’Europe et le monde – Pierre Le Vigan-Jacques Marlaud (présentent)
Le Front du Cachalot – Pierre Le Vigan, préface de Michel Marmin
À Marie la très douce mère de Jésus – Abbé Pierre Molin
Les Saints Patrons des nations européennes – Abbé Pierre Molin
Le Christ décrypté – Jean-Louis Omer
Les Alter Européens – Frédéric Pichon (présente), préface d’Alexis Arette
L’injustice et la trahison (Israël, les Arabes et la Palestine) – Mokhtar Sakhri
La Terreur islamique (Les démons de la Foi) – Mokhtar Sakhri
Collection « Politiquement incorrect »,
dirigée par Philippe Randa
aux éditions de l’Æncre
Martin Heidegger, philosophe incorrect - Jean-Pierre Blanchard
Aux sources du national-populisme - Jean-Pierre Blanchard
Profanation - Chard, préface de Philippe Randa
Le Théâtre de Satan - Me Éric Delcroix
La Salsa des cloportes - Pierre Descaves, préface de Bruno Gollnisch
La Démocratie travestie par les mots - Richard Dessens
Avant-guerre. Chronique d’un cataclysme annoncé - Guillaume Faye
L’Archéofuturisme. Techno-science et retour aux valeurs ancestrales - Guillaume Faye
Pourquoi nous combattons. Manifeste de la Résistance européenne - Guillaume Faye
Le Racisme anti-français - Henri de Fersan
Solutions nationales à la crise mondiale - André Gandillon
Les “Antisémites” de gauche - Roland Gaucher & Philippe Randa
Quand grossissent les têtes molles - Pierre Monnier, préface de Philippe Randa
Délit et rature - Rolandaël
Écrits politiquement incorrects - Jean Silve de Ventavon
D’une colonisation l’autre – Emil Darhel
aux éditions Déterna
La faim justifie les moyens - Jean-Pierre Blanchard, préface de Philippe Randa
Mythes et races - Jean-Pierre Blanchard, préface de Philippe Gautier
Les chemins de la victoire - Jacques Bompard
Les nouveaux nationalistes - Christian Bouchet (présente)
Jeunes Nationalistes d’aujourd’hui - Christian Bouchet (présente)
Le testament d’un Européen - Jean de Brem
Des rêves suffisamment grands - Pierre Descaves, préface de Jean-Claude Martinez
La Salsa des cloportes - Pierre Descaves, préface de Bruno Gollnisch
Désacralisée, la France devient folle - Georges Dillinger
La France LICRAtisée - Anne Kling, préface d’Alain Soral
Aux Voleurs ! - Konk, préface de Philippe Randa
Les Manipulateurs de la culture - Roland Gaucher, préface de Philippe Randa
La Racisme anti-allemand - Philippe Gautier
Les Avenues de la Ve - Béatrice Péreire
Rivarol, hebdomadaire d’opposition nationale - Marc Laudelout (présente)
Ordre nouveau - Alain Renault (présente)
Le Dilemme. les jeunes face à la vocation du mariage - Marie-Claude Sarrot
Comme une veillée d’armes - Jean-François Touzé
aux éditions Dualpha
Dictionnaire du collectionneur politiquement incorrect - Francis Bergeron
Les nouveaux païens - Christian Bouchet
Les Faux Amis de l’Amérique - Patrick Brunot, préface de Dimitri O. Rogosin
Lettres enfin ouvertes au directeur du Monde - Gilbert Comte
Carnet d’un Réfractaire - Jean Curutchet, préface de Philippe Randa
Banlieues en feu - Gilles Falavigna, préface de Nicolas Tandler
La Mystification antiraciste - Gilles Falavigna
À la recherche des Dieux - Bruno Favrit, préface de Piere Gillieth
La Germanophobie - Philippe Gautier, préface de Jean-Pierre Blanchard
Le racisme anti-allemand - Philippe Gautier
Faut-il sauver la sécurité sociale ? - Dr Régis Giet, préface de Jacques Marseille
Diverses droites - Patrick Gofman
Être royaliste - Thiery Jolif (présente)
Retour au réel - Maxime Laguerre, préface d’Alain de Benoist
Paroles d’initié - Hervé Laurent
La Justice malade du cancer - Emmanuel Ludot
Interpellations (Questionnements métapolitiques) - Jacques Marlaud, préface d’Anne Brassié
Vers la société multiraciste - Jean-Jacques Matringhem et Philippe Randa (présentent)
Lumières de France - Abbé Pierre Molin, préface de Georges Daix
Promenades de l’esprit - Abbé Pierre Molin
Tables d’hôte - Franck Nicolle, avec la collaboration de Wilfried Da Costa Oliveira
L’Antirépublique - Jean-Louis Omer
Chroniques Barbares - Philippe Randa
– 1993-2001 (tome I)
– Le Bien va mal (tome II), préface de Christian Bouchet
– Nous, les Insurgents ! (tome III)
– Présumé coupable politique (tome IV), préface de Serge de Beketch
– La France d’en haut les urnes (tome V), préface de Jean Robin
– Sans vergogne politique (tome VI), préface de Philippe Pichon
– À l’ombre de l’Europe d’en haut (tome VII), préface de Pierre Vial, 2010
– Sous haute surveillance politique (tome VIII), préface de Pierre Le Vigan, 2011
– Indignations politiques (tome IX), préface de Nicolas Bonnal, 2012
L’État de la judéomanie - Jean Robin
Quand l’islam frappe à la porte - Jean-Claude Rolinat,
préface d’Olivier Pichon ; postface de Christian Bouchet
Les Démons de la Foi - Mokhtar Sakhri
Génération et évolution humaines - Francis Verdavoine-Bourget
Surpopulation : un drame planétaire ! - Francis Verdavoine-Bourget
Le Génie du judaïsme - Dominique Zardi, préface de Philippe Randa
L’Algérie des mirages - Dominique Zardi, préface de Jean-Claude Rolinat
Catalogue gratuit sur simple demande en écrivant à :
Francephi diffusion
Boite 37
16 bis rue d’Odessa
75014 Paris
Tél. 09 52 95 13 34 - Fax. 09 57 95 13 34
Mél. : [email protected]
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Vous y trouverez la présentation
de tous les livres des éditions
Dualpha - Déterna - L’Æncre
dirigées par Philippe Randa
Cinéma… Histoire… Ésotérisme…
Essais politiques… Guerre d’Algérie…
Littérature… Seconde Guerre mondiale…