MEMPHIS, LA MUSÉE `O FIL
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MEMPHIS, LA MUSÉE `O FIL
!"#!!$%&'()*&+,$-./01234567898:93';89<99!=<>=<<99?4<@99A';89!" ROAD Par Daniel Léon STORY MEMPHIS, LA MUSÉE ‘O FIL Photos © Corinne Préteur Petite virée dans le Memphis d'aujourd'hui, le cap sur les musées. Q ue reste-t-il aujourd'hui de Memphis, plaque tournante du blues dès les années 1920, où seront signés quelques décennies plus tard les actes de naissance du rock et de la soul ? Des clubs, plus vraiment, ceux de Beale Street ont perdu leur âme. Des musiciens, pas davantage ou si peu, l'industrie discographique a suivi les mouvements migratoires. Seul l'héritage culturel demeure, cantonné dans des institutions et des musées au service du tourisme. Faut-il le déplorer ? Sans doute. Faut-il leur tourner le dos ? Peut-être pas, et sachons aussi nous contenter des hommages sans être dupes. Beale Street Blues Au soir du 24 avril 2011 à notre arrivée à Memphis, nous posons nos bagages à l'hôtel Peabody. Un premier établissement avait été construit dès 1869, mais l'hôtel actuel, sur Union Avenue, a été inauguré en 1925. On le connaît notamment pour ses canards qui vivent sur le toit (dans le Royal Duck Palace, s'il vous plaît !) et qui viennent depuis 1933 faire trempette chaque jour dans la fontaine fleurie du lobby… Mais au tournant des années 1920 et 1930, le Peabody faisait surtout partie de ces studios délocalisés utilisés par les marques discographiques de l'époque, spécialistes des “race records”, comme Paramount, Vocalion et RCA-Victor. Nous ne résistons évidemment pas à passer notre 54 SOUL BAG_N°205 première soirée sur Beale Street, située à deux pas. Pour bien vite constater que la rue légendaire, aujourd'hui piétonne et retenue entre des barrières gardées par des voitures de police, relève de la dérive touristique. Succession de restaurants, de bars et de clubs, elle propose bien sûr beaucoup de musique mais le blues n'est guère présent. Au B.B. King Blues Club, nous avons ainsi droit à un blues rock bruyant et pénible. Nous aurons toutefois de la chance en nous arrêtant au King's Palace Cafe, où les Blues Masters de Charlie McDaniels distillent un blues moderne de belle qualité. Mais c'est maigre... Le lendemain, nous revenons sur Beale Street où joue le trompettiste Rudy Williams. Hélas, il décédera un mois plus tard à l'âge de 70 ans. C'était sans doute le dernier représentant authentique de la tradition musicale du lieu, où il opérait depuis plus de 50 ans, il était notamment présent lors de l'inauguration de la statue de W. C. Handy, installée ici en 1960… Dès lors, un constat s'impose : Memphis n'est plus la terre d'élection des musiciens de blues et de soul. C'est regrettable, et pour accéder à cette culture, il ne reste que des témoignages et des hommages (des vestiges ?), essentiellement rassemblés dans des institutions et des musées avant tout destinés aux touristes. La Blues Foundation, qui siège ici, s'efforce bien d'organiser des opérations comme l'International Blues Challenge, mais il s'agit bien d'une exception. Nous prenons donc le parti de nous comporter en touristes, nous disant après tout que ces musées méritent la visite dès lors qu'ils existent et que nous sommes sur place. Un peu à l’écart du centre, au 926 McLemore Avenue, le Stax Museum of American Soul Music a été inauguré en 2003 sur l’emplacement des anciens studios du label. Fondé en 1957, ce dernier se nomme Satellite puis Stax en 1961, reprenant les deux premières lettres des patronymes de ses fondateurs, Jim Stewart et Estelle Axton. Avec la Motown, la marque sera l’une des plus !"#!!$%&'()*&+,$-./01234567898:93';89<99!=<>=<<99?4<@99A';89!! importantes des années 1960 et 1970 pour le R&B et la soul, mais ouvrira aussi son catalogue au blues et au gospel. La visite s’accompagne d’émotion dès le début avec des vidéos (extraits d’interviews et de concerts) mettant en scène les membres du staff et bien sûr des musiciens plus prestigieux les uns que les autres : Rufus Thomas, William Bell, Booker T. & the MGs, Eddie Floyd, Otis Redding, Wilson Pickett, Sam & Dave, Albert King, Little Milton, The Staples Singers, Isaac Hayes, etc. La muséographie, plutôt bien organisée, met en scène les artistes Stax de façon classique (tenues de scène, instruments, documents comme des extraits de contrats…), mais elle va plus loin. Revendiquant son statut de musée de la soul, elle évoque également des interprètes d’autres labels, ce qui peut même donner des idées. Ainsi, face à un pan de mur qui présente les maisons natales de musiciens, nous déciderons à l’issue de notre visite de partir à la recherche de celle d’Aretha Franklin, à quelques rues d’ici. Parmi les incontournables du lieu, soulignons le Hall of Records et ses cloisons recouvertes de disques, la rutilante Cadillac Eldorado d’Isaac Hayes avec ses chromes et son épaisse moquette, le studio reconstitué et cette incroyable église de 1906 ramenée du Delta et entièrement remontée (la Hooper’s AME Chapel)… Juste à côté du musée, la Stax Music Academy et la Soulsville Charter School nous rappellent que l’on ne pense pas seulement ici aux rentrées du tourisme, mais également à l’enseignement musical des écoliers et des étudiants. Maison natale d’Aretha Franklin ségrégation, l'éducation, les traditions rurales et l'économie, ce qui rend le parcours souvent captivant. L'endroit se distingue aussi par une section assez édifiante consacrée à la politique et aux droits civiques. Les collections sont originales et comptent des pièces de toute beauté (et sans doute très rares) d'instruments, mais surtout d'électrophones, de magnétophones, de postes et Le Rock'n'Soul Museum entretient le rêve Face au parking du musée, impossible de manquer la maison natale de Memphis Slim, sur laquelle le panneau annonçant une rénovation prochaine apparaît presque aussi abîmé que la baraque elle-même : et pour cause, il est en place depuis des années… Nous trouvons ensuite sans mal celle d’Aretha Franklin jouxtant un champ, toujours debout bien que marquée par un incendie, mais pour laquelle aucune restauration ne semble prévue. Retour sur Union Avenue, au 706 précisément, où nous attend le studio Sun. L’ambiance diffère, les visites cadrées se déroulent à heures fixes, et les photos sont interdites au premier étage, s’empresse de préciser la guide. Un premier niveau d’ailleurs remarquable, notamment très riche en photographies, instruments et matériel d’enregistrement, une collection qui mériterait une surface plus étendue. En bas, le studio reconstitué est également très intéressant, alors que la reconstitution du bureau de Sam Phillips, avec son antique distributeur de boissons, s’avère plus pittoresque. Mais bien entendu, tout ça est très axé sur Elvis Presley, un peu trop à notre goût même s’il fallait s’y attendre. Mais paradoxalement, comment se priver de la visite d’un tel lieu fondateur ? Cette journée à vocation culturelle s'achève au Rock'n'Soul Museum, situé 191 Beale Street. Il s'agit du plus instructif des trois, qui retrace l'histoire documentée de la soul et du rock en remontant aux origines du blues et du gospel. Dès lors, toute la première partie respecte une chronologie assez rigoureuse (avec support audio et éventuelle traduction imprimée en français, mais on peut très bien s'en passer et opérer tranquillement à son rythme), s'arrêtant sur divers aspects dépassant le cadre de la musique comme des scènes de la vie quotidienne, les types d'habitations, l'agriculture, l'industrie, la d'émetteurs radiophoniques qui entretiennent le rêve, sans oublier quelques magnifiques et clinquants juke-boxes clignant de tous leurs feux ! Ces trois musées présentent l'avantage d'être très complémentaires et offrent ainsi un panorama très large de l'ensemble des musiques populaires américaines, d'ailleurs on ne s'ennuie pas et la journée passe vraiment vite. Ils constituent certainement des priorités, mais si vous disposez de plus de temps que nous à Memphis, d'autres sites plus ou moins directement liés à notre spectre valent le déplacement. C'est le cas des musées du coton, des droits civiques et de W.C. Handy, du restaurant Arcade (le plus ancien de la ville, datant de 1919 et où Elvis avait ses habitudes) où on mange très correctement, pour pas cher et avec un service sympa, la gare centrale juste en face et sa grandiose salle d'attente qui a vu passer tant de musiciens en transit vers le nord… Et puis, les fans d'Elvis feront forcément le pèlerinage à Graceland, mais pour notre part, on a préféré décliner, le tourisme a ses limites, même à Memphis ! ◆ Daniel Léon Remerciements à Florence Trouillard et Équinoxiales (www.equinoxiales.fr) © Corinne Préteur N°205_SOUL BAG 55