Éthique et maladie d`Alzheimer - Alzheimer-vaud

Transcription

Éthique et maladie d`Alzheimer - Alzheimer-vaud
Alzheimer et potentialités affectives
Louis PLOTON
Professeur émérite de Gérontologie
Université Lyon-2
Un fil directeur clinique: la recherche
du moindre mal
• Eviter les rapports de force et pour cela:
– tenter de voir la situation du point de vue du malade,
– pouvoir s’identifier à lui pour mieux négocier avec lui.
• Avoir une idée (pour lui en parler) de:
– Ce qu’il va perdre,
– Ce qu’il va conserver;
– Son vécu (comment il se situe au regard du monde).
• Nous interroger sur nos représentations de lui et de ce
qui lui arrive, déterminantes des interactions avec
eux.
Pr. Louis PLOTON
Savoir ce qu’il va perdre
• Des fonctions cognitives: c’est-à-dire des faculté
acquises et développées par apprentissage:
–
–
–
–
–
Mémoires cognitives (déclaratives)
Habiletés et connaissances,
Opérations mentales;
Langage parlé;
Discours intérieur, images, pensées mises en forme.
• Elles cessent d’être mobilisables de façon
consciente et volontaire.
Pr. Louis PLOTON
D’où la définition
• Maladie d’Alzheimer: perte lente et
progressive de la mémoire et d’au moins
une des fonction acquise et développée
par apprentissage, avec un retentissement
sur la vie quotidienne.
• Diagnostic: essentiellement par tests de
performances cognitives (bilan dit
neuropsychologique) avec un déficit sur
au moins six mois.
Pr. Louis PLOTON
Mais aussi d’autres handicaps
problématiques
• Incapacité de métaboliser ses émotions et donc la
distance relationnelle de façon souple / :
– Déficit de compréhension,
– Perte de la fonction cathartique de la parole (mettre des
mots sur les émotions)
– Perte des capacités d’association nécessaires au travail
dit: d’élaboration psychique ou de mentalisation,
permettant notamment de métaboliser les émotions.
– Angoisse, dans les stades avancé:
• Perte de la reconnaissance de soi (dans le miroir, ou la photo)
• Perte de la représentation de ce qui est absent ou caché;
• Perte de la distinction entre image et réalité..
Pr. Louis PLOTON
Avec les modifications
relationnelles associées
• Avidité affective:
– vécu d’abandon,
– recherche d’un étayage de type maternel;
• Prédominance de l’expression comportementale: tendance
aux troubles du comportement ou aux passages à l’acte,
• Capacité involontaire d’altérer la pensée des tiers (on parle de
phénomènes d’attaque à la pensée d’autrui) par:
– la demande envahissante,
– les cris,
– la confusion, l’angoisse, le délire.
Pr. Louis PLOTON
Hypothèse / aux pertes et handicaps
• Plusieurs ordres de déterminants associés:
– Moins de connexions neuronales efficaces (mortes,
malades ou inactivées?)
– Interférence de problèmes insolubles (incapacité
d’assumer la question du temps qui passe et de la
mort qui se rapproche)
– Rôle possible des stress et traumatismes précoces
(question du type d’attachement?)
• Etat de conscience modifié (forme d’auto-hypnose) à
des fins protectrices: fonctionnement psychique de
secours à visée économique.
Pr. Louis PLOTON
Savoir ce qu’il va conserver
• Des retours de mémoire et d’aptitudes (dissociation
automatico-volontaire) soit imprévisibles, soit dans des
contextes facilitateurs (les groupes)
• Des perceptions et des réactions pertinentes. Ex: même
lorsqu’il ne parvient pas à nommer ses interlocuteurs, il ne se
conduit pas n’importe comment avec eux.
• Des mécanisme d’adaptation et d’expression affective;
• Une forme globale d’intelligence et de mémoire affectives:
identité affective (à souligner dans le cadre de l’annonce du
diagnostic).
• Des aptitudes de communication non verbale: rôle de la
mimique, gestualité, regard (s’il n’est pas halluciné).
Pr. Louis PLOTON
Connaitre sa perception
de ce qui lui arrive
• Sentiment d’un handicap dévalorisant: à masquer (?)
• Déni du trouble, voire fabulations …
• Mais aussi: capacité d’entendre parler de ce qui lui
arrive et d’acquiescer.
• A terme, un sentiment de vide intérieur, avec, lorsque
la maladie avance (au stade démentiel) deux façons
spontanées de pallier ce sentiment:
– Les hallucinations (y compris mnésiques)
– Les cris (pour se sentir exister?).
Pr. Louis PLOTON
Avec des modifications
psychoaffectives déterminantes de ses
conduites
– La demande abandonnique: il se sent démuni,
perdu et a besoin de se faire materner;
– La problématique narcissique (prédisposant ellemême aux troubles du comportement)
– La question de la mort (angoissante): cause,
conséquence, problématique robuste (quoi qu’il en
soit: angoisse latente)?
Pr. Louis PLOTON
L’évolution spontanée
• Une évolution différente d’un malade l’autre (fort
heureusement pas toujours catastrophique)
• Question du passage d’un stade infra-clinique (MCI) vers le
stade clinique (amnésie, aphasie, apraxie, agnosie)
• Possibles complications qui viennent aggraver le mal, telles
que la confusion mentale:
– Troubles de la conscience avec désorganisation cognitive intégrale
(malade non testable),
– Onirisme et troubles majeurs du comportement
– Perturbations biologiques
• Un stade évolué qu’on est autorisé à qualifier de démence:
– Grabatisation avec ses complications,
– Réflexes archaïques,
– Fausses routes alimentaires (fatales).
Pr. Louis PLOTON
Ce que la clinique nous apprend d’essentiel
• Existence d’un registre affectif de la pensée (robuste)
déterminant de nos conduites, comme des siennes,
lieu :
• émotions positives / négatives, plaisir/ déplaisir, joie/
tristesse, motivation/ démotivation,
• type d’attachement, composante affective du deuil, base
affective de l’estime de soi (sentiment de compter)
• mémoire affective : globale, non déclarative,
subconsciente (mémoire implicite ?).
• Registre universel déterminant des conduites de
tout un chacun (malades et bien portants).
Pr. Louis PLOTON
Ce quelque chose d’essentiel
– Pose la question de la trame affective de la pensée (de la
pensée structurée) avec des opérations purement affectives
qui servent de canevas (et/ou de catalyseur?) à l’ensemble
du fonctionnement psychique (lieu de phénomènes
d’adaptation affective) moteur affectif inconscient des
choix et des conduites.
– Conduit à parler d’un registre « matriciel » inconscient de
la pensée, de type global, préverbale, d’ordre affectif,
beaucoup plus structuré et fécond que le ça freudien:
• Chez le sujet normal: matrices affectives des pensées, ayant un
contenu formulable;
• Chez le malades d’Alzheimer: même fonctionnement mais privé de
contenus mis en forme, pensée restée à l’état de matrice affective.
Pr. Louis PLOTON
Un problème: nos représentation et
leur rôle dans les soins
• Une représentation générale: mort du cerveau (cf la
définition ancienne fondée sur l’incurabilité!)
• Les fantasmes: retour en enfance, mais aussi: mort
vivant (nous vampirisant) …
• Des conséquences universelles:
– La méconnaissance de la dimension psychologique: tout
attribuer aux lésions;
– Dérive sécuritaire: passer du soin à la surveillance (GPS)
voire à la contention;
– Sous estimation de ses possibilités et de la légitimité de ses
réactions;
Pr. Louis PLOTON
Nos réponses possibles à des demandes
et phénomènes implicites ?
• Le maternage excessif:
– Surprotection (lui cacher des choses):
– Indifférenciation des rôles;
– Infantilisation sous tous ses aspects (être asexué)…
• La réponse sans recul à la demande abandonnique:
– « Toi rien que toi, tout le temps toi !»;
– Absence de tiers: «Je suis le seul à le connaître et à pouvoir satisfaire
ses besoins»
• Souffrance et épuisement liées aux phénomènes dits
« d’attaque à la pensée »:
– incapacité de prise de distance des proches et des soignants;
– Agressivité, risque de maltraitance;
– à un moment: «C’est lui ou moi !».
Pr. Louis PLOTON
15
Plus généralement: une identification
limitée au patient
• Dans la formation médicale, encore le vocabulaire
défectologique :
– Pathologie neurodégénérative;
– Facultés résiduelles…
• Dans la formation des soignants, des archaïsmes tenaces:
– Les 14 besoins !
– Ignorance des déterminants et enjeux psychoaffectifs: ex. la notion
floue d’agitation (CMAI)
– Face aux conduites dérangeantes: le volontarisme (démarche de soins)
avec la recherche de solutions techniques (obliger, empêcher)
– Des attitudes pédagogiques: mettre à l’épreuve, rééduquer;
– Un risque de dérives chosifiantes: surveiller, stimuler…
Pr. Louis PLOTON
16
Un risque d’eugénisme rampant?
• L’idée introduite, de faire payer les soins par les intéressés
(des bouches inutiles)!
• Une restrictions des soins principalement sur le plan
psychologique (on vous héberge vous ne voudriez pas en plus
du confort psychologique!) mais aussi sur le plan médical:
– En médecine gériatrique: question de la tarification qui fait pression sur
les durées de séjours ;
– La limitation de fait des soins dans le cadre des forfaits (ex: question
des soins trop couteux en établissement d’hébergement)
– En Soins de Longue Durée: le risque d’orientations cliniques coupées
des besoins humains, référées à un algorithme (PATHOS).
• L’euthanasie qui risque, à terme, de viser les vieux et les M.A.
(à la demande de tiers).
Pr. Louis PLOTON
17
Comment introduire une approche
éthique ?
• Stigmatiser les approches chosifiantes:
– pathologie neuro-dégénérative;
– facultés résiduelles…
• Le débat autour de la stimulation:
– tends à induire des pratiques volontaristes coercitives,
– fait l’impasse des déterminants affectifs donc
déshumanisante et intrinsèquement anti-éthique;
• Choix de la remotivation: miser sur les leviers
affectifs qui peuvent modifier les conduites et induire
d’éventuelles rémissions cognitives aussi ponctuelles
soient-elles (le regarder, lui parler, donner des choix,
être courtois: merci, SVP, excusez moi !..).
Pr. Louis PLOTON
Conclusion / au moindre mal
• Faire le pari du sens:
– Considérer qu’il y à chez les malades des mécanismes
adaptatifs à l’œuvre, du point de vue affectif, même si son
affectivité n’est pas régulée;
– Prendre en compte ce qu’on supposera exprimé par des
conduites: demande abandonnique, peur de la mort, quête
narcissique…
• Mieux vaut se tromper sur ses sentiments et ses
motivations que ne pas lui en reconnaître !
Pr. Louis PLOTON

Documents pareils