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Introduction Chercheur indépendant reconnu pour l’intérêt de ses travaux consacrés aux contre-cultures japonaises du XXe siècle, Bruno Fernandes figure parmi les sept lauréats 2015 de la bourse de recherche en théorie et critique d’art que le Centre national des arts plastiques (CNAP) attribue chaque année. En partenariat avec le CNAP, la revue Critique d’art propose à l’un(e) de ces lauréat(e)s de mettre en avant son travail en publiant une tribune dans ses colonnes. Cela en accroît la visibilité tout en contribuant à rendre publiques les politiques de soutien à la théorie et critique d’art en France. Ont ainsi bénéficié de cette aide du CNAP en 2015 : Erik Bullot qui travaille autour du film et son double au croisement de la ventriloquie, du boniment et de la performativité ; Emma Dusong qui s’intéresse aux liens entre le chant 130 Critique d’art 47 et l’art contemporain dans la scène américaine ; Meriam Korichi qui revient sur la philosophie après l’art ; Cédric Vincent qui explore les archives du Premier festival mondial des arts nègres ; Judith Ickowicz qui, dans la continuité de ses vastes travaux sur le droit après la dématérialisation de l’œuvre d’art, édite une anthologie de textes juridiques sur l’histoire et la théorie du design ; Remi Parcollet qui entreprend une vaste recherche sur les auteurs de vues d’expositions en Europe et aux Etats-Unis de 1960 à 2000 (cf. Critique d’art, no 46). Bruno Fernandes quant à lui, ambitionne d’étudier, entre sphère mercantile et sphère (im)pulsionnelle, les valeurs d’usages et de territorialité du nu spectacularisé dans le Japon de la croissance de l’ère Shôwa postérieure (19451989). Prolongeant ainsi son travail sur le groupe nippon activiste transgressif des années 1960, Zero Jigen, publié aux Presses du réel en 2013, B runo Fernandes projette ici l’écriture d’une histoire du striptease et de son érotologie dans le Japon moderne. Alexis Vaillant Introduction Bruno Fernandes is a freelance researcher acclaimed for his interesting works about 20th century Japanese countercultures. As such, he was one of the seven 2015 recipients of the grant awarded annually by the National Centre for Plastic Arts (CNAP) for research in art theory and criticism. In partnership with the CNAP, the journal Critique d’art offers one of these recipients a chance to present his or her work by publishing an article in these columns. This will heighten the recipient’s visibility while at the same time helping to provide publicity for policies supporting art theory and criticism in France. The following thus enjoyed this assistance from the CNAP in 2015: Erik Bullot, who works around film and his double, where ventriloquy, chit-chat and performance all meet; Emma Dusong, who is interested in the links between song and contemporary art in the American scene; Meriam Korichi, who is involved with philosophy after art; Cédric Vincent, who is exploring the archives of the First World Festival of Black Arts; Judith Ickowicz, who is editing an anthology of legal writings dealing with the history and theory of design—a continuation of her comprehensive works on the law after the dematerialization of the artwork; and Remi Parcollet, who is undertaking extensive research into the authors of exhibition views in Europe and the United States from 1960 to 2000 (cf. Critique d’Art, no. 46). Bruno Fernandes, for his part, has set his heart on studying, somewhere between the mercantile domain and the (im)pulsive domain, the use and territoriality values of the spectacularized nude in Japan during the period of late Shôwa growth (1945-1989). In this way, Bruno Fernandes is extending his work on the transgressive activist Japanese group of the 1960s, Zero Jigen, which was published in 2013 by Les Presses du réel. Here, he outlines the writing of a history of striptease and its erotology in modern Japan. Alexis Vaillant Critique d’art 47 131 Itô Mika : la mue imaginale du striptease Bruno Fernandes Itô Mika : la mue imaginale du striptease La figure de la danseuse Itô Mika (1936-1970) synthétisa de manière exemplaire, dans les années 1960, des éléments esthétiques puisés dans les danses d’avant-garde de son temps et dans les spectacles populaires de nus – regroupés parfois sous le terme de striptease. Son art aboutit à une forme hybride qui nous aide à saisir les potentialités créatives et les enjeux moraux, voire politiques, du nu spectacularisé dans le Japon de la croissance. 1. Supreme Commander of the Allied Powers dirigé par MacArthur. 2. Depuis le début des années 1930, le Japon était en état d’urgence et engagé dans une politique d’agression militaire en Asie. 132 Fragments d’une histoire du striptease au Japon L’apparition du striptease au J apon est souvent datée du 1er janvier 1947. Il s’agissait d’un gakubuchi-shoo (en anglais frame-show), moins un strip qu’un tableau vivant, dans lequel un modèle féminin, torse-nu et immobile, était présenté comme décor d’une pièce de music-hall au Teitô-za, un théâtre de Tôkyô. Ces premiers shows se référaient à l’art occidental : la Naissance de Vénus de Sandro Botticelli ou l’Andromède de Pierre Paul Rubens, s’inscrivant sans solution de continuité dans une « tradition de la modernité », issue des périodes Meiji (1868-1912) et Taishô (1912-1926), légitimée à travers des œuvres étrangères. Le striptease « classique » (effeuillage) se développa rapidement suite à la tombée de l’interdiction imposée par la censure de l’époque (contrôlée par le SCAP1, de 1945 à 1952). Elément d’un display apporté dans le paquetage du G.I. occupant avec les chewing-gums, les bas nylon, les pin-up girls et la nouvelle constitution, ce striptease faisait partie de la panoplie idéologique d’un logiciel démocratique introduit de force dans la fissure nucléaire d’un Japon anéanti par quinze ans de guerres2. Toutefois, Critique d’art 47 Itô Mika: the Imaginal Moulting of the Striptease Bruno Fernandes Itô Mika: the Imaginal Moulting of the Striptease In the 1960s, and in an exemplary manner, the figure of the dancer Itô Mika (1936-1970) encompassed aesthetic elements drawn from the avant-garde dances of her day, and from popular shows of nudes—sometimes grouped together under the term striptease. Her art culminated in a hybrid form which helps us to grasp the creative potential and the moral, not to say political challenges of the spectacularized nude in a booming Japan. Itô Mika and the butôka Ishii Mitsutaka, Dokkiri zen.ei buyô: Itô Mika « Oo-jô no monogatari » [Shocking avant-garde dance, Histoire de Mlle Ô by the Bizarre Ballet run by Itô Mika]. Scene taken from Oo-jô no monogatari [Histoire d’O] © d.r. Fragments of a history of striptease in Japan The appearance of striptease in Japan is often given the date of 1 January 1947. What was involved was a gakubuchi-shoo (frame-show), which was not so much a strip as a tableau vivant (living picture), in which a female model, bare-breasted and motionless, was presented as the décor for a music-hall act in the Teitô-za, a Tokyo theatre. Those early shows made reference to western art-—Sandro Botticelli’s Birth of Venus, and Peter Paul Rubens’s Andromeda—included, without any solution of Critique d’art 47 133 Itô Mika : la mue imaginale du striptease 3. Shibusawa Tatsuhiko (1928-1987) définissait la beauté féminine japonaise comme « enfantine » opposée à celle « adulte » des Occidentales. 4. Théâtre d’opérettes, fondé en 1913, joué exclusivement par des troupes féminines. 134 il n’apporta pas une « découverte » de l’érotisme moderne au Japon. L’esthésie érotique occidentale, diffusée dans la fébrile ambiance de Meiji via la peinture (yôga) et la photographie, avait fait souche dans le cosmopolitisme de Taishô avec des modèles occidentaux popularisés par la presse et le cinéma. Les moga (modern girl), les rebyuu (music-hall) de l’entre-deux-guerres exposaient déjà un corps féminin érotisé, loin des formes pleines et puériles3 de l’ukiyo-é ou de la shunga d’Edo. Les sémiocraties libidinales des nations dominantes dans la spectacularisation érotique (France, Angleterre, Allemagne, EtatsUnis) étaient digérées. L’œuvre du photographe pictorialiste Nojima Yasuzô (1889-1964) reflète bien le moment de mutation érotique du corps japonais de l’entre-deux guerres, du moins du regard qui est posé sur lui. Même dans l’austérité du fascisme des années 1940, des spectacles de music-hall comme le Takarazuka4 continuèrent à attirer les foules. L’après-guerre n’est qu’une reprise d’activité, un retour de la licence dans la surchauffe d’une mutation sociale forcée par l’occupant américain dont le souci premier est un remodelage, non seulement des mécaniques intestines de l’Etat (refonte économique, purges politiques, nouvelle constitution), mais aussi de la self-image et, partant, de l’affectologie des Japonais dans leur ensemble. C’est sous cet augure que se lit le paysage du Japon des ruines, cimetière d’un monde encore tiède et fumier d’un capitalisme nouveau qui va rayonner sur l’Asie et le monde dans les décades suivantes. Parmi les mottos de l’américanisation accélérée, menée entre 1945 et 1952, circulait la triple formule : 3R-5D-3S (soit 3R : Revenge, Reform, Revive / 5D : Disarmament, Demilitarization, Decentralization, Democracy, Deindustrialization / 3S : Sports, Sex, Screen). Les 3S délimitent l’aire d’une nouvelle spectacularisation du nu dont le striptease fut une forme très populaire. Formule intéres- Critique d’art 47 Itô Mika: the Imaginal Moulting of the Striptease 1. Supreme Commander of the Allied Powers headed by MacArthur. 2. From the early 1930s, Japan was in a state of emergency and engaged in a policy of military aggression in Asia. 3. Shibusawa Tatsuhiko (1928-1987) defined Japanese female beauty as “childlike” as opposed to the “adult” beauty of Westerners. 4. An operetta theatre, founded in 1913, performed solely by femaler troupes. continuity, in a “tradition of modernity”, resulting from the Meiji (1868-1912) and Taishô (1912-1926) periods, legitimized by way of foreign works. The “classic” striptease developed fast once the ban on movement imposed by the censorship of the day (controlled by the SCAP,1 from 1945 to 1952) was lifted. As a factor in a display introduced into the occupying GI package, along with chewing gum, nylons, pin-up girls and the new constitution, that striptease was part and parcel of the ideological outfit of a democratic software forcefully introduced into the nuclear chink of a Japan destroyed by fifteen years of wars.2 But it did not introduce a “discovery” of modern eroticism in Japan. Western erotic esthesia—capacity for sensation-—, disseminated in the frenzied atmosphere of Meiji via painting (yôga) and photography, had found a line in the cosmopolitanism of Taishô with western models popularized by press and films. The moga (modern girls) and the rebyuu (music halls) of the between-thewars years already displayed an eroticized female body, well removed from the full and puerile forms3 of the ukiyo-é and the shunga of Edo. The libidinal semiocracies of the nations dominating erotic spectacularization—France, England, Germany, and the United States—were digested. The work of the pictorialist photographer Nojima Yasuzô (1889-1964) clearly reflect the moment when the between-thewars Japanese body underwent an erotic change, at least in terms of the gaze cast upon it. Even in the austerity of 1940s’ fascism, music-hall shows like the Takarazuka4 continued to attract crowds. The postwar period was just a resumption of activity, a return of licentiousness in the overheated atmosphere of a social shift forced upon Japan by the occupying Americans, whose prime concern was to do with a re-casting not only of the internecine mechanics of the State (economic reshaping, political purges, new constitution), but also of the self-image and, consequently, of the affectology of the Japanese as a whole. It was under this aegis that the landscape of Japan in ruins was read—the cemetery of a still lukewarm world and manure of a Critique d’art 47 135 Itô Mika : la mue imaginale du striptease 5. Prostituées vêtues à l’occidentale. sante, prônant un sexuel alors objet d’intenses campagnes de moralisation du SCAP, rejoint par des féministes conservatrices, pointant le danger vénérien et la débauche, « naturellement » associés au Communisme durant la Guerre froide. Sous couvert de démocratisation, un jeu entre patent (morale) et latent (licence) marque l’hégémonie des Etats-Unis moralisant l’espace public (corps respectable) et dictant la réactivité érotique (érotisme libéral) du nouveau citoyen (shimin). Mais les réalités du marché noir et des nouvelles prostitutions, laboratoires officieux du néo-libéralisme japonais, marginalisaient toujours les mêmes classes sociales dont des femmes pauvres fournissant le gros des panpan girls5 et des stripteaseuses, ces citoyennes de seconde classe, ces parias. Part maudite du « miracle japonais » jetant une ombre sur l’optimisme de la reconquista américaine, mais terreau idéologique fertile pour l’édification de la super croissance à venir. Nikutai vs kokutai Un leitmotiv des années 1950 soulignait la mutation idéologique du Japon dont le thème sacralisé de la période impérialiste – le kokutai (corps de la nation) – se voyait remplacé par le nikutai (corps charnel). Enoncé de Tamura Taijirô (19111983) popularisé par ses écrits adaptés au cinéma dont le fameux Nikutai no mon (La Porte de la chair, 1947), réalisé dès 1948 par Makino Masahiro (1908-1993), puis en 1964 dans une version plus violente par Suzuki Seijun (1923‑). En d’autres termes, l’exaltation patriotique sacrificielle, qui avait enivré et mené le Japon au désastre, était soudain remplacée par un hédonisme effréné – autre diktat glorifiant le corps sexué et les plaisirs – censé faire contre-feu au puritanisme fasciste qui pavoisa jusqu’en 1945 dans l’espace public avec les slogans Zeitaku wa teki da ! [Le luxe c’est l’ennemi !] ou Paamanento o y amemashô ! [Stop aux permanentes !]. Vision ironique de Tamura Taijirô basée toute- 136 Critique d’art 47 Itô Mika: the Imaginal Moulting of the Striptease 5. Prostitutes in western dress. new capitalism which would spread across Asia and the world in the following decades. Among the mottos of accelerated Americanization, occurring between 1945 and 1952, a threefold slogan circulated: 3R-5D-3S/ to wit, 3R: Revenge, Reform, Revive / 5D: Disarmament, Demilitarization, Decentralization, Democracy, Deindustrialization/ 3S: Sports, Sex, Screen. Here, 3S defined a new spectacularization of the nude, in which the striptease was a very popular form. It is an interesting formula, advocating something sexual that was, at the time, the target of busy moralizing campaigns launched by the SCAP, joined by conservative feminists, singling out venereal dangers and debauchery, “naturally” associated with communism during the Cold War. In the guise of democratization, an interplay between patent (morality) and latent (licentiousness) marked the hegemony of the United States, moralizing the public place (respectable body) and dictating the erotic reactiveness (liberal eroticism) of the new citizen (shimin). But the realities of the black market and new forms of prostitution, unofficial laboratories of Japanese neo-liberalism, always sidelined the same social classes, including poor women supplying the bulk of the panpan girls5 or strippers, those second-class citizens, and pariahs. An accursed part of the “Japanese miracle” casting a shadow over the optimism of the American ‘reconquista’, but fertile ideological loam for the edification of the super-growth in the offing. Nikutai vs. Kokutai A 1950s’ leitmotiv underscored Japan’s ideological switch, during which the sacred theme of the imperialist period—the kokutai (body of the nation)— was replaced by the nikutai (carnal body). This latter took the form of a declaration issued by Tamura Taijirô (1911-1983), which was popularized by his writings adapted to film, including the famous Nikutai no mon [Gate of Flesh, 1947], made in 1948 by Makino Masahiro (1908-1993), then again in 1964 in a more violent version directed by Suzuki Seijun Critique d’art 47 137 Itô Mika : la mue imaginale du striptease fois sur les réalités du déferlement de milliers de kasutori zasshi (revues osées bon marché) sur un lectorat avide, et du boom de la prostitution face au sexual urge de la soldatesque d’occupation (350 000 G.I.’s sont au Japon en 1945). La mutation de l’éros féminin japonais fut un ustensile de la démocratisation et du libéralisme économique censé en être le synonyme. Erotisation du capitalisme et capitalisation de l’érotisme comme en Europe occidentale, occupée ou assistée par les Etats-Unis dans le cadre du plan Marshall, mais où l’écart métabolique fut moindre. Race, sexe et classe convergent dans ce passage d’un corps asiatique menu, non angulaire, à celui agressif et élancé de la pin-up dont le modèle était européen et blanc. Le strip, déprécié, conserve là un p arfum de baraque de foire, de vulgarité qui l’assimile à la subversion morale, voire à l’opposition durant la Guerre froide. Ce statut contre-culturel séduisit des artistes japonais d’après-guerre. Nous ne donnerons qu’un exemple emblématique du lien entre striptease et avant-garde des années 1960 : celui de la danseuse Itô Mika, en évoquant aussi le chorégraphe Hijikata Tatsumi (1928-1986), génie de l’énigmatique ankoku butô. 6. Inspiré de Bizaaru no kai [Société bizarre], fondée par le dessinateur homosexuel Tomita Eizô (1906-1982). Itô Mika le rencontra en 1969 lors d’une projection de Justine de Jess Franco, d’après Le Marquis de Sade. 7. Genre bizarre osé de l’époque Taishô – proche du Grand-Guignol – qui se répercuta dans le cinéma B. 138 Itô Mika & le Bizaaru Baree Guruupu Itô Mika (Kawashima Kimiko) est une oubliée de la danse d’avant-garde japonaise des années 1960. Avec son Bizaaru Baree Guruupu6 – convoquant striptease et show sado-masochiste –, Itô Mika détourna les représentations et mythes de la sexualité moderne. Contemporaine de Hijikata Tatsumi, son style frôlait le butô par son étrangeté et sa force, mais s’en éloignait par une absence de référence à une quelconque japonité. Elle créa un non-genre, défiant le « grand art » en danse. Son esthétique provocatrice révéla un pan taboué de la contre-culture urbaine du Japon moderne lié à l’eroguro7. Des artistes importants comme l’illustrateur Uno Akira (1934-), le compositeur Ichiyanagi Critique d’art 47 Itô Mika: the Imaginal Moulting of the Striptease (1923-). Otherwise put, the sacrificial patriotic glorification, which had intoxicated Japan and led it to disaster, was suddenly replaced by a frenzied hedonism—another diktat glorifying the sexual body and pleasures—intended to offset the fascist puritanism which, until 1945, bedecked public places with slogans like Zeitaku wa teki da! [Luxury is the enemy!] and Paamanento o yamemashô! [Stop perms!]. Tamura’s ironical vision was nevertheless based on the realities of the unleashing of thousands of kasutori zasshi [cheap, racy magazines] upon a greedy readership, and of the boom in prostitution in the face of the ‘sexual urges’ of the occupying army rabble (350,000 GIs were based in Japan in 1945). The change in Japan’s female eros was an utensil of democratization and the economic liberalism which was meant to be synonymous with it. Eroticization of capitalism and capitalization of eroticism, as in western Europe, either occupied or assisted by the United States as part of the Marshall Plan, but where the metabolic gap was less. Race, sex and class converged in that shift from a small, non-angular Asian body to the aggressive and slender body of the pin-up, whose model was European and white. There the much-maligned strip retained a whiff of the fairground booth and vulgarity which likened it to moral subversion, and even assimilated it with opposition during the Cold War. That counter-cultural status won over postwar Japanese artists. Let us just offer one emblematic example of the link between striptease and 1960s’ avant-gardes, that of the dancer Itô Mika, with a mention, too, in passing, of the choreographer Hijikata Tatsumi (1928-1986), that genius of the enigmatic ankoku butô. 6. Inspired by Bizaaru no kai [Bizarre Company], founded by the homosexual draughtsman Tomita Eizô (1906-1982). Itô Mika met him in 1969 during a screening of Jess Franco’s Justine, based on the Marquis de Sade. Itô Mika and the Bizaaru Baree Guruupu Itô Mika (Kawashima Kimiko) is a forgotten figure of avant-garde Japanese dance of the 1960s. With her Bizarru Baree Guruupu6—combining striptease and sado-masochistic show—Itô Mika hijacked the representations and myths of modern sexuality. A contemporary of Hijikata Tatsumi, her style verged on the butô with its strangeness and power, but veered Critique d’art 47 139 Itô Mika : la mue imaginale du striptease oshi (1933-), le peintre Kaneko Kuniyoshi T (1936-2015) travaillèrent avec elle. Professeur d’éducation physique dans le civil (comme le b utôka Ôno Kazuo), Itô Mika avait étudié la danse classique et fut formée au Centre d’études de la danse de Kuni Chiya (1911-2011), chorégraphe d’avant-garde occultée pour ses opinions de Gauche. Itô Mika collaborera en outre avec Ishii Mitsutaka et Maro Akaji, premiers butôka de Hijikata Tatsumi et fut proche des courants underground du Happening se développant alors au Japon. La beauté agressive, androgyne d’Itô Mika, son choix d’opérer dans des lieux dépréciés (boîtes de nuits, cabarets) la singularisent dans le monde de la danse. Demeurant marginale, Itô Mika en costume surréaliste d’oiseau de nuit enchaîné. Titre : « Festival des arts de la ville, un groupe d’art moderne brûle les planches » (Machi no geijutsusai, modan-aato guruupu no netsuenburi) . Scène extraite de Oo-jô no monogatari [Histoire d’O] © d.r. 140 Critique d’art 47 Itô Mika: the Imaginal Moulting of the Striptease 7. A weird and racy genre of the Taishô –close to the Grand-Guignol– which had echoes in B movies. 8. Her husband, Itô Bungaku (1934-), published her biography: Hadaka no nyôbô, rokujûnendai o shippû no gotoku kakenuketa zen ei buyôka Itô Mika, Tokyo: Sairyûsha, 2010. away from it by an absence of reference to any kind of Japaneseness. She created a non-genre, challenging “great art” in dance. Her provocative aesthetics revealed a taboo swathe of modern Japan’s urban counter-culture associated with the eroguro.7 Major artists like the illustrator Uno Akira (1934-), the composer Ichiyanagi Toshi (1933-) and the painter Kaneko Kuniyoshi (1936-2015) worked with her. Itô Mika, who was a physical education teacher in civilian life (like the butôka Ôno Kazuo), had studied classical dance and been trained at the Dance Study Centre run by Kuni Chiya (1911-2011), an avantgarde choreographer black-balled for her leftist views. Itô Mika also worked with Ishii Mitsutaka and Maro Akaji, Hijikata Tatsumi’s first butôka, and was close to the underground happening movements then developing in Japan. Itô Mika’s aggressive and androgynous beauty, and her decision to work in disparaged places —nightclubs and cabarets—singled her out in the dance world. Remaining on the sidelines, and pigeonholed in the Angura—the underground which included Terayama Shûji and Kara Jûrô—, Itô Mika was regarded as an artistic stripper, like Rita Renoir in France. She died at the age of 34 from carbon monoxide intoxication while she was taking a bath, and the archives covering her life and work are few and far between.8 Hijikata and the strip Itô Mika did not join his troupe, but in 1961 she was part of Hijikata Tasumi’s circle, taking part with him in Fujii Kunihiko’s Niguro to kawa, and then the 1963 happening Sweet Sixteen. Hijikata Tatsumi used the striptease as training for his dancers, to rid them of their inhibitions and also pay for his butô. He choreographed cabaret shows and even, in 1964, a review at the Nichigeki, Tokyo’s large music-hall. In 1971, he offered pieces to the Shinjuku Art Village of Kabuki-chô, where there were fûzoku-ten (kinds of brothels) and strip clubs. Pavement advertising, photographs and slogans suggested a racy Critique d’art 47 141 Itô Mika : la mue imaginale du striptease 8. Son mari, Itô Bungaku (1934-), publia sa biographie : Hadaka no nyôbô, rokujûnendai o shippû no gotoku kakenuketa zen.ei buyôka Itô Mika, Tôkyô : Sairyûsha 2010. 9. Traduit par Shibusawa Tatsuhiko classée dans l’Angura – underground incluant Terayama Shûji ou Kara Jûrô –, Itô Mika fut considérée comme une stripteaseuse artistique, telle Rita Renoir en France. Disparue à trentequatre ans suite à une intoxication au monoxyde de carbone alors qu’elle prenait son bain, il subsiste peu d’archives sur elle et son œuvre8. Hijikata et le strip Sans entrer dans sa troupe, Itô Mika fut, dès 1961, dans l’orbe de Hijikata Tatsumi en participant avec lui à Niguro to kawa de Fujii Kunihiko, puis au happening Sweet Sixteen de 1963. Hijikata Tatsumi utilisa le striptease comme training de ses danseuses, pour les désinhiber et aussi financer son butô. Il chorégraphia des shows de cabarets et même, en 1964, une revue du N ichigeki, le grand music-hall de Tôkyô. En 1971, il donna des pièces au Shinjuku Art Village de Kabuki-chô où s’alignaient fûzoku-ten (genre de bordels) et strip-clubs. Publicité sur le trottoir, photographies et slogans laissaient croire à un spectacle osé comme attendu à cet endroit. Ses pièces d’ankoku butô, avec filles nues poudrées de blanc, tiraient vers un nude show expressionniste pouvant séduire le quidam. Cette mise de l’art à l’épreuve d’un regard non préparé, hors d’un cercle d’initiés, caractérisait la démarche de Hijikata Tatsumi. En 1969, il donna des shows au Space Capsule, la discothèque où se produisait Itô Mika. Ses danseurs, Ishii Mitsutaka et Maro Akaji, avaient participé dès 1967 à l’adaptation par le Bizaaru Baree Guruupu d’Histoire d’O de Pauline Réage9. Space Capsule Ouverte en 1968 à Akasaka, cette discothèque futuriste tapissée d’acier poli et de spots, évoquant un module lunaire, fut conçue par l’architecte Kurokawa Kishô (1933-), membre du groupe Metabolism. Des shows de mode et d’avant-garde s’y déroulaient sous les striures des s troboscopes. On y croisait les artistes Terayama Shûji, Kara 142 Critique d’art 47 Itô Mika: the Imaginal Moulting of the Striptease 9. Translated by Shibusawa Tatsuhiko. spectacle, as would be expected in such a venue. His ankoku butô pieces, with white-powdered naked girls, veered towards an Expressionist nude show capable of seducing ordinary guys. This art production testing an unprepared eye, outside the circle of the initiated, hallmarked Hijikata Tatsumi’s approach. In 1969, he put on shows at the Space Capsule, the discotheque where Itô Mika performed. In 1967, his dancers, Ishii Mitsutaka and Maro Akaji, took part in the adaptation by the Bizaaru Baree Guruupu of Pauline Réage’s Histoire d’O.9 Space Capsule This futuristic discotheque, which opened in 1968 in Akasaka, lined with polished steel and spots, conjuring up a lunar module, was designed by the architect Kurokawa Kishô (1933-), a member of the Metabolism group. Fashion and avant-garde shows were held in it beneath stroboscopic lighting. At them, you might bump into the artists Terayama Shûji, Kara Jûrô, Hijikata Tatsumi, and Okamoto Tarô, writers like Mishima Yukio, the poet Yoshioka Minoru, and others. In it, Itô Mika put on dances of erotic works like Kurita Isamu’s Aido and Sade’s Justine. The kitsch signature and the provocative themes were akin to the floor shows of the day, but Itô Mika challenged and unravelled the metabolic data of the Japanese woman. She retained the heretical part of the butô of Hijikata Tatsumi’s masculine period—“anal”, according to this latter—from Kinjiki (1959) to Nikutai no haran (1968). He then focused on the feminine aspect with the Hakutôbô troupe, where Itô Mika might have been a “muse”, like Ashikawa Yôko and Kobayashi Saga. The power behind the Bizaaru Baree Guruupu was the tormented female figure of Itô Mika, both predator and victim—somewhere between SacherMasoch’s Wanda and Justine—giving birth to a utopian, at times morbid body, in the metallic shimmer of the Space Capsule. Imaginal moulting of an unknown creature, metabolism of a fantasy woman who, like the violent butterfly, was an Critique d’art 47 143 Itô Mika : la mue imaginale du striptease Jûrô, Hijikata Tatsumi, Okamoto Tarô, des écrivains dont Mishima Yukio, le poète Yoshioka Minoru, etc. Itô Mika y monta des chorégraphies d’œuvres érotiques comme Aido de Kurita Isamu ou Justine du Marquis de Sade. La signature kitsch, les thèmes provocants étaient proches des floorshows de l’époque, mais Itô Mika y défia et défit les données métaboliques de la femme japonaise. Elle retint la part hérétique du butô de la période masculine de Hijikata Tatsumi – « anale » selon ce dernier – de Kinjiki (1959) à Nikutai no haran (1968). Il se focalisa ensuite sur le féminin avec la troupe Hakutôbô dont Itô Mika aurait pu être une « égérie », comme Ashikawa Yôko ou Kobayashi Saga. La force du Bizaaru Baree Guruupu fut la figure féminine tourmentée d’Itô Mika, prédatrice et victime – entre Wanda de Sacher-Masoch et Justine – accouchant d’un corps utopique, parfois morbide, dans les chatoiements métalliques du Space Capsule. Mue imaginale d’une créature inconnue, métabole d’une femme-phantasme qui, pareille au violent papillon, fut une hérésie éphémère au cœur de la modernité normative d’un Japon en pleine euphorie capitaliste. Itô Mika rejoint là les silhouettes impies du butô de Hijikata Tatsumi qui disait que le corps était la chose la plus étrangère au monde. Repères biographiques : 1958 : Itô Mika étudie avec Kuni Chiya et Kuni Masami 1960 : Dance action-2 avec Matsumae Minako, Kawana Noboru et d’autres / Kawaita zô de Kuni Chiya. 1961 : Kiiroi jikan de Kuni Masami / Niguro to kawa de Fujii Kunihiko 1963 : Performing Festival Sweet Sixteen, happening au Sôgetsu Hall, Tôkyô 144 Critique d’art 47 Itô Mika: the Imaginal Moulting of the Striptease ephemeral heresy at the heart of the norm-bound modernity of a Japan in the thick of capitalist euphoria. Itô Mika here joins the impious silhouettes of Hijikata Tatsumi’s butô—he who said that the body was the most alien thing in the world. Translated from the French by Simon Pleasance Bruno Fernandes is a freelance researcher, formerly from Langues’O. His field work as an improviser (percussion instruments), in touch with the Japanese underground (free-rock, noise, butô, performances) would involve him in real research into the history of those movements in Japan. He is in charge of the Délashiné collection (at Les Presses du réel) devoted to 20th Japanese countercultures. He has published Pornologie vs capitalisme : le groupe de happening Zero Jigen, Japon 19601972 (Les Presses du réel, 2013), “Yotsuya Simon, the Metabolic Magician” (in Pavilionesque : Art & Theater Magazine, no. 1, 2015), Vocations de l’ombre, Haino Keiji, une autre voix/ voie du rock (Les Presses du réel, 2016). Biographical notes: 1958: Itô Mika studied with Kuni Chiya and Kuni Masami 1960: Dance action-2 with Matsumae Minako, Kawana Noboru and others / Kawaita zô by Kuni Chiya. 1961: Kiiroi jikan by Kuni Masami / Niguro to kawa by Fujii Kunihiko 1963: Performing Festival Sweet Sixteen, happening at the Sôgetsu Hall, Tokyo 1965: Duo with Aozu Yoshiko for Karubadosu no kai, a literary group to which Tamura Taijirô belonged 1967: Itô Mika put on a stage version of Histoire d’O by Pauline Réage 1968: Itô Mika adapted Aido no keifu by Kurita Isamu / Bokushin no gogo, Rashômon de Wakamatsu Miki and Tsuda Ikuko 1969: Show window by Saotome Yukio, at the Tokyo art museum/ Shizuka na umi no kyôhu at the Space Capsule, visited by Hijikata Tatsumi 1970: Itô Mika put on Yuki Onna / Accidental death of Itô Mika by asphyxiation while taking a bath. Critique d’art 47 145 Itô Mika : la mue imaginale du striptease 1965 : Duo avec Aozu Yoshiko pour Karubadosu no kai, groupe littéraire dont fait partie Tamura Taijirô 1967 : Itô Mika monte une version scénique d’Histoire d’O de Pauline Réage 1968 : Itô Mika adapte Aido no keifu de Kurita Isamu / Bokushin no gogo, Rashômon de Wakamatsu Miki et Tsuda Ikuko 1969 : Happening en vitrine de Saotome Yukio, au musée d’art de Tôkyô / Shizuka na umi no kyôhu au Space Capsule où passe Hijikata Tatsumi 1970 : Itô Mika monte Yuki Onna / Décès accidentel d’Itô Mika par asphyxie en prenant son bain. Bruno Fernandes est chercheur indépendant, ancien des Langues’O. Son expérience de terrain comme improvisateur (percussions), au contact de l’underground japonais (free-rock, noise, butô, performances) l’engagera dans une vraie recherche sur l’histoire de ces mouvements au Japon. Il dirige la collection Délashiné (aux Presses du réel) consacrée aux contre-cultures japonaises du XXe siècle. Il a publié Pornologie vs capitalisme : le groupe de happening Zero Jigen, Japon 1960-1972 (Les Presses du réel, 2013), « Yotsuya Simon, the Metabolic Magician » (dans Pavilionesque : Art & Theater Magazine, no 1, 2015), Vocations de l’ombre, Haino Keiji, une autre voix/voie du rock (Les Presses du réel, 2016). 146 Critique d’art 47