Le système nerveux à destinée cardiaque : une cible pour des

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Le système nerveux à destinée cardiaque : une cible pour des
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Le système nerveux à destinée cardiaque :
une cible pour des médicaments du futur
L. Monassier*, J. Feldman*, P. Bousquet*
RÉSUMÉ. Le système nerveux autonome exerce un rôle crucial dans les processus adaptatifs du sujet sain, mais peut aussi contribuer au
déclenchement ou à l’aggravation de nombreux processus pathologiques cardiovasculaires. Dès lors, des études pharmacologiques, expéri mentales ou cliniques, utilisant des produits d’action centrale, non psychotropes, modulant l’équilibre parfois fragile de la balance sympa thovagale, fournissent des bases de réflexion intéressantes pour le développement de stratégies thérapeutiques nouvelles. En effet, pour cer taines maladies cardiovasculaires, les traitements disponibles sont parfois devenus décevants ou insuffisants. Le recours au système nerveux
autonome comme cible pour des médicaments utilisables dans ces pathologies n’a pas encore été exploité ; les arguments qui plaident en
faveur de l’exploitation rapide de certaines de ces voies sont résumés dans cet article.
Mots-clés : Balance sympathovagale - Imidazolines - Glutamate - Insuffisance cardiaque - Ischémie myocardique - Dysrythmies.
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ffirmer, en 1998, que le système nerveux central
contrôle l’équilibre entre le système nerveux
sympathique et le système vagal et exerce par là
une influence cruciale sur le fonctionnement normal et pathologique de l’appareil cardiovasculaire pourrait paraître d’une
grande banalité. De nombreux travaux évoquent en effet son
rôle dans la régulation du tonus vasomoteur, dans l’aggravation de l’insuffisance cardiaque, dans le déclenchement des
vasospasmes artériels coronaires induits par l’émotion, la
contrainte ou l’effort, ou dans la mort subite d’origine rythmique survenant au décours de l’évolution de diverses cardiopathies. Pourtant l’arsenal thérapeutique cardiovasculaire
actuel comprend peu de médicaments dont les effets centraux
justifient leurs indications thérapeutiques. Il n’y a guère dans
ce créneau que les antihypertenseurs dits centraux tels que
l’α-méthyldopa, la clonidine, la rilménidine et la moxonidine.
D’autres produits affectent le système nerveux autonome
essentiellement en périphérie (les bêtabloqueurs, les digitaliques cardiotoniques ou la scopolamine) ; mais, pour certains
au moins, le possible passage au travers de la barrière hématoencéphalique suggère une contribution centrale à leurs
effets thérapeutiques. Il peut être utile de résumer les arguments conceptuels, expérimentaux et cliniques, qui justifient
la mise en œuvre de programmes de recherche ayant une
chance raisonnable d’aboutir au développement de médica-
* Laboratoire de neurobiologie et pharmacologie cardiovasculaire, Faculté de
médecine, 11, rue Humann, 67085 Strasbourg Cedex.
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ments d’action centrale, à visée cardiovasculaire. Malgré son
actualité, nous excluons l’hypertension artérielle du champ de
cette revue.
EFFETS ADDITIONNELS DES ANTIHYPERTENSEURS
CENTRAUX
Nous nous attacherons ici à décrire les effets additionnels des
antihypertenseurs centraux de seconde génération (à structure
imidazolinique) qui semblent les plus prometteurs.
Infarctus du myocarde et ischémie myocardique
La phase aiguë de l’infarctus du myocarde est une situation
dans laquelle l’hyperactivation sympathique est fréquente, du
fait de la stimulation des centres régulateurs bulbaires par des
influx nociceptifs et par les voies baro- et chémoréflexes. La
libération de catécholamines consécutive à cette stimulation
sympathique augmente la demande en oxygène du myocarde
tout en en réduisant les apports, et peut induire des troubles du
rythme cardiaque parfois fatals. Dès lors, l’utilisation d’un
médicament tel que la clonidine, associant des effets sympatholytiques et parasympathomimétiques d’origine centrale,
peut paraître rationnelle. Deux études ont été consacrées à
l’utilisation de clonidine à la phase aiguë de l’infarctus du
myocarde. La première est une étude randomisée comportant
66 patients répartis en trois groupes : un groupe contrôle, un
groupe traité par la clonidine et un groupe traité par la nitroglycérine (1). Chez les patients traités par clonidine, une
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réduction significative de la taille de l’infarctus (évaluée par
cartographie ECG qui peut constituer une méthode prêtant à
discussion) et une réduction de l’incidence et de la gravité des
troubles du rythme ont été observées. Ces effets étaient corrélés à une réduction de l’excrétion urinaire de catécholamines.
Dans une autre étude, Renard (2) a évalué les effets de la clonidine lors de poussées hypertensives survenant à la phase
aiguë d’un infarctus myocardique. Les chiffres tensionnels
ont été normalisés et la demande en oxygène du myocarde a
été réduite (essentiellement par diminution de la fréquence
cardiaque). L’intérêt à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde des antihypertenseurs centraux de deuxième génération,
très bien tolérés, devrait être évalué de manière plus extensive et plus rigoureuse.
Un effet anti-ischémique potentiel de ces produits, dans l’angine de poitrine, n’a, curieusement, jamais été abordé ni sur le
plan clinique ni sur le plan expérimental. Cet aspect nous
semble pourtant très important. Il est en effet bien connu que
le lit artériel coronaire des patients présentant des lésions préathéromateuses ou des sténoses effectives réagit de manière
anormale à des tests mettant en jeu le système nerveux autonome (3). En effet, la réponse constrictrice d’artères coronaires saines, observée lors de l’administration de noradrénaline en présence de bêtabloqueurs (4), est physiologiquement
contrecarrée par des systèmes vasodilatateurs locaux, où le
monoxyde d’azote occupe une place importante (5), et par
l’activation conjointe et réflexe du système vagal, consécutive à l’augmentation de la pression artérielle (6, 7).
L’altération de la réactivité vasculaire dépendante de l’endothélium, dans les artères athéromateuses, aboutit à des chutes
du débit artériel myocardique chez des malades coronariens
lors de tests de stress mettant en jeu le système nerveux sympathique. L’activation de ce système lors de tests tels que du
calcul mental ou un discours en public a bien été démontrée
lors d’études menées soit avec l’analyse spectrale de la variabilité de la pression artérielle (8), soit par des mesures des
taux plasmatiques de catécholamines circulantes (9) ou lors
d’enregistrements microneurographiques de l’activité nerveuse sympathique (10). Cette activation conduit à une réponse
cardiovasculaire typique associant augmentation de la pression artérielle systolique, du débit cardiaque et des résistances
vasculaires périphériques. Dans les études citées ci-dessus,
ces réponses étaient accompagnées d’une augmentation de la
fréquence cardiaque ; celle-ci n’est toutefois pas constante, on
observe même parfois d’authentiques bradycardies associées
au stress.
Chez des patients angineux, les modifications citées ci-dessus, qui apparaissent corrélées aux concentrations plasmatiques d’adrénaline, induisent une chute de la fraction d’éjection ventriculaire associée à des signes paracliniques d’ischémie myocardique chez environ 60 % des malades (11). Ces
études montrent donc clairement que la cause de l’ischémie
myocardique induite par le stress chez des patients coronariens, comme cela avait été décrit par Rozanski et coll. en
1988 (12), est une chute du flux artériel myocardique consé68
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cutive à une activation du système nerveux sympathique survenant sur un lit artériel coronaire pathologique. Les autres
modifications hémodynamiques concourent à l’aggravation
de l’ischémie en majorant encore l’augmentation de la
demande myocardique en oxygène ; il s’agit d’ailleurs là des
bases physiopathologiques mises à profit lors des traitements
de l’angor par stellectomie ou par bêtabloquants, avec les
limites que l’on sait. Des antihypertenseurs d’action centrale
pourraient donc, à cause de leur capacité à inhiber l’activité
du système sympathique (même à des doses infrahypotensives), être efficaces chez les patients angineux dans les épisodes ischémiques aigus (dus à des stress psychologiques),
mais pourraient aussi limiter les complications chroniques de
l’athérosclérose et des troubles vasomoteurs qui y sont associés, du fait des interférences entre le système sympathique et
l’athérogenèse. Des études cliniques devraient être entreprises
pour confirmer ces hypothèses chez des malades, en particulier présentant des formes d’ischémie de repos, à seuil
variable.
Insuffisance cardiaque
Dans l’insuffisance cardiaque compensée, les altérations de la
balance sympathovagale sont de règle. De manière schématique, on constate qu’une réduction de l’activité basale et stimulée du système vagal et une activation sympathique pouvant atteindre, au repos, 50 fois la valeur mesurée chez des
sujets sains, sont associées. Cette activation pourrait d’ailleurs
s’exprimer dans le cœur bien avant que l’on puisse observer
une activation globale du système nerveux sympathique.
Cette stimulation est nécessaire, au début de l’évolution de la
pathologie (toutes étiologies confondues), puisqu’elle contribue au maintien de la fonction ventriculaire. Par la suite, elle
devient délétère puisque, directement ou indirectement par
activation d’autres systèmes biologiques (système
rénine/angiotensine/aldostérone par exemple), elle contribue
au développement puis à l’aggravation de l’hypertrophie ventriculaire ainsi qu’aux altérations hémodynamiques, en élevant les résistances vasculaires périphériques. De surcroît, les
effets arythmogènes des catécholamines sont aujourd’hui bien
documentés. Il est donc légitime d’escompter un effet bénéfique, dans l’insuffisance cardiaque d’origine hypertensive,
de médicaments qui, en inhibant le système nerveux sympathique, contribueraient à normaliser les chiffres tensionnels,
tout en exerçant des effets favorables sur la balance hydrosodée (par réduction des conséquences rénales de l’hyperactivité sympathique). En outre, ils pourraient protéger des
arythmies ventriculaires et de la détérioration progressive de
la fonction cardiaque. Une des conséquences intéressantes de
l’inhibition sympathique d’origine centrale est la prévention
de l’activation de toutes les classes de récepteurs effecteurs du
système nerveux autonome de manière simultanée. En effet,
les actions cardiovasculaires consécutives à l’activation du
système nerveux sympathique ont pour origine la stimulation
des récepteurs α- et β-adrénergiques. Le blocage exclusif des
récepteurs β, lors de l’utilisation d’un traitement par un bêtabloqueur, va renforcer les effets du sympathique passant par
l’activation des récepteurs α-adrénergiques. Cette activation
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isolée des récepteurs α-adrénergiques peut conduire au maintien de résistances vasculaires périphériques élevées, à la persistance de l’accélération de l’hypertrophie induite par les
catécholamines et, de ce fait, à l’altération de la fonction ventriculaire gauche. Les effets bénéfiques du blocage simultané
de tous ces récepteurs pourraient expliquer les effets réputés
bénéfiques du carvédilol dans l’insuffisance cardiaque. On
peut légitimement s’attendre à des effets similaires avec des
produits agissant en amont des récepteurs, dans le système
nerveux central. De plus, on obtiendrait une inhibition de la
libération de cotransmetteurs tels que le neuropeptide Y, libéré en même temps que les catécholamines et dont les effets
délétères sur la fonction cardiaque dans le contexte du myocarde hypertrophique sont documentés. En ce qui concerne
les imidazolines, ces hypothèses ont été explorées en clinique
humaine avec deux médicaments : la clonidine et la moxonidine, plus récente.
Les effets cardiovasculaires de la clonidine ont été testés en
administration unique chez des patients insuffisants cardiaques graves (grades III ou IV de la NYHA). Elle améliore
notablement les conditions de charge ventriculaire ainsi que la
fonction diastolique, et favorise ainsi la perfusion coronaire.
Ces effets bénéfiques sont malheureusement limités par une
réduction de la fonction systolique dont l’origine est une
chute de la contractilité myocardique (13, 14). Ce dernier
point a conduit à suspendre les évaluations cliniques de la clonidine dans l’insuffisance cardiaque pendant près de 15 ans.
Cette question a cependant été reprise très récemment avec
des doses plus faibles de clonidine en association avec un
inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine : le
captopril (15). Cette association s’est avérée particulièrement
efficace, certains éléments bénéfiques étant surtout le fait de
la clonidine (amélioration des paramètres de précharge ventriculaire), qui a également potentialisé les actions induites
par le captopril sur les résistances vasculaires périphériques et
la fraction d’éjection ventriculaire. Dans cette étude, les effets
ont été obtenus après administration d’une dose unique, mais
les auteurs annoncent des résultats non encore publiés où un
traitement de 14 mois associant clonidine, digitaliques et diurétiques aurait amélioré l’état clinique des patients en augmentant leurs performances à l’effort, tout en réduisant la gravité des arythmies cardiaques et le nombre d’hospitalisations.
En ce qui concerne la moxonidine, les résultats sont encore
préliminaires, aucune étude au long cours n’ayant été publiée
à ce jour. Pour les effets observés après administration d’une
dose unique à des patients insuffisants cardiaques grade III ou
IV, les résultats sont voisins de ceux qui ont été observés avec
la clonidine. Ce médicament réduit les taux circulants de
noradrénaline tout en diminuant les paramètres de précharge
ventriculaire et les résistances vasculaires systémiques (16).
Là encore, l’efficacité en termes de morbi-mortalité reste
à évaluer, mais les effets hémodynamiques semblent
prometteurs.
Troubles du rythme cardiaque
Les troubles du rythme cardiaque constituent un groupe très
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hétérogène sur le plan des origines physiopathologiques. Il est
donc nécessaire de le subdiviser dès lors que l’on désire proposer une stratégie thérapeutique. Il est en effet illusoire de
vouloir tenter de prévenir de la même manière la mort subite
d’origine rythmique de l’insuffisant cardiaque, qui est une
bradyarythmie avec dissociation électromécanique dans la
majorité des cas, et celle pouvant survenir dans les suites d’un
infarctus du myocarde, qui résulte le plus souvent d’une fibrillation ventriculaire. Ce dernier cas a été le mieux étudié en
clinique et a été modélisé sur le plan expérimental. Il a ainsi
été possible de démontrer la part importante prise par le système nerveux autonome dans le déclenchement ou l’aggravation de ce type d’arythmies (17). La fibrillation survenant sur
myocarde ischémique est favorisée par l’activation du système
sympathique, alors qu’elle est prévenue par la stimulation
électrique ou pharmacologique de l’activité vagale. Là encore,
l’hypothèse selon laquelle les antihypertenseurs centraux, par
la conjonction de leurs effets sympatholytiques et “parasympathomimétiques”, pourraient présenter une action antiarythmique paraît donc intéressante. Cependant, peu d’études ont
été consacrées aux éventuels effets antiarythmiques des antihypertenseurs centraux de seconde génération (bien tolérés)
en situation d’ischémie. Ces produits ont surtout été testés
dans des modèles d’arythmies induites par des catécholamines ou des glucosides cardiotoniques administrés par voie
veineuse. Dans ces modèles, la clonidine (18), la rilménidine
(19) et la moxonidine (20) se sont toutes trois avérées antiarythmiques par des actions souvent complexes impliquant
des effets périphériques et centraux. La moxonidine a été évaluée dans un modèle d’infarctus chez le rat conscient et d’ischémie/reperfusion chez le rat anesthésié. Elle a démontré ses
propriétés antiarythmiques dans ces deux situations, sans que
son mode et son site d’action aient été précisés (21). Les effets
de cet antihypertenseur central de seconde génération viennent appuyer les données cliniques obtenues avec la clonidine à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde. En ce qui
concerne des troubles du rythme survenant en dehors des
contextes de l’infarctus du myocarde et de l’insuffisance cardiaque, on pourrait légitimement escompter une efficacité
préventive de ces produits dès lors que l’on aura démontré
que l’hyperactivité sympathique constitue là aussi un facteur
favorisant ou déclenchant.
LA SYNAPSE GLUTAMATERGIQUE CENTRALE
COMME NOUVELLE CIBLE EN THÉRAPEUTIQUE
CARDIOLOGIQUE
Place des relais glutamatergiques dans les voies sympathiques centrales
Les relais glutamatergiques centraux sont présents quasiment
à tous les étages du tronc cérébral (figure 1). De manière très
schématique, le bulbe rachidien comprend, dans sa région
ventrale, la structure qui contient les corps cellulaires des neurones sympathiques contrôlant les neurones préganglionnaires. En effet, ce noyau, appelé noyau réticulaire latéral,
envoie des projections glutamatergiques (pour environ 65 %)
vers la colonne intermédiolatérale de la moelle (localisation
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débits sanguins locaux, une tachycardie et une augmentation
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l’inotropisme cardiaque permettant la nécessaire augmentation du débit cardiaque. Dans certaines situations pathologiques, cette stimulation d’origine centrale conduira à une
ischémie myocardique, un angor instable en raison des effets
vasoconstricteurs coronaires et proagrégants plaquettaires des
catécholamines, un infarctus et/ou des troubles du rythme cardiaque, évoluant parfois vers la mort subite. Il est bien évident
que ces phénomènes ne surviennent qu’exceptionnellement
sur cœur sain. En revanche, le système nerveux autonome
contribue largement au développement de ces accidents cardiovasculaires sur un myocarde pathologique.
Figure 1. Vue simplifiée de la place des relais glutamatergiques
centraux dans l’activation des principales structures du système
nerveux sympathique impliquées dans l’adaptation cardiocircula toire normale et pathologique.
Glu : glutamate ; NRL : noyau réticulaire latéral du bulbe ; ACh : acétylcholine ;
NorA : noradrénaline.
principale des corps cellulaires des neurones préganglionnaires sympathiques). Cette structure, activée de manière
tonique à l’état de base, peut voir son influence augmenter
sous l’action de stimuli provenant de structures sus-jacentes
dans le tronc cérébral (substance grise périaqueducale), dans
l’hypothalamus (noyau paraventriculaire ou hypothalamus
latéral), dans le thalamus ou aussi de structures corticales
telles que le lobe limbique et le cortex frontal. Ces diverses
structures vont, dans certaines situations physiologiques telles
que le stress ou l’effort physique, mais aussi dans des situations pathologiques comme l’ischémie vasculaire cérébrale,
stimuler les neurones de la région ventrale du bulbe rachidien
et, plus directement, les structures sympathiques spinales, au
moyen de projections principalement glutamatergiques. Il est
à noter que ces voies glutamatergiques jouxtent des voies
GABAergiques dont l’activation aboutit à un effet opposé.
L’activation sympathique sera souvent assortie d’une inhibition vagale et d’un blocage au moins partiel de la réactivité
baroréflexe. La résultante sera une adaptation cardiovasculaire caractérisée, en conditions normales, par une augmentation
de la pression artérielle assortie d’une redistribution des
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Approches expérimentales et intérêt potentiel de la modulation de ces synapses en thérapeutique cardiovasculaire
Ischémie myocardique. L’ischémie myocardique du
patient coronarien survient schématiquement dans deux situations : à l’effort, quand l’augmentation de la demande d’oxygène du myocarde n’est pas couverte par une vasodilatation
artérielle coronaire suffisante, et, au repos ou lors d’un stress,
quand l’ischémie a comme déterminant physiopathologique
principal une chute du débit artériel coronaire, par vasoconstriction microcirculatoire. Le système nerveux autonome participe à ces deux formes cliniques. Nous allons évoquer succinctement le rôle joué par les relais glutamatergiques et
GABAergiques centraux dans ces deux types de phénomènes
et les effets cardiovasculaires obtenus par la modulation de
ces synapses.
– Régulation centrale du flux artériel coronaire. Il est désormais clairement établi sur le plan clinique que le stress est un
facteur déclenchant de l’ischémie myocardique et, par voie de
conséquence, d’événements dysrythmiques parfois graves
(22). Cet aspect avait déjà été abordé sur le plan expérimental
chez le chat, chez qui le blocage de relais GABAergiques centraux par la bicuculline ou la picrotoxine, tous deux antagonistes du récepteur GABAA, conduit à des augmentations
importantes des résistances vasculaires coronaires (23). Ces
chutes de flux myocardique ont été clairement mises en relation avec des activations du système nerveux sympathique.
L’existence de voies centrales spécifiquement dirigées vers le
myocarde et le réseau artériel coronaire est maintenant suggérée par divers travaux. Leur description anatomique reste
néanmoins à établir. L’existence de relais utilisant des acides
aminés excitateurs comme neurotransmetteurs permet d’envisager l’étude de drogues les modulant qui pourraient prévenir
ces “spasmes” coronaires d’origine centrale et donc être
actives dans des formes d’ischémies avec réduction du flux
artériel coronaire telles que l’ischémie silencieuse ou l’ischémie favorisée par le stress.
– Régulation de la demande en oxygène du myocarde.
L’activation de structures centrales peut, au moyen d’une stimulation du système nerveux sympathique, conduire à une
augmentation de la consommation d’oxygène du myocarde
par majoration de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque et de l’inotropisme. Ces modifications peuvent être
reproduites par la stimulation du noyau paraventriculaire de
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l’hypothalamus (NPV) chez le lapin anesthésié. Ainsi, lors de
la stimulation électrique de ce noyau, la demande d’oxygène
du myocarde augmente à cause des élévations de la pression
artérielle et de la contractilité myocardique induites (24).
Dans ce modèle, la modulation pharmacologique des
synapses glutamatergiques centrales a été abordée de deux
façons :
– par des antagonistes des effets post-synaptiques du glutamate impliquant des récepteurs de type NMDA (N-méthyl-Daspartate). Dans ce cas, le blocage de ce récepteur, quel que
soit le site choisi, a toujours réduit les augmentations de la
demande d’oxygène du myocarde observées lors de la stimulation hypothalamique (25, 26) ;
– en réduisant la libération de ce même neurotransmetteur sur
le versant présynaptique en activant des récepteurs GABAB,
par un agoniste sélectif de ce récepteur, le baclofène. Ce produit a, en effet, réduit les augmentations de la demande myocardique en oxygène observées lors de la stimulation du NPV
(24, 27) par un mécanisme d’action central impliquant des
relais spinaux (28).
Ainsi, les relais glutamatergiques et GABAergiques centraux
peuvent être modulés par des drogues qui se profilent alors
comme des protecteurs myocardiques vis-à-vis d’épisodes
ischémiques déclenchés par un effort physique ou par un
stress. Leurs effets dans des modèles de cardiopathies ischémiques sont en cours d’investigation.
Troubles du rythme cardiaque. Les relais glutamatergiques et GABAergiques centraux sont aussi impliqués dans
la genèse d’arythmies cardiaques d’origine centrale. Ainsi, le
blocage des récepteurs GABAA bulbaires par l’injection
intracisternale de bicuculline chez le lapin anesthésié au pentobarbital conduit au développement d’arythmies cardiaques
complexes à type d’extrasystoles ventriculaires polymorphes
et de tachycardie ventriculaire (29). Ces troubles du rythme
ont pour origine une dérégulation majeure de la balance sympathovagale. La même dérégulation peut être obtenue par une
stimulation électrique hypothalamique chez un rat spontanément hypertendu anesthésié. Elle provoque, de manière reproductible, des extrasystoles ventriculaires et des salves de
tachycardie ventriculaire non soutenue. Ces arythmies sont
efficacement prévenues par des antagonistes des récepteurs
ionotropes du glutamate (30). Là encore, il apparaît que tout
blocage des relais glutamatergiques ou renforcement des
influences GABAergiques peut conduire à des effets cardiovasculaires favorables.
peutique actuel avec des drogues non arythmogènes, peu
cardiodépressives et bien tolérées. Dans des cas comme la
prévention de la mort subite d’origine rythmique, le clinicien
est encore bien démuni en matière de thérapeutiques médicamenteuses vraiment efficaces. Dans ce domaine, l’implication
du système nerveux autonome apparaît suffisamment importante pour que des espoirs puissent être raisonnablement fondés sur des thérapeutiques d’action authentiquement centrale.
Pour y parvenir, les pistes pharmacologiques sont nombreuses
et le sujet à peine effleuré. Quelques-unes présentent déjà des
résultats encourageants (action sur les relais glutamatergiques, les récepteurs imidazoliniques). En tout état de cause,
les limites de certaines des thérapeutiques actuelles et l’importance de ce système de contrôle de la fonction cardiaque
peuvent légitimement encourager pharmacologues et cliniciens à approfondir cette voie de recherche.
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CONCLUSION
11. Goldberg G., Becker L.C., Bonsall R., Cohen J.D., Ketterer M.W., Kaufman
La modulation de la balance sympathovagale semble pouvoir
ouvrir des perspectives thérapeutiques nouvelles et prometteuses dans des domaines tels que les cardiopathies ischémiques, l’insuffisance cardiaque ou les troubles du rythme.
Dans certains cas, des produits ciblant le système nerveux
central à des fins thérapeutiques cardiaques pourraient venir,
comme pour l’angine de poitrine, compléter l’arsenal théra-
12.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 4 - avril 1998
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A. Lors d’un stress psychologique survenant chez un patient pré-
C. À propos du noyau réticulaire latéral du bulbe rachidien (NRL),
entourez les réponses fausses :
Lepran I., Papp J.G. Effect of moxonidine on arrhythmias induced by
coronary artery occlusion and reperfusion. J Cardiovasc Pharmacol 1994 ; 24
(suppl. 1) : S9-S15.
sentant une pathologie artérielle coronaire athéromateuse, l’adaptation autonome de la fonction cardiovasculaire peut conduire à :
1. une augmentation du flux artériel coronaire
2. des signes électrocardiographiques d’ischémie
3. une augmentation de la pression télédiastolique ventriculaire
4. des troubles du rythme cardiaque ventriculaires
5. une bradycardie
B. À propos des antihypertenseurs d’action centrale, entourez les
réponses exactes :
1. ils réduisent l’activité du système nerveux ortho-sympathique
2. ils réduisent l’activité du système vagal
3. ils agissent dans le bulbe rachidien
4. des essais cliniques ont déja confirmé que les effets antiarythmiques
des produits de deuxième génération (rilménidine et moxonidine)
sont intéressants à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde
5. leur action centrale aboutit de fait à un blocage (inhibition) conjoint
de toutes les classes de réception catécholaminergiques périphériques
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1. le NRL est un noyau participant à la régulation du tonus vasomoteur
2. la majorité des protections du NRL sont sérotoninergiques
3. l’activité du NRL est stimulée lors d’un effort physique
4. sa stimulation est à l’origine d’une augmentation de la pression
artérielle, d’une tachycardie et d’un effet inotrope négatif
5. dans ce noyau, l’acide γ-aminobutyrique contrecarre les effets du
glutamate
D. Parmi les effets cardiovasculaires suivants, quels sont ceux qui sont
observés lors d’un blocage des relais GABAergiques du noyau réticulaire
du bulbe rachidien :
1. vasodilatation artérielle coronaire
2. arythmies cardiaques ventriculaires
3. tachycardie
4. hypotension
5. augmentation de la contractilité cardiaque
Voir réponses page 86
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 4 - avril 1998
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