Quels critères pour les besoins en protéines chez l`homme?

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Quels critères pour les besoins en protéines chez l`homme?
Lettre Scientifique
de l’
septembre 2008 - N° 128
Institut
Français
pour la Nutrition
ISSN 1629-0119
Quels critères pour les besoins
en protéines chez l'homme ?
I - Nutrition protéique et vieillissement
Yves Boirie, Université d'Auvergne, Laboratoire de nutrition humaine, 58 rue Montalembert, B.P. 32, 63009 ClermontFerrand cedex 01
II - Métabolisme protéique et syndrome métabolique
M
ichel Krempf, Hôtel-Dieu, Clinique d’Endocrinologie, B.P. 1005, 44035 Nantes cedex 01
III - Protéines et acides aminés : quels besoins pour quelles fonctions ?
D
aniel Tomé, AgroParisTech, Biologie et nutrition humaine, 16 Rue Claude Bernard, 75231 Paris cedex 05
Yves Boirie est professeur des universités et praticien hospitalier au CHU de Clermont-Ferrand. Il est responsable de la nutrition à la
faculté de médecine à travers les formations du cursus médical et dans le master "Science, technologie, santé - mention nutrition" dont il
partage la responsabilité. Il est par ailleurs chef du service de nutrition clinique au CHU et dirige une des équipes de recherche de l’unité
de nutrition humaine intitulée "Adaptation métabolique musculaire", au sein du Centre de recherche en nutrition humaine d’Auvergne.
Michel Krempf enseigne la nutrition humaine à la faculté de médecine de Nantes. Il a réalisé sa formation postdoctorale au Massachussets Institute of Technology sous la direction de Vernon Young auprès duquel il s’est initié aux études cinétiques du métabolisme
protéique avec les isotopes stables et la spectrométrie de masse. Son champ d’expertise actuel concerne la nutrition humaine et plus
particulièrement les pathologies métaboliques (diabète, dyslipidémie et obésité). Il a été directeur du Centre de recherche en nutrition
humaine de Nantes et a dirigé une équipe INSERM. Il est actuellement membre de l’Unité INSERM 915 à Nantes et il est très impliqué
dans des activités cliniques.
Daniel Tomé est professeur de nutrition humaine et président du département «Sciences de la vie et santé» d’AgroParisTech. Il dirige
l’unité INRA 914 Physiologie de la nutrition et du comportement alimentaire, rattachée au Centre de recherche en nutrition humaine
(CRNH) Ile-de-France. Daniel Tomé mène une activité d’enseignement depuis 1995 à l’INA-PG, regroupé aujourd’hui au sein d’AgroParisTech, dans l’unité de formation et de recherche «Biologie et nutrition humaines» dont il assure la direction.
Conférence du 23 septembre 2008
à l'occasion de la remise du Prix de la Recherche en Nutrition à Daniel Tomé
La Lettre Scientifique de l’IFN engage la seule responsabilité de ses auteurs.
Let.sc.IFN. n° 128, septembre 2008
i - nutrition proteique et vieillissement
Yves Boirie
Perte protéique musculaire : ampleur du phénomène et enjeux
La perte progressive de la masse et de la fonction musculaire qui
se produit après l’âge de 50 ans, est l’un des facteurs les plus
importants d’invalidité et de baisse de qualité de vie chez les personnes âgées (Roubenoff, 2000). La perte cumulée de masse
musculaire encore appelée sarcopénie atteint 40 % entre 20 et 80
ans (Cohn, 1980 ; Lexell, 1995). L’ampleur de ce phénomène peut
être considérée comme un véritable problème de santé publique
mais son impact n’est pas bien identifié voire négligé par manque
de définition claire et de mesure facile de la masse musculaire.
En effet, rares sont les études épidémiologiques et longitudinales
portant à la fois sur la diminution de la résistance et de la masse
musculaire avec l’âge. Certes, on sait que la sarcopénie survient
davantage à mesure que l’âge des individus avance mais comment déterminer le seuil à partir duquel une prise en charge précoce doit être débutée ? La réduction de la masse musculaire et
de la force provoque une mobilité réduite et un risque accru de
chutes (Kressig et Proust, 1998) et de fractures notamment du col
du fémur (Aniansson, 1984). On considère qu’un tiers des individus de plus de 65 ans est victime d’au moins une chute chaque
année et ce taux s’élève à plus de 50 % au-delà de 80 ans. Ainsi
chaque année, 12 000 décès seraient dus à des chutes en France
(Defebvre et Destée, 1997). En outre, la perte de muscle s’accompagne d’une diminution globale des niveaux d’activité physique et
de l’apparition de diverses altérations métaboliques telles qu’un
accroissement de l’adiposité, la résistance à l’insuline et une diminution de la densité osseuse. De ce fait, par analogie avec la perte
osseuse, il est tout à fait probable que la perte de muscle provoque une situation de vulnérabilité aboutissant à terme à la chute
accidentelle et au franchissement critique du seuil de risque. Des
travaux récents tentent de fixer ces limites en examinant l’atteinte
fonctionnelle associée à la sarcopénie (Janssen, 2006).
Métabolisme protéique et mécanisme de la
perte musculaire
Les personnes particulièrement exposées au risque sarcopénique dans les grandes études épidémiologiques sont les individus
sédentaires, ayant de faibles apports en protéines, souffrant de
maladies chroniques, fumeurs, ayant des apports réduits en vitamines D. Sur le plan métabolique, la taille du muscle, sa fonction et sa composition sont le résultat de modifications cinétiques
du métabolisme protéique. Ainsi, la perte de muscle liée à l’âge
proviendrait obligatoirement d’un déséquilibre simultané entre vitesse de synthèse et de dégradation des protéines musculaires.
Jusqu’à présent, la plupart des travaux sur ce point ont indiqué
que la synthèse protéique musculaire diminuait avec l’âge, surtout
lorsqu’il s’agissait de certains groupes de protéines musculaires
spécifiques (Balagopal, 1997 ; Rooyackers, 1996). Ces études ont
démontré que le taux de synthèse de protéines, telles que les protéines myofibrillaires et mitochondriales, diminue chez les personnes âgées et parfois précocement au cours de la vie. La réduction
du renouvellement protéique est préjudiciable à la fonction des
protéines musculaires en induisant à la fois une perte de protéines
et une accumulation de protéines endommagées. Les données
les plus convaincantes suggèrent surtout que la sarcopénie serait
plutôt due à un déficit de la synthèse des protéines musculaires en
réponse à la prise alimentaire.
Un déficit anabolique postprandial
De nombreux facteurs sont capables de stimuler l’anabolisme protéique postprandial mais le plus puissant est sans aucun doute
l’apport protéique alimentaire. Ce paramètre inclut aussi bien la
qualité des protéines en raison de leur composition en acides
aminés et leur digestibilité que leur quantité. Cet effet est obtenu
grâce aux changements des concentrations plasmatiques postprandiales en substrats issus de la digestion alimentaire. Parmi
ceux-ci, les acides aminés (AA) représentent les facteurs anaboliques les plus puissants. A noter également que, s’ils sont capables de stimuler la synthèse protéique, ils peuvent également
agir sur la protéolyse en l’inhibant d’où une potentialisation de
l’accrétion protéique nette postprandiale (Nair, 1995 ; Wolfe,
2002). Par ailleurs, les acides aminés stimulent aussi leur propre
oxydation limitant ainsi leur accumulation excessive dans le sang.
Ces quelques considérations métaboliques illustrent aussi le fait
qu’au-delà du besoin, il est illusoire d’accroître fortement la masse
protéique en administrant uniquement des quantités très importantes de protéines. Mais se pose la question de la signification du
besoin protéique de cette population et des objectifs fonctionnels.
De nouvelles approches sont nécessaires pour mieux connaître
la qualité nutritive des protéines et leur capacité à répondre aux
besoins spécifiques de cette population.
L’hyperaminoacidémie postprandiale est un événement anabolique
majeur qu’il faut considérer lors de toute modulation de l’apport
protéique chez l’homme sain ou malade. En effet, l’aminoacidémie postprandiale n’est pas uniquement dépendante de la teneur
ou de la composition en acides aminés des protéines alimentaire
mais elle dépend également de la répartition journalière ou de la
vitesse d’absorption des protéines alimentaires. Ces facteurs régulateurs influencent le gain protéique chez l’homme en agissant
sur le profil amino-acidémique postprandial (Arnal, 1999 ; Boirie,
1997). Par exemple et par analogie avec les glucides, les protéines
"lentes" ou "rapides", dont les AA sont plus ou moins vite absorbés, induisent des profil de réponse métabolique extrêmement variables et c’est précisément de la disponibilité plasmatique en AA
que dépend la stimulation de la synthèse protéique. Ces concepts
définis chez l’homme grâce à l’utilisation de nouveaux traceurs
des protéines doivent être désormais appliqués à de plus larges
populations.
Enfin, certains événements sont capables de limiter la disponibilité
en AA au niveau systémique. L’assimilation périphérique des AA
implique un passage obligatoire des produits issus de l’hydrolyse
protéique intestinale à travers le tissu intestinal vers la veine porte,
puis vers la circulation générale après franchissement du territoire
hépatique. Ce passage splanchnique constitue un filtre sélectif
des AA utilisés pour les besoins métaboliques des tissus splanchniques. Ainsi, l’extraction splanchnique des AA est en moyenne de
50 % mais est en fait extrêmement variable d’un AA à l’autre (allant
de plus de 90 % pour le glutamate à 20 % environ pour la leucine
chez l’adulte) et d’un sujet à l’autre (accroissement de l’extraction
splanchnique des AA chez le sujet âgé ou l’enfant prématuré). Ces
variations expliquent qu’une grande partie des AA à chaîne ramifiée (AACR) d’origine alimentaire se retrouvent dans la circulation
générale et participent à l’anabolisme protéique du muscle où les
protéines sont particulièrement riches en AACR.
Au cours du vieillissement, la réponse de l’anabolisme protéique
musculaire à la prise alimentaire est émoussée (Mosoni, 1995 ;
Volpi, 2000 ; Guillet, 2004 ; Short, 2000, Attaix, 2005 ; Katsanos, 2005) du fait d’une moindre stimulation postprandiale de la
synthèse protéique musculaire. Les perturbations métaboliques
spécifiques du sujet âgé pouvant expliquer ces changements sont
nombreuses :
- réduction des apports protéiques (goût, appétence, représentation, mastication…)
- extraction splanchnique accrue des AA (Boirie, 1997)
- résistance à l’action de l’insuline (Guillet, 2004 ; Rasmussen,
2006)
- résistance à l’effet stimulant de la leucine (Dardevet, 2000)
- réduction de l’activité physique (Yarasheski, 1993)
- impact de l’inflammation (Lang, 2007)
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- répétition d’épisodes cataboliques
- réduction du flux sanguin capillaire musculaire (Fujita, 2007).
L’ensemble de ces travaux est une base de réflexion pour des
recommandations appropriée et une prise en charge nutritionnelle
appropriée de la perte protéique musculaire (AFSSA, 2007).
Prévenir et intervenir
Quelle que soit la physiopathologie, encore mal comprise, de la
perte musculaire, il est évident que les interventions visant à prévenir, retarder ou inverser cette situation sont extrêmement précieuses et représentent un défi en Nutrition pour les populations
âgées de demain. Les mécanismes évoqués ci-dessus impliquent
que des stratégies visant à améliorer la disponibilité postprandiale
en AA soient envisagées (Walrand, 2005). Elles peuvent être résumées de la manière suivante : augmenter les apports protéiques
(sachant que la consommation protéique est spontanément réduite) (Campbell, 1994), supplémenter les repas par des AA particulièrement impliqués dans l’anabolisme musculaire (Volpi, 2003 ;
Dardevet, 2002), modifier la chronologie d’administration journlière
des protéines alimentaires (Arnal, 1999), utiliser des protéines rapidement digestibles (Boirie, 1997), combiner exercice physique et
nutrition protéique (Fiatarone, 1994).
Bénéfices d’une supplémentation en AA spécifiques
La leucine joue un rôle majeur dans le contrôle de l’anabolisme
protéique et est particulièrement sujette à la séquestration splanchnique chez le sujet. Des travaux récents ont montré qu’un régime supplémenté en leucine permettait de restaurer la stimulation
de la synthèse protéique musculaire chez l’animal (Dardevet, 2002)
et l’homme âgé (Katsanos, 2006 ; Rieu, 2006) et que cet effet
bénéfique est conservé après 10 jours de supplémentation chez
l’animal (Rieu, 2003). De façon plus générale, il est intéressant de
noter que les AA essentiels sont en fait ceux qui permettent chez
l’homme la stimulation de l’anabolisme protéique musculaire et
que l’ajout d’AA non essentiels n’apporte pas de bénéfice supplémentaire (Volpi, 2003) sur cet organe.
Répartition journalière des apports de protéines alimentaires
La répartition des apports protéiques sur la journée peut intervenir
dans la régulation nutritionnelle du métabolisme protéique au cours
du vieillissement. En effet, des études montrent que l’ingestion de
80 % des apports protéiques journaliers au cours du repas de midi
augmente l’efficacité de la rétention azotée chez la femme âgée
comparativement à un apport étalé sur la journée (Arnal, 1999). De
plus, l’amélioration de l’anabolisme protéique à l’aide d’un régime
de charge n’est pas retrouvée chez le sujet plus jeune, suggérant
que l’effet d’une modulation spécifique du métabolisme protéique
par le rythme des apports protéiques serait particulièrement intéressant dans cette population. Des résultats similaires ont été
obtenus chez le rat âgé avec des apports alimentaires répartis en
quatre fractions dont l’une contenait 70 % de l’apport total (Arnal,
2002). Comparée avec des rats ayant un apport libre, la "nutrition
pulsée" induit une synthèse protéique musculaire plus forte en relation avec une élévation de l’aminoacidémie postprandiale.
Protéines lentes ou rapides ?
La vitesse d’absorption des protéines alimentaires peut jouer un
rôle crucial dans la biodisponibilité postprandiale des AA et donc
favoriser une meilleure stimulation de la synthèse protéique musculaire. Cette hypothèse a été testée à l’échelle du corps entier en
étudiant l’impact des fractions protéiques majeures du lait, les caséines et les protéines de lactosérum chez l’homme jeune et âgé
(Dangin, 2003). Les protéines du lactosérum qui restent solubles à
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pH acide, traversent rapidement l’estomac, puis sont hydrolysées
dans le duodénum. Leurs AA constitutifs sont absorbés très rapidement et en quantité importante sur une durée brève. A l’inverse,
les caséines précipitent dans l’estomac, sont libérées lentement
dans le grêle et induisent une absorption d’AA lente et prolongée sur plusieurs heures. Ces deux protéines administrées à des
volontaires sains jeunes induisent un gain protéique postprandial
différent à court terme (Boirie, 1997). Le caractère "lent ou rapide"
d’une protéine persiste même lorsque les protéines sont données
au sein d’un repas complet. Toutefois, le fait d’ajouter des substrats énergétiques aux protéines modifie la réponse métabolique
au repas et amplifie le bilan protéique postprandial, notamment
pour le lactosérum qui devient une protéine fortement anabolique
(Dangin, 2003). Ainsi, la protéine rapide, plutôt défavorisée lorsqu’elle est prise seule, semble plus intéressante pour le gain protéique, notamment chez les sujets âgés (Paddon-Jones, 2006).
Un travail récent indique également que l’assimilation d’autres types de protéines comme les protéines issues des produits carnés
dépend de la structuration du bol alimentaire puisque les troubles
de la mastication peuvent modifier les capacités d’absorption des
acides aminés alimentaires et influencer leur métabolisme (Remond, 2007).
Toutes ces nouvelles stratégie nutritionnelles sont des pistes de
réflexion utilisables pour lutter contre les troubles métaboliques
associés au vieillissement. Il reste encore de nombreuses interrogations, notamment à savoir quelles sont les protéines particulièrement impliquées dans cet anabolisme, déterminer si l’effet se
poursuit à long terme et analyser l’effet combiné des nutriments
protéiques avec une reprise de l’activité musculaire.
Conclusion
Le principal impact du vieillissement sur le métabolisme protéique
est la réduction de la masse protéique surtout au niveau musculaire. Des modifications de l’équilibre entre les processus de synthèse protéique et de dégradation sont susceptibles d’expliquer
ce phénomène, notamment lors de la prise alimentaire où une
réduction de la capacité de réponse aux stimuli anaboliques est
observée. Le potentiel anabolique existe encore toutefois et peut
être mis à profit pour conserver une masse maigre suffisante ou
pour la restaurer à la suite d’un épisode catabolique. Ces observations nous amènent à rediscuter les besoins protéiques de cette
population et les objectifs de la prise charge nutritionnelle.
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II - metabolisme proteique et syndrome
metabolique
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L’obésité et la surcharge pondérale sont une préoccupation de
santé publique majeure. La situation épidémique décrite par
l’OMS est une réalité qui continue à s’amplifier. Les risques liés à
l’obésité sont bien connus, en particulier la forte augmentation de
fréquence des pathologies cardiovasculaires. Cependant, ce problème ne touche pas tous les sujets en surcharge pondérale mais
se retrouve de préférence chez certains d’entre eux dont le profil
phénotypique est caractéristique. C’est à partir de ce constat, fait
par Jean Vague à Marseille dans les années 50, que le concept
de syndrome métabolique a été élaboré pour permettre de détecter les patients obèses à haut risque vasculaire. La correction de
cette anomalie fait appel à la réduction pondérale obtenue par des
régimes pour lesquels la part de l’apport protéique reste un sujet
encore très débattu.
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Michel Krempf
Le syndrome métabolique : quelle définition ?
Le syndrome métabolique a été défini depuis plusieurs années
autour d’anomalies rencontrées chez certains patients obèses. La
définition la plus souvent retenue est celle du NCEP-III (Tableau 1)
qui associe au moins trois perturbations parmi une augmentation
du tour de taille, une élévation de la glycémie, des trigycérides, de
la pression artérielle et une réduction du HDL-cholestérol. Il s’agit
actuellement de la définition la plus utilisée, notamment dans de
nombreuses études épidémiologiques. Elle a été rediscutée par
la Fédération Internationale de Diabète à partir de considérations
essentiellement physiopathologiques. En effet, il est aujourd’hui
admis que la résistance à l’action de l’insuline est le mécanisme
physiopathologique principal et qu’il serait essentiellement secondaire à une accumulation de la graisse abdominale péri viscérale.
A partir de cette perturbation initiale, les autres complications apparaitraient. Dans ce contexte, le tour de taille, reflet de la graisse
abdominale, doit être un paramètre de sélection indispensable des
patients.
Let.sc.IFN. n° 128, septembre 2008
Au moins trois de ces facteurs pour le diagnostic
RISQUESSEUIL
Obésité abdominale
(tour de taille)
Homme
Femme
>102 cm
>88 cm
TG
≥150 mg/dl
dèles cellulaires ou sur des modèles animaux indiqueraient que
l’excès d’acides aminés, et en particulier la leucine, pourrait avoir
un impact sur le métabolisme cellulaire. Il serait partiellement à
l’origine de l’insulinorésistance en activant la kinase mTOR qui
permettrait la phosphorylation de l’IRS-1, qui est un intermédiaire
indispensable à l’activation par l’insuline de la PI 3-kinase. Une
insulinorésistance serait ainsi créée par ce mécanisme. Ces données cellulaires sont confirmées chez l’animal, en particulier le rat,
où l’administration d’acides gras ramifiés (principalement leucine)
est responsable d’une résistance à l’action de l’insuline bloquée
par la rapamycine qui est un inhibiteur naturel de mTOR.
HDL-C
Homme
Femme
<40 mg/dl
<50 mg/dl
Pression artérielle
≥130/≥85 mm Hg
Les régimes hyperprotéiques et le syndrome métabolique
Glycémie à jeun ≥110 mg/dl
Les données humaines sont beaucoup plus confuses que celles
obtenues chez l’animal. Une grande partie des difficultés provient
de l’effet anorexigène des protéines qui est à l’origine d’une réduction pondérale, en règle générale supérieure à celle obtenue avec
des régimes plus conventionnels. Il y a ainsi un effet spécifique de
la réduction pondérale sur l’amélioration des constantes métaboliques et la pression artérielle qui semble prépondérant par rapport
à un éventuel rôle plus délétère des acides aminés. A court terme,
et cela est confirmé par l’expérience clinique quotidienne, une forte restriction calorique dans le cadre d’une diète protéinée permet
d’obtenir, chez des patients intolérants au glucose, diabétiques
ou hypertriglycéridémiques, une amélioration très rapide des paramètres biologiques, indépendamment de la réduction pondérale.
Sur le long terme, il y a peu de données car ces régimes très
restrictifs ne sont pas en règle générale maintenus. Mais, si on
compare les données obtenues sur le métabolisme glucidique de
sujets consommant un apport protéique normal (0,7 g/jour) par
rapport à un groupe de sujets ayant une consommation nettement
plus élevée (1,8 g/kg/jour), il est constaté une augmentation de
la réponse insulinique à un stimulus glucose chez les sujets fort
consommateurs de protéines, avec une tendance à l’augmentation de la production hépatique de glucose et une résistance à
l’action de l’insuline, modeste mais significative quelles que soient
les techniques de mesure utilisées (clamp euglycémique hyperinsulinique ou index de sensibilité du modèle minimal). Ces données
sont convergentes avec celles observées dans les modèles cellulaires ou le modèle murin.
Tableau 1 : Définition du syndrome métabolique par la
NCEP-ATP III
La définition de la Société Internationale de Diabète (Tableau 2)
impose un critère de tour de taille obligatoire associé à deux autres
complications. Ces différentes définitions créent indiscutablement
une grande confusion et beaucoup de discussions académiques.
Cette distinction est en effet importante pour la sélection des patients dans les études épidémiologiques mais sur un plan pratique,
en clinique quotidienne, elles ont assez peu d’impact. En effet,
l’essentiel est de retenir que pour les patients qui ont un tour de
taille excessif, le clinicien doit systématiquement être en alerte et
rechercher alors les complications métaboliques, l’hypertension
artérielle et être très attentif vis-à-vis de problèmes vasculaires.
Le diagnostic de syndrome métabolique chez ces patients a pour
corollaire une prise en charge diététique particulièrement active et
en cas de succès insuffisant, la mise en place de traitements par
des médicaments avec des objectifs thérapeutiques stricts.
• Obésité abdominale obligatoire : 94 cm pour les hommes
et 80 cm pour les femmes (en Europe)
• Deux autres critères parmi les suivants :
o Triglycérides > 1,50 g/L ou traitement dyslipidémique
o HDL-C < 0,4 g/L pour les hommes et < 0,5 g/L pour
les femmes ou traitement dyslipidémique
o Elévation de la pression artérielle :
TAS > 130 ou TAD > 85 mm Hg ou traitement anti
hypertenseur
o Glycémie à jeun > 1 g/L ou diabète connu
Tableau 2 : Définition du syndrome métabolique par l’IDF
Le syndrome métabolique et le métabolisme
protéique
De nombreux essais ont étudiés l’impact de l’hyperinsulinisme sur
le métabolisme protéique et en particulier son effet anabolique.
Dans des situations pathologiques, en particulier de syndrome
métabolique, les données sont plus rares et davantage focalisées
sur des patients diabétiques. Les informations ainsi recueillies
confirment les très vieilles données obtenues par Feling dans les
années 70 qui montraient une augmentation de la libération des
acides aminés avec une concentration plasmatique plus élevée
dès que le poids devenait excessif. L’implication physiopathologique de cette perturbation reste encore obscure. Cependant, un
certain nombre de données essentiellement obtenues sur des mo-
Let.sc.IFN. n° 128, septembre 2008
Conclusion
L’ensemble de ces données suggère un éventuel rôle des acides
aminés ramifiés, et en particulier de la leucine, sur des perturbations cellulaires pouvant conduire à l’apparition d’une résistance à
l’action à l’insuline. Il est possible que ces perturbations jouent un
rôle au moins partiel dans les perturbations biologiques observées
dans le syndrome métabolique. Au-delà des aspects cognitifs,
cette information doit surtout être prise en compte dans la mise
en place de mesures diététiques restrictives avec un apport protéique élevé qui, si elles ne sont pas associées à une restriction
calorique globale, peuvent être un facteur favorisant le maintien à
long terme de la résistance à l’action de l’insuline et du syndrome
métabolique.
Références
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III - proteines et acides amines : quels
besoins pour quelles fonctions ?
Daniel Tomé
Introduction
Les protéines sont une composante indispensable de l’alimentation dont le rôle nutritionnel est de fournir des acides aminés, de
l’azote et de l’énergie. La détermination du besoin en protéines
et en acides aminés vise à établir les caractéristiques de l’apport
en protéines et en acides aminés permettant d’assurer certaines
fonctions nutritionnelles et métaboliques définies. Ces fonctions
sont associées aux différentes voies métaboliques des protéines
et des acides aminés. Ces voies métaboliques correspondent à
l’utilisation des acides aminés comme précurseurs dans les voies
protéinogènes, comme précurseurs dans des voies non protéinogènes ou comme substrats dans les voies énergétiques. Différentes fonctions sont associées à ces voies métaboliques incluant
tout d’abord le maintien de la masse protéique corporelle et ses
conséquences sur la composition corporelle, l’entretien des différents tissus et organes, et les rôles très variés des protéines de
l’organisme. D’autres voies non protéinogènes peuvent cependant
prendre de l’importance. Par ailleurs les acides aminés sont aussi
des substrats énergétiques avec des caractéristiques spécifiques.
Les travaux récents s’intéressent à des fonctions ciblées sur des
marqueurs de prévention de pathologies dégénératives et métaboliques liés aux systèmes de défense de l’organisme ou aux
dysfonctionnements de l’homéostasie de l’énergie, des protéines,
des lipides ou du glucose. Ces différentes approches peuvent être
prises en compte dans l’évaluation du besoin en acides aminés et
en protéines.
Besoin en azote et en acides aminés indispensables et bilan azoté
La première composante du besoin en protéines et en acides aminés, qui est la composante traditionnellement prise en compte, est
la voie protéinogène qui assure le fonctionnement du renouvellement et de l’homéostasie des protéines corporelles.
Les acides aminés sont les précurseurs de la synthèse protéique
et le facteur limitant de cette synthèse est la présence des acides aminés indispensables (1). Ces acides aminés indispensables
sont l’histidine, l’isoleucine, la leucine, la lysine, les acides aminés soufrés (méthionine+cystéine), les acides aminés aromatiques
(phénylalanine+tyrosine), le tryptophane et la valine. Les travaux
conduits sur ce sujet depuis de très nombreuses années se sont
ainsi attachés à définir le besoin en protéines à partir de la quantité
de protéines et de la composition en acides aminés indispensables de ces protéines permettant d’équilibrer le bilan azoté, de
maintenir la masse protéique corporelle, et d’assurer la croissance
et les besoins supplémentaires pour la grossesse et la lactation,
chez des sujets à l’équilibre énergétique.
Ces travaux qui ont donné lieu à de nombreux débats et controverses ont conduit aux dernières recommandations proposées
dans les rapports des comités d’experts auxquels j’ai eu à contribuer dont celui de l’OMS/FAO/ONU (2007) (2) et en France celui du
groupe de travail sur les protéines de l’AFSSA (2008) (3). Le critère
de base pour déterminer le besoin en protéines a été le bilan azoté
et les approches associées à la rétention corporelle de l’azote dont
les protéines et les acides aminés sont le principal vecteur. Le besoin en protéines a été assimilé chez l’adulte à l’apport minimum
en protéines de bonne qualité assurant un bilan azoté équilibré
chez des sujets à l’équilibre énergétique et avec une activité physique modérée. Sur la base du bilan azoté, le besoin nutritionnel
moyen en protéines a été établi avec un niveau de preuves élevé à
0,66 g/kg/j et un apport nutritionnel conseillé est établi à
0,83 g/kg/j (4).
Les valeurs de besoins nutritionnels en acides aminés indispensables, initialement déterminés par la méthode du bilan azoté, ont
par la suite été réévaluées sur la base de données établies par des
méthodes isotopiques (5). Ces estimations ne sont cependant à ce
jour que partiellement consensuelles ou disponibles pour certains
acides aminés indispensables (acides aminés aromatiques, isoleucine, histidine). La question a été particulièrement sensible pour la
lysine, facteur limitant des céréales, mais un consensus a pu être
obtenu du fait d’une convergence des différentes méthodes (6, 7).
Les besoins évalués et les recommandations associées correspondent principalement à un apport de sécurité pour assurer le
maintien de la masse protéique corporelle.
Au-delà d’un apport de sécurité en azote et en
acides aminés indispensables
La signification physiologique de la mesure du bilan azoté a fait
l’objet de nombreuses discussions et ses limites ont été largement
soulignées. Les recommandations qui en découlent ne garantissent pas l’optimisation de marqueurs liés aux voies métaboliques
des acides aminés et ayant un impact sur la santé des individus.
Cependant, en l’absence de consensus concernant d’autres marqueurs pertinents du besoin en protéines, elle reste l’approche de
référence.
Il est reconnu que les individus sont capables de s’adapter à des
apports protéiques variables et largement supérieurs à l’apport de
sécurité. Si la notion d’apport maximum tolérable en protéines est
souvent évoquée, le niveau d’apport pour lequel un risque avéré
apparaît et la nature précise de ce risque restent imprécis. Il est
difficile, compte tenu de l’insuffisance de données disponibles, de
définir une limite supérieure de sécurité pour l’apport protéique.
Dans l’état actuel des connaissances, des apports entre 0,83 et
2,2 g/kg/j de protéines (soit de 10 à 27 % de l’apport énergétique
chez des individus ayant des apports énergétiques moyens, c’està-dire de 33 g/kg/j) peuvent être considérés comme satisfaisants
pour un individu adulte de moins de 60 ans non obèse, non sportif,
ayant une fonction rénale normale et suivant un régime non restreint, alors que des apports compris entre 2,2 et 3,5 g/kg/j seront
considérés comme élevés et des apports supérieurs à 3,5 g/kg/j
très élevés. Ces valeurs de 2,2 et de 3,5 g/kg/j ont été déterminées à partir de la capacité maximale d’adaptation de l’uréogénèse chez l’adulte (pour un homme de 70 kg) (3).
Durant les dernières décades, des travaux auxquels nous avons
participé avec d’autres équipes en France et dans le monde ont
aussi visé à mieux préciser le besoin en protéines et en acides
aminés sur la base de l’analyse plus fine des voies protéinogènes et non protéinogènes du métabolisme des acides aminés.
Les questions soulevées portent notamment i) sur la modulation
par l’apport protéique et énergétique du métabolisme protéique
dans les différents compartiments corporels, ii) sur l’identification
des voies de perte et des voies de recyclage entre les différents
tissus de l’azote et des acides aminés, et iii) sur l’évaluation du
rôle particulier de certains acides aminés, indispensable ou non
indispensables, en tant que nutriment signal ou en tant que précurseurs de composés jouant un rôle dans certaines fonctions
physiologiques ou dans les défenses de l’organisme. Les résultats
montrent par exemple une influence de la nature de l’apport protéique sur l’importance relative de la synthèse protéique, des voies
non protéinogènes et de l’oxydation dans l’utilisation des acides
aminés en phase post-prandiale (8). Ils montrent aussi la partition
de ces processus entre les tissus splanchniques et périphériques
(9-13). L’identification et la maîtrise des voies de perte et de celles
du recyclage de l’azote et des acides aminés sont aussi des cibles
très intéressantes qui pourraient permettre de mieux optimiser
l’utilisation de l’apport protéique alimentaire (14).
Let.sc.IFN. n° 128, septembre 2008
Ces recherches plus récentes ont conduit à un certains nombre
de concepts incluant les notions de protéines lentes et rapides,
une analyse plus fine de la notion d’indispensabilité des acides
aminés comprenant les acides aminés strictement indispensables,
indispensables pour leur radical carboné, conditionnellement indispensables ou strictement non indispensable, et la recherche de
moyens permettant de moduler certaines voies de perte ou de recyclage de l’azote et des acides aminés afin d’optimiser l’efficacité
de l’apport. Ces différents concepts qui complètent les recommandations de base de l’apport de sécurité en protéines devraient à
terme être intégrés dans les recommandations.
L’apport protéique et l’homéostasie énergétique
Un dernier domaine du métabolisme des acides aminés plus récemment abordé et qui comporte encore de nombreux points mal
connus concerne le rôle des protéines dans divers aspects de l’homéostasie énergétique incluant le métabolisme énergétique, le métabolisme du glucose et des acides gras, la sensibilité à l’insuline et
le contrôle de la prise alimentaire. Une modification de l’apport en
protéines provoque diverses modifications de ces processus avec
des conséquences fonctionnelles diverses et complexes. Dans le
cas d’une augmentation de cet apport, l’utilisation des acides aminés comme précurseurs dans les voies protéinogènes n’est plus
un facteur limitant et le surplus d’acides aminés apportés est utilisé
en particulier comme substrat énergétique.
Les acides aminés sont tout d’abord des nutriments énergétiques
qui possèdent certaines particularités métaboliques. La substitution de substrats énergétiques entre acides aminés et glucose ou
acides gras se traduit en parallèle par une modification de l’homéostasie du glucose et des acides gras. Les acides aminés sont
en particulier les principaux précurseurs de la gluconéogénèse
hépatique. Une augmentation de l’apport en protéines du régime
se traduit de façon concomitante par une augmentation de leur importance dans les voies énergétiques et dans la gluconéogénèse
(15) et par une réduction de la synthèse d’acides gras à partir du
glucose (16, 17). Les acides aminés potentialisent l’insulino-sécrétion
induite par le glucose et semblent aussi réduire le stress oxydatif
induit par des excursions hyperglycémiques post-prandiales transitoires, probablement en augmentant les capacités de régénération du glutathion (18). L’ensemble de ces processus conduit à des
modifications de l’insulino-sécrétion, de la sensibilité à l’insuline et
de la tolérance au glucose qui pourraient jouer un rôle protecteur
(16, 17). Un aspect associé concerne aussi le rôle de l’intestin distal
et du microbiote intestinal dans le catabolisme des acides aminés
qui génère aussi certains métabolites particuliers qui interviennent
de même dans le métabolisme énergétique et dont le rôle devra
être approfondi.
En outre une augmentation de l’apport en protéines est généralement associée à une baisse de la prise alimentaire liée à une
induction de la satiété par les protéines (19-24). Cet effet provient
des modifications de l’activité métabolique au niveau périphérique
et de mécanismes de signalisation induits par les acides aminés
au niveau périphériques et central. Les signaux impliqués sont les
hormones et les neuropeptides digestifs, les acides aminés et des
produits de leur métabolisme qui agissent soit via une activation
du nerf vague, soit directement au niveau de l’hypothalamus. Les
travaux que nous conduisons avec d’autres équipes sur ce sujet ont permis de préciser la nature de certains mécanismes impliqués dans cette induction de la satiété par les protéines. Cet
effet à en particulier été objectivé chez l’animal et chez l’homme
et nous avons pu montrer par des analyses comportementales et
des études de neurophysiologie, qu’il s’agissait d’un phénomène
de satiété et non d’un processus aversif. Le contrôle de l’ingestion
protéique semble être un processus ancestral et très important
dans les comportements de sélection des aliments et de survie
des espèces du fait du rôle primordial de l’apport en acides ami-
Let.sc.IFN. n° 128, septembre 2008
nés pour le fonctionnement de l’organisme. Dans ces conditions il
semble normal que des processus multiples et redondants soient
impliqués. Nos observations, qui montrent que la sélection spontanée de protéines semble se situer le plus généralement à un niveau
plus élevé que l’apport de sécurité, suggèrent que l’organisme
réagit à d’autres signaux que l’équilibre azoté dans le contrôle de
l’ingestion de protéines.
D’une façon générale il reste à mieux comprendre les différentes
conséquences positives et négatives induites par une manipulation de la part des acides aminés dans l’apport énergétique. Il est
à noter que ces diverses observations sont importantes dans la
mesure où les populations occidentales ont des apports élevés en
protéines. En outre divers régimes qui se sont développés dans
le cadre de la prévention du surpoids et de l’obésité incluent une
augmentation de l’apport protéique au-delà du besoin défini par
le bilan énergétique et la synthèse protéique. De ce fait, la prise
en compte des conséquences d’une augmentation de l’apport en
protéines et la définition de la limite supérieure d’apport protéique
sont des questions de santé publique.
Conclusion
Ce survol non exhaustif de différents aspects du rôle des protéines
montre la complexité des fonctions de l’apport en protéines. Les
concepts utilisés pour évaluer le besoin en protéines et en acides
aminés pourraient évoluer dans les années à venir. Si les concepts
d’apport de sécurité ont toujours leur réalité dans des situations
d’apport protéique limité pour certaines populations de la planète,
les travaux se poursuivent aussi afin d’évaluer le rôle de l’apport en
protéines et en acides aminés dans l’optimisation de marqueurs
liés à la santé dans un contexte de régimes du type des régimes
occidentaux dans lesquels l’apport protéique est déjà au-dessus
de l’apport de sécurité. Les résultats montrent en effet que la notion de qualité de l’apport en protéines peut trouver un sens non
seulement pour des apports faibles qui équilibrent les pertes d’azote corporel, mais aussi pour des apports plus élevés. Par ailleurs,
l’approche du besoin en protéines et en acides aminés ne prend
généralement pas en compte les rôles très divers des acides aminés, en dehors de la notion d’acides aminés indispensables limitant pour la synthèse protéique.
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Let.sc.IFN. n° 128, septembre 2008