identité et participation politique des jeunes immigrants
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identité et participation politique des jeunes immigrants
IDENTITÉ ET PARTICIPATION POLITIQUE DES JEUNES IMMIGRANTS DE DEUXIÈME GÉNÉRATION RÉSUMÉ Ce ne sont pas tous les immigrants de deuxième génération qui s’identifient au groupe ethnoculturel du pays d’origine de leurs parents. Ceux qui le font peuvent avoir une conception soit ethnique (essentialiste), soit culturelle (plus ouverte et que l’on peut acquérir) de l’appartenance à ces groupes. Certains immigrants de deuxième génération s’identifient autant au Québec ou au Canada qu’au groupe ethnoculturel de leurs parents. Même s’il n’est pas aussi fort, de nombreux autres immigrants de deuxième génération ont un sentiment d’appartenance envers leur société d’accueil. En outre, presque tous vont voter lors des élections fédérales et provinciales. ar définition, les jeunes immigrants de deuxième génération sont des personnes nées au Canada de parents immigrants. Ils ont donc généralement grandi et été scolarisés dans un milieu canadien. Toutefois, certains parents ont conservé certains aspects de la culture de leur pays d’origine, et peuvent donc les avoir transmis à leurs enfants – par exemple, la langue, les valeurs, la nourriture ou la musique. Ces enfants d’immigrants sont donc susceptibles d’avoir acquis un sentiment d’appartenance envers la culture d’un autre pays ou d’une autre région du monde, certains d’entre eux sans jamais y avoir mis les pieds. Dans cet article, nous explorons les choix identitaires et la participation civique de jeunes immigrants de deuxième génération du Québec1. Nous nous intéressons à leur autodéfinition et à leur façon de définir leurs groupes d’appartenance identitaire. En outre, nous nous penchons sur leur appartenance à la société majoritaire et sur l’exercice du droit de vote comme indicateur de participation civique. P Canadian Diversity / Diversité canadienne NICOLE GALLANT INRS-Urbanisation, culture et société Choix identitaires Les jeunes qui appartiennent techniquement à la catégorie démographique des « immigrants de deuxième génération » sont loin de tous considérer que leur ethnicité est une dimension importante de leur identité. En effet, lorsqu’ils sont laissés libres de désigner eux-mêmes le groupe – ou les groupes – d’appartenance formant leur identité (c’est-à-dire les groupes qui sont, à leurs yeux, les plus significatifs et caractéristiques de leur personne), un peu moins de la moitié (12 sur 28) des répondants incluent un groupe associé au pays d’origine de leurs parents. Ces résultats peuvent paraître surprenants et contrastent un peu avec la documentation sur le sujet, mais ils s’expliquent en partie par les modes de recrutement de participants de la plupart des études sur les immigrants de deuxième génération, qui sont souvent systématiquement biaisés en faveur des jeunes pour qui l’ethnicité d’origine des parents demeure importante. Pour notre étude, le mode de sélection des répondants reposait principalement sur une source indépendante de l’autodéfinition et du comportement culturel ou de la participation à la communauté2. Cela permet de voir que les jeunes appartenant de facto à la catégorie démographique des « immigrants de deuxième génération » ne se voient pas forcément eux-mêmes sous cet angle. D’ailleurs, quelques répondants tiennent même un discours qui rejette toute forme d’appartenance, soit pour dire qu’ils sont comme tout le monde, soit pour dire au contraire qu’ils sont uniques, différents. Mais plusieurs de ces répondants nomment néanmoins des groupes d’appartenance (parfois même ethnoculturels) qu’ils considèrent comme étant des groupes identitaires. En fait, seulement deux répondants immigrants de deuxième génération n’ont nommé aucun groupe identitaire, en se cantonnant dans un discours de rejet des appartenances. À l’inverse, plusieurs répondants du corpus désignent plus d’un groupe identitaire : environ le tiers des répondants ne nomme qu’un seul groupe identitaire; un autre tiers en choisit deux et le troisième 52 Par ailleurs, certains participants se disent d’identité tiers en désigne trois ou plus, l’un d’eux allant jusqu’à hybride, alliant une majorité et une minorité ethnonommer cinq groupes d’appartenance jugés significatifs culturelles (« Métis-Afro-Américain-Néo-Québécois », et caractéristiques de sa personne. « Montréalaise d’origine égyptienne » ou « Philippin Qu’ils tiennent ou non un discours sur le rejet canadien »). Ceux-là relèvent d’une dynamique identitaire des appartenances, qu’ils désignent plusieurs groupes généralement différente de ceux qui choisissent un groupe d’appartenance ou un seul, les groupes identitaires nommés ethnoculturel minoritaire plus unifié 3. Dans certains cas, il par les jeunes immigrants de deuxième génération sont assez diversifiés. Outre les groupes ethniques ou s’agit davantage d’une étiquette symbolisant une ethnicité géopolitiques sur lesquels nous nous pencherons plus en relativement floue, dont on ne tire que quelques valeurs. détail plus loin, les autres groupes identitaires évoqués font À l’inverse, certains répondants soulignent plutôt un référence à des lieux (« Montréalais » est nommé deux fois), surplus de culture, une connaissance accrue qui vient du au sexe (« homme », « masculin »), à l’occupation (« être chevauchement de deux univers culturels distincts. Enfin, parent », nommé deux fois, ou encore « mère de famille »; lorsque l’hybridité contient une composante raciale, « être étudiant », nommé trois fois; « être musicien », l’appartenance commune s’appuie sur un vécu similaire nommé trois fois, ou du « milieu artistique »), aux traits de d’exclusion dans le milieu majoritaire. personnalité (« sportif », nommé deux fois; « amateur de Toutes ces définitions de l’appartenance identitaire à hard core »; « amatrice de mode et esthéticienne »), à des minorités ethnoculturelles se présentent de façon plus l’idéologie (« séparatiste », « conscientisé »), à la classe ou moins essentialistes. Les personnes qui ont une sociale (« éduqué »; « classe moyenne supérieure »), au définition essentialiste de leur groupe ethnoculturel groupe d’âge (« les jeunes », « mon groupe d’âge », le identitaire considèrent qu’on ne peut pas changer son « monde plus vieux ») ou au groupe identité. Pour eux, l’appartenance à d’amis doté d’un nom. Certains ces groupes est le fait d’attributs groupes évoqués se situent également obtenus à la naissance et invariables, Les jeunes sur le plan d’identités ethnoque l’on ne peut pas acquérir : le appartenant culturelles, religieuses ou linguistiques, sang, la physionomie (couleur des de facto à la mais majoritaires (« chrétien »; cheveux, teint) ou la généalogie. « catholique »; « francophone »). Cette Parmi les 12 jeunes de l’échantillon catégorie diversité s’apparente à celle que l’on ayant choisi d’inclure un groupe démographique rencontre dans le groupe témoin. ethnoculturel minoritaire parmi leurs groupes identitaires, cinq des « immigrants donnent une définition essentialiste Premier constat : L’ethnicité n’est pas de deuxième de ce groupe (« Portugaise », forcément une dimension importante de nommée par deux répondantes, l’identité des jeunes immigrants de génération » ne « Juif », « Métis-Afro-Américain-Néo deuxième génération. Ces jeunes se voient pas Québécois », « Égyptien »). Ces énumèrent une variété de types de groupes sont donc à leurs yeux plus groupes lorsqu’ils sont laissés libres de forcément ethniques que culturels. désigner eux-mêmes leurs apparteeux-mêmes Cependant, l’appartenance à un nances les plus significatives. groupe ethnoculturel minoritaire sous cet angle. n’est pas forcément essentialiste aux Formes de l’appartenance ethnoyeux de tous ceux qui la ressentent. culturelle minoritaire En effet, pour cinq autres répondants, l’appartenance à Au total, 12 répondants ont choisi un groupe leur groupe est quelque chose qui peut être acquis, qui se ethnoculturel ou religieux minoritaire lié à l’origine de leurs construit (« Montréalaise d’origine égyptienne », « Indien parents, tantôt comme unique groupe identitaire, mais le hindou », « Africain », « Sénégalais », « Philippin canadien »). plus souvent en combinaison avec d’autres groupes. Ces appartenances se construisent en vertu d’une manière Outre le cas d’un groupe à caractère ethnoreligieux de vivre, de valeurs, de pratiques culturelles (comme la (les Juifs), les groupes ethnoculturels choisis par les jeunes nourriture ou la musique), voire de la participation aux immigrants de deuxième génération peuvent se situer à activités communautaires du groupe. On peut alors dire trois niveaux : certes, il y a le niveau du pays d’origine des que ces groupes sont peut-être, pour eux, plus culturels parents (« Portugaise », « Sénégalais », « Égyptienne »), qu’ethniques à proprement parler. mais aussi, à plus petite échelle, une région ou un sousEntre les deux, on rencontre des jeunes immigrants ensemble à l’intérieur de ce pays (notamment des groupes de deuxième génération qui font preuve d’un essentialisme religieux, par exemple les « Indiens hindous » ou les relatif dans la définition de leur groupe ethnoculturel « Égyptiens chrétiens »), ou encore, à plus grande échelle, minoritaire identitaire, souvent large (« Latino ») ou imun ensemble géographique ou ethnique plus large ou précis (« mon groupe ethnique »). Pour eux, l’appartenance « panethnique », comme les « Latinos » ou les « Africains ». ethno-culturelle n’est pas liée au sang, mais plutôt à une Quel que soit leur niveau, la presque totalité de ces socialisation en bas âge : « en restant dans le milieu, en groupes sont définis simplement par des pratiques et des vivant dans ce milieu »; [Traduction] « s’ils sont adoptés, oui, valeurs culturelles, définition parfois complétée d’une il y a un facteur familial. Cela dépend de votre famille, de la référence plus ou moins explicite à l’hérédité ou à des façon dont vous êtes élevé. » traits physiques perçus comme typiques. 53 Canadian Diversity / Diversité canadienne maternelle, culture, voire hérédité ou physionomie) soit, à En somme, on peut dire que les répondants sont l’instar du Canada, comme un groupe d’appartenance partagés pour moitié entre des positions essentialistes et civique (territoire, langue commune, citoyenneté). non essentialistes. Ces observations ne sont pas propres Bien que peu d’immigrants de deuxième génération aux groupes ethnoculturels minoritaires; on retrouve de notre échantillon ont choisi d’inclure le Canada ou le également ces trois niveaux d’essentialisme dans leurs Québec parmi leurs groupes d’appartenance identitaires, autres types de groupes identitaires et même chez les il ne faudrait pas pour autant en conclure qu’ils ne autres répondants du corpus. ressentent pas de sentiment d’appartenance fort envers le L’échantillon est toutefois trop petit pour pouvoir Canada ou le Québec. En effet, parmi les 28 immigrants distinguer clairement les facteurs qui mènent un jeune de deuxième génération de l’échantillon, 19 ont immigrant de deuxième génération à considérer que déclaré avoir un sentiment d’appartenance envers leur l’origine ethnoculturelle de ses parents immigrants est citoyenneté canadienne et 11 envers leur nationalité une composante essentielle de sa propre identité. canadienne. Il s’agit d’une proportion à peu près Néanmoins, il est intéressant de noter que les immigrants comparable aux réponses des 41 autochtones qui de deuxième génération qui ne se sont jamais rendus dans complètent l’échantillon. Dans une moindre mesure, trois le pays d’origine de leurs parents immigrants ont moins immigrants de deuxième génération ont déclaré avoir un tendance que les autres à s’y identifier. Ainsi, peut-être sentiment d’appartenance envers une « citoyenneté » que le retour au pays sert de renforcement ou de qu’ils jugent québécoise et sept envers la nationalité ressourcement identitaire; mais le retour au pays pourrait québécoise. Ici, les proportions sont aussi, inversement, être un symptôme plus fortes que chez les répondants de l’attachement envers ce pays autochtones de la même étude, mais incitant les jeunes à y aller. Les participants moindres que dans le petit groupe Par ailleurs, le fait d’avoir soit un qui s’identifient témoin. seul soit deux parents immigrants Outre les sentiments d’appartesemble avoir une certaine incidence. au groupe nance déclarés envers le Québec et le Certes, les répondants dont les ethnoculturel Canada, on remarque par ailleurs que deux parents sont des immigrants d’origine de leurs la presque totalité des immigrants de originaires de la même région sont deuxième génération participent à divisés en deux parties égales entre parents immigrants ces deux communautés civiques. ceux pour qui leur ethnicité est peuvent le faire En effet, ils sont 24 à voter tant au identitaire et ceux pour qui elle ne niveau provincial que fédéral et un l’est pas. Mais les répondants dont à trois niveaux 25e répondant vote au niveau fédéral seulement un parent est immigrant (le pays, un soussont nettement moins nombreux à uniquement. Seulement trois des considérer leur ethnicité minoritaire 28 immigrants de deuxième génération ensemble dans comme faisant partie de leurs de l’échantillon ne votent pas. ce pays ou groupes identitaires (seulement trois sur les 12 répondants n’ayant qu’un Troisième constat : Même si elle un ensemble plus seul parent immigrant). est rarement cruciale aux yeux des large, panethnique) En somme, les participants qui répondants, l’appartenance et la pars’identifient au groupe ethnoculturel ticipation au Canada et au Québec et selon d’origine de leurs parents immin’en est pas moins fortement présente. trois degrés grants peuvent le faire à trois niveaux d’essentialisme. (le pays, un sous-ensemble dans Conclusion ce pays ou un ensemble plus large, Les observations qui précèdent panethnique) et selon trois degrés démontrent bien la diversité qui d’essentialisme. peut exister dans les sentiments d’appartenance et l’identité des jeunes immigrants de deuxième génération du Québec. Si beaucoup s’identifient au moins en partie à Deuxième constat : Lorsque l’appartenance ethnoculla culture d’origine de leurs parents, ils ne le font pas tous. turelle minoritaire est une composante de l’identité des En outre, ceux qui s’y identifient ont diverses façons de jeunes immigrants de deuxième génération, elle peut prendre définir cette appartenance, qui peut être essentialiste ou des formes variées. non et qui peut se situer à des niveaux divers. Certains en font une identité hybride avec le Canada ou le Québec, Appartenir au Québec et au Canada mais aucun des jeunes rencontrés ne semblait trouver Ces appartenances ethnoculturelles minoritaires cela problématique. n’entravent pas l’appartenance des jeunes immigrants de En outre, le fait de s’identifier même fortement deuxième génération à la société qui a accueilli leurs à l’origine ethnoculturelle des parents n’empêche parents. Certains répondants ont inclus le Québec (trois nullement les immigrants de deuxième génération de répondants), le Canada (deux répondants) ou les deux s’identifier à la société qui a accueilli leurs parents et dans (un répondant) parmi leurs groupes identitaires. Tout laquelle ils ont grandi (que ce soit à leurs yeux le Canada comme dans le corpus plus large, le Québec peut alors être ou plus spécifiquement le Québec). Si très peu de défini soit comme un groupe ethnoculturel (langue 54 répondants choisissent cette société comme groupe identitaire, ils sont néanmoins nombreux à ressentir une appartenance envers cet ensemble national ou provincial et presque tous y participent civiquement. Il faut donc se méfier des généralisations abusives sur les identités des immigrants de deuxième génération, car, comme le démontrent les résultats empiriques résumés ici, elle sont variées et complexes. 2 La plupart des études sur les membres de minorités ethniques opèrent leur recrutement par les associations ethniques ou par des messages d’invitation qui ciblent des gens qui se disent eux-mêmes des immigrants de deuxième génération. Les répondants de la présente étude ont été sélectionnés à l’aide d’une liste en provenance du Registre des naissances du Québec, en fonction du fait qu’au moins un parent était né en dehors du Canada. Pour de plus amples détails sur la méthodologie ou pour consulter les résultats détaillés et commentés, voir Nicole Gallant Appartenances, identités et préférences à propos des droits différenciés dans le discours de jeunes membres de minorités ethnoculturelles au Québec, thèse de doctorat, Science politique, Université Laval, janvier 2002, 656 p. 3 Toutefois, une dénomination simple peut cacher une interprétation quelque peu axée sur le groupe hybride de la deuxième génération ou, du moins, de la communauté dans le pays d’accueil. Notes 1 Il s’agit de 28 jeunes de 18 à 25 ans rencontrés à Québec et surtout à Montréal en 1999, dans le cadre d’entrevues durant d’une heure et demie à deux heures. La moitié sont des femmes; quatre sont anglophones et les 24 autres sont francophones. Leurs parents viennent de différentes parties du monde. Notons que l’étude complète comportait 57 autres jeunes : 41 autochtones de différentes « nations » du Québec, cinq immigrants et un petit groupe témoin de 11 autres jeunes. L’Immigration et les intersections de la diversité Numéro spécial de Thèmes canadiens / Canadian Issues Ce numéro de Thèmes canadiens / Canadian Issues, porte sur l’immigration et les intersections de la diversité. Publié sous la direction de Myer Siemiatycki, responsable du programme de maîtrise en immigration à la Ryerson University, il propose 25 articles rédigés par des chercheurs, des responsables des politiques et des organisations non gouvernementales, sur l’hétérogénité de l’expérience de l’immigration au Canada. Le numéro comprend également trois articles sur le sans-abrisme et l’immigration. Pour obtenir un exemplaire en français ou en anglais : [email protected] 55