Extrait de la publication

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Le lit
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Jean-Louis Boudreau
Le lit
roman cru
Éditions Mots en toile
Extrait de la publication
Graphisme et mise en page : Jean Bergeron
Correction : Jean-Pierre Rhéaume
Photo couverture : Konstantin32 | Dreamstime.com
Les Éditions Mots en toile
Téléphone : 514 680-9186
1237, rue Beaudry
Montréal, QC H2L 3E3
Courriel : [email protected]
Dépôt légal
Bibliothèque et Archives nationales du Québec — 2013
Bibliothèque et Archives Canada — 2013
ISBN : 978-2-923445-41-0
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Mots en toile 2012
Extrait de la publication
— Un cheval de Troie !
— Moi, c’était une pouliche de Détroit !
J’avais lancé en l’air la créature et la cité légendaires, sûr de me trouver seul dans les parages. Il s’en était
emparé au vol pour me retourner sa version femelle américaine. Par une réplique vive mais plus encore intrigante,
car il m’adressait la parole pour la première fois véritablement, depuis des mois nos échanges se limitant à des
civilités laconiques dans les couloirs de ce cabinet du
centre-ville, Sigouin, Templeton & Marchessault. Mon
travail de maintenance du réseau informatique s’effectuait souvent après le départ des juristes, quand m’était
accordé le plein accès aux ordinateurs. Avec ses seau et
guenilles, l’homme vaquait à sa tâche au ralenti mais de
façon continue. Qu’il cherchât à engager la conversation
me surprit. Je différai la désinstallation du malveillant
logiciel, enfourchant plutôt la monture avancée.
— Une pouliche de Détroit ?
— Sacrée bonne femme ! jura-t-il.
Je le regardai de l’air amusé me semblant convenir ou
du moins ne pas discorder. Il me fixa avec une gravité
indéfinissable, les mains en appui sur la vadrouille dans
une eau brunâtre.
— À deux ou à quatre pattes ?
Il écarta la plaisanterie d’un grognement. — J’ai pas torché des planchers toute ma vie. J’ai aussi
envoyé les meilleurs au tapis.
— Les meilleurs ?
— Dick Tiger, Roger Rouse, ça vous dit rien, hein ?
Awingna hein, fus-je tenté de répondre.
— Non. 5
— Les deux allongés pour le compte, m’asséna-t-il avec
un enchaînement gauche droite étonnamment rapide
chez un vieillard.
— Faudrait pas me passer le K.-O. à moi aussi avant que
j’achève l’animal. Celui de la machine, crus-je bon préciser en évitant le manche au-dessus du bac.
— Une foutue jument, Edwina, sauta-t-il du coq à l’âne,
pour dire bêtement comme lui.
— De Détroit ?
Son œil s’intensifia, signe d’appréciation de mon
attention. Ce qui ne l’empêcha pas de s’envoler au loin,
atterrissant dans un temple de son culte.
— New York, Madison Square Garden, 16 mai 1967.
Quinze mille spectateurs en délire, se réjouit-il un instant, pour se rembrunir en revenant à son Edwina. Elle
m’a démoli. — Une boxeuse ? risquai-je pour me situer.
— Une salope.
Il reprit son train-train quotidien et n’ajouta plus un
mot, me laissant en plan, déconcerté. L’étrange personnage. Je me concentrai sur l’intrus virtuel, vite neutralisé.
Dans l’intervalle, le nettoyeur s’était éclipsé.
***
La recommandation d’un restaurateur et tenancier
de bar me valait la clientèle de Sigouin, Templeton &
Marchessault. Mise à ma disposition en tout temps, une
table du Gouleyant réglait une part de mes honoraires,
l’autre m’étant versée en liquide, des dollars soustraits
à la gourmandise du percepteur. Également pour échapper au dévorateur fiscal, Rodrigue Templeton troquait des
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Extrait de la publication
conseils juridiques contre un autre liquide, en provenance
des meilleures bouteilles de la cave. Nous avions été présentés par le patron au zinc de son Gouleyant.
— J’ai frotté avec de l’alcool comme pour le rouge, mais
les taches persistent sur l’écran.
— Les taches ?
— Les taches de sperme.
— De sperme !
— Pas le mien, rassurez-vous, le papier mouchoir intercepte la morve. J’ai la main, depuis le temps. Non, celui
des étalons.
— Vous vous fichez de moi !
Templeton se fichait en permanence des gueules à
portée de ses répliques, ordurières de préférence, sa
compagnie m’en convaincrait vite. Cette première fois,
la provocation me fit réagir de la façon qui lui plaisait,
impulsive et offensée, me figurant un éjaculat et ses
dégoulinades sur les pixels d’un PC. Ce qui parut suffire
à le convaincre de me confier la responsabilité de son
réseau. Il me signa le généreux chèque qui dissipa mes
hésitations de m’engager auprès d’un énergumène de la
sorte.
Marchessault, Templeton & Sigouin occupait de vastes locaux dans les hauteurs d’une tour prestigieuse du
centre-ville. Les bureaux des associés et des avocats principaux circonscrivaient les îlots des subalternes. Intimité
luxueuse et promiscuité fonctionnelle, selon la position dans l’organisation. Succédait à cette configuration
une grande salle, dans laquelle devaient s’échanger des
turpitudes en quantité, chuchotai-je sans mesurer la pertinence de la réflexion. 7
Je nettoyai à fond les ordinateurs, contaminés par
de nombreux virus, vers et autres parasites. Templeton
s’avérait le seul responsable des infestations. Il naviguait
en effet dans des eaux grouillantes de pirates capables de
s’infiltrer par le moindre interstice, à plus forte raison par
des écoutilles béantes. Les fichiers système indiquaient
clairement les préférences du pornographe : slutmacho,
cumspread, assabyss et des dizaines de sites analogues.
— Monsieur Templeton...
— Pas de monsieur Templeton entre nous, tu m’appelles Rodrigue.
— Difficile, mais... d’accord. Rodrigue...
— Je sais ce qui te tracasse. Enlève tes gants blancs
pour parler de saletés. Je ne renoncerai ni à Angel Dark
ni à Katsuni, à aucun prix. Je t’ai saisi : t’es un libidineux,
comme moi. Et un littéraire déguisé en technicien me
divertira de ma galère.
L’obsédé gaspillait quatre à cinq heures par jour sur
des sites pornos, pathétiquement retranché derrière
un écran, en quête de nouveautés excitantes pour celui
qui avait tout vu, tout revu. Je m’alimentais également
à l’auge web, évitant cependant les excès pour ménager
ma pine et mon imaginaire. Un surcroît de rudesses avait
rétréci celui de Templeton comme peau de chagrin, le privant de la peau des femmes véritables, des hommes aussi,
semblait-il.
— Même pas des putes ?
— Rien de tangible. Juste de mauvaises pensées. Tu me
débarrasseras des dommages collatéraux.
— Il faut blinder la cuirasse de vos machines.
— Non. Contente-toi de décrasser, et pas de zèle.
— Vous serez envahi par des indésirables.
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— À mes yeux, ils sont très désirables. Facture-moi en
conséquence, tu n’auras pas à te plaindre.
Insensé, incompréhensible : au lieu de me payer pour
régler ses ennuis, il me paierait pour les entretenir !
— Il faut renforcer la surveillance du réseau, prévenir
les invasions avec pare-feu, antivirus, antiespiogiciels,
crypter les messages.
— Arrête ton jargon, je connais la chanson. Répare grossièrement les pots cassés, c’est tout ce que je te demande.
— Et ma réputation ?
— Voici pour ta réputation.
Il me signa un chèque plus substantiel que le précédent, sous lequel je consentis à enfouir mes scrupules.
Au-delà du fric, sa joyeuse folie autodestructrice m’inspirait cette sorte de sympathie que l’on éprouve pour
certaines personnes, pas par affinités mais parce qu’elles
sont ce qu’elles sont, qui n’a que peu à voir avec être soimême. Sans doute avais-je aussi le goût de pimenter mon
ordinaire, peut-être même de me foutre dans la merde...
***
J’eus maille à partir avec la vingtaine de PC de Sigouin,
Templeton & Marchessault à trois ou quatre reprises
avant que ne survienne l’occasion de reprendre la conversation sèchement interrompue par le nettoyeur haïtien.
Peu familier de la boxe en général, a fortiori des exploits
de ses légendes, mais intrigué par les propos du pugiliste,
j’avais mené une courte recherche sur les protagonistes
du drame évoqué à notre première rencontre.
— Richard Ihetu pour le compte de dix ? Le Biafrais,
précisai-je, sans plus obtenir de réponse. Dick Tiger !
lâchai-je finalement, déçu de l’avoir déjoué.
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— L’Africain ! J’avais oublié son nom de naissance, à
mon âge…
— 16 mai 1967, c’était José Torres, pas vous ! m’offusquai-je pour le détourner du gang bang de Briana Banks,
une des actrices préférées de Templeton, montée à l’envi
par un régiment de hussards sur cheeksandchicks.com.
— Qui a dit le contraire ?
En effet, il n’avait pas menti, mais ses propos prêtaient
à confusion.
— Cessez donc de tourner autour du ring.
— Edwina m’avait vidé de mon huile de couilles, se
désola-t-il. Un rusé, le Portoricain.
— Vous boxiez mi-lourd à l’époque, si j’en crois mon
petit doigt et ses quatre acolytes.
— Le 16 mai 1967, c’est moi qui aurais boxé Tiger si
Torres s’était comporté en homme au lieu d’envoyer une
salope à sa place.
— Vous étiez de la trempe de Tiger ?
— Torres et moi, on s’est tapés dessus en février 1967,
le 3, pour se départager. Le gagnant affronterait Tiger.
La fille s’est présentée le 22 janvier. Treize jours et ma
chance de porter la ceinture s’était envolée, la salope
aussi. J’en savais un bout sur les femmes, mais des fatales
comme Edwina… Pouliche, jument, salope, et il prétendait connaître les
femmes ! Un dinosaure, la vieille bête macho. La présidente de Sigouin, Templeton & Marchessault n’aurait pas
aimé ses allusions cavalières.
— Et la patronne, comment vous la qualifiez ?
Il se défila en poursuivant l’époussetage du mobilier. La
jeune avocate avait succédé à son père, cofondateur du
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cabinet avec deux partenaires, un certain Marchessault,
disparu dans un accident de voiture et gravé à perpétuité
sur la plaque à l’entrée, et Templeton, dont la moquerie
préférée consistait à répéter qu’elle dirigeait l’entreprise
de main de maître.
— Un cul plus rebondi qu’un rebond de Chamberlain.
— Comment !
— Edwina ! s’exclama-t-il avec un plissement narquois
des commissures, signe que sa remarque visait bien les
deux femmes, leurs postérieurs.
— Votre idole, le basketteur ? — J’étais au Hershey Park Arena, le 2 mars 1962.
— Et moi dans les testicules de mon père.
Je songeais à la débordante personnalité de Josée
Sigouin, à son arrière-train divinement bombé comme
souligné par l’impertinent. M’obsédait une scène torride.
Vêtue d’un tailleur haute couture moulant, la callipyge se
penchait pour récupérer un dossier échappé par terre.
Dans le poste modulaire où par bonheur j’étais assis aux
premières loges, sa croupe entrait par le jour entre deux
cloisons, idéalement cadrée. Ses genoux pliés en projetaient dans ma direction l’ampleur complète, dessous
laquelle ses mollets se galbaient à ravir. Nouée à la cheville et se prolongeant sur le talon d’Achille, une courroie
délicate retenait sa haute chaussure de cuir, à la semelle
suspendue de la plus gracieuse manière. Élégance exquise
et délicieuse indécence en parfait équilibre, s’extasiait
en moi l’esthète et s’enflammait le voyeur derrière le
paravent. S’accordant à mon désir, la déesse accentua sa
cambrure et la tension dans l’étoffe de sa jupe révéla le
string qui fendait ses fesses. Mon énervement crût et ma
verge aussi, douloureuse dans son exiguïté. L’allumeuse
maintint au-delà du séant la pose parfaite, apparences
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Extrait de la publication
faussement fortuites. Avant de se redresser, elle se dandina, esquissant sous son buste un coup d’œil discret à
douter d’une intention derrière. Au paroxysme du désir,
je me soulevai de la chaise et dissimulai sous la table ma
lance incendiée. L’idée qu’une secrétaire me surprenne en
flagrant délit depuis le couloir me propulsa vers le climax,
un Kleenex interceptant in extremis ma sauce gluante.
M’avait-elle offert le spectacle en toute perversité
ou confondais-je désir et réalité ? L’évocation butait sur
cette perpétuelle hésitation, car m’intimidait la femme
respirant le pouvoir autant que m’affriandaient les somptueuses rondeurs de l’exhibitionniste d’une unique et bien
légère indécence. Je revins au pugiliste et à sa remarque :
un cul plus rebondi qu’un rebond de Chamberlain. La
malice sous la grossièreté suggérait-elle gratification du
même privilège fessier ? Qui dans ce cas cessait d’en être
un, puisque nous devenions deux, voire plusieurs, à nous
régaler. Elle prenait son pied en montrant son popotin à
qui frayait dans le voisinage. Pris dans ces ruminations, je
filai, laissant à mon tour l’Haïtien sur sa faim, seul avec sa
besogne nocturne solitaire, le grand basketteur playboy
et cette « salope d’Edwina ».
*** Templeton me recommanda à l’une de ses amies, qui
requit mes compétences pour le remplacement de son
ordinateur et le transfert de ses fichiers. Satisfaite de
mon travail, elle me rappela pour les soudaines pertes de
conscience de son PC. Je me rendis à son domicile, une
oasis tropicale avec cascade d’eau et flore luxuriante dans
la partie intérieure commune, sur laquelle donnaient
les balcons. Depuis la chambre, elle me pria d’entrer,
suggérant de m’attaquer au problème sans l’attendre.
Diagnostic rapide, un jeu dans la prise interrompait
parfois le contact électrique avec l’embout du fil d’ali-
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Extrait de la publication
mentation. Je confierais la réparation de l’appareil au
fabricant.
— Vous apprécierez un verre de vin ? proposa-t-elle en
approchant.
— Jamais au boulot, déclinai-je poliment.
— Vous ne pouvez me refuser une coupe de Saint-Éstèphe, murmura une voix suave à mon oreille. — Une proposition...
En pivotant sur ma chaise, je l’aperçus : verres en mains
et vêtue d’un déshabillé noir échancré garni de froufrous,
elle frôlait de ses genoux les miens. Sous la vaporeuse
petite tenue, on distinguait les porte-jarretelles attachés
à des bas résille, arachnéens comme les pompons de ses
escarpins à talons aiguilles. Elle avança le nectar, libérant les pans de la lingerie pour révéler le triangle de soie
pourpre du cache-sexe.
— Vous hésitez à vous en saisir ? Sa poitrine se balançait à hauteur de mon visage,
impossible de ne pas saisir. Je la contemplais, ébahi,
incapable d’articuler le moindre son. Elle versa quelques
gouttes de l’élixir entre mes lèvres, qui s’en délectèrent.
Sa main libre se hâta d’extraire du balconnet son sein
gauche, dont elle trempa le bout dans le vin avant de l’introduire dans ma bouche, qui le téta goulûment. Par la
braguette, elle tira ma pipette et l’engloutit. Deux minutes de gymnastique et un spasme propulsa le fluide vivant
dans sa gorge ; la profusion reflua, éclaboussant ses lèvres
d’une blancheur épaisse, vision furtive emportée dans
l’orgasme qui voilait mon regard en me dévastant.
Mes esprits à peine repris, elle m’embrassa, m’obligeant à goûter mon propre foutre étalé par sa joue sur
la mienne, sans que je susse opposer de résistance. Son
string glissa à ses pieds et elle écarta les jambes sur le
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Extrait de la publication
bonheur-du-jour, se penchant pour guider ma langue ;
clapotis dans la moule et chatouillis sur le clito, la diablesse décolla vers le septième ciel en se rejetant vers
l’arrière. Elle se redressa l’extase dissipée et trottina en
direction de la salle de bain, où nous nous débarbouillâmes.
« Une vieille peau, à ton avis », devina la perspicace
sous mes lunettes. La quarantaine me guettait et Gaëlle
devait me précéder de près de deux décennies, quoique
n’accusant pas son âge. « J’aime le sexe à outrance, et mon
désir n’a pas pris de rides, lui. » Elle avait été très belle
et demeurait fort séduisante, en témoigna l’effeuillage
du négligé, du bustier, de la culotte ; ressortirent sur sa
nudité autrement intégrale porte-jarretelles, bas de soie
et chaussures fines. Le plasticien avait gonflé les fesses,
raffermi les cuisses, relevé la poitrine, tendu le cou et des
soins corporels bichonnés le reste, de beaux restes, crûment exposés dans la lumière du jour. « Ce corps a joui
plus que tu ne saurais l’imaginer, petit bonhomme. »
Petit bonhomme. L’apostrophe visait mon mètre
soixante-trois, mes soixante-sept kilos et surtout les onze
centimètres de mon zob, complexé, elle l’avait senti dans
sa bouche. Gaëlle n’était guère plus abîmée que moi qui me
désintéressais de ma santé. Elle respirait l’aisance, matérielle, intellectuelle, sexuelle. Une femme exceptionnelle.
Les vieilles ne m’attiraient aucunement, mais celle-là,
ma première, me magnétisait. Elle avait manœuvré avec
une habileté et une fermeté déconcertantes : le vin puis le
sein, la main, la bouche, la sienne, la mienne, un enchaînement au sens propre, irrésistible. Je m’étais abandonné
du début à la fin, de la salle d’eau à la porte, franchie dans
l’apesanteur de la félicité, alors qu’elle me fichait dehors.
Une ensorceleuse bonifiée par l’âge, comme un grand cru
de Bordeaux, me grisais-je.
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Extrait de la publication
***
Je croisai l’homme de ménage haïtien par hasard près
du métro.
— Vous avez pu admirer le centième point marqué par
Wilt Chamberlain ?
— Le Stilt est le plus grand.
— Plus que Michael Jordan ?
— D’au moins six pouces !
Son humour m’égayait. Originaire de Philadelphie, « la
ville de Rocky Balboa », il avait mené une fructueuse carrière de boxeur, mais aurait préféré le basketball, « hors
de portée de mes cinq pieds onze pouces ». Les femmes le
passionnaient depuis le collège où il avait connu Wilt.
— J’arrivais pas à sa cheville au basket, mais au lit,
c’était une autre histoire. Sans mes conseils et mes encouragements, Chamberlain serait jamais devenu un vrai
scoreur. Un empoté, incapable de déjouer la défense des
gamines. J’ai jeté la première dans ses bras.
— Sérieux ?
— J’ai dégusté la cerise de Rhonda et léché ses babines
jusqu’à plus soif ; je l’ai ramonée jour et nuit avant de la
refiler au puceau.
— La cerise ou Rhonda ?
— Wilt était pas de ma catégorie, et la squaw s’ennuyait
de mon totem : « Une super grosse comme la tienne, mon
chéri, de l’or en barre ! Tu le dépasses de quatre bons pouces », me complimentait cette salope de Rhonda.
— Et cette salope d’Edwina, elle vous flattait aussi dans
le sens du poil ?
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Il slaloma sur un autre souvenir triomphant. Ce fameux
2 mars 1962 où Wilt Chamberlain marqua un incroyable cent points, le compte le plus élevé de l’histoire de la
NBA, 169-147, le boxeur s’était amené dans le vestiaire
des victorieux Warriors accompagné de deux superbes
Jamaïcaines désireuses de connaître le champion, récompensé pour son exploit de l’embarras du choix. « Une nuit
historique », conclut abruptement l’Haïtien, me laissant
sur mon appétit.
À mon retour, il poussait son chariot dans l’ascenseur ;
je m’engouffrai à sa suite pour ne pas rater le coche.
— Réunis dans les transports en commun, démarrai-je
en pressant le bouton du vingt-troisième étage.
— 3 février 1967. L’ascenseur s’est arrêté là pour moi.
— Pourvu qu’il ne nous lâche pas ce soir.
— J’avais pas respecté la règle.
— Pas de sexe avant un combat.
— Le Bronco du ghetto voyait pas plus loin que le bout
de sa trompe.
— Sans son Adrienne, Rocky Balboa serait pas devenu
l’Étalon italien, le consolai-je.
— Torres en a profité.
— Un knock-out rapide ?
— Je suis allé au tapis au cinquième round, jamais je me
suis relevé.
— C’est pour ça que vous les nettoyez ?
— Tu mériterais que...
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Extrait de la publication
Furieux, il se limita néanmoins à brandir le poing. Je
l’avais sérieusement vexé. Il pivota sur ses talons et s’éloigna sans dire un mot.
***
J’avais résolu de décliner l’invitation de Gaëlle, qui ne
tarderait pas. Sa supériorité m’irritait. Mais les semaines
s’écoulèrent sans que ne se manifeste la dame ; clairement, elle ne se languissait pas de mon pipeau, c’est moi
qui mourais d’envie de pénétrer les arcanes de sa science
sexuelle sulfureuse. Son PC me fournit le motif de la
revoir.
Elle était vêtue d’un pull crème à col roulé assorti à
un jean anthracite ajusté, superbe. Je m’attendais à une
réception semblable à la précédente, voire à me faire
dévorer dès mon entrée. Elle me traita en simple technicien informatique, avec amabilité mais froideur, me
vouvoyant pour marquer les distances. Monté avec l’ascenseur, mon lombric se ratatina piteusement ; je pris
son chèque, tête penchée, grimaçant malgré des efforts
de contenance, humilié comme par le règlement d’un service sexuel.
— Avant de sortir, si tu la sortais ?
Ses paroles me figèrent sur le seuil de la porte. Elle
ouvrit ma braguette et, là dans l’embrasure, en extirpa
l’animal blessé, au vu de quiconque traverserait le corridor. Sa bouche l’avala pendant que ses mains se
dépêchaient d’abattre mes pantalon et slip. En pressant
mes fesses, Gaëlle enfonça l’épée lentement et à répétition dans sa gorge jusqu’à la glotte, suçotant le gland
injecté avec délicatesse.
— Ça te plairait qu’on nous surprenne, hein ?
— Ça me plairait que vous, vous me surpreniez.
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Extrait de la publication
La gueuse harcela mon arrosoir, le tripota, le tapota, le
talocha ; à la marée montante, elle le couillonna, étirant le
sac avec une vigueur telle que le flot s’endigua.
— Ça te surprend ?
— Ça surprend.
Une technique qu’ignoraient les muscles de mon périnée, délicieusement contractés. Elle reprit l’offensive, me
secouant le prépuce, me tourneboulant le tubercule, la
totalité de l’enveloppe charnelle. Comme d’une bouteille
de champagne agitée, les spermatozoïdes déferlèrent
dans le canal. Le bouchon sauta, la splendeur m’aveugla
et une mousse abondante aveugla Gaëlle. Sans me laisser
atterrir, d’un coup elle releva mon caleçon et mon jean,
attacha ma ceinture et me poussa dans le couloir.
— Et ça, ça te surprend ?
Avant que je ne puisse répondre, elle me ferma la porte
au nez avec le manche à l’air et l’air désemparé comme
jamais dans mon existence. Je remis Popaul en place,
mes idées plus difficilement, quittai sans demander mon
reste, une copie de la facture dûment signée.
***
Templeton me rappela le lendemain de ma débandade
chez son amie. Son iPhone souffrait de la grippe ou du
rhume, le diagnostic m’incombait. À midi trente au Gouleyant, le buveur achevait une bouteille de Bordeaux sans
avoir entamé l’entrecôte dans son assiette.
— On n’ouvre pas les courriels suspects, mons... Rodrigue, je vous l’ai répété mille fois. Du doigté !
— Gaëlle, c’est en se doigtant sur Internet que son ordi
a été contaminé ?
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Extrait de la publication
par un épais cumulus de blanc foutre. Je me ruai dans la
pièce voisine, mais le dieu ithyphallique avait déjà regagné son Olympe.
Le goût de la bagatelle m’était passé, au grand dam
de Josée, qui descendit de son perchoir et se rhabilla. De
quelle poche provenait douille pâtissière pareille, de quel
hévéa pareille coulée de latex ? Je songeai à Whitaker Léopold mais rejetai sa candidature en esquissant un sourire :
impossible de confondre une brindille et un menhir. À la
réflexion, je me ravisai : Edwina m’avait trompé en m’attirant dans un piège à queue, elle pouvait avoir discrédité
l’Haïtien par moquerie. Que l’ex-boxeur fût le vantard
impénitent décrit par son employé n’excluait pas qu’il
pût dire la vérité quant à son didgeridoo. Une hallucination dans l’excitation ? Non, en témoignait la flaque se
gélifiant sur le verre, nettoyé avec dégoût.
— Noire, brune, blanche, jaune ?
— Couleur chair, ça te va, Josée ?
Curieusement, l’énormité de l’apparition m’était restée, mais pas sa carnation.
— Je suis preneuse.
— Comment t’as deviné pour mon nouveau logis ?
— Le lit, bien sûr, et ce qu’on peut y faire.
— Dormir.
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Extrait de la publication
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