Compte-rendu de la formation sur Libero, de Kim Rossi

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Compte-rendu de la formation sur Libero, de Kim Rossi
Compte-rendu de la formation sur Libero, de Kim Rossi-Stuart, 2006
Intervention de Denis Asfaux, technicien de cinéma, intervenant Lycéens au cinéma
Au Cinéma Le Bretagne à Quimper, le 7 décembre 2011
Premier film de l’acteur-réalisateur Kim Rossi-Stuart, Libero a connu le succès lors de sa
sortie à Cannes et lors de sa distribution en France et en Italie. Le scénario du film a demandé
trois ans de travail.
Pour comprendre ce film, Denis Asfaux nous propose de le mettre en relation avec d’autres
œuvres cinématographiques qui lui font écho et qui ont sans nul doute influencé Kim RossiStuart.
Un dernier point sur le rôle de la musique dans le film permettra d’apporter un éclairage
supplémentaire.
1. Le Voleur de Bicyclette, (Ladri di biciclette), Vittorio de Sica, 1948 : pour la relation
père/fils
A. Situation de l’extrait choisi :
Dans l’Italie d’après-guerre, un père se fait voler sa bicyclette alors qu’il en a besoin pour
coller des affiches. Accompagné de son petit garçon, il se met à la recherche de la bicyclette
et du voleur. Le film consiste en une ballade (une recherche vaine en réalité) d’un père et de
son fils dans Rome. L’extrait choisi et que l’on peut mettre en parallèle avec Libero se situe
au moment où le père aperçoit le voleur. Plusieurs points communs sont ainsi à souligner :
- la gifle
- la natation, la noyade
- le football
- la pizza offerte au fils (parallèle avec la nuit à l’hôtel offerte à la famille dans Libero).
Ce moment est l’aboutissement de tous les efforts faits par le fils et son père pour
retrouver la bicyclette. Un moment similaire apparaît dans Libero avec l’invitation aux
sports d’hiver : mais ce moment sera refusé par Tommi pour retrouver son père.
Le Voleur de Bicyclette appartient à un cinéma de genre : le néoréalisme. Mais ce n’est pas ce
que Kim Rossi Stuart a voulu faire, car si son film intègre des éléments du néoréalisme, il ne
relève pas complètement du genre.
B. Rappels sur le néoréalisme :
Le genre apparaît après une brève période d’euphorie appelée « la période des téléphones
blancs » en référence aux comédies de divertissement mettant en scène la bourgeoisie,
totalement dégagées du monde réel. A l’inverse, le néoréalisme s’intéresse aux laissés-pourcompte et est ancré dans le réel. L’une des plus belles illustrations du genre étant Allemagne
année zéro de Roberto Rossellini : représentation d’un monde en ruine, le film s’achève sur
un enfant qui se jette dans le vide. De ce fait, dans la représentation d’une Europe à refaire, en
travaux, le récit se retrouve lui aussi en chantier, totalement déstructuré. L’état du monde est
en miettes et va de pair avec la crise de la linéarité du récit. L’une des caractéristiques du
néoréalisme est l’utilisation de la profondeur de champ totale : cela permet de contextualiser
l’environnement où les personnages se trouvent. Il s’agit de montrer la société en ruine, le
monde de pauvreté et de débrouille dans lequel les personnages évoluent.
C. Le lien avec Libero
Libero contient un aspect social : le père n’a pas de statut, son métier ne lui permet pas d’être
socialement assuré. La réflexion d’un de ses collègues sur le lieu du tournage (« Tu t’es enfin
lancé ? ») signale qu’il vivote depuis longtemps et sa timidité à s’installer dans le métier. Le
film le montre à un moment où il tente de se mettre à son compte. Il est cadreur, achète un
matériel coûteux (une steadycam). Cependant, si sa situation est instable, elle n’est pas
précaire. Il entre dans une spirale d’endettement mais le film n’appuie pas sur les clichés de la
pauvreté (la voiture du père est une 4/4 et non une vieille guimbarde). Car ce qu’il est
important de montrer est l’instabilité psychique. De la même manière, Libero est construit sur
le mode d’un récit en miettes.
2. L’Incompris, (Incompreso), Luigi Comencini, 1966 : pour la dimension fantastique
A. Situation de la scène choisie :
Le film met en scène un père et ses deux fils dans un milieu bourgeois. Le père voit comment
son fils aîné accepte la mort de sa mère et le croit indifférent alors qu’il est en train de se
reconstruire. La scène choisie se situe au moment d’une séance de judo. L’enfant a le dessus
sur son adversaire quand vient le père alors que son fils ne l’attendait plus. La situation se
renverse alors. La mise en scène révèle une dimension fantastique : l’utilisation de la contreplongée enlève du réel et permet de représenter plus qu’une simple anecdote en donnant à
l’ensemble une symbolique.
B. Le lien avec Libero :
De la même manière, à la piscine, le père arrive à contre-temps et donne des conseils à son
fils dans les vestiaires alors que son fils devrait se trouver dans l’eau avec les autres enfants.
Et lors de la scène importante des éliminatoires, la dimension fantastique est donnée par la
caméra subjective qui suit le trajet de Tommi dans l’eau et ses mouvements de tête. La vision
des nuages dans le ciel signale que l’on n’est plus dans l’espace réel, la transition se faisant
par un mariage de matières entre le bleu de l’eau de la piscine et le bleu du ciel. Cette
dimension fantastique permet de faire comprendre qu’il s’agit d’une porte de sortie pour
Tommi : par son refus de nager et de participer à la compétition, il s’extrait de la famille. Cet
acte courageux est la promesse d’un autre horizon. Il peut être sauvé par cette prise de liberté
qu’il s’octroie.
3. La Fureur de vivre, (Rebel without a cause), 4icholas Ray, 1955 : pour la remise en
cause de la représentation paternelle
A. Situation du passage :
Après la rixe au couteau, Jim rentre chez lui et affronte son père qu’il trouve en tablier dans
une position dégradante : alors qu’il vient de renverser le contenu d’un plateau, il ramasse les
restes de nourriture par terre. Jim se rebelle contre ce père qui a perdu son autorité. La scène
suivante nous montre une toute autre représentation paternelle avec le personnage du père de
Judy. On remarque également l’importance de la profondeur de champ qui permet de
visualiser un décor qui donne tout son sens à la scène. Le luxe de la production est bien
évidemment très éloigné de celui de Libero où le décor ne fait jamais rêver.
B. Le lien avec Libero
Comme dans La Fureur de vivre, Libero remet en cause l’image virile du père et casse la
représentation statuaire paternelle à plusieurs reprises. Ainsi, la scène d’ouverture nous le
montre en train de repasser… L’image du père est à ce titre malmenée : il est loin d’être le
père modèle et a des accès de violence qui montrent son absence de maturité et son instabilité.
Kim Rossi Stuart se met lui-même en danger en détruisant le capital héroïque qui était le sien
jusqu’alors dans des rôles de bel italien. Le personnage du père est loin de correspondre à
l’image du père modèle car cela condamnerait la mère: la scène du tournage du film en est un
bel exemple : on le montre têtu, puéril, incapable de respecter les règles sociales. Cet aspect
enfantin du personnage est d’ailleurs souvent abordé dans le film.
4. Derrière le miroir, (Bigger than life), 4icholas Ray, 1956 : pour le choix de la mise en
scène.
A. Situation du passage
James Mason impose à son fils de courir, mais va trop loin et le malmène. La caméra ne
montre que les jambes du père. C’est la mise en scène qui permet ainsi de révéler la violence
du personnage, sans utilisation de dialogues.
B. Le lien avec Libero
Un même choix de mise en scène est fait par Kim Rossi Stuart. La dernière scène se passe
ainsi de dialogues pour exprimer le dérèglement de la mère. Seule l’image de la lettre,
griffonnée et baignée de larmes, que Tommi lit dans le bus signale l’instabilité psychique de
la mère et permet de créer un moment émotionnellement fort.
5. Le Pigeon (I soliti ignoti), Mario Monicelli, 1958
A. Situation de l’extrait
Comédie italienne avec influence du néo-réalisme (et l’utilisation de la profondeur de champ
qui n’oublie jamais le contexte). Mastroianni incarne le portrait du père seul avec son enfant.
B. Le lien avec Libero
En plus de montrer la même image du père seul, Libero contient également des éléments de
comédie : entre le frère et la sœur, la scène du réveil au verre d’eau, la peau de banane par
terre, la langue de bœuf… Tous ces moments indiquent au spectateur que le film n’ira pas
dans la tragédie même si de nombreuses situations sont instables.
6. Le rôle de la musique dans Libero
La musique utilisée dans le film crée un rythme mais ne vient jamais imposer des registres de
sentiment ni appuyer ce qui est montré à l’image. La musique égrène le temps, met le film
dans l’aspect chronique de l’enfance : il s’agit de faire ressentir au spectateur un temps de
l’enfance qui est assez long.
La musique disparaît quand la mère revient (la présence de la mère fait que l’on n’est plus
dans la chronique de l’enfance) et réapparaît après le départ de la mère.
La musique permet également de désamorcer des moments de violence et de tension, évitant
ainsi au film d’aller dans des situations infernales : seules sont montrées des situations
instables. La musique laisse une porte de sortie à l’enfance.
Conclusion
Libero est plutôt un film intimiste traitant du thème de l’enfance. Le spectateur partage le
point de vue de l’enfant grâce à l’utilisation de la caméra subjective. De ce fait, le spectateur,
comme l’enfant, n’a pas les explications de l’instabilité qui règne. L’intérêt du film est
justement de ne pas terminer les explications alors qu’on serait tenté de le faire. Les choses
restent volontairement en suspens.

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