Un grand-lyonnais, premier préfet de police de Paris libérée

Transcription

Un grand-lyonnais, premier préfet de police de Paris libérée
Un grand-lyonnais,
premier préfet de police de Paris libérée,
Charles Luizet.
Le 20 août 1944, au fort de Côte-Lorette, à Saint-Genis-Laval, les troupes d’occupation allemandes,
avec le concours de la Sipo-SD, de collaborationnistes français et de miliciens, se livrent au massacre de
120 internés de la prison Montluc de Lyon. Le même jour, un enfant du pays, le Saint-Genois Charles
Luizet prend ses fonctions dans la Préfecture de Police de Paris, en plein soulèvement.
Le grand-lyonnais1, Charles, Jean Luizet, est né le 10 novembre 1903, à
Saint-Genis-Laval. Son père, le docteur Michel Luizet, était un
astronome reconnu de l’Observatoire de Lyon2.
Après des études au lycée Ampère de Lyon, il est reçu à Saint-Cyr,
promotion « du Souvenir ». Il y côtoie Philippe Leclerc de Hauteclocque
et a pour professeur un certain capitaine Charles de Gaulle.
Lieutenant de tirailleurs, il participe, dès 1922, à la campagne du Maroc,
comme officier détaché au service des Affaires indigènes. Au cours de
la guerre du Rif, il est blessé à deux reprises, en 1925 et 1926. Il est
promu chevalier dans l’ordre de la Légion d’Honneur, peu avant son
mariage, le 9 novembre 1927, avec Anne-Marie Jeunet. Deux enfants
naissent de cette union, Michèle et Pierre.
En 1936, le capitaine Luizet est détaché au contrôle civil de la région de
Fez, puis en 1939, attaché militaire au consulat général de France à
Tanger.
Placé en congé d’armistice, comme administrateur de la zone de Tanger, dès le 18 juin, il se met à la
disposition du général de Gaulle qui lui intime l’ordre de rester à son poste, « où il est très utile ». Il
organise un réseau de renseignement en AFN. Menacé de renvoi, il accepte un poste à l’état-major de
l’armée à Vichy. Ce poste lui permet de communiquer à Londres des renseignements sur les troupes
allemandes, via Tanger où était restée sa famille. Il facilite ou organise le départ pour la Grande-Bretagne
de personnalités de la Résistance (Gaston Palewski, Maurice Dejean).
S’estimant fortement suspecté, Charles Luizet souhaite gagner Londres. Finalement, sur les
préconisations du Général, il obtient une affectation administrative en AFN, où il constitue un réseau de
renseignements et d’action. Lieutenant-colonel d’infanterie3, il est nommé le 18 décembre 1941, souspréfet de Tiaret. Il y prépare l’opération Torch4. Le 8 novembre 1942, avec le chef de bataillon du 2e
RTA5, Georges Bertrand, en garnison à Tiaret, il entraîne la ville dans la dissidence. Immédiatement
révoqué et condamné à mort, il rejoint Alger. Il est successivement nommé, sous-préfet de Bône, le 6
1
Référence à la communauté urbaine de Lyon, le Grand Lyon, dont Saint-Genis-Laval fait partie.
Michel Luizet, « M. Luizet a eu un record honorable de 37 années de service à l'Observatoire, où il est entré à l’âge de 15 ans.
De 1892 à 1911, il a eu la charge de la section météorologique, dans laquelle ses méthodes précises d’observation lui ont assuré
le succès. En 1897, il a entrepris l’étude des Étoiles Variables, et ses nombreuses communications concernant ce sujet ont été
publiées dans les Comptes Rendus, Bulletin Astronomique, etc.… ; il a également publié une importante monographie sur les
étoiles variables Céphéides. Il a acquis aussi une place éminente parmi les observateurs de doubles étoiles, et était l’un des plus
grands spécialistes français dans cette branche d’astronomie. » The Observatory – janvier 1919
3 1er février 1946, nommé successivement et rétroactivement chef de bataillon puis lieutenant-colonel d’infanterie.
4 Nom de code donné au débarquement des Alliés, le 8 novembre 1942, en Afrique française du Nord.
5 Régiment de Tirailleurs Algériens
2
Société lyonnaise d’histoire de la police – Association déclarée – Siret 52466028900017
[email protected]  www.slhp-raa.fr MS 07/2014
© Slhp tous droits réservés
décembre 1942, puis secrétaire général d’Alger pour les affaires musulmanes et la police générale, le 28
mai 1943. Le CFLN6 envisage de le nommer commissaire de la République de la région de Marseille7.
Nommé préfet de Corse8, il est imposé par André Philip. Embarqué sur le croiseur le Fantasque, il
débarque sur l’ile, le 14 septembre 1943, avec les premières troupes et organise, en plein combat9, la
remise en route de l’administration républicaine du premier département français libéré. Il y accueille
de Gaulle, à Ajaccio, le 8 octobre. En juin 1944, la Corse remise en ordre, après force palabres et
décisions de fermeté10, le commissaire de la République Charles Luizet rejoint Londres, à la disposition
du ministre de l’Intérieur qu’il accompagne, en tournée, en Normandie libérée, avant de se préparer à
rejoindre son poste de préfet de Police à Paris.
Après, plusieurs tentatives périlleuses, il est déposé, le 11 août, dans un maquis du Vaucluse, peu avant
une attaque des Allemands. Il réussit à rallier Paris, le 17 août. Installé par le délégué général, Alexandre
Parodi, il prend ses fonctions, le 19 au matin, dès la prise de la Préfecture de Police, par les policiers
patriotes.
Avec le colonel Henri Rol-Tanguy, chef des FFI, ils dirigent
l’insurrection jusqu’à l’arrivée des premiers chars de la 2e DB
du général Leclerc, le 24 août au soir. De Gaulle, rencontre,
au ministère de la Guerre « les deux piliers de l’État que sont,
en l’attendant, le préfet Charles Luizet et le délégué général
Alexandre Parodi, [qui] viennent faire le point avec lui »11.
Confirmé, dans ses fonctions, le 7 octobre 194412, le préfet
Luizet a la lourde tâche de remettre en marche
l’administration de l’Etat, dans un climat politique tendu.
L’épuration est en cours. Factions, vengeances, règlements
de comptes se multiplient. Il doit faire respecter les
instructions gouvernementales en matière de sécurité
publique13. Les militaires n’apprécient guère l’attribution de
la Légion d’Honneur à la Préfecture de police. C’est l’époque
de l’épuration, avec les vengeances personnelles, les abus, les
lettres anonymes, etc. Pendant deux ans et demi, Luizet tient
les rênes de la Préfecture de Police.
Charles Luizet a perdu le soutien de De Gaulle qui a démissionné en janvier 1946, Il est affecté par des
problèmes de santé14. Il va être victime des dommages collatéraux des sombres affaires qui ont pris
naissance dans la Collaboration et la Résistance. Il est suspendu de ses fonctions avec traitement, le 20
mars 1947. Le communiqué du ministre de l’Intérieur Edouard Depreux, du lendemain, précise que cette
décision « n’atteint en rien l’honorabilité de ce haut fonctionnaire qui n’est nullement compromis dans
l’affaire Juanovici… » Mais que « les méthodes d’épuration morale pratiquées par le préfet n’ont pas
reçu l’approbation du ministre. Celui-ci, en effet, désire, dans l’intérêt des éléments sains qui constituent
l’immense majorité de la police parisienne, procéder avec la dernière énergie à la réorganisation qui
s’impose ». Suspension de courte durée, qui prend fin le 8 mai 1947, avec son remplacement, par
Armand Ziwès. Pour autant, ses compétences et sa connaissance de l’Afrique, font que l’Etat n’entend
pas se priver de ses services. Il est nommé gouverneur général de l’AEF15, le 5 juillet 1947, à Brazzaville.
6
Comité Français de Libération nationale
Rapport Guizot du 3 mars 1943.
8 10 septembre 1943
9 La Corse est encore occupée par les Allemands et les Italiens.
10 Olivier Wieviorka, Histoire de la Résistance, Désobéir, c’est servir, 1940 – 1945, Paris, Editions Perrin, 2013, 574 p.
11 Jean Lacouture
12 Préfet de police, 19 août 1944 (JO du 7 octobre 1944), pris de fonctions, le 20 août à 21 h. Suspendu sans traitement le 20
mars 1947 (JO) fin de suspension 8 mai 1947. 9 mai 1947, appelé à d’autres fonctions. Sa nomination comme préfet de police,
porte, commissaire régional de la République.
13 Sur la proposition de Marthe Richard, Charles Luizet décide la fermeture des maisons closes dans les 3 mois.
14 Il a été opéré en janvier d’une tumeur au cerveau.
15 Afrique Équatoriale française
7
Société lyonnaise d’histoire de la police – Association déclarée – Siret 52466028900017
[email protected]  www.slhp-raa.fr MS 07/2014
© Slhp tous droits réservés
Sa santé décline ; il est rapatrié à Paris où il décède le 21 septembre 1947. Charles Luizet est enterré au
cimetière de Passy.
Charles Luizet, alias François, Storck, est Compagnon de la Libération. Commandeur de la Légion
d’Honneur, Croix de la Libération, médaille de la Résistance, Croix de Guerre des TOE, Commandeur
de l'ordre de l’Empire britannique, Commandeur de l’Ouissam alaouite.
Deux rues portent son nom, dans le 11e arrondissement de Paris et à Saint-Genis-Laval (Rhône)
Son épouse, Anne-Marie Jeunet (1903-1945) fut décorée, à titre posthume, de la Médaille de la
Résistance, par le général de Gaulle, lors de ses obsèques le 11 avril 1945 à Notre-Dame.16
Sources:
 AN F1bI 802, AN CAC 920231/11, APP E A/175 II
 PP/CAB-MAC KA 110 : Fonctionnaires de la Préfecture de Police (N° 93380 à 94200), Préfet
Charles Luizet (n° 94201)
Photographie officielle de la préfecture de police
 Liste FFI
Bibliographie :
 Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France, XIXè-XXè siècles, Bruxelles, Complexe,
1996, p. 251 et 205.
 Dictionnaire biographique des Préfets, septembre 1870-mai 1982, Paris, Archives Nationales,
1994, 557 p
 Michel Aubouin, Arnaud Teyssier et Jean Tulard (sous la direction de), Histoire et dictionnaire
de la police, du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Editions Robert Laffont, collection Bouquins,
2005, p. 433, 748-749 (notice biographique signée Philippe Nivet).
 Jean-Marc Berlière, Laurent Chabrun, Les policiers français sous l’Occupation, d’après les
archives inédites de l’épuration, Paris, Perrin, 2001, p. 14, 40, 65-66, 287.
 Paul Bouteiller (sous la direction de), « Histoire du ministère de l’Intérieur – de 1790 à nos
jours », Revue administration, association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du
ministère de l’Intérieur, Paris, La documentation française, 1993, p. 135, 151.
 Francis-Louis Closon, Le temps des passions (de Jean Moulin à la libération - 1943-1944)
Famot
 Frédéric Couderc, Les RG sous l’occupation – Quand la police française traquait les résistants,
Paris, Olivier Orban, 1992, p. 176.
 Adrien Dansette, Histoire de la Libération de Paris –Arthème Fayard, 1946.
 Gabriel Esquer, 8 novembre 1942, jour premier de la libération, Éditions Charlot, 1946.
 Jean Lacouture, De Gaulle, Seuil, 1984, 3 tomes.
 André Larue, Les flics, ce qui n’a jamais été dit sur la Police Judiciaire, Paris, Fayard, 1969, p.
286 et 190.
 Marcel Le Clère, Bibliographie critique de la police, Paris, Yser, 1980, Nouvelle édition, revue
et augmentée, 1991, p. 356.
 Le Progrès de Lyon, 18 juin 2014
 Charles Luizet, Dix siècles d'Histoire de la Police (Police parisienne), Vanves, 1946.
 Ordre de la Libération http://www.ordredelaliberation.fr/fr_compagnon/620.html
 « Policiers au combat. De l’Occupation à la Libération ; Libération de Paris. » Préfecture de
Police, Liaisons 109, PPrama. http://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/Enimages/Liaisons/2014/Liaisons-n-109-Policiers-au-combat
 Michel Robert-Garouel, Le Monde des 8/9 novembre 1964, "Le débarquement allié du 8
Novembre 1942. Les folles journées de l'opération Torch."
 Luc Rudolph, Policiers rebelles. La Résistance au cœur de la Préfecture de Police, 1940 – 1944,
Paris, éditions LBM, 2012, 443 p.
16
Le Populaire du 13 avril 1945.
Société lyonnaise d’histoire de la police – Association déclarée – Siret 52466028900017
[email protected]  www.slhp-raa.fr MS 07/2014
© Slhp tous droits réservés





Société française d’histoire de la police http://www.sfhp.fr/index.php?post/2009/05/06/Noticebiographique-Charles-Luizet
Société lyonnaise d’histoire de la police http://www.slhp-raa.fr
Maurice Vincent, La vie d’un flic, du commissariat à la brigade mondaine, Paris, Editions
Jacques Grancher, 1982, p. 236.
Olivier Wieviorka, Histoire de la Résistance, Désobéir, c’est servir, 1940 – 1945, Paris,
Editions Perrin, 2013, 574 p.
Wikipedia
Société lyonnaise d’histoire de la police – Association déclarée – Siret 52466028900017
[email protected]  www.slhp-raa.fr MS 07/2014
© Slhp tous droits réservés