L`engouement des marques pour « surfer » sur les élections : le cas

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L`engouement des marques pour « surfer » sur les élections : le cas
L’engouement des marques pour « surfer » sur les élections : le cas de la Présidentielle
Christophe Bénaroya
Le moment phare que représente l’élection présidentielle dans la vie politique française est
également celui des partis politiques qui consacrent des budgets considérables en communication
(campagne, affichage, meetings, événementiel, merchandising et goodies…) (Maarket, 1992 ;
Delporte, 2001 ; Gingras, 2003 ; Lora, 2006 ; Mercier, 2008). Ces actions de communication
s’inscrivent dans un contexte médiatique qui a vu le nombre et le rôle des supports s’accroître de
manière considérable (chaînes TV, sites Internet, réseaux sociaux, radios…) (Delporte, 2010).
La campagne de 2007 demeure un cas particulier, car de manière tout à fait exceptionnelle et quasi
inédite jusque-là à un tel niveau1, elle fut l’occasion pour de nombreuses marques de réaliser une
forme d’ambush marketing en profitant de la caisse de résonance médiatique pour promouvoir leur
offre. Le fait de s’adosser à un événement majeur permet d’apporter visibilité, notoriété et capital de
sympathie.
Les médias, impliqués en termes de diffusion d’informations relatives à la campagne ont investi
« naturellement » cet axe (France Info, Europe 1, RTL, Canal +2…). Les affiches de RTL représentant
côte à côte et souriants, Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin d’une part ou François Hollande et
Ségolène Royal d’autre part avec la signature « vivre ensemble » ont ainsi été particulièrement
remarquées.
De nombreux slogans publicitaires inspirés du vocabulaire électoral ont été utilisés, de manière plus
ou moins subtile, à l’approche des échéances électorales allant du clin d’œil discret, humoristique, à
l’utilisation centrale comme axe de communication en passant par l’allusion critique pour tourner
l’univers politique en dérision (désacralisation). Selon Françoise Hernaez-Fourrier, directrice des
études du pôle créations publicitaires de TNS Média Intelligence, deux thèmes ont notamment
marqué cette élection3 (in Héraud, 2007):
- la présence de Ségolène Royal a permis l’apparition du thème du pouvoir féminin et de la sexualité,
de la séduction,
- et surtout le jeu du militantisme faisant écho avec la nouvelle autorité des marques dites
citoyennes.
L’axe séduction
Relayée sur DailyMotion, une campagne web virale « à l’Elysée » a été réalisée par Publicis Net pour
le GPS Intuiva de Thomson en jouant sur les apparences et les sous-entendus « amoureux ». Le
synopsis est le suivant : « Neuilly, le 6 mai 2007, jour du second tour de l'élection présidentielle. Il est
19:50 quand monte dans une voiture avec chauffeur un homme ressemblant étonnamment à Nicolas
Sarkozy. Le même jour, à 19:52, dans le 7ème arrondissement, (rue de Solferino ?), une femme
s'élance sur son vélo. De dos, on croirait reconnaître Ségolène Royale. Une course poursuite
commence. Pour arriver à destination, chacun dispose d'un GPS. Lequel des deux finira la course en
tête ? »4.
Plus directement encore, la marque de sous-vêtements Triumph International a su « rebondir » sur la
campagne électorale avec des visuels de mannequins en sous-vêtement et les slogans « enfin une
1
On se souviendra peut-être de la campagne de 1981, où, sur les panneaux d’affichage Avenir, jouxtant le
visuel des candidats - comme celui de Jacques Chirac «Il rassemble, oui c’est Chirac » (Thoveron, 1990, p. 122)Volkswagen avait affiché sa campagne pour la Golf Memphis, avec l’accroche « ça ne porte pas de cravate, ça
ne sourit pas, mais au moins ça tient ses promesses » et sa signature en baseline « Volkswagen. C’est pourtant
facile de ne pas se tromper »…
2
Chacun a en mémoire la campagne d’affichage de Canal + représentant le Guignol de Jacques Chirac et
annonçant « Pot de départ, Dimanche 6 mai à 20h00 – Canalplus.fr, Voter +, demandez plus à la politique »
3
Cf. les analyses approfondies des différentes campagnes réalisées par le Centre de Recherche Politique de
Sciences Po (http://www.cevipof.com)
4
http://www.journaldunet.com/diaporama/0612-topepub/5.shtml
candidature bien soutenue », « avec moi, pas d’abstention ». Une campagne plus confidentielle pour
Chambre 69, un vendeur de sex toys en ligne a joué sur le fantasme de domination féminine avec un
visuel de menottes et le slogan « Pour la Saint-Nicolas, Ségolène a commandé des menottes »…
L’axe du militantisme
Sous cet axe, se développent différentes campagnes dans différents univers de consommation. Dès
octobre 2006, une campagne Ikea (TV, presse, radio et web), conçue et réalisée par l’agence La
Chose parodie les campagnes anglo-saxonnes de candidats aux élections. Les codes et le ton des
partis politiques français sont utilisés et détournés avec humour, visant à se moquer du contexte
politique en dépression avec des slogans du type « Avis de rêve général », « Ikea ministre du Confort
de l'intérieur », « oui à la politique de détente », « Dites oui, au changement, votez Ikea ! ». Après
l’élection, Ikea a réagi immédiatement avec une nouvelle campagne (Stratégie Magazine, 2007)…
Toujours dans le secteur non alimentaire, dans la lignée de sa précédente promotion, le réseau
Connexion a demandé au consommateur de voter jusqu'au 10 mars pour l'UMPP: « l'Union du
Multimédia à Petits Prix ». Les arguments de cette campagne sonnent comme des slogans de
campagne : "Oui à la mobilité !", "Un PC pour chacun", "Affichons nos impressions", "Unis, nous
vaincrons"... Un catalogue de 8 pages, disponible en ligne, informe en parallèle des multiples
promotions proposées sur la période. Samsung a, de son côté, du 5 au 31 mars 2007, joué sur les
codes de la campagne électorale avec l’annonce du Programme Samsung dont les grandes
thématiques demeurent identiques à celles des véritables campagnes : éducation, pouvoir d’achat,
écologie, sécurité…
La marque « outdoor » Patagonia avait déjà réalisé des campagnes aux États-Unis en 2004 en
s'engageant de manière indirecte dans la campagne présidentielle, appelant à voter pour la
protection de la nature (sous-entendu pour le candidat démocrate John Kerry). Sous le visuel d’une
montagne à demi amputée de sa forêt figuraient la mise en garde « Votre vote pourrait finir le
boulot » et le logo de la marque. Patagonia a renouvelé l’opération en France en 2007 en s'associant
à Yann Arthus-Bertrand en vue de contribuer à une prise de conscience des enjeux
environnementaux et de sensibiliser les électeurs sur la nécessité de s'informer sur les engagements
concrets des candidats à l'élection présidentielle afin qu'ils en tiennent compte dans leurs choix
électoraux (sachant que quasiment tous les candidats déclarés ont signé le Pacte écologique proposé
par Nicolas Hulot).
À trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle, un nouveau candidat s’est déclaré. Le
1er avril (!), Buddy Lee a ouvert son Q.G. de campagne au 23 rue des Rosiers, à Paris. Derrière cette
demi-blague se cache la marque de jeans Lee qui s’immisce elle aussi dans la vie politique avec cette
campagne marketing. Au programme de Buddy Lee, on trouve l’instauration du « Pacs jean-T-shirt »,
la mise en place d’une politique de traite des jeans usés… et un tirage au sort pour gagner une
poupée collector, un jean et un T-shirt.
Après un clic d'or en 2006, Wilkinson a reçu en 2007 le prix Stratégie (meilleure campagne
interactive) pour son site de propagande pour le Droit Aux Rasages Extravagants. Wilkinson a lancé
un site en décalage avec les campagnes actuelles pro "rasage impeccable", en promouvant les
rasages extravagants dans la tonalité électorale. Trois grands candidats étaient proposés :
•
le free DARE : Oui au poil libre
•
le DARE classic : Demi-barbes, grands hommes
•
le sexy DARE : les femmes votent sexy dare
Pour soutenir leur parti, les adhérents peuvent monter depuis le site leur film de propagande et aussi
faire leur Shaving out en proposant leur photo pour une des catégories citées, avec à la clé le gain
d’un appareil photo. Afin de faire perdurer le site et l'inscrire dans le contexte tout à fait approprié
des élections, dès février 2007, l'association affiche son soutien pour un des candidats « spéciaux »
aux présidentielles : Pierre Hénault (alias Michel Muller).
Le groupe Henkel a choisi l'agence Téquila du groupe TBWA pour une campagne marketing
multicanal5(presse, affichage, radio, TV et Internet) de 1,5M€ destinée à élire un candidat et de
« eMirliter » en sa faveur avec le choix entre Mir Magic Vinegar, Mir Vinaigre Blanc, Mir Degraiss Boy,
Mir Black, Mir Laine, Mir Couleurs et Mir Délicats. Le dispositif s'appuie sur des principes
communautaires et viraux avec la création d’un QG de campagne et la constitution d’une équipe de
soutien du candidat choisi au moyen de parrainage d'amis. Plus la communauté grandit, plus l'inscrit
gagne des points. Pour l'aider dans ses actions, un kit de campagne lui est proposé pour
personnaliser soit son blog avec des bannières, soit distribuer des tracts. Un nouvel inscrit au QG
rapporte 50 points, un clic sur la bannière présente sur le bloc rapporte 5 points. Chaque candidat
possède un blog, avec un compteur de « eMirlitants » ayant déjà voté pour lui et chacun propose de
faire gagner un gros lot s'il est élu.
Dans le domaine des services, la Maaf a confié à Chewing com la création d'un site
(www.jelaurai.com) reposant sur l’univers des présidentiables, en reprenant le compte à rebours de
Nicolas Sarkozy ou les néologismes de Ségolène Royal. La campagne « Je l’aurai » met en scène le
personnage emblématique Marcel Lerâleur et Le Mouvement pour un Avenir Assurément
Formidable (MAAF). Le site très complet détaille les programmes, les actualités et les soutiens,
propose un kit de campagne complet (carte d’adhérent, bulletin de vote, tracts, fonds d’écrans,
bannières web). Il est relayé par une campagne virale, on-line et TV. La tonalité humoristique et
extravagante du programme proposé (ex : l’instauration du couvre feu pour réaliser des économies
d’énergie, protection des rappeurs maltraités avec la mise en place d’un numéro vert 7j/7 et 24h/24,
création de la Choucroute Day, jour sacré à travers la planète), renvoie toutefois à des
préoccupations qui touchent la clientèle de la MAAF (retraite, environnement sain, pouvoir d’achat,
santé, sécurité routière) et qui sont en phase avec les prestations qu’elle propose.
5
http://www.lafrancevotemir.com
Toujours dans le secteur des services, une campagne virale osée a été diffusée par PagesJaunes en
mars 2007 avec des vidéos parodiques de Ségolène Ruard qui se sépare de sa 4L, de Nicolas Serkaty
« expert-vendeur en systèmes d’alarme » qui cherche un pavillon et François Barré dans son tracteur
« qui cherche une voiture sportive mais familiale en même temps ».
De façon plus sérieuse et plus citoyenne, BNP Paribas a lancé une campagne autour des thèmes
abordés au cours de la campagne électorale en les revisitant de manière « citoyenne » et en
montrant les engagements du groupe (aide à 40 associations locales situées dans les banlieues,
recrutement de 2000 jeunes en CDI…).
Une profusion de campagnes dans le monde alimentaire également
Danone, de janvier à mars 2007 relance la campagne « on vote tous pour Danette », après avoir
demandé aux consommateurs d’élire leur saveur préférée (plus d’un million de votes). Par ailleurs,
Stonyfield (filiale de Danone) a lancé le 31 décembre 2006 son spot engagé « Les deux vaches »
immédiatement après les vœux présidentiels. Les packagings ont ensuite, tout au long de la
campagne, décliné l’actualité politique à la « sauce laitière » en en détournant les petites phrases et
les faisant apparaître dans les mini-BD « Les deux vaches ».
De même, Ben & Jerry’s organise également une élection « parallèle » pour la vache Woody avec le
slogan-jeu de mot « Plus d’un pot »… Dans le même esprit, la marque de conserve de légumes
D’Aucy a joué sur le thème électoral pour vanter les mérites d’un nouveau produit lancé
« Maïscédoine » élu « saveur de l’année 2007». La bien nommée marque « Président » du groupe
Lactalis a lancé un nouveau conditionnement en pleine campagne électorale, jouant sur le
changement et l’annonce en avant-première du nouveau Président (www.lenouveaupresident.fr ;
trois films DDB Paris télédiffusés de 15 secondes et vidéos sur Dailymotion). Le slogan retenu pour ce
nouveau conditionnement est « Le nouveau Président, vous allez l’aimer longtemps » pour traduire
la promesse de conservation du produit…
La marque de confiserie Friskman a adopté une campagne de type électoral pour les bonbons Frisk
(www.louvriren2007.com), invitant les clients à soutenir « le seul candidat qui n'a pas peur d'ouvrir
la bouche ! ». La campagne déploie un club (avec inscription par retour de mail) pour recevoir le
programme à la maison et jouer au jeu, un jeu « le testeur d'haleine » (ex: "haleine de phoque
mentholée"), pour gagner des testeurs électroniques d'haleine. Une webtv complète le dispositif
ainsi que les « friskidées » suggérant qu’un bon candidat en campagne tient compte des
propositions des internautes (avec des teeshirts à gagner).
Cette utilisation à des fins commerciales de l’univers politique se retrouve y compris au niveau local
ou associatif. Il est possible de citer l’exemple la petite chaîne de restauration rapide qui met en
avant un personnage à son nom « Speed Burger », « un candidat qui tient ses promesses : des
burgers encore plus généreux, des recettes toujours plus savoureuses et une livraison 7 jours sur 7 ».
L’association Aides en lutte contre le Sida a demandé de son côté aux candidats de prêter leur image
pour une campagne sur le thème «Voteriez-vous pour moi si j’étais séropositif (ve) ?». La campagne
(affichage, presse, web) vise à interpeller l’opinion publique sur les thèmes de l’acceptation et de la
tolérance vis-à-vis des malades pendant la campagne présidentielle. La campagne d'affichage a été
réalisée grâce au partenariat avec Insert. Près de 3 000 affiches ont été diffusées sur les devantures
des bars et restaurants des villes de plus de 100 000 habitants.
Certaines marques ont poursuivi après la campagne l’axe « politique » à l’instar de Chevrolet qui en
France proposait une offre de TVA offerte avec le slogan « Yes we can » en référence à celui utilisé
par Barack Obama aux États-Unis. Lastminute.com a également défrayé la chronique avec ses
campagnes : « offrez-vous des vacances bling bling et augmentez votre pouvoir d’achat » ou « cet
été, la France qui se lève tôt sera la première sur la plage ».
Enfin, la marque Kärcher, indirectement impliquée par la campagne a été amenée à prendre parole
avec la publication d’un communiqué rappelant que face à l’utilisation répétée de la marque loin de
son univers de communication habituel, l’entreprise souhaite lever tout malentendu, toute
incompréhension et tout quiproquo pouvant être liée à l’emploi de son nom. Créée par Alfred
Kärcher 70 ans auparavant, l’entreprise familiale6 est sorti de sa discrétion car « ne peut se
reconnaître dans les propos ou les amalgames auxquels est associé son nom ».
Références
Thoveron, G., (1990), La communication politique aujourd'hui, De Boeck Supérieur.
Maarek, Ph. J., (1992), Communication et marketing de l'homme politique, Paris, Litec.
Gingras, A.-M ., (2003), La communication politique: état des savoirs, enjeux et perspectives, PUQ.
Albouy, S., (1994), Marketing et communication politique, Paris, L'Harmattan.
Mercier, A., (2008), La communication politique, CNRS Éditions.
Lora, M., (2006), Marketing politique: mode d'emploi, Studyrama.
Delporte, C., (2001), Image, politique et communication sous la cinquième république, Vingtième
siècle, Revue d’histoire, 72, octobre-décembre, p. 109-124.
Delporte, C., (2010), Pouvoir et médias sous la Ve République : le jeu des influences réciproques,
Géopolitique, 108, janvier, p. 25-39.
Stratégies Magazine, (2007), Lendemain électoral pour Ikea et Président, 10 mai, n°1456.
Héraud, B., (2007), Détournements de campagne, Marketing Magazine, n°113, p. 14-15.
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