Accoucher chez l`autre

Transcription

Accoucher chez l`autre
Accoucher chez l’autre : aspects
psychoculturels de la relation
soignants/patientes autour des pratiques de
santé maternelle
Sophie OLIVEAU-MOREL
D.U. "Santé, maladie, soins et cultures"
Faculté de Médecine Paris Descartes
En collaboration avec l’Hôpital Européen Georges Pompidou
et le Centre Françoise Minkowska
Année universitaire 2010 / 2011
Sous la direction de :
Professeur Silla CONSOLI
Docteur Rachid BENNEGADI
Je tiens à remercier l’équipe pédagogique de ce diplôme, le Professeur
Consoli, le Docteur Bennegadi, Madame Marie-Jo Bourdin et Madame
Larchanché, pour nous avoir permis de bénéficier de cours de cette qualité
avec
des
enseignants
passionnants.
En
dehors
des
nombreuses
connaissances que j’ai pu acquérir ces derniers mois, j’ai pris un plaisir
immense à assister à cet enseignement.
Je voudrais remercier tout particulièrement Madame Magali Bouchon,
Anthropologue médicale chez Médecins du Monde, qui m’a guidée tout au
long de cette étude avec patience et disponibilité et qui m’a énormément
appris sur la façon de mener à bien ce type de travail.
J’aimerais également remercier le Docteur Jeanine Rochefort, Déléguée
régionale de Médecins du Monde, qui m’a aidée à réfléchir et élaborer mon
sujet et m’a fait partager son expérience.
Enfin, bien sûr, je souhaite remercier infiniment les femmes que j’ai
rencontrées ainsi que les sages-femmes qui m’ont accueillie avec beaucoup
d’ouverture et m’ont offert des échanges passionnants.
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TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
I – ECLAIRAGE THEORIQUE
1.1 Grossesse et accouchement
1.1.1 La grossesse comme fragilisation potentielle de la mère
1.1.2 La naissance, un rite de passage dans toute culture
1.1.3 Prise en charge de la grossesse en France
1.2 Approche transculturelle de la périnatalité
II – PRESENTATION DE L’ENQUETE DE TERRAIN
2.1 Matériel et méthodes
2.2 Présentation des entretiens
III – ANALYSE ET PERSPECTIVES
3.1 Analyse des entretiens
3.1.1 Ce que disent les mères
a) La prise en charge médicale de l’accouchement en France
b) La place de l’entourage
c)Les relations avec les soignants
3.1.2 Ce que disent les sages-femmes
a) L’offre de soins et ses limites institutionnelles
b) Avoir une langue commune
c)Les difficultés ressenties
d) Quelles propositions pour améliorer la prise en charge ?
3.2 Eclairage de l’Anthropologie Médicale Clinique
3.2.1 Ethnocentrisme de la maternité ?
3.2.2 Confrontation des modèles explicatoires
3.2.3 Rencontre de trois cultures
3.2.4 Domination des soignants ?
3.2.5 Quelle négociation possible à la maternité ?
3.2.6 La question de l’acculturation
3.3 Perspectives et recommandations
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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Je suis psychologue de formation et, après quelques années en mission
humanitaire à l’étranger, je travaille aujourd’hui au siège de « Médecins du
Monde » à Paris. Je n’exerce pas sur le terrain, m’occupant à l’heure actuelle
de la gestion des missions internationales, en l’occurrence des expatriés. Je
cherche maintenant à changer de poste et à être active sur les missions en
France de Médecins du Monde ou d’une autre organisation. C’est la raison
pour laquelle j’ai décidé cette année de suivre ce Diplôme Universitaire, afin
d’avoir de nouveaux outils pour travailler avec des populations migrantes en
France. J’ai également besoin de mieux comprendre l’attitude que j’ai pu
avoir lorsque je travaillais à l’étranger (que j’analyse comme ayant été bien
souvent très ethnocentriste !) et faire une analyse de mes pratiques.
Ne travaillant pas sur le terrain aujourd’hui, j’ai eu des difficultés à trouver un
sujet et ai par conséquent décidé de travailler sur une thématique qui
m’intéresse, mais autour de laquelle je n’exerce pas du tout aujourd’hui.
J’avoue que j’ai ressenti certaines difficultés au fil de ce travail, car je ne suis
pas expérimentée dans ce domaine et ai eu parfois du mal à avancer et
étayer ma réflexion.
J’ai réalisé avoir énormément mûri tout au long de ce DU. La façon dont j’ai
abordé mon mémoire le montre bien : au début de l’année, je souhaitais
comprendre comment étaient vécus la grossesse et l’accouchement selon
les origines culturelles des mères. Ce travail n’aurait probablement été qu’un
état des lieux de différentes pratiques culturelles et aurait sûrement abouti à
de nombreux préjugés avec le risque de « ghettoïser » certaines des femmes
rencontrées. Il n’aurait pas permis d’étudier notre pratique de soignants. J’ai
petit à petit intégré le fait que le but de ce diplôme était de nous faire réfléchir
à la façon de mieux prendre en charge des patients de culture différente et
non pas de connaitre pour chaque pays les rites et pratiques utilisés ni d’être
« spécialiste » de tel continent. J’ai par conséquent fait évoluer mon travail
sur le vécu que les femmes ont de l’accouchement en France, sur celui des
sages-femmes qui les prennent en charge et sur la relation que ces acteurs
peuvent établir au sein des maternités françaises.
3/47
Je présenterai au début de ce mémoire un éclairage théorique sur la
périnatalité et l’interculturalité, car il me semble important de poser le cadre
de cette thématique. De plus, il est nécessaire de mieux comprendre les
enjeux qui peuvent se rencontrer autour de la naissance pour ces femmes
qui accouchent en terre étrangère et pour les soignants confrontés à ces
populations.
Suite à cela, je présenterai le travail de terrain que j’ai mené et tenterai
d’analyser les réponses de mes interlocuteurs avec l’éclairage de
l’anthropologie médicale clinique.
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INTRODUCTION
L’idée de travailler sur cette problématique est venue suite à mes
expériences
en
missions
humanitaires
pendant
lesquelles
j’ai
été
fréquemment confrontée à divers questionnements autour de la périnatalité.
Exerçant en tant que psychologue au sein de programmes médicaux
materno-infantiles, la grossesse et l’accouchement ont toujours occupé
évidemment une place importante dans la prise en charge des femmes et
dans nos discussions entre soignants. J’ai réalisé à quel point les différences
de représentations, de rites et de pratiques de soins étaient nombreuses
autour de ce « passage » primordial qu’est la naissance.
Une anecdote marque particulièrement ma mémoire : lors d’une formation
sur l’allaitement, l’une des travailleuses sociales de l’équipe m’explique qu’au
Darfour (région du Soudan majoritairement musulmane) il est communément
dit qu’un enfant qui naît à 7 mois de grossesse a plus de chances de vivre
qu’un enfant né à 8 mois. Cela est expliqué par le fait que le Prophète
Mahomet est lui-même né prématuré à 7 mois et a vécu une longue vie. Je
m’interroge alors sur cette croyance et, utilisant mes représentations issues
de la norme médicale, je leur parle prématurité de façon scientifique puis
plaisante en leur disant que je suis moi-même née à 8 mois de grossesse et
que je suis en bonne santé ! Elles me répondent alors : « regarde, ça
confirme ce que nous disons : ici tu es tout le temps malade ! » (J’avais en
effet pendant cette mission été de nombreuses fois souffrante !).
Cette discussion me fait sourire et évoque assez bien à quel point nos
représentations culturelles et nos modèles explicatoires sont différents mais
également à quel point il est possible de partager et d’échanger afin de
mieux nous comprendre.
De plus, il m’a semblé intéressant de réfléchir à ce sujet, car l’expérience
d’accouchement de certaines femmes françaises que je connais et le
ressenti de solitude qu’elles ont pu évoquer, m’ont fait réfléchir aux
différences « culturelles » (culture profane/culture professionnelle) entre les
soignants et les soignés, peu important l’origine ethnique. Il est d’autant plus
intéressant alors de s’interroger sur le ressenti de femmes accouchant loin
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de chez elles, et qui ont par conséquent, à faire face à cette double
différence culturelle. Il serait intéressant de comprendre si les différences de
perceptions tiennent plus de différences de pratiques ou de différences
d’origines.
Objectif de l’étude
Cette étude a pour principal objectif d’essayer de comprendre dans quelle
mesure, dans le cadre de la naissance d’un enfant, les mères migrantes et
les soignants français réussissent (ou non) à concilier leurs pratiques de
soins familiales et professionnelles. Je partirai d’une hypothèse selon
laquelle la rencontre entre plusieurs cultures ne se fait pas forcément
facilement et peut provoquer difficultés et questionnements.
Il s’agit de comprendre comment ces femmes migrantes trouvent leur place
dans le système de soins français et quels sont leurs besoins vis-à-vis de ce
système et les difficultés rencontrées. D’un autre côté, je souhaite réfléchir
aux regards que les professionnels de santé posent sur ces populations et
aux postures qu’ils adoptent.
Il me semble en effet indispensable de réfléchir à cette question de la
naissance et d’accompagner au mieux ces femmes dans cet évènement fort,
mais potentiellement fragilisant.
A l’heure actuelle, le suivi de la grossesse en France représente pour les
services de santé un espace de contacts réguliers avec la société française.
Les futurs parents puis le nouveau-né sont amenés à rencontrer de
nombreux professionnels, du suivi de grossesse au suivi post natal, en
passant bien entendu par l’accouchement. Parfois, lorsque les femmes sont
arrivées récemment en France, le suivi de grossesse inaugure la première
rencontre avec le système de soins français. En termes de prévention, la
naissance d’un enfant est un outil très intéressant pour évaluer de possibles
difficultés et apporter un soutien. D’autant plus que la maternité, étant déjà
en soit un facteur de vulnérabilité, peut être encore plus fragilisante lorsque
la future mère doit également s’intégrer dans une nouvelle société. Les
conséquences de difficultés pendant cette période ou d’une prise en charge
6/47
inadéquate peuvent retentir lourdement sur le bien-être de la mère et de
l’enfant.
Cadre de l’étude
J’ai choisi de réfléchir tout d’abord à l’ensemble de la période périnatale
définie par Cecil Helman (1990) comme relevant de six domaines :
1) les
changements
de
régime
alimentaire,
vestimentaire
et
de
comportements
2) les techniques utilisées pour la naissance et les personnes impliquées
dans l’accouchement
3) la position de la mère pendant l'accouchement
4) les soins apportés au cordon
5) les coutumes et rites envers les parturientes
6) l'alimentation du nourrisson après la naissance
Après avoir débuté mon travail, je me suis rendue compte, lors des ateliers
de guidance mémoire, qu’il était indispensable de réduire le champ de ma
réflexion et j’ai décidé alors de me centrer sur l’accouchement, incluant les
domaines 2 à 5 cités ci-dessus.
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I – ECLAIRAGE THEORIQUE
Commençons par une définition épidémiologique de la période périnatale
proposée par l’Organisation Mondiale de la Santé : « Il s'agit de la période
située entre la vingt-huitième semaine de grossesse (environ 6 mois) et le
septième jour de vie après la naissance ». Aujourd’hui, le terme de
périnatalité est ce qui recouvre tout ce qui est « autour de la naissance » –
par conséquent la période «avant, pendant et après la naissance», ce qui
englobe une période plus large.
1.1
Grossesse et accouchement
1.1.1 La grossesse comme fragilisation potentielle de la mère
De nombreux auteurs ont étudié la potentielle vulnérabilité physique et
psychique que pouvait entraîner une grossesse chez une femme. La
grossesse fragilise car elle fait appel aux origines familiales et culturelles. De
plus, ceci est accentué pour un premier enfant, car elle fait passer la femme
d’un statut à un autre (de fille à mère) avec tout ce que cela peut engendrer
comme bouleversements.
Daniel Stern parle de « constellation maternelle » pour décrire cette
organisation psychique particulière de la femme enceinte où les enjeux
principaux concernent les liens entre la future mère et son enfant à venir,
ainsi qu’entre celle-ci comme fille face à sa propre mère. Cela peut rendre la
mère plus vulnérable, plus fragile et il peut être ici question de réactivation
des conflits psychiques anciens (en particulier vis-à-vis de la propre situation
de dépendance infantile de la future mère).
1.1.2 La naissance, un rite de passage dans toute culture ?
La naissance est un rite de passage. Selon Van Genep (Dictionnaire de
l’ethnologie et de l’anthropologie) « tout individu passe par plusieurs statuts
au cours de sa vie et les transitions sont fréquemment marquées par des
rites diversement élaborés selon les sociétés. La naissance est l’occasion du
premier rite de passage ». Ce rituel se matérialise le plus souvent par une
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cérémonie ou des épreuves diverses pour la femme devenant mère et pour
l’enfant arrivant au monde.
En l’occurrence, pour ce passage qu’est la naissance, divers rituels d’accueil
existent dans toute culture, comme par exemple celui de déposer une goutte
de citron sur la langue de l’enfant pour signifier que la vie est belle, mais
également amère (en Afrique de l’ouest), ou de poser l’enfant sur le sein de
la mère en contact peau à peau dans notre culture française.
1.1.3 Prise en charge de la grossesse en France
A l’heure actuelle, la grande majorité des femmes accouchent à l’hôpital,
même si un « retour au naturel » (dont nous parlerons plus tard) incite
certaines futures mères à accoucher à la maison.
Le suivi médical de la grossesse en France est très normé. Les examens
médicaux
sont
nombreux :
en
moyenne
7-8
visites
médicales,
3
échographies minimum, des prises de sang régulières, parfois une
amniocentèse en cas de suspicion de trisomie. Certaines femmes bénéficient
d’un suivi personnalisé, d’autres n’ont pas la chance d’être suivies par la
même personne. Selon les sages-femmes rencontrées, certaines semblent
être à l’aise ou même rassurées par tous ces examens médicaux, d’autres
vivent cette période dans un état d’angoisse important. La solitude ressentie
pendant cette période face à de nombreuses questions et doutes peut être
forte. En effet, le contexte de l’hôpital est potentiellement angoissant et
parfois même violent, peu important la culture d’origine. Les techniques de
soins peuvent être mal comprises, ou sembler intrusives et impudiques
(toucher vaginal, césarienne, épisiotomie, etc.).
Evoquons en particulier l’échographie, examen fort du suivi de grossesse car
il est le seul moyen qui permette de visualiser son futur enfant, son sexe, et
de se le représenter. Michel Soulé se réfère à « l’inquiétante étrangeté » de
Freud pour qualifier ce moment. Corinne Antoine de son côté parle des
« impressions contradictoires que suscite l’échographie, parfois vécue
comme une intrusion violente dans l’intimité qui les renvoie (les parents) à
des souvenirs refoulés ». C’est la première confrontation entre l’enfant
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imaginaire que les parents ont rêvé et le bébé réel sur écran. Certains
auteurs ont montré que l’échographie peut susciter des réactions et émotions
très différentes selon les cultures. Dans certaines cultures africaines par
exemple, il n’est pas bon de visualiser l’enfant avant sa naissance car cela
pourrait attirer le mauvais œil. Voir l’enfant pendant cet examen peut être
alors très mal vécu par certains parents.
De plus, le séjour à la maternité est court, les femmes n’y restent que
quelques jours, par conséquent le lien entre soignant et soigné peut être
difficile à créer. Les mères ne sont pas assurées d’être suivies par la même
sage-femme ou gynécologue, et ce, même pendant l’accouchement à cause
des changements de garde des équipes. De même, en suite de couches, les
équipes d’infirmières et de puéricultrices tournent, la continuité des soins
semble par conséquent assez irrégulière.
1.2
Approche transculturelle de la périnatalité
Tout d’abord, précisons qu’en 2009, sur le nombre de naissances en France,
13,14% d’enfants naissaient de femmes d’origine étrangère (Site de l’INED Institut National d’Etudes Démographiques).
Certains auteurs se sont intéressés à cette question, et j’aimerais en citer
quelques uns, car ils m’ont beaucoup aidée dans la compréhension des
difficultés potentiellement vécues par ces femmes qui accouchent en terre
étrangère.
Dorothee Espenon dans « Mozaiq santé » (2006) propose une théorie selon
laquelle les jeunes mères immigrées peuvent ressentir un défaut de
maternage («ensemble des soins courants prodigués par une mère à son
nourrisson » - Larousse) : « devenir mère pour une femme immigrée, cela
signifie souvent réactiver le sentiment de solitude et de manque des figures
de soutien, c’est là que l’exil peut être considéré comme facteur de
fragilisation d’une maternité ». Un vide important peut être ressenti par la
mère, car en l’absence de son groupe d’appartenance, qui l’aurait
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probablement entourée pendant son accouchement dans son pays d’origine,
à ce moment-là en France elle ne peut être reconnue comme mère par la
lignée familiale si elle se retrouve seule. De plus, elle ne dispose pas du
soutien matériel et d’organisation dont elle aurait pu bénéficier chez elle.
En particulier il est possible d’assister, pour certaines femmes, à une
impossibilité à devenir mère en exil à cause de l’absence de leur propre
mère. Selon les auteurs ayant travaillé sur cette question, pour toute femme,
quelque soit l’origine culturelle, c’est par sa propre mère qu’on devient mère
à son tour.
Nous n’irons pas plus loin sur cette question, mais nous pouvons nous poser
de l’autre côté la question de savoir s’il serait possible, dans certains cas,
que la maternité soit justement faisable en raison de l’éloignement de la
mère et donc d’une distance par rapport à son emprise ou plus généralement
à l’emprise de la société d’origine?
Pour revenir à ce que nous évoquions ci-dessus, dans de nombreuses
sociétés ce sont les femmes qui entourent les futures mères et, même si
dans notre société française nous pouvons observer une plus grande
solitude de la jeune mère et un déclin de la présence des autres femmes, la
grossesse, l’accouchement et les premiers jours du bébé restent avant tout
une « histoire de femmes ». Celles-ci sont responsables de « porter » la
future mère et de l’aider à passer ce cap.
Comme nous l’explique Christine Davoudian (2007) dans le cas de la
migration, l’entourage des femmes n’est pas aussi présent qu’il pourrait l’être
au pays. Alors le vécu de rupture et de perte qui peut avoir lieu dans la
migration peut être réactivé par la grossesse et devenir traumatique. Il peut
être plus compliqué pour ces femmes de mettre en place les adaptations
psychiques nécessaires pendant la grossesse si elles expérimentent un
manque de références culturelles et une perte de repères.
L’absence d’étayage du groupe de femmes, qui peut apporter un soutien
psychologique et physique, mener les rituels, faire le lien avec la
communauté masculine par exemple, peut provoquer certaines difficultés
plus ou moins graves pour la mère et l’enfant lors de la naissance.
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Evoquons Fethi Benslama (1991) qui se penche ainsi sur les problématiques
de l’enfant qui vient au monde dans « un lieu qui ne fait pas monde pour sa
mère (…), l’enfant sacrifié au lieu, l’enfant et l’errance de sa mère, l’enfant lieu de sa mère, l’enfant exposé au lieu entre parenthèses, l’exil comme lieu
de déchéance du père, l’entre-deux lieux... »
Lors de la naissance, il serait donc possible de parler de migration de l’enfant
qui quitte l’intérieur de sa mère pour aller vers l’extérieur. Les rites autour de
la naissance ont alors une fonction soutenante pour la mère mais également
pour l’enfant. Que peut-il se passer si l’entourage n’est pas présent pour
mettre ces rites en œuvre ?
Enfin, dans « Des mères dans tous leurs états » (1993) Odile ReveyrandCoulon dit : « si le projet de migration échappe (…) à leur volonté et à leurs
désirs inhibés, les femmes vont s’aménager un autre type de projet d’où vont
pouvoir émerger leurs aspirations secrètes et profondes : le projet d’enfant ».
La maternité deviendrait leur repère (en considérant la migration comme une
rupture) et l’enfant le projet de leur existence en France. Dans ce cas, il est
possible que l’enfant soit surinvesti d’un rôle fort et que la fragilisation
potentielle autour de la naissance soit plus importante pour ces femmes.
Que disent maintenant les auteurs de la prise en charge de ces femmes
dans nos maternités ?
Brigitte Tison (2007) explique que « l’hôpital est devenu, dans de nombreux
contextes urbains, un haut lieu d’interculturalité où le rapport à la différence
constitue un point d’achoppement, un lieu fertile de malentendus, une entrée
en terre étrangère qui a sa langue et ses usages ».
En effet, il n’est pas rare d’entendre certaines femmes se plaindre de la
solitude qu’elles ont pu ressentir au sein de l’hôpital et de difficultés de
communication qu’elles ont vécues avec les équipes. Les pratiques
occidentales ne respectent pas toujours les moyens de protection
traditionnels et nos pratiques de soins peuvent potentiellement être vécues
comme impudiques, violentes, ou être même traumatiques avec la
survenance grave d’un sentiment d’effraction.
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Pour en revenir à la place de l’entourage, certains professionnels remarquent
que la présence de la mère ou d’une autre femme suffit souvent à offrir le
cadre dont la future mère a besoin pour se sentir en sécurité et dans une
continuité par rapport à sa culture. Ils observent que les jeunes femmes
exilées, mais entourées par une mère ou un substitut (belle-mère, sœur, etc.)
semblent ne pas souffrir de façon significative de l’absence du cadre culturel
d’origine, et ne vivent pas mal l’absence des rituels traditionnels qui ne sont
pas pratiqués à la maternité et la médicalisation de l’accouchement. Il a été
d’autre part remarqué qu’elles accouchent par exemple volontiers sous
péridurale et surmontent un accouchement par césarienne, si c’est indiqué.
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II- PRESENTATION DE L’ENQUETE DE TERRAIN
2.1
Matériel et méthodes
J’ai étudié un échantillon de deux populations :
1- des femmes migrantes enceintes ou ayant eu un enfant en France
2- des professionnels de la santé (en l’occurrence des sages-femmes)
travaillant ou ayant travaillé dans des maternités parisiennes
C’est mon réseau social et professionnel qui m’a permis de rencontrer les
personnes interrogées.
Elles ont toutes des parcours de vie très différents, et sont pour certaines en
France depuis peu, d’autres depuis de nombreuses années. Une des
femmes rencontrées est enceinte, les autres ont déjà eu un ou plusieurs
enfants.
Tous les entretiens se sont faits en français. Deux femmes avaient certaines
difficultés mais arrivaient malgré tout à s’exprimer, les autres parlaient toutes
couramment français.
La méthodologie utilisée a été qualitative et basée essentiellement sur
l’entretien individuel, en respectant bien évidemment la confidentialité. C’est
la raison pour laquelle les noms des personnes rencontrées ont été changés.
2.2
Présentation des entretiens
Commençons tout d’abord par présenter rapidement chacune des femmes
rencontrées.
Marie est sage-femme depuis 1996. Après avoir exercé son métier en salle
d’accouchement et suites de couches au sein d’une grande maternité
parisienne, elle est aujourd’hui cadre sage-femme dans cette même
maternité de niveau III. Elle y encadre l’équipe soignante.
Violaine est sage femme depuis 1996. Jusqu’en 2000, elle travaillait dans
une grande maternité parisienne de niveau III puis elle s’est s’installée dans
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les DOM TOM pendant 2 ans et y a travaillé au sein d’un CHU. En rentrant
en métropole elle a repris son activité de sage- femme à Paris puis s’est
arrêtée de travailler pour élever ses enfants.
Aisha est marocaine et s’est installée en France en 1996 pour se marier.
Etant encore au Maroc, elle avait connu son mari par voie épistolaire, celui-ci
(d’origine marocaine) habitant alors déjà en France. Elle travaille aujourd’hui
comme auxiliaire parentale à domicile. Depuis leur mariage, Aisha et son
mari ont subi différents traitements afin d’avoir un enfant, elle est finalement
enceinte en 2010 et vient d’accoucher d’une petite fille (qui a 3 mois au
moment de l’entretien).
Bintou est sénégalaise d’origine guinéenne et vit en France depuis son
mariage avec son mari (sénégalais lui aussi) en 2009. Elle a accouché d’une
petite fille l’avant-veille, c’est son premier bébé. Je la rencontre en suites de
couches à la maternité de Bichat.
Katia est polonaise et vit en France depuis 4 ans, en raison du travail de son
époux. Elle exerce le métier d’aide à domicile. Elle a un premier enfant en
2008 et accouche deux jours avant l’entretien d’un deuxième petit garçon. Je
la rencontre également à Bichat.
Chan vient de Singapour et est mariée avec un français. A 18 ans, elle part
faire ses études en Angleterre puis se réinstalle à Singapour pour travailler.
Elle y rencontre son futur mari et ils déménagent par la suite à Taiwan où elle
aura son premier enfant. Ils vivent ensuite en France, puis à Shanghai, à
Canton et enfin à nouveau en France. Elle accouche alors (en 2004) d’une
petite fille.
Fanta habite en France depuis 7 ans et est, au moment de l’entretien,
enceinte de 6 mois. Elle est mariée à un Français qu’elle a rencontré en
Afrique. Elle est originaire du Nigeria, toute sa famille vit là-bas. Elle va
accoucher à l’hôpital en région parisienne et a été suivie pendant toute sa
grossesse par son gynécologue en ville.
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Fama a 4 enfants, de 6 à 13 ans. Elle vit en France depuis 1991 et est aidesoignante dans une maison de retraite. Elle m’explique tout de suite qu’elle a
eu du mal à avoir son premier enfant, puis a eu les autres très facilement.
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III – ANALYSE ET PERSPECTIVES
3.1
Analyse des entretiens
Il est nécessaire d’évoquer trois biais qui me semblent importants et qui
influent probablement sur le contenu des entretiens :
-
Tout d’abord pour les deux entretiens réalisés à Bichat, j’ai été
présentée par l’équipe soignante comme faisant partie de la maternité.
Il me semble bien possible que la parole de ces femmes a été moins
libre et sûrement influencée par l’idée que je faisais partie de l’équipe.
-
La majorité des femmes rencontrées ont un niveau social plutôt
favorisé, elles travaillent et toutes parlent le français par conséquent
elles n’ont pas eu à faire face à la barrière de langues. Mon
échantillon n’est donc pas représentatif de la population cible.
-
L’accouchement est un événement de l’ordre de l’intime, un entretien
unique sur un temps d’étude assez court ne permet pas facilement de
les mettre à l’aise et qu’elles puissent évoquer sans appréhension
cette expérience. Il y a sûrement de nombreux éléments qu’elles n’ont
pas osé évoquer avec moi.
3.1.1 Ce que disent les mères
a) La prise en charge médicale de l’accouchement en France
A l’heure actuelle en occident, la naissance est prise en charge de façon
assez médicalisée (le taux de césariennes par exemple est en augmentation
ces dernières années), ce qui peut parfois sembler aller à l’encontre du
naturel de cet événement et peuvent provoquer plaintes de parturientes et
réactions vives de certains professionnels.
Lors des entretiens, la plupart des femmes rencontrées paraissaient plutôt
rassurées par le suivi proposé en France et la prise en charge de
l’accouchement. Katia, par exemple, voit comme une chance le fait
d’accoucher en France; elle explique que le suivi de la grossesse et
l’accouchement sont bien mieux pris en charge qu’en Pologne. Elle raconte
que dans son pays, elle aurait dû payer (cher) pour sa péridurale, elle aurait
probablement accouché avec d’autres femmes dans la même salle et aurait
17/47
bénéficié de moins d’échographies pendant la grossesse. Celles-ci lui ont
permis d’être régulièrement rassurée sur l’état de son fils. Elle rajoute « au
début de l’accouchement j’étais inquiète (pour son premier bébé), mais le
personnel explique bien ». Elle apprécie également le fait d’avoir une
chambre seule à l’hôpital. Elle dit : « c’est comme à la maison », ce qui
évoque un cadre hospitalier rassurant pour elle, presque maternant.
La péridurale est très souvent évoquée comme un moyen de moins souffrir
bien sur et comme un acte dont elles pourraient bénéficier dans leur pays
d’origine, mais qui serait moins maîtrisé que chez nous et par conséquent
risqué. Fama a toujours « accouché par péridurale ». Elle explique qu’au
Sénégal de nombreuses femmes en ont peur (de douleurs lombaires par la
suite, de paralysie, etc.) et rajoute « mais en France je suis complètement
rassurée. Ici on t’explique, tout est clair ».
De son côté, Aisha ne voulait pas de péridurale au début, « je voulais sentir
la douleur de ma maman, ce qu’elle a ressenti le jour où elle m’a mise au
monde ». Puis, suite à certaines complications, les soignants insistent pour
qu’elle l’ait et elle accepte finalement. Elle dit avoir été « déçue» mais « le
corps ne tient plus ». Le fait que cela lui ait été quasiment imposé par les
soignants peut jouer un certain rôle de déculpabilisation de ne pas avoir tenu
jusqu’au bout ce qu’elle avait décidé de faire en l’honneur de sa mère. Nous
pouvons nous demander si accoucher comme sa mère aurait pu être un
moyen pour elle d’être reliée à son groupe familial, à sa lignée, alors
qu’aucun membre de sa famille ne vit en France.
La césarienne est discutée également. Fama a dû en subir une pour son
premier enfant. Les raisons de cet acte lui ont apparemment été bien
expliquées et elle dit qu’elle aurait eu peur au Sénégal, mais avait confiance
en France : « ici on sent qu’on est dans un pays développé ». Nous pouvons
ici assister à d’une part quelque chose de l’ordre des représentations (de la
médecine occidentale en occident) et d’autre part de l’empirisme, c'est-à-dire
en fonction du vécu qu’elle ou son entourage ont pu avoir de la précarité de
certaines structures de soins dans son pays et du manque de formation des
soignants.
18/47
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’elles semblent toutes avoir
accepté des actes qu’elles redoutaient pourtant, car ceux-ci leur ont
apparemment toujours été bien expliqués (cela dit, il n’y a rien ici de culturel
car l’adhérence à un acte médical est plus efficace lorsqu’il est compris). En
revanche, elles évoquent globalement peu de ressenti sur l’effet qu’ont eu
ces actes sur elles.
Bintou, cependant, ne parait pas avoir forcement compris tout ce qui lui a été
fait : elle ne comprend pas bien pourquoi elle ne peut pas rentrer à la maison
trois jours après l’accouchement (son bébé ne prend pas de poids) et parle
de « produits » qu’on lui aurait injectés pendant le travail. Elle utilise ce
même terme pour l’ocytocine donnée pour le déclenchement et pour la
péridurale.
Globalement, elles font toutes preuve d’adaptation. Fanta le résume de cette
façon pragmatique : « on s’adapte, on n’est pas à la maison, il faut accepter
le fait d’être dans un autre pays ». Peut-on faire l’hypothèse que la prise en
charge assez fortement médicalisée proposée dans nos maternités les
rassure par rapport à une offre de soins probablement de moins bonne
qualité dans certains de leurs pays (l’une des femmes a d’ailleurs perdu sa
mère en couches) ? Nous pouvons donner comme exemple quelques
chiffres : au Nigéria, le taux de mortalité infantile à la naissance est de 94
pour 1000 naissances, 59 pour le Sénégal, 37 au Maroc alors qu’il est de 3
pour 1000 en France (chiffres trouvés sur le site « CIA world factbook »
2009).
b) La place de l’entourage
La plupart de ces femmes n’ont pas leur mère près d’elle et même si d’autres
membres de la famille ont été présents en suites de couches (belles-mères,
belles-sœurs) ou au retour à la maison, elles expriment toutes sans
exception la difficulté de « faire sans leur mère ». Bintou s’exprime ainsi : « si
j’ai ma maman, c’est elle qui fait et moi je me repose ».
Katia, de son côté, dit : « ma famille est en Pologne, ça c’est pas très
agréable ».
19/47
Lorsqu’elle me raconte son premier accouchement à Taiwan, Chan évoque
l’absence de sa famille (c’est d’ailleurs le premier point qu’elle évoque). Elle
explique avoir trouvé l’absence de ses parents suite à l’accouchement et le
peu d’aide proposé en France très difficile.
Aisha estime avoir été bien entourée par sa belle-mère et ses belles-sœurs,
qui sont restées en salle d’attente à la maternité pendant toute la durée de
l’accouchement. A aucun moment elle n’évoque le souhait de les avoir eues
près d’elle pendant le travail. De plus, elle raconte avoir reçu énormément de
visites à la maternité et lorsque l’équipe médicale a tenté de limiter le nombre
de visiteurs, elle dit en avoir été très soulagée, car elle était épuisée et
n’aurait pas osé poser des limites.
Concernant la place du père, toutes les femmes rencontrées ont accouché
avec leur mari à côté d’elle alors que pour certaines il n’aurait pas été
imaginable
de
le
faire
chez
elle.
Fatou
évoque
quelque
chose
d’« impudique ». Chan explique qu’à Singapour les hommes ne sont pas
forcément « invités » et en France elle est heureuse que son mari ait pu
rester à ses côtés. Sur ce point, il est cependant intéressant de se poser la
question de savoir si les hommes ont été sollicités par leurs épouses pour
assister à l’accouchement ou si cela vient de la norme de l’institution
française qui requiert la présence du père ?
Fama, quant à elle, regrette que sa famille n’ait pas été près d’elle après ses
accouchements, mais elle est retournée après chaque naissance au Sénégal
«pour le massage du bébé» car elle dit ne pas savoir le faire. Les raisons de
ses voyages au Sénégal sont sûrement nombreuses, mais c’est le massage
qu’elle évoque, comme un rite qui lui permettrait ainsi qu’à son enfant de
s’inscrire dans la lignée.
De plus, lorsqu’elle était adolescente, sa mère lui parlait déjà de
l’accouchement en France en lui disant qu’elle serait bien mieux prise en
charge là bas, « qu’il y a moins d’erreurs » qu’au Sénégal. Par avance, sa
mère a utilisé ses propres représentations du système de soins occidental
pour valider le choix de sa fille d’accoucher en terre étrangère.
Par ailleurs, Aisha fait également ressortir cette notion d’erreurs médicales
qui l’angoisse. En choisissant son gynécologue, elle explique ne pas avoir
voulu être suivie par ceux de l’hôpital, car « ils font des erreurs ».
20/47
Fanta, de son côté, aimerait accoucher avec des femmes de sa famille :
« j’aimerais qu’on me masse le dos pendant l’accouchement et qu’on me
rassure ». Elle évoque plusieurs fois pendant l’entretien ce besoin qu’elle a
de créer un espace rassurant autour d’elle.
c) Relations avec les soignants
Bintou explique que la sage femme est toujours restée près d’elle et a
l’impression qu’on s’est « bien occupé » d’elle. Elle rajoute « on me
respecte ».
Aisha a fait preuve d’une sorte de nomadisme médical pendant sa
grossesse, en changeant plusieurs fois de médecins ou d’échographes pour
être sûre d’avoir « le meilleur ». Elle voulait accoucher avec un gynécologue
et a eu beaucoup de mal à faire confiance aux sages-femmes en raison des
représentations véhiculées autour du métier de sage-femme au Maroc (où,
selon elle, celles-ci humilient les parturientes si elles crient ou se plaignent).
Ces représentations basées sur l’expérience marocaine influencent donc
l’itinéraire d’Aisha. Cependant, elle s’est rapidement sentie rassurée par
l’équipe et dit avoir été étonnée que les sages-femmes soient « si douces et
si gentilles ».
Dans la même idée, Fama raconte : « chez nous, les sages-femmes elles
sont pas très gentilles, elles sont vulgaires ». Elle rapporte en effet des
histoires de sages-femmes évoquant de façon impudique, selon elle, l’acte
sexuel.
Globalement, les sages-femmes dans notre étude renvoient une image
maternelle
et
maternante.
Le
transfert
des
parturientes
vers
les
professionnelles est positif et facilite l’instauration d’un lien de confiance. La
sage-femme devient alors l’objet de réactions affectives de la part de la
parturiente, cette dernière pouvant diriger vers la professionnelle des
réactions qu’elle pourrait avoir vis-à-vis de sa mère. L’idée de la sage-femme
comme substitut maternel pendant l’accouchement ne me parait pas lié à la
culture et peut se retrouver chez n’importe quelle parturiente. Il est d’ailleurs
intéressant de noter que les sages-femmes ont souvent vis-à-vis des
patientes des gestes assez maternants (tels que caresser la main de cellesci).
21/47
En revanche, Fama, qui n’a pas encore accouché, se représente les sagesfemmes comme des techniciennes ; elles seront « pros, c’est leur métier,
mais pas soutenantes car elles ne font pas partie de la famille ». Mais
lorsqu’elle rajoute : « à partir du moment où elles sont gentilles, où elles ont
un sourire, ça va », nous retrouvons malgré tout ce besoin affectif.
3.1.2 Ce que disent les sages-femmes
a) L’offre de soins et ses limites institutionnelles
Violaine décrit les maternités dans lesquelles elle a travaillé ces dernières
années comme étant « conventionnelles» et au sein desquelles il existait peu
d’espace pour une prise en charge plus « ouverte ». Elle observe de
nombreux éléments potentiellement difficiles ou même traumatiques à vivre
pour des femmes d’origine étrangère (la césarienne par exemple) et fait
preuve d’une grande bienveillance lorsqu’elle évoque le suivi de ces femmes.
Elle dit s’être sentie souvent « démunie » face à elles, car elle avait
l’impression de ne pas pouvoir leur proposer un accouchement conforme à
leurs besoins (ou du moins ce qu’elles se représentaient de ceux-ci), mais
plutôt une offre de soins très limitée.
Violaine et Marie montrent qu’elles connaissent bien les rites pratiqués selon
les cultures ou bien les différences physiologiques qui pourraient modifier le
déroulement du travail, mais elles disent ne pas bénéficier de la formation et
du cadre nécessaire pour proposer des suivis personnalisés.
D’un autre côté, une sage-femme que j’ai rencontrée dans les couloirs de
Bichat m’a expliqué qu’ils recevaient aujourd’hui moins de femmes ayant des
« demandes différentes » (par exemple des positions moins « classiques »
que la position allongée) car, selon elle, « elles savent comment ça se passe
ici, ce qu’elles vont trouver, elles parlent entre elles ». En l’occurrence, elle
explique qu’il y a peu de place pour un accompagnement « différent », peu
de demandes dans ce sens.
b) Avoir une langue commune
Le langage revient très fréquemment dans le discours des femmes, mais
également des sages-femmes.
22/47
Pour Marie, le fait de ne « pas pouvoir tout expliquer » l’inquiète et la frustre.
Ce qui est primordial dans la relation avec la patiente est de mettre en place
des stratégies afin d’être sûr que les patientes aient toutes les informations.
Les équipes instaurent des systèmes de traductions en faisant appel à
différentes personnes, mais rien n’est formalisé. Il semble que cela dépende
plutôt de l’aide disponible à ce moment-là. Elles vont en premier lieu
demander à l’entourage de traduire mais Marie évoque une méfiance assez
forte par rapport à celui-ci : « on ne sait jamais trop ce qu’ils traduisent ».
Cette situation semble inconfortable pour tout le monde et par conséquent
c’est la méfiance qui ressort de son discours comme si l’objectif des
soignants et des patients n’était finalement pas le même.
Dans une seconde étape, si l’entourage ne peut pas traduire ou qu’elle a
peur que la traduction ne soit pas correcte, l’équipe soignante va faire appel
aux soignants de la même culture que le patient ou parlant la même langue.
Rappelons que les interprètes sont des traducteurs de langues, mais
également de codes culturels. Il peut y avoir de nombreux implicites endehors
des
mots
et
par
conséquent
un
risque
non
négligeable
d’incompréhensions (d’autant plus dans le cadre fort en émotions et intime
qu’est la naissance). Dans le contexte dont nous parlons, la traduction et
l’interprétariat sont présentés par l’équipe soignante comme une médiation
pour atteindre l’objectif de l’accouchement. Mais qu’en est-il de ces soignants
à qui sont donnés des rôles de médiateurs sans avoir été formés ? On
assiste ici à un système qui parait plus de l’ordre de la « débrouille » sans
forcément de protocole existant. Le Docteur Dormoy (dans son cours du 8
avril à Minkowska) mentionnait des structures qui se cachent derrière la
traduction que peuvent faire les soignants pour prétendre qu’ils font de la
médiation culturelle et qu’ils n’ont par conséquent pas besoin de médiateurs
extérieurs.
Marie me racontait cependant qu’ils leur arrivent parfois de faire appel à des
« interprètes » extérieurs, et étonnamment elle ne mentionnait aucun
problème budgétaire à ce sujet.
Il est arrivé à Violaine d’avoir le sentiment de « trahir » certaines parturientes
en ne leur offrant pas la prise en charge la plus adaptée à leurs besoins.
23/47
« Expliquer » revient également souvent dans son discours : l’importance
d’expliquer aussi pour les sages-femmes, pour ne plus avoir le sentiment de
les avoir trahies en ne leur offrant pas la prise en charge qu’elles avaient
imaginée ?
Selon Marie, il y a certains soignants que « la barrière de la langue
arrange ». Une « relation de pouvoir » est parfois observée et le fait de ne
pas parler la même langue permettrait à certains soignants de ne pas avoir
à expliquer et donc de garder le savoir et par conséquent le pouvoir. Elle
parle d’ « ascendance » que certains soignants ont sur leurs patientes et
rajoute « il peut y avoir des abus ». Puis : « c’est pas toujours un hasard si
on fait ce métier, c’est pas toujours dans une démarche aidante, quelquefois
c’est pour la domination ». Nous en reparlerons plus loin.
c) Les difficultés ressenties
Comme ressenti dans le discours des sages-femmes, il semble y avoir une
réelle bienveillance de ces professionnelles de santé face aux patientes, peu
importe leur origine culturelle.
Concernant
les
femmes
étrangères,
Violaine
s’est
souvent
sentie
déstabilisée par rapport à certaines demandes (changer de position, enlever
le monitoring) mais dit avoir toujours tenté de trouver des solutions
intermédiaires, la limite non négociable qu’elle s’imposait étant la sécurité.
« Je me sentais démunie, car en école de sages-femmes on ne nous forme
pas à ça ». Suite à certains accouchements compliqués, elles en
débriefaient entre collègues et tentaient de se rassurer en se disant qu’elles
avaient fait ce qu’elles avaient pu dans les limites de leur formation et du
cadre de la maternité.
Elle évoque une chose qui l’a souvent marquée avec certaines femmes
d’origine africaine : le peu de contacts visuels qu’elles échangent avec leur
enfant suite à l’expulsion. Elle le ressent comme un manque d’intérêt vis-àvis du bébé et se sent assez déstabilisée. Il est bien évidemment impossible
de tirer une conclusion hâtive sur ce comportement, mais Marie-Pascale
Verger (In « Immigration et Maternité » - 1993) explique que dans nos
cultures occidentales, ce serait le parler et le regard qui occuperaient une
place centrale dans les relations mère-bébé les premières semaines de vie,
24/47
alors que dans les cultures africaines, le portage et le toucher seraient au
centre de la relation. Cela pourrait être une hypothèse (parmi d’autres) pour
expliquer ces comportements mère-bébé à la naissance.
Violaine se souvient d’une femme africaine ayant une très forte peur de la
péridurale, mais elle évite de tomber dans le piège du « tout culturel » en
expliquant qu’elle ne sait pas si c’était lié à la culture ou à la femme ellemême. Dans ce cas, en effet, le modèle explicatoire utilisé par cette femme
peut être aussi bien culturel qu’individuel.
Enfin, j’aimerais évoquer un point soulevé par Marie et qui m’interpelle.
Lorsque je la questionne sur de possibles difficultés dans la prise en charge
de ces femmes, elle me raconte l’histoire d’une femme maghrébine
musulmane venue accoucher avec son mari. Celui-ci a refusé qu’un soignant
masculin s’occupe de son épouse. L’équipe n’a pas accepté de changer la
sage-femme (qui se trouvait être un homme) car « on ne rentre pas dans ce
jeu là » et la femme et son époux ont quitté la maternité en plein travail pour
aller accoucher ailleurs. Cela soulève de nombreuses questions sur la place
de la femme et la situation actuelle en France autour des questions liées à
certaines pratiques (le port du voile par exemple), et peut faire référence à la
Charte de la personne hospitalisée de 2006 (« Toutefois, l’expression des
convictions religieuses ne doit porter atteinte ni au fonctionnement du
service, ni à la qualité des soins »). En allant plus loin, cela peut illustrer
assez bien la peur des soignants de se laisser déborder et le besoin de
maintenir un cadre. Selon la souplesse de celui-ci, la négociation peut
sembler parfois difficile à mettre en œuvre et la question peut alors se poser
de la capacité de la structure d’accueil à inclure la différence sans se sentir
menacée.
d) Quelles propositions pour améliorer la prise en charge ?
Marie et Violaine ont proposé de nombreux points auxquels les structures de
soins devraient réfléchir afin d’améliorer la prise en charge des femmes
étrangères.
Pour Marie, la priorité est la communication. C’est pour cette raison qu’il est
indispensable pour elle de commencer par traduire en différentes langues les
25/47
prospectus donnés (conseils d’alimentation, allaitement, suivi à la PMI, etc.)
afin que tout le monde reçoive l’information, ce qui est primordial pour elle.
Dans notre culture où la transmission orale se perd (entre autres de femme à
femme ou de génération en génération), tout s’apprend dans les livres et les
magazines, et la diffusion du savoir est de plus en plus théorique. Fama
(rappelons que sa mère est au pays) a d’ailleurs été très aidée par les
documents que lui avait donnés la sage femme de PMI, la valisette offerte à
la maternité, et internet.
Violaine, de son côté, insiste sur l’importance de la visite du 4 e mois qui
permet de proposer aux femmes enceintes un temps privilégié avec la sagefemme. Elle estime que les professionnels auraient à ce moment la
possibilité de référer certaines femmes étrangères vers des structures peutêtre plus adaptées (comme la Maternité des Bluets, où les sages-femmes
sont plus formées à des positions d’accouchement différentes par exemple).
Cette visite devrait permettre également, selon elle, de mieux expliquer à ces
femmes « à quoi s’attendre » dans les maternités françaises.
La formation et la sensibilisation en école de sages-femmes leur semblent
également primordiales, comme par exemple connaître la technique des
différentes positions mais également assister à des cours d’anthropologie
médicale. Dans la maternité où Marie travaille, les sages-femmes vont
prochainement apprendre de nouvelles positions, selon elle, «on a tout à y
gagner ».
Enfin, Marie trouve qu’il faudrait « oublier l’organisation et le faire vite » et
laisser plus de temps au pré-travail (en particulier pour les femmes africaines
pour qui le travail est souvent plus long pour des raisons physiologiques et
pour lesquelles il est parfois pratiqué des césariennes apparemment trop
hâtives). Elle conclut : «on y gagnerait tous, on serait moins stressés et on
harmoniserait l’organisation ».
En proposant toutes ces idées, elles précisent fort heureusement qu’il n’est
pas question de spécialiser une sage-femme par service dans la prise en
26/47
charge des femmes étrangères. Par là, elles montrent bien leur refus de
rentrer dans des clichés et de ghettoïser ces femmes. Finalement, il ne
ressort pas de leur discours un besoin de prendre en charge ces femmes de
façon très différente, ce qui me semble permettre d’éviter de tomber dans le
piège des préjugés. Ce qu’elles suggèrent devrait pouvoir être proposé à
toutes les femmes quelle que soit leur culture, pour aller vers une meilleure
prise en charge des parturientes.
3.2
Eclairage de l’anthropologie médicale clinique
Je voudrais essayer maintenant de mettre en lumière ce que j’ai pu observer
dans le cadre de cette étude grâce aux concepts présentés tout au long de
ce DU.
3.2.1 Ethnocentrisme de la maternité ?
Nous avons discuté des limites qui peuvent s’observer dans le cadre de la
maternité en France. En effet, la prise en charge des parturientes et la
gestion de l’accouchement peuvent sembler assez standardisées et les
pratiques quasi uniquement basées sur le modèle biomédical.
Peut-on parler d’ethnocentrisme de l’hôpital en France ? Rappelons que cela
signifie la « tendance à privilégier les normes et valeurs de sa propre société
pour analyser les autres sociétés » (Larousse). Il n’est pas étonnant que les
soignants privilégient les pratiques de leur modèle de soins, puisque c’est
celui pour lequel ils ont été formés. Mais il est possible de se poser la
question de la place que les structures de soins offrent à d’autres valeurs
culturelles, à d’autres pratiques et qui semble assez limitée. Nous pourrions
étendre cette idée à toute culture, qu’elle soit française ou étrangère, et noter
que le modèle de soins proposé dans les maternités françaises
« classiques » (que j’opposerai aux nouvelles structures plus « modernes »
telles que les maisons de naissance au sein desquelles les projets de
naissance des femmes paraissent plus intégrés dans la prise en charge)
reste aujourd’hui assez normé et codifié.
27/47
A Minkowska, le Professeur Sargent évoquait les « violences structurelles »
que les institutions pouvaient produire en restant fixées sur le seul modèle
biomédical et en ne proposant pas de suivi personnalisé plus adapté aux
patients. Dans le cadre de l’accouchement, qui, rappelons le, peut être
fragilisant autant pour la mère que pour l’enfant, cette violence structurelle
risquerait d’avoir des effets graves à plus long terme.
3.2.2 La confrontation des modèles explicatoires
Dans "Les apports de l’anthropologie médicale clinique dans la relation
soignant-soigné en situation interculturelle" (2009), le Dr Rachid Bennegadi,
Marie-Jo Bourdin et Christophe Paris expliquent qu’il « est en effet question
d’une interaction, d’une part entre un patient qui exprime une demande avec
ses croyances sur le manque de santé, sur la présence de mal ou de
maladie, en s’appuyant sur un modèle explicatoire largement inspiré par sa
culture (…), d’autre part avec un thérapeute qui exerce son savoir et sa
compétence dans un lieu de soins, un espace nosographique, un statut de
soignant, des croyances sur l’action à mener pour pallier le manque de santé
ou la présence de maladie ou de mal-être. Là aussi, la prestation est
déterminée par des items culturels ».
La consultation avec un médecin est une transaction entre les deux modèles
explicatoires du soignant et du soigné et qui sont séparés par une différence
de pouvoir social et symbolique. Nous l’avons bien senti dans les entretiens
analysés précédemment.
En effet, il est possible qu’en raison du fait que les médecins aient un rang
social et un niveau d’études plus élevés, ils soient tentés de modeler le
modèle explicatoire du patient pour le faire rentrer dans le modèle médical.
C’est là qu’il est possible de parler de domination du soignant sur le patient.
Chaque acteur, les femmes parturientes et les sages-femmes dans notre
étude, est porteur de savoirs, de normes et de pratiques de soins qu’ils ne
partagent pas toujours ; de plus le parcours migratoire et la structure familiale
sont autant d’éléments qui influencent le migrant et la place qu’il occupe
dans la rencontre clinique.
28/47
Comment les représentations culturelles du soignant jouent-elles sur la
relation avec le patient ?
Lorsque les modèles explicatoires se confrontent, lorsque ces différents
acteurs se font face, certaines difficultés peuvent apparaître (Cecil Helman –
1990):
- la différence dans la définition de patient : en effet la médecine moderne
se centre sur l’individu en oubliant parfois le contexte familial et social
(dans notre étude, quelle place est donnée à l’entourage familial dans les
maternités et à l’impact de l’absence de celui-ci sur la mère au moment de
la naissance ?)
- la possible incompréhension de la langue du patient, avec des risques
plus importants lorsque les traducteurs mobilisés ne sont pas formés
(dans le contexte intime et fragilisant qu’est la naissance, l’impact peut
être plus important). Il peut surgir une grande violence lorsque les
représentations des femmes liées à l’accouchement ne sont pas
entendues ou qu’elles ne comprennent pas ce qu’il se passe.
- l’incompatibilité des modèles explicatoires (en l’occurrence, de par la
bienveillance et l’écoute des sages-femmes interrogées et l’adaptation
impressionnante des femmes rencontrées au modèle biomédical, je n’ai
pas senti d’incompatibilité dans cette étude)
- les problèmes liés à la terminologie, c'est-à-dire à un mix entre le jargon
médical et le langage de tous les jours qui peut provoquer de nombreuses
incompréhensions des patients, d’autant plus fortes si la langue française
n’est pas maîtrisée. Rappelons que, même si l’on parle la même langue,
on ne parle pas forcément le même langage.
En conclusion, la confrontation des modèles explicatoires comporte de
nombreuses embûches potentielles et peut aboutir à d’importantes difficultés
et de souffrance pour le patient. Il peut arriver, si la future mère ne bénéficie
pas de soutien familial et si la communication ne se fait pas bien avec
l’équipe soignante, que la prise en charge soit vécue comme intrusive. Dans
ce cas, la question peut se poser de l’influence que cela pourrait avoir sur
l’adhérence à plus long terme au suivi médical (grossesse, accouchement
29/47
avec risques traumatiques, et post accouchement avec le risque de ne pas
intégrer l’enfant dans le suivi PMI).
Mais cela peut également bien se passer et c’est ce que j’ai ressenti en
grande partie dans les discours des femmes rencontrées. Il me semble
qu’elles ont adopté la prise en charge proposée en modulant leurs
représentations de l’accouchement grâce aux explications reçues par
l’équipe soignante ainsi qu’à la présence de leur mari. Cela nous amènera
plus loin à discuter du processus d’acculturation.
3.2.3 Rencontre de trois cultures
Il est possible de parler ici de trois cultures: la culture du pays d’origine, la
culture
du pays d’accueil et
la
culture
biomédicale
que certains
anthropologues et sociologues décrivent comme une culture à part entière.
Le Professeur Carolyn Sargent utilise le terme de « système culturel ». Il est
dominant aujourd’hui en France et les soignants sont porteurs de ce
système.
Dans le cadre de la naissance, la technologie moderne impose des examens
tels que l’échographie ou le monitoring (appareil permettant la surveillance
du rythme cardiaque du bébé pendant le travail ainsi que des contractions
utérines) semblent vouloir maîtriser le corps humain, comme le souligne
Cecil Helman. Cela peut avoir pour effet d’induire chez la future mère le
sentiment que son corps est défectueux et ne peut donner naissance sans la
prise en charge médicale. De plus, ces machines et ces examens donnent
parfois l’impression que le médecin va plutôt écouter ce que ces derniers lui
disent que ce que la patiente exprime. Les machines risquent alors d’être les
principaux vecteurs de communication, parfois plus que le langage. Nous
pouvons imaginer que cela peut être encore renforcé lorsque la patiente ne
parle pas français.
A ce moment-là, le « Disease » (dans notre étude il ne s’agit pas de maladie,
mais dans le cadre de l’accouchement nous pouvons parler de « Disease »
pour évoquer l’interprétation que fait le thérapeute de l’état de la patiente et
de la façon dont se déroule le travail) va alors prendre le dessus sur
l’ « Illness » (ce qu’en dit le patient). Dans notre culture, le risque existe que
30/47
les soignants se concentrent parfois plus sur les aspects physiologiques que
psychologiques, il peut être alors possible de passer à côté de la signification
que revêt l’accouchement pour ces femmes et les représentations qu’elles en
ont. Par conséquent l’ « Illness » et le « Sickness » risquent d’être oubliés,
c'est-à-dire tous les aspects sociaux et sociétaux qui influent sur l’état de la
future mère (absence de la mère, place du père et de l’homme pendant
l’accouchement, rites autour de la naissance, etc.).
De plus, n’oublions pas que les mères sentent dans leur corps le
déroulement du travail de l’accouchement et ont la possibilité d’y répondre.
Pourrait-il y avoir conflit entre la toute-puissance des médecins ayant le
savoir d’un côté, et le ressenti des parturientes de l’autre côté ?
L’article de Carolyn Sargent m’a particulièrement intéressée (1996). Elle
explique justement que “la connaissance technique devient la connaissance
“qui compte” et sur la base de laquelle les décisions se prennent. Aux EtatsUnis, par exemple, la plupart des membres de sociétés (...) acceptent une
vision biomédicale de la naissance. Dans celui-ci et d’autres systèmes
hautement technologiques de la naissance, il y a clairement un manque de
priorité donnée à l’expérience de la parturiente comme une forme de
connaissance, et la primauté est donnée à l’expertise des obstétriciens qui
gèrent la technologie ou les artefacts du travail”1. Lors des entretiens
réalisés, nous voyons bien que les femmes font toute confiance en
l’expertise technique de l’équipe soignante, mais surtout semblent accepter,
sans la contester, l’autorité de cette dernière (entre autres lorsqu’il a été
besoin de mettre Aisha sous péridurale par exemple ou de pratiquer une
césarienne sur Fanta).
1
en anglais dans l’article: « technological knowledge becomes the knowledge that "counts," and on
the basis of which decisions are made. In the United States, for example, most members of society
(…) accept a technomedical view of birth. In this and other hightechnology birthing systems there is a
clear lack of priority allocated to the laboring woman's experience of her body as a form of
knowledge, and primacy is given to the expertise of obstetricians who manage the technology, or
artifacts of labor ».
31/47
Globalement, je me pose la question de savoir dans quelle mesure les
compétences de la parturiente sont utilisées. Le Pr Sargent parle de
«dévalorisation de la connaissance basée sur l’expérience qu’ont les femmes
de leur propre corps”2. Par exemple, certaines des femmes rencontrées ont
eu plusieurs enfants. Je ne pourrai pas avancer plus loin sur cette question,
car je n’ai pas obtenu assez d’éléments lors de nos discussions, mais nous
pouvons nous poser la question de savoir si les équipes font appel à
l’expérience et aux compétences des mères.
De la même façon, l’hôpital est perçu comme une micro-société, ayant sa
propre culture avec ses rites, ses codes et son langage (Cecil Helman 1990).
Selon lui, au sein des structures hospitalières occidentales, les infirmières
(dans notre cas les sages-femmes) joueraient le rôle de la mère et le
médecin du père. Nous l’avons perçu dans notre discussion précédente : la
relation transférentielle intéressante que j’ai pu observer des patientes vers
les sages-femmes et contre-transferentielle des sages-femmes vers les
patientes (en ayant également cette attitude maternante et bienveillante) le
montre bien.
Enfin, au sein de l’hôpital nous assistons à une multiculturisation des équipes
soignantes et à un « métissage » (Carolyn Sargent et Stéphanie Larchanché
– 2008) de la clinique entre des soignants de culture et potentiellement de
pratiques différentes. Par conséquent, il est possible d’observer au sein de
l’hôpital la rencontre de nombreuses cultures et la multiplication des modèles
et des pratiques de soins.
3.2.4 Domination des soignants ?
Ce qu’évoquait Marie sur la relation de pouvoir que pouvaient établir les
soignants m’a semblé très intéressant. Dans le contexte de la naissance, les
femmes qui accouchent s’en remettent aux soignants. C’est elles-mêmes qui
maîtrisent leur corps, mais le modèle biomédical est ce qui va leur permettre
2
“devaluation of authoritative knowledge based on women's experience of their bodies ».
32/47
de donner naissance en offrant un cadre sécurisé. Mais ce modèle peut
parfois leur donner le sentiment d’être passives dans leur accouchement et
même infantilisées (que peut-on dire par exemple de la pratique de raser le
pubis de certaines parturientes ?). De plus, il a été observé des attitudes
paternalistes de la part de certains soignants.
Même si dans les entretiens réalisés je n’ai pas perçu ce type de relation, il
est possible, dans le cas de femmes étrangères, de se poser la question
d’une double dominance possible : culturelle et médicale. Dans ce contexte,
la peur de l’Autre pourrait être d’autant plus forte qu’il est d’une culture
étrangère, et cette peur pourrait entraîner cette relation de pouvoir.
Le Dr Rachid Bennegadi dans « Anthropologie médicale clinique et santé
mentale des migrants » (1996), parle de « dépendance » : « la situation
typique d’acculturation concerne une personne d’une certaine origine
ethnique, souvent en situation non dominante pour ne pas dire de
dépendance, en contact avec un groupe culturel, souvent en situation de
dominance, ce qui nécessite une adaptation et par là même de développer
une panoplie de tactiques et de stratégies ».
Je repense également à ce que me racontait Fanta, qui a du être
hospitalisée au début de sa grossesse. Dans l’équipe de médecins, il y avait
un « médecin africain et c’était le pire de tous ». Il n’était apparemment pas
aimable alors qu’elle dit s’être attendue à « plus de solidarité de sa part ».
Cette constatation m’a fait réfléchir à la place des soignants d’origine
étrangère à l’hôpital (dans le cas de Fanta, je ne sais pas si ce médecin était
français ou d’origine étrangère mais elle l’a qualifié d’ « africain »). Lorsqu’il
leur est donné le rôle de traducteur ou même de médiateur, il est possible de
se poser la question de la relation de pouvoir et d’une potentielle dominance
sur le patient, étant détenteur de la parole et de la communication entre le
patient et l’équipe.
Enfin, si le soignant est de la même origine culturelle que le patient, mais pas
de la même classe sociale, nous pouvons nous poser la question d’une
potentielle difficulté dans la relation et l’accentuation de la distance patientsoignant. Dans le cours du 8 avril de Stéphanie Larchanché, elle évoque
33/47
« l’asymétrie » des relations soignants-soignés, ce terme résumant bien ce
qu’on a pu observer plus haut.
3.2.5 Quelle négociation possible à la maternité ?
La relation entre deux personnes est avant tout une négociation.
Alexandre Manoukian (2008) dit que les facteurs de la relation sont
nombreux : l’histoire des partenaires, leur culture, leurs représentations et
enfin la communication. Ces éléments peuvent agir en faveur de
l’établissement d’une bonne relation ou en défaveur.
En particulier, la communication verbale est primordiale et nous avons bien
vu dans les entretiens qu’elle était indispensable autant pour les sagesfemmes que pour les parturientes. Les sages-femmes ont bien intégré la
nécessité de trouver une langue commune afin d’offrir une prise en charge
adéquate. Cette langue permet de communiquer verbalement et par là
d’avoir accès au symbolique et aux représentations que les femmes se font
de l’accouchement et de la naissance.
Lorsque nous parlons de négociation, nous pensons concessions,
changements. Ecouter et accueillir l’autre, cela peut vouloir dire modifier ses
pratiques, prendre le risque de se remettre en question, de se déstabiliser en
abandonnant certains repères (Cecil Helman 1990). L’histoire racontée par
Marie sur la femme musulmane et son époux nous montre bien une
déstabilisation potentielle.
Cependant, l’une des difficultés majeures dans le contexte de la naissance
en maternité, est que la relation est très courte : nous l’avons dit, la
parturiente n’a souvent jamais rencontré la sage-femme qui l’accouche, car il
y a peu de continuité des soins dans ce cadre là, et elle ne la reverra la
plupart du temps plus après l’accouchement. La négociation entre ces deux
partenaires de la relation est par conséquent d’autant plus difficile à mettre
en place.
Il est temps maintenant d’évoquer la compétence culturelle. Dans le cadre de
l’hôpital, c’est la capacité des soignants à comprendre et à répondre de
34/47
façon effective aux besoins culturels des patients. Nous avons vu dans nos
entretiens avec les sages-femmes que le cadre de l’hôpital ne fait pas
toujours preuve d’une flexibilité optimale pour répondre aux besoins des
femmes, et ce, quelle que soit leur culture. Mais nous avons noté également
qu’il y a un réel souhait des soignants d’écouter ces femmes, de les
comprendre et de leur proposer des prises en charge adaptées.
Il faudrait de façon globale que la sensibilité des soignants s’améliore quant
aux rites, aux pratiques et aux attentes des patientes, afin d’éliminer les
barrières pour l’établissement d’une relation saine. Ceci permettrait
d’améliorer
la
communication
soignants-soignés,
donc
le
vécu
de
l’accouchement et à plus long terme, dans une perspective de santé
publique, d’améliorer la « compliance » des mères vis-à-vis de la prise en
charge de l’enfant (ceux-ci seraient plus suivis en PMI, les mères en difficulté
pourraient être mieux accompagnées, etc.).
J’aimerais évoquer un article écrit par une sage femme dans la revue de
l’Association Nationale des Sages-Femmes Libérales, qui m’a beaucoup
intéressé car il fait écho à certains sentiments ou attitudes que je peux avoir.
Elle raconte le suivi qu’elle a fait d’une femme d’origine africaine qui vivait en
France depuis plusieurs années et y avait déjà accouché: « On a parlé
naissance, j’ai essayé de voir si elle avait des désirs et quand j’ai évoqué la
possibilité d’accoucher dans une autre position que celle qu’elle connaissait
(en l’occurrence accroupie), elle m’a transpercé de son regard effaré et m’a
juste demandé « comme une sauvage, par terre ?? » ». Cette histoire montre
bien la force de certains préjugés lorsqu’il y a rencontre interculturelle. Cette
sage-femme souhaitait proposer un suivi personnalisé à cette mère et
pensait que celle-ci souhaiterait peut-être accoucher comme elle imaginait
qu’on faisait dans son pays d’origine. J’avais exactement les mêmes
présupposés lorsque j’ai commencé ce travail et cela nous montre bien à
quel point il est indispensable de prendre le temps d’écouter les réels
besoins des patientes afin d’éviter de leur proposer une prise en charge
inadaptée et parfois même violente ou impudique pour elles.
35/47
Pour finir, il est nécessaire de préciser qu’avoir une compétence culturelle ne
veut pas dire avoir une compétence clinique ! Il est possible d’avoir une
bonne compétence culturelle (savoir-être) mais ne pas être un bon médecin
(savoir-faire) et vice versa. En discutant de façon informelle avec des
femmes françaises, certaines ont évoqué un sentiment de solitude et
d’incompréhension important entre elles et l’équipe soignante, dû souvent à
un manque de communication, mais aussi parfois, selon elles, à un manque
de prise en compte de leur ressenti. Il est nécessaire de ne pas oublier le
cadre de l’accouchement, et la réalité de ce qu’il se passe dans les
structures où les soignants peuvent manquer de temps pour proposer un
suivi personnalisé.
3.2.6 La question de l’acculturation
L'acculturation est « l’ensemble des changements culturels résultant des
contacts continus et directs entre deux groupes culturels indépendants »
(Redfield, Linton et Herskovits - 1936). Comme nous l’avons compris cette
année, l’acculturation entraîne par conséquent des modifications dans les
représentations culturelles de l'un ou des deux groupes et au niveau
individuel, chacun va s’approprier une nouvelle culture.
Il est facile d’observer à quel point la majorité des femmes rencontrées ont
modifié leurs modèles culturels d’origine en assimilant à part entière les
pratiques de naissance françaises. Non seulement elles les acceptent mais
en plus ces pratiques les rassurent et elles les requièrent (péridurale,
accouchement très médicalisé, etc.). Cela dit, elles ne renient en aucun cas
certaines pratiques de leur pays, comme les massages pendant le travail ou
bien la présence des femmes lors de la naissance par exemple. Dans
l’acculturation en effet, l’individu reconnaît qu’il appartient à son groupe
d’origine, mais également à la société d’accueil. C’est ce que nous pouvons
qualifier d’adaptation idéale, car il y a intégration tout en respectant les
différences culturelles. Remarquons que, quasiment toutes les femmes
rencontrées vivent en France depuis longtemps, certaines sont mariées à un
Français, quasiment toutes parlent couramment français et la majorité exerce
une activité professionnelle, ce qui peut faciliter le processus d’acculturation.
36/47
Un autre point particulièrement intéressant peut se dégager de cette
réflexion. L’immigrant peut être acculturé, mais également l’individu de la
culture d’accueil qui est à son contact. C’est l’« acculturation réciproque », et
nous pouvons l’observer dans cette étude.
En effet, lorsque nous entendons le souhait des sages-femmes d’apprendre
de nouvelles techniques de positions d’accouchement, nous pouvons parler
d’acculturation. Aujourd’hui les positions accroupies ou à quatre pattes
semblent « à la mode ». Elles sont, selon les professionnels de la naissance,
physiologiquement plus adaptées au bien-être de la mère et de l’enfant que
la position allongée, qui est pourtant la position encore couramment utilisée
en France. Ces positions accroupies et à quatre pattes, par exemple, sont
depuis longtemps pratiquées dans de nombreux pays d’Afrique. De plus,
dans certains pays, les femmes sont très actives pendant l’accouchement et
ceci est de plus en plus recommandé en France afin de faciliter le travail et
gérer la douleur. Cela représente un changement important dans notre pays
où la passivité des parturientes a, ces dernières années, semblé importante
dans les accouchements (allongées, « attachées » au monitoring, etc.). Il
semble que la société revienne vers ce que certains appellent des
« accouchements naturels » et il est évident que certaines pratiques de ce
nouveau modèle d’accouchement proviennent directement de nos voisins.
Nous ne rentrerons pas dans le détail de ces pratiques de soins envers les
nouveau-nés, mais de la même façon la nouvelle mode du portage des
bébés en écharpe et des massages aux nourrissons ont sans aucun doute
été empruntés à nos voisins africains chez qui ces pratiques existent depuis
longtemps. Les bienfaits de celles-ci sont maintenant reconnus en France
pour des raisons physiologiques, mais également afin de faciliter la création
du lien mère-enfant.
3.3
Perspectives et recommandations
Dans toute rencontre, il y a négociation et dans le cadre des pratiques de
soins les différents acteurs se doivent de confronter leurs modèles et de
37/47
négocier afin d’atteindre l’objectif commun qui est de permettre le bien-être
de la personne. Dans notre discussion, il s’agit de mettre un bébé au monde
dans les meilleures conditions pour la mère et pour l’enfant.
Mais dans toute négociation, il peut y avoir dominance d’un des deux acteurs
de la relation. Dans notre cadre, c’est l’équipe soignante qui peut paraître
dominante mais l’on voit également dans les paroles des sages-femmes que
cela peut être lié à la peur de se laisser déborder par l’Autre, sa culture, ses
représentations, et de perdre le contrôle.
Il n’est bien évidemment pas question de rejeter le modèle biomédical mais
plutôt de réfléchir à la possibilité d’atténuer ses tendances universalistes. J’ai
eu accès à quelques informations sur Nancy Scheper-Hughes qui parle du
savoir biomédical comme étant « oppressif » et qu’il faudrait déconstruire. Je
n’ai pas trouvé le temps d’aller plus loin sur ce point, mais j’espère pouvoir le
faire dans un travail ultérieur.
Grâce aux entretiens réalisés, par toutes les lectures que j’ai pu faire et par
les discussions informelles que j’ai eues avec des femmes ayant accouché
(peu important l’origine culturelle), j’ai pu voir que les relations soignantssoignés étaient complexes car elles soulèvent de nombreuses interrogations
de part et d’autre et mettent en lumière toutes les différences de
représentations qu’il peut exister entre les différentes cultures que nous
avons évoquées plus haut.
Afin d’améliorer ces relations, il est nécessaire que les soignants prennent le
temps de comprendre le patient et de prendre en considération non pas
uniquement le « Disease », mais également l’ « Illness » et le « Sickness ».
La communication pourrait sûrement être améliorée, pas seulement en
termes de traduction de langue, mais de communication globale incluant
également le non verbal.
Nous avons vu que la traduction dans les hôpitaux se fait parfois de façon
désorganisée. Proposer une formation à l’interprétariat et à la médiation
culturelle en maternité permettrait d’améliorer grandement la communication.
38/47
Aujourd’hui, certains services hospitaliers tels que les maladies infectieuses
ou les centres de dépistage du VIH ont la possibilité d’avoir recours à la
médiation interculturelle. Ce service existe-il au sein des maternités ?
De plus, il est nécessaire que le soignant puisse se poser la question de la
place de sa propre culture, de sa religion et de son origine sociale dans sa
relation au patient (l’anecdote de la femme musulmane partant accoucher
ailleurs et la réaction vive de Marie en est un bon exemple).
En discutant avec les sages-femmes, il est clair qu’elles sont en demande de
formations qui leur permettraient de mieux comprendre les représentations
culturelles et de mieux prendre en charge des personnes d’origine étrangère.
La question de la langue n’est pas le seul point à régler, même si ce sujet
revient constamment, comme peut être un moyen de ne pas se poser de
questions plus complexes et déstabilisantes.
Ces sages-femmes sont en demande de proposer un soin « culturellement
approprié » afin de mieux respecter les parturientes (on voit à quel point elles
peuvent être démunies si elles ont l’impression d’avoir pris en charge ces
femmes de façon inadaptée).
Il faudrait en effet que les soignants puissent « élargir leur cadre conceptuel
et clinique par la formation continue » (Rachid Bennegadi 1996). Il est
nécessaire de ne pas tomber dans le piège du «tout culturel» mais de
sensibiliser les soignants à une approche plus appropriée de l’Autre.
Il est intéressant de constater que la réciprocité peut également s’observer
dans notre culture à l’heure actuelle par l’intégration et l’acceptation de
nouvelles pratiques et de nouveaux modèles de soins. Il pourrait être utile de
proposer aux soignants différentes alternatives pour la prise en charge de la
grossesse et de l’accouchement, et d’aller chercher dans d’autres cadres
culturels des pratiques efficaces pour le bien être materno-infantile.
Enfin, en santé publique la naissance est un évènement extraordinaire qui
permet une première rencontre avec des femmes récemment arrivées en
France ou n’ayant encore eu aucun contact avec le système de soins
39/47
français. C’est la raison pour laquelle une prise en charge adéquate dès le
début permet de toucher le plus de femmes possible et par là de familles (les
femmes sont bien souvent la porte d’entrée vers le reste de la famille) et
d’offrir un suivi médical et psychosocial dès que possible. Si la rencontre ne
se fait pas bien, le risque que ces femmes ne s’inscrivent pas dans le
système de soins français et s’isolent est fort.
Rappelons que les femmes en exil ont plus de risques d’être en situation
précaire. Elles sont séparées de leur entourage (comme nous l’avons vu,
dans le cadre de la grossesse et de l’accouchement cela peut être un facteur
de vulnérabilité et de fragilisation fort), elles ne parlent pas toujours la langue
ou ne travaillent pas, et l’isolement et la solitude peuvent être extrêmement
importants et influer sur la relation mère-enfant et par la suite sur le
développement de celui-ci.
Par conséquent, et c’est ce que propose Violaine avec l’entretien du 4 e mois,
il est indispensable dès le début du suivi de grossesse, de prendre en
compte le mieux possible l’histoire personnelle des patientes, d’écouter les
représentations qu’elles ont de la naissance, les besoins qu’elles pourraient
exprimer et d’enclencher à ce moment-là une relation de confiance.
40/47
CONCLUSION
Ce travail m’a énormément intéressé par les problématiques soulevées et
que j’ai pu investiguer au fil de ma réflexion. J’avais commencé un travail très
centré sur une approche culturaliste pour petit à petit m’en décentrer et
réfléchir à la relation soignant-soigné et plus globalement à la relation à
l’Autre dans un contexte interculturel.
L’anthropologie médicale clinique m’a très concrètement donné des outils
pour mieux comprendre ce qui se joue dans cette rencontre. Malgré les
différences culturelles, que ce soit au sens profane ou professionnel, les
représentations sont variées, mais il est possible de dépasser ces
différences afin d’enrichir nos pratiques. Dans le cadre de l’accouchement,
j’ai le sentiment que les structures françaises n’offrent pas encore
suffisamment de place à des pratiques différentes du modèle biomédical,
mais que les soignants semblent en demande d’ouvrir de nouvelles
perspectives et d’adapter au mieux leurs pratiques aux besoins des femmes.
De plus, l’acculturation réciproque observée me semble très prometteuse
pour une amélioration de cette offre de soins d’autant plus importante que la
grossesse est un moment clé pour prendre en charge des populations en exil
et en situation potentiellement précaire.
Ce travail reste limité et j’aurais aimé aller plus loin dans cette réflexion. Il
m’a cependant permis de réfléchir à ma pratique passée et actuelle, et
j’espère avoir l’opportunité dans le futur de poursuivre cette étude. J’aimerais
également aller plus loin dans le champ de l’anthropologie médicale et
réfléchis actuellement à poursuivre des études dans ce domaine.
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44/47
ANNEXES
GUIDE D’ENTRETIEN
Lors des entretiens, je pensais encore travailler sur toute la période
périnatale. C’est à la suite de ceux-ci que j’ai décidé de me limiter à
l’accouchement.
Me présenter, présenter l’objectif de l’entretien, la durée approximative et la
confidentialité.
Récit de vie »
Pouvez-vous me parler de votre situation actuelle, me raconter votre
histoire ?
Guide d’entretien pour une femme ayant déjà eu un enfant en France
-
Grossesse :
Pouvez-vous me raconter comment s’est passée votre grossesse en
France ?
Y a-t-il des choses pendant le suivi de grossesse qui vous ont angoissée ou
mise mal à l’aise ?
-
Accouchement :
Pouvez-vous me raconter comment s’est passé votre accouchement en
France ?
Avez-vous
ressenti
des
difficultés/angoisses
particulières
pendant
l’accouchement ?
Comment décririez-vous la relation que vous avez eue avec les soignants ?
-
Postpartum :
Pouvez-vous me raconter comment se sont passés les 1ers jours après la
naissance ?
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Comment vous êtes-vous sentie globalement après la naissance ?
Si vous avez eu un enfant dans votre pays et un enfant en France,
globalement qu’est-ce qui vous a le plus manqué en France ?
Questions à une femme enceinte au moment de l’entretien
-
Grossesse :
Pouvez-vous me raconter comment se passe votre grossesse ?
Éprouvez-vous des difficultés particulières ?
-
Accouchement :
Comment imaginez-vous votre accouchement ?
Avez-vous des appréhensions particulières ?
-
Post partum :
Comment imaginez-vous les 1ers jours à la maternité après la naissance ?
Avez-vous des inquiétudes particulières ?
Questions aux soignantes
Pouvez-vous me parler de votre parcours de sage-femme ?
Pourriez-vous me raconter un suivi de femme française puis celui d’une
femme d’origine étrangère ? Avez-vous remarqué des différences, et si oui
lesquelles ?
Globalement, que pensez-vous de la prise en charge de ces femmes dans
nos structures françaises et que pourrions nous améliorer ?
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