Espionnage: l`arme de séduction massive

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Espionnage: l`arme de séduction massive
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LA LIBERTÉ
HISTOIRE VIVANTE
VENDREDI 23 AOÛT 2013
Espionnage: l’arme de séduction massive
STRATÉGIE • La chair est faible: les services secrets l’ont bien compris, mettant à profit les charmes de leurs plus
belles recrues pour espionner l’ennemi. De Mata Hari à Anna Chapman, la tactique reste toujours aussi efficace.
PASCAL FLEURY
On les nomme
souvent «Mata
Hari», en référence à l’espionne hollandaise fusillée
par la France
en 1917. Leurs armes, ce sont
leurs charmes. Recrutées par les
services secrets, elles séduisent les
hommes politiques, les militaires
ou les industriels. Elles les espionnent de l’intérieur, leur soutirent
des informations secrètes, les influencent dans leurs décisions,
nuisent si nécessaire à leur réputation et tentent parfois de les assassiner. Leur vieille tactique du
«piège à miel», célébrée dans les
polars et les James Bond, a peu
évolué depuis la Première Guerre
mondiale. Elle reste toujours aussi
efficace. Petite plongée dans le
monde interlope des espionnes.
GUERRES MONDIALES
La danseuse et courtisane Mata Hari, icône de l’espionnage au féminin. KEYSTONE
SEMAINE PROCHAINE
ROAD-MOVIE
EN ALLEMAGNE
Véritable poumon
économique de la
zone euro, l’Allemagne enchaîne
les réussites et suscite les jalousies.
Pourtant, la réalité
n’est pas toujours
rose, pour ses habitants. A l’approche
des élections, un
road-movie à travers divers Länder,
diffusé le 1er septembre sur RTS2,
permettra de
mieux comprendre
les enjeux internes
d’un pays qui reste
assez méconnu de
ses voisins européens. Et qui,
comme l’évoquera
vendredi prochain
«La Liberté»,
connaît de nombreux problèmes
structurels.
Histoire vivante
Du lundi
au vendredi
de 20 à 21 h
Radio Télévision Suisse
Dimanche 20 h 55
Lundi
23 h 05
«Si
vous payez bien, je peux cuisiner
sur l’oreiller des Allemands importants.» En grande croqueuse
d’hommes, la danseuse Margaretha Geertruida Zelle ne craignait
pas de mettre ses charmes au service de la France. Egérie flamboyante de la Belle Epoque à Paris, connue sous son nom d’artiste
de Mata Hari, qui signifie «soleil»
sur l’île de Java, où elle avait appris
les danses exotiques, elle accepte
contre forte rémunération d’aller
espionner un haut commandant
allemand. Mais alors qu’elle se
trouve en Espagne, où elle est
courtisée par de nombreux officiers alliés, les services du contreespionnage découvrent qu’elle a
reçu 20000 francs du consul allemand aux Pays-Bas. Condamnée
pour intelligence avec l’ennemi,
elle est fusillée en octobre 1917.
Si ses talents d’espionne restent incertains, une autre espionne de la Grande Guerre se
montre beaucoup plus efficace.
Marthe Richard, née en Lorraine,
avait connu une jeunesse difficile,
devant s’adonner à la prostitution
avant de pouvoir épouser un
riche industriel et devenir aviatrice. Envoyée comme espionne
en Espagne, elle réussit à séduire
l’attaché naval de l’ambassade allemande à Madrid, Hans von
Krohn. Ensorcelé, le vieil homme
borgne lui révèle d’importantes
informations sur les déplacements des sous-marins germaniques et sur l’utilisation de l’encre sympathique. Il lui donne
même l’identité d’un agent infiltré en France.
des Cabinets ministériels, dans
de grandes entreprises de la Ruhr
et même à l’OTAN. Mais le stratagème n’a pas fonctionné longtemps: avec leur coupe de cheveux dégagée sur la nuque, les
agents étaient vite repérés!
Divers scandales ont éclaté à
cette époque. Le plus connu est
peut-être celui qui a conduit le
ministre de la Guerre britannique John Profumo à démissionner en 1963, après avoir eu
une liaison avec une call-girl
nommée Christine Keeler, qui se
trouvait être également
la maîtresse d’Yevgeny
Ivanov, l’attaché principal de la marine à
l’ambassade soviétique.
L’affaire a eu des conséquences fâcheuses pour
le gouvernement conservateur: il a perdu les élections l’année suivante.
L’amante éconduite
avait reçu un poison
de la CIA pour tuer
Fidel Castro
«L’Alouette» – c’était son nom
de code en 1916 – reprendra du
service pendant la Seconde
Guerre mondiale, cette fois dans
les Forces françaises de l’intérieur, faisant profiter la Résistance de son expérience.
GUERRE FROIDE Au lendemain du conflit mondial, les services secrets des deux blocs
n’abandonnent pas l’espionnage
«horizontal». Les pays de l’Est le
professionnalisent même davantage, développant toutes sortes
d’options, y compris les rencontres homosexuelles. La République démocratique allemande
(RDA) crée un service d’«espions
Roméo», à l’initiative du dirigeant du service des renseignements extérieurs, Markus Wolf.
Leur tâche est de séduire les
femmes célibataires qui font carrière en Allemagne de l’Ouest.
«La RDA était plutôt douée pour
cela», commente Claude Moniquet, ancien agent de la DGSE, le
service de renseignement extérieur de la France, cité par «Libération». C’est ainsi que des
femmes ont été séduites dans
AGENCES AMÉRICAINES Les
charmes féminins ont également
fait des ravages outre-Atlantique.
Fidel Castro, grand amateur de
femmes – certaines groupies le
surnommaient «Le Lapin» – a
d’ailleurs failli laisser sa peau en
1959, après une liaison orageuse
avec la jeune Marita Lorenz, d’origine allemande. Econduite après
avoir été mise enceinte, elle s’est
laissé approcher par la CIA, qui lui
a fourni un poison mortel pour
tuer le Lider Maximo, raconte
Diane Ducret, dans «Femmes de
dictateur» (Ed. Perrin, 2011). Mais
au dernier moment, le Commandante a su à nouveau la séduire…
Combattantes de l’ombre, les
espionnes restent très discrètes.
Mais il arrive parfois qu’elles se
fassent pincer, comme la Russe
Anna Chapman à New York, arrêtée en 2010 par le FBI avec neuf
autres espions. Echangée contre
d’autres barbouzes, elle a profité
de la lumière faite sur elle par les
médias pour décrocher des
contrats de mannequinat. Elle
garde les yeux froids, l’espionne! I
Le «piège à miel» fonctionne toujours
La séduction reste une arme puissante aujourd’hui. Elle
peut même s’avérer dévastatrice. D’éminents représentants du monde politique ou militaire en ont fait la cuisante expérience ces dernières années. Tombés dans le
«piège à miel» de femmes «fatales», ils se sont retrouvés
empêtrés dans la mélasse de scandales médiatiques retentissants, et parfois même contraints de démissionner.
Ainsi, en 2010, une Mata Hari des temps modernes a
séduit plusieurs opposants au Kremlin, en Russie. Parmi
eux, le présentateur radio Victor Shenderovich, qui est
l’un des premiers signataires de l’appel «Poutine doit partir», le chef du Parti national-bolchévique Edouard Limonov, le leader du mouvement d’extrême-droite contre
l’immigration illégale Alexandre Belov-Potkine ou encore
le rédacteur en chef de l’édition russe de «Newsweek»,
Mikhaïl Fishman. Invités dans l’appartement de leur tentatrice – une jeune mannequin brune nommée Katya Gerasimova –, ils ont été filmés à leur insu en pleine action,
et parfois sniffant de la cocaïne. Les vidéos de leurs ébats
ont été diffusées sur internet.
Victor Shenderovich a aussitôt accusé l’entourage du
premier ministre Vladimir Poutine et les services secrets
du FSB (ex-KGB) d'être derrière cette machination.
Comme le note «Le Figaro», ces situations compromettantes rappellent les opérations «piège à miel» dont était
coutumier le KGB à l’époque de l’URSS, lorsque de jolies
filles étaient appelées à jouer de leurs charmes pour soutirer des renseignements. Le Gouvernement russe a nié
catégoriquement toute responsabilité.
En novembre 2012, c’est l’ancien général américain David Petraeus, qui a dû démissionner de son poste de directeur de la CIA, en raison d’une liaison extraconjugale
avec sa «biographe» Paula Broadwell. Son infidélité a été
découverte fortuitement par le FBI, qui enquêtait sur la
correspondance électronique «inappropriée» d’un autre
général, John Allen, à l’époque commandant des forces
trahir des informations «secret défense». Le général John
Allen a finalement été innocenté par le Pentagone, mais il
a renoncé à briguer le poste de commandant suprême
des forces alliées en Europe.
Le Vieux-Continent n’est pas épargné. En février dernier, on apprenait que la Catalogne était touchée par une
vaste affaire d’espionnage politique. Tout est parti de
confidences de l’ex-maîtresse éconduite d’un fils de l’ancien président de la Généralité de Catalogne, Jordi Pujol.
Enquêtant sur une possible évasion fiscale de l’amant, la
police judiciaire espagnole a mis la main sur plus de
20 000 fiches touchant toute l’élite politique, économique,
culturelle et sportive de la région. Ces renseignements
étaient collectés par une agence de détectives barcelonaise, spécialisée dans les filatures et les micros cachés.
Les séparatistes n’ont pas manqué d’agiter la théorie du
complot, affirmant qu’il s’agissait de manœuvres du Gouvernement espagnol pour ôter la crédibilité au processus
indépendantiste catalan.
L’espionne russe Anna Chapman, arrêtée en 2010, s’est
reconvertie dans la mode en Russie où elle vend son
image de James Bond girl dans les magazines. KEYSTONE
alliées en Afghanistan, avec une jeune et jolie femme mariée de plus de vingt ans sa cadette, Jill Kelly, hôtesse de
fêtes fameuses en Floride. Ce «scandale des généraux» a
fait couler beaucoup d’encre, les médias se demandant si
les hauts gradés, emportés par la passion, avaient pu
Cet été encore, c’est la République tchèque qui a été secouée par un scandale de sexe et de corruption. Avec, au
cœur de la crise, la plantureuse blonde Jana Nagyova,
«femme fatale» à l’origine de la chute du premier ministre
Petr Necas, dont elle était la cheffe de Cabinet mais aussi,
selon la presse nationale, la maîtresse très influente. «Sa
force était directement proportionnelle à la faiblesse de
Petr Necas», résume l’hebdomadaire tchèque «Reflex».
Soupçonnée d’abus de pouvoir, trafic d’influence, corruption de hauts fonctionnaires et espionnage de citoyens – dont l’ancienne femme du premier ministre –,
elle a été interpellée en juin en même temps que plusieurs officiers du renseignement militaire et d’anciens
députés, les «parrains de Prague». Pour crever l’abcès de
pareil drame politique, le parlement tchèque a finalement décidé sa dissolution, mardi dernier. PFY