Film de Steven Spielberg

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Film de Steven Spielberg
De Steven Spielberg
Collège au cinéma 53 / Dossier pédagogique 4e et 3e
Par Yannick Lemarié / Action culturelle – Rectorat de Nantes
Sommaire
1- Affiche
2- Faits-divers, nouvelle et film
3- Un cadre spatio-temporel
4- Un héros vulnérable
5- Réalisme ou fantastique
6- Intertextualité et texte complémentaire
p.3
p.5
p.9
p.11
p.14
p.17
Pour tous renseignements, commentaires et exploitation en dehors du département 53
[email protected]
2
1- L’Affiche française
2
3
1
A- L’analyse de l’affiche ne présente pas de difficulté et le livret du CNC donne les clés
principales. On ajoutera, cependant, trois éléments qui ont été négligés :
• Le placement de trois quarts du camion, en partie hors champ, donne à l’engin une
puissance qu’il n’aurait pas sans cela. Et d’autant plus qu’on a l’impression qu’il se
dirige vers nous. Faut-il voir là un rappel de la peur des premiers spectateurs lors de la
projection du premier film : L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat (Frères
Lumière, 1895) ?
• L’affiche fait entrer en collision deux mouvements (contradictoires ici) de lecture :
celui du mot « Duel », qui porte notre regard de la gauche vers la droite ; celui du
camion qui porte notre regard de la droite vers la gauche. La contradiction suggère un
choc, une collision entre la machine et l’humanité (le mot n’est-il pas le propre de
l’homme ?).
• L’humanité est-elle présente ? Sans doute, à travers l’œil du camion qui devient ainsi
un monstre vivant. On remarquera toutefois que l’homme (The Man) n’est pas
totalement absent. Sa présence est suggérée entre les mâchoires de la machine (1). Il
suffit de retourner l’affiche (2) et on retrouve un profil (3) parfaitement esquissé.
B- On pourra faire un travail de comparaison des différentes affiches pour ce film afin de
pointer quelques éléments caractéristiques.
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Place de la religion
Affiche espagnole
Esthétique bollywoodienne
Affiche thaïlandaise
Affiche américaine
(ambiance guerrière, épique)
Couleur jaune par référence
au Giallo [genre
cinématographique italien à
la frontière du policier et du
film d’horreur]
Affiche polonaise
Modernité
Affiche japonaise
Verticalité
2- Fait-divers, nouvelle et film
Travail
Faire lire la nouvelle de Matheson [http://texcier-cdi.spip.ac-rouen.fr/spip.php?article845].
Comparer les deux
Comparer les situations initiales et les situations finales.
Comparer la place de la femme dans la nouvelle et dans le film.
1- Le fait-divers vécu et raconté par Richard Matheson
« L’idée de Duel m’est venue le jour de l’assassinat du président Kennedy. Je jouais au golf
avec un ami à Fillmore lorsqu’on a entendu parler de l’assassinat. Nous étions si bouleversés
par la nouvelle que nous avons oublié le jeu et nous sommes rentrés. En prenant une route
étroite pour regagner la maison, on a vu un énorme camion se coller aux pare-chocs de notre
voiture. On accélérait, il accélérait. On criait par la fenêtre avec une colère qui visait aussi
bien l’assassin de Kennedy que le routier qui tentait de nous tuer. Puis mon ami a viré sur un
talus et sa voiture a fait un tête-à-queue. Et le camion est passé en trombe. On était vraiment
choqué.
Mais, avec mon esprit d’écrivain je me suis dit quelques instants après : « Ah ! un homme
poursuivi par un camion… ». Mon ami avait du courrier ; j’ai noté l’idée au dos d’une
enveloppe. Pendant plusieurs mois j’ai présenté l’idée à des chaines de télévision. Elles la
trouvaient trop limitée, insuffisante. J’ai donc abandonné et j’ai rédigé une nouvelle qui a été
publiée dans Playboy. »
2- La nouvelle
La nouvelle raconte la course-poursuite entre une voiture et un camion.
►Situation initiale in medias res :
Il était 11 h 32 lorsque Mann doubla le camion.
Il se rendait dans l'ouest, à San Francisco. C'était un mardi d'avril et il faisait anormalement chaud pour la
saison. Il avait ôté sa veste et sa cravate, déboutonné le col de sa chemise et retroussé ses manches. Il
roulait sur une route à deux voies. Le soleil tapait sur son bras gauche et ses cuisses. Il en sentait la
chaleur à travers son pantalon gris foncé. Depuis vingt minutes, il n'avait pas vu un seul véhicule dans l'un
ou l'autre sens.
C'est alors qu'il aperçut le camion devant lui, en train de gravir une courbe entre deux hautes collines
verdoyantes. Il perçut le ronflement du moteur en plein effort et vit une ombre double sur la chaussée.
Le camion tractait une remorque.
►Développement : quelques remarques générales :
• La focalisation est externe ou interne (avec des monologues intérieurs).
• Les personnages sont parfaitement identifiés : David Mann (une « métaphore de
l’humanité », selon Mathéson) et Keller (que le conducteur de la voiture lui-même lit
« Killer »)
►Situation finale : le camion tombe dans un ravin après une fausse manœuvre.
Comme dans un rêve, il se retourna pour voir le camion quitter sa trajectoire. Paralysé, il regarda
l'énorme chose foncer sur lui avec une espèce de détachement hébété, convaincu qu'il allait mourir, mais
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à ce point stupéfié par la monstrueuse apparition qu'il se trouvait incapable de réagir. La gigantesque
masse grondante se rapprocha, masquant le ciel. Mann éprouva une curieuse sensation dans la gorge,
inconscient du hurlement qui en jaillissait.
Soudain, le camion se mit à pencher. Le souffle coupé, Mann le vit basculer comme une lourde bête qui
s'écroulerait au ralenti. Juste avant d'atteindre la voiture, il disparut de la lunette arrière.
Les mains tremblantes, Mann défit sa ceinture de sécurité, s'extirpa de son siège et tituba jusqu'au bord
de la piste. Juste à temps pour voir le camion chavirer comme un navire en perdition. La remorque versa
à son tour, ses énormes roues continuant à tourner dans le vide.
La citerne du camion explosa en premier.
3- Le film
►Scène étoffée : Scène dans le bar de Chuck. Mann s’en prend à un client qu’il prend pour
son agresseur [cette altercation n’est pas dans la nouvelle]
►Ajouts [dans le but de rallonger le téléfilm en vue d’une sortie en salle]
• Départ de la ville
• Discussion avec l’épouse
• L’épisode du train : le camion tente de pousser la voiture sur le train.
• Episode du bus scolaire
4- Comparaison : la vie de couple
►Nouvelle de Matheson
Matheson a songé, pendant quelque temps, à mettre l’épouse dans la voiture. Il y a cependant
renoncé. Ce dernière n’est pas totalement absente, ni dans la nouvelle ni dans le film.
Dans la nouvelle,
• c’est l’épouse qui s’occupe de son foyer : elle prend les enfants à l’école, fait les
courses (Extrait 1) … Elle accompagne son défunt époux jusqu’à la mort (c’est en
tout cas, ce que s’imagine Mann – Extrait 2)
• son caractère est à peine esquissé : tout juste sait-on que, si elle s’était trouvée dans
la voiture, elle aurait réagi en tentant d’attirer l’attention de la police (Extrait 3).
• C’est le conducteur du camion qui est supposé avoir eu des problèmes avec son
épouse (Extrait 4)
Extrait 1 : A présent, la route s'étirait droit devant lui. Son bras et ses cuisses caressés par le
soleil, Mann se laissa aller à rêvasser. Que pouvait bien faire Ruth ? Les enfants, bien sûr,
étaient à l'école, et cela pour encore des heures. Peut-être était-elle en courses, comme c'était
son habitude le mardi. Il l'imagina dans le supermarché, en train de remplir son chariot
d'articles divers. Il aurait préféré rester avec elle au lieu de partir pour une autre tournée.
Encore des heures de voiture avant d'arriver à San Francisco. Trois jours à passer là-bas entre
l'hôtel, le restaurant, les contacts espérés et les probables déceptions. Il soupira. Puis, sur une
impulsion, alluma la radio. Il manipula le bouton jusqu'à ce qu'il ait trouvé 30 une station
diffusant de la musique douce, inoffensive. Il se mit à fredonner l'air qui passait, fixant la
route sans vraiment la voir.
Extrait 2 : Il se demanda ce que Ruth aurait pensé de tout ça, comment elle aurait réagi. Sans
doute se serait-elle mise à klaxonner sans arrêt, espérant ainsi attirer l'attention d'un policier. Il
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jeta un coup d'œil renfrogné alentour. Au fait, où se cachaient donc les policiers dans le coin ?
Il ricana. Quels policiers ? Ici, en plein bled ? Un shérif à cheval, c'était sans doute tout ce
qu'on pouvait trouver par ici.
Extrait 3 : La voiture était en train de passer devant un champ de fleurs. Des lilas, reconnut
Mann, des lilas mauves et blancs dont les rangs s'étendaient à perte de vue. Il aperçut au bord
de la route un édicule sur lequel étaient peints les mots FLEURS FRAÎCHES. Sur un
rectangle de carton posé contre la baraque, se détachaient en lettres grossières les mots
ARTICLES FUNÉRAIRES. Mann se vit soudain allongé dans un cercueil, peinturluré comme
un grotesque mannequin. Le parfum entêtant des fleurs lui emplissait les narines. Ruth et les
enfants assis au premier rang, tête basse. Toute la famille...
Extrait 4 : Mann essaya de retrouver son calme et de rationaliser l'incident. C'est peut-être la
chaleur, se dit-il. Ce type a peut-être mal à la tête, ou à l'estomac, ou les deux. Il s'est peut-130
être disputé avec sa femme. Peut-être qu'elle l'a envoyé paître... Mann s'efforça en vain de
sourire. Il pouvait y avoir tellement de raisons. Il éteignit la radio. Cette musique guillerette
lui portait sur les nerfs.
► Film de Spielberg
L’épouse de David Mann et ses enfants apparaissent, à travers une photo qui est calée dans le
revers du protège-soleil. Il est fait également allusion à elle lorsque David Mann imagine son
retour le soir. Mais le seul moment où elle est vue, c’est lorsqu’il l’appelle.
La scène est intéressante à plus d’un titre.
Étude de la scène de l’épouse.
1- Un personnage contraint
David Mann est coincé à la fois psychologiquement et physiquement. L’espace que lui donne
le réalisateur est limité par le mur et le comptoir. Il est sur-cadré [encadrement de la porte puis
hublot de la machine à laver] et son horizon est bouché par la voiture et le camion.
Par ailleurs, le seul endroit qui lui donne un peu d’air (le couloir entre lui et nous, spectateurs)
est, peu après, bouché par la porte de la machine à laver.
2- Un personnage en état d’infériorité
• Il demande pardon à sa femme
• Il a refusé de se battre contre un « rival »
• Il se fait raccrocher au nez
• Son espace est envahi par le bras de la femme. Bras en gros plan qui réduit, par
comparaison, la taille de Mann, le si mal nommé.
• Faut-il voir dans la femme qui lave son linge une figure de la mère (on remarque en
effet qu’elle se penche au moment où l’épouse dit : « c’est ta mère après tout, ce n’est
pas moi qu’elle vient voir ») ? Une mère envahissante dans ce cas là…
Faut-il pour autant faire du film un film féministe, ce serait aller un peu vite en besogne :
après tout, les deux femmes présentes dans la scène sont occupées à des tâches ménagères :
s’occuper des enfants, laver le linge, épousseter les meubles. Nous reviendrons sur cet aspect.
Duel prend conscience d’un changement de situation dans les rapports homme-femme peutêtre, mais le changement n’en est qu’à ses débuts… Les espaces de l’homme et de la femme
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reposent encore sur des schémas convenus : l’homme travaille à l’extérieur du foyer et
rapporte l’argent ; la femme est enfermé dans le cadre du foyer (le format carré de l’image
donne l’impression d’une boîte) et elle s’occupe de l’entretien de la maison. On remarque que
l’extérieur est suggéré uniquement par des tableaux de paysage accroché aux murs.
3- Un espace envahi par les machines
On remarque également que l’espace est envahi par les machines : la voiture, le téléphone, la
machine à laver qui s’impose dans le plan et les jouets [par n’importe lesquels : hélicoptère,
robot] avec lesquels les enfants jouent.
Le monde est déjà un monde technologique où l’homme semble ne plus avoir sa place.
.
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3- Un cadre spatio-temporel
Travail
Rappeler la règle des trois unités.
Montrer que le récit respecte cette règle.
Règle des trois unités : un seul temps, un seul lieu, une seule action.
a- Un seul temps
Spielberg insiste sur l’unité de temps : l’histoire est censée se dérouler en une seule journée.
Elle commence avec le départ de la maison et s’achève avec un plan de nuit.
Bruits de pas : le récit se met en marche en
même temps que le personnage
Départ du garage = départ de l’histoire
La vue subjective est une façon d’embarquer
le spectateur dans l’aventure. Nous
conduisons !
Matin : il n’y a personne dans les rues /
l’émission de radio donne des indications sur
l’état de la circulation et de la météo [le
commentateur insiste sur l’heure du bulletin :
durant « la matinée ».
Le personnage est petit à petit arraché à son
quotidien ; il quitte le monde civilisé.
Fin de la journée.
Le soleil se couche.
Fin d’une journée
Fin d’une époque pour le personnage.
Il n’arrivera pas à l’heure / il prend son
temps : cela signifie qu’il rompt avec
l’autoritarisme de sa femme et s’émancipe de
sa mère ( ?).
Le fondu enchaîné qui clôt la séquence
permet de distinguer deux temps, deux
personnages… comme si Mann devenait
quelqu’un d’autre.
Ce changement de vie est également indiqué
par la mallette siglée « David » qui, parce
qu’elle a servi à maintenir l’accélérateur, est
détruite en même temps que la voiture.
b- Un seul lieu
► Un seul cadre : la route. L’histoire commence avec le départ et se poursuit sur le long
ruban de bitume.
Toutefois cette unité ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas une évolution de ce décor.
►La ville / le désert
Le film apparemment distingue deux lieux :
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9 la ville : monde de la civilisation, avec ses autoroutes, ses tunnels et ses panneaux
indicateurs... Le montage en fondu enchaîné donne l’impression d’une conduite plus
fluide, d’un monde moins brutal que celui de la nature.
A une époque où la ville est considérée comme un monde brutal (cf. films de
Scorsese, de Palma…), Spielberg prend le contre-pied et montre que le désert est
infiniment plus sauvage et violent.
9 le désert (avec son macadam fondu et ses paysages brûlés). Décors naturels dans les
environs de Lancaster et Palmdale, à une centaine de kilomètres de Los Angelos, en
lisière du désert Mojave. Entre ces deux points (LA et le désert Mojave), Soledad
Canyon, aux portes du Pinnacles National Monument. Au fur et à mesure que
l’histoire se déroule la montagne devient de plus en plus nue et finit par devenir un
lieu dur : poussière, chaleur (cf. auréoles de sueur sous les bras ou les traînées dans le
dos), sauvage… Bref un lieu de mort.
Le montage est maintenant cut. Seules les dernières images seront à nouveau
montées en fondu enchaîné.
►Les deux couleurs privilégiées sont le brun et l’ocre des paysages désertiques. On
remarquera que le camion se fond d’autant mieux dans le paysage qu’il a ce type de couleur.
En revanche, la voiture rouge « fait pop » [je reprends ici l’expression de Spielberg et son
commentaire]. Si la marque importait peu aux yeux du cinéaste, en revanche elle devait être
rouge pour être mieux vue, non seulement par les spectateurs mais également par le
conducteur de camion. Par sa couleur, elle donne aussi l’impression de ne pas être à sa place,
d’être un corps étranger.
c- Une seule action
Le film peut se réduire à une seule phrase : un camion tente de détruire une voiture. On ne
trouvera pas plus simple comme pitch !
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4- Un héros vulnérable
Pistes de travail : le masculin et le féminin
Comment sont représentés les hommes dans ce film ?
Comment sont représentées les femmes ?
David Mann est-il un héros ?
Le film est sans doute l’occasion de s’interroger sur la représentation du masculin et du
féminin.
Le film se situe dans les années 70 : l’image de l’homme est encore celle du héros viril, fort,
dominateur, sûr de lui. Celle de la femme reste encore celle de l’épouse, de la mère…
Spielberg montre que le monde est en train de changer. Il déconstruit l’image du masculin et
du féminin.
1- Un univers dévirilisé : une représentation éloignée des standards habituels
Dans le film l’image de l’homme est singulièrement dévirilisée :
9 activités : jouer de la pompe à vélo ; jouer de la lime ; jouer C’est un grand jour pour
l’Irlande avec un suceur d’aspirateur. Tous les objets renvoient aux activités
ménagères.
9 statut : l’homme n’est pas le chef de famille / « c’est la femme qui porte le pantalon » /
« c’est vous le patron ! » « Non c’est ma femme ».
9 physiquement : les hommes sont atteints dans leur intégrité physique.
o Le mécano boite
o Des hommes âgés lors de l’accident
o Présence des deux garçons dans le foyer de David Mann. David n’est-il pas le
troisième ?
o David Mann dont le nom est presque ironique, n’est pas au début considéré
comme un vrai homme : il refuse de défendre sa femme. Son corps est si
réduit qu’il entre dans le hublot de la machine à laver.
9 Les femmes apparaissent ou plus grandes ou plus fortes devant le danger. Ainsi voiton l’une d’entre elles élever des serpents.
2- David Mann
a- effets d’ironie
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Matheson et Spielberg usent de l’ironie vis-à-vis du personnage.
Son nom semble être une antiphrase : le « man » n’a rien d’un héros. Au contraire, il semble
bien loin des valeurs viriles telles qu’elle domine encore dans la société des années 60-70..
.
b- personnage impuissant
Le personnage principal n’a rien du héros masculin habituel.
9 Il est dominé par les personnages féminins : sa femme qui le rabroue au téléphone et
lui raccroche au nez ; sa mère [on notera qu’il n’est pas question du père]
9 La femme qui lave le linge semble immense par rapport à lui. Elle le dérange alors
qu’il adopte un position plus virile (les pieds sur le comptoir) ; elle le supprime même
de l’image quand elle ouvre le hublot !
9 Il n’ose pas demander de ketchup à la serveuse.
9 Au bar, il se retrouve dans un univers rose-bonbon, avec des bouquets de fleurs autour
de lui… [cf. photogramme]
Son rapport aux autres (notamment aux hommes) est problématique :
9 Il n’ose pas aller discuter avec les hommes attablés au bar. Il est velléitaire
9 Il ne sait pas se battre (alors qu’il s’attaque à un routier à tort, il est jeté à terre sans
ménagement)
9 Episode du car scolaire : il est obligé d’aider à pousser le car sans avoir donné son
accord ; les enfants ne lui obéissent pas quand il leur ordonne de descendre de la
voiture ou de ne pas aller sur la route [chez Spielberg, le regard des enfants est
toujours important/il faut faire bonne impression sur eux].
9 L’impuissance de sa voiture est symptomatique de sa propre impuissance.
9 Notons qu’il boit de l’eau quand tout le monde boit de la bière. Dans la nouvelle, il
boit de la bière.
c- un personnage contraint
Dans la première partie du film, le personnage est contraint. Il est constamment pris dans des
espaces qui l’enferment ou l’asphyxient.
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En même temps dès qu’il sort de ce cadre, il est sous la menace du camion. Le cadre devient
un lieu inquiétant.
On retrouve une idée défendue par Jean-Baptiste Thoret : alors que dans les années 50/60 le
cadre était le lieu protecteur [le foyer] dans lequel l’homme se sentait protégé des dangers
extérieurs [Indien, alien,…], dans le cinéma du nouvel Hollywood le cadre est devenu
inquiétant. La menace n’est plus extérieure, mais intérieure.
3- Se découvrir
Le film peut être vu également comme un récit d’initiation.
Mann découvre qui il est, à travers une succession d’épreuves. On pourrait faire une
comparaison avec le conte et assimiler le désert et la route à la forêt.
A la fin du film, Mann s’est révélé ; il a aussi découvert la sauvagerie qui était en lui.
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5- Réalisme ou fantastique ?
Piste de travail
Rappeler la définition du fantastique. Distinguer fantastique et merveilleux.
Montrer que le film est un film fantastique. Retrouver les procédés du fantastique.
Travail sur les échelles
Une créature surdimensionnée
Deux univers en concurrence
1- Un monde réel et quelques détails étranges
Le fantastique est l’intrusion d’un élément étrange dans le monde réel.
Le cadre dans lequel se trouve Mann est réaliste : foyer, bars, véhicules…
Toutefois, rapidement, Spielberg introduit des éléments bizarres :
• L’homme qui joue de la viande. Plaisanterie ? Bizarrerie ?
• Un vieil homme étrange qui ne dit rien et se contente de regarder Mann après que ce
dernier a percuté la barrière.
2- Un travail sur les échelles et sur les axes
• Paysage prend des proportions imposantes et donc inquiétantes. Tout peut advenir
dans un espace où l’homme semble minuscule et esseulé.
• Objets eux-mêmes deviennent immenses : le hublot de la machine à laver, le billard
qui est aussi une métaphore du film (on assiste à un carambolage de boules comme de
voitures) : l’homme est relégué au second plan au profit de l’objet.
3- Une question de regard
a- Le jeu avec les lunettes
Même si David Mann porte des lunettes, il semble malgré tout avoir des problèmes de vue :
• il éprouve le besoin d’essuyer ses lunettes
• le mécanicien lui nettoie son pare-brise. Ce qui l’empêche – ironie ! – de voir
clairement le chauffeur du camion garé près de sa voiture…
• il s’essuie les yeux après l’accident
• quelque chose (un bras, un visage, de la fumée…) fait obstacle entre lui et le monde
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b- Un objet : le rétroviseur
Le rétroviseur permet d’abord de souligner le regard de Mann.
Mais c’est aussi un moyen d’activer et de convoquer le hors-champ.
• Pour le conducteur, il permet de voir hors-champ
• Pour le cinéaste, il permet d’intégrer le hors champ dans le champ et donc d’imposer
le camion dans l’espace presque privée (la voiture) de Mann.
• Il intègre le monstre (fantastique) dans l’espace intime (réaliste) de Mann. Il favorise
le surgissement du monstre dans le quotidien.
4- Présence de monstre
a) Les monstres
Le fantastique introduit souvent des monstres dans l’univers réaliste.
Spielberg montre trois types de monstre dans son film
™ les monstres réels : serpents, mygales [comme dans le conte, encore une fois !]
™ les monstres d’enfants : le robot avec lequel les enfants jouent [les monstres sont déjà
dans les espaces privés]
™ le monstre animé : le camion. L’assimilation au monstre est d’autant plus facile que :
o la morphologie du camion s’y prête.
o Spielberg utilise, en outre, tous les moyens pour le sur-dimensionner,
indépendamment de sa taille déjà importante [exemple 21’]
ƒ gros plan (devant, roue) qui fait du phare un œil et de la calandre une
gueule.
ƒ gros plan dans le rétroviseur comme si le cadre ne pouvait le contenir
totalement.
ƒ courte focale qui allonge la gueule du camion et lui donne une vélocité
supérieure, de sorte qu’on a l’impression qu’il fond sur sa proie.
ƒ contrechamp impersonnel. Le contre champ est toujours donné du point
du vue du camion, jamais du conducteur.
o le camion semble doué d’une voix, avec le klaxon et surtout lorsqu’il tombe
dans le ravin. Spielberg a voulu mettre un hurlement de type Godzilla sur les
images. Il reprendra d’ailleurs ce hurlement sur les images finales des Dents de
la mer.
o Identité flottante. La scène du bar est importante car Mann n’a que de
médiocres indices pour retrouver le conducteur de camion. Cela peut être
n’importe qui et donc… nous aussi [Important : à la fin du film, nous sommes,
pour la première et seule fois, à la place du conducteur du camion !].
Rappelons que le monstre, en son sens latin, montre une vérité. Il est un
signe…
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5- Homme civilisé, homme sauvage ou machine ?
Le film de Spielberg ne cesse de mettre les deux créatures à l’écran. Deux raisons :
• le camion (la machine) devient l’obsession de Mann
• les deux se trouvent mis en concurrence
La machine comme une créature vivante, notamment au moment de sa mort [séquence de la
mort] / à rapprocher des Dents de la mer.
1. Pour la première fois, nous sommes dans le camion avec le conducteur
2. Hurlement
3. Se tordre de douleur
4. Denier souffle [le ventilateur qui s’arrête, qui va s’arrêter (?)]. Le papier est-il une façon
de nous dire que le conducteur était réellement dans le bar où Mann s’est arrêté. ?
5. Dernière goutte de sang [est-du sang ? du gas-oil ? / confusion entretenue par la caméra]
Mann lui-même, malgré son nom, a une humanité problématique :
• Cf. sa démarche titubante que la caméra supplée.
• Son incapacité à changer de vitesse au volant de sa voiture. Il avoue qu’il revient
toujours à la même vitesse comme s’il était réglé.
• Son attitude finale : il consent à tuer et la danse qu’il effectue n’est pas sans rappeler
celle de sauvages après avoir tué leurs ennemis.
6- Et le spectateur…
Le film pose la question de notre place, de notre peur et de notre plaisir.
Nous avons, en effet, peur de ce qui arrive à Mann, mais force est de reconnaître que nous
éprouvons aussi du plaisir.
Notre place devient dès lors problématique : nous sommes quasiment toujours avec Mann
(nous conduisons même sa voiture au début), mais nous nous retrouvons dans le camion, à la
place du conducteur, lors de la scène finale. Spielberg nous identifie à la fois au conducteur de
la voiture pourchassée et à celui du camion criminel !
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6- Intertextualité et texte complémentaire
Travail
Lire les documents.
Quels rapprochements possibles entre David, Godzilla et les personnages du film ?
a- David contre Goliath
David = nom du personnage / jeu sur les échelles
Samuel : 17- 4 Un homme sortit alors du camp des Philistins et s`avança entre les deux armées. Il se nommait
Goliath, il était de Gath, et il avait une taille de six coudées et un empan. 5 Sur sa tête était un casque d`airain, et
il portait une cuirasse à écailles du poids de cinq mille sicles d`airain. 6 Il avait aux jambes une armure d`airain,
et un javelot d`airain entre les épaules. 7 Le bois de sa lance était comme une ensouple de tisserand, et la lance
pesait six cents sicles de fer. Celui qui portait son bouclier marchait devant lui. 8 Le Philistin s`arrêta; et,
s`adressant aux troupes d`Israël rangées en bataille, il leur cria: Pourquoi sortez-vous pour vous ranger en
bataille? Ne suis-je pas le Philistin, et n`êtes-vous pas des esclaves de Saül? Choisissez un homme qui descende
contre moi! 9 S`il peut me battre et qu`il me tue, nous vous serons assujettis; mais si je l`emporte sur lui et que je
le tue, vous nous serez assujettis et vous nous servirez. 10 Le Philistin dit encore: Je jette en ce jour un défi à
l`armée d`Israël! Donnez-moi un homme, et nous nous battrons ensemble. 11 Saül et tout Israël entendirent ces
paroles du Philistin, et ils furent effrayés et saisis d`une grande crainte. 12 Or David était fils de cet Éphratien de
Bethléhem de Juda, nommé Isaï, qui avait huit fils, et qui, du temps de Saül, était vieux, avancé en âge. 13 Les
trois fils aînés d`Isaï avaient suivi Saül à la guerre; le premier-né de ses trois fils qui étaient partis pour la guerre
s`appelait Éliab, le second Abinadab, et le troisième Schamma. 14 David était le plus jeune. Et lorsque les trois
aînés eurent suivi Saül, 15 David s`en alla de chez Saül et revint à Bethléhem pour faire paître les brebis de son
père. 16 Le Philistin s`avançait matin et soir, et il se présenta pendant quarante jours. 17 Isaï dit à David, son fils:
Prends pour tes frères cet épha de grain rôti et ces dix pains, et cours au camp vers tes frères; 18 porte aussi ces
dix fromages au chef de leur millier. Tu verras si tes frères se portent bien, et tu m`en donneras des nouvelles
sûres. 19 Ils sont avec Saül et tous les hommes d`Israël dans la vallée des térébinthes, faisant la guerre aux
Philistins. 20 David se leva de bon matin. Il laissa les brebis à un gardien, prit sa charge, et partit, comme Isaï le
lui avait ordonné. Lorsqu`il arriva au camp, l`armée était en marche pour se ranger en bataille et poussait des cris
de guerre. 21 Israël et les Philistins se formèrent en bataille, armée contre armée. 22 David remit les objets qu`il
portait entre les mains du gardien des bagages, et courut vers les rangs de l`armée. Aussitôt arrivé, il demanda à
ses frères comment ils se portaient. 23 Tandis qu`il parlait avec eux, voici, le Philistin de Gath, nommé Goliath,
s`avança entre les deux armées, hors des rangs des Philistins. Il tint les mêmes discours que précédemment, et
David les entendit. 24 A la vue de cet homme, tous ceux d`Israël s`enfuirent devant lui et furent saisis d`une
grande crainte. 25 Chacun disait: Avez-vous vu s`avancer cet homme? C`est pour jeter à Israël un défi qu`il s`est
avancé! Si quelqu`un le tue, le roi le comblera de richesses, il lui donnera sa fille, et il affranchira la maison de
son père en Israël. 26 David dit aux hommes qui se trouvaient près de lui: Que fera-t-on à celui qui tuera ce
Philistin, et qui ôtera l`opprobre de dessus Israël? Qui est donc ce Philistin, cet incirconcis, pour insulter l`armée
du Dieu vivant? 27 Le peuple, répétant les mêmes choses, lui dit: C`est ainsi que l`on fera à celui qui le tuera.
28 Éliab, son frère aîné, qui l`avait entendu parler à ces hommes, fut enflammé de colère contre David. Et il dit:
Pourquoi es-tu descendu, et à qui as-tu laissé ce peu de brebis dans le désert? Je connais ton orgueil et la malice
de ton coeur. C`est pour voir la bataille que tu es descendu. 29 David répondit: Qu`ai-je donc fait? ne puis-je pas
parler ainsi? 30 Et il se détourna de lui pour s`adresser à un autre, et fit les mêmes questions. Le peuple lui
répondit comme la première fois. 31 Lorsqu`on eut entendu les paroles prononcées par David, on les répéta
devant Saül, qui le fit chercher. 32 David dit à Saül: Que personne ne se décourage à cause de ce Philistin! Ton
serviteur ira se battre avec lui. 33 Saül dit à David: Tu ne peux pas aller te battre avec ce Philistin, car tu es un
enfant, et il est un homme de guerre dès sa jeunesse. 34 David dit à Saül: Ton serviteur faisait paître les brebis de
son père. Et quand un lion ou un ours venait en enlever une du troupeau, 35 je courais après lui, je le frappais, et
j`arrachais la brebis de sa gueule. S`il se dressait contre moi, je le saisissais par la gorge, je le frappais, et je le
tuais. 36 C`est ainsi que ton serviteur a terrassé le lion et l`ours, et il en sera du Philistin, de cet incirconcis,
comme de l`un d`eux, car il a insulté l`armée du Dieu vivant. 37 David dit encore: L`Éternel, qui m`a délivré de
la griffe du lion et de la patte de l`ours, me délivrera aussi de la main de ce Philistin. Et Saül dit à David: Va, et
que l`Éternel soit avec toi! 38 Saül fit mettre ses vêtements à David, il plaça sur sa tête un casque d`airain, et le
revêtit d`une cuirasse. 39 David ceignit l`épée de Saül par-dessus ses habits, et voulut marcher, car il n`avait pas
encore essayé. Mais il dit à Saül: Je ne puis pas marcher avec cette armure, je n`y suis pas accoutumé. Et il s`en
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débarrassa. 40 Il prit en main son bâton, choisit dans le torrent cinq pierres polies, et les mit dans sa gibecière de
berger et dans sa poche. Puis, sa fronde à la main, il s`avança contre le Philistin. 41 Le Philistin s`approcha peu à
peu de David, et l`homme qui portait son bouclier marchait devant lui. 42 Le Philistin regarda, et lorsqu`il
aperçut David, il le méprisa, ne voyant en lui qu`un enfant, blond et d`une belle figure. 43 Le Philistin dit à
David: Suis-je un chien, pour que tu viennes à moi avec des bâtons? Et, après l`avoir maudit par ses dieux, 44 il
ajouta: Viens vers moi, et je donnerai ta chair aux oiseaux du ciel et aux bêtes des champs. 45 David dit au
Philistin: Tu marches contre moi avec l`épée, la lance et le javelot; et moi, je marche contre toi au nom de
l`Éternel des armées, du Dieu de l`armée d`Israël, que tu as insultée. 46 Aujourd`hui l`Éternel te livrera entre
mes mains, je t`abattrai et je te couperai la tête; aujourd`hui je donnerai les cadavres du camp des Philistins aux
oiseaux du ciel et aux animaux de la terre. Et toute la terre saura qu`Israël a un Dieu. 47 Et toute cette multitude
saura que ce n`est ni par l`épée ni par la lance que l`Éternel sauve. Car la victoire appartient à l`Éternel. Et il
vous livre entre nos mains. 48 Aussitôt que le Philistin se mit en mouvement pour marcher au-devant de David,
David courut sur le champ de bataille à la rencontre du Philistin. 49 Il mit la main dans sa gibecière, y prit une
pierre, et la lança avec sa fronde; il frappa le Philistin au front, et la pierre s`enfonça dans le front du Philistin,
qui tomba le visage contre terre. 50 Ainsi, avec une fronde et une pierre, David fut plus fort que le Philistin; il le
terrassa et lui ôta la vie, sans avoir d`épée à la main. 51 Il courut, s`arrêta près du Philistin, se saisit de son épée
qu`il tira du fourreau, le tua et lui coupa la tête. Les Philistins, voyant que leur héros était mort, prirent la fuite.
b- Godzilla
Le camion est assimilé par Spielberg à Godzilla.
Fiche wikipédia :
Godzilla (Gojira (ゴジラ?) est un monstre du cinéma japonais et figure emblématique de la
culture populaire. Crée par Tomoyuki Tanaka et le studio Toho, il a révolutionné le genre des
Kaijû, (films de monstres géants) à partir de 1954. La thématique de la saga exploite les
thèmes écologiques et la peur du nucléaire dans un Japon d'après-guerre traumatisé par les
bombardements.
Dans les vingt-huit films de la saga cinématographique produits entre 1954 et 2004 - et autant
de comics, séries et jeux vidéo - Godzilla est tantôt vu comme une menace pour l'humanité,
tantôt allié des hommes contre des ennemis extra-terrestres.
c- Le western ou le film de chevaliers
• Les plaques sur le camion sont comparées par Spielberg lui-même aux marques de
cow-boy sur leur colt
• Le duel / la confrontation notamment lorsque Mann remet sa ceinture de sécurité et
ajuste ses lunettes. Les deux combattants entre en lices.
d- Texte argumentatif
Jean-Michel Besnier, L’Humain et la machine
Il est aisé de constater combien les Modernes que nous pensons être, habités naturellement du
désir d’autonomie, excellent à s’enchaîner aux automates de tous poils et à réclamer les
robots qui les délivreront du souci de décider. Le constat est banal. La réalité n’en est pas
moins toujours surprenante : avez-vous besoin de solliciter quelque service ? Il vous faudra
vous plier aux commandes de programmes destinés à reconnaître la forme de votre visage (ne
souriez pas sur la photo, cela déroute la machine) ou à identifier votre voix et vos empreintes
(surtout ménagez votre mécanique corporelle afin qu’elle livre les signes attendus). Que de
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masochisme chez l’utilisateur du téléphone contraint à appuyer sur les touches qu’on lui dicte,
à entrer dans les cases ou à utiliser les mot-clés prédéterminés par on ne sait quel ingénieur
réfractaire aux adjectifs, à l’humour et aux figures de rhétorique !
On croit que l’automate imite l’humain. Mais l’homme a bel et bien toujours commencé par
se laisser décrire comme un automate […] Résultat : aujourd’hui, nous nous demandons où
loger ce qui nous reste d’humanité. On aurait aimé que ce fût dans le langage. Las, chaque
jour nous invite un peu plus à le débarrasser de ce qui complique les procédures de
numérisation. […] Il n’est désormais de symbole que mathématique, c’est-à-dire numérisable
et implémentable sur des machines. Le temps est révolu où l’on pouvait encore mettre en
regard le travail et la parole comme les deux ingrédients de toute vie humaine – le premier
assurant les impératifs de la subsistance, la seconde honorant les exigences de la liberté.
Triomphe de l’unidimensionnel […] : en pénétrant votre quotidien en vertu de cette efficacité
avec laquelle vous ne sauriez plus rivaliser, les machines ont assuré à la logique du travail sa
pleine hégémonie.
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