La polémique sur le téléchargement dans le projet de loi DADVSI
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La polémique sur le téléchargement dans le projet de loi DADVSI
La polémique sur le téléchargement dans le projet de loi DADVSI I. Un projet de loi malmené Le projet de loi sur « le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information », se devait de transposer la directive européenne du 22 mai 2001. Directive prévoyant une harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins dans la société l’information et l’insertion en droit interne de certaines dispositions des Traités OMPI datant de 1996. Pour l’essentiel, cette directive harmonise les droits de reproduction, de distribution, de communication des différentes œuvres ainsi que leurs exceptions. Deux exceptions, l’une facultative et l’autre obligatoire sont envisagées de manière impérative dans le projet de loi. La copie technique sur les serveurs, afin de faciliter le fonctionnement du réseau Internet, (obligatoire), ainsi que le reformatage des œuvres en vue d’un meilleur accès au profit des personnes affectées d’un handicap (facultative), qui pourront dorénavant être effectués sans l’autorisation des ayants droits. L’insertion de ces mesures en droit interne par l’intermédiaire du projet de loi DAVSI a fait l’objet d’un cafouillage politique, qui ne s’achèvera qu’en mai, après l’examen et le vote par le sénat. La difficulté de transposition de cette directive témoigne de l’embarras que suscitent les nouvelles technologies dans la société de l’information. A. Présentation de la loi Initialement, un projet de loi avait été déposé à l’Assemblée nationale le 12 novembre 2003. Oublié sous un tas d’autres projets de loi, une mise en demeure de la Cour de Justice des Communautés Européennes suivi d’une condamnation de la France le remet à l’ordre du jour. Sous peine d’être condamné à une astreinte prononcée par la CJCE, le gouvernement décide que le projet serait examiné en urgence début décembre 2005. Comme énoncé précédemment, le projet de loi ne transpose en droit interne que deux exceptions nouvelles concernant, la copie technique et le reformatage en faveur des personnes handicapées. Également, l’insertion d’un test en trois étapes1, afin de valider l’application de l’exception de copie privée, que la jurisprudence utilise déjà, et mis en place par les traités de l’OMPI de 1996 : - il ne doit s’agir que de cas spéciaux - elle ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre - elle ne doit pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits. Un nouveau point de départ du calcul de la durée des droits voisins est envisagé par le chapitre 2, quand au chapitre 3, il introduit des sanctions contre les crackers qui feraient sauter les verrous techniques des œuvres, et les modalités de ces mesures techniques de protection, mais encore plaide en faveur de l’interopérabilité des baladeurs MP3 et autres supports hybrides. Un Collège de médiateurs sera chargé de déterminer le nombre de copies possibles et de régler les éventuels litiges entre utilisateurs et ayants droits. Finalement, ce projet tel qu’il est présenté le 21 décembre 2005 devant l’Assemblée nationale, vise à protéger les droits exclusifs des ayants droits, et à lutter contre le piratage des œuvres, qui a pris de telles proportions que les majors dans le secteur de la musique, estiment la perte de leur chiffre d’affaire entre 2004 et 2005 à -2,7%en France pour une moyenne mondiale de 6%2. Il s’agissait donc de voter en faveur de l’introduction de sanctions contre le téléchargement illégal, l’introduction de mesures techniques protégeant les œuvres, en vue d’enrayer la contrefaçon domestique. En résumé, le débat relatif au statut de la copie privée en tant que droit ou exception, est sur la sellette. 1 Voir en ce sens note de la décision CA Paris, 4ème ch., 22 Avril 2005, Mulholland Drive, CASTETS- RENARD C., « Le retour en grâce de la copie privée », Recueil Dalloz, 2005, n°23, p1573, également, note de CA Montpellier, 10 Mars 2005, Aurélien D., CARON Ch., « Le téléchargement d’œuvres protégées entre contrefaçon et copie privée », JCP/ La semaine juridique, éd. Générale, n°24, 15 Juin 2005, p1130. 2 GRANDMAISON P., « INTERNET le téléchargement comment ça marche », Le Figaro magazine, 21 Janvier 2006, p.28. B. La polémique autour du téléchargement Le cœur du projet de loi, et tout son enjeu se situent autour du choix de société qui va devoir être effectué. En effet, le suspense réside dans le fait de savoir si les députés vont ériger le statut de la copie privée en tant que droit, ou en faire un réelle exception effective par l’insertion de mesures technique notamment permettant de la conforter, sous entendu céder au lobbying des majors. Le téléchargement d’une œuvre consiste à copier une œuvre à partir d’un support numérique vers un autre support. Selon le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), dans le cadre de prérogatives patrimoniales des ayants droits, toutes les reproductions ou utilisations doivent être soumises à leur autorisation préalable, sous peine d’être illicites1. Il existe néanmoins des exceptions à ce droit exclusif, notamment l’exception de copie privée2, qui ne concerne pour être licite que des « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ». Face au développement de logiciels de partage, mieux connus sous le nom de logiciels peer-to-peer, les procès contre les internautes se sont multipliés, initiés par les majors et les sociétés de répartition de droits, invoquant la contrefaçon des œuvres par l’intermédiaire de ces plateformes, qui, selon eux mettraient en péril l’avenir de la création. La jurisprudence a évolué dans sa position face à la condamnation ou non des internautes qui piratent les œuvres. Un premier temps a consisté à condamner les internautes pour délit de contrefaçon, l’élément légal étant constitué par l’acte de reproduction et de représentation3. Il se voyait condamné au titre des ces deux éléments qui se confondaient. Dans un deuxième temps, une distinction s’est opérée pour le juge. En effet, il va effectuer une séparation des deux actes1. Il différencie l’acte d’upload2 de celui de download3. 1 Article L. 122-4 CPI. Article L. 122-5 CPI. 3 TGI Pontoise 6ème ch., 2 Février 2005, « (…) L’élément légal consiste en le transfert de programmes ou de données d’un ordinateur vers un autre. (…) Il s’agit d’un acte de reproduction, chaque fichier d’une œuvre numérisée étant copié pour être stocké sur le disque dur de l’internaute qui le réceptionne et d’un acte de représentation consistant dans la communication de l’œuvre au public par télédiffusion »., Recueil Dalloz, 2005, n°21, p.1435. 2 Si bien que l’internaute qui ne fait que télécharger sans mettre en partage est immunisé par l’exception de copie privé, en revanche lorsqu’un acte d’uploading est réalisé, il ne s’agit plus du cercle de famille et l’internaute est condamné au titre de la violation du droit de représentation. Mais un troisième temps, vient modifier encore une fois la jurisprudence. En effet, l’internaute qui effectue un acte de représentation est relaxé dans cette affaire4. Les juges instituent une présomption de bonne foi au profit de l’internaute, « il n’existe aucune présomption de mauvaise foi du fait du recours à un logiciel de partage ni aucune présomption de refus de mise en partage des ayants droits d’œuvres musicales ». Les internautes ne bénéficieraient pas suffisamment d’informations concernant les droits attachés aux œuvres, « le logiciel Kazaa ne permet pas de distinguer les fichiers d’œuvres selon leur catégorie juridique ». Ce jugement, qui précède le vote du projet de loi DADVSI, traduit le flou juridique dans lequel se trouvent les juges, qui préfèrent certainement attendre l’orientation que donnera la loi vis-à-vis de la copie privée, en relaxant l’internaute. Car, telle est l’interrogation qui subsiste : le téléchargement par l’intermédiaire des offres non légales va t’il être légalisé, ou sera-t-il puni ? La rumeur d’une licence légale commence à être murmurée dans les couloirs, pendant que le gouvernement lui parle de riposte graduée. 1 CA Montpellier, 10 Mars 2005, Aurélien D., JCP/ La semaine juridique, éd. Générale, 15 juin 2005, n°24, p.1130. 2 Uploading : lorsqu’un tiers utilisateur peut prélever sur notre propre dur une œuvre, car il est mis en partage avec les autres utilisateurs, c’est un acte de représentation. 3 Downloading : lorsque l’on télécharge, c’est un acte de reproduction. 4 TGI Paris, 31èmè ch.,8 décembre 2005, Monsieur G. Anthony c/ SCPP, Juriscom.net. II. Un projet de loi modifié Dans quel sens votera l’Assemblée Nationale. Tel est le suspense qui plane au dessous des créateurs, des artistes, des consommateurs. Car les intérêts qui gravitent autour de tout ce petit monde, sont largement divergents par conséquent difficilement conciliables. De plus, l’on peut s’interroger sur la réelle opportunité de la loi compte tenu de l’ardeur technique de sa mise en œuvre. Également, certaines dispositions avaient déjà été transposées en droit interne notamment par la loi du 21 juin 2004 « loi pour la confiance dans l’économie numérique » instaurant un référé au CPI, de même qu’un Charte a été signé entre le gouvernement et les FAI, afin d’instaurer une coopération. En outre, la jurisprudence avait déjà commencé à interpréter des dispositions de la directive en essayant d’apporter un éclaircissement sur l’application du test en trois étapes, l’insertion de mesures techniques. De plus, il est fort dommage que la directive ne traite pas des nouveaux enjeux introduits par les NTIC mais surtout par la pratique de celles-ci. En effet, le projet de loi tel qu’il est rédigé ne traite pas des réels enjeux auxquels le droit d’auteur se trouve confronté. A. La polémique du téléchargement Coup de théâtre lors du vote du projet de loi dans la nuit du 21 décembre 2005, les députés votent en faveur de la licence légale ou globale. Celle-ci vise à créer un prélèvement forfaitaire sur les abonnements à Internet en échange d’un téléchargement illimité. Cela revient à légaliser le téléchargement sur Internet, à partir de n’importe quelle plateforme alors que le gouvernement, et la Commission chargée du projet de loi y sont radicalement opposés. Car, l’objectif principal du projet de loi, était bien d’enrayer le piratage des œuvres sur Internet. Bref, la licence globale est tout le contraire et provoque un débat national. En fait, les députés se sont aperçus qu’en votant en faveur de la sanction contre les internautes pirates, cela mettrait 10 millions1 de Français dans l’illégalité, parmi lesquels leurs enfants et leurs petits enfants, voir eux-mêmes. Le gouvernement bât en retraite, et suspend le vote de la loi, le temps de trouver une solution. La contre attaque s’organise et l’opinion publique est mobilisée. RDDV doit non seulement rassembler ses troupes au sein de son parti, mais aussi convaincre l’opinion publique et les dissidents du bien fondé des dispositions de son projet. Apparitions télévisées, articles de journaux2, forum Internet3, tous les moyens de communications sont mobilisés afin de soutenir son effort de persuasion. Les titres des quotidiens ne tarissent d’ailleurs pas d’éloges face à ce « couac politique4 », ou parlent de« (…) mauvaise copie du gouvernement 5»ou encore,lors de la reprise des débats en mars, de « farce du téléchargement6 ». Face à ces déboires, M. De Villepin, M. Sarkosy et même Le Président de la République M. Chirac s’en mêlent. « C’est désormais le premier ministre qui pilote ce dossier ultrasensible7 », « Sortie de la répression et lutte contre les logiciels de téléchargement : Jacques Chirac a redéfini hier l’équilibre de la loi sur les droits d’auteur8 ». « Donnedieu de Vabres et Sarkozy sur la même longueur d’onde 9». Il semble impensable pour les gouvernants et les producteurs de laisser adopter la licence légale car cela reviendrait à « enterrer rapidement l’industrie du disque et du cinéma10 » selon certains hommes politiques. De plus, nos voisins européens ont optés pour l’adoption de mesures répressives afin d’enrayer la contrefaçon domestique. Cela amoindrirait 1 VULSER N., « Téléchargement l’invraisemblable cafouillage », Le Monde, Dimanche 26- Lundi 27 mars 2006, p.16. 2 Á titre d’exemple, DONNEDIEU DE VABRES R., « Internet doit être libre pour le consommateur mais équitable avec les auteurs », Le Figaro, Mercredi 8 mars 2006, p.16. Mais aussi, Propos recueillis par S.A et D.B, « Je ne suis à la solde d’aucun lobby », Un entretien avec Renaud Donnedieu de Vabres, Ministre de la culture, Le Nouvel Observateur, 19-25 Janvier 2006, p. 64. 3 TORREGANO E., « Renaud Donnedieu de Vabres invite à débattre en ligne », Le Figaro économie, Vendredi 10 février 2006, p.22. 4 PERRAULT G., « Droits d’auteur : le récit d’un couac politique », Le Figaro économie, Samedi 24- Dimanche 25 décembre 2005, p. 24. 5 NORA D., « Disques : la mauvaise copie du gouvernement », Le Nouvel Observateur, 5-11 Janvier 2006, p. 60. 6 ALBERGANTI M., « La farce du téléchargement », Le Monde, Mercredi 8 mars 2006, p.2. 7 GONZALÈS P., « Matignon limite les sanctions contre les pirates de la musique », Le Figaro économie, Vendredi 20 Janvier 2006, p. 26. 8 GONZALÈS P., « Les internautes plus libres mais pas absous », Le Figaro économie, Vendredi 6 Janvier 2006, p. 30. 9 GONZALÈS P., « Donnedieu de Vabres et Sarkozy sur la même longueur d’onde », Le Figaro économie, Vendredi 13 Janvier 2006, p.28. 10 VULSER N., « Téléchargement l’invraisemblable cafouillage », Le Monde, Dimanche 26-Lundi 27 Mars 2006, p.16. considérablement la portée de l’harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, car, avec l’avènement des nouvelles technologies, la circulation des œuvres ne connaît plus de frontières. Le gouvernement saura-t-il trouver un terrain d’entente. B. Inopportunité des mesures adoptées Le vote de la loi est ainsi reporté pour le mois de Mars 2006. Malgré les efforts de communication du gouvernement, les députés ont le sentiment que le projet a été adopté de force sans réel consensus. Finalement, l’article 8 garantissant l’exception pour copie privée a été adopté, jetant aux oubliettes la licence globale. Le Collège de Médiateurs aura pour soin de définir le nombre de copies autorisées par support1. Sur la question des sanctions, le gouvernement a choisi la solution progressive. L’internaute qui télécharge illégalement sera condamné à payer une amende de 38 euros. L’utilisateur de logiciels mis à sa disposition devra payer une amende de 750 euros, le hacker 3.750 euros, et le fournisseur de moyens de contournement 6 mois de prison et 30.000 euros d’amende2. Une question, et non des moindres, reste néanmoins en suspend, les modalités d’application de la loi. Comment le gouvernement mettra t-il en place ces mesures ? La surveillance de la toile nécessite des moyens colossaux, mais surtout l’identification des réels fraudeurs. Car il est facile d’utiliser une fausse adresse IP, afin de biaiser l’authentification de l’origine des actes frauduleux. Quid également de la protection de la liberté individuelle, et du débat relatif aux données personnelles ? De plus, si des mesures sont prises concernant un site permettant une utilisation illégale du service mis à disposition des internautes, ou de logiciel non autorisés, comment bloquer l’accès à ces sites sans restreindre l’accès à Internet. Il faut aussi se rendre à l’évidence, si l’on bloque l’accès à un site, ou l’on interdit une forme de logiciel, ils renaîtront aussitôt ailleurs. 1 ENGUÉRAND R., « Droits d’auteur : le texte avance dans la cacophonie », Les Echos, Vendredi 17- Samedi 18 Mars 2006, p.23. 2 Ibid. Ainsi, avant même d’être adoptées pleinement, l’on peut déjà légitimement douter de l’efficacité de ces mesures compte tenu, notamment, des difficultés d’application auxquelles elles seront confrontées. Mais surtout cette loi n’apporte rien au droit d’auteur. Elle ne fait que compliquer sa lecture. En effet, il aurait été judicieux de redéfinir les contours de la notion d’œuvre et notamment d’oeuvre multimédia, de la notion d’auteur, car compte tenu de l’interactivité qu’offre les nouvelles technologies, l’identification des auteurs est de plus en plus complexe. De sorte que ce projet de loi n’apporte rien au droit d’auteur, à son essence, ce coup d’épée dans l’eau ne tient compte que des caprices de l’industrie. En aucun cas, cette réflexion ne sert les auteurs et la philosophie des droits qui leurs sont consacrés. Il aura fallut attendre le vote de la loi par le sénat pour qu’enfin l’auteur ait la faculté de mettre à disposition ses œuvres sur Internet sans préjudices à d’autres droits1. Le vote par le sénat insère également quelques modifications. Au collège de médiateur se substitut une autorité de régulation compétente pour les questions relatives à la copie privée et à l’interopérabilité (article 9), ou encore l’application des contraventions uniquement aux copies faites à partir de logiciels d’échange de pair à pair (article 14 bis). Verra t-on la fin de cette épopée législative, qui, cinq ans après l’adoption de la directive, ne parvient pas à un consensus. Certainement, parce que d’aucuns ne parvient à saisir la réelle opportunité de ce projet de loi pour la propriété littéraire et artistique. 1 http://www.senat.fr/dossierleg/ts/ts_pjl05-269_1.html. article 1er bis.