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 Les Chroniques de WatermaelBoitsfort sont éditées par
Chroniques de
watermael-Boitsfort
Nouvelle série n° 26 - mars 2014
Éditeur responsable
Jean-Jacques Van MoL
avenue Marie-clotilde n°6
Sommaire
Éditorial
Éditorial .................................................................. p 1
Les élections communales : les années Payfa-fossePrez p 2
Édouard Léon Philippe DewoLfs .............................. p 6
Propos sur la frontière linguistique .......................... p 7
Une boucherie rue du Bien-faire ............................ p 15
entretien avec Philippe MoUthUy ............................ p 16
entretien avec Louis schatteMan ......................... p 18
L’autre panorama du « fer à cheval » en 1927 ...... p 22
anthurium watermaelensis .................................... p 24
avec cette première livraison de cette année 2014, je tiens à
vous remercier pour votre fidélité. Vous êtes en effet plus de
300 à nous renouveller votre intérêt pour notre cercle. Par
votre confiance, vous nous donnez les moyens de poursuivre
une politique éditoriale soutenue. au cours de ctte année, nous
pouvons déjà vous annoncer la parution, en deux volumes,
d’une monographie consacrée à l’histoire de l’urbanisation
du quartier compris entre le Krekelenberg et la gare de Boitsfort, intitulée De la rue Middelbourg au Jagersveld, une urbanisation contrastée. L’empreinte de Léopold II. Le premier
Le site du Jagersveld, vu ici au début du 20e siècle, a été aménagé par l’entrepreneur edmond ParMentier, homme de
main de Léopold ii, par le percement de l‘avenue Delleur dans le prolongement du boulevard du souverain. La création
d’un parc public a été voulu, dans l’esprit du Monarque, pour préserver le pittoresque du paysage au profit d’un lotissement à réaliser le long des avenues Delleur et solvay pour des investisseurs immobiliers fortunés. on distingue les premières villas édifiées le long de la rue de la Vénerie prolongée, future avenue Philippe Dewolfs ; à gauche le carrefour
de la rue Middelbourg ; sur les hauteurs à l’arrière, à droite, les premiers immeubles sur le Krekelenberg.
carte postale 1912 ; Phototypie Marco Marcovici
collection robert GartenBerG
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traitera de la rue Middelbourg et ses abords, le second traitera du Jagersveld et des abords de la gare de Boitsfort.
Vous en serez informé en temps utile.
L’histoire des élections communales se poursuit par un
cinquième et dernier épisode concernant les années
Payfa-fossePrez.
Une brève évocation de la vie de Édouard DewoLfs,
tombé au champ d’honneur en 1917 nous est proposée
ici.
Un long entretien avec Guy VanDe PUtte nous éclaire
sur la carrière d’un brillant linguiste originaire d’overijsse qui nous éclaire sur la complexité et la nature
exacte de la notion de «frontière linguistique» dans notre
pays.
Un entretien avec Philippe MoUthUy retrace sa carrière
d’enseignant à l’École de la sainte-famille.
avec l’avènement des congés payés en 1936, le véloci-
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pède a offert à ceux pour lesquels l’automobile était encore un rêve inaccessible des possibilités d’évasions
lointaines. Louis schatteMan nous raconte les expéditions qu’il réalisait en vélo. il évoque aussi, avec force
détails, les péripéties burlesques de sa mobilisation en
1940 et ses efforts pour rejoindre son introuvable unité.
armand Di Martinelli ravive le souvenir d’une boucherie
de la rue du Bien-faire.
Dans une de nos précédentes livraisons, nous évoqions
l’obtention dans notre commune d’une nouvelle variété
horticole d’Anthurium. nous vous proposons ici
quelques informations complémentaires à son sujet.
La publication d’une vue panoramique prise à watermael au début du XXe siècle a éveillé la sagacité de plusieurs de nos membres. Leur diagnostics se sont accordés
sur une localisation qui vous est communiquée en dernière page.
Électione communales, chapitre 5 :
Les années Payfa-foSSePrez
f
ondé en 1964, le fDf
avait obtenu 5935
voix aux communales
de 1970 et 9 sièges de
conseiller. il resta dans l’opposition face à l’alliance J
wiener-r wiarD-M MasUre.
cette fois, le 10 octobre
1976, il obtint 6714 des
16.875 suffrages exprimés,
soit un score de 40%. et, les
changements constitutionnels agissant, le conseil
communal passait de 19 à
29 conseillers : le fDf se retrouvait ainsi avec 14 sièges
(+5), le cartel Psc-intérêts
communaux : 6 sièges (+1),
le parti libéral ex-PLP : 4
sièges (statu quo), le PsBBsP encore unitaire au ni-
andrée Payfa-fossePrez 1921-2004
(Photographie Jean-Luc tiLLière)
veau national : 3 sièges
(+2), et le Vlaamse
Kartel-waBo : 2 sièges
(+2) avec 1453 voix.
ce fut donc le changement qui s’installa,
avec une confortable
majorité fDf-Ps de 17
sièges sur 29.
La désignation des 3
échevins socialistes se
fit assez aisément : Max
MasUre (action sociale), robert hotyat
(Urbanisme, régie foncière et culture), andré
MarchaL (Population et
relations publiques).
au fDf, ce fut un peu
plus compliqué car le
Dr Marcel Payfa, député depuis 1971 et sé-
6789:;<=> ?@ABCD;E> >: FGH> I BJKLJIM IBNKO PGH>L
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Marcel Payfa (1921-2003)
(Photo Le soir 3/5/1978)
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membres d’une même famille siègent dans la même
assemblée. or, son épouse andrée Payfa-fossePrez
avait obtenu plus de voix de préférence (1220 contre
997). ce fut elle qui fut proposée comme bourgmestre par le fDf.
très fière à juste titre d’être la première femme
élue bourgmestre dans l’agglomération bruxelloise,
et voulant lutter contre la « bruxellisation » de watermael-Boitsfort (grands immeubles en béton), elle
s’occupera de l’etat civil, de la Petite enfance et de
la Vie sociale. et le fDf avait encore 3 échevins :
fernand rossiGnoL (finances et travaux publics),
emile DeMin (Jeunesse, sports, commerce et régies) et roger firre (instruction publique, santé et
hygiène).
Marcel Payfa laissa son siège de conseiller à
roger neVens qui, en juin 1979, reprit l’échevinat
de r firre, démissionnaire. et il (Marcel Payfa) obtint la présidence de la commission d’assistance publique dont il assura la réforme en centre Public
d’aide sociale (cPas), étant un des artisans parlementaires de cette nouvelle loi (votée en 7/1976 et
appliquée en 1978).
Que retenir de ces 6 années qui concerne hiscinateur depuis 1974, se voyait bien comme « séna- wab ? Les projets entamés précédemment se pourteur-maire ». Mais, la loi n’autorisait pas que deux suivirent en 1976-1977 : constructions rue du
De gauche à droite : roger neVens, emile DeMin, andrée Payfa-fossePrez, fernad rossiGnoL
Photographie collection woUters
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Brillant et avenue ch Michiels,
aux Pêcheries, et aux avenues des
Gerfauts et de la héronnière. et
on vit la fin de la première restauration de la ferme ter coigne et
le classement du parc attenant.
Dès 1977, r hotyat mettait
en chantier divers plans particuliers d’aménagement (PPa) destinés à protéger une bonne partie
du territoire communal contre la
spéculation, immobilière. et il
s’attela à l’aménagement du centre de watermael, un premier plan
directeur étant proposé dès mars
1979.
D’autre part, avec la région
s’élabora un plan de secteur pour
la forêt de soignes et ses lisières
définissant les zichÉe (zones
d’intérêt culturel, historique, économique et esthétique). et, en
passant, il faut retenir, en 1980, le
rachat du parc tournay-solvay
par la région bruxelloise. en juin
1981, on inaugura la nouvelle résidence pour séniors du cPas,
aboutissement de l’action du Dr
Payfa. L’ancienne Maison de retraite de l’avenue du ramier devenait restaurant scolaire. et il y
eut aussi la transformation culturelle des ecuries de la Maison
haute.
après l’essai de marché doDocument : La présence d’une crèche de noël communale sur les lieux
minical organisé par le syndicat
publics de la place Keym amena cette légère satire de yvan hUBert dans «
d’initative en mai 1976, la
Présence laïque » en janvier 1987.
bourgmestre eut l’heureuse volonté de reprendre l’idée et d’insque 27 sièges à attribuer. avec 5654 voix, le fDf retaurer définitivement un marché à Boitsfort. ce fut culait à 34% des votes et perdait 2 sièges, en gardant
le cas à partir du 1er octobre 1981.
12. Gestion municipale restait à 6 sièges et le PrL
en 1981-82 se réalisa une première tranche de la remontait à 5 sièges (+1). Le Ps gardait 2 sièges (rénovation de la place Keym et enfin, en 1982, il y 1). et le nouveau parti créé en 1980, ecoLo, gaeut la poursuite de la saga du « château » charle-al- gnait son premier siège. waBo en perdait un,
bert. inoccupé en bordure de forêt et fortement dé- gardant un représentant.
gradé,
il était l’objet de pressants projets
avec 14 sièges, la majorité sortante était affaiblie,
immobiliers. La majorité parvint à un début de pro- d’autant qu’une nouvelle génération au sein du fDf
tection des lieux.
souhaitait une redistribution des responsabilités. Les
Le 11 septembre 1982, il y eut aussi, en présence tractations aboutirent à un renfort par le PrL, ce qui
de l’artiste, la pose de la première pierre de l’ambi- permit une nouvelle majorité confortable de 19 sur
tieux projet de l’espace Paul Delvaux occupant les 27.
lieux de l’ancien cinéma select.
andrée Payfa-fossePrez gardait le mayorat et ses
3 échevins. f rossiGnoL,
aux élections d’octobre 1982, la commune pase. DeMin et r. neVens restaient en fonction au
sait en-dessous des 25.000 habitants, et il n’y avait moins en début de mandat, avec quasi les mêmes
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compétences. et le Dr M Payfa restait président du
cPas pour 3 ans avant de passer la fonction au Dr
Jean siMon.
Les socialistes gardaient 2 échevins, M. MasUre
et r. hotyat, et José stienLet assurait l’échevinat
attribué aux libéraux : les classes moyennes, le tourisme et la Vie économique.
en décembre 1985, c’était la fin des travaux de la
place Keym, réalisation parfois controversée. La
prise en compte des problèmes de circulation par
l’urbanisme, la création de rond-points dans la commune (epicéas, hannetons, …), et la création par la
bourgmestre d’un centre de sécurité routière pour les
écoles primaires, se virent attribuer un prix international. et en juin 1985, on inaugura l’espace DeLVaUX.
ce fut suivi en 1986, par l’aménagement de l’axe
thuyas-epicéas. on rénova également le parc sportif
des trois tilleuls et le calypso. L’école de Boitsfortcentre trop peu attractive voyait ses locaux destinés
à agrandir l’académie de Boitsfort dirigée par roger
soMViLLr. enfin, on peut retenir en 1987 la
construction du 2e bâtiment de la royale Belge aux
abords du boulevard du souverain, et le développement de Ville et forêt dans le quartier elan-ernotte.
Les élections du 9 octobre 1988 auraient pu amener la majorité sortante aux prolongations.
en effet, avec 36% des voix, le fDf gardait ses
12 sièges et restait incontournable. et si le PrL perdait un siège (en gardant 4), le Ps en regagnait un.
ses 3 sièges +4 +12 auraient pu réinstaller la majorité de 19 sur 27. D’autre part, Gestion municipale
(GM), malgré ses années d’opposition, n’atteignait
que 5 sièges, en perdant un qui passait à ecolo (2
sièges).
et waBo gardait son représentant.
Mais des choix divergents au sein du fDf amenèrent un radical changement de majorité, et l’alliance fDf-GM avec 17 sièges sur 27 entama un
mayorat qui se révèlera agité.
andrée Payfa-ossePrez reste bourgmestre avec
3 échevins fDf. f rossiGnoL reste aux finances. a
Jean siMon échoit l’Urbanisme, les sports et l’instruction publique, et Daniel enGeLs occupe quelque
temps le 3è échevinat. GM a aussi 3 échevins :
Georges MaMMericKX, alain wiarD et roger
faBry. Quant au cPas, il est présidé par Martine
Payfa.
il serait fastidieux et de peu d’intérêt pour hisciwab de détailler les multiples soubresauts et les cheminements personnels qui animèrent essentiellement
la composante fDf de la majorité. Les retraits d’at-
andrée Payfa-fossePrez 1921-2004
Photographie vers 1988, collection Martine Payfa
tributions amenaient une accumulation de charges
pour ceux qui restaient, et les appuis de circonstance
obscurcissaient le débat. en dehors de la gestion courante, il y eut peu de réalisations au plan urbanistique. La bourgmestre restait ce personnage un peu
hors du commun, avec sa fantaisie vestimentaire et
ses chapeaux, et aussi son besoin affirmé de participation citoyenne.
La tentative louable de J siMon de sauver l’école de
« Boitsfort-centre » pour y créer une option « sportsetudes » n’aboutit pas, et l’académie engloba le tout.
on peut signaler le classement de la gare de watermael (1992), de l’étang de Boitsfort et du parc tournay-solvay (1993), de la ferme ter coigne (1994).
et, en septembre 1994, on doit noter l’inauguration
à heiligenborre des logements pour personnes âgées
construits par le cPas.
La suite concerne des personnes d’actualité, et hisciwab (fondée en 1991) s’occupe d’histoire locale.
nous arrêterons donc ici cette série d’articles sur les
elections communales.
Henri CeuPPens
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édouard Léon Philippe DEWOLFS
1883-1917
P
hilippe
DewoLfs,
Échevin de 1888
jusqu’à sa mort en
1913, a eu trois fils, Jean
Philippe, alexis et Édouard.
Deux d’entre eux sont morts
jeunes et sans descendance.
pour devenir de sousLieutenant de réserve,
grade qu’il obtient en
septembre de la même
année puis, quatre ans
plus tard, il devient
Lieutenant de réserve.
Le 1er avril 1914, il
L’histoire de l’ainé, Jean
contracte un engagement
Philippe, mort en 1903 à copour rester à la disposition
quihatville (congo), a été redu gouvernement jusqu’à
latée dans le numéro 22 de
l’âge de 40 ans. ( est-ce en
mars 2013 des Chroniques
vue du conflit qui se préde Watermael-Boitsfort.
pare ? ). Quatre mois plus
Le cadet, Édouard, va
tard les allemands envadécéder de ses blessures
hissent la Belgique et ensur le front de l’yser un
trent à Bruxelles le 20
matin de septembre 1917,
août.
quelques jours après sa
en septembre 1914,
maman, qui avait rejoint
Édouard participe à
son troisième fils en esplusieurs combats aux
pagne où ce dernier travailenvirons de Malines (
lait dans une usine solvay.
schiplaeken, werchterentré à l’armée en 1900, à
wackerzel et Duffel ).
l’âge de 17 ans, Édouard est
en avril 1915, il est
rapidement nommé sergent,
nommé capitaine en
puis 1er sergent en 1905. Un
second et rejoint la 6ième
an plus tard, il passe son breDivision de l’armée en
vet de sous-Lieutenant puis,
avril 1916. au mois
Quelque
part
en
france
en
1915,
les
personnages
à
pour une raison qui nous est
d’aout de la même
l’arière non idnetifiés.
inconnue, quitte l’armée, deannée, il reçoit la croix
vient volontaire de réserve et
de Guerre, et termine
s’installe à hanret (Éghezée), où il se livre à « l’étude l’année comme capitaine commandant. il est désigné
appliquée de l’agriculture » ( pour faire des études pour le 12ième régiment d’artillerie en avril 1917 et
d’agronomie comme son frère ainé décédé ? ).
se fait remarquer à l’yser, à Dixmude, à steenstraete
en août 1908, Édouard introduit une demande (à la maison du passeur) et à Boesignhe en juin.
il décède à Ghyverinhove, entre ypres et furnes,
des suites de blessures par éclats d’obus au ventre,
au matin du 4 septembre 1917 et est, comme il était
de coutume, rapidement enterré à hoogstaede, à
quelques kilomètres du front.
il sera fait chevalier de l’ordre de Léopold avec
palme, deux jours plus tard. son corps sera rapatrié
en décembre 1921 pour être inhumé dans le caveau
familial du cimetière de la rue du Buis.
De cet homme visiblement courageux et apprécié
de tous, il ne reste aujourd’hui que quelques photos en
uniforme, un dossier de quelques feuillets aux archives
militaires et le sentiment d’un immense gâchis.
sur le front de l’yser, Édouard à l’avant-plan.
collection Philippe DewoLfs
Philippe DeWoLfs
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Propos sur la frontière linguistique
Entretien avec Guy VanDE PuttE
par Paul Dirkx
*
L
e 6 août 2012, francofonie a interrogé Guy VAnDe Putte sur ses
activités de chercheur dans le domaine des interférences linguistiques en
Belgique. Ce germaniste né en 1944 et
originaire d'overijse a reçu une formation en philologie germanique à l'université Catholique de Louvain. Il est membre
fondateur du Centre d'étude des francophones en flandre - studiecentrum
franstaligen in Vlaanderen (CeffsfV).
spécialisé dans l'étude de la toponymie et
des interactions linguistiques telles que les
porte au jour l'histoire locale, il est l'auteur
de nombreux travaux sur les relations culturelles entre les communes de la « frontière
linguistique ».
Ces travaux sont autant de contributions à
l'étude des usages et des usagers du français
au nord de cette « frontière ». Ils montrent
que les contacts entre les mondes germanique et roman ont existé de tout temps et
ont engendré des processus d'osmose et
d'interférences linguistiques dont l'étude,
plus guère encouragée de nos jours, est
pourtant loin d'avoir progressé de manière
satisfaisante. L'écrivaine néerlandophone
overysschoise Brigitte Raskin déclarait récemment, à propos d'un livre qu'elle a
consacré en 2012 à la « frontière linguistique » : « Les Belges ont toujours entrenu
des rapports pacifiques »(1). Cela fait quarante ans que Guy VAnDe Putte est coutu-
on peut commencerpar parler du chercheur que
vous êtes. Comment devient-on chercheur spécialisé en matière de « frontière linguistique » ?
Je suis tombé dans ce sujet par le biais de l'histoire
locale. Je suis mordu par l'histoire en général et par
l'histoire locale en particulier. il y a une part d'atavisme; un de mes bisaïeuls du côté maternel, eugèneJoseph riGaUX, a traduit la partie concernant la
commune d'overijse (3) de l'histoire des environs de
Bruxelles d'alphonse wauters (4), qu'il a complétée
en 1888 (5). Un jour - j'avais une dizaine d'années mes parents m'ont mis ce livre de mon ancêtres entre
les mains, et cela a été le déclencheur, ça m'a passionné. J'entendais toujours parler de cet ancêtre
qu'on admirait beaucoup.
J'ai fait l'histoire de ce personnage (6), qui a joué
un certain rôle dans l'émancipation flamande. J'ai
d'ailleurs signé sa notice dans l'encyclopedie van de
Vlaamse Beweging. cela m'a mis sur la voie de la recherche historique et philologique, parce que cet
homme écrivait un néerlandais du 19e siècle, une
sorte de « nederduytsch », qui ne s'appelait pas encore tout à fait « nederlands ». De plus, cet homme
s'est fort intéressé au nederduytsche Beweging, sur
lequel existe le livre de LeBrocQUy (2). il connaissait
aussi l'allemand - il a traduit des poèmes de schiLLer, de Goethe et d'autres. son fils unique a épousé
la fille d'un autre homme de lettres, Louis hoornaert, de saint-nicolas-waes qui, lui aussi, était un
historien local et flamingant, ou plutôt « Vlaamsvoelend », c'est-à-dire flamandophile, tout en étant francophone. ces gens appartenaient à une catégorie
mier de ce type d'observations à la faveur
de ses plongées scientifiques dans le tissu
sociolinguistique des populations concernées. L'intervieuw qui suit montre à quel
point la zone d'interférences linguistiques et
la Région de Bruxelles-Capitale non seulement font partie intégrante de l'étude des
francophones et de la francophonie dans la
moitié nord de la Belgique (2), mais qu'elle
occupe une position centrale, dans la mesure où certaines des questions majeures
qu'elle suscite se posent aussi pour tous les
citoyens bilingues ou ayant le français
comme langue première, où qu'ils résident
en flandre.
Paul DircKX
assez intéressante de figures du 19e siècle. c'étaient
des petits bourgeois, donc des francophiles, peut-être
par obligation professionnelle, quoique le grand-père
Louis hoornaert ait été orangiste, je crois, hollandophile sûrement. c'étaient des bourgeois de province
et ils parlaient donc français, en l'occurrence à saintnicolas-waes. tout marchand drapier qu'était Louis
hoornaert, il a fondé l'académie des beaux-arts de
saint-nicolas-waes et il est le grand-père direct de
mon grand-oncle, le peintre overysschois Louis riGaUX (8).
tout cela se tient : la peinture, le dessin, l'histoire,
l'histoire locale. eugène-Joseph riGaUX a aussi traduit un ouvrage de psychologie - il me semble que
c'est un des premiers en Belgique à s'être intéressés
à la psychologie, zieleleer, comme on disait à
l'époque , un ouvrage du professeur BeneKe, à l'Universtité de Marburg, à savoir les principes d'une psychanalyse avant la lettre (9). riGaUX était instituteur
en chef pendant quarante ans à overijse. c'était un
personnage très intéressant, c'était vraiment un grand
intellectuel de type universitaire avant qu'on n'aille à
l'Université. au fond, on n'allait à l'Université que
pour faire le droit et la médecine, les seules vraies
études universitaires à l'époque. Lui est sorti d'une
des premières promotions de l'École normale de
Lierre qui, fondée vers 1840, était une des premières
écoles de Belgique pour la formation des instituteurs.
Même s'il n'était pas célèbre, dans ma famille, c'était
un personnage qu'on admirait. ii m'a fasciné. Ma
grand-mère me montrait des papiers, que je conserve
toujours, où son grand-père lui apprenait à faire des
lettres - elle avait cinq, six ans.
¿ÀÁÂÃÄÅÆÇ ÈÉÊËÌÍÄÎÇ Çà ÏÐÑÇ Ò ËÓÔÕÓÒÖ ÒË×ÔØ ÙÐÑÇØ
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y a-t-il du côté paternel des personnages du
même type ?
Du côté de mon père, c'étaient des west-flamands.
Le père de mon père s'est installé un peu par hasard
à overijse, où i1 y avait un poste d'instituteur vacant.
il venait d'arlon, où il avait obtenu son diplôme d'instituteur après avoir fait des humanités à carlsbourg
chez les frères maristes, qui avaient une maison à Pittem, d'où la famille VanDePUtte est originaire. Je
vois d'ailleurs un lien entre « VanDePUtte » et « Pittem », si on les prononce avec l'accent local, d'autant
qu'à un certain moment, « VanDePUtte » s'est aussi
écrit « VanDePitte ». c'est donc vraiment une famille de ce coin-là. Mais comme le grand-père appartenait à une famille de treize enfants que le père
a abandonnée et dont la mère est décédée en
couches, les enfants ont été placés à gauche et à
droite après avoir passé une partie de leur enfance
à tourcoing et à roubaix. Mon grand-père est né à
roubaix, parce que ces gens ont émigré dans le
nord de la france. si le père de mon grand-père
était, d'après les actes que je possède, forgeron basculier, donc ouvrier qualifié probablement, leurs parents étaient des journaliers, qui se situaient donc au
plus bas de l'échelle sociale. or, ces west-flamands
« de souche » se sont francisés au 19e siècle, à
l'époque où la flandre vivait dans la misère, comme
l'irlande et d'autres régions. il y a eu une forte immigration en amérique, mais assez tardive, seulement dans les années 1880-1890, alors que la crise
de la pomme de terre se situe vers 1845-1850. Un
frère de mon grand-père est d'ailleurs parti au canada - il était devenu anglophone, parlait le français
du canada, mais avait gardé son dialecte de Pittem.
Mais d'abord l'immigration s'est faite vers le nord
de la france et la wallonie.
Je suppose que beaucoup de jeunes de votre génération ont une histoire familiale qui a plus
d'un point en commun avec la vôtre, mais que,
pour autant, ils ne se sont pas mis à faire la philologie germanique pour ensuite...
Je ne crois pas. Je ne veux pas être plus original qu'il
ne le faut, mais je pense être un peu privilégié. Mon
père, le peintre adrien Van De PUtte (10), était un
intellectuel; il lisait beaucoup, il écrivait beaucoup,
il avait fait des études de droit, même s'il ne les avait
pas terminées. J'ai toujours vécu dans ce monde littéraire et intellectuel. nous étions abonnés aux nouvelles Littéraires (11), mes parents avaient un
abonnement au théâtre national, fréquentaient les
expositions, suivaient la vie intellectuelle à
Bruxelles. et mon père, tout en peignant, s'intéressait beaucoup à la vie picturale : il était abonné à
des revues artistiques (L'oeiI, etc.), il allait à Paris,
chroniques de watermael-Boitsfort n°26 -
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il suivait le mouvement.
Par ailleurs, si j'étais privilégié, nous étions enracinés dans overijse, vu que nous avions un magasin
où passait tout le village. tout le monde parlait dialecte, mes parents parlaient dialecte avec les gens,
moi aussi, nous n'étions pas des fransquillons supérieurs ni des aristocrates ni même des notables - nous
l'avons été : certains de mes ancêtres l'ont été dans
le village, car un autre arrière-grand-père a été secrétaire communal durant trente ans à overijse. c'est
une autre frange de la famille, ce sont les Verheyen,
qui venaient de la campine anversoise. cela dit, c'est
la même histoire. ces Verheyen - et leur nom dit
bien qu'ils venaient « van de heide, van de Kempense
heide » (12) - étaient originaires d'oostmalle et
étaient des agriculteurs, tandis que la grand-mère
exploitait le supérette du village. c'est la famille
d'où est issu l'écrivain Jozef siMons, père de Ludo
siMons, germaniste devenu directeur de l'Archief en
Museum van het Vlaams Cultuurleven à anvers,
l'actuelle Letterenhuis. elle avait aussi des prétentions intellectuelles, littéraires, musicales. tous
étaient des sacristains organistes de leur église, des
chanteurs dans la chorale locale et des instituteurs.
J'ai vraiment des ancêtres instituteurs à profusion.
Bref, je doute que tout le monde soit dans cette situation-là, j'étais de ce point de vue-là privilégié
d'une certaine manière, par rapport à mes camarades
de classe de l'école primaire d'overijse, qui allaient
jouer au football, alors que ça ne m'intéressait pas.
Par ailleurs, je jouais « schooltje » : je faisais venir
des camarades â la maison et je leur faisais cours.
Dans vos souvenirs d'enfant et de jeune d'overijse, qu'en était-il du problème linguistique ?
il n'existait pas. exclu. aucun problème linguistique. tous les membres de ma famille parlaient
français et dialecte flamand. certains parlaient néerlandais, mais mal, car ce n'était vraiment pas à la
mode de parler le néerlandais, même si tant de mes
ancêtres étaient instituteurs et enseignaient le néerlandais. Mais une fois sorti de l'école, personne n'a
jamais parlé néerlandais.
Mais alors, pour vous, dans votre esprit, quand
la « frontière linguistique », formule autour de
laquelle je mets les guillemets nécessaires (13),
quand cette « frontière » a-t-elle pris forme ?
Quand est-elle devenue quelque chose de
concret dam votre esprit ?
Pas avant les années soixante. Dans ma récente
communication au congrès d'histoire de Liège (14),
j'explique que le hameau de Malaise est très francisé
depuis le 19e siècle. La commune d'overijse, quant
à elle, fonctionnait en français jusque vers les an-
ÚÛÜÝÞßàáâ ãäåæçèßéâ âÞ êëìâ í æîïðîíñ íæòïó ôëìâõ
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nées vingt du siècle dernier, même les délibérations
du conseil communal étant rédigées en français, notamment par mon arrière-grand-père qui, par ailleurs, a été secrétaire de différentes associations,
dont une chorale pour laquelle il rédigeait les rapports en néerlandais. Les autorités communales reconnaissaient l'altérité de Malaise et, en 1962,
quelques mois avant les lois linguistiques de 1963,
le conseil communal a voté des « facilités » pour ce
hameau : les noms de rues en deux langues, réponse
en français si la commune reçoit du courrier en français, une amabilité linguistique vis-à-vis des visiteurs de Malaise à la maison communale, etc. et il y
a toujours eu des velléités d'affranchissement de Malaise envers overijse, non pas pour des raisons linguistiques, mais pour des raisons de commodité
administrative, parce que ses habitants étaient beaucoup plus près du centre de La hulpe que du centre
d'overijse et que la gare de La hulpe était à deux
pas de chez eux qui leur permettait de partir ailleurs
que dans le monde néerlandophone pour se franciser
à Bruxelles ou en wallonie. À ce moment-là, cette
décision d'accorder des facilités faisait du grabuge.
cela dit, la chose a commencé à se corser entre 1950
et 1960, avec le refus des volets linguistiques des recensements, la question royale et les marches sur
Bruxelles. et quand il y avait des marches sur
Bruxelles, il y avait des marches sur overijse, avec
notamment des manifestants en uniforme qui rappelaient la guerre, pas si éloignée que cela. Mais surtout, ces manifestants venus d'anvers, de
flandre-occidentale et d'ailleurs offusquaient tout le
village, qui se demandait : « Wa komme dei heï doe
? Wa kinne dei doevan ? Wa wiëte dei doevan » (15).
tous les habitants d'overijse considéraient ces gens
comme ignorants de la situation complexe et pacifique de cette zone. « on est bien comme on est. Que
viennent-ils nous imposer comme théories, comme
idéologie ? »
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ouvrage de philologie absolument remarquable (16)
et qui traite du Plattdeutsch, auquel son père, Jozef,
s'était toujours intéressé. De même que mon propre
père, d'ailleurs, car un grand ami de Jozef siMons
était franz froMMe, un écrivain Plattdeutsch à la
mode dans les années trente et dont mon père a traduit des nouvelles en français, dont plusieurs inédites. il a beaucoup collaboré avec Jozef siMons,
cousin qu'il aimait beaucoup, tout en sachant qu'il
était flamingant, alors que lui-même ne l'était pas,
mais cette amitié allait au-delà de cela. Mais me fascinait aussi le fils Ludo, qui était à ce moment-là assistant d'albert westerLinK à Louvain.
or je voulais faire mes études à Louvain, alors que
mon père voulait m'envoyer à l'Université libre de
Bruxelles. Bien que d'une éducation « archi-catho » issu de l'institut saint-Boniface à ixelles, secrétaire
de l'association littéraire scriptores Catholici, lecteur
de Jacques Maritain -, il était devenu très réticent à
l'égard de l'institution catholique après la guerre. il
m'avait donc envoyé à l'athénée d'etterbeek. Mais,
comme j'étais épris de culture traditionnelle et d'histoire, il n'y avait pas à mes yeux de meilleure université que la vieille Université de Louvain. D'autant
plus que j'avais une grande admiration pour Juste
LiPse, auquel on ne pouvait pas échapper en tant
qu'overysschois. Donc, je suis allé à Louvain, j'ai
fait les germaniques, et en français, car je voulais
garder mon lien avec la francité, tout en découvrant
l'allemagne et les langues et cultures scandinaves,
dont surtout le danois.
Le lien avec la « frontière linguistique », ou du
moins avec la question des contacts entre les
langues, est toujours présent en filigrane, mais
qu'est-ce qui l'a fait émerger ? Comment cela
s'est-il transformé en intérêt scientifique ?
au début, au moment où le flamingantisme a commencé â revendiquer le fédéralisme à coups de maet le choix de vos études, la philologie germanifestations, j'étais anti-flamingant dans l'esprit de
nique, il n'a rien à voir avec toute cette situation mon père et je trouvais tout cela honteux. nous qui
ou... ?
habitions au bord des ardennes brabançonnes, que
nous n'appelions pas « la frontière linguistique », ni
si, si. J'étais passionné d'histoire et de géographie, « la wallonie », nous étions affligés. Mon père faisait
mais je trouvais que ces domaines n'offraient pas partie des peintres des ardennes brabançonnes à La
assez d'avenir. Mon père, qui ne jurait que par la hulpe, où les gens parlaient beaucoup moins le walfrancophonie, aurait aimé que je fasse les romanes. lon que le français. Ma passion pour la « frontière
Peut-étre par esprit d'opposition à l'époque, j'ai voulu linguistique » date des années qui ont suivi. Je comfaire les germaniques, mais aussi en me disant que mençais mes études de philologie germanique, tout
cela me permettrait d'apprendre trois langues au lieu en m'intéressant davantage à la politique et notamd'une. et j'aimais beaucoup l'allemand. J'ai toujours ment à la scission de l'Universitë de Louvain, sans
été fasciné par cette langue, aussi par le biais de ce toutefois jamais m'y engager. J'ai fait mon mémoire
grand-père traducteur dont j'ai parlé. et le nord m'a de licence, entre 1965 et 1968, sur la toponymie
toujours intéressé, la Baltique, la scandinavie. il y a d'overijse. La philologie, l'étymologie, le décortiaussi le mouvement « nederduytsch ». Ludo siMons, cage des mots, l'historique des mots m'intéressaient
à cette époque-là, a publié oostnoordoost, qui est un beaucoup. et donc, par le biais de la toponymie, j'ai
ö÷øùúûüýþ ÿ ûþ þú þ þ
page 10
dû consulter des montagnes d'archives sur overijse.
Là, j'ai découvert à quel point - je le savais, mais
pas à quel point - rosières était imbriqué dans overijse (17), et combien rosières était roman depuis le
Moyen-age, tout en découvrant que les archives
d'overijse étaient bilingues. et donc, comme rosières faisait partie d'overijse, j'avais accumulé
quelque cinq mille fiches sur l'ensemble du territoire
historique d'overijse comprenant rosières. rosières
était un cas fascinant, parce que j'y rencontrais notamment des noms « bâtardisés » : la famille witteBroot à overijse s'appelle BLancPain à rosières, les
VanDerfossen s'appellent DeLfosse, les De DoBBeLaere DoUBLère, les Minne Minnet, etc. et on distingue une branche flamande, les Minne, d'une
branche wallonne, les Minnet, alors que c'est la
même famille. Je voulais intégrer ces découvertes à
mon mémoire. or mes professeurs se sont méfiés,
parce qu'ils n'aimaient pas cela. Mon promoteur était
odo Leys, l'onomasticien de l'époque, mais le grand
patron, directeur de l'institut d'onomastique, était
henri Draye, quelqu'un que j'admirais beaucoup et
qui m'a toujours soutenu. Leys, qui était un ouest-flamand, m'a demandé de laisser tomber rosières, non
pas pour des raisons scientifiques, mais parce que ça
le génait, il n'y connaissait pas grand-chose - ce
n'étaient pas des romanistes, ils ne connaissaient pas
assez bien le français. toujours est-il qu'on m'a
conseillé de laisser tomber ça pour peut-étre y revenir
plus tard dans le cadre d'une thèse de doctorat. Donc,
la « frontière linguistique » a commencé à devenir
dans mon esprit un fait philologique passionnant. et
non étudié, parce que, depuis Godefroid KUrth, il n'y
a jamais eu une étude de cette ligne imaginaire aussi
fouillée (18), mis à part des publications plus modernes parues il y a vingt ans (19).
en 1965, moment où vous entamez ce travail,
vous disposez, outre Godefroid Kurth, de quels
travaux ?
KUrth était la référence absolue, et Jan LinDeMans
pour le Brabant. Mais il y a aussi Maurits GysseLinG,
qui est le grand philologue de la fin du 20e siècle, auteur du toponymisch woordenboek van België, nederland, Luxemburg, noord-frankrijk en West-Duitsland
(20). et, dans les années 1980, j'ai fait la connaissance
de son émule le plus motivé et le plus motivant, Luc
Van DUrMe, qui est un des rares, avec quelques membres de la commission royale de toponymie et de
Dialectologie, à encore pratiquer à l'heure actuelle
l'onomastique (21), science qui est tombée complètement en désuétude. et donc, du moins à ma connaissance, on n'a jamais fait, comme j'avais commencé à
le faire avec mes recherches de mémoire de licence,
d'étude de terrain onomastique comparée d'une commune flamande ou plutôt thioise (22) et d'une com-
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mune wallonne ou plutôt romane. or, d'après moi, on
peut le faire tout au long de la « frontière linguistique».
Personne ne s'y est attelé ?
Presque personne. Dans les cantons de l'est, il y a un
Leo wintGens qui a beaucoup écrit sur les fourons
notamment. il y en a d'autres. Mais une systématique
de la « frontière linguistique » de La Panne à Maaseik, en prenant chaque fois des couples de localités
de type overijse / rosières, huldenberg / Grez-Doiceau, etc., ça, ça n'existe pas. ce serait pourtant passionnant. tout comme il serait passionnant d'étudier
l'histoire des cantons français qui, introduits en 1795,
sont tous bilingues dans cette zone de contacts. ainsi,
le canton d'isque - overijse comprenait La hulpe,
ohain, Lasne, rosières, chapelle-saint-Lambert,
couture, Genval et rixensart, mais aussi hoeilaart,
overijse et notre-Dame-au-Bois, c'est-à-dire Jezuseik, pas encore rattachée à overijse. ces cantons
étaient gérés en français, sans doute en partie pour
franciser davantage les communes flamandes, mais
l'occupant français n'avait pas beaucoup de mal à
franciser l'administration : elle l'était déjà partiellement. or il n'y a pas d'étude qui a été faite sur l'histoire, de 1795 à 1815, de ces cantons à cheval sur la
« frontière linguistique » - notion qui n'est visiblement pas pertinente sur un plan historique.
est-ce qu'il existe une étude systématisée
de la « frontière linguistique » ?
Depuis un peu plus de quinze ans. il s'agit d'un livre
de Luc Van DUrMe qui contient des pages extraordinaires (23). Je ne suis pas toujours d'accord avec lui,
mais, dans les grandes lignes, nous sommes sur la
même longueur d'onde pour ce qui est de cette région.
Le problème de la toponymie, c'est qu'elle ne permet
pas de se prononcer sur n'importe quel toponyme sans
connaître i'histoire du lieu, le contexte précis, concret.
Même un Luc Van DUrMe, qui est un scientifique
d'une intégrité extraordinaire, ne peut pas savoir ce
que je sais sur la région que j'ai étudiée dans ses moindres détails. il pourrait interpréter des mots d'un point
de vue plus théorique que concret, concret d'après les
archives et la réalité du terrain, qu'il ne connaît pas.
J'ai ainsi eu un désaccord avec Maurits GysseLinG au
sujet de l'étymologie de « Malaise » / « Maleizen »,
dont je prétends qu'elle est fiée à « marne » et donc à
« marle » (24), comme le montre l'ancienne orthographe « Marleizen » et comme l'attestent aussi le «
Marleberg » et le « Meerleberg » à côté, les vieilles
carrières de marbre, mergelgroeven. « Malaise », en
général, signifie un terrain difficilement cultivable,
peu productif, où on ne se sent pas « à l'aise ». en néerlandais, l'équivalent serait plutôt « kwaadgebak », un
bout de terrain dont on ne peut rien tirer. or cela ne
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correspond pas au sol de Maleizen et il s'agit donc
d'une étymologie en l'occurrence erronée par rapport
aux archives et aux situations locales. tel est un des
problèmes majeurs de la toponymie et de l'histoire
locale. et, dans ce cas précis, ma force heuristique,
c'est que je connais bien les deux langues. Mais, à
l'heure actuelle, comme tout est divisé en monoblocs
communautaires, il n'y a plus un chat qui connaît suffisamment l'autre langue et qui consulte les écrits
dans l'autre langue. Le Cercle d'Histoire d'overijse,
que j'ai fondé, ne croit plus qu'il est utile de s'abonner à la revue Wavriensia (25), à la revue de rixensart ou de La hulpe. Mais on s'abonne à la revue
Midden-Brabant, à la revue de Louvain, de tervuren. c'est invraisemblable.
page 11
vie, en veulent à la mère abbesse, aristocrate et francophone comme le sont souvent les abbesses depuis
le 18e siècle. et peut-être qu'elles lui en veulent aussi
pour des raisons autres que linguistiques, la langue
étant peut-être un prétexte. Les exemples de ce type
sont nombreux. ainsi, je pense à ces habitants de rosières qui, en 1795, refusent d'occuper un poste administratif sous prétexte qu'ils ne connaissent pas
assez le français, alors que rosières était francisé :
cela veut tout simplement dire qu'ils ne voulaient pas
collaborer avec le nouveau régime. on prend prétexte à tout. Bref, il faut nuancer tout cela et cesser
de se focaliser de manière anachronique sur la
langue en elle-même.
Il faut faire de la sociolinguistique.
L'étude de la « frontière linguistique » se fait
donc tant bien que mal, mais chacun...
... dans son petit coin. et c'est ce qu'il faut faire avant
de pouvoir en faire une étude globale. il faut d'abord
se livrer à de la micro-micro-toponymie. Bien des
gens me demandent d'écrire un livre qui intéresserait
tout le monde et dépasserait le cas d'overijse. Mais
le problème est que l'hyperspécialisation est indispensable (26). cela étant, j'ose prétendre que ce qui
se passe à overijse se passe aussi ailleurs, parce que
mon expérience et mon attention pour d'autres situations me disent que cela doit être le cas.
ce manque d'études favorise en plus les erreurs
concernant la « frontière linguistique ». il y a d'abord
l'expression même de « frontière linguistique », qui
n'est en fait pas utilisable scientifiquement parlant.
il y a aussi mille erreurs de perception (27). Par
exemple, un récent article dans la revue d'huldenberg a été consacré à l'abbaye de florival, qui se
trouve à archennes - florival ou Bloemendaal, archennes ou eerken, près de Grez-Doiceau, alias Graven-Donceel. entre parenthèses, il faudrait voir dans
les archives jusque quand ces appellations néerlandophones ont eu cours. La hulpe a été très thiois,
beaucoup plus thiois qu'on pourrait le croire à l'heure
actuelle. rosières a toujours été très roman, et Malaise l'a été aussi en tant que dépendance de la paroisse de La hulpe. Pour revenir à l'article en
question, celui-ci se veut une étude sur l'évolution
de la « frontière linguistique » dans cette communauté religieuse. au 18e siècle, des nonnes refusent
de parler français, de se confesser en français : des
nonnes qui font de l'opposition. Qu'est-ce que cela
nous apprend sur la « frontière linguistique » ? rien,
parce que ces nonnes, pour commencer, ne sont pas
de là. La résistance observée, loin de nous éclairer
sur la « frontière linguistique » ne fût-ce qu'à cet endroit précis, se situe à l'intérieur d'une communauté,
où des nonnes, souvent des filles d'agriculteurs un
peu perdues dans un environnement étranger à leur
tout à fait.
Ce que vous dites mérite d'être souligné. Primo,
rien que le fait que l'étude systématisée de la «
frontière linguistique » n'existe que depuis une
quinzaine d'années est, d'un point de vue scientifique, assez renversant.
Une étude dépoussiérée, une étude moderne, oui.
Voilà. Mais, secundo, que cette étude se fasse bon
an mal an par des gens de bonne volonté et des gens
très intègres comme Luc Van DUrMe, mais chacun
à partir de sa monoculture, c'est encore plus époustouflant, parce que, pour étudier la « frontière linguistique », il faut quand même être plus ou moins
bilingue et comparatiste, il faut faire de la linguistique comparative.
ce à quoi, du reste, je n'ai même pas été formé !
Mais il faudrait imaginer une telle formation, en
effet. J'ai prôné, dans le temps, la mise sur pied d'un
institut interdisciplinaire sur l'étude de la « frontière
linguistique ». J'ai écrit tout cela, j'ai dit et redit ça
dans tout ce que j'ai publié.
est-ce que, en ce moment, il n'y a personne qui,
comme vous, fasse un travail systématique, systémique, bref scientifique, c'est-à-dire qui tienne
compte du fait que les locuteurs ne sont pas
constitués comme certains le voudraient, à savoir qu'ils ne sont pas mono-identitaires, ni monolingues, mais sont pris dans des situations
complexes sinon de bilinguisme, du moins de diglossie ?
au moins de diglossie : souvent de triglossie ! non,
force est de constater qu'il n'y a personne d'autre.
c'est une constatation qui en dit long sur la recherche scientifique sur la « frontière linguistique ».
À moins que quelqu'un d'autre se manifeste en lisant ceci...
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page 12
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non pas pour les stigmatiser linguistiquement, mais
parce qu'ils débordent sur le Baekenbosch qu'il considère comme territoire overysschois. ces wallons de
La hulpe, dit-il, viennent empiéter sur le Baeken... et, à ce moment-là, dirait peut-être que j'ai tort. ce bosch : or il dit ça en français, il défend en français
qui serait formidable. Mais personne ne l'a jamais dit, les locuteurs nederduytsch d'overijse contre les waltoujours sous prétexte que mes observations ne lons de La hulpe. L'affaire n'est pas linguistique, et
concernent globalement que le cas d'overijse.
tout aussi maïeur qu'il soit et socialement haut placé,
il connaît « son » peuple. craBeeLs est un personNous venons de voir comment vous êtes arrivé à nage fascinant, parce que très intelligent, très anticet objet et comment l'étude de cet objet n'a visi- conformiste. il a des brouilles avec le doyen
blement pas beaucoup avancé du côté des univer- d'overijse, parce qu'il ne « tient pas ses pâques » à
sités, d'autant moins qu'il y a un contexte qui n'y overijse, qu'il va soi-disant à la messe à l'église
est pas favorable. Ma question maintenant est de notre-Dame du finistère à Bruxelles, qu'il joue les
savoir si ces zones de contact entre langue frangrands seigneurs, est le confident des princes De
çaise et langue néerlandaise le long de la « fron- hornes, est le maïeur républicain d'overijse, mange
tière linguistique » ont quelque chose de spécial à tous les râteliers. Mais c'est lui qui tient tout enpar rapport aux zones de contact entre français semble, il est le chef, il fait que les choses marchent.
et néerlandais ailleurs en flandre. y a-t-il
il connaît tous ces gens qui défilent chez lui dans son
quelque chose d'essentiellement différent entre, notariat, rédigeant tantôt des actes en français, tantôt
d'une part, contacts entre, disons, « bourgeois » en thiois - ça n'a pas d'importance. Donc, voilà,
gantois francophones et « petit peuple » gantois d'après moi, il s'agit là d'un précurseur du bourgeois
et, d'autre part, ce qui se passe à la « frontière
« fransquillon » du 19e siècle, mais beaucoup plus
linguistique » ?
près du « peuple ». Dans les zones urbaines en flandre, il y a une distanciation qui a dû se faire, une rupoui, il y a le contexte social. Les habitants de la ré- ture sociale assez terrible.
gion d'overijse, jadis viticole, appartiennent dans
l'ensemble aux classes populaires et surtout
Quelque chose qui ne serait pas tant lié à la
moyennes, et les contacts se font quels que soient les
francisation qu'à des facteurs socio-éconocodes linguistiques. Par exemple, les tombeekois
miques, à l'industrialisation de...
épousent des rosiéroises et vice-versa. or cela se fait
en dialecte de tombeek pour les uns - les tombee- au statut social. au fait qu'une fraction de la popukois n'apprennent pas la langue standard néerlandaise lation est devenue riche, créant un clivage entre les
jusque vers 1850 - et en dialecte wallon pour les au- nouveaux riches et les ouvriers. « Hou jij ze dom, dan
tres - le français se généralise à partir de la même zal ik ze arm houden » (30).
époque. et ces gens s'entendent, ces alliances se font,
et il y a même plein de mariages croisés. L'historien
Le cas du maïenr défendant son peuple
local Michel erKens a fait un mémoire de licence
contre « les Wallons » de La hulpe pourrait
très intéressant, sous la direction de nicolas rUwet
donner à penser qu'il existe une ethnie flade l'Université catholique de Louvain, de démogra- mande, qui se situerait alors par rapport à une
phie locale sur les mariages à Braine-l'alleud,
ethnie wallonne, non ?
rhode-saint-Genèse et waterloo, qui sont légion et
ne posent aucun problème (28).
Je n'aime pas le mot. Mais il y a des insultes qu'on se
lance, effectivement. D'un côté, on dit « tiesse de flaPeut-on dire qu'il y a un brassage social beaumin », de l'autre côté on dit « woelekajuut » (31).
coup plus important dans les villages le long de Mais, comme je le démontre dans la communication
la « frontière linguistique » que dans les villes ? que j'ai déjà citée (32), j'ai l'impression que, s'il y a
des querelles entre les uns et les autres, ce sont des
oui, c'est ça. il faut ajouter que les notables de ces querelles de voisinage entre villages pour la possesvillages n'ont pas la prétention qu'ont l'aristocratie et sion de bouts de territoire. si des garçons de La hulpe
la bourgeoisie d'une ville comme Gand, anvers ou viennent s'attaquer, armés de couteaux, à des garçons
Bruges vis-à-vis de leur personnel domestique. ils d'overijse aux kermesses, cela se passe dans tous les
sont beaucoup plus proches de « leur » peuple - sans villages. c'est « ceux de La hulpe » contre « ceux
vouloir tenir des propos paternalistes. on voit ainsi d'overijse », comme cela peut être « ceux d'huldenle maïeur Judocus craBeeLs (29) défendre ses conci- berg » contre « ceux d'overijse ». La notion de comtoyens overysschois contre les gens de La hulpe en munauté à cette époque veut dire « village », et non «
parlant d'eux comme « les wallons de La hulpe », ethnie ». ii s'agit de « ceux d'overijse », « ceux de
ah ! oui. auquel cas cette interview aura servi à
faire avancer d'autant
la recherche sur la question.
GHIJKLMNO PQRSTULVO OK WXYO Z S[\][Z^ ZS_\` aXYOZ]
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rosières », « ceux de la paroisse de X ou y ». c'est
cela, la communauté, et je crois que c'est très fort,
l'esprit de communauté paroissiale, villageoise, je
crois que c'est ce qui imprègne l'ancien régime. ce
n'est pas l'ethnie, du moins c'est ce que révèlent les
archives locales.
Vous qui habitez anvers, vous n'avez jamais été
intéressé par l'étude des contacts entre néerlandophones et francophones à anvers ?
non, parce que ma vie professionnelle et relationnelle a toujours été d'abord à Bruxelles. il y a assez
de quoi faire dans la périphérie bruxelloise. c'est un
autre sujet, je dirais, certes un sujet connexe, complémentaire. Mais mon monde, c'est Bruxelles et son
hinterland oriental aussi bien flamand que wallon.
ayant enseigné au collège saint-hubert à watermael-Boitsfort, je me suis aussi beaucoup intéressé
à l'histoire lorale de cette commune bruxelloise, ainsi
qu'à celle d'auderghem. cela dit, en tant qu'enseignant de néerlandais deuxième langue en milieu
francophone bruxellois, et à des élèves habitant bien
souvent la périphérie, je me suis toujours efforcé,
outre d'enseigner la langue, de les éveiller à la culture, aussi bien « flamande » que « hollandaise »,
tout en initiant à la problématique flamande des
élèves totalement ignares de la chose. c'est d'ailleurs
dans ce contexte-là que j'ai traduit, en 1973, le livre
culte à l'époque et prémonitoire du journaliste Manu
rUys, Les flamands. un peuple en mouvement, une
nation en devenir (33).
Dans quelle mesure l'étudc de la « frontière linguistique » contribue-t-elle à l'étude des francophones et de la francophonie en flandre ?
il y a de nombreux points communs, évidemmtnt : il
s'agit partout de locuteurs de langue française dans un
contexte devenu majoritairement néerlandophone,
sauf dans la région de Bruxelles-capitale. Mais les
situations sociolinguistiques sont très différentes, et
c'est ça qu'il faut justement étudier. Mon appartenance
au CentRe D'étuDe Des fRAnCoPHones en fLAnDRe depuis sa création en 2008 m'a fait comprendre à quel
point les francophones des villes flamandes sont différents des francophones « flamands » (34) de
Bruxelles et de ses environs. ceux-ci, par comparaison, sont des francophones plus 19e siècle, plus estampillés lutte des classes. Les francophones de
Bruxelles et de la périphérie sont des gens qui portent des noms flamands, qui sont des francisés plus
récents - trois, quatre générations. Mais ce ne sont
pas des descendants de grandes familles telles qu'on
en trouve beaucoup dans les villes de flandre. en
périphérie bruxelloise, ce sont les pires des « flamands » aux yeux des nationalistes flamands, parce
page 13
que ce sont des flamands perdus pour la cause, ce
sont les flamands francisés, les flamands bruxellois
tache d'huile, ceux qu'ils essaient de récupérer par le
biais du discours sur le « Vlaamse Rand » (35) et de
l'homogénéisation linguistique. Quoi qu'il en soit, il
est donc important de voir que « les » francophones
en flandre ne forment pas un seul groupe homogène
et qu'il ne faut donc pas les étudier comme tels. il
faut parler des francophones de Gand, d'anvers, de
courtrai, etc. et il ne faudrait pas oublier les francophones de Bruxelles, de la périphérie, sinon on aurait, sinon on donnerait une image tronquée de la
réalité.
C'est entendu. Mais la « frontière linguistique »,
ce n'est pas que Bruxelles, pas que le Brabant.
oui, mais ce qui se passe à Bruxelles et dans les environs est tellement extraordinaire, tellement particulier, dans la forêt de soignes, véritable réserve
naturelle de toponymes bilingues, dans toute cette
région qui est au coeur de glissements linguistiques
séculaires, d'hybridations, de mixités, de créolisations. c'est fascinant. Quant aux gens qui vivent
cette expérience et savent à la fois le français et le
néerlandais, ils tendent à avoir une autre mentalité,
finalement, sans être plus intelligents ou plus diplômés que d'autres, mais en ayant, d'après moi, un
autre comportement, un autre état d'esprit, un esprit
d'ouverture plus marqué.
* Paul DirKX est membre fondateur du ceff-
sfV. il enseigne la sociologie de la littérature et
de la presse à l'Université de Lorraine.
Pour citer cet article : Paul Dirkx : « interview
Guy VanDe PUtte », francofonie 4 (hiver 20122013). La littérature francophone en flandre depuis 1970 - franstalige literatuur in Vlaanderen
sins 1970.
références
(1) De Belgen zijn altijd vreedzaam met elkaar opgetrokken
(Knack 15 septembre 2012, p. 14; Brigitte rasKin : De taalgrens. of wat de Belgen zowel verbindt als verdeelt, Louvain,
Davidsfonds 2012.
(2) Lire la "Mission" du ceff-sPV (francofonie 1 (été 2009).
La fin d'un tabou ? - een taboe doorbroken ? p. 16-17.
(3) Guy VanDe PUtte dit "over-isque" (overyssche), selon
l'ancienne prononciation francophone.
(4) alphonse waUters : Histoire des environs de Bruxelles ou
Description historique des localités qui formaient autrefois
l'ammanie de cette ville (3 tomes), Bruxelles, Vanderauwera,
1855-1857. alphonse waUters était professeur à l'Université
libre de Bruxelles et archiviste de la ville de Bruxelles. eugèneJoseph riGaUX (1824-1895) était écrivain, instituteur et receveur des postes à overijse.
(5) alphonse waUters : Geschiedenis der oude vrijheid en
heerlijkheid van overyssche. Vertaald door e. RIGAux, overijse, imprimerie aimé De schuytener, 1888.
bcdefghij klmnopgqj jf rstj u nvwxvuy unzw{ |stjuy
page 14
(6) Guy VanDe PUtte : eugeen-Joseph riGaUX (1824-1895).
een verdienstelijk overijsenaar herdacht : proeve ener bio-bibliografie en stamgeschiedenis. Bevatten eveneens bio--bibliografische schetsen met betrekking tot de Vlaamse schrijvers
Lodewijk Hoornaert, Petrus¬-Johannes, Petrus-eduardus, en
Johannes-Amandus Vandroogenbroeck (ferguut), mede van
Antoon-Victor De Veen, roulers, familia & Patria, 1974.
(7) Pierre LeBrocQUy : Du flamand dans ses rapports avec les
autres idiomes d'origine teutonique, Bruxelles, Van Dale, 1845,
coll. analogies linguistiques.
(8) 1887-1954.
(9) G. raUe et J. M. coLMonts : Dr Beneke's nieuwe zieleleer.
uit het hoogduitsch vertaeld door e. Rigaux, Lierre, Van in,
1860.
(10) 1911-1994
(11) cet hebdomadaire fondé en 1922 était le titre le plus prestigieux de la presse littéraire franaçaise.
(12) " De la Bruyère, de la lande campinoise".
(13) Voir l'« Éditorial » de ce numéro de francofonie. cf. Paul
DirKX, « Éditorial. identité ? », francofonie 3 (2011). identité(s) - identiteit(en), p. 14-2 1.
(14) Guy VanDe PUtte, « La commune d'overijse et ses voisines wallonnes : traces de conflits communautaires (?) dans
le passé », communication au neuvième congrès de l'association des cercles francophones d'histoire et d'archéologie de
Belgique - LVie congrès de la fédération des cercles d'archéologie et d'histoire de Belgique.
(15) « Wat komen die hier doen ? Wat kennen die daarvan ?
Wat weten die daarvan ? » (« Qu'est-¬ce que ces gens viennent
faire ici ? Qu'est-ce qu'ils y connaissent ? Qu'est-ce qu'ils en
savent ? »).
(16) Ludo siMons : oostnoordoost. facetten van de uitstraling
van Vlaanderens taal en literatuur, anvers, De nederlandsche
Boekhandel, 1969.
(17) rosières, de l'autre côté de la « frontière linguistique »,
était une commune à part entière avant de devenir une partie de
rixensart à la faveur de la fusion des communes belges en
1977.
(18) Godefroid KUrth : La frontière linguistique en Belgique
et dans le nord de la france (2 tomes), Bruxelles, société belge
de librairie, 1896 et 1898.
(19) notamment Danny LaMarcQ et Marc roGGe (éds.) : De
taalgrens : van de oude tot de nieuwe Belgen, Louvain, Davidsfonds, 1996, coll. historische reeks. citons aussi les travaux de
Luc Van DUrMe (cf. infra].
(20) Maurits GysseLinG : toponymisch woordenboek van België, nederland, Luxemburg, noord--frankrijk en West-Duitsland voor 1226 (2 tomes), s.l., Belgisch interuniversitair
centrum voor neerlandistiek, 1959 et 1960, coll. Bouwstoffen
en studiën voor de geschiedenis en de lexicografie van het nederlands.
(21) Voir en particulier Luc Van DUrMe : Galloromaniae neerlandicae submersae fragmenta, Gand, Koninklijke academie
voor nederlandse taal- en Letterkunde, 1996, coll. Koninklijke
academie voor nederlandse taal- en Letterkunde, Publikaties
van de commissie voor Middelnederlandse taal- en Letterkunde ; id. : Het toponymisch woordenboek van dr. M. Gysseling : aanvullingen en verbeteringen uit de nalatenschap,
Bruges, Koninklijke commissie voor toponymie en Dialectologie, 2009.
chroniques de watermael-Boitsfort n°26 -
mars 2014
(22) « thiois » est l'équivalent français de « dietsch » ou « Diets »,
langue germanique parlée dans l'ancien duché de Brabant. ce
terme sera utilisé jusqu'à la fin du 18e siècle pour désigner la variante du néerlandais dans cette région.
(23) Luc Van DUrMe : Galloromaniae neerlandicae submersae
fragmenta, op. cit.
(24) La marne est un mélange naturel d'argile et de calcaire. ce
mot est une altération de « marle », mot lui-même issu du latin
populaire margila.
(25) revue bimestrielle du cercle historique et archéologique
de wavre et de la région.
(26) en fait, le livre qu'évoque ici Guy VanDe PUtte existe,
même s'il se concentre sur le cas d'overijse (Guy VanDe PUtte :
Belgica Creola. Le contact des langues en périphérie bruxelloise. L'exemple d'overijse, Bruxelles-anvers, ePo, 1999).
(27) cf. Guy VanDe PUtte : « La frontière linguistique » avant
la frontière linguistique. Conceptualisation et perception dans
l'histoire locale au pays de l'Yssche et de la Lasne », actes des
Viie congrès de l'association des cercles francophones d'histoire et d'archéologie de Belgique et LiVe congrès de la fédération des cercles d'archéologie et d'histoire de Belgique.
congrès d'ottignies - Louvain-la-neuve 26-28 août 2004,
Bruxelles, safran, 2007, p. 531-538.
(28) Michel erKens : Het huweIijk op de taalgrens. Brainel'Alleud, Waterloo, sint-Genesius-Rode 1715-1824. socio-demografische proeve, Louvain-la-neuve, Université catholique
de Louvain, 1978, mémoire de licence inédit.
(29) 1743-1812. Voir Jozef iJsewiJn, Guy VanDe PUtte et raymond Denayer (éds.) : Judocus J.C.A. Crabeels. odae Iscanae.
schuttersfeest te overijse (1781). tome 3, Louvain, Universitaire Pers Leuven, 1981, coll. supplementa humanistica Lovaniensia.
(30) « faites qu'ils restent bêtes, je ferai qu'ils restent pauvres » .
(31) « tête de flamand » et « cahute wallonne » (littéralement
: cabane wallonne). À noter que le mot français « cahute » est
lié à la « kajuit » (cabine d'un bateau) néerlandaise.
(32) Guy VanDe PUtte :, « La commune d'overijse et ses voisines wallonnes : traces de conflits communautaires (?) dans
le passé », art. cit.
(33) Manu rUys : Les flamands. un peuple en mouvement, une
nation en devenir. traduit par Guy VanDe PUtte [De Vlamingen. een volk in beweging, een natie in wording]. Préface de
Gaston eysKens, ministre d'État, tielt / Louvain, Lannoo / Vander, 1974. Manu rUys (1924), qui est alors en passe de devenir
rédacteur en chef politique et éditorialiste du quotidien catholique De standaard, est une des voix les plus écoutées des courants nationalistes flamands du dernier tiers du 20e siècle. son
livre sur Les flamands fut « une révélation pour beaucoup de
ses compatriotes d'expression française » (Le nouveau dictionnaire des Belges, Bruxelles, Le cri / Legrain / rtBf, 1992).
(34) Les guillemets renvoient au fait que Bruxelles est une ancienne ville thioise graduellement francisée au cours des siêcles.
(35) sur cette notion destinée notamment à faire pièce à l'expression « périphérie bruxelloise », lire Paul DirKX : « Petra
Gunst, Brussel en de Vlaamse rand. een verhaal van migraties
en grenzen. Met een fotokatern van Michiel Hendryckx », Leuven / antwerpen, Peeters - Provincie Vlaams-Brabant / aDVn,
2008, coll. accenten uit de geschiedenis van Vlaams-Brabant,
160 p. , francofonie 1(été 2009). La fin d'un tabou ? - een
taboe doorbroken ?, p. 62-68.
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chroniques de watermael-Boitsfort n°26
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une boucherie rue de Bien-Faire
boucherie de la rue du Bien-faire.
en 2013, il a vendu sa boucherie à un
architecte de l'avenue coloniale qui en
a fait une habitation moderne.
andré habite maintenant dans un petit
appartement au boulevard du souverain. yvonne était déjà en maison de
repos et pour un homme seul, la maison
était devenue trop grande et les charges
et l'entretien, trop lourds à supporter.
Armand DI MARtIneLLI
P
ropos sur l'ancienne boucherie qui se trouvait
au 19, rue du Bien-faire.
cette boucherie existait déjà en 1920. sur la première
photo, on voit l'angle de la rue du Bien-faire et de la
rue de la Montagne (rue des touristes). seule la présence de la bouchère qui pose sur le pas de la porte en
robe blanche de travail, montre que la maison, à la
façade étroite était déjà un commerce à cette époque.
sur la deuxième photo, on voit que la façade a été
modifiée. c'était en 1958. rien n'avait changé en
presque quarante ans.
L'ancien propriétaire était Monsieur Boets. il a
vendu son commerce en 1958 à andré Van De Pitte
c'est andré qui en 1958 a modernisé la boucherie.
il a tenu son commerce jusqu'en 1993, jusqu'à l'âge
de la retraite. Pendant 35 ans, andré et sa femme
yvonne ont tenu la boucherie à eux deux. ils s'étaient
mariés en 1952 et ont eu une fille qui est dans l'enseignement. andré a maintenant 85 ans et yvonne,
82. andré a d'abord travaillé pendant 13 ans comme
boucher pour un patron à la chaussée de Boendael.
il s'est mis à son compte et, à 30 ans, il a repris la
en haut : carte postale ; Édition th. Bogaerts, wattermael - col. r. GartenBerG
au milieu : photographie de la façade en août 2010,
J-J. Van MoL
Ci-dessus : andré et yvonne Van De Pitte photographie a. Di MartineLLi 31.12.1993
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chroniques de watermael-Boitsfort n°26 -
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mars 2014
Entretien avec Philippe MOuthuy
J
e m’appelle MoUthUy Philippe, né le 11 août 1950 à
Uccle. J’ai toujours habité watermael, mon père (décédé) était le Docteur MoUthUy, et ma mère Madame
hUBLet, qui habite encore à la résidence avenue Léopold
wiener. J’ai été à l’école de la sainte-famille, ma mère y
a été aussi. Quand elle a été un peu plus grande, elle a travaillé dans la nursery à côté de l’école.
J’ai bien sûr fait mes études primaires à l’école de la
sainte-famille, mais après la 1ère et la 2ème tous les garçons
devaient partir et devaient changer d’école. il n’y avait
que les filles qui pouvaient rester. Mes souvenirs de cette
école, c’était une rue sombre avec beaucoup d’arbres et
c’est arrivé que je m’enfuie de l’école et je retournais chez
moi, rue du Loutrier. c’est vrai que je trouvais les environs de cette école très sombres. comme élève, les souvenirs que j’ai de mon enfance font peut-être une
différence avec la situation actuelle, car je n’étais pas tellement bien, c’était sombre et il n’y avait pas de vie, ce
qui n’est plus le cas maintenant
sur la matière, je me souviens bien de la religion : le
catéchisme était pénible pour moi, j’aimais bien le calcul
; une chose dont je me souviens aussi , c’est le bricolage.
Pour le bricolage, les garçons devaient faire quelque
chose et les filles faisaient tricot ou couture. Les garçons
ne faisaient pas ça, je m’en rappelle bien, et j’aurais voulu
recommencer à trouver cela, j’ai même encore cherché
sur internet pour savoir comment on faisait : nous devions
faire une écharpe. Pour cela on avait une grande planche,
allongée, avec des clous, et on devait passer un fil puis
avec des grandes aiguilles on passait les fils dans l’autre
sens et finalement cela formait une écharpe. c’était un
peu un métier à tisser, mais cette méthode est devenue introuvable. Je pense qu’il y aurait moyen d’essayer soimême, mais cela m’a frappé parce que c’est quelque
chose que j’aimais bien et qui était original. Je me rappelle
aussi de ces tabliers noirs que l’on mettait : dès que l’on
entrait on avait son tablier, puis on commençait par du catéchisme ou de la lecture de la Bible où il fallait apprendre
des choses par cœur : ce n’était pas mon fort, qui était le
calcul. Je me rappelle aussi d’un piano, que j’ai d’ailleurs
retrouvé quand je suis rentré comme enseignant : il était
toujours là. Un piano noir, des tabliers noirs ; il n’y avait
évidemment pas de posters ou autres choses : les murs
étaient comme sur les photos que l’on voit des anciennes
écoles, il y avait des cartes, etc. Maintenant il y a un ordinateur, c’est tout différent.
À un moment donné, on a fait gymnastique au cercle
st-clément, dans la salle, ou au stade des trois tilleuls,
dans la partie en face des terrains. Donc on devait se déplacer.
Je me souviens des sœurs : il y avait entre autres sœur
Marie-henri e et mère stanislas (la sœur supérieure) : ce
sont elles qui s’occupaient de l’école, qui faisaient l’entretien. ces religieuses n’avaient rien à voir avec le couvent. c’est un autre ordre. elles étaient de Brakel, et elles
n’ont rien à voir avec les religieuses du couvent (Les
Dames de l'adoration perpétuelle, institut fondé par anna
de Meeûs en 1857, devenues les religieuses de l'eucha-
ristie en 1969, nDLr). hisciwab a publié un article sur
l’histoire du couvent au début 2010.
J’ai alors été à l’école saint-Joseph, qui se trouve près
de l’église saint hubert. cette école a changé de nom et
est devenue néerlandophone. J’ai passé deux ou trois ans
à cette école que je n’aimais pas beaucoup. Mais j’ai retenu la thèse de certains professeurs qui m’ont donné
envie de continuer. J’ai terminé mes primaires à saint-Joseph, puis j’ai fait des techniques. J’avais entamé des
études techniques, c’était un peu familial. Mon père étant
médecin, on a d’abord voulu que je fasse des latines, puis
des modernes économiques – cela ne m’intéressait pas tellement non plus – et je me suis retrouvé en techniques.
Pour moi, l’électricité ne m’intéressait pas non plus,
c’était passager. on a voulu me faire tester l’informatique, j’avais de bons tests pour ça, mais l’enseignement
qu’on me donnait ne me convenait pas.
après cela, j’ai fait l’enseignement à saint-thomas,
près de la gare du Midi. J’y ai obtenu mon diplôme d’instituteur et j’ai commencé à travailler.
J'ai fait d’abord un an à saint-Joseph, et là on m’a demandé de venir enseigner à l’école de la sainte-famille,
car à saint-Joseph j’avais des enfants dont les parents
étaient dans le pouvoir organisateur de la sainte-famille.
c’était le début de la mixité dans les écoles. il fallait donc
commencer avec les enseignants aussi. c’est ainsi que j’ai
été le premier instituteur masculin à l’école de la sainte
famille. cela se passait en 1975-76. À partir de cette
année-là, les garçons ont pu continuer au-delà de la
deuxième année. il y a eu des garçons en 3ème, 4ème et ils
pouvaient continuer jusqu’en 6ème.
c’était l’enseignement primaire uniquement. Quand
je suis arrivé il y avait une 1ère, une 2ème, une 3ème, une 4ème
et les 5ème et 6ème étaient réunies. Plus tard, on a séparé la
5ème de la 6ème. il y avait donc 6 années, plus 3 maternelles. en première et deuxième il y avait beaucoup
d’élèves, car on pouvait commencer la mixité. Ma première classe comptait 26 ou 27 enfants. c’est d’ailleurs
la moyenne que j’ai eu ensuite. cette année-ci j’en ai 27.
chose bizarre, il y a maintenant plus de garçons que de
filles dans les classes. sur les 27 élèves, il doit y avoir à
c’était ma première année à l’école de la sainte famille.
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chroniques de watermael-Boitsfort n°26
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mars 2014
peu près 15 garçons et 12 filles, comme je l’ai dit il y a
souvent plus de garçons que de filles.
Lors de ma première année, les parents m’ont demandé de « remonter » avec ma classe, et j’ai donc donné
cours deux ans à la même classe. J’avais commencé en
2ème année, et je suis remonté avec ma classe pour faire
la 3ème année avec les mêmes élèves. J’avais demandé que
la majorité des parents soit d’accord, sinon je n’aurais pas
accepté, car je ne voulais pas avoir de conflit avec certains enfants ou parents.
À ce moment-là, le Pouvoir organisateur était composé de Monsieur roMan, Monsieur Jonart (ou Jonin
?), Monsieur thieren. il n’y avait pas d’enseignants dans
le Pouvoir organisateur, ce n’était que des parents
d’élèves. cela n’a rien à voir ni avec le comité des Parents, ni avec celui des fêtes. L’école appartenait au couvent (des religieuses de l'eucharistie nDLr). Le Pouvoir
organisateur devait lui payer un loyer, une certaine
somme. cela a changé plus tard, quand le couvent s’est
retiré. Dès ce moment, l’école est devenue « son seul
maître », elle est devenue propriétaire des bâtiments.
il y a eu ensuite une période de travaux, aux environs
de 1993-94, où toutes les sœurs qui travaillaient dans
l’école sont rentrées dans leur congrégation. À ce moment on a agrandi l’école, de la partie des sœurs on a fait
un réfectoire et des classes. on a construit une salle de
gymnastique dont auparavant l’école était dépourvue. La
partie néerlandophone s’est agrandie aussi. il y a une section néerlandophone à côté. cette section représente
entre le tiers et la moitié du nombre d’élèves de la section
francophone.
au point de vue discipline, on dit souvent que cela devient difficile ; c’est vrai, mais quand j’ai commencé j’ai
eu des enfants très difficiles aussi. Pour moi, il n’y a pas
de différence. Dans le passé, j’ai eu le cas d’enfants qu’il
fallait empoigner pour les faire entrer en classe ; maintenant, cela ne se produit plus. Mais il y a plus de liberté,
ils sont peut-être un peu plus bavards. Je me souviens
que, quand j’étais petit, on devait se lever. il y avait une
discipline qui était tout autre, qui était moins sympathique. Maintenant les enfants sont plus familiers. c’est
peut-être un tort ? ils s’expriment plus, parfois il y en a
même qui tutoient, c’est la vie qui évolue. Quand ils deviennent adolescents c’est différent, je n’aurais jamais
voulu enseigner à des plus grands. J’ai de la chance, je
suis toujours avec les plus petits et cela me convient. Je
crois que les enfants aussi sont contents.
J’ai des élèves de 6-7 ans, et ils utilisent déjà l’ordinateur, ils aiment bien. ce n’est pas pour cela qu’on travaille dessus, c’est plus pour présenter un sujet, par
exemple la famille royale, je le fais sous forme de fichier
pdf : c’est pour diffuser l’information et à certains moments, ils peuvent l’ouvrir, ce n’est pas pour jouer. ce
n’est certainement pas pour aller sur internet, d’abord je
ne sais pas y aller et je suis contre l’internet pour les enfants : l’ordinateur est pour eux synonyme de jeux. il y
a bien longtemps, il y a eu une période où je donnais
cours d’ordinateur, j’ai donné cours de photo aussi, et ils
aimaient bien, mais c’était plus pour s’amuser. c’était les
débuts, maintenant il n’y a plus de charme parce que
toutes les photos sont numérisées ; avant je travaillais les
photos…
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on utilise aussi l’ordinateur pour les anniversaires. il
n’y a pas 27 ordinateurs, mais l’écran est assez grand, ils
sont assis en classe derrière : ils peuvent se retourner, regarder, ou alors c’est en petits groupes, car j’ai maintenant la chance de travailler avec une collègue : elle prend
parfois un demi-groupe, et au lieu de me retrouver avec
27 élèves, j’en ai 13. Je travaille aussi souvent avec ma
collègue de première, en cycle.
Le rôle de la religion, c’est comme ce que stipule le
règlement de religion, c’est deux heures par semaine.
c’est vrai que par rapport à ce qu’on avait avant, c’est
peu – je regarde l’horaire de 1955 ou 56, il y avait tous
les jours Bible, catéchisme, liturgie… ce n’est pas un
prêtre qui donne religion, c’est le titulaire. a un certain
moment, nous avons eu quelqu’un qui venait donner religion, Mme Dayez, cantineau. attention, il y a aussi la
morale, au choix de chacun. Maintenant, on a de plus en
plus de religions différentes : dans le passé dans l’école
on avait plus souvent des enfants belges, mais maintenant
cela s’ouvre sur toutes les nationalités et toutes les religions, mais nous sommes obligés de prévoir la religion
catholique, car l’établissement se revendique de la religion catholique.
Pour la gymnastique, au début les titulaires devaient
eux-mêmes donner le cours de gymnastique, maintenant
nous avons un professeur de gymnastique et nous avons
un grand local pour ce cours.
au point de vue vestimentaire, quand je suis revenu
enseigner, les enfants étaient habillés en bleu. il y avait
un uniforme. ce n’est que depuis 5 ou 6 ans qu’on a arrêté l’uniforme. on l’a abandonné, parce que le bleu posait problème : il y avait trop de variantes de bleu et
certains ne respectaient pas l’uniforme ; il y avait des enseignants et des parents qui étaient contre, et finalement
on a changé.
Quand j’ai commencé, c’était « col et cravate », maintenant je ne suis plus en col et cravate. c’est comme le
tablier : avant le professeur mettait un tablier, mais je ne
me rappelle pas en avoir mis.
Ma fille est enseignante également, et elle est dans une
école près de la place fernand cocq où il y a aussi beaucoup de musulmans. Je crois que maintenant, cela devient
un peu toutes les nationalités. il y a des allemands, des
Marocains, des africains.
Le château Les tourelles
Ma grand-mère habitait le château des tourelles rue du
Loutrier. J’adorais cette propriété qui était assez grande.
elle a été reprise par La Clairière. Les jardins étaient magnifiques : il y avait des plantes, des fleurs, des fruits à
volonté. Parfois même le matin, on allait ramasser les
noix. La maison elle-même était pleine de pièces, et
j’adorais aller me balader dedans.
J’ai beaucoup de souvenirs de ce château. en bas, au
sous-sol, il y avait une espèce de pont qui permettait de
passer des deux côtés du château. il y avait là un peu de
tout, de vieux machins, et comme j’aime ce qui est ancien, j’aimais y aller. au-dessous, il y avait beaucoup de
mansardes et tout au bout dans le toit, il y avait une espèce de petite cour et quand on la traversait, on arrivait à
une autre petite mansarde un peu plus loin. c’était donc
ÐÑÒÓÔÕÖ×Ø ÙÚÛÜÝÞÕßØ ØÔ àáâØ ã Üäåæäãç ãÜèåé êáâØãë
chroniques de watermael-Boitsfort n°26 -
page 18
mars 2014
une espèce de terrasse à l’air libre, mais personne n’y al- pièces. et en plus,… elle faisait de bonnes confitures !
lait. Moi j’y allais parfois pour voir les tourelles : c’est
Je n’ai malheureusement aucune photo de l’intérieur
de là que vient le nom de la villa. ces tourelles étaient de la maison. Je l’ai regretté, mais j’ai évidemment les
des espèces de grenier. il y avait aussi des espèces de pe- photos dans la tête. À l’étage, au-dessus, il y avait une
tites tourelles où il y avait d’ailleurs une salle de jeux, pièce à droite si je me souviens bien, où l’on conservait
mais c’était très petit. L’une ne faisait qu’un mètre cin- les fruits. il y avait une salle de bains, une chambre, puis
quante de diamètre. J’aimais bien ce château, et comme un couloir avec des petites chambrettes. il y avait aussi
nous habitions juste à côté, on pouvait assez facilement une espèce de grand placard où elle conservait ses pots
aller profiter du jardin, du tennis (parce qu’il y avait aussi de confiture. elle avait 8 enfants, il fallait les loger…
un tennis) à la place du grand bâtiment qui a été construit c’est une famille un peu française : ils sont venus en Belpour La clairière. en bas, il y avait la cuisine, au rez-de- gique mais ma grand-mère était française.
chaussée il y avait un petit hall, un grand hall, une petite
cuisine avec un passe-plats, une grande
salle à manger, un petit salon qui donnait
sur le balcon, la terrasse, et il y avait un
grand salon chinois. on l’appelait ainsi à
cause des meubles chinois qu’il contenait. c’est là qu’on se réunissait tous lors
des fêtes. Les plafonds étaient très hauts,
donc on pouvait y mettre un grand sapin
à noël. La famille était très nombreuse :
chez ma mère ils étaient 8 enfants, cela
faisait du monde. Étant donné que j’habitais tout près, quand nous étions un peu
plus grands nous pouvions décorer le
sapin, mais à l’époque c’était un sapin
avec des bougies évidemment : on aimait
bien les allumer avec un grand bâton avec
une bougie allumée, et ensuite on pouvait
les éteindre avec un petit capuchon. Quel
risque… on en était fier. J’aimais bien
aussi me balader au-dessus, car quand ma
réunion de famille au château des tourelles.
grand-mère est devenue plus âgée il a
fallu la veiller, mais comme nous étions
à côté, on venait et parfois elle me disait :
entertien enregistré le 12 février 2013 à watermael
« écoute, tu peux aller faire un petit tour
par Jean-Jacques Van MoL
» : j’aimais me balader et visiter les
transcription Daniel BocKstaL
Entretien avec Louis SChattEMan
L
ouis schatteman, alerte nonagénaire doté d'une
mémoire sans faille, nous a ouvert son tiroir aux
souvenirs et parmi ceux-ci, trois périodes marquantes de sa vie.
« Je m'appelle Louis schatteMan. Je porte le prénom
de mon grand-père qui était aussi mon parrain. il était originaire de Destelbergen près de Gand .
« Mes parents se sont mariés à Moorsel près d'alost.
Ma maman était en service au château de Moorsel. Mes
parents ont eu trois enfants. Mon frère aîné est né à Moorsel le 24 février 1918, la dernière année de la grande
guerre. Ma grand-mère l'a élevé. Mais mes parents ont dû
quitter Moorsel et sont venus se fixer à etterbeek. c'est
là que je suis né, le 5 octobre 1920, au 294 de la chaussée
d'etterbeek. Ma soeur y est née le 7 février 1924.
« Mon père n'avait pas de diplôme. a cette époque-là,
les enfants quittaient l'école vers 11 ans. il est allé travailler « au tram ». il a été engagé comme receveur aux tram-
ways bruxellois ; il dépendait du dépôt d'ixelles. À la naissance de ma soeur, l'appartement qu'ils occupaient était
devenu trop petit. ils ont dû déménager et ont acheté la
maison du 32, heiligenborre, propriété de mon neveu
Jacques hoyaUX actuellement. c'était au printemps 1924.
Je me souviens encore de la découverte du jardin fleuri.
J'ai grandi à Boitsfort. Mon frère et moi, avons fréquenté l'école saint-Joseph. Je suis resté à l'école à Boitsfort jusqu'à mes 14 ans. ensuite, on m'a envoyé à Don
Bosco à woluwé. J'étais doué pour la technique. À douze
ans, j'avais monté un vélo à partir de pièces que je m'étais
procurées dans le quartier. et je me suis mis à rouler à
vélo un peu partout dans la région et en forêt de soignes.
en 1937, ma mère est décédée. c'était une catastrophe.
Ma soeur avait treize ans et mon père travaillait souvent
le soir. on était livrés à nous-mêmes. c'était difficile. La
misère en somme.
Je suis resté à Don Bosco jusqu'en 1937-1938. J'ai obtenu un diplôme d'électro-mécanicien spécialisé dans les
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chroniques de watermael-Boitsfort n°26
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machines outils. Grâce à un de mes professeurs, j'ai
trouvé du travail chez VInCent & fILs, une firme que je
n'ai pratiquement jamais quittée. J'ai été engagé le 2 janvier 1939. entretemps, mon frère est parti au service militaire. Ma soeur s'est mariée à 18 ans.
comme je suis né en 1920, j’ai été appelé pour éffectuer mon service militaire le 11 mars 1940, deux mois
avant l'invasion de la Belgique.
où est donc passé mon régiment ?
J'aurais dû être incorporé le 15 mai, mais voulant être affecté à l'aviation comme mécanicien, j'ai devancé l'appel
et passé un examen. Je l'ai réussi et j'ai été retenu comme
électro-mécanicien à l'aviation. Je suis resté à zellik pendant deux mois et le 8 mai, on nous a déménagés à evere,
pas sur la plaine, mais dans une salle de danse. c'était la
mobilisation et il n'y avait pas assez de place pour tout le
monde. Le lendemain, on nous a réveillés à trois heures du
matin et on nous a annoncé que les congés étaient rétablis.
Mais c'était tout autre chose qui s'est produit. Le 10
mai, on est montés dans des camions avec des remorques
remplies de petites bombes que les aviateurs jetaient par
dessus bord. Direction haecht, sur une route en pavés.
Voilà qu'on est victimes d'une crevaison. il fallait réparer
et on a pris du retard. entretemps, les avions allemands
ont commencé à attaquer. c'étaient les stukas. Le capitaine-aviateur qui nous accompagnait nous a dit : « cette
fois-ci, c'est sérieux ! ». Les bombes explosaient à proximité. on a eu de la chance. on l'a échappé belle. on s'est
arrêtés vers 8 heures du matin sur une position improvisée, une petite place à neerwinden, au sud-est de tirlemont. Le capitaine était déjà « liquidé », victime d'une
rafale de mitrailleuse allemande au retour d'un vol de reconnaissance.
Le soir, arrivé tardivement au cantonnement, je n'avais
pas reçu d'armement. Un camarade m'a prêté son fusil et
je suis allé monter la garde à l'entrée d'un verger où il y
avait deux avions camouflés.
Le samedi suivant, à quatre heures du matin, j'étais de
nouveau de garde. arrivent deux aviateurs venus prendre
possession des avions. ils me demandent ce que je fais
encore là, alors que tous les autres sont déjà partis. Je rentre vite au cantonnement. il n'y avait plus personne. J'ai
pris mon sac et je suis allé à la gare qui n'était pas loin.
J'y ai retrouvé des mitrailleurs qui arrivaient avec leur armement qui datait de 14-18. on est montés sur un train,
mais il ne bougeait pas. on nous a dit que Louvain était
bombardée et que le train ne pouvait pas passer. a la fin
de la journée, on s'est demandé ce qu'on allait faire. on
est allés vers la chaussée proche où il y avait un mouvement de charrettes, de véhicules de toutes sortes et de
convois militaires. Je suis monté dans un fourgon et j'ai
roupillé sous la bâche. Le lendemain, je me suis réveillé
à woluwé, au dépôt du tram. J'ai pris le tram pour rentrer
à la maison pour manger parce que je n'avais rien avalé
depuis deux jours. J'ai mangé et j'ai dormi.
L'après-midi, je me suis mis à la recherche de mon régiment. Je ne savais pas où ils étaient et personne n'avait
pu me renseigner au cantonnement. Je suis allé à la gen-
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darmerie, mais ils ne savaient rien. ils m' ont envoyé à
Grimbergen, là où on pourrait me renseigner. Je suis parti
à la gare du nord où j'ai pris le tram pour Grimbergen.
Là, j'ai trouvé quelqu'un qui pouvait me renseigner. il m'a
envoyé à zaventem. retour à Bruxelles nord et en route
pour zaventem. comme il était tard le soir, j'ai cherché
un endroit pour passer la nuit. Le lendemain, on m'a dit
d'aller à Maldegem au-delà de Gand. De nouveau un tram
vers la gare du nord où j'ai pris le tram pour alost. a
alost, un policier a arrêté une voiture et a demandé à la
conductrice qui partait vers Gand de m'y conduire avec
un autre militaire rencontré sur le tram et qui cherchait à
se rendre à Gand.
À la gare de Gand saint-Pierre, on m'a envoyé à la
gare de triage de saint-Denis-westrem ; je suis monté
dans un train de marchandises sans savoir quand il partirait. Je voyais tout le charroi qui passait sur la route, mais
le train, lui, ne bougeait pas. J'ai dit « flûte » et j'ai demandé à un camionneur s'il pouvait m'emmener à Maldegem où se trouvait le Quartier Général. J'y suis arrivé
en pleine nuit. on m'a informé de ce que mon régiment
avait fait mouvement et qu'il était parti pour tours en
france. Pour le rejoindre, il fallait passer par la côte
jusqu'à Dunkerque. Quittant Maldegem, j'ai marché et fait
du stop jusqu'à Bruges où j'ai passé la nuit dans un abri
de fortune, un bâtiment qui avait été bombardé et dont
tous les carreaux étaient cassés. Le lendemain matin, je
me suis mis en route vers la côte. a ostende, un monsieur
m'a demandé où je voulais aller et il m'a emmené à Dunkerque en longeant la côte. Je suis arrivé le soir dans une
caserne française à Dunkerque. J'ai pu y manger et y passer la nuit. Le lendemain matin, on m'a conseillé de prendre un train jusqu'à Lille parce qu'il n'y avait pas de
liaison entre Dunkerque et Paris. a Lille, j'ai pris un train
pour Paris Je n'avais jamais été en france ni aussi loin
de chez moi. J'ai pris le train vers la gare du nord à Paris,
mais il fallait aller à la gare d'austerlitz prendre un autre
train pour Bordeaux. il fallait changer de train en cours
de route et ne pas rater la gare de correspondance. J'ai
demandé et redemandé comment faire ! en fin de compte,
je me suis installé dans le couloir pour pouvoir dormir,
mais je n'avais rien à manger. en pleine nuit, on m'a fait
descendre dans une petite gare et j'ai pris un autre train
pour la gare de tours. Là, il y avait un accueil improvisé
dans un hangar où un militaire belge m'a demandé de quel
régiment j'étais. Le lendemain matin, on est venu me
chercher et on m'a conduit au cantonnement à quelques
kilomètres de là. J'ai dû y patienter huit jours avant de retrouver mes camarades parce qu'ils étaient partis
construire des baraquements pour les réfugiés. au bout
de huit jours, ils sont revenus et on est partis vers la plaine
d'aviation de saint-symphorien, le long de la route d'orléans. il y avait d'un côté de la route la plaine d'aviation
et de l'autre, la caserne. on y a effectué un service de
garde de jour pour l'armée française. La nuit, on pouvait
aller dormir à la caserne, mais pendant les trois semaines
où on est restés là-bas, on n'y est jamais allés. tous les
soirs, il y avait des alertes et on s'installait dans les fossés
avec nos casques et notre équipement. au bout de près
!
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de trois semaines, comme la Belgique avait déposé les
armes, les français ne prenaient plus aucune responsabilité vis-à-vis de nous. on ne pouvait plus travailler pour
eux. on a plié bagages et reculé vers le sud. on a logé
dans les dépendances d'un vieux château et on y est restés
une bonne semaine. ensuite, on est allés encore plus au
sud, à 25 kilomètres de toulouse, à Pompignan. on s'y
est fixés, en déménageant de temps à autre. Le commandant du régiment n'avait rien pour nous et pour manger,
on devait se débrouiller. on recevait un franc de solde,
mais il n'avait pas l'argent pour nous payer. on ne savait
rien acheter et c'était un petit patelin de rien du tout. certains sont allés travailler chez des paysans et faisaient 10
kilomètres à pied pour y arriver. il n'y avait pas de sanitaires non plus. on est restés là jusqu'au 15 août et, ce
soir-là, on est arrivés avec notre charroi à Bordeaux qui
était occupée par les allemands. on a pris le train et on a
roulé jusqu'à une grande gare de triage où on a été ravitaillés par les allemands. on a encore roulé toute une nuit
et au petit matin, à mon réveil, j'ai vu que nous arrivions
dans une gare que je connaissais, avec des escaliers de
part et d'autre des voies. c'était la gare d'etterbeek. Le
train roulait encore doucement. sans hésiter, j'ai sauté du
train et monté les escaliers. c'était le matin très tôt et il
n'y avait presque personne. au coin du boulevard Général
Jacques et de l'avenue de la couronne, je me suis dissimulé derrière un petit sapin et j'ai attendu qu'un tram
passe. J'ai pris le tram, toujours en tenue militaire. À sept
heures du matin, j'étais à la maison.
Pendant et après la guerre
Pendant la guerre, j'ai travaillé chez VInCent sur des fraiseuses et des tours comme tourneur.
À la libération,
j'ai été pendant un
an à la gendarmerie parce qu'il n'y
avait pas de travail à ce momentlà chez VInCent.
J'étais
engagé
comme supplétif.
Je faisais du travail de bureau et
dans la matinée,
j'étais de service
au Palais de Justice. J'avais un
brassard
blanc
avec « gendarmerie ». on allait à la
prison de saintGilles
prendre
possession des
détenus. on les
amenais au Palais de Justice par
la petite rue en
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pente à l'arrière. Je me mettais toujours derrière pour éviter de prendre des coups de pied. on conduisait les détenus à la chambre où ils devaient être jugés.
ensuite, quand les activités économiques ont repris, je
suis retourné chez VInCent.
De cette époque d'après-guerre, je me souviens de la
kermesse du coin du Balai et des bagarres avec des jeunes
qui venaient d'overijse. Parmi les habitants, je connaissais
surtout ceux qui travaillaient au tram et leurs fils, comme
Van PariJs qui habitait de l'autre côté du heiligenborre et
Guns qui travaillait aux aiguillages. Leur fils henri qui
avait trois ans de moins que moi avait fait les arts et Métiers . c'était mon meilleur ami. sa mère et son père ont
été gentils pour moi quand mon père s'est remarié. cette
période a été dure pour moi. ils ont accepté de me recevoir
parce qu'à ce moment-là, j'ai dû quitter la maison paternelle car mon père en avait repris la pleine propriété. il
voulait que je m'en aille et me proposait de me racheter
ma part d'héritage de ma mère, soit 16.000 francs. J'ai refusé, mais je n'avais plus de chez moi. J'ai logé pendant
deux ans près de chez ma soeur.
Je n'avais pas beaucoup d'argent. J'ai toujours travaillé
et remis mon salaire intégralement. J'ai quitté la maison
en 1947. Le soir, j'allais manger chez ma soeur, ce n'était
pas tellement loin. Pendant deux ans, j'ai logé dans une
mansarde. J'ai épargné et j'ai eu assez d'argent pour
m'acheter des meubles.
Je sortais très souvent avec henri et j'allais chez ses
parents. en 1949, ils m'ont dit qu'il y avait un appartement
de deux pièces pour moi rue eigenhuis. c'était au n°13.
J'y ai vécu jusqu'en 1962. J'y ai donc passé une bonne partie de ma vie.
Louis schatteMan (à g.) Louis aMerycKX, départ de la rue Middelbourg.
collection Louis schatteMan
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en ce qui concerne les loisirs, il y avait surtout les
courses cyclistes. a ce moment-là, le vélodrome de schaerbeek existait toujours. J'allais à l'hippodrome pour y jouer
au football, pas pour voir les courses de chevaux. Le dimanche, on allait sur la plaine d'aviation d'evere avec une
autorisation spéciale pour faire voler des petits avions.
nous allions parfois au cinéma à Bruxelles. on se déplaçait toujours en tram.
Le soir, on terminait le travail à cinq heures et on revenait ensemble ou on roulait à vélo. Quand j'allais dans
ma famille, c'était en train, en tram ou à vélo.
à l'instar des «rois de la montagne»
henri m'avait dit qu'il aimerait bien voir la suisse. nous
avons préparé un voyage. on prendrait le train jusqu'en
suisse et puis on ferait le tour du pays à vélo.
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henri est retourné sur les chemins de nos exploits, mais en
train. il m'a envoyé une carte postale disant « Quarante ans
après l'ascension du saint-Gothard, salut ! »
ensuite, je suis parti avec Louis amerijckx qui habitait
à côté de la pharmacie Goreux. en 1949, il avait fait seul
1800 kilomètres en autriche. il m'a demandé de l'accompagner l'année suivante. J'ai acheté un meilleur vélo conçu
à Moorsel, le patelin de ma mère. il avait de meilleurs
freins et huit vitesses. Un double plateau devant et derrière,
4 pignons. Pour la montagne, il offrait un meilleur développement et il ne se soulevait pas quand on dépassait les
10 pour-cents.
en 1950, on a débarqué à la frontière autrichienne, près
du Liechtenstein et de là, on est arrivés à Garmisch-Partenkirchen en allemagne. amerijckx aurait voulu voir le
Jeu de la Passion qui se déroulait tous les dix ans à oberammergau. Pour assister au spectacle, il fallait loger dans
un hôtel. c'étaient les hôteliers qui vendaient les places.
on ne voulait pas loger dans un hôtel. on a risqué le coup.
on a planté la tente à proximité des pistes de ski et on est
montés vers oberammergau, soit 18 kilomètres de grimpée. a l'arrivée, on a prétendu qu'il n'y avait pas de place
à l'hôtel mais cela n'a pas marché.
on est allés à la zugspitze, le point culminant de l'allemagne, à 2960 mètres, à la frontière autrichienne, par le
petit train à crémaillère. amerijckx connaissait l'endroit
car, né en 1921, il avait dû faire son service militaire après
la guerre et il avait été appelé par les américains. il était
venu dans cette région avec les soldats américains. Pour
payer le train, on avait amené un kilo de café qu'on a vendu
pour 400 francs. on est redescendus avec le train. on avait
laissé nos vélos en bas et on les y a retrouvés quand on est
revenus le soir. Un bel exemple d'honnêteté !
on est partis ensuite vers innsbruck. on a franchi le
Brenner et de là, on est passés par le Val d'aoste.
Pour ce premier voyage, en 1949, on a pris le train
jusque Lucerne. on est passés par Küssnacht, où est
morte la reine astrid, puis par san Léonardo et san Bernardino. La route était effondrée à certains endroits. on
est passés à côté de trous béants puis on est descendus
vers Lugano et Locarno. on a eu de la neige dans les cols.
chez VInCent, j'avais quinze jours de congés payés au
mois de juillet. c'est pour cela qu'on faisait une partie du
voyage en train. il ne fallait pas compter sur les trains internationaux. on partait le vendredi soir par le train de 18
heures dix de la gare du Midi. on faisait enregistrer nos bagages et on montait dans notre compartiment. Vers cinq à
six heures du matin, on arrivait à Bâle. on prenait le train
suisse pour aller à Lucerne. cela allait vite car le réseau était
déjà électrifié alors qu'ici, c'était encore la vapeur. De là, on
randonnait à vélo. on a franchi le saint-Gothard. on est
passés par le susten pass. on campait souvent chez les gens,
dans leurs jardins. suivant la difficulté de l'étape, on partait
à six heures et on roulait le plus loin possible. a l'étape, on
achetait de quoi manger ou, si
ce n'était pas possible, on cherchait un petit restaurant. selon
les endroits, on faisait un bon
repas le midi ou le soir. on était
lourdement chargés : la tente
canadienne à double toit, le
tapis de sol, les matelas pneumatiques en caoutchouc à
l'époque, les sacs de couchage,
des vêtements de rechange, une
grosse veste, une bâche, etc.
Mon premier vélo était un
christiaens fabriqué à Boitsfort
au Kattenberg. il avait des
freins anglais. Dans les fortes
montées à 10 pour-cents et
plus, il fallait faire attention car
la roue avant se soulevait.
c'était le premier voyage, le
seul que j'ai pu faire avec
Louis aMerycKX devant magasin de vélo coin ch de la hulpe et Kattenberg en 1949
henri. en 1989, mon ami
Photographies, collection L. schatteman
=>?@ABCDE FGHIJKBLE EA MNOE P IQRSQPT PIURV WNOEHH
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Pour les voyages suivants, en 1953 et 1954, on
avait des congés un peu
plus longs et on a allongé
nos parcours. en 1953, on
a roulé en autriche, en
suisse et en italie. en
1954, c'était surtout la
france avec les montées
des cols rendus célèbres
par le tour de france,
comme l'iseran, le Galibier ou l'isoard. on est
passés en suisse et on a «
fait » le Grand-saintBernard.
À cette époque-là,
c'étaient de belles expéditions.
enregistrement : JP
CARPentIeR et JP Huts
transcription : JP
CARPentIeR
Le n°32 de heiligenborre Photographie de J. hoyaUX 2014
L’autre panorama du « Fer-à-cheval » en 1927 :
n
os « chroniques n°25 » étaient illustrées de graphe (et sans doute le même jour !) photographia
2 photos panoramiques prises depuis la tour l’autre versant de ce panorama, le côté du « Logis »
wauters (le « fer-à-cheval » du floréal) en en cours de construction.
1927 et vers le watermaelbeek. Le même photo-
Photographie n°1.
XYZ[\]^_` abcdef]g` `\ hij` k dlmnlko kdpmq rij`cn
chroniques de watermael-Boitsfort n°26
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sur la photo de la page de gauche, on distingue
au premier plan une partie du square de la frégate
d’où s’éloigne l’avenue du ramier seulement
construite sur son côté gauche, et remontant vers la
droite jusqu’à une façade alvéolée qui doit être l’arrière du sanatorium installé en cet endroit.
sur la gauche du cliché, la rue du Loriot et la rue
du friquet sont en cours d’urbanisation et, à travers
une large zone inconstruite, rejoignent les ébauches
de la rue de la hulotte et de l’avenue du Daim.
Plus loin, on distingue l’arrière des maisons de la
rue de la herse et, dans la forêt, la silhouette du château Morel, « la héronnière » reconstruite en 1925
après son incendie de 1923.
en haut, à droite, la trouée de la rue Middelbourg
dans la forêt rejoint la vallée des étangs de Boitsfort.
continuant le panorama juste à droite de la photo
précédente, ci-dessous, on remarque que seule une
partie de la rue de l’autruche et les 2 maisons de la
rue de la sarcelle sont édifiées.
Dans le coin inférieur droit, le carré de la place
du colibri est déjà dessiné par l’urbaniste, et même
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planté de ses arbres. cette place précède une large
surface agricole, qui fut encore récemment cultivée
en champ de blé, toujours inconstruite à ce jour, et
qui reste une des dernières réserves d’habitat de la
commune.
au-delà, tout le plateau entre avenue des cailles,
Berensheide et avenue Vanderswaelmen est vide de
construction. La présence d’une briquetterie illustre
que l’argile locale servit à la confection sur place des
briques pour la construction du Logis.
La silhouette des trois tilleuls se distingue près
du centre-droit de la ligne d’horizon et, un peu plus
à droite, les grands arbres entourant la villa-Keym,
avenue wiener.
Plus vers la gauche, l’église st hubert n’a pas encore sa tour néogothique et, un peu en avant de celleci, on aperçoit une grosse villa blanche qui occupe
toujours la colline entre la rue des Garennes et la rue
des 3 tilleuls.
Les deux documents proviennent de la collection
de solange et Jules nyns.
Henri CeuPPens
Photographie n°2.
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anthurium watermaelensis
Dans notre édition de septembre des Chroniques, nous
évoquions l’existence des serres à orchidées situées avenue de Visé à watermael. a ce propos, J-P hUts faisait
remarquer qu’une nouvelle espèce d’Anthurium à fleurs
noires avait été obtenue dans ces serres. Un de nos membres, fleuriste, Dominique Bion, nous a communiqué un
article du professeur BasteLeUs qui nous fournit quelques
précisions sur cette espèce.
L’avènement au XiXe siècle de telles entreprise horticoles a été favorisé par l’engouement pour des vérandas
et des serres dans les secondes résidences que la bourgeoisie bruxelloise se faisait construire dans les faubourgs de
la ville. Les plantes ornementales, telles que les orchidées,
palmiers, ... et les Anthuriums connaissaient un succès
considérable pour les meubler. ces plantes, orchidées en
particulier, atteignaient une valeur marchande considérable. cet essor horticole était entretenu par les expéditions
de récolte de nouvelles variétés dans les régions tropicales
d’où ces plantes étaient originaires. La découverte récente
des lois de l’hybridation par Gregor MenDeL (1822-1881)
n’était sans doute pas étrangère à cet essor.
Anthurium watermaelensis est une variété horticole
d’Anthurium à fleur noire ! cette couleur est inhabituelle
pour une fleur, dont le rôle est d’attirer les animaux, principalement des insectes, pour assurer leur pollinisation.
Le jaune, le rouge, le blanc et le bleu sont les principales
couleurs attractives. Dans le cas présent, il existe plusieurs
espèces d’Aracées, famille dont fait partie le genre Anthurium, dont le spathe est de couleur noire, en réalité
pourpre très foncé.
cette famille, à laquelle appartient notre Arum com-
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mun, possède une fleur dont les particularités anatomiques méritent quelques explications. Le fleur des Aracées est en fait un piège à mouches (Diptères) dont la
conformation est très particulière. elle se compose d’une
tige charnue verticale, appelée spadice, sur laquelle sont
insérées les fleurs qui sont minuscules, portant à sa base
une spathe souvent vivement colorée chez quelques espèces. Le nom Anthurium dérive du grec : anthos, fleur, et
oura, queue.
Les premiers plants d’Anthurium qui ont été importés
en europe au milieu du XiXe siècle provenaient du costa
rica. Leurs fleurs ont attiré l’attention des horticulteurs
par la coloration écarlate particulièrement brillante de leur
spathe qui n’était cependant que peu développée. en les
multipliant, les obtenteurs s’efforcèrent d’obtenir un accroissement de sa taille.
Parmi les espèces introduites sur notre continent, les
pépiniéristes Lanthoine et DUchesnes établis avenue de
Visé à watermael obtinrent une espèce à spathe noire
qu’ils nommèrent Anthurium watermaelensis.
fleur d’Anthurium
Une publication de HISCIWAB
Président : Jean-Jacques VAN Mol
6 avenue Marie Clotilde - 1170 Bruxelles
[email protected]
Secrétaire : Jean-Pierre CArPeNtIer 42 avenue des Noisetiers - 1170 Bruxelles
[email protected]
Trésorier : Geneviève Dieu
68 Clos des Chênes - 1170 Bruxelles
[email protected]
Cotisation annuelle : 10 Euros à verser au
compte n°Be47 6528 2172 5680
La photo serait prise dans la descente de l'actuelle avenue de ter
coigne. Le massif boisé au fond à droite laisse apparaître les toitures
de la villa de l'avenue thomson et on voit à l'extrême-droite au fond
le pont du chemin de fer de l'avenue de Visé. La gauche de la photo
montre donc dans l'axe la vallée qui va vers la place Keym avec la
rue des Bégonias et on devine au fond, juste à gauche du massif boisé,
Christian VAnDeRMotten
une maison de la rue du roitelet.
D’autres réactions confirment cette hypothèse:
La vue aurait été prise du haut de l'avenue ter coigne. Vu le point de
vue, je dirais même que le photographe devait se situer un peu plus
haut, là où actuellement il y a un parking de dissuasion et un terminus
des bus de la stiB, au-dessus du bout d'autoroute "de pénétration"
où les voitures font un beau lacet vers namur !
Henri CeuPPens
Dépôt légal : BD 48699
Publié avec le soutien
de la Commission communautaire française
du Ministère de la Fédération WallonieBruxelles
et de la Commune de Watermael-Boitsfort
En collaboration avec l’espace Mémoire
Prix de vente à l’exemplaire
3,5 euros

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