Les compagnies aériennes chinoises « tout Airbus »
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Les compagnies aériennes chinoises « tout Airbus »
DIRECTION GENERALE DU TRESOR ET DE LA POLITIQUE ECONOMIQUE SERVICE ECONOMIQUE REGIONAL – PEKIN 10 avril 2014 Elizabeth Yao, assistante aéronautique, Raphaël Guillet, conseiller Aviation Civile et Aéronautique Note Objet : Les compagnies aériennes chinoises « tout Airbus » Longtemps devancé sur le marché chinois par son concurrent américain, Airbus est revenu en force ces dix dernières années. Cette reconquête peut s’expliquer par la volonté d’Airbus de développer des projets de coopération industrielle en Chine mais aussi par une très bonne connaissance des besoins des compagnies aériennes chinoises en pleine expansion. Cette note tente d’expliquer pourquoi des compagnies aériennes chinoises ont fait le choix de ne s’équiper que d’avions Airbus. I. Le match Airbus Boeing pour conquérir le marché chinois Longtemps pré carré de Boeing, le marché du transport aérien en Chine continentale est maintenant un terrain de jeu où Airbus et Boeing rivalisent à parts de marché égales. Certes les concurrents canadien Bombardier et brésilien Embraer ont aussi réalisé des ventes en Chine, mais ils restent encore loin derrière les deux grands. La Chine a aussi l’ambition de devenir une puissance aéronautique majeure. De nombreux programmes ont été lancés ces dix dernières années : l’avion régional MA60, le jet ARJ21 et enfin le C919, qui pourrait venir rivaliser avec l’Airbus A320 et le Boeing B737 dans le marché des mono couloirs. Il est vrai que les perspectives du transport aérien chinois sont très prometteuses pour les 20 prochaines années, avec l’entrée en service de 250 nouveaux appareils (de plus de 100 places) chaque année. Il est tout à fait compréhensible que la Chine ne souhaite pas laisser ce marché qu’aux avionneurs étrangers. Le premier vol du C919 est annoncé pour 2015 avec une certification et mise en service en 2018. Même si la Chine a depuis longtemps travaillé sur des programmes aéronautiques, les défis pour mener à bien le programme C919 sont de taille : intégration des différents systèmes de l’avion, organisation des fournisseurs, utilisation de nouveaux matériaux pour la structure et enfin certification. La première certification sera délivrée par l’administration de l’aviation civile chinoise, la CAAC, mais cela ne permettra pas au C919 de pouvoir être exporté en Europe et aux Etats Unis, car les autorités européennes et américaines devront encore certifier le C919 pour l’accueillir sur leurs territoires. Il est donc prévisible que le marché chinois du transport aérien soit encore dominé pendant la prochaine décennie par Boeing et Airbus. Même si la Chine réussissait prochainement à certifier le C919, il faudrait ensuite assurer un rythme de production élevé pour détrôner les deux avionneurs étrangers. Les premières cadences de production du C919 sont estimées à 4 par mois ce qui ferait un total de 50 avions par an alors que les besoins annuels sont de 250 avions. Il est aussi à prévoir que les compagnies aériennes chinoises seront fortement invitées à s’équiper du C919 afin de démontrer que la production nationale a rejoint les standards internationaux. Pour conforter leur place sur le marché chinois, les deux avionneurs font largement appel à la sous traitance industrielle chinoises afin de convaincre les autorités chinoises, en particulier la NDRC (Commission Nationale pour la Réforme et le Développement) de leur confier des commandes d’avions. Mais Airbus est allé plus loin en décidant en 2005 d’installer une chaine d’assemblage d’A320 à Tianjin ( à 150km à l’est de Pékin). A ce jour, plus de 160 avions A320 ont été livrés depuis Tianjin aux compagnies aériennes chinoises. Cette coopération industrielle, qui pourrait être suivie dans les prochaines années d’un centre d’aménagement final pour les A330 (installation des sièges en cabine et peinture de l’avion), permet à Airbus de démontrer aux autorités chinoises leur rôle responsable dans l’économie chinoise. Fort de cette stratégie, Airbus ambitionne de vendre 1000 nouveaux avions en Chine d’ici à 2020. II. Les compagnies aériennes chinoises ‘tout Airbus’ L’administration de l’aviation civile chinoise a enregistré 46 compagnies aériennes chinoises fin 2013. Sur les 19 compagnies aériennes opérant des avions Airbus, neuf d’entre elles ont choisi Airbus comme seul fournisseur. 1) Sichuan Airlines : La compagnie Sichuan Airlines a été créée le 19 septembre 1986 à Chengdu dans la province du Sichuan, avec un premier vol commercial inauguré en juillet 1988. Le 29 août 2002, la companie a été renommée Sichuan Airlines Co. Ltd. et Sichuan Airlines Group Co. Ltd. en détient 40%. Les autres actionnaires sont China Southern Airlines, China Eastern Airlines, Shandong Airlines et Chengdu Yin Xing Jin Ge Investment Co. Ltd. En 1995, Sichuan Airlines a été la première compagnie aérienne chinoise à se procurer un A320. Fin 2013, elle opère 82 airbus dont 22 A319, 32 A320, 22 A321 et 6 A330. Aujourd’hui, Sichuan Airlines est la plus grande compagnie aérienne chinoise ne disposant que d’avions Airbus. 2) Capital Airlines : Beijing Capital Airlines Co., Ltd., anciennement connue sous le nom « Deer Air Co., Ltd.», a été créée le 16 novembre 1998 à Pékin par HNA Group (Hainan) et Beijing Tourism Group. Elle a pris son nom actuel le 02 avril 2010 et opère des vols depuis le 02 mai 2010. En décembre 2013, Capital Airlines dispose de 44 airbus dont 25 A319 et 19 A320. L’âge moyen de la flotte de Capital Airlines est de moins de 3 ans. 3) Spring Airlines : Créée le 26 mai 2004 à Shanghai par l’Agence de voyage Spring, Spring Airlines Co., Ltd. est la première seule compagnie aérienne chinoise à bas coût. En décembre 2013, elle dispose de 39 A320200 équipés d’une seule classe, la classe économique. La compagnie exploite des liaisons nationales reliant les villes chinoises à Hong Kong et Macao, ainsi que les pays voisins comme le Japon, la Corée du Sud et la Russie. A partir d’avril 2014, Spring Airlines va relier Shanghai à trois nouvelles destinations en Asie du sud-est, Chiang Mai en Thaïlande, Danang au Vietnam et Singapour, une expansion qui devrait être accompagnée par l’annonce d’une commande pour trente Airbus A320, divisée pour moitié en A320ceo et A320neo. Au prix catalogue, cette commande est estimée à 3 milliards de dollars et les premières livraisons auraient lieu en 2015, avec remplacement progressif des appareils les plus anciens et ajout de capacités sur le marché intérieur chinois. Grâce à son positionnement de Low-cost en Chine, Spring Airlines a connu un grand succès avec un taux moyen de remplissage à 95%. Elle est en train de préparer son entrée en bourse, mais vise aussi la création de filiales au Japon, à Taïwan ou en Corée du Sud. 4) Juneyao Airlines : Juneyao Airlines Co., Ltd., filiale entièrement détenue par le groupe Juneyao, a été créée en juin 2005 à Shanghai et opère des vols depuis le 25 septembre 2005. Apres avoir ouvert une route vers le Japon en juin 2012, Juneyao Airlines a ouvert une route vers Phuket en novembre de la même année. En 2013, Juneyao Airlines a obtenu l’autorisation de desservir Taïwan et compte y créer une filiale de type « Low-Cost ». Juneyao Airlines opère 34 Airbus, dont 32 A320 et 2 A321. Au cours de l’année 2014, elle prendra livraisons de 4 A321. 5) West Air : Le 19 octobre 2005, West Air Co. Ltd. a été créée conjointement par Lucky Air Co. Ltd. (35%) du groupe HNA, Jianying Investment Co. Ltd. (35%), Shenzhen Guorui Investment Co. Ltd. (10%), Sichuan Sanxing General Aviation Co. Ltd. (10%) et Xinjiang Siweida Tech. Co. Ltd. (10%) à Chongqing dans la province du Sichuan. Elle appartient au groupe HNA et opère des vols depuis le 14 juin 2007. West Air opère 13 Airbus, dont 5 A319 et 8 A320. Le groupe NHA a réinvesti 1 milliard de yuans dans cette filiale avec l’ambition de développer sa flotte à plus de 50 avions d’ici 2018. 6) Chongqing Airlines : Chongqing Airlines Co. Ltd. a été créée à Chongqing dans la province du Sichuan par China Southern Airlines Co. Ltd. et la municipalité de Chongqing le 16 juin 2007. Elle opère 11 Airbus, dont 4 A319 et 7 A320, sur des vols nationaux. 7) Chengdu Airlines : Chengdu Airlines Co. Ltd. a été créée le 22 janvier 2010 à Chengdu dans la province du Sichuan par COMAC, Sichuan Airlines Co. Ltd. et Chengdu Tranport Investment Co. Ltd. Elle dispose de 11 Airbus, dont 3 A319 et 8 A320, et opère des vols nationaux. Chengdu Airlines est aussi la compagnie de lancement pour l’avion chinois ARJ 21. 8) Tibet Airlines : Tibet Airlines a été créée le 17 juin 2010 à Lhassa au Tibet. Ses actionnaires sont Tibet Investment Co. Ltd. (20%), Air China Co. Ltd. (31%), Tibet Sanli Investment Co. Ltd. (39%) et Tibet Ruiyi Investment Co. Ltd. (10%). Tibet Airlines dispose de 8 Airbus A319 et opère des vols nationaux. 9) Zhejiang Loong Airlines : Zhejiang Loong Airlines Co. Ltd. a été créée le 19 avril 2011 à Hangzhou dans la province du Zhejiang. Deux Airbus A320 ont été livrés en décembre 2013 et la compagnie opère des vols depuis le 29 décembre. Une livraison de 4 Airbus A320 est prévue au premier semestre 2014. La compagnie compte prendre livraison de 3 Airbus au second semestre 2014. Le 29 décembre 2013, Zhejiang Loong Airlines a signé un contrat d’achat de 20 A320 avec Airbus. China Southwest Airlines A part les compagnies aériennes ci-dessus, une succursale d’Air China basée à Chengdu dans la province du Sichuan, China Southwest Airlines, n’opère que des Airbus (38 au total). La compagnie compte commander 8 A330 et 3 A320 en 2014. Figure 1 Les bases des compagnies aériennes chinoises n'opérant que des avions Airbus III. Quelles sont les raisons qui poussent une compagnie aérienne à se fournir auprès d’un seul fabricant d’avions ? L’élément essentiel à prendre en compte est la stratégie de développement de la compagnie aérienne. Elle peut dépendre en premier des intérêts de ses actionnaires. Si la compagnie aérienne est une filiale d’une des trois compagnies aériennes nationales chinoises (Air China, China Eastern, China Southern) il y aura probablement un investisseur local. La compagnie souhaitera donc concentrer ses opérations à partir d’une base régionale et rayonner tout autour, ce qui l’incitera à opérer un type d’avion précis pour répondre à ces choix. Une fois son réseau mis en place, la compagnie pourra souhaiter passer à des avions plus gros, par exemple préférer l’A321 à l’A320, afin de poursuivre son développement. Dès le début, elle aura par exemple tout intérêt à choisir une famille d’avions, comme la famille A320. Ainsi quand elle passera de l’A319 à A320, ou de l’A320 à l’A321, les coûts de transfert pour ses pilotes (formation à conduire pour passer sur un nouveau type d’avion) ainsi que les coûts de maintenance seront réduits en raison des systèmes communs dans toute la famille A320. Si ensuite, la compagnie aérienne souhaite acquérir des longs courriers (ex A330), elle pourrait alors faire le choix de rester fidèle à cet avionneur. Mais au-dessus d’une taille critique, elle pourra choisir de se fournir auprès de deux avionneurs afin de maintenir une concurrence et de réduire sa dépendance par rapport aux avionneurs. Le cas de Tibet Airlines est différent. Cette compagnie opère des routes sur des aéroports à très hautes altitudes. L’Airbus A319 offre alors de très bonnes performances par rapport à son concurrent américain, car il permet en plus des passagers d’emporter un volume de fret important. Il est aussi intéressant de se pencher sur le cas de Spring Airlines. Cette compagnie aérienne basée à Shanghai est actuellement la seule vraie compagnie aérienne à bas coût en Chine continentale. Alors que ce segment des LCC1 est très répandu en Europe et en Amérique du nord, il est encore à ses débuts en Chine. Ces derniers mois l’administration de l’aviation civile de Chine (CAAC) a annoncé qu’elle allait prendre des mesures pour favoriser l’essor des compagnies à bas coût en Chine continentale. La concurrence vient aussi du sud puisque plusieurs compagnies LCC d’Asie du Sud-est offrent de plus en plus de vols vers la Chine. Dans ce modèle LCC, tout est orienté vers une maîtrise totale des coûts avec le souci constant d’optimiser le taux de remplissage de chaque avion. Le choix de l’A320 comme seul type d’avion dans la flotte de Spring Airlines permet ainsi réduire les coûts de formation tant pour les pilotes que pour les personnels navigants. Des économies sont aussi possibles sur la maintenance des avions. 1 « Low Cost Carriers », pour « Compagnie à bas coût » Toute la difficulté pour l’avionneur est d’anticiper la création des futures compagnies aériennes, de rencontrer les équipes de ces compagnies pour analyser ensemble leur stratégie etleurs besoins afin de leur proposer le meilleur type d’avion qui leur permettra d’assurer leur développement et un retour certain sur investissement. L’enjeu pour l’avionneur est de fidéliser la compagnie et en fonction de ses besoins de lui proposer d’autres types d’avions afin qu’elle ne parte pas vers la concurrence. Le marché du transport aérien chinois est appelé à se développer fortement. Les principales routes aériennes entre les grandes villes chinoises verront l’arrivée d’avions de plus grande taille, mais il reste encore beaucoup d’endroits dans le centre et l’ouest de la Chine pour développer des routes régionales. Mais pour assurer un développement soutenu du transport aérien, la Chine devra redoubler ses efforts pour limiter les retards dans l’espace aérien et pour accroître les capacités de formation pour les pilotes.