La légende du chant par Dietrich Fisher-Dieskau et
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La légende du chant par Dietrich Fisher-Dieskau et
La légende du chant par Dietrich Fisher-Dieskau et Evelyne Koch (extrait de Musica Falsa N°8, avril/mai 1999, p.66 ) Dans la luxueuse collection "La légende" que l'éditeur justifie entre autre avec l'étymologie latine legenda: ce qui doit être lu, le volet dédié à la voix est le pari réussi d'Evelyne Koch, soprano et professeur de chant française qui a été la mandataire de ce livre. Elle l'a construit à partir des interviews qu'elle a fait d'un des chanteurs qui ont marqué notre siècle finissant : Dietrich Fisher-Dieskau. Les propos de ce dernier sont "savamment" enrichis par les connaissances de la chanteuse et pédagogue. Elle ne lésine pas en descriptions très précises, documentées, et scientifiquement à la pointe en ce qui concerne par exemple le fonctionnement de l'appareil vocal : de l'ancienne et sophistiquée technique respiratoire de l'appoggio, ... au plus récent "formant du chanteur" qui, autour des 2500/3000 herz, caractérise surtout l'émission du chanteur classique. Les propos de Dietrich se confondent alors avec les commentaires de la "curieuse" Evelyne, permettant d'ouvrir l'horizon somme-toutes limité du chanteur classique qu'est Dieskau, quant à une ouverture vers les "chants du monde": "je ne suis pas indifférent cependant à la musique populaire de qualité (...)La musique que j'ai choisi de parcourir et d'explorer est souvent qualifiée de classique. Cet adjectif prend parfois dans la bouche de ceux qui l'employent, une nuance péjorative, comme s'il était le signe d'un monde répétitif, compassé et figé. Pour moi cette musique est au contraire une musique vivante qui nous parle depuis plusieurs siècles et qui continuera à nous parler dans les siècles à venir." (p. 15/17) Plusieurs voyages à Berlin sont à l'origine de cette belle causerie, magnifiquement illustrée: de la mosaïque chorale du musée campano de Capoue (p 70) à l'émouvante photo de Debussy au piano chez les Chausson (p147) au "jeune muezzin appelant à la prière", aux nombreux tableaux d'auteur évoquant plusieurs aspects du chant. De "l'oreille" de Giorgione magnifiquement commentée (p. 54), à Degas, Toulouse-Lautrec et tant d'autres... Sans oublier bien entendu les nombreuses photos d'album du maître Dieskau, mais aussi celles d'autres chanteurs et compositeurs variés, dont celle impressionnante de H. Wolf (p.136). Dans ce livre la voix de Dieskau résonne parfois sévère. Il dénonce quelques disfonctionnements du milieu du chant classique: une méconnaissance de la voix de la part de trop de musiciens contemporains, les capacités très limitées de certains directeurs de théâtre, le désaccord entre chef d'orchestre et metteur en scène, les courtes carrières de jeunes chanteurs doués qui succombent à une médiatisation excessive. Ces propos, déjà rédondants dans le milieu du chant classique, s'opposent à des signes d'espoir, parfois excessifs... "Tout d'abord la qualité des chanteurs que l'on forme aujourd'hui, et qui sont rompus à tous les styles, à tous les genres, à toutes les langues." (p. 269) Je ne connais pas beaucoup de ces chanteurs-là! L'écriture d'Evelyne Koch est à la fois agréable, précise, et avec un sens du récit qui rend la lecture de ce livre passionnante. Nous devenons alors les témoins d'une épopée fabuleuse qui nous transporte "auf flügeln des gesanges"... Espérons que ce livre fera un jour le plaisir du plus grand nombre de personnes, dans une édition de poche, dans le style des "Découvertes Gallimard" par exemple. Dans la vaste littérature autour du chant, qui compte de nombreux ouvrages discutables et déroutants, ce livre a tout d'abord le grand avantage de renseigner correctement sur les mystères de la technique vocale. Et, bien au delà des propos du grand chanteur, il amène le lecteur dans le coeur d'une pratique artistique qui mériterait de trouver une place légitime dans l'enseignement général, à côté des disciplines physiques, pour aider l'épanouissement de chacun. Paolo Zedda