De l`histoire fictionnelle à la fiction visuelle

Transcription

De l`histoire fictionnelle à la fiction visuelle
Article
Appartient au dossier JFK, une image américaine
:
De l'histoire fictionnelle à la fiction visuelle
Les 26 secondes filmées de l'assassinat de Kennedy bouleversent les codes de représentation du
meurtre et de la violence de la société américaine. Les productions culturelles inspirées du film de
Zapruder ravivent autant l'icône Kennedy dans l'imaginaire patriote qu'elles amenuisent la frontière
entre histoire fictionnelle et fiction visuelle. Tout se passe comme si les imaginaires - sortes de vérités
sociales favorisant un sentiment du nous, se basent davantage sur l'affect généré par l'image que sur la
rationalité et les faits. Comme le note le critique David B. Lubin dans Shooting Kennedy : JFK and the
culture of images, que ce soit dans les images médiatiques de 1963 ou au cinéma et dans les séries
diffusées aujourd'hui sur le web, les Etats-Unis rejouent sans cesse la même scène traumatique à des
fins tantôt civiques, tantôt esthétiques et/ou ludiques.
Le cinéma est la première industrie à se nourrir des images de Zapruder. Il y a déjà un cinéma dit
d'information politique, tels les films Complot à Dallas de David Miller (1973) ou JFK de Oliver Stone
(1992). Globalement, le cinéma de fiction des années 1970 montre pour la première fois une violence
explicite et organique, notamment dans les films Bonnie and Clyde de Arthur Penn (1967) ou La horde
sauvage (1969) de Sam Peckinpah. Comme le note le critique Philippe Rouyer, auteur de Le cinéma gore
: une esthétique du sang, la réalité de l'horreur (le crâne éclaté de JFK, photogramme 313 du film
Zapruder) permet la naissance du cinéma gore : Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper (1974),
Zombie de George Romero (1978) pour ne citer qu'eux. Représentations de la mort d'autrui d'autant
plus retentissantes qu'elles se développent dans un pays qui a fondé pour partie les libertés
individuelles sur le droit à détenir - et utiliser - une arme à feu.
Plus récemment, les séries télévisées et web réinterprètent cet évènement fondateur : on apprend ainsi
dans l'épisode 7 de la saison 4 de la série X-Files : aux frontières du réel, de Chris Carter, que
l'assassin de Kennedy est le mystérieux homme à la cigarette ; on découvre le squelette du défunt
président dans la série Bones (épisode 12, saison 5) ; la série Mad Men de Matthew Weiner consacre
l'épisode the grownups (3.12) à l'assassinat. Cet épisode fait écho à l'épisode 10 où il est question
d'une publicité pour une laque pour cheveux dont la scénographie est similaire à celle la mort de
Kennedy : deux couples dans une voiture décapotable ; un incident surgit ; la femme assise à l'arrière
arrive décoiffée. Ce spot publicitaire revient en fin d'épisode 12, après l'annonce de la mort du
président. Comme l'analyse Ariane Hudelet dans L'Amériques des images : histoire et culture visuelles des
Etats-Unis, les plans de ces épisodes agissent comme des "méta-images", en ce que, faisant référence
à d'autres images, elles réflechissent sur leur propre condition.
Voir la vidéo de la chanson National anthem de Lana Del Rey :
Le domaine de la vidéo musicale contribue également à alimenter l'imaginaire Kennedy. Le chanteur
metal Marylin Manson joue Kennedy juste avant son assassinat dans le clip de la chanson Coma white :
version édulcorée des faits qui a pu étonner de la part d'un artiste pourtant familier de la provocation
sanguinolente. Dans le clip National anthem, la starlette pop Lana Del Rey joue Jackie Kennedy aux
côtés d'un JFK afro-américain (le rappeur ASAP Rocky), d'après des documents visuels du vrai couple
Kennedy : lecture actualisée d'une Amérique fantasmée...
Auteur
:
Aymeric Bôle-Richard
CC BY-SA 3.0 FR
Sélection de références
Gun show nation : la culture des armes aux Etats-Unis
Joan Burbick
Inculte, 2010
A la BPI, niveau 2, cote 301.8 BUR
Aux Etats-Unis, la possession et l'utilisation individuelles d'une arme à
feu sont autant un droit constitutionnel qu'un des facteurs modelant la
violence du pays. Chéries, honnies ou subies, elles font partie la
culture états-unienne. C'est ce que propose de montrer la critique
Joan Burbick dans cet ouvrage concis et accessible.
Le cinéma gore : une esthétique du sang
Philippe Rouyer
Cerf, 1997
A la BPI, niveau 3, cote 791.15 ROU
Photogramme 313 du film Zapruder : le crâne de John Kennedy vole
en éclat. C'est l'acte de naissance du cinéma gore - entendre le film
d'horreur. Nourri d'hémoglobine et d'atroces mutilations, ce genre joue
autant sur les peurs primaires qu'il est un témoin de son époque. Le
critique de la revue Positif, Philippe Rouyer, invite le lecteur à mieux
connaître ce cinéma pas si maudit que ça.
L'Amériques des images : histoire et culture visuelles
des Etats-Unis
François Brunet (direction)
Hazan/ Université Paris Diderot, 2013
A la Bpi, niveau 3, 973-1 AME
Shooting Kennedy : JFK and the culture of images
David M. Lubin
University of California Press, 2003
A la Bpi, niveau 3, 973-8 LUB
Le jeu de mot du titre ( to shoot signifie "tirer" et "prendre une photo")
a valeur de programme. Comment les images du président vivant, de
son assassinat et leur influence sur les imaginaires ont-elles construit
un système iconographique ? Eléments de réponse par l'auteur en
analysant des photos de presse, le film Zapruder et des oeuvres d'art
contemporain, des sitcoms ou des productions hollywoodiennes.
Publié
le
12/09
/2014
CINÉMA - HISTOIRE
Amérique du Nord
Tags
:
20e siècle
Voir aussi
Article
Génie politique ou télégénie ?
Publié le 12/09/2014
HISTOIRE - POLITIQUE
Le génie télévisuel de John Kennedy se donne à voir dès le premier des quatre débats télévisés contre
son rival, Rixard Nixon, le 26 septembre 1960. C'est l'un des tous premiers pour une campagne prés...
Article
Vitrine du rêve américain
Publié le 12/09/2014
HISTOIRE - POLITIQUE
La profusion de photographies, films, livres et affiches sur John Fitzgerald Kennedy témoigne peut-être,
dès sa prise de fonction le 20 janvier 1961, de la construction non pas tant d'un mythe JKF (c'...
Article
Vérité et hors champs
Publié le 12/09/2014
HISTOIRE
Dallas, 22 novembre 1963, 12h30. Les Etats-Unis perdent leur président et les espoirs de changement
que celui-ci incarnait. Plus encore, ils perdent confiance en leurs institutions et leur candeur fac...