Mon livret de poèmes - Département de l`Eure
Transcription
Mon livret de poèmes - Département de l`Eure
Mon livret de poèmes Place à la poésie ! / 9e édition / 11 au 24 mars 2013 Boris Vian La java des bombes atomiques Mon oncle un fameux bricoleur Faisait en amateur Des bombes atomiques Sans avoir jamais rien appris C’était un vrai génie Question travaux pratiques Il s’enfermait tout’ la journée Au fond d’son atelier Pour fair’ des expériences Et le soir il rentrait chez nous Et nous mettait en trans’ En nous racontant tout Il a bossé pendant des jours Tâchant avec amour D’améliorer l’modèle Quand il déjeunait avec nous Il avalait d’un coup Sa soupe au vermicelle On voyait à son air féroce Qu’il tombait sur un os Mais on n’osait rien dire Et pis un soir pendant l’repas V’là tonton qui soupir’ Et qui s’écrie comm’ ça Sachant proche le résultat Tous les grands chefs d’Etat Lui ont rendu visite Il les reçut et s’excusa De ce que sa cagna Etait aussi petite Mais sitôt qu’ils sont tous entrés Il les a enfermés En disant soyez sages Et, quand la bombe a explosé De tous ces personnages Il n’en est rien resté Pour fabriquer une bombe « A » Mes enfants croyez-moi C’est vraiment de la tarte La question du détonateur S’résout en un quart d’heur’ C’est de cell’s qu’on écarte En c’qui concerne la bombe « H » C’est pas beaucoup plus vach’ Mais un’ chos’ me tourmente C’est qu’cell’s de ma fabrication N’ont qu’un rayon d’action De trois mètres cinquante Y a quéqu’chos’ qui cloch’ [là-d’dans J’y retourne immédiat’ment A mesur’ que je deviens vieux Je m’en aperçois mieux J’ai le cerveau qui flanche Soyons sérieux disons le mot C’est même plus un cerveau C’est comm’ de la sauce blanche Voilà des mois et des années Que j’essaye d’augmenter La portée de ma bombe Et je n’me suis pas rendu compt’ Que la seul’ chos’ qui compt’ C’est l’endroit où s’qu’ell’ tombe Y a quéqu’chose qui cloch’ [là-d’dans, J’y retourne immédiat’ment Tonton devant ce résultat Ne se dégonfla pas Et joua les andouilles Au Tribunal on l’a traîné Et devant les jurés Le voilà qui bafouille Messieurs c’est un hasard affreux Mais je jur’ devant Dieu En mon âme et conscience Qu’en détruisant tous ces tordus Je suis bien convaincu D’avoir servi la France On était dans l’embarras Alors on l’condamna Et puis on l’amnistia Et l’pays reconnaissant L’élu immédiat’ment Chef du gouvernement Charles d’Orléans (1394-1465) Stéphane Mallarmé (1842-1898) Le temps a laissé son manteau. De vent, de froidure et de pluie, Et s’est vêtu de broderie, De soleil luisant, clair et beau. Le cantonnier Ces cailloux, tu les nivelles Et c’est, comme troubadour, Un cube aussi de cervelles Qu’il me faut ouvrir par jour. Le crieur d’imprimés Toujours, n’importe le titre Sans même s’enrhumer au Dégel, ce gai siffle-litre Crie un premier numéro. Le marchand d’ail et d’oignons L’ennui d’aller en visite Avec l’ail nous l’éloignons L’élégie au pleur hésite Peu si je fends des oignons. La marchande d’habits Le vif œil dont tu regardes Jusques à leur contenu Me sépare de mes hardes Et comme un dieu je vais nu. Rondeau Il n’y a bête, ni oiseau Qu’en son jargon ne chante ou crie : Le temps a laissé son manteau. Rivière, fontaine et ruisseau Portent en livrée jolie, Gouttes d’argent d’orfèvrerie, Chacun s’habille de nouveau : Le temps a laissé son manteau. Charles d’Orléans est le fils aîné de Louis Ier, duc d’Orléans, frère du roi de France Charles VI et le père de Louis XII. À la débâcle d’Azincourt, le 25 octobre 1415, Charles d’Orléans est fait prisonnier et emmené en Angleterre. C’est au cours de sa longue captivité anglaise (25 ans) qu’il réalise son œuvre poétique. Il est ainsi l’auteur de 131 chansons, 102 ballades, 7 complaintes et pas moins de 400 rondeaux. Chanson bas Le vitrier Le pur soleil qui remise Trop d’éclat pour l’y trier Ote ébloui sa chemise Sur le dos du vitrier. Extrait de : Poésies, Éditions Librio, 1996 (1re édition, 1899) Né dans une famille aisée de hauts fonctionnaires, Stéphane Mallarmé devient professeur d’anglais par passion pour l’écrivain Edgar Allan Poe (dont il traduira les poèmes). En réalité il fut un professeur médiocre, son unique centre d’intérêt étant, dès son plus jeune âge, la poésie. D’abord influencé par Baudelaire et Poe, sa poésie devint progressivement de plus en plus hermétique. L’ambition de Mallarmé était de créer une œuvre expérimentale, une œuvre de poésie pure, libérée de la nécessité du sens. Son écriture qui joue avec les mots – dont le sens est souvent étymologique – égare volontairement le lecteur. Ce personnage énigmatique suscita l’admiration de ses pairs dès les années 1880. D’abord reconnu par Verlaine et Huysmans, il devint ensuite l’idole d’une nouvelle génération d’écrivains, celle de Paul Claudel, André Gide, Paul Valéry et beaucoup d’autres. Aragon (1897-1982) Robert Desnos (1900-1945) Semeur La poudre aux yeux n’est que le sable du sommeil Le sabre du soleil comme c’est déjà vieux Tu prends ton cœur pour un instrument de musique Délicat corps du délit Poids mort Qu’ai-je à faire de ce fardeau Fard des sentiments Je mens et je mange La vie courante et le ciel pur On ne sait pas d’où vient le vent Quel charme Je n’ai pas de tête Le temps me sert de pis aller Une voix, une voix qui vient de si loin Qu’elle ne fait plus tinter les oreilles, Une voix, comme un tambour, voilée Parvient pourtant, distinctement, jusqu’à nous. Poésie Extrait de : Le Mouvement perpétuel, 1925, © Éditions Gallimard La Voix Bien qu’elle semble sortir d’un tombeau Elle ne parle que d’été et de printemps. Elle emplit le corps de joie, Elle allume aux lèvres le sourire. Je l’écoute. Ce n’est qu’une voix humaine Qui traverse les fracas de la vie et des batailles, L’écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages. Et vous ? Ne l’entendez-vous pas ? Elle dit « La peine sera de courte durée » Elle dit « La belle saison est proche. » Ne l’entendez-vous pas ? Extrait de : Calixto suivi de Contrées, 1944, © Éditions Gallimard Louis Aragon est né en octobre 1897 à Paris. Il commence des études de médecine et rencontre, en 1917, à l’hôpital du Val-de-Grâce, Breton. En 1919, il fonde la revue Littérature avec Philippe Soupault et André Breton. Louis Aragon est un membre du mouvement Dada et du mouvement surréaliste. Il publie Anicet ou le Panorama en 1921 et le Paysan de Paris en 1926. L’année suivante, en 1927, il adhère au parti communiste. Il devient par ailleurs journaliste à L’Humanité. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il entre dans la Résistance et publie des poèmes dédiés à Elsa Triolet, sa compagne. Il s’agit du Crève-cœur en 1941 et des Yeux d’Elsa en 1942. En 1982, Aragon meurt en décembre à Paris. Autodidacte et rêvant de poésie, Robert Desnos est introduit vers 1920 dans les milieux littéraires modernistes. Il rejoint en 1922 l’aventure surréaliste mais rompt avec le mouvement quand André Breton veut l’orienter vers le Communisme. Durant l’Occupation, il continue à écrire dans la presse, cette activité lui permettant surtout de couvrir ses activités de résistant actif : il est arrêté par la Gestapo en 1944 et déporté à Buchenwald. Il passe par d’autres camps avant de mourir à Theresienstadt (Térézin), en Tchécoslovaquie, épuisé et malade, un mois après la libération du camp par les Russes. Son œuvre comprend un certain nombre de recueils de poèmes publiés de 1923 à 1943 – par exemple Corps et biens (1930) ou The Night of loveless nights (1930) – et d’autres textes sur l’art, le cinéma ou la musique, regroupés dans des éditions posthumes. Pablo Neruda (1904-1973) El alfarero Le potier Todo tu cuerpo tiene copa o dulzura destinada a mí. Ton corps entier possède la coupe ou la douceur qui me sont destinées. Cuando subo la mano encuentro en cada sitio una paloma que me buscaba, como si te hubieran, amor, hecho de arcilla para mis propias manos de alfarero. Quand je lève la main je trouve en chaque endroit une colombe qui me cherchait, comme si, mon amour, d’argile on t’avait faite pour mes mains de potier. Tus rodillas, tus senos, tu cintura faltan en mí como en el hueco de una tierra sedienta de la que desprendieron una forma, y juntos somos completos como un solo río, como una sola arena. Tes genoux, tes seins et tes hanches me manquent comme au creux d’une terre assoiffée d’où l’on a détaché une forme, et ensemble nous sommes un tout comme l’est un fleuve ou comme le sable. Extrait de : Los versos del capitán, Les Vers du capitaine, Traduction de Claude Couffon, 1re édition en 1952, © Éditions Gallimard Pablo Neruda est un poète, homme politique et penseur chilien. Il commence à écrire dès son adolescence et publie son premier recueil de poésie, Crépusculaire en 1923. Il mène de front une carrière littéraire et politique et occupe plusieurs postes de Consul (Espagne, 1935) puis devient sénateur communiste des provinces du nord du Chili en 1945. Opposé au président Gonzalez Videla qui fait interdire le Parti Communiste, il est dans l’obligation de fuir le pays. Il publie en 1950, Le Chant général – son œuvre majeure – où il exalte les luttes des peuples d’Amérique latine et pour laquelle il reçoit en 1971 le prix Nobel de littérature. En 1970, il est nommé ambassadeur du Chili en France par le président socialiste Allende et meurt en 1973, peu après le putsch du général Pinochet. Louise de Vilmorin (1902-1969) L’île Aimé Césaire (1913-2008) Tam-tam I À Benjamin Péret. L’île a des lis Et des lilas Pour les délices il y a des lits là. Pas de soucis, Cent liserons Viens tes soucis vite s’enliseront. Un cycle amène Cycle centaure, Sous les lilas où j’oublie tes cent torts, Un cyclamen Des centaurées Et des pensées pour le temps dépensé. L’île à délices A des lilas, Avec des lis j’ai porté ton lit là. à même le fleuve de sang de terre à même le sang de soleil brisé à même le sang d’un cent de clous de soleil à même le sang du suicide des bêtes à feu à même le sang de cendre le sang de sel [le sang des sangs d’amour à même le sang incendié d’oiseau feu hérons et faucons montez et brûlez Extrait de : Les Armes miraculeuses, 1946, © Éditions Gallimard Extrait de : L’alphabet des aveux, 2004, © Éditions Gallimard / collection Le promeneur Louise de Vilmorin (1902-1969) n’a écrit qu’une poignée de romans et récits, quelques poèmes et des reportages. Elle fut une ‘conversationniste’ remarquable et l’une des actrices principales de la vie mondaine et intellectuelle des années trente aux années soixante. Virtuose de la trouvaille, du jeu de mots et du coq-à-l’âne métaphysique, elle fit surgir un univers de nostalgie et de séduction douces-amères. Sa fantaisie se manifeste dans les figures de style dont elle est friande, notamment les holorimes et les palindromes dont elle a écrit un grand nombre. Francis Poulenc fait d’elle l’égale de Paul Éluard et de Max Jacob. Il trouve dans ses poèmes « une sorte d’impertinence sensible, de libertinage, de gourmandise […]. » Aimé Césaire est un poète, dramaturge et politicien né à la Martinique. Après avoir obtenu son baccalauréat, il obtient une bourse et arrive à Paris en 1931 pour poursuivre ses études, qui le conduiront du lycée Louisle-Grand à l’École normale supérieure. En 1934, il fonde la revue L’Étudiant noir notamment avec Léopold Sédar Senghor. En 1936 il commence à écrire. Père du mouvement de la négritude, il déposera sur un cahier les mots de la colère, de la révolte et de la quête identitaire donnant ainsi naissance à son œuvre poétique majeure, le Cahier d’un retour au pays natal, publié en 1939 date de son retour en Martinique. Il entre en politique aux côtés du parti communiste, qu’il quitte en 1956 pour fonder le Parti Progressiste Martiniquais (PPM). Maire pendant cinquante ans de Fort-de-France et parlementaire, il n’a jamais cessé d’affirmer son hostilité au colonialisme européen. Michel Butor (1926) Sur l’océan des livres Les voyelles éclaboussent dans le ressac du savoir les radeaux des couvertures transportant leurs cargaisons jusqu’aux ports de la mémoire au milieu des tourbillons parmi les monstres marins qui dévorent les romans Orages de théories creusant des gouffres de doutes remontent des profondeurs des algues de citations qui réveillent à la vie noyés des siècles passés nous redonnant les trésors que l’on croyait disparus Des vagues d’anciennes langues viennent lécher nos carènes les plongeurs des traductions endossent leurs dictionnaires pour explorer les épaves oubliées sur leurs falaises où les attendent vaisselles pour nous servir un festin Sucer les secrets des huîtres gratter le cuir des poissons déguster l’encre des seiches les accents des crustacés l’intonation des coquilles dans le chant des astrolabes sous le tournoiement des phares qui font respirer nos lignes Extrait de : Poésies de langue française, 144 poètes d’aujourd’hui autour du monde, Anthologie présentée par S. Bataillon, S. Clancier et B. Doucey, 2008, © Éditions Seghers Poète, romancier et essayiste français, Michel Butor a été professeur de langue française en Égypte, professeur de philosophie à Genève, puis professeur de littérature aux États-Unis, en France et en Suisse jusqu’à sa retraite en 1991. Connu du grand public comme romancier (La Modification), proche au départ du groupe du Nouveau Roman (Sarraute, Robbe-Grillet, Simon), il a ensuite tenté d’expérimenter des formes nouvelles et collabore avec de nombreux artistes contemporains (réalisation de livres-objets avec des artistes plasticiens). Michel Butor a délaissé le genre du roman proprement dit depuis les années 60. Outre l’écriture de nombreux essais, il pratique divers genres qui s’apparentent à la poésie. Il a reçu le prix Mallarmé pour Seize lustres en 2006 et le grand prix des poètes de la SACEM en 2007. Depuis 2006, les Éditions de La Différence ont commencé la publication an dix volumes de ses œuvres complètes. Blanche Maynadier (1923-2004) Louis Calaferte (1928-1994) Quand vient le temps d’écrire, on ne peut plus se taire ! Les souvenirs enfouis viennent à la surface Et donnent à penser… On pense à sa jeunesse, On pense à ses amours, à ses amis perdus, A ce que fut sa vie. J’éternue le soleil Je suis ganté de buis Je mâchonne des immortelles Je crache des allumettes J’enfante de bleus ramoneurs Je dorlote des chats J’assassine des roses Je décore des gâteaux J’esquisse des demoiselles Je resquille à l’enfer J’amuse des oiseaux J’aspire des sirènes J’allume des lanternes J’allonge des landaus J’encense des fontaines Je file des fuseaux J’ose des souvenirs J’use des escarcelles Juge d’un temps révolu Gisant Je gis. L’Oiseau Bleu Une plume à la main on aligne des mots Et chacun prend sa place en entrant dans l’écrit. Parmi tout ce qui fut, il faut pourtant choisir ! Tout ne peut être dit. Il y a des secrets que l’on veut retenir, Il y a des regrets que l’on garde pour soi Et tout ce que le temps a sans doute effacé ! Et puis les rêves fous… L’important c’est d’écrire en y prenant plaisir, Sans s’arrêter pourtant quand surviennent les larmes… On ne rit pas toujours, mais le temps passe vite Et l’on ne s’ennuie pas… On écrit pour laisser un petit rien de soi, Moins muet qu’une tombe, au jour du grand départ… Si un bel oiseau bleu veut m’offrir un plume ! Vous me lirez demain. Blanche Maynadier est un écrivain et femme de lettres française. Née dans le petit village Jurassien de Molay, très tôt orpheline de père et de mère, elle travaille dès l’enfance comme paysanne, puis dès ses quatorze ans comme ouvrière à Paris. Autodidacte, elle découvre la poésie et la littérature, par ses lectures de Lamartine et Musset. Elle se tourne dès lors vers une poésie chantante et versifiée. Auteure de nombreux recueils de poèmes : Chants visuels, Messidor, À l’ombre d’un figuier, Fructidor… Elle est aussi l’auteure d’une trilogie autobiographique L’École des Champs, Le ciel de Paris, Le temps d’Écrire. Je vous écris de l’hôpital (1972-1990) Extrait de : Sauf-Conduit : veuf de lune, 2002, © Éditions Tarabuste, Collection « Doute B.a.t. » Après une expérience directe de la vie, Louis Calaferte publie son premier livre, Requiem des innocents, en 1952, puis, l’année suivante, Partage des vivants. Il consacre alors quatre ans à la rédaction de Septentrion, fresque autobiographique, ouvrage taxé de pornographie qui fut interdit à la vente et réédité seulement vingt ans plus tard. Après un long silence Louis Calaferte recommence à publier un récit, Rosa Mystica, et un recueil de textes, Satori, partageant à partir de cette époque son travail entre littérature et expressions picturales. Il fut un poète vigoureux et sensible, à l’écriture précise et crue, violente et acerbe. Son œuvre se compose d’une bonne quarantaine de volumes, nouvelles et de récits, poèmes, essais, carnets et pièces de théâtre. Vénus Khoury-Ghata (1937) Poésie-Poésie Québécoise Rupestre. Sent les prairies et les pierres ensevelies sous fleuves et neiges pierreuses. Taillée dans la chair des écorces. Antillaise Pétrie de superstitions et du sang noir de la canne à sucre. Voix d’hommes pliés jusqu’à terre par soleil armé d’une serpe. Pierres brûlantes : révolte sous la cendre. Africaine Exaltée tel l’arbre à pain, diserte comme fleuve qui charrie des arbres déracinés par la tempête, et parfois cette apparence impassible alors que le visage saigne sous le masque. Poésie d’orient Charnelle, spirituelle, soufie, riche de vois diverses allant de l’Andalousie arabe à celle d’un Liban jadis terre de miel devenue terre de larmes. Voix de conteur dans salle enfumée, voix tonitruante des armes. Lente comme pas de caravane chargée d’or, d’épices, d’encens. Rapide tels les fleuves qui coulent sur pentes abruptes. Poésie française Sans cesse en mouvement et en crue S’élague, se mutile, se fait maigrir pour mieux se concentrer sur l’essentiel Puis fond dans une prose généreuse. Pas de berge pour la contempler irriguer le tendre et le sec Imprévisible, nourrie de mille courants, n’est pas définissable, parfois se détruit pour mieux se reconstruire. Se remet toujours en question avec le même matériau : le mot à mille facettes. Frottée au papier de verre, lourde de la poussière des chemins La poésie beatnik. Extrait de : Poésies de langue française, 144 poètes d’aujourd’hui autour du monde, Anthologie présentée par S. Bataillon, S. Clancier et B. Doucey, 2008, © Éditions Seghers Née au nord du Liban, Vénus Khoury-Ghata effectue des études de lettres et débute sa carrière comme journaliste à Beyrouth. Elle épouse en seconde noces un médecin et chercheur français Jean Ghata. En 1972, elle s’installe en France et collabore à la revue Europe, dirigée alors par Louis Aragon qu’elle traduit en arabe avec d’autres poètes. Son œuvre est riche et abondante : quinze recueils de poèmes ont reçu plusieurs prix et quinze romans, dont La Maestra couronnée par le prix Antigona. Andrée Chédid (1920-2011) Emmanuelle K L’onomatopée Lolo, nono, Mama, topée ! C’est pas possible À prononcer ! Glouglou Tictac Dodo Pé-pé, Tout ça C’est de l’O NOMATOPÉE ! Lolo, nono Mama, topée ! Un mot À vous rendre toqué ! Envol Cui-cui Chut-Chut Boum-boum Yé-yé Voilà des O NOMATOPÉE ! Poignardée d’un désir aussi vrai que ma force Un désir très ancien, que je portai plein ciel Je volai, inconsciente, aimantée que j’étais par un point de l’espace précieux, irrésistible où brillaient les yeux d’or d’un grand vaisseau solaire. Je l’avais toujours su. Lolo, nono Mama, topée ! Pourquoi vouloir Tout compliquer ! « L’Onomatopée », extrait de La Grammaire en fête, © Flammarion, 1993 Avec l’aimable autorisation des auteurs et de Flammarion. Et je volai, volai, de nuage en nuage étourdie, chavirée, enfantinement sage Et le vaisseau grandit, devint le ciel entier, chatoyant, irisé, magnifique et troublant. Ce n’était qu’un regard et je plongeai dedans. Un regard d’Oiseleur. Emplis de cris limpides, de soleil et d’air pur calmes, émerveillés, car il faisait grand vent, Nous étions ce navire, volant sur l’infini d’une vision native vieille comme la vie. Extrait de : L’Oiseleur (non édité) Née au Caire en 1920 mais d’origine libanaise, Andrée Chédid, installée à Paris depuis 1946, est l’auteur d’une vingtaine de recueils de poésie mais également de plusieurs dizaines de romans, essais, récits et pièces de théâtre. Son œuvre est un questionnement continuel sur la condition humaine et les liens entre l’homme et le monde, une célébration de la vie tant aimée, tout en ayant une vive conscience de sa précarité. Aigle d’Or de la poésie en 1972, Goncourt de la nouvelle en 1979 et Prix Goncourt de la poésie en 2002, Grand officier de la Légion d’honneur, l’auteure dramatique a donné son nom depuis 2009 au concours Andrée Chédid de poèmes chantés, organisé par l’association du Printemps des poètes. Poète, musicienne, diseuse et chanteuse, metteur en scène, réalisatrice de films… Farouchement indépendante, Emmanuelle K est une créatrice insaisissable qui voyage sans préjugés par les chemins de la vie, dérive avec les rêves, s’éclaire chez Rimbaud, Breton, Artaud, respire avec Bakounine, Debord et Vaneigem, chante et joue avec l’imaginaire populaire autant que savant. Passionnée avant tout, révoltée par nécessité, le mot aventure lui convient. Son œuvre écrite lui ressemble. En construction et en extension permanente, exigeante et élaborée jusqu’aux abords de la perfection, elle découvre et parcourt une grande variété de continents : Mélusine (le krill éditeur, 2007), Quand l’obéissance est devenue impossible (Ed. de la différence, le krill éditeur, 2008) etc. Site internet : www. emmanuelle-k.net Albane Gellé (1971) Alain Robinet (1948) [Extrait] [Extrait] Je vous écris d’ici, à l’est de Nantes, ciel épais au-dessus, les deux pieds posés plats sur une terre qui grogne. Je vous écris de l’eau, vagues ou rivière, apaisante même si. Je vous écris de mes îles, au silence peuplé d’abeilles. Je vous écris de mes nuits, bottes de sept lieux, à toute vitesse. Je vous écris des prés, chardons orties feuilles de carottes, une hirondelle dans les bras parce que le monde pique maman. Je vous écris plantée là sous la pluie, d’hier et d’aujourd’hui. Je vous écris depuis les bêtes réfugiés dans les cœurs, transportés malmenés depuis longtemps longtemps. Je vous écris pensive, de la table d’à côté pour vous dire que d’ici, vos vies me paraissent idéales. Je vous écris d’un cheval, qui en appelle un autre, dans le soir impeccable. Je vous écris de loin sans faire trop de bruit je me rapproche de vous. Je vous écris le soir, chouettes effraies chauves-souris, du grand parasol bleu qui cache les étoiles. Je vous écris d’un arbre, tout en haut attentive à retrouver ma route. Je vous écris de St Lyphard, tristesse bien sûr et moi aussi, et de ma grand-mère, qui n’a pas disparu. Je vous écris penchée, d’une table presque ronde, cris de corbeaux dans le noyer, secoué. Je vous écris d’en bas, chaises et vin blanc, sourcils froncés pour une conversation difficile. Je vous écris de ma langue, tais-toi écoute les bruits du monde. Je vous écris de la vie que je mène, tremblée sourires etcetera, dans le souvenir et l’attente de toutes les autres. Je vous écris de toutes mes forces. …C recréer comme du néo présent à partir d’l’ancien (enregistré) & recrépir sans récrier, ni récriminer qu’@récrire ou réécrire le crime sans recroqueviller la recrue des sens, recta & rectal, mais le trirectangle recteur rectifiant, rectite recto, rectoral recueil, pour recuire ni même @reculons @tergo (récurer les écuries d’Augias en 6°travo) C très récurrent pour recycler les récits ; C très récurrent pour recycler les récits ; r.e.d.’, reddition ? jamais ! redécouper ? oui mais cut-up ! pour redécouvrir & redéfinir & en redemander pour redémarrer sans rédemption & redéployer, même @redescendre aux enfers, car ça redevance pour redevenir &rediffuser & re-rédiger sur re-ding-glotte & redire & rediscuter & redistribuer jusqu’@la redondance & redonner & redorer & re-redoubler sans redouter & redresser des listes n’est pas réduire car rédupliquer C narrer scènario ; r.é.é’, rééchelonner pour réécouter, réécrire pour rééditer, mais rééduquer le réel C une tout autre histoire @réélire car réémettre C réemployer, réemprunter, s’ré-engager, s’rééquilibrer, réescompter conter C réel essayer, réétudier, réévaluer, réexaminer, réexpédier pour + réexporter du réel ; r.e.f.’, tjrs refaçonner, tjrs refaire, tjrs s’refendre d’1 référendum com’ 1 référent, tjrs @s’référer, mais sans s’ refermer ! car refiler & refilmer en boucles C s’refinancer & s’réfléchir ds les réflecteurs qui s’reflètent & refleurissent comme réflexes-pavlof non réflexions d’flux & reflux mais pour s’fondre & s’refondre ds l’mirage-tv, s’y reforester, s’y reformer, sans s’réformer, s’y re fouler, s’y réfracter, frain-refrain, sans réfréner l’éternel du retour, @l’réfrigérer sans l’ré-fringer, Albane Gellé est née en 1971 à Guérande (44) et vit à Saumur (49) où elle a animé l’association La Maison des Littératures de 2006 à 2012. Elle se déplace également un peu partout en France pour des lectures publiques et des interventions autour de la poésie. Elle a publié une dizaine de recueils : À partir d’un doute (Éd. Voie Publique, 1993), En toutes circonstances (Éd. Le Dé Bleu, 2001), Quelques (Éd. InventaireInvention, 2004), Je, cheval (Éd. Jacques Brémond, 2007), Pointe des pieds sur le balcon (Éd. La Porte, 2012), si je suis de ce monde (Éd. Cheyne, 2012), Nous valsons (Éd. Potentille, 2012) etc. Né en 1948, écrit et peint à Paris. A publié depuis 1976 dans plus d’une centaine de revues. A participé à des expositions d’Art Mail. A rédigé des comptes-rendus d’expositions (Art-Press) et des textes de catalogues sur quelques peintres. S’est autoédité (pour être plus lu !). A publié 8 plaquettes & 28 ouvrages de création. Entre 1991 et 1994, a réalisé des textes électro-acoustiques (Lyon), compilés en 1 CD. A réalisé avec M. Coste 3 vidéos-textes & 1 CD-Rom avec S. Roche (@rt data, Clermont-Fd). A organisé, en 2003-2004, cinq soirées de lectures poétiques à l’Espace-TiphaineBastille à Paris (avec J.P. Bobillot, G. Cabut, Ch. Manon, A. Dufeu, J.-L. Lavrille, G. Hassoméris, J. Game, J. Sivan, V. Maestri, P. Dubost, G. Fabre, H. Lucot…) Bastien Maupomé, dit Mots paumés Apnée [Extrait] Halo pâle autour de la ville… Brouillard de poussière qui poudroie… Particules en suspension dans l’atmosphère… Ciel terne, éteint. Air solide, irritant. La ville tousse, titube, telle le titanique, tout entière atteinte de tétanie… La vie est à bout de souffle… Comme un souffle au coeur… Au coeur de la ville… Chaque être naît en apnée, inadapté au rythme de la métropole… Mais hypnotisé, captif de ses turpitudes trop polluantes. Une arête en travers des artères… La cité s’étrangle, mais étrangement, personne ne s’arrête. Personne ne bronche. C’est la guerre des trachées. Obturées. Obstruées. Place au marasme. La masse, prise de spasmes, passe à l’asthme. Absence de soupape de sécurité. L’obligation du port du masque agace, mais la science asphyxion a dépassé la réalité. Hélas ! Quand tout t’étouffe, qu’autour la foule s’affale, que faire, sinon fuir ? Remonte à la surface, reprends tes esprits, suis ton instinct, Respire ! Dans les cités d’occident, on vit sans oxygène, Le dioxyde de carbone peut t’intoxiquer, t’occire à petit feu, Pas de soucis ça n’gène personne de risquer l’accident, on reste laxistes tant qu’on sait où poser son coccyx. L’écosystème respiratoire de nos contrées ne fonctionne plus ! Entre surchauffe mécaniculaire et désorganisation organique, Les gaz à effets d’ulcères cueillent nos enfants… Devenus pneumopathes, dès l’âge du jardin d’enfer. Et ma nation noyée dans ses émanations… Nécessitera-t-elle un jour la respiration artificielle ? On ne fait que cheminer, et cheminées encore, branchies en continue sur des noeuds de vipères, Des nids de vapeurs impures… De bouches à bouches d’évacuations, en bouffées délirantes De stimulation des zones cancérogènes, en constats à l’amiante, De grenelles infructueux en grenades à diaphragmentation ? L’énigme du spharynx résonne dans tous les points d’infrasuture de la ville : Quand arrêtera-t-on la compétition pour l’ascension des pics de pollution ? Quand tout t’étouffe, qu’autour la foule s’affale, que faire, sinon fuir ? Remonte à la surface, reprends tes esprits, suis ton instinct, Respire ! Né à 24 ans pendant une slam session, Mots Paumés choisit son nom de scène d’après son propre nom de famille, bien pratique : Maupomé. Mots Paumés a le vertige de résumer sa vie en 13 lignes. Aime Pierre Desproges, Terry Gilliam, Omar Sosa & tellement d’autres… Aime les rêves irréalisables, les rêves réalisés, la tarte au citron, le son du gong et la vieille dame qui dit toujours ‘Ça s’est radouci, non ?’. N’aime pas la pluie, la vieille dame qui pousse dans la file d’attente et les prophètes de la fin du monde : ‘Mon dieu, j’vais tous mourir !’ Signe distinctif : Agité du buccal. Un ‘Je veux’ sur la langue. Qualité : Reconnaît ses défauts. Défaut : Compte trop sur ses qualités. Signe astrologique : Caméléon daltonien. Ascendant : Carpe bavarde. Amour : Vénus saura vous séduire. Sentiment, chair, possession. Santé : Malgré la trentaine entamée, toujours pas de cancer. Travail : Saltimbanque sculpteur d’histoires au scalpel. Devise personnelle : Peu importent les flocons, pourvu qu’on ait l’Everest. Mots Paumés assume sa schizophrénie. Mots Paumés n’a donc aucun problème à parler de lui à la 3e personne. À partir d’ici, vous en savez assez pour en apprendre plus ailleurs… Site internet : http://motspaumes.com Mathias Imbert, dit Imbert Imbert La Mouche [Extrait] Il avait sept ans et demi, c’était un bon petit Tout plein de soleils dans les yeux, de ceux qu’on garde peu Il était calme, il était sage, pas très grand pour son âge Mais on sentait dans ses façons, que c’était pas un con Il aimait à être tout seul, jouer à compter les moutons Adossé au tronc du tilleul. Un jour qu’il n’avait pas école, sous son arbre, tranquille Il aperçut dessus le sol une mouche immobile Elle semblait morte, bel et bien, il la prit dans la main Mais quand il lui toucha le nez, il la sentit bouger Il accourut dans la cuisine, sortit le miel, la margarine Lui prépara une tartine. A partir de ce jour De ce geste d’amour De ce don du dedans Il trouva une amie Et un sens à la vie Il l’aima tellement Que la mouche s’en remît. Il lui donnait à butiner aux heures de repas Elle avait bien récupéré, mais ne volait toujours pas Il la prenait jusqu’à l’école, perchée sur son épaule Mais un jour en sortant de la douche, plus trace de la mouche Et alors qu’il pleurait des nues, un grattouillis sur son dos nu La mouche lui était revenue. A partir de ce jour Dans un geste d’amour Dans un don du dedans C’est en mari fidèle Qu’il aima sa donzelle Et l’aima tellement Qu’il lui coupa les ailes. Cette histoire n’est pas terminée, attention à la chute Car du troisième où il vivait, elle fut un peu abrupte Comme il était vraiment content de ce vieux coup fumant Il s’en alla radieux et fier, la montrer à sa sa mère Elle en fit une anastomose, mais en contenant sa colère Elle lui dit de faire quelque chose. Sans plus faire de détour Il rendit son amour Aux libertés du vent Reniant tout son être El la voulant renaître Il l’aima tellement Qu’il la jeta par la f’nêtre. Extrait de : Débat de boue, 2007, © Label Le Temps des Assassins Poète mélomane. Ancien contrebassiste des groupes Derien (chanson) et Jim Murple Mémorial (rock steady, ska, rythm’n’blues), Imbert Imbert a aussi pratiqué le free-jazz avec son trio Split, le rock déglingué de Scénic Railway et a joué avec bon nombre de groupes que l’on ne s’aventurera pas à citer ici. Et puis son stylo ne dormant que d’un œil et sa contrebasse que d’une corde, Imbert Imbert accouche de poèmes mélodiques et de mélodies poétiques. Certains de ceux-ci parlent du mal de vivre, certaines de celles-là au contraire chantent la vie à pleines mains. Certains ont l’amère nostalgie d’amours perdus, certaines la nostalgie de lendemains heureux. Grand imprécateur des privilèges et des passe-droits, ce refuseur du monde tel qu’il est, ce révolté, révolté de ne pas l’être assez, a de grandes fenêtres ouverte sur la lumière et sa tendresse, fragile, souriante, à fleur d’archet, est aussi grosse et lourde à porter que sa contrebasse. Site internet : www.imbertimbert.com Georges Brassens Les Copains d’abord Non, ce n’était pas le radeau De la Méduse, ce bateau Qu’on se le dis’ au fond des ports Dis’ au fond des ports Il naviguait en père peinard Sur la grand-mare des canards Et s’app’lait les Copains d’abord Les Copains d’abord C’étaient pas des anges non plus L’Évangile, ils l’avaient pas lu Mais ils s’aimaient toutes voiles dehors Toutes voiles dehors Jean, Pierre, Paul et compagnie C’était leur seule litanie Leur credo, leur confiteor Aux copains d’abord c’est fluctuat nec mergitur C’était pas d’la littérature N’en déplaise aux jeteurs de sort Aux jeteurs de sort Son capitaine et ses mat’lots N’étaient pas des enfants d’salauds Mais des amis franco de port Des copains d’abord Au moindre coup de Trafalgar C’est l’amitié qui prenait l’quart C’est elle qui leur montrait le nord Leur montrait le nord Et quand ils étaient en détresse Qu’leurs bras lançaient des S.O.S. On aurait dit des sémaphores Les copains d’abord C’étaient pas des amis de luxe Des petits Castor et Pollux Des gens de Sodome et Gomorrhe Sodome et Gomorrhe C’étaient pas des amis choisis Par Montaigne et La Boétie Sur le ventre ils se tapaient fort Les copains d’abord Au rendez-vous des bons copains Y avait pas souvent de lapins Quand l’un d’entre eux manquait à bord C’est qu’il était mort Oui, mais jamais, au grand jamais Son trou dans l’eau n’se refermait Cent ans après, coquin de sort Il manquait encore Des bateaux j’en ai pris beaucoup Mais le seul qui ait tenu le coup Qui n’ait jamais viré de bord Mais viré de bord Naviguait en père peinard Sur la grand-mare des canards Et s’app’lait les Copains d’abord Les Copains d’abord Manifestation organisée dans le cadre du Printemps des poètes Production Conseil général de l’Eure / Mise en œuvre par la Fabrique Éphéméride Renseignement et programme : www.eureenligne.fr / 02 32 31 95 35 Direction de la Culture Hôtel du Département Boulevard Georges-Chauvin 27021 Evreux Cedex tél. 02 32 31 50 50 • fax 02 32 33 68 00 internet www.eureenligne.fr conception graphique : Nicolas Portnoï Délégation Animation