manager - Supply Chain Magazine

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manager - Supply Chain Magazine
M a n a g e m e n t
Gérer la diversité
en entreprise, un défi
La diversité des hommes et des femmes dans l’entreprise recèle
des richesses, parfois inexploitées. Elle s’avère toutefois complexe à gérer
de façon à la fois efficace, non conflictuelle et la plus équitable possible.
Des actions peuvent être menées aussi en amont
pour favoriser l’égalité des chances.
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e suis étonné par la diversité des origines, quand
je me promène à Paris :
Européens, Africains et
Asiatiques se mélangent. »
C’est la première réflexion qui vient à l’esprit de
Kazuaki Fujita, un designer
japonais de Tokyo lorsqu’il se
promène à Paris. Et oui, notre
société française, même si l’on
n’y prête plus attention, est
beaucoup plus mélangée que
d’autres. Au Japon, il y a ainsi
très peu d’étrangers.
Pourtant, les entreprises sont
souvent loin de refléter la diversité de la société française ; et
elle n’est guère prise en compte
dans les politiques de ressources humaines des entreprises. La diversité est multiple.
Ses critères, non exhaustifs,
sont les suivants :
◆ Sexe ;
◆ Nationalité/culture ;
◆ Age ;
◆ Fonction ;
◆ Diplôme/formation ;
◆ Origine sociale ;
◆ Handicap ;
◆ Appartenance à une communauté (religieuse, syndicat,
mouvement politique…).
Quand on parle de diversité à
certains dirigeants, tout va bien
dans le meilleur des mondes.
Jean-Pierre Paugam, PDG de
l’éditeur de logiciels Cylande,
©Xerox
J
«
indique « employer un quart de
femmes, et avoir plutôt des difficultés pour en trouver qui souhaitent venir dans l’entreprise.
Nous ne pratiquons pas de quotas pour favoriser telle ou telle
minorité ; de toute façon, le secteur est en sous-effectif. Notre
premier critère d’embauche est
de satisfaire au niveau de performance exigée dans l’entre »
Pour son confrère allemand, le
professeur August Wilhelm
Scheer, fondateur de l’éditeurconseil IDS Scheer, il n’y a
pas de problème : « Certes, les
quatre membres du conseil
d’administration sont des
hommes, mais une femme dirige
les ressources humaines. Et
nous ne faisons pas de différence
N°26 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JUILLET-AOÛT 2008
L’équipe,
naturellement
diversifiée
de Xerox,
dirigée par
Jean Durand.
entre un Allemand, un Turc ou
un Chinois, du moment qu’il
s’engage et a des qualités. »
Obstacles féminins
Pourtant, au-delà du politiquement correct, on perçoit déjà
dans ces deux propos les problèmes auxquels sont confrontés les femmes :
◆ l’autocensure qui freine les
candidates aux postes techniques, notamment dans l’informatique, orientation prise
dès les études, passeport pour
l’emploi ;
◆ le « plafond de verre » auquel
se heurtent les femmes cadres
qui souhaitent accéder au plus
haut niveau de responsabilité
(cf. encadré p.64).
sité. Dans sa zone de confort,
c’est-à-dire là où le manager est
à l’aise – pour l’un ce sera les
différences homme-femme,
pour l’autre l’origine sociale –
il n’aura aucun mal à gérer cer-
Bien sûr, les femmes font face à
d’autres difficultés, en premier
lieu les écarts de salaire, toujours
importants, même s’ils tendent à
se réduire. Le salaire mensuel
net d’une femme occupant un
poste à temps complet est de
23,1 % inférieur à celui de son
homologue masculin, selon
l’Observatoire des Inégalités
(chiffres Insee 2006) ; la différence atteint 30,1 % chez les
cadres supérieurs. En intégrant
les emplois à temps partiels, les
femmes occupant plus ce type
de poste, souvent par contrainte,
l’écart s’élève à 37 %.
tains types de diversités. Pour
les différences hors zone, là où
Deloitte a reçu
les préjugés sont les plus forts,
des collégiens
il aura plus d’efforts à fournir et
de Sarcelles
le 8 avril dernier cela aura donc un impact sur la
pour une visite
performance de son équipe. Il
d’observation
Plus largement, les équipes
composées de gens trop similaires manquent de complémentarité. Ainsi une société
d’ingénieurs fera de bons produits mais ne saura pas forcément les vendre. Bertrand de
Laleu, Directeur des ressources
humaines, L’Oréal produits de
luxe, y a réfléchi : « J’observe
que la non-diversité apporte
une cohésion immédiate dans le
groupe, mais un certain immobilisme à long terme. » Une
bonne équipe est un mélange
complexe, avec des personnes
aux formations, aux talents et
aux origines diverses, dont la
gestion doit être réfléchie.
Managers, soyez
conscients de
votre zone de confort
Pour savoir comment gérer la
diversité, et sur quels critères
parmi ceux cités au début de
l’article, une piste intéressante a
été développée par un groupe
d’étudiants de la chaire
Diversité et Performance de
l’Essec. Leur analyse montre
un lien entre diversité et performance de l’équipe. Chacun a sa
propre conception de la diver-
©Deloitte
Diversité =
complémentarité
Les handicapés,
grands oubliés des entreprises
Depuis la loi du 10 juillet 1987, les entreprises de plus de 20 salariés sont
tenues à une obligation d’emploi d’au moins 6 % de personnes handicapées
dans leur effectif. La loi du 11 février 2005 réaffirme cette obligation et
l’étend à de nouvelles catégories de personnes handicapées. Toutefois,
nombre d’entreprises dérogent totalement ou partiellement à la règle et
s’acquittent à la place d’une contribution à l’Agefiph, l’association chargée
de gérer le fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Le distributeur informatique Computacenter emploie quelques handicapés placés par la Commission Technique d'Orientation et de Reclassement
Professionnel (COTOREP) à des postes aménagés où les objectifs de productivité sont moindres. Et elle sous-traite le recyclage du matériel à une entreprise d’insertion des handicapés.
Les personnes handicapées souffrent d’un déficit de qualification, en amont
du parcours de formation, qui rend encore plus difficile l’insertion. 28,3 %
des élèves handicapés du secondaire passent en lycée contre 68,9 % des
élèves non handicapés, selon l’association Arpejeh (Accompagner la
Réalisation des Projets d'Etudes de Jeunes Elèves et Etudiants Handicapés),
et respectivement 18,9 % en lycée accèdent en supérieur, contre 41.6 %.
Aussi les entreprises (et écoles de l’enseignement supérieur) doivent s’impliquer très tôt, dès le collège, pour aider les personnes handicapées, et leur
environnement, à se projeter vers des études supérieures. Guilène Bertin, de
Deloitte, où seuls des bac+5 sont recrutés, rendant difficile l’embauche de
personnes handicapées, annonce que « son entreprise veut entrer dans une
phase active et travaille avec un cabinet spécialisé dans le handicap. Nous
recevons des collégiens, notamment des handicapés. »
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doit ainsi prendre conscience de
ses limites pour conserver la
performance.
Plus largement, le manager doit
ramener le discours sur le terrain des compétences. Il ne faut
pas nier que chaque personne a
des aptitudes différentes ; il faut
donner à chacun la place qui lui
convient le mieux, sans discrimination. Jean Durand, Directeur Supply Chain de Xerox,
assure : « la diversité n’est pas
un objectif en soi. Le critère
déterminant est la valeur de
l’individu en fonction des
tâches et sa capacité à démontrer son envie. » C’est de la responsabilité du manager de voir
comment pousser son subordonné à donner le meilleur de
lui-même dans un terrain favorable, là où il est doué. Et ne pas
figer l’équipe comme sur un
tableau, les capacités à s’adapter à de nouvelles tâches sont
souvent plus fortes que l’on ne
le pense.
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Pragmatisme
chez les logisticiens
Les logisticiens ont plusieurs
raisons d’être particulièrement
sensibles au sujet. D’une part,
les femmes sont souvent cantonnées à des postes de préparation de commande ou à des
fonctions support ; d’autre part,
avec de bas salaires en entrepôt,
l’origine sociale et ethnique –
force est de constater que les
deux sont souvent liées – est
souvent variée. Claude Samson, Directeur de Samada, la
filiale logistique de Monoprix,
a le mérite d’être honnête : « la
diversité, je ne la gère pas, je la
subis. » Il doit parfois faire face
à des conflits entre ses salariés
d’origines culturelles diverses.
Pas facile à résoudre quand on a
déjà d’autres problèmes à gérer.
Chez Auchan, Laurence Fornari, Responsable diversité,
©Computacenter
M a n a g e m e n t
« La
diversité
n’est pas
un objectif
en soi.
Le critère
déterminant
est la valeur
de l’individu
en fonction
des tâches
et sa
capacité à
démontrer
son envie. »
Jean Durand,
Directeur
Supply Chain
de Xerox
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montre les effets négatifs de la
peur de l’autre et de la différence. Elle cite l’exemple de
certains salariés qui ne veulent
pas serrer les mains de femmes, ou d’hommes, qui travaillent au rayon alcool. Elle
affirme avoir pris le taureau
par les cornes. 6.000 cadres,
notamment ceux des entrepôts
et des services centraux, ont été
sensibilisés à la question de la
diversité. Trois « comités de la
diversité » réfléchissent à des
mesures pour l’égalité des
chances pour tous au niveau de
la promotion interne, à la place
des seniors et à la promotion
des femmes. « 5 % des directeurs de magasin sont des
femmes ; la direction générale
veut augmenter ce chiffre. »
Règles du vivre
ensemble chez
Computacenter
Gabriel Nicolini, Directeur
logistique de Computacenter,
distributeur et intégrateur informatique qui emploie 1.000 personnes en France, raconte une
anecdote : « Je venais d’arriver
à mon poste quand j’ai été
averti qu’un employé faisait ses
prières pendant le Ramadan
dans les allées de l’entrepôt. Je
suis allé le voir : prier ou travailler, vous choisissez, l’entreprise est laïque. Vous faites ce
que vous voulez en dehors. »
Cet ancien militaire, qui a
beaucoup voyagé à travers le
monde, explique la clef de la
réussite : « Il faut montrer du
respect à tout le monde tout en
imposant de la rigueur. Il faut
intervenir tout de suite et imposer des règles de vie au travail,
et sanctionner en cas de nonrespect. »
Dans cette entreprise où la moitié des salariés sont des femmes, le service logistique qui
compte 117 personnes, n’en
compte qu’un tiers à des postes
de préparation de commande
ou dans les services support.
M. Nicolini promeut l’égalité
des chances. Dans son service,
il a sélectionné 22 apprentis
issus des cités pour deux ans. Ils
tournent dans toutes les fonctions pour apprendre à être
polyvalents, par cycle de trois
mois : réception, préparation
de commandes, gestion des
stocks, qualité, emballage,
ordonnancement... Les cinq
meilleurs seront embauchés.
« Je suis avec eux comme avec
mes enfants, des adolescents, à
la maison : à la fois paternel et
ferme. »
Xerox : champ d’action
limité
Chez Xerox, où la logistique
est sous-traitée, Jean Durand,
Directeur Supply Chain, gère
une équipe de 22 personnes. Il
prône « la mixité entre jeunes et
plus âgés, les jeunes apportant
une envie de changement et un
œil neuf. » Son champ d’action
reste pourtant limité par la
mobilité interne, principale
source d’accès aux postes logistiques dans une entreprise à
effectifs stabilisés. Ainsi les clichés hommes/femmes restent
tenaces parmi les candidats.
Malgré une promotion du poste
de gestionnaire de prestataire
par une femme, il a eu peu de
candidatures féminines pour
ce type d’emploi. Et beaucoup
de femmes dans son équipe
de back-office. Il a toutefois
embauché deux jeunes femmes
venues de l’extérieur.
Guilène Bertin, Directeur de
l’audit, en charge du sujet de la
diversité et des actions citoyennes chez Deloitte France, affiche
sa détermination d’agir :
« Il est indispensable de passer le stade du "il n’y a qu’à… il
faut ». Depuis 2000, elle est
bénévole, dans le cadre du
mécénat de compétences, compris dans le temps de travail ; elle
reçoit des jeunes et des chômeurs pour les aider à s’orienter.
Amadou Raimi, 58 ans, qui a
fait toute sa carrière chez
Deloitte, est aujourd’hui réélu
©Computacenter
Deloitte agit
de façon pro-active
président du conseil d’administration. D’origine africaine, il
est emblématique de la politique de diversité du groupe
d’audit et de conseil. Deloitte a
signé, en voisin, un partenariat
avec l’université de Nanterre
pour sortir du moule des écoles
de commerce et d’ingénieur. Il
a signé le plan Espoir Banlieues
de Fadela Amara, avec un engagement chiffré de cinquante
recrutements par an (stages et
CDI) de moins de 26 ans issus
des zones urbaines sensibles.
Il est audité dans le cadre du
label égalité hommes/femmes :
« l’embauche tend au 50/50
mais il y a encore peu de femmes parmi les Associés, constate Guilène Bertin. Les femmes
n’ont pas le même rapport au
temps, souhaitant des responsabilités à partir de 45 ans,
L’équipe
quand les enfants sont grands,
de l’atelier de
différenciation
quand les hommes s’impliquent
retardée de
plus tôt. » Elle-même mère de
Computacenter.
deux enfants, aux quatre cinquième, elle apprécie des
choses « toutes bêtes », comme
le service SOS Nounou adossé
à la mutuelle d’entreprise.
Christine Calais
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Les femmes top managers,
une clé de la réussite de l’entreprise
©CC
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« Les femmes ont les clés, mais les est issue du 3e groupe de travail de très fermé du top management
hommes sont assis fermement sur la chaire de l’Essec. Les hauts où elles se retrouvent en minorité,
les cadenas, » raconte, sourire aux potentiels sont remarqués entre voire en exception féminine. Pour
lèvres Avivah Wittenberg-Cox, trente et quarante ans, âge où les que l’intégration fonctionne sans
Directrice générale de 20-first lors femmes cadres sont préoccupées à peur du rejet, il faudrait atteindre
de l’inauguration de la chaire pouponner leurs enfants en bas une masse critique.
Diversité et Performance de âge. La deuxième est l’autocensure ◆ ayant fait de gros efforts pour
l’Essec. Autrement dit, peu de pratiquée par les femmes : avec en arriver là, elles ne voient pas
femmes arrivent aux plus hautes une aversion au risque plus forte, pourquoi elles seraient les seules à
marches des hiérarchies d’entre- elles hésitent plus que leurs col- devoir les fournir.
prise. Par exemple, sur les cinq lègues masculins à demander des On peut espérer qu’une plus forte
membres du comité de direction promotions. La troisième est un mixité conduise à des comportedu distributeur informatique paradoxe, constat étonnant d’une ments plus rationnels de la part de
Computacenter, il y a une seule enquête menée auprès d’anciens l’ensemble des dirigeants, hommes
femme, Directrice qualité, contre et d’anciennes de l’I.E.P. de Paris et femmes. Déjà, certaines entredeux auparavant.
lors de la création début 2006 du prises affichent leur volonté de
Pourtant, les entreprises qui ont groupe Femme & Société à l’asso- changement. Alain Malka, Direcdes femmes parmi les hauts diri- ciation des Sciences-Po. Il a montré teur des ressources humaines d’Air
geants ne s’en portent que mieux. que les femmes haut placées France, reconnaît que « son groupe
Citant une étude de Mc Kinsey, avaient des tendances « machos », a une marge de progression, avec
Mme Wittenberg-Cox indique ne facilitant pas la tâche de leurs l’absence de femmes dans le comité
que « les conseils d’administration consœurs qui souhaitent gravir les exécutif et moins de 10 % dans le
qui comportent plus de trois échelons. Soit une étrange repro- comité de direction. » Pas encore
femmes en leur sein ont 83 % de duction des mauvais côtés de leurs convaincus ? Un dernier argument :
résultats en plus. » En outre, pour- codirigeants mâles qui requiert la mixité marche car cela rend les
suit-elle, « elles ont des compé- une double explication :
femmes moins pénibles et les
tences à revendre : 60 % des ◆ volonté de s’intégrer au groupe hommes moins stupides !
diplômés du supérieur en Amérique
du Nord et en
Europe sont des
femmes. Et elles
créent le marché :
80 % des décisions
d’achat sont faites
par des femmes. Et
pourtant, 95 % des
dirigeants européens sont des
hommes. » Car les
femmes se heurtent
au fameux « plafond de verre » qui
les sépare du top
management.
Trois pistes de réflexion éclairent toutefois la probléma- Les designers japonais – remarquons une féminisation plus forte – remplacent la diversité des
tique. La première origines par celle des looks. En bas à droite, le seul homme qui s’est déplacé à Paris : Kazuaki.
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