l`ouverture de la publicité télévisée à la grande distribution

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l`ouverture de la publicité télévisée à la grande distribution
INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES EN DROIT DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
L’OUVERTURE DE LA PUBLICITÉ
TÉLÉVISÉE À LA GRANDE
DISTRIBUTION
Chronique télévision réalisée par Alice TOLOS
20 décembre 2006
Master professionnel « Droit et métiers de l’audiovisuel »
Faculté de droit et de science
politique d’Aix-Marseille
Aix-en-Provence
2006-2007
Université Paul Cézanne
U III
2
Introduction
Depuis le 1er octobre 1968, la publicité de marques est autorisée à la télévision française.
Cependant pour des considérations principalement d’ordre public, les pouvoirs publics ont voulu
dès le début en limiter l’accès à certains secteurs d’activités 1. Ces quelques secteurs économiques
d’activité visés par ces restrictions à la publicité télévisée sont appelés « secteurs interdits » 2. Plus
précisément, il s’agit de la presse, de l’édition, du cinéma et de la distribution.
Aussi, au terme de plusieurs tentatives, ces secteurs se sont vus progressivement octroyer
le droit de faire enfin de la publicité. En effet, les interdictions prévues à l’article 8 du décret du 27
mars 1992 transposant la directive communautaire de 1989 « Télévision Sans Frontière », ont été
modifiées par un décret du 7 octobre 2003 suite à la pression exercée par la Commission
européenne sur la France.
Dorénavant, et cela depuis le 1er janvier 2007, la grande distribution n’est plus un « secteur
interdit » 3. À partir de 00h18, le jour de la St Sylvestre, les grandes enseignes, tel Système U
cinquième groupe de distribution en France derrière Leclerc, Carrefour, Auchan, et Intermarché, se
sont succédées afin de vanter leurs enseignes. Cette nouveauté, qui modifie donc le paysage de
l’audiovisuel français, va en tout premier lieu bénéficier aux chaînes de télévision privées et cela
peut-être au détriment de la presse et de la radio.
Aussi, convient-il de se demander, comment en est-on arrivé à cette levée d’interdiction ?
Quelles sont les conséquences, sur l’ensemble du secteur de l’audiovisuel, de la récente faculté de
ces grandes enseignes d’être autorisées à faire de la publicité ?
Autant de questions qui amènent à revenir sur l’évolution de la législation française sur la
publicité depuis 1968 (I) et à analyser les effets sur le petit monde de l’audiovisuel du droit accordé
aux grandes surfaces de faire désormais de la publicité (II).
I L’évolution législative de la publicité française
Alors qu’il existait une interdiction générale de diffusion de publicité de la grande
distribution à la télévision (A), à la suite de tentatives plus ou moins fructueuses (B), ce secteur a
enfin été autorisé à communiquer par le biais de ce média (C).
1
« Les secteurs interdits de publicité télévisée », du 9 septembre 2004, http://www.ddm.gouv.
2
Dits aussi « secteurs exclus », http://www.ddm.gouv.fr, du 9 septembre 2004.
3
« La pub à la télé s`ouvre à la grande distribution », Challenges, du 29 décembre 2006, http://www.challenges.fr.
3
A) L’ancienne réglementation : les « secteurs interdits »
L’autorisation donnée au pouvoir réglementaire, par la loi du 30 septembre 1986 4, de
prendre des dispositions régissant la publicité radiophonique ou télévisée par décret en Conseil
d’État, a rapidement donné naissance au décret du 27 mars 1992, qui définissait le régime
applicable à la publicité et au parrainage à la télévision.
Pour commencer, ce décret applicable jusqu’au 1er janvier 2004, définit dans son article 2
la publicité comme :
« toute forme de message télévisé diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue, soit de
promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation
générique, dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit
d’assurer la promotion commerciale d’une entreprise publique ou privée. » 5
Aussi, l’article 8 du décret, dans sa rédaction, précise qu’ :
« est interdite la publicité concernant, d’une part, les produits dont la publicité télévisée fait l’objet d’une
interdiction législative et, d’autre part, les produits et secteurs économiques suivants : boissons
comprenant plus de 1,2 degré d’alcool, édition littéraire, cinéma, presse, distribution, sauf dans les
départements et territoires d’outre-mer ainsi que les collectivités territoriales de Mayotte et de SaintPierre-et-Miquelon. »
Il existe des causes à ces interdictions. En ce qui concerne les produits interdits de
publicité, les motivations qui sont à l’origine de cette décision sont exclusivement d’ordre public.
En effet la publicité ne doit pas avoir pour objet de faire la promotion de produits néfastes pour la
population. De ce fait, des dispositions législatives 6, et des dispositions européennes 7 prohibent la
publicité de certains produits. Au sujet des quatre secteurs d’activités, les interdictions étaient
justifiées par des motifs d’ordre économique et culturel. En effet, la logique qui primait à l’époque,
était que ces interdictions permettaient le maintien de l’offre culturelle et du pluralisme des médias.
Ces restrictions à la publicité télévisée avaient aussi pour vocation de privilégier d'autres
supports et d’éviter ainsi un accès exclusif des grands groupes à la publicité télévisée au détriment
des autres. La législation était donc claire : aucune publicité pour ces produits et secteurs visés.
4
Article 27 de la loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication : « Compte tenu des missions
d’intérêt général des organismes du secteur public et des différentes catégories de services de communication
audiovisuelle diffusées par voie hertzienne terrestre, des décrets en Conseil d’Etat fixent les principes généraux
définissant les obligations concernant : la publicité, le télé-achat et le parrainage … », http://www.legifrance.fr
5
Article 2 du décret du 27 mars 1992, http://www.legifrance.fr.
6
Les dispositions législatives interdisent, par exemple, la publicité pour les armes à feu ou l’assistance juridique.
http://www.senat.fr.
7
Les dispositions européennes prohibent, par exemple, la publicité pour l’alcool, le tabac ou encore les médicaments.
http://www.senat.fr.
4
B) Les tentatives pour contourner les interdictions sectorielles
La question de l’ouverture de la publicité télévisée aux secteurs interdits n’est pas
nouvelle. Depuis plusieurs années, certains acteurs, et notamment les grands distributeurs,
réclament une levée totale de cette interdiction.
Plusieurs tentatives ont été menées.
La première remonte à 1995. L’interdiction citée à l’article 8 du décret du 27 mars 1992 a
fait l’objet d’une question préjudicielle devant la Cour de justice des communautés européennes,
portant sur la compatibilité de ce texte avec les dispositions du droit communautaire. La Cour
8
avait jugé à l’époque que l’interdiction du secteur de la distribution d’accéder aux écrans
publicitaires ne portait pas atteinte aux règles sur la libre circulation des marchandises et ne créait
pas de distorsion de concurrence.
Par la suite, en 2000, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel avait été conduit à étudier la
possibilité de permettre aux entreprises des secteurs interdits de diffuser de la publicité à la
télévision pour leurs sites Internet. Dans son communiqué 9, le CSA expliquait que les activités des
sites Internet constituaient un secteur économique spécifique, et que de ce fait, il n’y avait pas de
raison qu’on leur applique les restrictions du décret de 1992. Néanmoins, il n’en a pas été décidé
ainsi par le Conseil d’État. En effet, le 3 juillet 2000, le Conseil d’État, saisi de plusieurs recours
dirigés contre ce communiqué, l’a annulé, jugeant qu’il appartenait au ministre, par décret en
Conseil d’État, et non au CSA, de définir les règles applicables à la publicité télévisée. Cet arrêt a
donc implicitement étendu l’interdiction posée par l’article 8 du décret de 1992 à la publicité
télévisée pour les sites Internet des entreprises des secteurs interdits de publicité sur le petit écran.
Enfin, même suite à plusieurs demandes d’information
10
adressées par la Commission
européenne à l’intention de la France portant sur les interdictions frappant les quatre secteurs,
aucune modification législative n’est intervenue.
C) L’ouverture définitive de la publicité aux secteurs interdits
Il aura fallu attendre une plainte déposée par le Syndicat de la presse magazine
d’information en octobre 2001, pour que la France, en répercussion à l’intervention
8
CJCE - 9 février 1995, Edouard Leclerc-Siplec / TF1 Publicité et M6 Publicité.
9
Communiqué de presse n°414 du 23 février 2000.
10
11
de la
La première demande d’information portant exclusivement sur le secteur de la distribution a été adressée à la France
en 1997, suite au dépôt d’une plainte en 1996. Cette demande d’information a été renvoyée en 2000. En avril 2001 une
nouvelle demande d’information qui s’intéressait désormais à l’ensemble des quatre secteurs interdit a été porté à
l’intention de la France.
5
Commission européenne, adopte un décret autorisant la publicité audiovisuelle aux secteurs qui
jusque là n’y avaient pas accès. Ce décret du 7 octobre 2003, modifie donc, et ce depuis janvier
2004, les dispositions du décret de 1992.
Il en résulte que depuis janvier 2004, la presse, qui jusqu’à maintenant ne pouvait accéder
à la publicité, peut promouvoir ses titres à coups de spots publicitaires
12
, tout comme la grande
distribution qui peut dorénavant diffuser des spots sur les chaînes de la télévision du câble et du
satellite mais aussi faire du parrainage sur les chaînes nationales 13.
Ce décret dans son article 34-1, notifie bien la possibilité pour la distribution de faire
également à son tour, à compter de janvier 2007, de la publicité sur toutes les chaînes :
« Par dérogation aux dispositions de l’article 8 du présent décret, toute publicité pour la distribution
demeure interdite jusqu’au 1er janvier 2007 pour les éditeurs de services de télévision à vocation
nationale diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique. »
Ce décret libère donc enfin la distribution de l’interdiction qui lui était imposée de ne pas
communiquer, et cela après de longues démarches de la part de nombreux opérateurs. Il aura fallu
attendre quinze ans pour que ce secteur bénéficie du média télévisé. Toutefois, une révolution ne se
fait jamais sans conséquences.
II Les effets de l’ouverture de la publicité télévisée à la grande distribution
La possibilité qu’a maintenant le secteur de la distribution de faire des publicités sur le
petit écran va nécessairement entraîner des conséquences. Mis à part avoir entraîné la mise en place
d’un encadrement quant à la création et à la diffusion publicitaire (A), cette ouverture va entraîner
des répercussions financières (B) mais va aussi probablement toucher les secteurs que sont la radio
et la presse (C).
A) L’avènement d’une réglementation pour la création publicitaire
La France, un des derniers pays à autoriser la publicité télévisée au secteur de la
distribution, a accompagné cette possibilité de mesures contraignantes.
11
La Commission européenne a adressé le 7 mai 2002 un avertissement à la France, sur la contrariété de l’interdiction
de certains secteurs avec deux des objectifs d'intérêt général du Traité de Rome, la sauvegarde du pluralisme et la
diversité culturelle.
12
« La presse autorisé à faire de la publicité télévisée des le 1er janvier 2004 », Stratégie, 11 avril 2004
http://www.strategie.fr.
13
« La grande distribution commence à faire sa pub à la TV pour le nouvel An », de décembre 2006,
http://www.telesatellite.fr.
6
Les grandes surfaces ne pourront pas en effet faire de campagnes de promotion ou de
publicité mettant en avant des événements les concernant. Toute publicité sur les prix est donc
prohibée ! Il leur faudra donc trouver des stratégies pour insuffler un discours sur les prix dans leurs
campagnes d’image.
Par ailleurs, la fréquence de diffusion est également encadrée. Les publicités portant sur la
grande distribution n’apparaîtront que toutes les huit publicités.
Quoi qu’il en soit, malgré ces impératifs à respecter, les distributeurs ont à l’évidence
beaucoup à gagner à investir à la télévision. Cela va leur permettre, en effet, de communiquer pour
la première fois sur leur marque. Les enseignes tel Système U, Casino, ou Intermarché qui ne
disposent pas, comme leurs concurrents Carrefour ou E.Leclerc, d’une image claire et homogène
sur l’ensemble du territoire, vont pouvoir remédier à cette situation 14.
L’avantage certain c’est surtout que les distributeurs vont enfin pouvoir mesurer l’impact
d’une vague télévisée en terme de fréquentation de leurs magasins. Et cela, dans des conditions bien
meilleures que celles offertes par les radios ou les afficheurs.
B) Des répercussions financières importantes
Avec l’ouverture de la publicité à la grande distribution, c’est le secteur de l’audiovisuel
qui est content. Les analystes estiment en effet, entre 200 et 220 millions d’euros le surplus de
recettes provenant de la publicité télévisée de la grande distribution, sur un total de plus de
3 milliards 15.
Selon NPA Conseil, c’est TF1 qui pourrait s’octroyer la part du lion avec 50 % de cette
manne, suivie de M6 qui en toucherait entre 30 et 35 %. France Télévision aurait le reste, soit entre
15 % et 20 % 16.
Cependant, les nouvelles ne sont pas aussi bonnes pour tout le monde. Selon une étude 17,
les recettes publicitaires devraient baisser en 2007. Une perte de 37 millions d’euros est prévue pour
l’affichage, de 33 millions pour la radio, de 28 millions pour la presse quotidienne et de 22 millions
pour la presse magazine.
14
« Distribution & médias », Stratégies n° 1425, du 14/09/2006.
15
« La grande distribution fait enfin sa pub à la TV », L’expansion, du 29 décembre 2006, http://www.lexpansion.fr.
16
« La pub à la télé s’ouvre à la grande distribution », Challenges, du 29 décembre 2006, http://www.challenges.fr.
17
Etude réalisée par AD Barometer.
7
Autre conséquence qui pourraient donc entraîner des modifications dans les recettes, c’est
que depuis l’ouverture de la publicité télévisée à la grande distribution, celle-ci délaisse de plus en
plus le parrainage.
C) Les secteurs pouvant être affectés par le retrait de cette interdiction
Celui qui risque d’être le plus menacé dans cette affaire c’est le quotidien régional (PQR).
Il convient de rappeler que si la grande distribution a été jusqu’alors bannie de la publicité télévisée,
c'était justement pour protéger la PQR qui tire une bonne partie de ses ressources de la publicité des
supermarchés. Le Syndicat de la presse quotidienne régionale s’attend à une baisse de 5 % à 15 %
en 2007.
Pour autant, la publicité des hypers étant encadrée 18 , la promotion et localisation resteront
l’apanage de la PQR et de la radio. De plus, les supports publicitaires traditionnels de la grande
distribution
19
affichent leur « sérénité » en affirmant avoir développé des offres promotionnelles
pour attirer de nouveaux annonceurs, bien que les distributeurs étaient jusqu’à présent leurs
premiers clients.
L’arrivée des grandes enseignes sur le petit écran ne ravit pas non plus les grands noms de
l’industrie alimentaire qui s’inquiètent de la façon dont les distributeurs vont user de ce nouveau
mode de communication. En effet, les grandes surfaces devraient en profiter pour mettre en avant
leurs marques de distributeurs (MDD) qui sont déjà très présentes dans les rayons en raison de leur
prix, mais qui souffrent d’un problème d’image.
De son coté, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) s’est
émue dans un communiqué de la situation des commerces de proximité face au « rouleau
compresseur » de la grande distribution, et également de la « pression » qui s'exerce sur les PME
fournisseurs.
18
Interdiction par exemple, d'annoncer, dans un spot sur TF1, la grande promotion sur les sapins de Noël au Leclerc
de Gif-sur-Yvette. « A saisir : grande promo pour les hypers à la télé », Libération, du 23 décembre 2006,
http://www.libération.fr.
19
Radios, affichage et presse locale. « La grande distribution fait enfin sa pub à la télé », l’expansion, du 29 décembre
2006, http://www.lexpansion.com.

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