VOYAGES ET DÉCOUVERTES AU XVIIIème SIÈCLE Objectifs
Transcription
VOYAGES ET DÉCOUVERTES AU XVIIIème SIÈCLE Objectifs
VOYAGES ET DÉCOUVERTES AU XVIIIème SIÈCLE LES VOYAGES DE BOUGAINVILLE ET COOK Marie-France LUIGGI PLP Lettres Histoire L.P. A. Maillol PERPIGNAN Objectifs: -Faire les liens entre ces voyages de circumnavigation, l'encyclopédie et le siècle des Lumières. -Montrer les différences fondamentales entre les voyages du XV-XVIe siècle et ceux du XVIIIe siècle. Montrez en quoi les motivations ont changé. Problématiques possibles -Les voyages de grandes découvertes et le passage d'une économie précapitaliste à une économie capitaliste avec l'arrivée massive de métaux dont l'Europe manquait cruellement. -Les voyages de grandes découvertes et une première mondialisation. -Les voyages de grandes découvertes et la rencontre avec l'Autre -Les voyages de grandes découvertes et les sciences: Une nouvelle vision du monde la possibilité de faire le lien avec la séance suivante les lumières et la révolutions; quel impact de ces nouvelles civilisations pour les intellectuels européens? Au XVIIIe siècle avec la curiosité scientifique, l'exploration se fait de plus en plus indépendante, autonome des ambitions et des rivalités coloniales des puissances. Les voyages de grandes découvertes sont stimulés par la curiosité scientifique et la connaissance de la terre. Il s'agit de campagnes de découvertes scientifiques. Ces expéditions ont des ambitions encyclopédiques en lien avec le siècle des Lumières. Rendues possibles aussi grâce aux progrès des méthodes de navigation, ces expéditions sont aussi motivées par l’émergence de nouveaux courants philosophiques, incarnés notamment par Jean-Jacques Rousseau et plus tard, par Charles Darwin. Ces voyages de circumnavigation sont organisés par les deux plus grandes puissances coloniales : la Grande-Bretagne et la France avec le voyage de circumnavigation de Bougainville en 1768 et les trois voyages de Cook entre 1769 et 1778 pour permettre de vérifier les idées, les hypothèses émises dans les cabinets par les savants. Mais ces voyages sont aussi le fruit de l’ambition des grandes puissances occidentales qui veulent contrôler les principales routes de navigation et annexer d’autres territoires. L'explorateur: l'histoire d'un mot Explorateur: celui qui va, qu'on envoie à la découverte d'un pays pour en connaître l'étendue, la situation.... Cette définition signale, en 1718, l'entrée du mot « explorateur »dans le Dictionnaire de l'Académie française mais il faut attendre les vingt dernières années du siècle pour que la notion soit appliquée au champ géographique. Cependant le mot de l'époque utilisé est navigateur ou voyageur naturaliste. Quels sont les liens entre reconnaissance militaire et exploration scientifique ? Point d'intentions conquérantes pour la Pérouse qui cherche de nouvelles routes maritimes et qui travaille à la reconnaissance générale du globe à la suite des Anglais par le relevé des côtes et des îles découvertes. La tâche de l'explorateur est de dresser la carte de régions jusqu'alors échappées au regard de l'Europe. L'explorateur est un envoyé officiel, chargé par son gouvernement d'une mission de découverte dans une région lointaine et inconnue. Et peut se trouver pris dans le jeu des rivalités politiques et des conflits internationaux. Il est l'éclaireur de l'Europe, un avant coureur d'un front de conquête intellectuelle. Outre l'image romantique de l'explorateur, son voyage est l'accomplissement d'une mission organisée, et commanditée. Les liens de la découverte et de la domination du monde ne paraissent pas aussi simples au XVIII qu'au XVIè siècle. Lorsqu'à partir des années 1760, les progrès réalisés dans la mesure de la longitude et dans la préservation de la santé des équipages autorisent d'entreprendre le long voyage jusqu'aux mers australes Bougainville, Cook , la Pérouse transportent dans ces régions les rivalités politiques et les ambitions économiques ou stratégiques de leurs gouvernements respectifs. Le projet d'une « campagne de découvertes » rédigé en vue de la mission de la Pérouse l'affirme expressément: « l'entreprise de commerce n'est ici que l'accessoire » par rapport au programme géographique et scientifique que développent en détail les instructions copiées de la main du roi. La curiosité encyclopédique déployée dans ces expéditions est exceptionnelle, une volonté de connaissances qui dépasse l'utilité directe et immédiate, la conviction qu'il n'est pas de progrès possible sans que soit achevé la découverte du monde, dressé l'inventaire de toutes ses richesses. Les voyages sont l'instrument de ce progrès, car ils sont ouverture, désenclavement, première forme de la circulation et du commerce. Par eux, déjà, l'Europe répand, pacifiquement, le modèle universel de la civilisation. Les instructions de louis XVI à La Pérouse résument cette alliance idéale de la science et de la politique, du commerce et de la philanthropie. Si on retrouve en fin de compte dans ces expéditions l'intérêt politique, c'est par la dimension nationale qui leur est souvent donnée, comme si la démonstration de la grandeur passait par la conquête de la gloire scientifique. Ex la mission française pour la mesure du méridien en 1735 avec Maupertuis et La Condamine. La gloire du roi de France s'affirme dans le progrès de la science et dans la solution de l'énigme de la « figure » de la terre. Un quart de siècle plus tard, l'occasion des passages de Vénus devant le Soleil, en 1761 et 1769 provoque une véritable mobilisation internationale et lance les savants aux quatre coins du monde. L'émulation entre les pays manifeste la formation d'une communauté scientifique internationale elle signifie aussi que l'affirmation nationale passe par le prestige de la science. Du rêve à la découverte: le monde en cartes Voir le tableau de Monsiaux qui dépeint louis XVI donnant ses instructions à La Pérouse pour son voyage autour du monde: sur la table du cabinet royal, des atlas, des cartes déployées, un globe terrestre. Avant le départ c'est sur ces cartes que les explorateurs, géographes et politiques imaginent le voyage avec leurs tracés incertains et leurs espaces blancs. L'imaginaire géographique permet de penser le départ et le rend donc possible. Or deux mystères grèvent encore la connaissance du monde: celui du passage du Nord-Ouest et celui du continent austral dont depuis la Renaissance cartographes et cosmographes continuent, symétrie oblige, de tester l'hémisphère Sud. Ces deux énigmes lancent les explorateurs sur les mers. De plus dans le cas du continent austral, les curiosités des philosophes viennent s'ajouter aux théories des géographes pour pousser à son comble la spéculation. En outre la très forte mortalité due au scorbut au cours de longs séjours en mer, l'imprécision de la navigation à l'estime de ces régions les rendent jusque dans les années 1760 inaccessibles. L'image du monde construite par les découvreurs de la Renaissance et de la première moitié du XVIIème siècle est restée presque sans retouche: l'hémisphère Sud est sur les cartes occupé par un immense continent, le Pacifique est peuplé d'îles une fois repérées et jamais retrouvées avec des noms différents. Grâce aux progrès des astronomes, mathématiciens dans la détermination des distances lunaires et par les horlogers dans la confection de montres assez régulières pour garder à bord la mesure du temps, la navigation astronomique s'impose enfin, qui permet un calcul exact de la longitude. James Cook est le premier lors de son deuxième voyage à emporter des montres, des chronomètres (horloge marine de John Harisson en 1759). Des progrès sont accomplis en matière d'hygiène navale et de protection de la santé des équipages : grâce à des provisions de fruits, choucroute, de légumes confits dans le vinaigre et à une logistique des escales. Le journal, la carte, l'herbier: enregistrer la découverte Expéditions longues de plusieurs mois à plusieurs années : deux ans et sept mois pour Bougainville et quatre pour le troisième voyage de Cook et La Pérouse. Difficultés à supporter l'éloignement, la distance et l'isolement. Les journaux de bord ou de route témoignent des tâches routinières et répétitives: faire le point, dresser la carte observer le pays, la faune, la flore et ses habitants. Le journal de bord permet au fur et à mesure d'enregistrer la découverte. Pratique rendue obligatoire par les ordonnances de 1689 et 1765 pour les officiers comme pour les savants. Curiosité des hommes des Lumières pour les plantes. Le primitivisme des philosophes de Buffon à Rousseau, d'Helvétius à Diderot instaurent le sauvage en témoin des origines de l'homme . Les notations révèlent combien le déplacement dans l'espace est vécu comme un voyage dans le temps qui conduit aux premiers âges de l'Humanité. Pour Bougainville l'escale tahitienne marque l'achèvement de cette remontée dans le passé, jusqu'aux temps originels: il trouve là un peuple « ayant des arts ces connaissances élémentaires qui suffisent à l'homme voisin de l'état de nature, travaillant peu, jouissant de tous les plaisirs de la société, de la danse, de la musique, de la conversation, de l'amour enfin, le seul dieu auquel, je crois, ce peuple sacrifie ». Pour l'Européen, le voyage est occasion d'un retour aux sources de l'histoire humaine. Du voyage au récit. Car écrire est un devoir que rappelle l'Abbé Prévost: « un véritable voyageur doit travailler pour la postérité autant que pour soi même et rendre ses écrits utiles à tout le monde. »De fait avec ses 3540 titres la littérature de voyage devient un genre conquérant. Dès son retour commence pour l'explorateur une période nouvelle celle de la remémoration et de l'écriture: une autre aventure comment raconter une aventure personnelle en même temps que décrire un monde inconnu? Comment faire de la fiction du récit une relation véridique et une œuvre de science? Bougainville maintient pour « Voyage autour du monde » qu'il fait paraître en 1771 la forme narrative du journal propre à communiquer à son lecteur l'émotion ressentie par les marins à l'approche des îles plus l'invitation à s'immerger dans la contemplation de la nature. Le journal ou la relation de voyage devient un genre scientifique propre à la découverte et à l'enquête de terrain. Place prépondérante de la géographie (environ un tiers des récits). Ces récits permettent aux philosophes et aux curieux, à qui ils fournissent sans sortir de chez eux le matériau de leur réflexion sur l'histoire humaine, l'origine des langues et des religions et les progrès des mœurs. Les lecteurs peuvent trouver de quoi comprendre les sociétés humaines. En 1772 Diderot rédige « Supplément au voyage de Bougainville » qui fait glisser la description ethnographique vers la rêverie utopique : le thème de l'inceste et de la liberté sexuelle, seuls éléments de la vie tahitienne qui retiennent son attention est un moyen de faire un retour sur soi pour formuler une virulente critique de la morale et de la société européenne. Alors même que les grandes navigations de la fin du XVIIIème siècle viennent de résoudre l'énigme du continent austral, les archipels dont est semé l'océan Pacifique deviennent une nouvelle terre pour le rêve, un refuge pour l'utopie. La réalité géographique des explorations est évacuée au profit de l'histoire, de la philosophie et de la satire politique. Le jardin des retours. Le jardin du roi, les jardins botaniques où sont cultivées les plantes rapportées par les voyageurs, jardin du Trianon, celui de l'Ecole botanique du Cabinet du roi la famille de Jussieu. Depuis 1719 le jardin apothicaire de Nantes est placé sous la dépendance du jardin royal de Paris afin d'être un entrepôt et un séminaire pour l'entretien et la culture des plantes des pays étrangers. . Le jardin du roi sert de relais dans les échanges botaniques d'une région à l'autre du monde (exemple du pied de caféier introduit à la Martinique et dans toutes les Antilles et colonies par Antoine de Jussieu). La bougainvillée, plante ornementale. Le tour du monde de Bougainville : Le voyage d'un humaniste dans les mers du sud Louis Antoine de Bougainville, né à Paris le 11novembre 1729, mathématicien, secrétaire d'ambassade puis officier des Dragons, avant de rejoindre la marine après la Guerre de Sept Ans et de devenir capitaine de vaisseau en 1763. Fuyant les salons qui le réclament, il déclare : « Je saurai, parce que j'aurai été sur place, découvrir, voir, étudier, comprendre. Qu'importe le risque, je saurai… » Bougainville est l'exemple parfait de ces explorateurs soucieux de démontrer le bien fondé de la science appliquée à la navigation, et d'assurer l'emprise des nations européennes sur le reste du monde par le biais de la Marine, véritable arme savante. En 1766, il reçoit de Louis XV la mission de prendre officiellement possession des Malouines, puisque cet archipel a été reconnu par des marins originaires de la ville de Duguay-Trouin. Les protestations espagnoles, appuyées par l'Angleterre, font que la colonie doit être restituée quelques années plus tard. Bougainville a depuis longtemps prouvé ses compétences de navigateur et de découvreur de terres nouvelles : il propose de continuer le voyage lors duquel l'archipel austral doit être remis à l'Espagne, par une circumnavigation destinée à détourner l'opinion publique de l'impact négatif de cette cession, et d'ailleurs financée directement par l'argent remboursé à cette occasion. Le capitaine situe parfaitement la portée de son projet, dont il sait qu'il représente alors la quatorzième circumnavigation de l'histoire de la navigation, et « le premier voyage autour du monde fait par la nation française ». Il fait un récit détaillé de ce périple dans son « Voyage autour du monde» publié en 1771, dont des extraits sont cités ici entre guillemets. La frégate « La Boudeuse » quitte Nantes le 17 novembre 1766 avec à son bord, en sus du capitaine, « un état major de onze officiers et trois volontaires, et un équipage de deux cent trois matelots, officiers mariniers, soldats, mousses et domestiques », soit deux cent dix-huit hommes au total. La frégate mouille le 31 janvier 1767 à Montevideo, «par quatre brasses d'eau, fond de vase molle et noire », où elle retrouve les deux bâtiments espagnols auxquels Bougainville doit remettre les Malouines. De là, les trois frégates appareillent vers l'archipel, qui est restitué le 1er avril 1767. Bougainville attend deux mois la flûte « L'Étoile » avec laquelle il doit faire jonction, estimant selon ses propres termes qu'« [il] ne pouvait entreprendre de traverser l'océan Pacifique avec cette seule frégate, incapable de porter pour plus de six mois de vivres à son équipage ». C'est finalement à « Rio Janeiro » que s'opère la jonction tant attendue entre « La Boudeuse » et « L‘Étoile », avec un apport de « treize mois de vivres en salaisons et boissons, et à peine pour cinquante jours de pains et de légumes ». Les deux bâtiments quittent Rio le 15 juillet 1767 et, après quinze jours de mer, retrouvent Montevideo. Là, Bougainville décide d'une nouvelle escale, qui durera « jusqu' après la révolution de l'équinoxe ». Cela laissera le temps de refaire les calfats de « L'Étoile », laquelle embarque « sept pouces d'eau toutes les deux heures ». Ces constants délais, retards et avaries, connus des gens de mer, expliquent la lenteur de la progression de l'expédition Bougainville, dont le temps effectivement passé en navigation est finalement inférieur à celui occupé à terre. « Il y avait déjà un an que nous étions sortis de la rivière de Nantes. Le 14 novembre, à quatre heures et demie du matin, les vents étant au nord, joli frais, nous appareillâmes de Montevideo ». « Vent contraire…mer très grosse… avaries…perte de tous les bestiaux embarqués à Montevideo, à l'exception de deux bœufs » : ça n'est pas sans mal que, le 2 décembre, les deux bâtiments débordent enfin le cap des Vierges, qui marque l'entrée du canal de Magellan. La prudente remontée des goulets successifs marquant le détroit est l'occasion de débarquements à terre, à l'issue desquels Bougainville décrit les Patagons comme « de bonnes gens qui parurent très joyeux de notre arrivée ». Malmenant le mythe déjà tenace d'un peuple de géants, le scientifique décrit cette peuplade comme « d'une belle taille ; parmi ceux que nous avons vus, aucun n'était au dessous de cinq pieds cinq pouces, ni au-dessus de cinq pieds dix pouces » le navigateur systématise cette fois les reconnaissances à terre dans le but de dresser la cartographie du détroit, mais aussi de laisser le naturaliste Commerson herboriser activement et l’astronome Verron effectuer observations et calculs. Bien qu'entrecoupée de bivouacs sur des îlots, la navigation dans ces parages fut fort pénible aux hommes et aux navires, « les nuits étant aussi affreuses que les jours ».« J'estime la longueur entière du détroit de Magellan d'environ cent quatorze lieues. Nous avons employé cinquante-deux jours à les faire », note Bougainville, qui conclut ainsi sur la pénible transition entre Atlantique et Pacifique : « Malgré les difficultés que nous avons essuyées dans le passage de ce détroit, je conseillerai toujours de préférer cette route à celle du cap de Horn, depuis le mois de septembre jusqu'à la fin de mars ».Enfin parvenu dans le Pacifique, à la fin janvier1768, Le capitaine fait route au nord, dans le but de situer précisément sur les cartes l'archipel Juan Fernandez, sur lequel le marin écossais Selkrik avait été débarqué de 1704 à 1709 par William Dampier, inspirant en 1719 son « Robinson Crusoé » à Daniel Defoe. Empêché par la tempête, Bougainville met ensuite de l'ouest dans son nord pour reconnaître l'île de Pâques déjà aperçue plusieurs fois avant lui, mais qu'il ne parvient pas à retrouver, « sa latitude n'étant point marquée d'une façon positive » Le 4 avril 1768, L'Étoile et La Boudeuse découvrent une terre « haute et fort escarpée », constituée de deux montagnes reliées entre elles par un isthme étroit. Une partie significative du « Voyage autour du Monde » sera consacrée à l'évocation émerveillée de cette île que le navigateur décrit comme le paradis terrestre. «L'île, à laquelle on avait d'abord donné le nom de Nouvelle-Cythère, reçoit de ses habitants celui de Tahiti », Bougainville a quelque mal à tenir ses équipages éloignés des insulaires, chez qui il perçoit sur le plan des mœurs « la franchise de l'âge d'or », et dont il célèbre ainsi l'apparence : « Les pirogues étaient remplies de femmes qui ne le cèdent pas, pour l'agrément de la figure, au plus grand nombre des Européennes et qui, pour la beauté du corps, pourraient le disputer à toutes avec avantage ». « Je me croyais transporté dans le jardin d'Eden… Un peuple nombreux y jouit des trésors que la nature verse à pleines mains sur lui… Partout nous voyions régner l'hospitalité, le repos, une joie douce et toutes les apparences du bonheur ».S'ensuit un chapitre entier de Description de la nouvelle île, mœurs et caractères de ses habitants, au cours duquel Bougainville paraît enchanté de la vie apparemment idyllique de la société polynésienne. Son récit contribue à alimenter le mythe naissant du bon sauvage, dont Rousseau est alors le propagateur très en vogue dans les salons français, et que l'on peut résumer par la maxime voulant que l'homme, bon à l'état de nature, soit corrompu par la société. Bougainville, digne représentant de l'époque des Lumières, ne manque cependant pas de déceler quelques défauts notoires dans ce paradis, comme celui qu'ont les tahitiens « d'être presque toujours en guerre avec les habitants des îles voisines », ou encore de recourir à l'esclavage et à des sacrifices humains. La tenue des ancres des deux navires fait défaut sur les fonds de corail, et les chefs indigènes ne souhaitent pas voir les Français trop s'attarder. Il faut quitter cette terre, sur laquelle Bougainville a une appréciation finalement plus mitigée que ses hommes : « On a vu combien la relâche à Tahiti avait été mélangée de bien et de mal… mais ce pays était pour nous un ami que nous aimions avec ses défauts ». Les scorbutiques de l'expédition, tout au moins, auront bénéficié de cette escale salvatrice. Le 16 avril 1768, jour de l'appareillage, un insulaire du nom d'Aotourou est à bord de La Boudeuse : il a tenu à embarquer vers la France, applaudi dans ce projet par les siens. Il fera office de guide et d'interprète dans les terres restant à reconnaître et laissera par la suite une forte impression à Paris où il séjournera onze mois avant que Bougainville n'arme, à ses frais et « pour le tiers de son bien », un navire destiné à le reconduire à Tahiti, avec pour capitaine Marion-Dufresne. En attendant, c'est d'Aotourou que Bougainville apprend qu'il a été devancé par l'Anglais Wallis, lequel a abordé Tahiti huit mois auparavant. L'expédition fait route vers l'ouest en suivant plus ou moins le 15° S, et subit les caprices d'un océan encore bien mal connu : « Nous étions souvent persécutés par les calmes, la pluie et les vents d'ouest. En général, dans cet océan appelé Pacifique, l'approche des terres procure des orages, plus fréquents encore dans les décours de la lune. Il nous fallait cheminer à tâtons, changeant de route lorsque l'horizon était trop noir devant nous. » Cela conduit la frégate et sa conserve à reconnaître à quelques semaines d'intervalle différents archipels, que Bougainville appelle respectivement îles des Navigateurs (les Samoa) et Grandes Cyclades (Nouvelles Hébrides). Plusieurs escales sont tentées, parfois réussies, mais le scorbut fait rapidement sa réapparition. « Une grande partie des équipages et presque tous les officiers en avaient les gencives atteintes et la bouche échauffée ». « Nous n'avions plus de pain que pour deux mois, des légumes pour quarante jours ; la viande salée infectait, nous lui préférions les rats qu'on pouvait prendre ». Ces hommes eurent raison dans leurs préférences alimentaires du moment, puisqu'on sait de nos jours que le sang de ces rongeurs fixe la vitamine C, dont la carence aggravée provoque justement le scorbut. Selon Bougainville, « la limonade et le vin seuls suspendaient les funestes progrès de ce mal ». La situation n'est guère meilleure à bord du vaisseau de conserve La Boudeuse, dont le chroniqueur officiel note : « je mangeai hier un rat avec le prince de N. : nous le trouvâmes très excellent, heureux si nous pouvions en avoir souvent sans que d'autres viennent à les trouver bons ». Abandonnés par les vents de sud-ouest, noyés dans les brumes, les deux navires sont poussés à la côte par la houle, droit sur les récifs de la Grande Barrière de corail. Ils lutteront plusieurs jours pour échapper au naufrage sur le flanc nord-est de l'Australie. « Nous courions ainsi nos bords à tâtons au milieu d'une mer semée d'écueils, étant obligés de fermer les yeux sur tous les indices des dangers» note Bougainville. Puis « Le temps se remit au beau le 16 », ce qui permettra à une expédition affaiblie de contourner la Nouvelle-Guinée par le nord et d'atteindre péniblement les Moluques, où l'on relâche enfin dans la magnificente Batavia, actuelle Jakarta. « C'est ainsi qu'après avoir tenu la mer pendant dix mois et demi depuis notre départ de Montevideo, nous arrivâmes, le 28 septembre 1768, dans une des plus belles colonies de l'univers, où nous nous regardâmes tous comme ayant terminé notre voyage ». On ne s'attarde cependant pas dans cette ville sous contrôle hollandais : le port est normalement interdit aux vaisseaux ne relevant pas de la Compagnie de Hollande et, dans tous les cas, la contrée est connue pour ses fièvres endémiques, ce dont l'équipage se passera volontiers. Seul l'astronome Véron reste à Batavia pour y observer le passage de Vénus prévu pour le 3 juin suivant. « Le 17 octobre, nous fûmes sous voiles à cinq heures du matin » : l'expédition rallie l'Île de France, fait relâche au Cap le 9 janvier 1769, et s'amarre en mars dans le port de Saint-Malo : « J'y entrai le 16 après-midi, n'ayant perdu que sept hommes pendant deux ans et sept mois écoulés depuis notre départ de Nantes ». Voyageur emblématique de l'esprit des Lumières, Bougainville est accueilli en triomphe à Paris. Son« Voyage autour du monde », publié en 1771, est un succès sans précédent. Ce périple d'un humaniste, qui marque la naissance du mythe de Tahiti, aura permis une impressionnante moisson d'observations scientifiques, parmi lesquelles le calcul précis de la longueur du Pacifique sera aussi un plaidoyer inconscient pour la France des colonies.. Il est perçu par ses contemporains comme « Le plus grand ouvrage d'un marin… à partir duquel la marine profitera d'un exemple brillant, et la nation tournera davantage ses réflexions et ses vues vers la mer (Nassau) ». Il est alors d'autant plus souhaitable que cet exemple soit suivi, que Bougainville a laissé à ses successeurs le soin de dissiper le mystère des terres australes. Les trois expéditions du capitaine Cook, 1768-1780 Le premier voyage de Cook 1768-1771 vers L'Arcadie Août 1768 la Société royale de Londres commandite une expédition dans les mers du Sud, envoie des astronomes afin d'observer le passage de Vénus sur le disque solaire et de déterminer la distance de la Terre au Soleil. Cook arme un trois mâts destiné au commerce du charbon, doublé de cuivre. (Cook, issu d'un milieu très modeste matelot dans la marine marchande s'engage dans la Marine royale lors de la guerre de Sept ans puis devient ingénieur hydrographe et établit la cartographie des côtes du Labrador) Cook et Banks (protecteur des sciences naturelles) sur l'Endeavour voguent vers le cap Horn en faisant différentes escales et gagnent le pacifique en 33 jours. L’Endeavour est le bateau avec lequel James Cook fait le premier de ses trois grands voyages à but scientifique (1768-1779). Mesurant 29 mètres de long, ce bateau est initialement destiné au cabotage pour le transport de charbon. Cook le choisit pour son expédition, car il est robuste, facile à manœuvrer pour s’approcher des côtes et suffisamment spacieux pour y vivre plusieurs années. Le 4 avril, est aperçue une terre dans le grand océan « de forme ovale, avec un lagon au milieu » c'est Vahitahi, une des Touamotou. Puis Cook et son équipage séjournent trois mois à Otahiti sur le côte nord à terre en compagnie des indigènes en cartographiant, faisant des observations astronomiques et météorologiques. Cook tente de comprendre la mentalité et les mœurs des indigènes et ses récits sont des sources sans égales sur des sociétés que n'avait pas encore modifiées l'intrusion de l'homme blanc. Même précision, exactitude lorsqu'au moment de quitter Tahiti, Cook décrit le tatouage des tahitiens déjà mentionné par Wallis. Les anglais édifient un fortin nommé Fort-Vénus vivent au contact de la population, Cook écrit: « Somme toute, ce peuple semble jouir de la liberté la plus totale, chaque individu paraît être le seul juge de ses actions ». Parkinson exécute d'excellents et nombreux dessins de végétaux, d'oiseaux et de poissons des Tropiques. Les anglais apprennent le séjour de Bougainville sur l'île. Après trois mois passés à Tahiti, Cook et son équipage font voile vers les îles de la société (en l'honneur de la royal society qui avait pris l'initiative du voyage) en emmenant deux tahitiens désireux de les accompagner et prit possession de ces îles au nom du roi George. Vers le continent inconnu Cook exécuta la seconde partie de sa mission (instructions secrètes) : partir à la découverte de la fameuse Terra Australis incognita. Après deux mois de navigation, la côte de la nouvelle- Zélande est en vue, découverte depuis 1642 par Tasman mais non explorée, ce que fit Cook avec minutie même si les Maoris n’étaient pas très accueillants et attaquèrent et volèrent. Cook découvre alors le cannibalisme. Lui et son équipe observèrent le passage sur le Soleil de la planète Mercure afin de déterminer la longitude de ce pays. Le 31 janvier 1770, Cook prit possession des lieux au nom du roi George en faisant planter deux poteaux où figuraient le nom du navire, le mois et l'année du débarquement. On arbora le pavillon de l'Union. Cook décida de regagner l'Angleterre, non par le Cap Horn, évitant ainsi l'hiver austral que n'aurait pu supporter le navire et fit voile vers la nouvelle Hollande ce qui eut pour conséquence la découverte de la côte sud-est de l'Australie. Sur la route, Cook fit escale à Botany Bay, l'Australie déjà connue des Européens notamment de Dampier et il s'étonna de l'extrême dénuement dans lequel vivaient les Australiens. C’est l’occasion de la découverte des kangourous. Au total 56 des 94 hommes partis rentrèrent en Angleterre le 13 juillet 1771 ce qui montre les énormes progrès en matière d'hygiène et une meilleure connaissance de la mer. Il reçut à son retour à un accueil triomphal. Le deuxième voyage de Cook 1772-1775 Voyage de circumnavigation sur la résolution et sur l'aventure. Deux astronomes, William Wales et William Bayly, un peintre, Hodges. Présence de l'horloge d'Harisson : chronomètre permettant d'établir où se trouve le navire « notre guide sans défaillante » Le 17 janvier, ils passent pour la première fois le cercle arctique et en face de la banquise Cook décide de faire demi-tour (document gravure de Robert Bernard d'après un dessin de Hodge) et fait voile en direction de la Nouvelle-Zélande en vue le 25 mars 1773. Difficultés à explorer de part son relief. Un an auparavant Marion du Fresne et Crozet avaient déjà atteint ces côtes et en avaient fait une observation et description très précises. Puis les navires font route à nouveau vers à Tahiti en guerre désormais. Cook est conscient de la corruption des indigènes. Dans son journal de bord il écrit: « Nous corrompons leurs mœurs déjà enclin au vice et nous introduisons parmi eux des besoins et des maladies qu'ils ne connaissaient pas auparavant avec pour seul résultat de troubler cette bienheureuse sérénité dont eux et leurs ancêtres avaient joui. Si quelqu'un dément la vérité de cette assertion, qu'on lui expose le profit de leur commerce avec les Européens par les indigènes de l'Amérique toute entière ». Il poursuit son enquête sur les croyances et les usages tahitiens. À nouveau, Cook fait route vers la Nouvelle-Zélande puis à la découverte d'un hypothétique continent. Le 30 janvier 1774, le Résolution parvint à la plus haute latitude qu'il n'ait jamais atteint, 71°11's. Le navire se trouve alors sur un champ de glace qui paraît s'étendre à l'infini.(découverte du manchot jugulaire aquarelle de JR Forster.) le navire fait route vers l' île de Pâques découverte par Roggeven mais pas retrouvée depuis, la route se poursuit Cook fixe la position exacte des Marquises. Au terme de son voyage il écrit: « j en ai maintenant fini avec l'océan Pacifique et je me flatte de l'espérance qu'on ne pourra pas me reprocher de l'avoir laissé inexploré » Cook est reçu en Angleterre avec plus grands honneurs et est fait membre de la Royal Society et présente à la haute société le premier indigène des mers du sud: un tahitien Omai Le troisième voyage de Cook 1772-1775 Cook entreprend un troisième voyage de circumnavigation à bord du résolution et le Discovery pour découvrir le passage par le Nord mais ce dernier n'existe pas mais il découvre les îles Sandwich où il est massacré. Quels sont les résultats de ces expéditions? - les géographes et les astronomes connaissent la forme de la terre. - Connaissance de la plupart des espèces végétales (apparition des jardins botaniques, des herbiers et planches dans l'encyclopédie) et animale. - Sciences humaines: l'anthropologie - Sur le plan philosophique: la conception du monde s'est élargie, la pensée enrichie. Ex: Abbé Raynal « l'histoire philosophique et politique du commerce et des établissements européens dans les deux Indes » (œuvre fondamentale de colonisation). Rousseau et le mythe du bon sauvage - Naissance de la littérature de voyage et le goût de l'exotisme. - Fin des mythes : celui du mythe austral, du passage par le nord pour rejoindre l'océan Pacifique et du bon sauvage. Conclusion: La seconde moitié du XVIIIè siècle voit l'achèvement de l'exploration des océans et constitue pour l'Europe en cartes, dessins, herbiers et collections, la matière d'un savoir encyclopédique sur le monde. Elle est cependant bien différente du triomphe conquérant qui caractérise le XVI et XIXè siècles : de leurs enquêtes menées jusqu'aux confins de la planète les explorateurs rapportent moins la possession victorieuse de terres nouvelles qu'une moisson de graines, plantes, une image achevée du globe et la fin de quelques mythes: celui des terres australes et celui du bon sauvage. Le siècle des Lumières veut allier commerce, science et progrès. Les grandes expéditions géographiques des Lumières expriment l'instant fragile où l'Europe peut croire advenu son rêve humaniste, étendu à un monde qu'elle a dévoilé. Si la figure de la planète est désormais presque complète dans le contour de ses traits, l'espace de la terre, sa profondeur et son histoire restent à découvrir. Ce sera l’enjeu de la colonisation au XIXè siècle et de l’exploration terrestre du continent africain.