Pièce pour deux, à cinq pour quatre - edansla

Transcription

Pièce pour deux, à cinq pour quatre - edansla
1
Petit note vouée à disparaı̂tre, qui permet simplement de s’échauffer les mains avant
d’attaquer le boulot sérieux.
Ceci apparaı̂t dans la colonne de
Alors que ceci va dans la colonne de
gauche. C’est magique.
droite. C’est merveilleux.
Si on veut faire du texte sur les deux
colonnes, ça reste possible. On peut
ainsi mettre en facteur des dialogues.
Pauvres de nous, ça n’est pas commode à écrire à deux voix. Je ne sais pas dans
quelle galère je nous ai embarqués !
Sur le titre : en musique, cinq pour quatre, c’est faire tenir cinq notes là où on en
place normalement quatre. Cinq c’est nous, mébar. Quatre, c’est eux. M’enfin, ça n’est
qu’un titre provisoire qui peut bien changer, ma foi.
La psychologie à deux francs des personnages de la nouvelle. Filles plutôt franches
et spontanées, en tout cas plus malines. Les garçons sont plus torturés, parfois franchement faux-cul (Jean), ou simplement flemme. Chacun y mettra bien ce qu’il voudra,
mais pourquoi les joyeux virils que nous sommes ne revendiqueraient-ils pas haut et
forts des défauts bien virils ?
A faire : remplacer l’initiale du locuteur au-dessus du tiret de dialogue par le symbole
de son sexe (masculin/féminin) si quelqu’un arrive à retrouver la fonte. Ca permettra
de rendre cette description profonde et clairvoyante du masculin/féminin encore bien
plus subtile :)
Encore une fois, cette introduction va s’auto-détruire avant la publication.
1. PIÈCE POUR DEUX, À CINQ POUR QUATRE
Jean, Paul, Mélanie, Barbara
m
¡¡ — Allô Jean ? Me voilà redevenue
célibataire.
j
— Mélanie, je suis ravi de l’entendre.
Pour être franc, je ne pouvais rien te
souhaiter de mieux.
m
— Alors là, merci. Quel réconfort.
C’est si agréable de pouvoir compter sur
les amis dans les moments difficiles.
j
— Franchement, ce Paul n’était pas
une trouvaille. Enfin, pour tout dire, je
suis moi-même dans une situation, disons. . . de transition.
m
— Je vois. En clair, tu t’es fait larguer.
j
b
¡¡ — Salut Paul. Je reprends les choses
en main. Je suis libre. Exit Jean.
p
— Barbara, c’est trop bête. Non, je
ne peux pas y croire.
b
— Allons, pas de manière entre nous.
Si ça ne te déçoit pas tant que ça, tu
peux être franc.
p
— Non, ça n’est pas ça que je veux
dire. C’est trop bête, parce que moi
aussi, au même moment, la même chose,
c’est bizarre.
b
— Quoi ? Toi aussi, tu l’as laissé(e)
tomber ?
p
— Disons que ça ne pouvait plus du— Oui. Enfin non, c’est plutôt l’inrer. Il a bien fallu qu’un des deux prenne
verse.
les choses en mains.
mb
— Enfin, de toutes manières, que ce
soit l’un ou l’autre, ça ne change pas
grand chose in fine.
j
— Malgré tout, le bon côté de l’affaire, c’est que ça nous permettra
de nous revoir plus souvent. Là, par
exemple, ça ne te dirait pas de tchatcher un coup ?
m
— Sans arrière-pensée ? Tu sais, moi,
je digère doucement. Tu ne te sens pas
trop seul, au moins.
j
— Seul, non bien sûr. J’arrive tout de
même à m’assumer.
m
— Ah bon ? Parce que moi, depuis
hier, c’est plutôt la grande dépression.
4 ou 5 mbar à tout casser.
j
— Tatata. Tu as seulement besoin de
me parler. On se voit demain midi et
demie au Cyrano ?
mb
p
— D’un autre côté, si ça permet enfin
de prendre le temps de voir nos copains.
Nous deux, par exemple, on s’est un peu
éloignés ces derniers temps.
b
— Oui. J’y pensais aussi. Après un
petit moment, quand je me serai recollé
les morceaux.
p
— Tu veux te laisser morfondre un
petit coup ?
b
— Laisse-moi quatre ou cinq jours.
p
— Patacouffin. On se retrouve au Cyrano demain à l’heure du déjeuner ?
— Après tout, pourquoi pas.
1. Pièce pour deux, à cinq pour quatre
j
— En tout cas, merci beaucoup pour
le coup de fil. Ca m’a fait vraiment
très très plaisir de t’entendre. J’allais
d’ailleurs justement t’appeler.
3
p
— Alors à demain.
Le lendemain, à l’heure dite, Jean et Mélanie se retrouvent devant l’entrée du
Cyrano. Paul et Barbara y sont déjà, ils ont commencé à manger. Galamment, Jean
précède son amie dans le restaurant, et c’est alors qu’il voit Barbara attablée avec un
homme, dont il ne voit pas le visage. . .
j
¡¡ — (Se retournant prestement, il
bloque le passage à Mélanie) Excusemoi, je crois que c’était une mauvaise
idée : Barbara déjeune avec un type. Je
préfèrerais aller ailleurs.
m
— Ah. . .Habituellement, je te forcerais à affronter le problème, mais là, je
te comprends. . .(Rire). Allons au Troquet du Coin. Au moins, je sais que Paul
déteste ce bistrot !
p
¡¡ — Tu manges à peine. . .Tu vois que
j’ai bien fait de te sortir un peu, tu ne
voudrais pas te laisser dépérir, quand
même ?
b
— Excuse-moi, tu sais bien que c’est
Jean qui m’a emmenée ici pour la
première fois, lorsque j’ai débarqué de
Paris. Il m’a fait le grand numéro :
restau sympa, blagues, galanterie. . .Et
puis il m’a eue, et il est resté très
chouette. . .pendant un moment !
Ils mangent, avec plus ou moins d’appétit selon leur humeur. Ils bavardent. Les filles
sont plus enclines à la confidence, les garçons plus enclins à garder une dignité virile,
chacun dans son genre.
jp
— En tout cas, ton état d’esprit a l’air
à peu près opposé à celui que tu affichais
hier au téléphone !
m
— Toi qui passais ton temps à te
foutre des répliques terre-à-terre de
Paul, je ne te trouve pas très fin, sur ce
coup-là ! C’est un mec très bien, mais
je crois que j’ai besoin de plus que de
sa tendresse, et je crois que j’aurais fini
par lui en vouloir de ne pas avoir plus
d’ambition. Là je suis en pleine phase
où je suis sure d’avoir bien fait. Ce soir,
je sais qu’il me manquera. . .
mb
b
— (Rire) J’adore ta franchise, çà
change des plans à double tranchant. . .Tu sais, je sais bien que c’était
la bonne chose à faire. Je l’admirais
trop, avec ses manières, son charisme.
Et puis le masque est tombé. Au fond,
c’est un faible qui croit qu’il faut jouer
pour gagner. Et il finit toujours par se
faire jeter ! je peux pas m’empêcher de
penser que j’aurais peut-être pu le changer, ni d’avoir envie d’essayer à nouveau. Mais là je me souviens des derniers mois, et je sais que ce serait peine
perdue.
— (Essuyant une larme naissante, et
souriant à nouveau) Enfin, bref, j’arrête
pas de parler de moi, alors que toi aussi
tu dois en avoir gros sur le cœur, enfin,
bref, à toi de monologuer !
1. Pièce pour deux, à cinq pour quatre
j
— (Sombre. . .) Que veux-tu, je n’ai
pas grand-chose à dire. Je l’ai perdue
comme les autres : elle a eu peur de mon
caractère un peu changeant. Je ne suis
manifestement pas prêt de rencontrer
la fille qui supportera l’importance qu’a
pour moi mon boulot. . .Parfois je suis
un peu négligent je pense. Je m’améliore
pourtant, mais, vraiment, elle. . .
4
p
— Bah, je sais depuis le début que
je ne suis pas un mec pour elle. Elle
a besoin d’une vie sociale riche et tout
çà. Je suis pas un intello, ni un beau
parleur, ni un gars de la haute. Les expos, les cocktails, c’est pas mon truc, je
préfère me balader, aller à la campagne.
Je l’accompagnais dans ses sorties, mais
elle voyait bien que je faisais çà pour lui
faire plaisir. Au fond, elle. . .
jp
— . . .me demandait d’être quelqu’un
d’autre. Çà devait arriver.
mb
— Ce n’est pas le mien qui pourrait
dire çà, j’ai toujours respecté ses goûts,
mais j’ai fini par avoir l’impression que
c’est moi qui allait finir etouffée !
Après ce repas lourd d’enseignements (pour nous), nos héros retournent à leurs
fonctions sociales respectives, avant d’affronter une épreuve à la hauteur de leurs
conflits internes : ce soir-là, les filles allaient chercher leurs dernières affaires pour les
emmener, qui chez son frère, qui chez sa meilleure amie.
mb
¡¡ — Salut !
jp
— Salut. Ne reste pas là, entre. . .
j
— . . .Barbara. Tu as trouvé sans
problèmes ? A moins que tu te souviennes encore du chemin.
b
— Bon, Jean, je te préviens, ne commence pas ton numéro d’humour à deux
balle. Je n’ai pas envie.
j
p
— . . .Mélanie. Ça me fait vraiment
plaisir de te revoir. Je ne peux pas m’en
empêcher, c’est dur.
m
— Pour moi aussi c’est pas facile.
Mais c’est comme ça, nous deux ça ne
menait à rien. Voila, tu vois, je me mets
à pleurer.
p
— Oh la. Pas la peine de monter sur
— Mélanie, je n’ai jamais pu supportes grands chevaux. Très bien. . .
ter de te voir pleurer, arrête. . .
. . .tes affaires sont là.
Jean et Paul se détournent, ils ont apparemment un besoin urgent d’aller regarder
par la fenêtre, et laissent Mélanie et Barbara s’absorber dans le rapatriement de leurs
affaires. Au bout de quelques minutes,
b
— Et la télé ? On l’avait achetée à
deux.
j
— Ah ça non, justement, ma vieille.
Tu me l’avais offerte. Vraiment c’est
mesquin.
m
— Non (reniflement), garde la télé.
(mouchoir ) Je ne la regarde jamais finalement.
p
— Moi non plus depuis que tu es partie, et quand je la vois, elle me fait penser à toi, et c’est pas bon pour moi.
mb
— Bon je dois y aller. Écoute on
réglera cette question plus tard. Je la
laisse là provisoirement.
j
— C’est ça, et à bientôt. Pas la peine
de te souhaiter une bonne soirée, j’imagine que tu ne vas pas t’ennuyer.
b
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
p
— Bon, bin. . .je ne sais pas trop quoi
te dire. Bonne chance dans ta vie. Tu
mérites d’être heureuse.
m
— Tu es quelqu’un de bien, tu sais.
Nous deux j’y ai vraiment cru. Non mais
. . .tu fais quoi, là ?
1. Pièce pour deux, à cinq pour quatre
j
— Tu déjeunait en bonne compagnie
tout à l’heure au Cyrano. Je pensais que
notre histoire comptait un peu plus que
ça pour toi.
b
— T’es vraiment trop con. Je t’emmerde.
5
p
— Excuse-moi, j’en avais trop envie.
Te revoir comme ça, ici. (Pause) Tu es
toujours aussi belle.
m
— Tu sais qu’il ne faut pas qu’on
craque.
jp
— (Ils ferment la porte derrière
Mélanie et Barbara qui descendent
précipitamment les escaliers) Putain.
Quel con ! Ça fait chier. Merde . . .Quelle
conne, aussi.
Plus tard dans la soirée, c’est une conversation téléphonique (entre Jean et Mélanie ;
Barbara et Paul) qui tient lieu d’épilogue à cette journée bien remplie.
jp
— Alors comment ça s’est passé ? Pas
trop dur ?
mb
— Pire que tout. Horrible, affreux. Je
suis rentrée chez moi en pleurs. Demain
je vais encore avoir les yeux bouffis au
bureau, bravo. J’ai le moral à zéro. De
toutes façons, je ne veux plus le revoir.
jp
— Alors là t’as bien raison. Je vois
tout à fait le tableau, pas la peine de
me faire un dessin. Quel naze ! Plus ça
va plus je me dis qu’il ne te méritait pas
ce type.
Le dimanche suivant, en fin de matinée. Jean et Paul traı̂nent chez eux, chacun chez
lui. Mélanie et Barbara profitent des soldes.
j
— Mais c’est pas vrai ! Elle n’a
quand même pas embarqué la
télécommande. . .
p
— Tiens, puisqu’elle m’a laissé
la télé, je vais me regarder
téléfoot. . . rêveur . . . Elle trouvait
toujours ça débile. . .
j
m
— Salut Barbara, qu’est-ce que tu fais
là ?
b
— Ben, la même chose que toi, je fais
les soldes. Paul m’a dit que vous vous
êtes séparés.
m
— amère. . . Oui, et Jean m’a dit que
vous êtes séparés aussi.
b
— C’est sûr qu’elle a fait ça pour me
— Oui. . .
faire chier. Enfin, . . .
. . . j’imagine que l’on trouve toujours
de bonnes raisons.
1. Pièce pour deux, à cinq pour quatre
6
m
Jean fouille les différentes pièces à
la recherche de cette télécommande
perdue. Paul s’installe confortablement
dans le canapé, muni de sa couette, pour
se tenir chaud.
Ils pensent tous les deux à leur récente
rupture. En cette froide matinée, leurs
souvenirs s’attardent dans les zones
érogènes. Jean se rappelle une scène
savonneuse sous la douche tandis que
Paul se souvient d’un réveil buccal un
dimanche matin, sous les draps. Leurs
désirs s’éveillent. Et dans ces cas là. . .
jp
— Tiens, mon désir s’éveille. Et dans
ces cas là. . .
— Et de mauvaises aussi. . . Tout le
temps où nous avons été ensemble, Paul
a toujours été un mauvais amant. Finalement, je crois que c’est pour ça que je
l’ai quitté.
b
—Ah bon. . . c’est marrant parce que,
avec Jean, ça n’a jamais été formidable non plus. Il était trop fougueux,
il me demandait toujours des trucs
complètement fous.
m
—Ah. . . pensive. . . Moi, ce serait plutôt
que Paul était assez maladroit de ses
mains et de sa langue. . . si tu vois ce
que je veux dire.
b
— souriante. . . Oui, très bien ! Mais
pour ça, . . .
. . . je crois que l’on n’est jamais mieux
servi que par soi-même.
m
Un moment plus tard. . .
— Hum. . . C’est vrai. Mais ça demande
une certaine souplesse pour la langue.
j
— C’est incroyable ! Elle m’a vraiment
b
— Un blanc. . .
Tu peux toujours
piqué ma télécommande, la salope !
p
demander
à
une
copine
de te dépanner.
— Bon. . . avec tout ça, j’ai raté le début
m
— Sensuale ma non troppo. . . Tu pourde téléfoot. Un temps. . . Tiens, c’est birais me dépanner, toi, par exemple ?
zarre, j’ai deux télécommandes mainteStop. Tout doux, les filles. . . On va où,
nant.
là ? On n’est pas en train de tourner un
Et oui, cher lecteur, tout se complique
mauvais film porno, je vous le rappelle.
maintenant. Avouez-le, vous croyiez
qu’il s’agissait d’un banal Harlequin ?
Je suis en train de faire une description profonde et clairvoyante du masculin/féminin.
Ne nous égarons pas trop les Jean/Paul et Mélanie/Barbara, s’il-vous-plaı̂t. Je vous
avais prévu des dialogues brillants et ambigus, des scènes poignantes, des éclats de
rire, des larmes, l’étincelle du génie traı̂nant un peu partout et tout le tralala, et voilà
que vous foutez tout en l’air en parlant cul !
Voilà, l’idée géniale, c’est de décrire deux fois la même chose. Dans la vie, on finit toujours par choisir ; le chat doit bien être mort ou vivant lorsque l’on ouvre la
boı̂te. Ici, vous avez la possibilité d’exploiter jusqu’au bout deux possibilités, justement. . . mais, à la fin, le public aurait compris que l’on vit toujours la même histoire
de toute façon et il me (nous) aurait applaudit sans réserve.
j
b
p
m
— Ça y est, je
— Comment ça,
— Qui es-tu, toi ?
suis Jeanne d’Arc.
Tu veux vraiment
on vit toujours la
me foutre au fond
Ma mère m’avait
même
histoire ?
J’espère bien que
aujourd’hui, hein ?
prévenu, je suis
folle. Une rupture,
non !
Tous
les
C’est pas humain
ce n’est jamais une
de faire ça un
mecs ne sont pas
dimanche. Attends
partie de plaisir.
des Jean. . . enfin,
j’espère en tout
au moins jusqu’à
Toujours la même
demain.
histoire, c’est ça.
cas. Pour qui il se
prend celui-là ?
Je vais vous expliquer. Vous croyez que vos actions sont d’une quelconque importance ? Que votre histoire dépend de ce que vous choisissez de faire ou de ne pas faire ?
Vous vous trompez complètement. Par exemple, vous avez décidé de vous séparer de
votre compagne/compagnon, vous croyez que vous avez pris votre vie en main. Mais
— Qu’est-ce qu’il
raconte celui-là ?
C’est quoi ce vilain
délire de deux possibilités, on dirait
un mauvais film de
science-fiction. Et
toi, tu es combien
d’ailleurs ?
1. Pièce pour deux, à cinq pour quatre
7
comment allez vous vivre la décision que vous venez de prendre ? Comment supporterez vous la nouvelle vie que vous vous êtes choisie ? Si vous êtes d’un tempérament
pessimiste, vous vous plaindrez de ce qui vous arrive jusqu’à ce qu’une autre sale histoire vous tombe dessus. Si vous êtes plutôt joyeux, vous irez voir ailleurs en oubliant
bien vite cette mauvaise passe. Si vous êtes flegmatique, vous vous direz que c’est la
vie et que cela n’a pas beaucoup d’importance. Si vous êtes rebelle, vous rejetterez la
faute sur l’autre. Bref, ce qui compte, ce n’est pas la décision que vous avez prise mais
bien votre caractère, votre tempérament, car c’est lui qui détermine la manière dont
vous vous adapterez à votre nouvelle vie. Or vous n’êtes pas maı̂tre de votre caractère.
C’est votre créateur qui en est responsable. Donc, c’est moi, l’auteur de cette nouvelle, ou plutôt nous cinq, grâce à ce collectif d’auteurs. Nous avons tracé dès le départ
les grandes lignes de vos vies. En créant vos personnages, nous avons déterminé vos
destinées. Peu importe quelles actions vous déciderez de faire, vous virez toujours la
même histoire. Vous pouvez toujours décider de vous remettre en couple ou de rester
célibataire, le résultat sera le même.
C’est comme Adam et Eve qui ont cru qu’ils prenaient leur destin en main en
mangeant une pomme. En fin de compte, ils possédaient toujours les mêmes défauts.
Adam était prétentieux et obnubilé par le sexe, Eve était irrascible et manipulatrice. Le
paradis ne pouvait pas durer entre eux. La pomme n’était qu’une bonne excuse. Sans
pomme, leur histoire aurait été identique.
Pour conclure, vous pouvez toujours faire ce qu’il vous plaı̂t. Le lecteur, qui n’est
pas dupe, saura se rendre compte que vos histoires sont bien les mêmes quoi que vous
fassiez.
j
— Tu te prends
pour qui, espèce
d’écrivain de carnaval ? T’es pas en
train de faire un
best-seller. Alors,
nous prend pas
trop de haut. J’aimerais bien que tu
viennes faire un
tour dans ta nouvelle, j’aurais deux
trois petites choses
à t’expliquer. Gros
blair.
p
m
—
C’est
in— On n’a jamais
croyable.
On
entendu ça. Dem’avait dit de me
puis que le syndiméfier des colleccat des acteurs de
tifs d’auteurs. Ils
nouvelles a signé
écrivent connerie
un accord avec la
sur connerie. Sous
ligue des auteurs,
pretexte
qu’ils
notre travail était
sont en groupe.
respecté tant bien
Ils croient qu’ils
que mal. Mais là,
Oh ! Là !
peuvent nous faire
ça dépasse un peu
Tout doux les enfants.
faire
n’importe
les bornes.
Un peu de calme !
quoi.
Bon, c’est fini, ce bordel ?
b
— Quel enfoiré.
Il touche à notre
vie privée, maintenant ? C’est plus
de la censure, c’est
de la manipulation. Et moi qui
ai hésité entre
les sitcoms et les
nouvelles.
Pourquoi, j’ai décidé
d’être actrice de
nouvelles ? Quelle
galère.
Si vous parlez tous en même temps, j’arrive pas à suivre.
Alors vous parlez l’un à la fois, ou bien vous parlez en chœur.
jpmb
— Nous voulons pouvoir agir à
notre guise, sans avoir des commentaires navrants à chaque page. De plus,
nous voulons les 35 heures ainsi qu’une
prime de Noël, et des indemnités pendant les congés.
Cher lecteur, je suis désolé de vous faire assister à cette scène dégradante. Je vous
prie de patienter un instant, afin que je puisse négocier avec mes figurants
jpmb
— Acteurs, s’il vous plait !
Chers figurants, devant tant de mauvaise foi, je me vois dans l’obligation d’accepter les conditions que vous m’imposez. J’essaierai donc de limiter mes commentaires,
pourvus de leur discernement inégalable, qui vous froisse ostensiblement. De plus, je
restreindrai le récit de vos aventures à 35 heures de votre temps hebdomadaire. Le reste
1. Pièce pour deux, à cinq pour quatre
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ne pourra être dévoilé aux lecteurs qui, j’en suis sûr, se sentiront lésés. Par contre, je
me réserve le droit de choisir les passages que je leur conterai. En ce qui concerne les
primes et dédommagements, je peux m’arranger avec vos employeurs pour que vous
ayez une promotion avant la fin du mois.
b
— Des mots, des mots, toujours des
mots ! Vous n’êtes jamais foutus de produire que çà, vous les auteurs ! Si on
n’était pas là pour agir à votre place,
vous seriez bien embêtés. . .
Bon. Vous commencez à faire franchement chier, bande de crétins qui n’existent
même pas. En plus avec ce collectif de branleurs, ca fait un mois que j’attends la
relève. Alors, mes petits, vous allez vous débrouiller tous seuls, parceque moi, j’ai eu
ma dose d’emmerdements, je me tire ! Et j’éteins la lumière, au passage ! Bon vent !
b
— Ouais ! On a gagné !
jmp
— ...
b
— Ben quoi ?
j
— Et qu’est ce qu’on fait maintenant ?
b
— Ben, je sais pas moi . . .on vit !
j
— Et dans quelle histoire ? C’est bien joli d’être acteur de nouvelles, mais encore
faut-il qu’il y en ait une. C’est vraiment malin de l’avoir fait sortir de ses gonds. Tu
aurais pu réfléchir à ce détail.
b
— Qu’est ce qui te prend de me parler comme ça, mon vieux, tu t’es trop mis dans
la peau de Jean on dirait. Enfin, tu sais à qui tu parles quand même ?
j
— Peut-être que je me confonds un peu avec mon dernier rôle, c’est vrai. Mais c’est
aussi valable pour toi, ma pauvre. Tu parles comme cette cruche de Barbara.
p
— Mais calmez-vous ! Il avait peut-être raison, le narrateur. . .
j
— Comment ça ?
p
— Comment vous appelez-vous ?
jmb
— ...
p
— Moi non plus je ne sais pas. Je sais juste que vous êtes Jean, Mélanie, et Barbara
dans la nouvelle de Mébar. Et que je suis Paul. Je ne sais rien de nous à part ça. . .
j
— C’est exactement le problème : sans histoire nous ne sommes rien. On est mal.
b
— Et bien on n’a qu’à en créer une. L’un de nous peut devenir narrateur.
j
— Mmmm. . .Avec tout ce que j’ai lu en tant que Jean, je peux faire un essai. Si ça
vous dit, bien sûr.
m
— Ok. Vas-y. . .
Il était une fois, dans une loint. . .euh, pardon. . .Il était une fois, dans une lointaine
contrée, une Bergère qui gardait son unique Mouton.
b
— Je suis la bergère.
m
— Et moi le mouton.
Le soleil brille de mille feux.
b
— Bonne idée. Ah. . .ou est passé Paul ?
p
— Je me sens bizarre, qu’est ce qui m’arrive. . .je suis. . .
. . .devant un aussi charmant spectacle, la Prairie entière se mit à chanter.
1. Pièce pour deux, à cinq pour quatre
9
p
— La La li lo lo LOOO ! ! ! Mais c’est complètement idiot, cette histoire, arrête tout
de suite !
m
— Mêêê. . .(énervé).
j
— Je suis désolé les gars (je peux vous appeler comme ça puisque vous n’avez pas
de sexe permanent). Apparemment je ne suis pas doué.
p
— Regarde ce que tu as fait de moi. . .une prairie qui parle !
b
— Au moins on a la lumière maintenant.
m
— Mêêê. . .(énervé).
j
— Euh. . .Disons que le Mouton parle aussi.
m
— Merci c’est déjà ça. . .
j
— Bon à qui le tour d’essayer, moi j’abandonne.
Un silence pensif s’installe. Visiblement personne n’ose prendre la relève. Mais au
bout d’un moment Paul a une idée.
b
— Mais qui parle ?
m
— T’as une idée Paul ?
p
— J’ai une idée : pourquoi ne pas faire un collectif d’auteurs-acteurs. Si Jean n’arrive
pas à lui seul à nous faire une histoire potable, en nous unissant on y arrivera peut-être
à s’en sortir.
b
— Oui quelle bonne idée, Paul. L’union fait la force (et patin coufin).
m
— C’est bien joli ce scenario Hollywood où les héros s’en sortent en se serrant les
coudes mais vous savez, comme moi, que c’est pas facile de travailler à plusieurs. Ça
demande de l’autodiscipline, et de la régularité. Combien de collectifs de ce genre se
sont perdus en route . . .
j
— Bon Disons qu’on se retrouve tous les lundi (mais sérieux hein ? chaque lundi !)
avec chacun une idée de ce que l’on propose. Et on votera pour la meilleure, par
exemple. Essayons d’être un tout petit plus inventifs que ces auteurs à deux balles
qu’on se paye à chaque fois. Vraiment on voit qu’ils n’ont pas à se coltiner les histoires
bateaux qu’ils nous imposent. Sinon ils ne se rendent pas compte à quel point c’est
pénible toujours les mêmes histoires de couples, de ruptures . . ..
b
— Bien dit. Montrons-leur ce que c’est qu’une nouvelle bien charpentée, avec ce
qu’il faut où il faut. Un truc qu’on n’aura pas honte d’interpréter, pour une fois.
m
— Oui. Et pour leur en mettre plein la vue, on n’a qu’a garder le thème principal,
l’Amour, si j’ai bien compris.
Le lundi suivant, les voila réunis comme prévu, chacun avec son idée.
j
— Alors voila cette première séance sur l’Amour ! J’ai hâte de voir ce que ça va
donner.
jpmb
— Moi je pensais. . .
1. Pièce pour deux, à cinq pour quatre
j
— . . .qu’on pourrait
raconter
l’histoire
d’une
histoire d’amour
qui
finit
bien.
C’est la grande
chose qu’il manque
dans l’histoire de
la littérature. ¡¡
Ils se marièrent,
vécurent heureux
et eurent beaucoup
d’enfants.¿¿ C’est
là que les histoires
s’arrètent,
mais
c’est là que notre
nouvelle
commence. C’est un
vrai défi littéraire,
raconter un grand
bonheur
sans
nuage.
Moi
je
pense. . .
b
— . . .à un truc
du genre une histoire magnifique
à quatre personnages en harmonie
sexuelle totale et
les problèmes que
la société et sa morale étriquée leur
fait parce qu’elle
ne peut accepter
leur
différence
quaternaire. Moi
je pense. . .
p
— . . .qu’on pourrait
écrire
un
manifeste
qui
démontre
que
l’amour est un
mythe.
C’est
l’opium
de
la
société de consommation,
et
ça
fonctionne
avec
une
machine
formidable
de
propagande. Embrigadement avec
les histoires de
Blanche-Neige
dès qu’on est en
age d’écouter des
histoires.
L’idée
c’est qu’on nous
trompe : il n’y a
rien d’autre que
des yaourts, des
grilles-pains et des
poulets
surgelés
dans le monde.
Moi je pense. . .
10
m
— . . .qu’il faudrait explorer la
banalité navrante
de tous les romans
d’amours.
Toujours le même
nombre de personnages (un de
chaque sexe la
plupart du temps),
le même début,
toujours la même
fin (ou presque)
et un peu de sexe
(au mieux) entre
les deux. Ce que
je vous propose,
c’est de faire le
roman d’amour le
plus banalissime,
avec les clichés
poussés aux maximum, une œuvre
d’art, le sur-roman
d’amour quoi. Moi
je pense. . .
jpmb
— . . .que ça renouvèlerait le sujet.
Qu’est-ce que vous en pensez les gars ?
Moi, je pense que ce sont de très bonnes idées, les enfants. Mais les idées ça ne
suffit plus aujourd’hui ; il faut du style, il faut impressionner le lecteur et le critique
endormis. Il faut du sexe, de la violence, de la provoc’. Vous ne croyez quand même
pas que l’on va publier ce ramassis d’idées décousues s’il n’y a aucun scandale à la clé.
Et Thierry Ardisson, vous y avez pensé ?. . .et Marc-Olivier Faugiel ?
Moi, je pense que l’on pourrait faire un parallèle avec un épiphénomène du moment : LoftStory. Vous êtes quatre, deux garçons, deux filles. Le lecteur peut épier vos
réactions banales et insipides à l’envie et satisfaire ainsi ses instincts voyeurs les plus
bas. Il ne reste plus qu’à meubler le décor façon Ikea, et à vous donner des lunettes
de soleil rouges, vertes et bleues griffées pour ajouter la note de fadeur nécessaire à
l’identification consumériste de la ménagère de quarante ans et sa fille bimbo de quinze.
D’ailleurs, il faudrait songer à changer le titre de cette œuvre brillante parce que “Pièce
pour deux, à cinq pour quatre”, il n’y pas grand monde pour comprendre ce que ça veut
dire. Ce n’est pas très sexy, pas vraiment accrocheur. Qu’est-ce que vous en pensez, les
enfants ?
1. Pièce pour deux, à cinq pour quatre
j
— Bon, les auteurs
là-haut,
derrière
vos claviers, il faudrait vous mettre
d’accord.
Alors,
un coup, il y en a
un qui part dans
son trip intello à
deux balles. Puis
le vilain délire
halluciné avec ses
Prairie, Mouton,
Bergère et Cie.
Ensuite,
l’autre
qui voudrait nous
refaire
l’histoire
de la littérature
sentimentale
et
érotique en trois
pages. . .et maintenant, celui-là qui
pense à ses lecteurs. Ça manque
un peu d’unité
tout ça, les gars.
Il faudrait essayer
de ne pas toujours
vouloir tirer la
couverture à soi.
Pêché d’orgueil. . .
b
—
C’est
vrai
ça. . .On n’y avait
pas pensé. Il faudrait se trouver
un bon titre si
l’on veut que le
public s’intéresse
à nous. Dans l’immensité de la Toile
où le moindre
écrivaillon se sent
obliger d’y aller
de son petit écrit :
et vas-y que je
mets
en
ligne
mes
rédactions
de sixième, mes
premières lettres
d’amour à quinze
ans et les poèmes
que j’écrivais pour
la fête des mères.
Qu’est-ce qui peut
encore choquer les
gens aujourd’hui ?
Quel est le dernier
tabou ?. . .Moi
je ne vois que
l’inceste, les gars.
p
— LoftStory, il ne
manquait plus que
ça. Je ne pensais
vraiment pas qu’ils
puissent
tomber
aussi bas, ces auteurs de pacotilles.
Mais
dites-moi
que je rêve. . .Dans
la série, je veux
frapper
encore
toujours plus bas,
pourquoi ne pas
parler des prêtres
transsexuels
exhibitionnistes,
des
top-models
nymphomanes
boulimiques
ou
des
drogués
séropositifs myopathes. Le tout
sponsorisé
par
une marque de
cosmétiques. . .parce
qu’on le vaut bien,
après tout.
11
m
— Cher Monsieur
Mébar, il faudrait
peut-être changer
de
discours
si
vous voulez un
jour passer à la
postérité. Est-ce
que vous croyez
vraiment
que
Stendhal pensait
Marketing quand
il écrivait “Le
Rouge et le Noir” ?
Comme dirait le
Général De Gaulle,
un bon écrivain
est un écrivain
mort. Enfin, on
se comprend. . .on
ne fait pas de la
bonne littérature
en pensant au
public. Le public
est ignare et suiveur. Il comprend
toujours trop tard.
Toujours
trop
tard,
Monsieur
Mébar.
jpmb
— . . .De toute façon, on approche
de la fin maintenant. Il n’est plus
temps de trouver de nouvelles idées
mais plutôt de conclure.
C’est vrai ça ! Pour une fois, chers acteurs, vous dites quelque chose de sensé. Je
vais donc céder ma place au dernier auteur, lui laissant une lourde tâche : écrire une
fin, digne de ce nom, à cette nouvelle expérimentale. Personnellement, je verrais bien
quelque chose de frais et enlevé dans un style lyrique et passionné, une revisite pleine
de recul, irrespectueuse et géniale des thèmes récurrents de cette nouvelle : l’Amour, la
rupture et la réconciliation, bien sûr, mais aussi l’écriture et l’amitié joyeuse et virile.
Bref, bon courage mon petit gars.
Merci de me donner la plume dans une position aussi inconfortable, cher coauteur.
Tous les lecteurs sont maintenant accrochés au fil de cette nouvelle, attentifs aux idées
qui vont jaillir de mon imagination. Et je suis sur qu’ils ne pardonneront aucune
faiblesse, tant nous les avons faits saliver par une foule de rebondissements. J’ai peur
de la critique, mais je me lance, pour essayer de rassembler les morceaux de cette
nouvelle hétéroclite qui nous a quelque peu échappé tant la puissance créatrice était
forte.
1. Pièce pour deux, à cinq pour quatre
Paul
s’était
enfoncé
encore
plus profond dans
ses rêveries. Il
aimait la poésie.
Il essayait d’écrire
vaguement. Il pouvait alors oublier
sa vie quotidienne
et sa condition
médiocre.
Son
temps libre, il le
comblait par de
grandes
ballades
champêtres.
Pour Mélanie,
la vie continuait.
Elle avait du mal
à se remettre de
sa
séparation.
Ses connaissances
dans cette grande
ville de Lyon se
comptaient
sur
les doigts de la
main. Hormis les
cocktails
passés
avec ses collègues
ingénieurs,
elle
passait ses soirées
seule, à attendre
que sa vie prı̂t un
meilleur tournant.
Le prince charmant viendrait-il
un jour ?
Paul et Mélanie se recroisèrent un
soir sur les quais de la Saône. Le soleil rouge vif éclairait un joueur de saxo
qui dialoguait avec l’écho de sa musique
sur l’autre rive. Ils échangèrent un long
baiser, se murmurèrent des mots doux
et passèrent une courte nuit. Leur nouvel appartement fut baptisé par deux jumeaux. Ils avaient retrouvé une vie sereine.
Jean
était
médecin. Pour oublier sa séparation
récente, il s’engageait sur de
multiples projets
humanitaires.
Mais il s’habituait
aux barbelés des
camps de réfugiés
sans pouvoir oublier ses nuits
torrides avec Barbara. Quelques infirmières, attirées
par sa renommée,
se
prétèrent
à
ses jeux sexuels
sans réussir à le
dérider.
12
Après sa rupture,
Barbara
s’était précipitée
en boite de nuit.
Elle consommait
sa liberté jusqu’à
écœurement. Elle
draguait
tous
les
soirs.
Son
porte-manteaux
accueillait chaque
nuit un blouson
différent.
Son
canapé
grinçait
alors
jusqu’à
l’épuisement des
partenaires.
Jean retrouva Barbara sur une piste
de Zouk. Elle ne le reconnut pas, tant
l’alcool obscurcissait sa vision. Il profita de son état pour la ramener chez
lui. Elle se donna à lui, croyant s’affairer sur un inconnu. Ils repoussèrent
les limites de l’ennui en inventant de
nouveaux jeux sexuels. Leur couple se
reformait autour de leurs désirs excités. Ils avaient tous deux besoin d’une
vie sexuelle agitée. Ils fréquentèrent les
camps naturistes et les soirées libertines.
Malgré leurs différences, les quatres anciens célibataires se retrouvaient régulièrement
autour d’un repas improvisé. Au milieu des discussions animées, leurs regards se croisaient avec compréhension. Leur amitié ressortait renforcée de cette parenthèse de leur
vie, où ils avaient essayé de lutter contre leurs destins.