1. MOTIVATION 4 1.1 Problématique 5 2. METHODE 5 3. LA
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1. MOTIVATION 4 1.1 Problématique 5 2. METHODE 5 3. LA
1. MOTIVATION 4 1.1 Problématique 5 2. METHODE 5 3. LA THEORIE DE BOURDIEU 8 3.1 Les espèces de capital et l’espace social 8 3.2 L’habitus 13 3.3 Le système d’enseignement et la violence symbolique 15 3.4 La culture légitime 3.4.1. La bonne volonté culturelle 3.4.2 Le goût de nécessité 3.4.3 Une description subjective 17 18 19 20 4. UNE PRESENTATION DE LA PROBLEMATIQUE DES BANLIEUES 21 4.1 L’historie récente des banlieues et leurs problèmes 21 4.2 La source du problème 22 4.3 Les émeutes de 2005 et le rôle des médias 23 4.4 L’avenir des banlieues 24 5. LA HAINE 26 5.1 Présentation du film 26 5.2 Mathieu Kassovitz 26 5.3 Vinz 28 5.4 Hubert 32 5.5 Saïd 36 5.6 La police 5.6.1 La police inexpérimentée 39 40 1 5.6.2 La police remplie de haine 5.6.3 La police intermédiaire 41 42 5.7 La famille 42 5.8 Le traitement scénarique de la narration 44 6. L'ESQUIVE 45 6.1 Présentation du film 45 6.2 Abdellatif Kechiche 46 6.3 Krimo 48 6.4 Lydia 50 6.5 Le théâtre 52 6.6 Le système d'enseignement 55 6.7 La famille 57 6.8 La police 6.8.1 Les règles du champ 6.8.2 Opinions anticipées 6.8.3 Maintien de la domination de la police 6.8.4 Les réactions des jeunes 6.8.4 La police comme institution 59 59 59 61 61 62 6.9 Le traitement scénarique de la narration 6.9.1 Fiction 6.9.2 L'authenticité 6.9.3 Le traitement stylistique du scénario 63 63 64 65 7. DISCUSSION 67 7.1 Les jeunes 7.1.1 L’habitus et le capital des jeunes 7.1.2 La crédibilité des personnages à travers la famille 7.1.3 Des archétypes et des personnages complexes 67 67 69 70 7.2 Les représentants de la société 7.2.1 La police 71 72 2 7.2.2 Le système d’enseignement 73 7.3 Le débat 75 8. CONCLUSION 79 9. LISTE LITTERATURE 81 10. ABSTRACT 83 3 1. Motivation Les banlieues parisiennes forment une des plus grands problèmes pour la France sur le plan de la politique intérieure. Bien que ces problèmes aient existé depuis plus que trente ans, le gouvernement n’arrive pas à les résoudre et ils puissent à cet effet être considérés comme un véritable échec gouvernemental. Les connaissances des banlieues aussi bien pour les français que pour les étrangers sont faites par les médias qui donnent aux banlieues une connotation négative puisqu’ils en font uniquement attention quand il y a des problèmes notamment entre la police et les jeunes qui y habitent. En outre les banlieues sont présentées par les médias comme l’endroit d’exclusion sociale avec des problèmes du chômage, des drogues, de la criminalité et des conflits raciaux. Ainsi, l’image générale des banlieues livrée au public est d’avant tout une image négative. Après la sortie de La Haine en 1995 le cinéma commence à s’intéresser à ce sujet douloureux pour les français. L’Esquive est un film parmi d’autres qui a suivi La Haine. Nous avons trouvé intéressant d’étudier une expression artistique pour savoir si cela pourrait changer l’image entièrement négative des medias. Nous avons choisi ces deux films parce qu’ils donnent chacun une représentation des banlieues très différentes. La Haine donne une image qui n’est pas loin de celle des médias mais du point de vue des jeunes qui habitent en banlieues. C’est un film explosif qui force les Français à ouvrir les yeux concernant un problème qui s’aggrave. 4 L’Esquive crée en revanche une atmosphère de village avec des personnages qui ne sont pas stigmatisés comme le fait les médias. Le film parle de la passion, du premier amour, de la fragilité et des sentiments difficiles à exprimer. Deux expressions artistiques carrément opposées non seulement concernant le thème mais aussi au niveau du succès commercial. Comment naissent deux expressions si différentes traitant pourtant le même sujet ? Et quels sont les motivations qui incitent les deux réalisateurs à faire les films ? Telles sont les questions que nous nous sommes posées au début de ce mémoire. C’est la raison pour laquelle nous le trouvons intéressant d’examiner la problématique des banlieues traitée par la fiction. En examinant la problématique à travers des différentes optiques fictives nous avons la possibilité de discuter les images différentes que produisent les deux films. 1.1 Problématique En employant la théorie de Bourdieu, quelles sont les images représentées dans La Haine et L'Esquive des banlieues de Paris? - Comment pourraient ces représentations faire partie du débat concernant les banlieues? 2. Méthode Pour répondre à la problématique nous faisons des analyses des deux films. Les analyses sont principalement fondées sur la théorie de Bourdieu. Ainsi, ce sont des analyses sociologiques des œuvres fictives. En conséquence, nous ne traitons pas la problématique des banlieues françaises en réalité, mais nous examinons comment les réalisateurs ont choisi de la représenter. Nous choisissons l'angle sociologique pour pouvoir décrire comment les films représentent les structures sociologiques de la problématique. 5 À partir des notions que Bourdieu a élaborées nous faisons nos analyses des films. Celles-ci sont principalement fondées sur la théorie exprimée dans La Distinction dans laquelle Bourdieu, à travers le goût, examine les différentes classes et fractions de classe dans la société française. Il présente ses résultats en décrivant les trois classes. Puisque les films se concentrent sur les jeunes des banlieues nous nous appuyons sur la description de la classe dominée. Pourtant, Bourdieu lui-même fait remarquer que la notion de classe n'est qu'une notion théorique. En conséquence, nous utilisons les descriptions des autres classes pour capter les traits des personnages qui ne sont pas nécessairement des traits spécifiques de la classe dominée. En dehors de l’édition française de La Distinction nous utilisons une traduction norvégienne dans laquelle il y a un chapitre dirigé par Bourdieu qui n’existe pas dans l’œuvre original. En outre, quand il s'agit des positions de jeunes en tant qu'immigrants ou criminels, ils sont marginalisés et ne s'adaptent pas à la classe dominée comme Bourdieu la décrit. Pour analyser les personnages, nous prenons donc les notions théoriques de Bourdieu et nous les employons pour expliquer les traits qu'expriment les jeunes dans les films. Pour cela, ce sont principalement ses notions de "capital", d"habitus" et de "champ social" que nous utilisons. De plus, nous nous appuyons sur La reproduction pour analyser le système d'enseignement, mais cela est uniquement en raison du rôle que joue la violence symbolique dans les films. Nous ne nous concentrons que sur l'héritage social négatif dans la perspective du système éducatif. Puisque ce sont des films fictives nous ajoutons nécessairement des éléments d'analyse filmique. Nous ne faisons pas des analyses strictes des moyens techniques, mais nous impliquons certains de ces éléments quand ils assistent à souligner les 6 possibilités qu’a le genre du film par rapport à d’autres genres fictifs comme celui du théâtre ou de la littérature quand il s’agit d’accentuer un ou plusieurs sens. Ainsi, nous enchaînons les deux démarches analytiques en examinons comment les films utilisent des moyens fictifs en illustrant les structures sociologiques. Nous souhaitons mettre les analyses dans le contexte de la problématique qu'ils traitent sans les comparaître à ce que l'on pourrait appeler 'la réalité'. Nous sommes conscientes du débat actuel des banlieues mais nous avons choisi de ne pas le traiter entièrement puisqu’il aurait exigé une analyse profonde des médias. Néanmoins, nous allons discuter la manière dont les deux films pourraient figurer au débat. Pour que nous puissions mettre les films en relations avec le débat, il est nécessaire de connaître son fondement factuel. Pour cela, nous décrivons brièvement les circonstances historiques, sociaux et économiques qui sont indissociables à la situation actuelle des banlieues. Un tel débat n’a pas pu échapper aux réalisateurs des films. Ils ont eux-mêmes selon toute probabilité des opinions spécifiques sur la problématique en considérant qu’elle est le sujet de leurs films. En conséquence, il est imaginable que ces opinions ont influé sur les films. Pour cela, nous allons examiner l’appartenance sociale et artistique des deux réalisateurs réspectifs. 7 3. La théorie de Bourdieu 3.1 Les espèces de capital et l’espace social Selon Bourdieu, les agents sociaux possèdent des différentes espèces de capital. Ces espèces structurent l’espace social, puisqu’ils déterminent les positions, qu’ont les agents dans l’espace. Ces positions sociaux correspondent aux différents préférences des agents et ainsi aux différents styles de vie. Bourdieu travaille principalement avec trois espèces de capital. Le capital économique est l’accumulation des ressources matérielles qu’un agent possède. Ensuite, le capital culturel renferme tout ce qui est instruction, formation, bonnes manières et culture intellectuelle, soit appris par l’éducation au sein de la famille, soit appris dans le système d’enseignement – cette part que Bourdieu nomme le capital scolaire. Puis, la notion de capital social est égale à l’accumulation des ressources, qu’un agent possède grâce aux rapports d’appartenance aux groupes spécifiques. Enfin, il y a une quatrième espèce de capital, qui est le capital symbolique. Il se compose de tout ce qui donne du prestige ou de la gloire. Au fond, Bourdieu pense que c’est cela, qui est l’objectif de tous les actes conscients ou inconscients d’une personne. Selon les idées et la vision du monde du groupe social dont on appartient, les autres capitaux peuvent se transformer au capital symbolique. La notion de ”l’échelle sociale” est très étendue dans la tradition sociologique. Cela implique une division de la population sur un seul axe. Selon Bourdieu, c’est une division qui suppose une réduction des différentes espèces de capital en une seule quantité des capitaux réunis (Bourdieu, 1979 :137). Bourdieu pense que cela ne suffit pas pour faire une description complète et correcte des groupes de la société et des rapports entre ceux-ci. C’est la raison pour laquelle, Bourdieu plaide pour un remplacement de cette notion avec sa notion de ”l’espace social”. La classification se fait sur la base des deux principes de différenciation, qui sont les prédominants dans la France ; le capital économique et le capital culturel (Bourdieu, 1995: 34). Il construit 8 dans la distinction un espace de trois dimensions ; ”le volume du capital, la structure du capital et l’évolution dans le temps de ces deux propriétés” (Bourdieu, 1979 :128). Bourdieu accentue le fait que sa construction de l’espace social est relationnelle. Les positions des agents n’existent que dans l’espace en proportion des uns des autres. C’est-à-dire qu’il n’y a pas des positions sociales en soi, car elles sont définis justement par leurs rapports aux autres positions (Bourdieu, 1995: 33). Comme mentionné, la première dimension consiste dans la quantité accumulée du capital économique, du capital culturel et du capital social. C'est l'axe vertical dans la graphique de l'espace social1. Ainsi, les éléments déterminants de cette dimension sont les même que ceux qui divise la population sur ”l’échelle sociale”. C’est toujours cette dimension qui oppose les différentes classes, puisque les individus, qui ont le plus de capital accumulé, sont ceux qui composent la classe dominante, pendant que les personnes ayant moins de capital se situent dans les classes dominées (Bourdieu, 1979 :128). Toutefois, Bourdieu souligne que ces classes ne sont que des classes en théorie. Bien qu’il soit capable de placer des agents dans une classe spécifique, ce n’est pas certain que ces personnes trouvent qu’elles appartiennent à cette classe (Bourdieu, 1995: 39). Selon lui, la notion de classe est donc un concept théorique. Ce n’est pas un fait objectif. Toutefois, les membres de ces classes se ressemblent autant à cause de leurs relations étroites dans l’espace, qu’ils ont une grande possibilité de se réunir en réalité (Bourdieu, 1995: 40). Une nouveauté de Bourdieu se fait par les deux autres dimensions, qui servent à diviser les fractions à l’intérieur d’une classe sans les placer dans une seule ligne hiérarchique, mais en les mettant dans un espace. La deuxième dimension porte sur la structure du capital, c’est-à-dire la répartition relative des capitaux. Cette dimension est illustrée par la division que fait l'axe horizontal dans la graphique2. À cet effet, cette dimension divise la classe en deux: ceux qui ont plus de capital économique que capital culturel, et 1 2 Appendice 1 Appendice 1 9 à l’inverse, ceux qui ont plus de capital culturel que capital économique. Ensuite, les positions dans l’espace sont déterminées par la quantité relative de l’un et de l’autre espèce de capital. Pour citer un exemple de Bourdieu, les intellectuelles et les professeurs, qui ont la plus grande partie de capital culturel, vont être placés à l’opposé des patrons de l’industrie et de commerce, qui ont le plus de capital économique. La troisième dimension s’appuie sur les deux premières, puisque celles-ci sont déterminées par le patrimoine d’une personne. La trajectoire sociale implique un certain mode d’acquisition de capital, de sorte qu’elle commande le rapport qu’une personne entretient avec son patrimoine (Bourdieu, 1979: 298). Bourdieu a fait des nombreuses statistiques des pratiques de style de vie, qu’il présente dans la distinction. Il dit que les différents choix de préférences correspondent justement à la répartition relative des capitaux : ”S’il est vrai que [...] la classe dominante constitue un espace relativement autonome dont la structure est définie par la distribution entre ses membres des différentes espèces de capital [...] on doit retrouver ces structures dans l’espace des styles de vie” (Bourdieu, 1979 : 293). Cette cohérence entre le style de vie et la distribution du capital est fondamentale. Pas seulement pour la classe dominante, mais aussi à l’intérieur des autres classes et en particulier par rapport aux relations entre les classes. Bourdieu étudie, classe par classe, les préférences des membres. Il leur demande de répondre aux différents ensembles de questions pour découvrir, s’ils donnent des réponses dissemblables quand il s’agit des domaines distincts (Bourdieu, 1979 :294). Sur la base de ces réponses il fait une analyse des correspondances, avec laquelle il peut déterminer des unités des préférences qui sont cohérents. Ainsi, on peut déduire deux groupes qui s’opposent ; ceux qui ont le plus de compétence concernant les domaines culturels, mais qui n’ont pas des grands revenus, et ceux qui sont plus riche mais qui ont moins de connaissance des affaires culturelles (Bourdieu, 1979: 295). En examinant les réponses qu’ont données les membres d’une classe, Bourdieu est donc capable de déterminer combien ils ont de 10 capital. En prouvant que le style de vie correspond à la répartition relative des capitaux, il montre que l’espace des styles de vie corresponde à l’espace des positions sociales : ”On voit intuitivement que la structure selon laquelle s’organisent ces indicateurs des différents styles de vie correspond à la structure de l’espace des styles de vie telle qu’elle a été établie, donc à la structure des positions” (Bourdieu, 1979: 295). Il s’ensuit que les membres de la classe populaire ont un autre style de vie que les membres de la classe moyenne ou les membres de la classe dominante. De plus, les fractions d’une même classe ont des différents choix de préférences. Bourdieu souligne que ces préférences ”trouvent leur principe dans des systèmes de dispositions distincts et distinctifs” (Bourdieu, 1979: 295). Cela veut dire que les choix des agents sont différents, parce qu’ils proviennent des différents systèmes de dispositions, mais aussi que ces systèmes en soi maintiennent la différence. Cela s’effectue, selon Bourdieu, parce que les choix des agents sociaux sont des effets de leurs habitus respectifs, une notion que nous allons expliquer ci-dessous. En étudiant les choix de style de vie, Bourdieu découvre, que le principe essentiel pour la classe dominante, est de se distinguer des autres. Ils sont ceux qui possèdent le plus de capital au total, et cela leur donne une position en haut de la hiérarchie sociale. Une position qu’ils défendent justement en se distinguant des autres. Pourtant, il y a des luttes importantes entre les fractions de la classe, concernant la hiérarchisation de ces fractions. Ces luttes consistent donc principalement en l’ordre hiérarchique des différentes espèces de capital (Bourdieu, 1979: 362). Pour la classe moyenne, il s’agit principalement de faire croire que l’on possède plus de capital que ce qui est le cas. En conséquence, les membres de cette classe font tout ce qu’ils peuvent pour en gagner plus, pour pouvoir monter dans la hiérarchie sociale. Donc, monter par rapport à ce que Bourdieu nomme la première dimension, c’est-àdire, l’accumulation générale des capitaux. Un exemple de cette aspiration vers les couches au-dessus, se montre avec la restriction de la fécondité naturelle. Les stratégies 11 de la fécondité de cette classe sont destinées à concentrer toutes les ressources sur un petit nombre d’enfants afin de donner à leurs enfants le moyen de réaliser les ambitions qu’elle forme pour eux ; par exemple investir dans leur éducation de telle sorte qu’ils obtiennent plus de capital pour prolonger l’ascension sociale. Néanmoins, cette tendance ne se voit pas dans la classe populaire. Cela s’explique par le fait que ces personnes ne peuvent pas envisager pour leurs enfants un autre avenir que le leur. Le principe de nécessité qui existe quant à la consommation et le goût de la classe populaire, est quelque chose qui se fait valoir dans tout l’univers de cette classe. Un nécessité, un "ce qui se fait" et pas plus que cela, qui, parmi d’autres choses, dérive d'un manque de capital social, qui dérive d'un manque de capital économique de cette classe. Le manque de capital social abouti à un manque de savoir, de compréhension et ainsi d’appréciation des biens esthétiques et luxueux (Bourdieu, 1979: 442). Avec une telle description de la société, c’est évident que le capital joue le rôle d’un moyen de domination. Néanmoins, selon Bourdieu, ” L’adaptation à une position dominée implique une forme d’acceptation de la domination ” (Bourdieu, 1979: 448). En effet, cette acceptation se fait à cause d’un manque de capital. Si les hommes plutôt ordinaires, comme par exemple des travailleurs, d’une façon indirecte se laissent dominer par la classe dominante (par exemple leurs employeurs), cela a quelque chose à faire avec leur manque de capital culturel, qui implique des expériences et du savoir, qu’ils ont toujours entendu dire qu’il faut avoir, pour convenir le mieux aux normes dominantes de la société. Alors, selon Bourdieu la dépossession culturelle est fortement liée à la dépossession économique de la classe dominée, comme c’est le plus souvent ceux avec le moins du capital culturel vrai (vrai en comparaison avec la culture légitime, expliquée ci-dessous) qui ont les métiers avec le moins de salaire. En résumé, la manière dont les différentes espèces de capital entraînent des différentes positions, qui encore incitent des différents styles de vie, est à l’origine de la structure de la domination de la société. 12 3.2 L’habitus Une des idées les plus importantes de l’outillage conceptuel de Bourdieu en parlant des classes, est sa notion de "habitus". Ce n’est pas possible de décrire ou même de parler du monde social sans l’utilisation de cette notion. Il est d’abord le fondement du comportement des agents du monde, en outre le rapport entre eux et le monde qui les entoure ; il est le rapport entre les structures mentales et les structures sociales. L’habitus est dans une certaine manière le filtre à travers lequel un individu conçoit le monde, et qui détermine quelles idées, espoirs et espérances seraient réalistes pour cet individu par rapport à sa situation sociale. Les habitus des individus d'une même classe peuvent varier mais les membres d'une classe sociale partagent un habitus spécifique par rapport aux autres classes sociales. Pour cette raison, un membre de la classe populaire a toujours une conception du monde totalement différente qu'un membre de la bourgeoisie, et ils exigent des choses de la vie vraiment différentes. Bourdieu dit qu’une personne n’exigerait jamais rien en dehors de ce qui est réaliste d’obtenir et qui est à la portée de la main. Il renvoie ainsi à Durkheim (Bourdieu, 1979: 549). Pourtant, cette allégation a été contestée des critiques, comme elle incline à fixer un individu dans son classement et n’explique pas le phénomène des cas particuliers qui ont nécessairement exigé des choses hors de portée. (Kaspersen & Andersen: 369) L’habitus d'une classe est fondé au cours de l’historie et fait parti de sa conscience collective, mais en même temps il reproduit activement les idées qui contribuent à maintenir les bornes entre les classes sociales. C’est évident qu’il ne le fait pas délibérément puisque l’habitus n’existe et fonctionne que sur un niveau inconscient – la raison pour laquelle Bourdieu pense lui-même que c’est une notion très utilisable. (Bourdieu, 1979: 543) Parce que l’habitus marche au delà la conscience humaine, il donne du sens très important aux actions et traits inconscient de l’homme, si ça soit la 13 façon dont on parle ou la façon dont on mange ou marche ; des facteurs qui sont liés aux théories de Bourdieu des structures sociales incorporées, mais que l’on ne va pas traiter ici. D’ailleurs, l’âge d’un individu influe sur son habitus comme cela est indissociable de son expérience de la vie et donc les circonstances qui ont contribué à former et fonder l’habitus. Bourdieu s’emploie de plusieurs termes pour décrire la classe placée au fond de l'espace sociale: "la classe ouvrière", "la classe populaire" et "la classe dominée". "La classe ouvrière" et "la classe populaire" sont associées à des groupes sociaux liés à des professions spécifiques puisque le terme de "la classe populaire" comprend par exemple des paysans et des ouvriers. Par contre, "la classe dominée" est une notion qui s’emploie généralement pour nommer ceux qui se trouvent au fond de la société, indépendant du métier. Il y a plusieurs facteurs essentiels qui jouent un rôle pour expliquer l’habitus de la classe ouvrière. Tout d’abord, ceux qui en font partie ressentent une forte solidarité les uns les autres, ce qui est caractéristique pour la classe ouvrière et son habitus. La solidarité dérive du fait que les membres de cette classe ont lutté ensemble pour obtenir des droits sociaux (Site Internet: 3) et sont fiers de cette lutte. Un autre trait, ou plutôt nécessité, très caractéristique et déterminante pour les membres de cette classe et leur estime de soi est la force physique. Étant donné que le travail quotidien d’un ouvrier ou ouvrière est dur, leur force physique est cruciale. Ainsi, une telle force est décisive pour l’existence et la survie de la classe ouvrière qui elle-même conçoit la force physique comme un de ses avantages les plus grands par rapport aux autres classes sociales. Ensuite, la classe ouvrière possède la volonté de se révolter contre les structures sociales dominantes et politiques (Bourdieu, 1979 : 460). L’aversion pour une 14 légitimité politique est caractéristique pour la classe ouvrière puisque c’est elle qui le plus souvent se trouve soumise et dominée sous une telle légitimité normalement exercée de la classe dominante. Le désir potentiel de se révolter fait donc partie de l’habitus de la classe ouvrière et peut se transformer de pensée en révolte et émeutes, parfois violentes, si la situation sociale de cette classe se corse. Dans ce cas, la force physique mentionnée serait profitable aux émeutiers. Nous pensons que "la classe dominée" est le terme qui convient le plus à décrire la classe la plus basse aujourd’hui puisque la classe ouvrière dans son sens originel n’est pas aussi représentée dans la société qu'anciennement. Pourtant, il existe toujours des traits de caractère de la classe ouvrière chez la classe dominée ‘moderne’. Bourdieu accentue, et regrette, que la classe dominée accepte leur domination, qu’elle ne reconnaît pas sa propre valeur, ne se voit qu'à travers les yeux de la classe dominante et ainsi se retient elle-même dans sa place soumise. Il pense qu’une des raisons pour cette adhésion passive est que l’individu conçoit le monde social par l’habitus qui existe autour de lui dés le premier jour de sa vie. Cela a pour résultat à une difficulté à l’égard de distinguer les conditions objectives des classements injustes produit de la société, et ainsi contester l’ordre social. 3.3 Le système d’enseignement et la violence symbolique Le classement et la hiérarchisation qui existent dans la société sont des phénomènes qui se perpétuent. Comme mentionné ci-dessus les membres de chaque classe acceptent l’ordre social et leur place là-dedans et s’y habituent, puisque la société maintient et reproduit les différences sociales. Cela se voit parmi d’autres choses dans les institutions sociales et les domaines de la culture et de la langue qui tous légitiment les inégalités sociales. Selon Bourdieu, un des facteurs qui contribue le plus à fixer l’ordre social est le système d’enseignement. Ce système reproduit et renforce le système de classes et d’inégalité de la société, comme il favorise et protège les enfants issus de 15 familles appartenant à la classe dominante, et néglige et défavorise les enfants de la classe dominée. (Kaspersen & Andersen: 360) Il crée un signe d’égalité entre la valeur sociale d’un individu et la valeur personnelle et le fixe dans sa place dans l’hiérarchie sociale en plus qu’il fixe aussi la conception de soi qu’a cet individu. C’est évident que le fait d’avoir fait une éducation ou pas, influe beaucoup sur la trajectoire sociale d'un individu. La possession d'un titre scolaire haut assure un statut et un traitement respecté en plus qu’elle garantit les titres de rang inférieur. Dans cette institution réprimante qu’est l’école, les professeurs jouent un rôle crucial, comme c’est eux qui exercent quotidiennement ce que Bourdieu appelle ‘la violence symbolique’. (Bourdieu, 1970 : 22) Comme indique le nom, il ne s’agit pas d’une violence physique mais au contraire d’une violence sur un niveau immatériel. Elle a lieu chaque fois que le professeur fait valoir les élèves de la classe dominante au détriment des enfants de la classe dominée. Ce qui est fatal est que ni les professeurs, ni les élèves ne se rendent pas compte de ces mécanismes de sélection, et pour cette raison la violence symbolique a un sauf-conduit et devient de plus en plus invisible pour les impliqués. Bourdieu et quelques de ses collègues ont même pu prouver que ce sont les élèves qui ont l’habitus qui corresponde le plus à celui de leur professeur et qui appartiennent ainsi à la même classe sociale que lui, qui se débrouillent le mieux à l’école (Kaspersen & Andersen: 361). Par contre, les élèves avec un habitus différent de celui du professeur, typiquement des enfants de la classe dominée, ont des grandes difficultés quant à l’enseignement. C’est à cause de ces circonstances mentionnées que Bourdieu soutient que le système scolaire renforce et réfléchit le classement social et empêche la classe dominée de se libérer à l’aide de la formation. 16 3.4 La culture légitime La culture légitime est définie par la classe dominante. Néanmoins, il existe dans cette classe deux groupes différents, chacun avec leur mode d’appropriation de la culture légitime. " La compétence culturelle " est importante pour savoir décoder une œuvre d’art. Cela implique aussi, selon cette affirmation typiquement défendue par les intellectuels, une " compétence culturelle historique ", c’est-à-dire d'avoir l’aptitude à reconnaître et à localiser l’époque, le style et le genre auxquels appartient une œuvre. Sans cette capacité on ne peut qu’apprécier les éléments immédiats et expressifs d’une œuvre comme par exemple les couleurs, la mélodie etc. (Bourdieu, 1979 : 3) Chez le groupe dont le pouvoir repose le moins sur le capital économique, comme par exemple les professeurs et les artistes, l’appropriation symbolique est dominante. En outre, ils ont aussi dans leurs stratégies de distinction une prédilection pour ce qui est risqué et plus rentable. Ceci marque leur capacité d’identifier des objets insignifiants comme des œuvres d’art et révèle aussi leur manière de consommer. Le second groupe, plus fort en capital économique, s’approprie autrement la culture. L’importance est de " se faire voir ". Pour eux, d'aller au théâtre n’apporte pas seulement un bénéfice culturel, c’est aussi une occasion de dépense pour se montrer. (Bourdieu, 1979 : 305) Dans les deux groupes différents les stratégies d’appropriation sont décisives. Le groupe au capital économique le plus fort affirme sa personnalité par ses possessions. Les objets de luxe servent avant tout à se distinguer de ceux qui n’ont pas les moyens de les acheter. De l'autre côté, les intellectuels cherchent plutôt le maximum de rendement culturel pour le moindre coût économique, c’est l’œuvre elle-même qui compte et non sa valeur financière. Bourdieu fait donc la distinction entre l’appropriation symbolique et ce que l’on peut appeler l’appropriation propre, " le regard pur". 17 D’un côté, les intellectuels trouvent que leurs compétences culturelles ne sont pas assez reconnues par les membres des professions libérales. De l’autre côté, ils ne peuvent jamais, par des raisons économiques, avoir plein accès à la culture bourgeoise. Cette opposition est fondée sur des origines sociales différentes et repose aussi sur des philosophies différentes concernant le rôle de l’art. Les intellectuels souhaitent que l’artiste fasse une contestation symbolique de la réalité sociale et de l’art bourgeois, alors que les bourgeois veulent que l’art soit un symbole de leur identité bourgeoise, ce qui peut servir à dissimuler la réalité sociale et ainsi à éviter toute forme de remise en cause des valeurs portées par cette même bourgeoisie. Quant à la bourgeoisie, l’art sert à renforcer sa certitude et sa confiance en soi, leur préférence étant par exemple le théâtre bourgeois, parce qu’ils s’y reconnaissent. Les artistes en revanche préfèrent l’avant-garde puisque cela est un refus de tous les goûts socialement reconnus comme le goût moyen, le goût bourgeois ou le goût pédant. 3.4.1. La bonne volonté culturelle " La bonne volonté culturelle " est définie par Bourdieu comme l’écart entre la connaissance et la reconnaissance de la culture légitime dans la petite bourgeoisie. Bien que toutes les classes sociales soient capables d’identifier la culture légitime, elles se distinguent par la véritable connaissance qu’elles en ont. Très peu des représentants de la classe moyenne et la petite bourgeoisie se déclarent indifférents à cette culture légitime et encore moins la rejettent de façon hostile. Chez la petite bourgeoisie le degré de familiarité avec la culture légitime varie selon l’origine sociale et le mode d’acquisition de la culture. La " docilité culturelle " se manifeste par les choix d’amis " ayant de l’éducation ", par le goût pour des spectacles " éducatifs " ou " instructifs " etc. (Bourdieu, 1979 : 370) De plus, on trouve chez la petite bourgeoisie un appétit de possession inséparable d’une anxiété permanente de non propriété. Cela se manifeste aussi dans le rapport à l’autre par une jalousie tyrannique, due à un sentiment d’insécurité et de manque de 18 confiance en soi. En contraste avec cela, on trouve dans les classes supérieures un goût pour l’ostentation, la dépense, la générosité et la galanterie aristocratique. Ces préférences interdisent la jalousie puisqu'elles ne conçoivent pas l’objet aimé comme une possession. Pour la petite bourgeoisie, la culture est une question de vrai ou de faux. Elle prend la culture trop au sérieux pour avoir une distance suffisante vis-à-vis d’elle, ce qui est nécessaire pour créer un véritable rapport de familiarité avec celle-ci. Elle est incapable de s’autoriser les audaces et les libertés comme le font ceux qui sont liés à la culture légitime dès leur naissance. Ainsi, les productions culturelles de la petite bourgeoisie sont discréditées tant qu'elles témoignent de l’effort laborieux. 3.4.2 Le goût de nécessité Pour la classe populaire, il existe un goût du nécessité, c’est à dire un goût qui ne se concentre que du nécessaire, et ne pas du luxe ou de l’esthétique. Un goût qui n’a pas le surplus pour ces choses. On mange pour ne pas avoir faim et on s’habille pour ne pas avoir froid. Quand on se trouve dans la classe dominée on s'adapte au goût de nécessité et arrive à l'accepter. Cette adaptation contribue à former l’habitus des membres de cette classe. Il est évident que la classe populaire n’a pas les mêmes moyens que la classe dominante. Pourtant, le goût de la classe populaire ne peut pas être réduite à une simple relation économique puisque le "principe de conformité" joue un rôle important. Ce principe s’énonce sur les réprimandes. Par la correction, la classe dominée engage l’autrui à faire des choix raisonnables au regard des conditions objectivement possibles. Cela sert aussi comme un rappel à la solidarité, c’est-à-dire de ne pas se distinguer trop de sa propre couche sociale. 19 Au cours de la vie, la classe populaire n’est confrontée qu’à une seule culture acceptée - la culture légitime définie par la classe dominante. Cependant, elle ne peut s’offrir que des copies de biens de luxe. Puisque la classe dominante méprise les copies et les imitations, la classe populaire est ainsi amenée à se dévaluer et à perdre le respect de soi, ce qui crée, selon Bourdieu, un sorte de dépossession générale de leurs valeurs. En sachant qu'elle ne peut jamais se rapprocher de la culture légitime, la classe populaire possède un "réalisme" extraordinaire. Cela se montre par l'effet de la clôture qui conduit la classe populaire à une homogénéité où il n’y a pas d’autres styles de vie possible, pas d’autres relations sociales et pas d'autres langages que ceux qui sont la norme pour cette classe. L’univers des possibilités est fermé, ce qui le rend encore plus difficile pour un individu de la classe dominée de se distinguer des autres membres. 3.4.3 Une description subjective Pour comprendre la vie d’un membre d'une autre classe sociale que celle dont on appartient soi-même, il ne suffit pas de seulement observer ou de participer à la vie de celui-ci. Cela donnerait, selon Bourdieu, une représentation "statistiquement improbable". L'observateur ne peut pas échapper à son propre habitus en décrivant quelqu'un avec un habitus différent. (Bourdieu, 1979: 435) Cela veut dire que l’observateur va confondre sa conception subjective de la classe observée avec la conception qu’ont les membres de cette classe eux-mêmes de leurs modes de vie. Ce n'est pas forcement une question de vrai ou faux mais plutôt du fait que l'observateur met en cause des conditions pour la classe observée selon son propre perception du monde. Ainsi, l’image que donne par exemple un intellectuel d'un ouvrier corresponde à cet effet plutôt à l'expérience du monde de l'intellectuel que celle de l'ouvrier. Avec une tendance de favoriser son propre conception du monde 20 l'intellectuel risque de représenter la vie de la classe dominée soit comme étant désespérante soit comme marquée d'un idéalisme excessif. 4. Une présentation de la problématique des banlieues Nous allons présenter la problématique des banlieues pour comprendre le fondement du sujet que traitent les films. En parlant des banlieues françaises il faut tout d’abord se rendre compte d’une différence de sens spécifique qui existe entre le terme ‘banlieue’ et celui de ‘banlieues’. Selon Hélène Roussel, le singulier ‘banlieue’ est " un terme neutre " ne caractérisant que le phénomène démographique de l’habitation concentrée autour d’une grande ville tandis que le pluriel, ‘banlieues’, indique les banlieues auxquelles sont associées des idées des émeutes et des grands problèmes sociaux et dont la médiatisation a été intense pendant quelques périodes turbulentes. (Roussel : 1) Dans un éditorial dans Le Monde le 26 octobre 2007, donc deux ans après les émeutes violentes, les banlieues sont décrites comme des " [..] Quartiers où la République loge la grande masse des Français les moins favorisés, ouvriers et employés, souvent immigrés ou d’origine immigrée" (Le Monde: Éditorial). Ce sont aussi à ces ‘sortes’ de banlieues victimes de ghettoïsation que les films de notre projet s’appuient. 4.1 L’historie récente des banlieues et leurs problèmes La problématique des banlieues en France n’est pas un nouveau phénomène. Il est impossible de préciser à quel moment elle a éclaté et pourquoi, comme elle est un résultat des faits politiques, sociaux et économiques complexes et impénétrables qui le rend impossible de l’avilir à une question simple de ‘pourquoi’ et ‘quand’. Si ceci était le cas, la France aurait probablement moins de problèmes intérieurs qu’est le cas aujourd’hui. Pourtant, il est possible de faire mention de quelques causes importantes 21 historiques et politiques qui d’un autre côté n’ont pas contribué à améliorer la situation. Après La Deuxième Guerre mondiale beaucoup des grandes villes françaises étaient partiellement détruis, la rasions pour laquelle l’on faisait construire un grand nombre des immeubles dans les banlieues existantes (Forstadsproblemer : 8-9). Cependant, le besoin était immédiat et urgent et de ce fait le résultat des constructions étaient pour la plupart des grandes tours en béton gris dont la qualité était discutable. Pendant les années soixante le manque de main-d’oeuvre était répandu en France (et le reste de l’Europe), et les immigrés qui y sont venus étaient installés dans ces cités des banlieues. À la fin des années soixante-dix le chômage s’est répandu comme le résultat d’une crise économique (Baudin & Genestier, 2002 : 36) et il a avant tout touché les immigrés des banlieues, ce qui a abouti à une grave dissolution de la vie sociale car le trafic de drogue et d’autres sortes de criminalité se sont propagés en raison du chômage. Au début des années quatre-vingts il y eu des morts de quelques jeunes immigrés auxquelles la police était mêlée mais jamais en punie, ce qui a entraîné des manifestations et des émeutes du part des jeunes. De plus, la mort de Malik Oussekine en 1986, exécutée par des policiers, avait des conséquences politiques considérables. (Site Internet: 5) Bref, plusieurs incidents violents entre les jeunes des banlieues et la police se sont passés depuis les dernières vingtaines d’années (Roussel : 2), et la tension entre ces deux côtés s’est aggravée de plus en plus et s’empire toujours. Tout cela a contribué à faire des banlieues " des quartiers sensibles " comme on les appelle, avec un euphémisme, aujourd’hui. 4.2 La source du problème Pour comprendre la tension entre les jeunes et la police il faut essayer de comprendre la frustration des jeunes banlieusards et à ce propos il faut se rendre compte de 22 quelques conditions factuelles. D’abord, le chômage parmi les jeunes des banlieues est de 27% à 54% aujourd’hui (Site Internet: 3) et il ne semble pas s’abaisser, puisque la discrimination ethnique et sociale sur le marché du travail envers ces jeunes continue à être la norme plutôt que l’exception (Roussel : 2). La plupart entre eux n’ont donc rien à faire dans leur vie quotidienne, ils ont peu de moyens financiers et ils s’isolent de plus en plus dans les cités sachant que leur avenir est selon toute probabilité sans espoir et que la reste de la société ne les apprécie pas. 4.3 Les émeutes de 2005 et le rôle des médias Dans ces conditions tendues, il n’est pas étonnant que les morts de deux jeunes immigrés dans Clichy-sous-Bois en 2005, causées indirectement par quelques policiers, étaient la goutte qui faisait déborder la vase et aboutissaient aux émeutes les plus étendues jamais vu en France. (Roussel : 5) Nous n’allons pas aborder ces événements dans les détails, par contre il serait intéressant de s’arrêter un peu à la médiatisation qui les a suivi. Pendant les semaines des émeutes de l’automne de 2005, non seulement les medias de la France mais aussi les medias internationaux ont traité ce qui se passait avec une telle attention et intensité qu’il était impossible de passer un jour sans y entendre parler ou voir des voitures brûlées à la télé. Il est évident que la rhétorique du part des journalistes pendant cette période violente était marquée d’une certaine quantité de mots et descriptions plutôt négatives. C’est surtout quand on parle de jeunes et non la police que le ton devient négatif. En outre, comme la plupart des médias ne se sont jamais occupés du contexte historique aboutissant aux émeutes de 2005 mais toujours favorisant des nouvelles à sensation et avec un effet de choc, ils ont, selon Roussel, aidé à approuver l’assertion fait du gouvernement à ce moment-là : que ces émeutes étaient un phénomène nouveau, jamais vu avant en France ; ce qu’une brève vue sur l’historie réfute. (Roussel : 2) À cet effet, les médias ont joué un rôle important pour 23 établir un sentiment général de crainte chez le peuple français, ce qui a permis au gouvernement (plus précisément Sarkozy) d’introduire l’état d’urgence. Ainsi, il a pu traiter la situation comme un incident dramatique mais pourtant isolé, au lieu de se focaliser sur les raisons sociales provoquant les bagarres. Il est bien probable que la médiatisation pendant les émeutes de 2005, aussi bien que celle d’aujourd’hui, a ajouté à confirmer une image unilatérale et outrée des banlieues, aussi bien chez le spectateur que chez les jeunes des cités. Roussel insinue même que les jeunes, en voyant les actualités pendant les émeutes, ont pensé d’avoir une renommée à défendre (Roussel : 11). 4.4 L’avenir des banlieues Le Monde décrit l’état actuel des banlieues ainsi: " Deux ans plus tard [les émeutes de 2005] la désespérance de ces quartiers et la tension entre la population et la police n’ont pas régressé. " (Le Monde : Éditorial) Malgré les promesses économiques des politiques, à peu près rien n’a changé, (Le Monde : Deux ans après) ni les conditions purement physiques et extérieurs des cités, ni les rapports entre les jeunes et la police – celle-ci étant l’ennemi aux yeux de beaucoup de jeunes et le symbole de l’État le plus présent dans les banlieues. En définitive il semble que les conditions sociales et économiques dans les banlieues n’ont pas beaucoup amélioré depuis les premières émeutes il y a 30 ans. Il est devenu de plus en plus difficile et impayable de trouver un logement pour ceux appartenant aux " milieux populaires. " (Le Monde : Deux ans après) et le chômage reste énorme. Celui-ce forme, avec la discrimination répandue, un des menaces les plus grandes contre les banlieues et leur intégration dans le reste de la société française. De plus, la politique de " tolérance zéro " du président Nicolas Sarkozy (Roussel : 7) ne semble que d’avoir contribué à tracer les lignes entre les deux côtés et de renforcer les jeunes émeutiers dans leur opposition à l’État. De ce fait, il ne serait pas surprenant si des 24 émeutes comme celles vu il y a deux ans vont se répéter dans un avenir prochain. 25 5. La Haine 5.1 Présentation du film Pendant les émeutes de nuit un jeune banlieusard, Abdel, est blessé à cause d’une bavure policière. Les trois amis Vincent, Hubert et Said décident de lui rentre visite à l’hôpital ce qui engendre l’arrestation de Said. Vincent a trouvé un pistolet perdu par la police pendant les émeutes et obsédé par l’incident d’Abel il a décidé de tuer un policier si Abdel meurt. Après avoir visiter Astérix à Paris pour obtenir l’argent de Said les trois amis sont interpellés par la police. Vincent arrive de s’enfuir tant que Said et Hubert sont exposés d’un traitement corrompu par la police. Les trois amis se retrouvent sur le quai après le départ du dernier train. Ensuite ils s’introduisent dans une réception d’une galerie d’art mais sont vite fait expulsés à cause de leurs comportements déviants. Plus tard ils évitent à peine encore une arrestation en train de voler une voiture pour après tomber sur une bande de skinhead. L’un de skinhead se fait menacer par Hubert qui, fou de rage, vient d’apprendre le mort d’Abdel. Quand ils enfin retournes dans la cité ils rencontrent encore une patrouille de police. Hubert qui vient de donner le pistolet à Hubert se fait tuer par un policier accidentellement. Cela provoque Hubert à saisir le pistolet de Vincent (que Vincent vient de lui donner) et le viser sur le policier qui a tué son ami. Puis, écran noir et un autre coup de feu. 5.2 Mathieu Kassovitz Né à Paris d'une mère monteuse et avec un père cinéaste, Mathieu Kassovitz n'appartient évidemment pas à la classe populaire. Son enfance est loin d'une enfance dans les banlieues. Pourtant, il les connaît et il a des amis qui y habitent (La Haine 10 ans après). Ainsi, ce ne sont pas un univers complètement inconnu. En outre, avant le 26 commencement du tournage du film, Kassovitz a habité avec toute l'équipe du film dans la cité où ils ont filmé. Le but était de vraiment comprendre comment la vie se déroule dans une cité sans des divertissements et sans la possibilité d'aller souvent à Paris. Cette méthode de préparation est américaine et pas courant en France. C'est une méthode qui les a fait sentir le climat de la cité. Comme le dit Vincent Cassel, qui joue le rôle de Vinz: "Au debut, je suis rentré les week-ends parce que c'était trop déprimant" (La Haine 10 ans après). Cette remarque montre de quelle manière le style de vie des acteurs, mais aussi du réalisateur, est loin de celle de la cité, ainsi qu'elle souligne comment le séjour les a habitué à cette vie. L'incident qui a incité Kassovitz à faire le film était la mort d'un jeune immigré appelé Makomé. Étant enchaîné à une chaise, il a pris une balle dans la tète, lorsqu'il était interrogé par la police. Pour Kassovitz, cet épisode était le symbole de toutes les bavures policières qui avait eu lieu notamment après l'affaire de Malik Oussekine en 1988. Kassovitz a commencé à tourner le film parce qu'il était fâché et il se demandait comment on pourrait aboutir à ce qui était arrivé à Makomé tandis qu'au policier (La Haine 10 ans après). D'autre part, le souhait de Kassovitz était de représenter la voix des jeunes au cinéma puisque des films comme cela n'existaient pas à l'époque (La Haine 10 ans après). Kassovitz n’a pas voulu faire un film violent mais un film politique. Il pense que très peu de réalisateurs français traitaient des problèmes sociaux. En conséquence, il a pris pour modèle des films américains qui expriment des idées sur l'époque actuelle en même temps que c'est du cinéma. Néanmoins, ce n'est pas un film sur la vie en générale dans les banlieues. Kassovitz a désiré de montrer une historie qui pourrait se passer par rapport à un moment fort qui est, donc, les émeutes et l'épisode d'Abdel. 27 Ainsi, il s'imagine l'intrigue de La Haine en disant: "c'est ma vérité que je veux faire. Peu importe si j'ai raison" (La Haine 10 ans après). 5.3 Vinz La haine qu’a Vincent envers le système et sa façon de l'exprimer, deviennent évidentes au cours du film. Vincent est juif mais cela n’est pas un fait auquel il attache beaucoup d’importance, au contraire. En fait, le spectateur ne s’en rend compte que à cause des paroles de sa grand-mère qui incite son petit fils à fréquenter la synagogue et de la brève vue que l’on a de son appartement où il se trouve parmi d’autres objets un chandelier à sept bras. C’est évident qu’il n’est point du tout religieux et que les valeurs et règles auxquelles il se conforme sont fondées sur d’autres choses que le judaïsme. Dans son monde, du capital symbolique ne s’acquis pas en étant ‘un bon juif’, même s’il garde un certain respect envers sa grand-mère et sa soeur. Il aime se comporter comme un ‘dur à cuire’. Tout d’abord, ses amis ne l’appellent pas Vincent, mais seulement ‘Vinz’, et le fait qu’il porte une bague représentant ce prénom témoigne de son orgueil. On peut presque s’imaginer comment il peut se laisser sa signature aux visages de ses ennemis par un coup de poing. Puis, la scène à laquelle il se parle dans le miroir tout excité - une référence forte et sûre à Robert de Niro dans " Taxi Driver " : C’est à moi tu parles ? C’est à moi tu parles ? (La Haine : 09.28) (You talkin’ to me ? You talkin’ to me ? ) - souligne son image de soi d’un homme rude. La référence à Hollywood n’est pas sans intention. Peu à peu, le monde dans lequel Vinz se trouve, se manifeste pour le spectateur ; un monde quasi imaginaire et très inspiré de la fiction et des Etats-Unis et leurs films. Une scène qui démontre la fascination probablement inconsciente de Vinz se trouve aussi au début du film. Les 28 trois amis parlent des événements nocturnes auxquels Vinz a participé comme le seul des trois et il en est visiblement fier. Quand Saïd exprime sa manque de compréhension vers la participation aux tumultes Vinz lui répond : " C’est la guerre [...] live and direct, et tu ne le comprends pas ! " (La Haine 13.43) Un peu plus tard au film les trois amis se trouvent chez une de leurs connaissances, " Darty ". À sa télé ils regardent les actualités qui traitent les épisodes de la nuit et tout d’un coup ils reconnaissent un des leurs amis qui a été filmé par hasard. Cela provoque presque une sorte d’envie, de la jalousie de la part de Vinz qui s’irrite que ce n’est pas lui à l’écran - quelque chose qui aurait été bien possible comme il était juste à coté du filmé, après ce qu’il dit (La Haine 22.23). Or, on a l’impression que Vinz, inconsciemment, se croit acteur dans un film où les bons sons les jeunes de la cité et les méchants sont la police et la force publique. En plus, à Paris Vinz joue le rôle de spectateur deux fois. D’abord quand il entre dans un cinéma (sans billet, bien sûr) et y voit un film violent. Ce cinéma est un champ dans lequel il ne sait clairement pas se comporter selon le norme : il fume ouvertement, ce qui énerve et indigne une femme qui est là avec son fils. Alors, l’habitus de Vinz se manifeste et est établi comme tout à fait inconvenant dans la situation. Ensuite il assiste à un match de boxe qui était le but pour aller à Paris en premier lieu. Dans les deux cas il a l’air passif et las et les scènes étayent l’image de Vinz comme consommateur des divertissements et de la fiction. Selon Bourdieu, il est caractéristique que la classe dominée se trouve aussi soumise dans sa consommation de culture où elle est diverti et passive en comparaison à l’artiste exerçant qui forme la part dominante grâce à son titre d’expert sur la culture en question ; dans ces cas les acteurs du cinéma et les boxeurs. Un autre fait qui contribue à établir l’image qu’a le spectateur de Vinz comme quelqu’un entouré d’illusions et visions et ainsi avec un jugement contestable est qu’il proclame plusieurs fois d’avoir vu une vache. Cette vision est tout d’abord une hallucination étant donné qu’il consomme trop de hachich mais le fin tragique du film 29 nous fera comprendre que la vision est aussi un mauvais présage. En effet, dans la coutume juive, le fait de voire une vache annonce une mauvaise nouvelle. L’attaque d’un policier au Abdel, qui de ce fait se trouve dans le coma, est quelque chose que Vinz prend à coeur et qui pour lui devient le symbole même de " eux versus nous ", ‘eux’ étant la police, ‘nous’ les jeunes de la banlieue. Vinz ne cesse d’accentuer le ‘nous’ et la solidarité qui doit nécessairement le suivre mais son allégation est beaucoup contestée de ses amis qui ne voient pas une amitié solide entre tous les jeunes de la cité d’autant que Vinz. Mais comme le disent même Saïd et Hubert, personne entre eux n’ont en effet connu Abdel, et pour Darty il est très difficile de reconnaître une appartenance à un ‘nous’ qui admet aussi les jeunes qui ont brûlé sa voiture et, d’après ce qu’il dit, l’ont ruiné. Le sentiment de solidarité de la part de Vinz est un trait de la classe ouvrière et il et donc le seul parmi les jeunes à l'exprimer. Vinz est seul à penser que c’est une bonne idée de venger Abdel mais l’opposition de ses amis ne fait que renforcer sa conviction et il s’obstine de plus en plus. Après avoir trouvé le pistolet perdu d’un policier la veille il a un instrument pour réaliser cette vengeance. En effet, celle-ci exprime le principe judaïque de ‘oeil pour oeil et dent pour dent’ de l'Ancien Testament. La fierté est vraiment cruciale pour Vinz et réside dans son habitus. Quant à la provocation d’Astérix il n’a en réalité pas le choix s’il veut éviter de perdre la face. Il faut que Vinz joue selon les règles d’Astérix pour qu’il puisse obtenir du capital symbolique (donc, le respect) ce qu’il s’assure facilement en montrant le pistolet et son savoir de celui. Alors, dans ce cas l’habitus de Vinz et celui d’Astérix vont bien ensemble. Sa fierté se manifeste plusieurs fois, par exemple quand il refuse de donner la main au policier ‘immigré’ en dépit du secours de celui-là qui avant tout représente la 30 police pour Vinz. Dans son monde on est soit pour les uns, soit pour les autres, il n’existe rien au milieu et ce policier ne peut que représenter un des deux côtés, alors celui de la police. Sous ses apparences endurcies il se cache quelqu’un vexé et abattu en raison de la situation plus ou moins désespérée des jeunes de la cité. À Paris, dans des toilettes, Vinz et Hubert se disputent et Vinz exprime sa forte indignation concernant leur vie : " on est là on vie dans les trous comme des merdes quoi" (La Haine 49.52) et il est visible qu’il se sent extrêmement mal traité de la société au nom de toute la cité et ses habitants. En effet, Vinz appartient à la classe dominée et il déteste la domination existante. Pourtant, cette aversion n’est pas le résultat d’une réflexion profond de sa part, elle est plutôt quelque chose qu’il éprouve inconsciemment. Sur le toit d’un immeuble à Paris Vinz avoue à Hubert qu’il se sent souvent perdu et petit : " putain, je me sens comme un petit fourmi perdu dans l’univers " (La Haine 01.23.00) Cette déclaration semble sincère et franche et combinée avec la critique sociale rendu du film elle nous fait éprouver de la sympathie pour Vinz en comprenant la situation appauvri dans laquelle il, et son entourage, se trouve. C’est aussi dans cette scène que le spectateur entend un peu le fondement de l’habitus de Vinz. Il lance une contre-attaque vers Hubert et ce qu’il conçoit comme un prêche sur ‘la savoir légitime’ de la part de ce dernier, en disant: " Moi, je suis de la rue, et tu sais ce que la rue m’a appris ". (La Haine 50.02) C’est donc la loi de la jungle qui est prédominante pour Vinz et les autres émeutiers, tous étant issus du même milieu et donc des mêmes circonstances et conditions et ainsi agissant selon le même habitus. Le personnage de Vinz se développe. Pendant les heures qui se passent depuis son évasion de la police à Paris il a appris quelque chose d’importance sur lui-même. Malgré sa conviction du contraire il se trouve que son plan de vengeance n'était que des propos en l'air. Quand il assiste à l’exécution du videur d’une boîte de nuit, sa 31 réaction est vue de près et son visage n’exprime que du choc et horreur. Un peu plus tard, il aura la chance de tirer sur un skinhead à peu de distance mais l’acte lui est impossible. Tout d’un coup son ‘film’ s’est réalisé et c’est à ce moment là qu’il se réveille du songe. On n’est ainsi pas surpris du fait qu’il donne le pistolet à Hubert en retournant à la cité le matin. Il est clair que Vinz a appris sa leçon et cela le rend plus difficile de trouver la fin du film, et son destin, juste. Le conflit principal dans La Haine se déroule autour du désir de vengeance de la part de Vinz. Son comportement destructif représente les sentiments des émeutiers et son rôle est ainsi de représenter cette partie des jeunes des banlieues. 5.4 Hubert Hubert se distingue des autres jeunes de la cité. Un aspect important de son rôle dans le film est justement de faire une opposition aux autres et principalement à Vinz. En quelque sorte, Hubert est le chef des trois personnages principaux. Les autres le suit, et c'est lui qu'ils demandent à répondre à toutes leurs questions. Les autres pensent qu'il a plus de savoir qu'eux. Pour citer un exemple nous prenons l'incident avec la journaliste où Hubert leur demande "Pourquoi vous descendez pas? On est pas à Thoiry ici". Ensuite, Vinz répète qu'ils ne sont pas à Thoiry mais après que les journalistes sont partis il demande à Hubert ce que c'est. Cela montre comment les autres l'imite sans réfléchir eux-mêmes. En outre, Hubert joue le rôle du chef dans plusieurs situations. En conséquence, il dit aux autres comment agir mais il essaye aussi de les protéger. Un trait de caractère qui lui sépare des autres est son ambition d'échapper de sa situation sociale. D'échapper de la banlieue: 32 Hubert: "j'en ai marre de la cité, j'en ai marre. Je vais partir d'ici. C'était pas pareil avant. […] Il faut que je parte. Il faut que je parte d'ici" Sa mère: "ramène-moi une salade"(La Haine 30.01). Cette remarque signifie qu'elle ne pense pas que ce soit possible. De même, ni Vinz ni Saïd médite la possibilité de partir. Selon Bourdieu ce manque d'ambitions de sortir de sa couche social est significatif de la classe dominée. Hubert manifeste donc des traits de caractère qui d'habitude se trouvent chez la classe moyenne. Sa possibilité de partir des cités se trouverait vraisemblablement dans sa carrière de boxe. La première fois qu'il apparaît dans le film, il est en train de boxer sur un punching-ball dans une salle détruite à cause des émeutes. Accrochée au mur est une affiche d'un match de boxe avec Hubert. Cependant, l'affiche est arrachée à moitié. Cela symbolise sa carrière qui comme la salle de boxe est partiellement détruit. En fait, il exprime un coté plus cynique qui montre que bien qu'il ait des ambitions de partir, il n'y croit quand même pas complètement. Par Vinz on apprend qu'il a lutté pour avoir la salle qui a été brûlé. Hubert fait remarquer que de toute façon il savait qu'elle " de toute façon je savait qu’elle est parti enfumée un beau jour (La Haine 11.58). Par cela il dit que même s'il a lutté pour obtenir cette chance de pouvoir partir, il savait que ce n'était pas possible. Pour Hubert, les émeutiers détruisent plus qu'ils gagnent par les révoltes. Cependant, durant le film on comprend que sa résistance à la violence n'est pas seulement fondée sur cette frustration. La raison pour laquelle il se distingue est principalement qu'il est allé à l'école. Il le dit explicitement à Vinz: "Si tu étais allé à l'école, tu saurais que la haine attire la haine" (La Haine 50.43). La base de sa répulsion contre la violence se fait donc entre autres choses par le capital scolaire qu'il possède. En effet, ce capital scolaire peut entraîner la propension à réflexion et c'est surtout cet aspect qui lui sépare des autres. Ainsi Vinz s'écrie: "il réfléchit trop ce canard" après un dispute entre les deux. Selon Vinz, la réflexion d'Hubert n'est donc pas à préférer au pistolet. Cette capacité de réfléchir fait la base d'une connaissance plus profonde. Il cite un 33 poème concernant un mec qui tombe dans un immeuble. Le message du poème est que "l'important c'est pas la chute, c'est l'atterrissages" (La Haine 01.22). Hubert continue en disant que c'est pareille qu'eux et leur situation. Cela montre justement qu'il a fait des pensées concernant sa situation. À cause du capital scolaire et la capacité de réfléchir sur la situation, Hubert se montre donc en désaccord sur la violence des émeutiers. Le pistolet que Vinz a trouvé symbolise la violence destructive. Par rapport à celui une différence sans fond se présente de sorte que Vinz est à l'encontre de Hubert. Ce dernier est vastement contre l'idée du pistolet. Quand Vinz le leur montre, Hubert se fâche et demande s'il croit que cela va aider (La Haine 26.45). L'opposition entre Vinz et Hubert concernant ce sujet est essentielle durant tout le film. Ainsi, le dissentiment entre Hubert et Vinz représente des différentes opinions des jeunes par rapport à la violence. Le fait que Hubert est en quelque sorte le chef et que les autres l'imite et l'écoute s'oppose au fait qu'ils ne le font pas quand il s'agit du pistolet et donc des émeutes violentes. Cette opposition s'explique par leurs habitus. Concernant le pistolet Vinz ne l'écoute pas puisque les conseils sont fondés sur la réflexion qui ne fait pas part de l'habitus de Vinz. La différence d'opinion se manifeste plusieurs fois quand Hubert essaie d'empêcher la violence. Il dit qu'il ne veut pas être impliqué des affaires du pistolet et que Vinz est tout seul. Néanmoins, il aide Vinz quand il en a besoin. Un exemple frappant est l'affrontement entre Vinz et Astérix. Les deux se visent l'un l'autre avec les pistolet et Hubert se place entre les deux de telle sorte qu'ils visent à lui. Il semble que Hubert est le seul à reconnaître la gravité de la situation, tandis que les autres le conçoivent comme une sorte de jeu avec le but d'obtenir du capital symbolique (Vinz, 5.3). 34 Ensuite, on peut retrouver cette même situation autre part dans le film, mais dans une perspective plus grande. Pendant un affrontement entre la police et un groupe des jeunes, Hubert se place au milieu en essayant de les arrêter. Il essaye de retenir physiquement les jeunes pendant qu'il crie aux agents de police qu'ils doivent s'en aller. Cette situation ressemble beaucoup à l'épisode chez Astérix. En mettant les deux ensemble nous voyons que Hubert souhait arrêter les conflits violents sur tous les plans. Il est l'intermédiaire entre les groupes qui par la haine créent des situations dangereuses qui, selon lui, ne servent à rien. La raison pour laquelle Hubert ne réagit pas de la même manière que Vinz et les autres jeunes est qu'il ne pense pas de l'honneur de la même manière. Encore un trait de caractère que l'on pourrait expliquer par son niveau de réflexion plus élevé. Ainsi, il demande à Vinz s'il pense que c'est glorieux d'aller à la prison (La Haine 16.48). Cet exemple montre que Hubert a toute une autre manière de concevoir les choses. Et encore, ce n'est pas seulement en comparaison avec Vinz que cette opposition se manifeste. Saïd dit que la raison pour laquelle il voudrait récupérer l'argent d'Astérix n'était pas la somme en soi, c'était à cause du principe. À cette remarque Hubert exprime son désaccord en répétant "le principe" avec une intonation sarcastique (La Haine 01.10.54). Ainsi, Hubert n'est pas d'accord avec ni Vinz ni Saïd. L'enjeu ici est le capital symbolique. Pour Hubert, ces sortes de choses ne le donne pas. Même si les trois parviennent des cités Hubert a donc une différent conception de ce qui donne du capital symbolique. En dépit de ses ambitions et de sa résistance à la violence, l'évolution du film va montrer qu'au fond il n'est pas aussi différent que les autres. Bien que son habitus se distingue de celui qui en gros réunit les autres jeunes, et bien qu'il ait des ambitions de partir de la cité, il ne le puisse pas. Il vient de la cité. Il est marqué des mêmes événements et des mêmes conditions sociales que les autres. La scène dans la galerie 35 le montre assez prononcé. D'abord il s'adresse très poliment aux filles au contraire de Saïd qui leur parle très directement dans une manière qui ne convient pas du tout à la situation. Cette différence manifeste que Hubert sait mieux comment se comporter. Toutefois, la scène abouti à une sorti de Hubert qui expose son habitus de banlieue lorsqu'il crie et détruit un objet en le renversant " vous allez tous niquer vos mères " (La Haine 01.15 20). Le fin du film où Hubert et le policier se visent l'un à l'autre souligne le plus évidemment possible, l'impossibilité d'échapper de son habitus car il finit par réagir de la même manière que les autres jeunes, c'est-à-dire par la violence. Et encore, cela est aussi l'affirmation de ce qu'entraîne la haine entre la police et les jeunes. Son rôle dans le film est de montrer comment les émeutiers, ainsi que la police, empêchent la possibilité d'améliorer la situation. Il montre que ce n'est pas nécessairement les jeunes émeutiers qui ont raison par rapport à la police. Toutefois, son rôle est aussi la manifestation du fait que les jeunes ne peuvent pas réagir autrement à cause de leurs habitus. 5.5 Saïd Toujours habillé en survêtement Saïd semble d’être plus jeune que Hubert et Vinz au niveau du comportement ainsi qu’il est aussi plus petit en taille que les deux autres. Quand il essaye d’impressionner ses deux amis en racontant qu’il a " niqué " (dans le sens fait l’amour) une fille, Vinz se moque de lui en disant que la seule chose qu’il a niquée c’est le vent (La Haine 19.07). Ce qui porte à croire qu’ils ne prennent pas très au sérieux ses histoires. Saïd n’est pas la personne de qui Hubert et Vinz demande des bons conseilles pourtant ils sont tous les deux très attachés à lui. 36 On peut dire que Saïd est le 'petit frère' des deux autres, tout le temps en train de jouer, raconter les blagues et de faire des bêtises. Quand ils montent sur le toit il pique une merguez et parle avec les autres jeunes sur le toit tant que Hubert et Vinz discutent entre eux, ce qui donne l’image de l’enfant en train de jouer avec ses amis quand les adultes parlent. La même chose se passe quand les trois amis se retrouvent sur le toit à Paris : Hubert et Vinz parlent sérieusement entre eux alors que Saïd explore le toit et trouve une bombe. Il y a deux scènes dans La Haine qui sont pratiquement identiques, filmés à la toilette de Vinz où d’abord Vinz et puis après Saïd imitent des personnages dans la glace. Ces scènes soulignent la différence entre les deux personnages et l’image qu’ils ont d’eux mêmes. Vinz, le rebelle, s’imagine Robert de Niro dans Taxi Driver alors que Saïd imite inspecter Canardo, personnage de bande dessinée, un détective privé, l’alcoolisé et l’antihéros. Ces deux scènes montrent aussi leur façon de voir la vie : Vinz la prend très au sérieux alors que Saïd essaye d’y parvenir avec de l’humour et de l’ironie. Bien que Saïd soit un jeune facile à impressionner il est aussi conscient de sa position : " un arabe dans un commissariat tient pas plus qu’une heure " répond-t-il au policier quand celui-ci leur explique qu’un policier ne peut pas tenir plus qu’une mois dans les banlieue (La Haine 32.36). Ses origines tant qu'immigré donne la place la plus basse dans l’hiérarchie. Bien qu’il accepte cette position parce qu’il ne peut rien faire pour la changer, il se sent à son tour marqué par la haine quand il frappe le skinhead suite à un épisode violent avec ce groupe. Le tague, que fait Saïd, sur le camion de la police au début du film montre que les émeutes ne sont qu’un jeu pour lui. 37 Quand il voit comment ils ont détruits la salle de sport de Hubert il s’occupe plus de savoir comment ils ont fait rentrer les voitures que l’essentiel : les ravages et le rêve brisé d’Hubert. Pour Saïd les émeutes sont une perte de temps, risque d’être exposé au gaz lacrymogène et de finir en prison pour ne pas parler des réactions de la famille (La Haine 13.39). En gros il est plus important pour Saïd de récupérer son argent que de se battre pour un gars qu’il ne connaît pas personnellement. Saïd a du mal à se faire respecter et non seulement par ses amis. En voyant sa sœur avec ses copines quand elle devrait être à l’école il se met en colère et il commence à l’engueuler avec un succès médiocre. La menace de le dire à leur père ne lui aide pas non plus et il finit par abandonner. Apparemment celui qui emporte le plus de respect dans la famille c’est le frère. Cela se voit quand Saïd est libéré après quelques heures au commissariat : " Je l’ai pas fait pour toi mais pour ton frère, imbécile, j’ai pas envie qu’il te coupe en morceau.. " lui dit le policier aussi d'origine maghrébine. Saïd accepte encore une fois son sort et le ton péjoratif du policier avec une remarque à voix basse " je t’ai rien demandé, moi ". La fonction essentielle de Saïd dans La Haine est d’intervenir quand Hubert, le plus raisonnable, et Vinz le rebelle ne sont pas d’accord. L’exemple incontestable est quand ils se trouvent aux toilettes à Paris où l’image est carrément coupée en trois parties par les portes des toilettes avec Saïd au milieu. " Dit à ton pote que j’ai jamais dit que j’ai voulu tuer un flic " (La Haine 49.20) dit Vinz en s’adressant à Saïd. Hubert et Vinz ne se parlent pas directement mais parlent à travers Saïd. Il a du mal comprendre ce qu’il se passe entre le deux amis et il a du mal à choisir son côté, il est tantôt au côté de Vinz tantôt au côté de Hubert. 38 Sa fonction en tant que l’intermédiaire se démontre aussi par le fait qu’il est souvent placé physiquement entre ses deux amis quand ils sont ensemble tous les trois. Saïd possède une capitale culturelle et économique peu élevé il n’y a pas de doute qu’il appartient à la classe dominée mais son habitus est moins explicite que celui d’Hubert et de Vinz parce que son personnage a la naïveté et l’innocence d’un enfant. Néanmoins dans la dernière scène du film il est confronté à la gravité de la situation quand il voit son ami, Vinz, tué par un policier. On ne parle plus d’une personne qu’il ne connaît pas et il ne peut plus échapper de prendre sa propre position sur la vie. 5.6 La police La police joue un rôle important dans La Haine car tout le conflit est fondé sur les affrontements entre la police et les jeunes des banlieues. Cela devient clair déjà dans la scène d'ouverture, qui est composée des prises de vues authentiques des affrontements dans les cités. Les évènements se déroulent sur l'écran comme une véritable guerre où la police lance du gaz lacrymogène et les jeunes jettent des pavés et objets similaires et ils renversent et brûlent des voitures. À un moment donné on voit une plaque sur laquelle est écrit: "La police tue"(La Haine 03.37). Cette phrase est significative de l'action du film, de sorte qu'Abdel meurt à cause de la police. En outre, cela renvoie aux bavures policières comme par exemple l'affaire de Malik Oussekine et de Makomé M'Bowolé. En effet les jeunes se réfèrent à Oussekine autre part dans le film. Les extraits sont accompagnés de la chanson " Burnin' and lootin " de Bob Marley. Cela entraîne des associations aux mouvements de révolte patriotiques. Tout d'abord, ce que voit le spectateur est donc une guerre entre un mouvement de libération et une police qui tue. 39 L'action principale est fondée sur la haine des jeunes contre la police. Les épisodes sont vus de l'angle des jeunes et la police joue donc le rôle de l'ennemi. En outre, la police est la force de l'ordre, elle est la puissance d'État. Et encore, parmi les représentants de l'État, elle est l'instance le plus visible dans les banlieues. En gros, la haine qu'ont les jeunes se focalise justement contre cette instance du régime et ne pas seulement contre l'agent qui a tiré sur Abdel. L'attitude des émeutiers se manifeste à travers la phrase de Vinz: "si Abdel meurt, je vais tuer un keuf" (La Haine 50.04). C'est la division en deux groupes, qu'il souligne. De premier abord, il s'agit donc d'un conflit entre les jeunes et la police, donc les bons et les méchants. Toutefois, dans les scènes où les trois jeunes s'entretiennent avec des policiers, l'image de ces derniers est personnalisée. À travers ces images, nous voyons des agents de police qui ne sont pas tous pareilles. Ainsi, les descriptions nuancent la première présentation de la police, décrite ci-dessus, même si ces personnages représentent toujours l'ennemi pour les jeunes. En effet, nous voyons que bien qu'ils fassent partie du groupe de la police, les agents ont des différents habitus. Ci-dessous, nous allons décrire trois scènes qui manifestent comment les policiers sont décrits avec des différents habitus. 5.6.1 La police inexpérimentée Un rencontre direct entre les personnages principaux et la police se fait quand les jeunes vont voir Abdel à l'hôpital. Ils sont interdits d'entrer par un jeune agent de police. Cet agent souligne qu'il ne peut pas les laisser passer, parce que c'est son travail et qu'il risque d'être viré (La Haine 28.28). Ce qui est important pour lui est donc de s'occuper de son travail qui consiste à protéger la famille d'Abdel. En plus, il balbutie un peu et c'est clair qu'il n'aime pas la situation. Il ne comprend pas pourquoi les jeunes n'acceptent pas son ordre et donc son autorité. Cependant, les jeunes ne 40 l'acceptent pas parce qu'ils sont venus avec l'idée d'aller voir leur ami et pour eux c'est ce qui compte. Ce n'est pas dans leur habitus de se soumettre à tout ce que dit la police. Il s'ensuit que les règles qui fonctionnent d'habitude sont mises de côté et c'est cela que le policier ne comprend pas. La raison peut se trouver dans un remarque d'un autre policier quand il dit qu’un jeune flic débutant ne tiendra pas plus qu’un moins (La Haine 32.36). Alors, c'est probable que le policier à l'hôpital est justement un de ces nouveaux agents qui ne comprennent pas les règles du jeu dans les banlieues. Enfin, la situation abouti à l'arrestation de Saïd. Pour maintenir l'autorité et ainsi le rôle de domination la police est forcée d'utiliser cet instrument de pouvoir. 5.6.2 La police remplie de haine Dans une autre scène il y a une description des policiers qui se distingue de celle que nous venons de décrire. C'est la scène où Hubert et Saïd ont été arrêtés à Paris et se trouvent sous la surveillance de trois policiers qui sont décrits d'une manière très négative. Les deux apprennent au troisième comment il faut traiter les jeunes des banlieues en humiliant et tourmentant leurs détenus. Un des policiers dit que le plus difficile est d'arrêter à temps. Cela peut être une référence à l'affaire de Malik Oussekine où la police ne s'est pas arrêtée à temps. La scène sert à accentuer la division en deux groupes, la police contre les jeunes. Or, la division se fait du point de vue des policiers. Ils traitent les jeunes d'une manière qui souligne que c'est leur ennemi. Évidemment, ce n'est pas seulement un travail pour ces agents de police. La haine contre les jeunes des banlieues est si incorporée dans leurs habitus, qu'ils ne les traitent pas selon le rapport qui devrait exister entre la force de l'ordre et les citoyens. C'est un rapport de domination en faveur de la police mais cela implique des droits de justice pour les citoyens. Cependant, le rapport que l'on voit dans cette scène est celui qui existe entre deux groupes qui se haïssent à cause des habitus qui sont trop différents 41 5.6.3 La police intermédiaire Le troisième agent de police que nous allons décrire est un policier qui en même temps vient de la cité et ainsi est un intermédiaire entre les jeunes et la police. Il est très intéressant parce que son habitus est composé des éléments qui figurent dans l'habitus des jeunes mais aussi dans l'habitus des agents de police. Il n'a pas la haine contre ni l'un ni l'autre groupe. Il essaye de faire un pont entre les deux. Ce qui le signifie le plus est la phrase: "Ceux qui l'ont fait [tiré sur Abdel] vont être punis. Les autres y sont pour le protéger" (La Haine 30.05). C'est une manifestation de sa croyance en le système exemplifié par son métier. Pourtant, cela engendre une exclusion du groupe parce qu'il n'est plus comme les autres. En somme, les personnages eux-mêmes soulignent leur appartenance à un groupe en s'opposant à l'autre groupe. C'est par la haine que cette division des groupes se fonde. Dans un premier temps la haine est causée par la différence d'habitus mais dans un second temps, la haine découlant de cela, devient une partie de l'habitus de chaque groupe. Enfin, il est question d'une spirale de haine qui sert à maintenir le rapport entre les deux groupes. 5.7 La famille Une des choses que Hubert, Vinz et Saïd ont en commun est le fait qu'ils habitent avec leur famille. Il est évident que tous les trois protègent l’honneur de celle-ci et qu’ils ont un sentiment de responsabilité envers elle. Leurs habitus leur ordonnent de la sauvegarder contre des attaques et menaces extérieures. Ils n’acceptent aucune offense verbale contre leurs familles et même si Vinz et Saïd sont proches on n’a pas l’impression que Vinz rigole quand il élève la voix envers Saïd : " Eh, tu parles pas à 42 ma soeur comme ça " (La Haine 08.39) même s’il est hors de doute qu’en effet Saïd ne fait que la taquine, jamais dépassant les bornes permises. Saïd, lui, non plus le prend pour une bagatelle quand le vendeur de merguez fait mention de la sœur de Saïd en faisant des gestes sexuels et provocants. La réaction de Saïd est clair: " Mais comment tu parles de ma soeur!? " (La Haine 14.59) Un exemple qui démontre le respect pour la famille est la scène au marchand où Vinz fait des courses pour sa grand-mère. Il s’énerve et s’excite car il n’a pas assez d’argent pour acheter les haricots rouges que sa grand-mère en a demandé et il est forcé de se contenter avec des haricots blanches et constate plein d’irritation que " je vais me faire déchirer par mamie parce qu’elle aime pas les rouges " (La Haine 36.54). C'est curieux que Vinz à la fois craint la réaction de sa grand-mère en raison d’un mauvais achat, en même temps qu’il parle de tuer un policier. L’exemple souligne la vénération qui existe pour surtout les membres plus âgés de la famille. Pourtant, le respect en question ne vaut que pour la famille – il ne s’agit pas d’un respect pour la génération âgée en général comme le montre la façon impolie dont Vinz parle au marchand et aux autres clients âgés dans la queue. Le fait que l'honneur et le respect liés à la famille sont tellement importants pour les jeunes, pourrait indiquer que la famille est un des rares sanctuaires dans le monde de Vinz, Saïd et Hubert. Ils sont toujours rappelés du fait qu’ils appartiennent à la classe dominée. Pour cela, ils sont aussi rappelés de leur manque de valeur aux yeux du reste de la société, c'est-à-dire le manque du capital en toutes ses formes conforme à la culture légitime. Très peu de choses dont ils peuvent être fiers leur restent et parmi ces choses la famille tient le premier rang. 43 5.8 Le traitement scénarique de la narration Un élément qui rend l'expression du film artistique est le fait que le film est un noir et blanc. En outre, cela crée une ambiance déprimant d'un monde sans couleur et sans joie. Enfin, si nous voyons le noir et blanc au sens figuré, c'est une image d'un monde où tout est divisé entre les deux contrastes, le noir et le blanc, le mal et le bien, les méchants et les bons. Pourtant, c'est exactement ces contrastes qui sont contestés par l'action du film qui manifeste que l'on ne peut pas concevoir les émeutes comme une collision entre les méchants et les bons. Ainsi, la forme du film s'oppose au contenu. Cela souligne que les choses ne sont pas toujours comme ils apparaissent au premier abord. N'importe le forme extérieur il faut regarder le contenu. Beaucoup d'éléments servent à rendre le film réaliste. C'est une description d'un problème social et pour faire comprendre qu'elle parle de la réalité il faut qu'elle soit vraisemblable. Tout d'abord le film est tourné dans une cité réelle. L'entourage est donc les vrais immeubles de la cité au lieu des coulisses imitées. Ensuite, les scènes d'ouverture consistent en vraies émissions des actualités parlant des manifestations et des affrontements entre la police et les jeunes des cités. Évidemment, cela crée en quelque sorte le sentiment que l'histoire qui s'ensuit est vraie. Dès le début, on apprend que cela peut se passer réellement car ce sont des évènements dont on parle à la télévision. Enfin, il y a un exemple où la musique est utilisée d'une manière qui donne le sentiment que l'action est réelle. C'est la scène où Hubert est chez lui et il se bat avec soi-même sur la question du hachis. La musique accompagne ce combat. Soudain, la musique s'arrête puisqu'il éteint une stéréo et on comprend que la musique est réellement celle qu'il écoute. Au-delà des éléments réalistes, le film révèle aussi des caractéristiques très fictionnelles. Il y a par exemple de la réflexion de média. Saïd bat ses mains en essayant d'éteindre la lumière de la tour Eiffel. Puis, Vinz dit que cela ne marche que 44 dans les films et ils s'en vont. Toutefois, la caméra reste sur la tour Eiffel qui, en fait, s'éteint. Ainsi, le film montre aux spectateurs qu'il est conscient de son rôle fictif. D'autre part, le film fait aussi une sorte de mélange entre ce qui paraît réaliste et ce qui se montre très fictif. Tout l'univers dans la tête de Vinz semble à un certain degré irréel. Il prétend deux fois d'avoir vu une vache. La deuxième fois le spectateur le voit aussi, et cela semble étrange parce que ce n'est pas réaliste qu'il y ait une vache au milieu de la cité. Ainsi cela crée le sentiment d'un monde fictif et irréel. Pourtant, c'est probable que la vache se trouve uniquement dans la tête de Vinz. De plus, il y a l'épisode où il fait semblant de tirer sur un policier avec sa main. Tout d'abord le spectateur pense que Vinz a tiré sur le policier, mais ensuite on s'aperçoit que la situation est imaginée par Vinz. Ces deux exemples manifestent une limite entre la réalité et le monde irréel dans sa tête. Ainsi, cela crée le sentiment que ce qui se passe en dehors de la tête de Vinz est vrai et en même temps nous voyons que c'est un film fictif. Kassovitz l’explique l’ambiguïté par dire que " C’est une fiction très travaillée, pas un reportage sur ‘la vie des cités’ " (Site Internet: 6). 6. L'Esquive 6.1 Présentation du film Après la rupture avec sa copine, Magali, Krimo tombe amoureux d’une amie de sa classe, Lydia, à qui il prête dix euros pour acheter son costume de théâtre. Lydia, Rachid et Frida montent avec l’aide de leur professeur Le jeu de l’amour et du hasard, une pièce de théâtre de Marivaux. Pour se rapprocher de Lydia, Krimo échange quelques affaires avec Rachid pour qu’il lui cède son rôle d’Arlequin. Entre-temps Fathi, l’ami de Krimo, essaye de le réconcilier avec Magali. 45 Pour Lydia la seule chose importante est la représentation de la pièce de théâtre et, même si elle n’est pas insensible aux sentiments de Krimo, elle l’esquive et ne peut lui donner une réponse que plus tard. Apprenant que Krimo a abandonné son rôle Fathi décide de prendre les choses en main et exige de Frida qu’elle fait répondre Lydia. Ils se trouvent tous dans une voiture quand la police y met fin avec une intervention brutale. Krimo fait seulement une appariation à l’extérieur lors de la représentation publique de la pièce de Marivaux et quand Lydia va chercher Krimo chez lui, c’est à son tour de l’esquiver. L'un des thèmes principaux dans l'Esquive est l'amour, le premier amour important d'un jeune banlieusard. Puis suivent plusieurs autres thèmes comme par exemple celui de la vie quotidienne en banlieue parisienne ou celui du théâtre fait avec un professeur engagé et enthousiaste. 6.2 Abdellatif Kechiche Abdellatif Kechiche est né à Tunis et il est autant acteur que cinéaste. Les rôles qu’il a interprétés tourne autour de la problématique culturelle et de l’immigration. Il commence, en tant que réalisateur, à avoir le désir de donner une autre image sur des immigrés maghrébins que l’image donnée par le cinéma français qui présente, selon Kechiche, souvent des images stéréotypées. L’intention de Kechiche n’a pas été de faire un film sur les difficultés des jeunes adolescents en banlieue, ni un film sur la problématique de la confrontation avec la police. La représentation des immigrés était souvent celle du voyou ou celle de la victime. Etant lui-même immigré, Kechiche s’intéresse à ce qu’il connaît et surtout à donner aux jeunes immigrés une représentation plus juste. La façon caricaturale dont sont représentés les immigrés en France alimente, selon Kechiche, les discours de politique de l’extrême droite. 46 Avec L'Esquive Kechiche avait envie de montrer une cité autrement sans nier les problèmes des banlieues. Par exemple, la scène d’arrestation et de contrôle qui représente le quotidien pour les jeunes, exprime quelque chose qui se passe souvent dans la cité du Franc-moisin où est tourné le film. Kechiche se sent très attaché à la culture de la langue et en particulier celle de la banlieue : " Il y a une musicalité, une harmonie… on a l’impression d’un cafouillis mais il y a un vrai plaisir de la langue " (Site Internet: 2). L’utilisation de deux langues, celle des cités et celle de Marivaux, dans le film, peut à la première écoute sembler être la contradiction la plus totale. De même, cela peut rendre la langue des banlieues plus violente qu’elle est en réalité. Mais puisque les sentiments des jeunes dans leur vie quotidienne ressemblent à ceux des personnages de la pièce de Marivaux cela nous aide à démystifier la violence verbale et à comprendre que les sentiments des jeunes " ressemblent à ceux de tout le monde " (réplique de Lydia ainsi que Lisette). Le petit budget du film a eu une influence sur plusieurs points importants du film. Selon Kechiche, il était obligé de faire beaucoup de sacrifices personnels et toute l’équipe a dû travailler beaucoup avec très peu de moyens. C’était aussi de ces mêmes raisons du budget, que Kechiche a été obligé de tourner son film dans une cité en Seine-Saint-Denis. Il l’a choisi parmi d’autres choses pour son décor et sa lumière " Elle a quelque chose d’irréel. Je voulais l’utiliser comme un décor de théâtre " (Site Internet: 2). En voyant L'Esquive on sent que Kechiche aime ses personnage ainsi que la vie dans les banlieues qui pour lui n’est pas forcement une vie où la violence dépasse l’amour et les relations humaines. 47 6.3 Krimo L'Esquive raconte le parcours de Krimo, un garçon sensible et timide d’origine maghrébine, qui a du mal à s'exprimer, surtout quand il tombe amoureux de l’inaccessible Lydia de sa classe. Il habite avec sa mère dans un appartement dans la cité tandis que son père est en prison. Malgré le fait que Krimo ne va pas avec sa mère pour le visiter, ce père représente l’espoir d’avenir pour Krimo. Cela se voit par les voiliers à l’aquarelle faites du père que Krimo accroche sur les murs de sa chambre comme une signe d’autres temps à venir. Ils représentent son rêve, ces voiliers, sur lesquels il embarquera avec sa mère et son père, quand celui-ci sortira de prison. Au début du film Krimo ne se distingue pas beaucoup de ses amis qui se comportent d’une manière masculine et brusque. Krimo a une petite amie qui s’appelle Magali, aussi habitant dans la cité. Dans une des premières scènes du film elle rompre la liaison car elle pense que Krimo s’est comporté d’une façon absente et égale envers elle. La réaction de Krimo n’est pas notable et on a l’impression que la rupture ne le gêne pas. Peu de temps après il tombe amoureux de Lydia de sa classe qu’il a connu depuis longtemps et il oublie Magali. Ce n’est pas tout à fait clair s’il a été fasciné par Lydia avant la rupture avec Magali, et ainsi a causé son absence mentale envers elle, ou pas. En tout cas, Krimo tombe gravement amoureux de Lydia et le résultat est un changement radical de son comportement. Il ne sait pas comment attirer son attention et après quelques tentatives sans succès il se rend compte qu’il faut changer sa ‘technique de séduction’. Il faut la rechercher dans le champ où elle se plait et se soumettre aux valeurs auxquelles elle attache de l’importance et il s’ensuit donc que Krimo se jette dans le monde du théâtre qui pour lui est totalement inconnu et étrange, lui qui n'a jamais lu un livre de sa vie. De cet effet, il est hors de doute qu’il fait un grand effort pour s’y adapter (juste d’apprendre les répliques d’Arlequin a dû être extrêmement exigeant) et obtenir du capital symbolique aux yeux de Lydia. 48 Néanmoins, il ne réussit pas à avoir du succès et la raison pour cela est tout simplement que son habitus est trop défi dans ce champ et qu’il n’a pas le capital culturel exigé. En même temps, il y va de son honneur en face de ses amis et il se trouve ainsi dans une situation très pénible et exposée. Cela peut expliquer la réaction de Fathi qui n’aime pas voir son ami dans une telle état et qui se croit sincèrement une aide en réagissant de la seule façon qu’il connaît, donc physiquement. Quand Krimo entre dans le champ où est Lydia il s’éloigne en même temps de son champ habituel. Dans ce champ inconnu il se trouve soumit à Lydia. Comme le décrit l’ami de Fathi : " il se met à quatre pattes devant elle " (L'Esquive. 1.06.00 ) À un moment donné, l’essai de conquérir Lydia en jouant selon ses règles devient insurmontable pour Krimo. Il recourt à un moyen physique en l’attaquant à l’improviste avec un bisous pendant leur répétition, ce qui surprend Lydia d’une telle façon qu’elle perd la parole. Puis, Krimo la demande de sortir avec lui et il ne comprend pas du tout pourquoi elle ne peux pas lui répondre immédiatement. Selon lui c’est une question simple de oui ou non. Il a donc l’avis totalement opposé à celui de Lydia qui se demande du temps pour y réfléchir et cela démontre la grande différence entre leurs pensées et idées, donc leurs habitus. Portant, il est aussi une manifestation de la différence qui existe entre les sexes par rapport aux questions amoureuses. C’est l’habitus de Krimo qui est le plus représentatif pour les jeunes de la cité, comme la plupart de ceux-ci le trouvent étrange que Lydia a besoin de réfléchir. Enfin, l’épisode brusque avec la police et les jeunes est le sommet d’une période turbulente qui a commencé dés le moment où Krimo a tombé amoureux de Lydia et il marque une sorte de tournant. Il semble que Krimo accepte enfin que Lydia lui est inaccessible. Quand elle va chez lui et l’appelle de la rue dans la dernière scène du film il ne descend même pas. On pourrait dire que Krimo finit par reconnaître sa place (ou son classement) dans la société et que ‘qui se rassemble s’assemble’. 49 6.4 Lydia Lydia est pratiquement habillée en robe de théâtre pendant tout le film et représente à cet effet le féminisme ultime dans un monde où les filles parlent comme les garçons disant par exemple qu’elles ont des couilles. La représentation de Lydia a sûrement été la raison principale pourquoi Krimo tombe amoureux d’elle. On voit Lydia pour la première fois en train de marchander avec impertinence sa robe avec le couturier chinois du coin. Krimo lui prête dix euros pour payer la robe et l’accompagne pour aller répéter. Arrivant au lieu de répétition Frida regarde impressionnée la robe de Lydia et semble jalouse de la manière dont Lydia se comporte avec facilité dans le rôle de Lisette " je m’en fous des gens, je suis plus dans mon personnage avec ma robe " (L'Esquive 13.44) dit Lydia à quoi Frida répond que ce n’est pas une question d’apparence mais de talent. Lydia est effectivement très attachée à son rôle de Lisette et elle y semble plus à l’aise que les autres. C’est la raison pour laquelle elle s’autorise à critiquer Frida pour rentrer trop dans le rôle. Frida de sa part critique Lydia de se permettre plus de droits que les autres : elle arrive en retard et c’est seulement elle qui a le droit de critiquer les autres. Il n’y a pas forcement une différence entre l’habitus de Lydia et Frida mais elles se comportent différemment. Frida parle de son frère et son père dont elle a peur tandis qu’on n’entend rien de la famille de Lydia. Cela pourrait donner l’impression que Lydia a une famille qui la soutien dans ses choix dans la vie alors que Frida, venant peut-être d’une famille nombreuse, est plutôt une fille qui est obligée de se battre pour ses droits. Cela peut expliquer pourquoi Lydia est connue comme celle qui connaît bien le théâtre parmi ses copines " Lydia, elle connaît, tu vois, mais pas comme le prof " (L'Esquive 46.14). Ayant confiance en soi elle s’autorisé à donner des conseils aux 50 autres par exemple à Krimo qu’elle conseille d’abord de répéter avec le prof et " après moi, si tu veux, je peut te donner des conseilles " (L'Esquive 45.50) Mais Lydia prend le théâtre trop au sérieux et ne crée pas, à cet effet, le rapport de familiarité avec la culture. Elle se dispute en permanence avec Frida comment interpréter le rôle et trouve que Frida en fait ‘trop’. " Franchement tu fait trop tes manières " (L’Esquive 18.31) dit Lydia pendant une des leurs nombreuse disputes "c’est moi qui fais la ‘bourge’ (bourgeois) dans l’histoire " (L’Esquive 18.49). Quand le professeur explique à la classe que les personnages de la pièce n’arrivent pas à sortir de leur classe sociale même s’ils sont déguisés Lydia demande avec une déception explicite s’ils s’imitent quand même. Lydia s'est laissée trompée par le travestissement du Jeux de l’amour et du hasard et se croyait vraiment d'un rang élevé. Frida avait finalement raison en disant que Lydia était une fausse " bourge " et qu’elle ne devait pas bien faire la bourgeoise (L’Esquive 18.51). Toutes les filles rêvent d’un avenir mieux que celui qui les attend, mais peut-être Lydia plus que les autres. Pour elle le théâtre est une façon de s’évader de son quotidien et il lui fait oublier tout le reste. Elle est trop occupée avec les répétitions pour aller au cinéma avec Krimo et le théâtre semble être la raison principale pourquoi elle a besoin de temps pour réfléchir à la question de Krimo. Mais dans les cités on ne réfléchit pas quand un garçon demande de sortir avec lui : soit on le " kif ", soit on ne le " kif " pas ! (dans le sens aimer ou plaire). Lydia est accusée par ses copines d'être une " fouteuse de merde ", une " sans pitié " après que Frida s’est fait agressée par Fathi. En plus on ne donne pas un rendez-vous à un garçon sans vouloir sortir avec lui " ça se fait pas ". Les copines de Lydia montre ici le " principe de conformité ", qui caractérise la classe populaire. Elles essayent de l’aider en l’encourageant à faire le choix " raisonnable ". En outre, c’est une mise en garde de ne pas se distinguer en s’identifiant à d’autres 51 groupes. Lydia commence à se rendre compte de son acte fatal mais se sens sous pression et n’ose pas perdre la face devant les autres. 6.5 Le théâtre Les deux groupe de jeunes se distinguent par ceux qui font du théâtre, Lydia, Frida et Rachid ainsi que d’autres camarades de classe et par ceux qui n’en font pas, entre autres Krimo, Fathi et leurs amis qui visiblement possèdent moins de capital culturel que les autres. Cela apparaît par le comportement de Fathi, l’interprétation de Krimo, et leur discours en général. La description de Lydia par les amis de Krimo et Fathi quand celui-ci apprend que Krimo fait du théâtre : " C’est un meuf toute plate, ni des hanches ni du cul, rien du tout, nada ! "(L’Esquive 01.04.00) Les jeunes faisant du théâtre apparaissent très engagés par ce travail aussi bien à l’école qu’en dehors. Ils passent leurs après-midi à répéter alors que l’autre groupe, dont fait parti Krimo et ses amis, paraît de ne rien faire ou très peu. Les affaires de Krimo cachées dans la cave donnent l’impression qu’ils font même des petits délits. Pour eux, faire du théâtre c’est pour " les pédés " et se mettre à genoux devant une fille c’est un reniement de la virilité. Fathi est en effet stupéfait quand il comprend que Krimo fait du théâtre et lui annonce qu’il lui fait une réputation de " bâtard ". Cette expression peut servir comme une simple insulte. Pourtant, c’est remarquable qu’elle a aussi une double sens entendu quand Krimo commence à se comporter comme les autres - ceux qui font parti d’un autre groupe social. Il est, selon Bourdieu, spécialement dur pour les hommes de la classe populaire de se distinguer. Non seulement la recherche esthétique en tant que maquillage et vêtement est réservée aux femmes, il y a aussi une représentation plus stricte dans la classe dominée que dans les autres classes sociales de division du travail entre les sexes et le 52 moral sexuel. Fathi se sent responsable de son ami et désirant mettre fin de cette histoire pénible il décide de régler l’histoire à sa façon. La pièce de Marivaux Jeux de l’amour et du hasard parle du travestissement de la réalité : Le maître se déguise en valet, la maîtresse en femme de chambre et leurs domestiques en maîtres. La pièce montre que l’on ne peut pas échapper à ses propres origines, il n’y a pas de hasard puisque les riches tombent amoureux des riches et les pauvres tombent amoureux des pauvres malgré leur déguisement. " On est complètement prisonnier de notre condition sociale " (L’Esquive 27.12) confirme le professeur en expliquant que l’on ne peut pas se débarrasser d’un langage ou d’un certain type de conversation ; la manière de s’exprimer indique d’où on vient. C’est la raison pour laquelle ceux qui ont les mêmes origines sociales sont attirés les uns par les autres. Cependant, Marivaux ne fonctionne pas dans le film comme justification intellectuelle. L’Esquive ne dirige pas son attention vers un public intellectuel, mais montre simplement que les sentiments des jeunes sont aussi nobles que ceux des aristocrates. Elles sont simplement exprimées différemment. La langue soutenue dans la pièce apparaît pour Krimo comme une langue étrangère. Il ne comprend rien de ces phrases trop " bêtes " et trop longues (L’Esquive 45.20). On perçoit le télescopage des deux langues, celle des banlieues et celle de Marivaux, quand on voit Krimo jouer le rôle d’Arlequin. Autant la langue peut servir pour les jeunes comme une signe de reconnaissance autant elle peut les trahir par leur manque de connaissance. Les jeunes des banlieues ont rarement fait connaissance avec la littérature classique au sein de la famille et pour eux cette langue est aussi étrangère que celle des banlieues peut sembler pour quelqu’un du dehors ; on voit par exemple que la professeur a du mal à suivre leur langue quand elle, pendant les répétitions dans la classe, remarque "Lisette vient de nous dire qu’Arlequin craquait pour elle, je ne sais 53 pas si vous dites encore craquer… " (L’Esquive 25.57) Les changement des mots et des tournures chez les jeunes passent rapidement. Ils cherchent chacun dans leur propre culture des nouveaux termes, ce qui donne à la langue une liberté qui est en contraste avec la langue structurée de Marivaux. En génerale, beaucoup des jeunes des banlieues ne s’imaginent pas, pour ces mêmes raisons, que la littérature classique peut les intéresser et la rejettent par principe ce qui fait, selon Cécile Ladjali , qu’ils s’enferment dans un ghetto linguistique (Site Internet: 1). Bourdieu l’explique par l’effet de clôture qu’exerce l’homogénéité de l’univers social : il n’y a pas un autre langage possible, ni un autre style de vie. L’univers du possible est fermé et cela crée l’extraordinaire réalisme de la classe populaire. (La théorie de Bourdieu: 3.4.2) La pièce du théâtre de Marivaux fonctionne dans L’Esquive en contraste avec le langage des jeunes lorsque les personnages passent de la langue de la cité à la langue de Marivaux. Ainsi, ils vivent les mêmes situations au théâtre que celles dans la vraie vie. Le théâtre donne au film une sensation de légèreté de comédie qui de son côté sert à masquer la réalité violente comme on le voit dans la scène de l’arrestation qui représente le quotidien pour les jeunes des cités. Le théâtre a une fonction de metatextualité puisqu’il sert comme une parole pleine de sagesse. Par exemple, on voit Lydia dans le rôle de Lisette proclamer à Frida, en tant que Silvia, que ses sentiments sont comme ceux de tout le monde. Ainsi, Kechiche souligne que les sentiments des jeunes des banlieues ne sont pas différents que les sentiments que peuvent ressentir ceux qui vivent en dehors des banlieues. Un autre exemple de metatextualité se montre dans la pièce de théâtre des plus petits élèves, quand le petit Abdelkrim prononce que ”Nous allons faire un long voyage pour parvenir à nous même” (L’Esquive 01.48.53). Cela peut démontrer l’expérience qu’ont fait les deux protagonistes dans le film : Lydia dans le théâtre et Krimo dans l’amour. 54 6.6 Le système d'enseignement Le système d’enseignement représenté par le lycée joue un rôle important dans L'Esquive. L'action se passe autour de la pièce de théâtre organisée par le professeur. Ils répètent non seulement dans la classe mais aussi pendant leur temps libre. Nous voyons donc des jeunes motivés en compagnie d'un professeur très engagé. Pourtant, la manière d'enseigner ne favorise pas tous les élèves. Dans la scène où le professeur malmène Krimo avec une impétuosité frappant, c'est clair que la collaboration n'est pas sans problèmes. Krimo n'arrive pas à jouer le rôle de la manière que le professeur souhait et cela la frustre beaucoup. La différence entre Lydia et Krimo devient claire car Lydia rentre facilement dans son rôle tandis que c'est l'interprétation du rôle de Krimo qui pose des problèmes. Le professeur est idéaliste et souhait que tous ses élèves obtiennent du capital culturel à travers une pièce de théâtre classique. Pour cela elle les fait faire la pièce de Marivaux avec le message que l'on ne peut pas échapper de ses origines sociales. Le thème du théâtre indique qu'elle désire d'apprendre les élèves à réfléchir sur leur propre situation. Ensuite, la professeur reste stupéfait par l’interprétation de Krimo tant qu’Arlequin. Elle ne comprend pas pourquoi cela lui pose autant de problèmes et lui demande: " tu le fais exprès là? " (L’Esquive 01.08 02). Son incompréhension est donc fondée sur le fait qu'elle lui a déjà expliqué comment il faut le faire correctement. Puis, peu après elle commence à dire les répliques elle-même pour lui montrer justement comment jouer convenablement. Pourtant, il n'y arrive toujours pas et elle devient de plus en plus frustrée de sorte qu'elle humilie Krimo devant la classe. La collision entre le professeur et Krimo témoigne d'une discordance fondamentale. Avec une mère qui est la seule à s'occuper de l'économie ménagère et avec une culture étrangère à la maison, Krimo n’a pas pu obtenir du capital culturel au sein de la famille, alors que la culture légitime est incorporée dans l'habitus du professeur. 55 C’est la raison pour laquelle elle ne comprend pas que Krimo est incapable d’interpréter le rôle d’Arlequin. Elle répète encore et encore: " sors de toi! " (L’Esquive 1.10.11), car en effet c'est ce qu'elle souhaite. Pour bien rentrer dans le rôle, il faut que Krimo sorte de soi-même, c'est-à-dire de son habitus. Le professeur ne se rend pas compte de la contestation avec la morale de la pièce de théâtre. Elle ne saisit pas que c'est impossible pour Krimo parce que la culture légitime ne fait pas part de son habitus. C’est en effet difficile pour ne pas dire impossible, selon Bourdieu, de sortir de sa couche sociale. La scène est un exemple de la violence symbolique. L'épisode manifeste comment le professeur favorise inconsciemment les élèves qui possèdent déjà du capital culturel et qui savent mieux parvenir par rapport à la culture légitime, comme par exemple le fait Lydia. L’explication peut être que le professeur reconnaît en Lydia son propre habitus social et à cause de cela elle a tendance à la favoriser. Selon Bourdieu c’est justement cette inégalité dans l’ordre social de la société que reproduit le système d’enseignement (La théorie de Bourdieu: 3.3). La violence symbolique ne devient que visible parce que Krimo choisit de participer dans la pièce de théâtre. Un rôle qui, depuis le début, ne lui revenait pas, mais qu'il avait acheté de la part de Rachid. S'il n'avait pas commencé à le faire, la violence symbolique resterait invisible, puisque le spectateur ne verrait pas la discordance d'habitus entre le professeur et Krimo. Enfin, cela devient clair comment la violence symbolique est invisible pour les impliqués. L'incident abouti à la sorti de Krimo qui ne peut plus le supporter. Cela révèle que c'est une défaite personnelle pour lui. Il ne se rende pas compte du fait que son impuissance est due au décalage entre son habitus et l'habitus du professeur. En fin de compte, en dépit de son engagement, le professeur reproduit les valeurs des intellectuels de ce qui est la culture légitime d'une manière défavorisant pour les élèves qui n'ont pas assez de capital culturel. De plus, elle ne se rende pas compte de cela. 56 Pourtant, la théorie de Bourdieu ne laisse pas une place pour le cas particulier. Frida prouve malgré ses désavantages sociaux une volonté de vouloir réussir. Pourtant on voit toujours que le professeur a une tendance à favoriser Lydia sur Frida, mais cela se fait d'une manière plus directe que la violence symbolique. Frida a surmonté une grande difficulté pour participer à la pièce de théâtre. Elle a sacrifié plus de temps et plus d’énergie dans les répétitions que tous les autres mais personne ne semble y faire attention. Cela montre que Frida ne se sent pas digne du rôle principal comme le fait Lydia, mais elle se batte afin d'obtenir du capital scolaire. Et en effet, comme nous avons montré, contrairement à Lydia Frida a compris la morale de la pièce de théâtre. Pourtant, ce qui est remarquable est la réaction du professeur. Au lieu de reconnaître la bonne compréhension de la pièce par Frida elle s’adresse directement à Lydia avec ses objectifs pédagogiques. En effet, Frida a réussi à obtenir du capital scolaire malgré la violence symbolique. Pourtant le professeur favorise toujours Lydia qui avait davantage du capital culturel. 6.7 La famille L’Esquive s’occupe tout d’abord de la vie d'un groupe d’adolescents et les conflits quotidiens, typiques pour leur âge. Pourtant, le spectateur est introduit sporadiquement à une autre domaine plus privée de leur vie : la domaine de la maison et ainsi la famille et le rapport qu’a le jeune à cela. Tous les jeunes habitent dans les immeubles de la cité qui les entourent ; on les voit plusieurs fois sonner les uns chez les autres mais quant à la maison à l’intérieur on ne voit effectivement que celle de Krimo. On voit sa mère qui a l’air fatigué et de quelqu’un qui a passé par des dures épreuves. De plus, on apprend que le père est en prison. À l’égard des frères et sœurs on n’entend rien. Il est clair que Krimo respecte sa mère car il ne la réplique pas. En outre, il prend soin d’elle, ce qui se montre quand il la conseille d’aller au lit au lieu de s’endormir sur le sofa. 57 Ce sont d’autres règles qui s’appliquent quand il est chez lui. Ses amis l’appelle Krimo mais à la maison son propre nom, Abdelkrim, est utilisé par la mère et cela est un des facteurs qui marquent le passage de l’un champ à l’autre. D’autres éléments qui indiquent ce changement est la musique arabe qui s’entend dans l’appartement et le fait que la mère regarde une programme de télévision apparemment aussi arabe. Cela et le fait que l’on ne voit jamais la mère en dehors de l’appartement pourrait donner l’impression qu’elle est enfermée dans sa culture d’origine à l’intérieur de sa maison. Il est frappant que tous les jeunes attachent autant de valeur à la famille qu’elle est la chose la plus employée pour assurer la vérité et le sérieux de leurs déclarations : " Sur la tête de ma mère " " Sur le tombe de ma grand-mère ". Alors, il ne faut pas douter l’inviolabilité de l’institution de la famille. Cela est aussi un signe du fait que les origines culturelles des jeunes sont adaptées dans leur langue et leurs habitus. Malgré le fait que l’on voit seulement la famille de Krimo on entend parler des familles des autres jeunes, par exemple celle de Frida. Après avoir été menacée par Fathi et dérobée de son portable elle craint la réaction de son père et son frère, mais en même temps elle assure que ce dernier va rendre la pareille à Fathi. La famille représente ainsi de la protection des dangers extérieurs. Il y a une énorme différence entre la façon dont les jeunes se parlent entre eux et la façon dont ils s'adressent à leur famille et surtout à la famille des uns des autres. Dans la scène où Fathi appelle Krimo de la rue pour lui faire descendre – une scène qui d’ailleurs semble de se référer à la scène inaugurale de La Haine – c’est la mère de Krimo qui se montre dans la fenêtre et tout à coup l’accent de Fathi change radicalement. Il est tout poli et courtois " Madame ", " Vous et votre mari " (L'Esquive: 00:41:00) et sait bien comment converser. Cette civilité contraste beaucoup avec son comportement brutal envers Frida ultérieurement. Cela souligne 58 comment son habitus lui permet de se conduire différemment dépendant du champ et des agents en question. Une telle variabilité est maîtrisée par la plupart des jeunes et elle est nécessaire pour se débrouiller dans les champs différents en conformité avec les règles et les valeurs dominantes dans la société. 6.8 La police Dans L’Esquive la police n’apparaît qu’une seule fois. Toutefois, cette scène est très importante. Il s’agit d’un affrontement assez violent entre les jeunes et la police. Les réactions des différents personnages révèlent des structures sous-jacentes. En effet, il s’agit d’une collision des différents habitus. 6.8.1 Les règles du champ La relation entre ces groupes est particulière puisqu'elle est fondée sur des circonstances de puissance construites par l'État. En raison des droits de la société les policiers possèdent l'autorité. C'est certainement à cause de cela que Fathi est poli en les approchant avec un "bonjour" et en disant: "Est-ce que je peux continuer [d'expliquer pourquoi ils se trouvent dans la voiture], monsieur?" (L’Esquive 1.42.13) Fathi essaye d'aplanir la situation, car c'est lui qui l'a causé. En plus, il semble qu'il y est plus habitué que les autres et il sait qu'il doit une explication parce que les policiers ont le droit de le demander. La police a la position de domination et en gros les jeunes acceptent cela. Selon Bourdieu, c'est justement dans l'habitus de la classe dominée, d'accepter la domination. 6.8.2 Opinions anticipées Cependant, la situation se transforme quand même en un affrontement. C'est évident qu'il y a un rapport négatif entre les jeunes et la police même avant que le contact direct soit fait. Ce rapport découle du fait que les personnes concernées sont des membres des différents groupes de la société. D'une part le groupe de la police et d'autre part le groupe des jeunes des banlieues. 59 Tout d’abord, c’est clair que les jeunes ont une opinion particulière de la police. En effet, ils en ont peur. Pendant le film, ils n’ont pas mentionné la police, mais leurs réactions quand les agents de police arrivent, le montre avec certitude. Fathi s’écrie : "putain, les keufs" (L’Esquive 1.39.19) et il dit aux deux filles de rester tranquille, pendant que Lydia et Krimo dans la voiture tournent les têtes avec des expressions effrayées. Leur anxiété s'explique partiellement par le fait qu'ils ont violé la loi, mais c'est clair que ce n'est pas seulement une inquiétude, c'est une véritable peur. Aussi les agents de police sont prévenus contre ces jeunes. Cela se montre dans la manière dont ils les approchent. D'abord un agent demande de voir les papiers de véhicule assez poliment avec un "s'il vous plaît". Néanmoins, il répète tout de suite "papiers!" (L’Esquive 1.39.44) et dès lors, la politesse est inexistante et l'action se déroule violemment. Le développement de la situation s'explique par leurs différents habitus. La manière dont la police conçoit le monde implique une croyance en le régime. Cela contient une soumission sincère à la domination de la police. Les policiers se sentent donc supérieurs aux jeunes. Pourtant, il y a autant d'histoire qui montre que les jeunes des banlieues n'acceptent pas toujours ce rôle de la police. En effet, ils n'ont pas confiance en le système. L'affrontement résulte donc des conceptions que les groupes ont obtenues par des rencontres précédents entre autres agents de police et autres jeunes des banlieues. Par conséquent, bien que ces jeunes se montrent d'abord polis et coopératifs la situation se noue à cause des conceptions qu'avaient les groupes auparavant. Les conceptions qui proviennent des collisions des habitus antérieurs font maintenant part des habitus particuliers des deux groupes. 60 6.8.3 Maintien de la domination de la police Deux fois pendant la scène la police accentue leur rôle de domination en faisant référence à leur puissance donnée de l'État: Lydia: "C'est bon, c'est bon, laisse-moi!"(L’Esquive 1.43.22) Un agent de police: "tu me donnes des ordres?" Fathi: "Calmez-vous putain!" (L’Esquive 1.43.26) Un agent de police: "tu nous donnes des ordres?" Les policiers soulignent ainsi que ce sont eux qui ont la position qui permet de donner des ordres. En étant des agents de police, l'État les a donné le droit de cela, et ils ne permettent pas que ce droit soit contesté. Pour l'empêcher, ils ajoutent de la violence au pouvoir. Ils poussent et battent violemment les jeunes. L'agent féminin trouve le livre de Marivaux que Frida a d'abord essayé de cacher sous son manteau. Elle pense qu'il y a quelque chose caché dans le livre et elle le feuillette d'une manière frustrée mais elle n'y trouve rien. Cet incident montre que pour la police un livre classique ne peut pas signifier d'autre chose qu'une cachette de quelque chose illégal. L'agent aurait compris si elle y avait trouvé par exemple des drogues. En tant que policier, c'est ce qu'elle attend des jeunes des banlieues. Cela montre qu'elle n'a pas assez de capital culturel et qu'elle ne pense pas que les jeunes de la cité en ont. C'est une illustration du fait que sa position supérieure est construite puisque les policiers n'ont pas forcement plus de capital que les jeunes. Son ignorance la frustre car elle met en péril sa position de domination. C'est probablement la raison pour laquelle elle frappe Frida avec le livre. C'est pour regagner le pouvoir. 6.8.4 Les réactions des jeunes À l'intérieur du groupe des jeunes il y a pourtant des différents habitus qui se montrent par rapport à leurs réactions face à la police. C'est surtout la différence entre 61 le comportement de Lydia et de Frida qui exprime cela. Lydia essaie d'opposer de la résistance tandis que Frida se résigne complètement. Lydia crie plusieurs fois qu'elle veut que l'agent de police la laisse et elle tente de se libérer. À un moment donné, l'agent de police la pousse durement contre la voiture, elle réagit par sangloter (L’Esquive 1.43.26) Au contraire, Frida ne dit aucun mot et ne fait aucun son pendant toute la scène. Toutefois, en regardant ses expressions et les larmes dans ses yeux, c'est évident qu'elle à peur et que la police lui fait mal. À travers la différence de comportement s'expriment des différents regards sur cette instance de puissance qu'est la police. L'habitus de Lydia est en effet très différent de celui de Frida. Frida se soumet à la police parce que sa position dans l'espace sociale implique l'acceptation de cela. C'est une part de son habitus. Lydia n'accepte pas ce traitement, et cela pourrait s'expliquer par le fait qu'elle est blanche et se distingue des autres (Lydia: 6.4). Il s'ensuit qu'elle n'accepte pas la soumission complète, car ce n'est pas dans son habitus de le faire. Cette interprétation peut se justifier dans le fait qu'au début les agents de police ne la voient même pas. Ce n'est pas avant que Fathi la mentionne que les agents se rendent compte qu'elle existe, tandis qu'ils ont déjà immobilisé les autres jeunes en les obligeant à mettre les mains sur la voiture. 6.8.4 La police comme institution Cependant, concernant les policiers il n'y pas des différences essentielles entre eux. Il y a surtout deux agents qui sont exposés, un homme et une femme. Le fait que les deux sexes sont présentés souligne que le comportement violent ne découle pas d'un idéal concevable d'être masculin en étant violent. En outre, un policier noir est représenté de sorte que ce n'est pas non plus une question de race. C'est donc un comportement collectif de ces agents. 62 Ils sont présentés comme un groupe cohérent avec les mêmes habitus. Cela est dû au fait qu'ils représentent plutôt une instance d'État que des personnages individuels. C'est une manifestation du comportement de la police comme institution et ne pas du comportement des certains agents de police. En résumé, il existe des règles du champ qui impliquent la soumission des jeunes à la police. Les deux groupes sont conscients de ce rapport construit. Pourtant, à cause des opinions anticipées incorporées dans les habitus des deux groupes, l'épisode se développe en un affrontement. Puisque la domination des policiers est fondée sur un rapport construit, ils se sentent forcés d'utiliser de la violence pour la maintenir. Concernant les jeunes, la violence entraîne des différentes réactions dues aux divers habitus et cela manifeste que le rapport qu'ont ces jeunes à la police varie entre eux. Enfin, la construction de la scène souligne qu'il est question de l'institution de la police. Il s'agit donc du rapport entre les jeunes et ce pouvoir d'État représenté par quelques agents de police. 6.9 Le traitement scénarique de la narration Kechiche s’inspire de plusieurs modes d'expressions artistiques comme par exemple le théâtre, le cinéma classique et le documentaire. En outre les acteurs dans L’Esquive sont des jeunes inconnus souvent issus de l'immigration. Plusieurs d’entre eux porte leur propre nom dans le film et viennent de la banlieue. 6.9.1 Fiction Kechiche a choisi le décor du film à cause de sa ressemblance avec un décor de théâtre. La clôture faite par les grands blocs d’immeubles dont on ne sort pas, donne effectivement l’impression d’une scène de théâtre, mais il y a aussi une référence au théâtre classique: Qu’avec art l’action se ménage dans un lieu pendant une journée et en un seul fait accompli, la règle des trois unités (Aziza & Collognat, 2003:103). 63 On ne sort précisément pas de la cité, donc, il s’agit de la règle d'un seul lieu. Pourtant, cela peut aussi souligner les difficultés de sortir de ses origines sociales. Même si on ne voit jamais le jour passer dans le film, c’est évident qu’il ne suit pas la règle de l’unité de temps. En revanche L’Esquive fait encore référence au théâtre classique par rapport à la dernière règle, c’est-à-dire le seul fait accompli. Si Krimo n’était pas tombé amoureux de Lydia, il n’aurait jamais acheté le rôle d’Arlequin, qui aboutit à la violence symbolique faite par le professeur. Fathi n’aurait pas eu besoin de 'régler' l’affaire de son ami qui les a conduits à l’intervention de la police. Le scénario peut donc être analysé comme une pièce de théâtre et en plus l’histoire et ses intrigues sont inspirées par la pièce de Marivaux. En outre, on voit le parallèle entre la pièce de Marivaux et l'univers des banlieues comme l’interprétation d’une autre règle du théâtre classique, " l‘art doit …imiter la nature " (Aziza & Collognat, 2003: 103). 6.9.2 L'authenticité Les dialogues basés sur l'improvisation (Site Internet: 7) donnent au film une authenticité étonnante. Les jeunes parlent tellement rapidement que l'on n’imagine pas qu’ils puissent avoir appris par cœur les répliques. De même les gestes et les mimiques semblent très naturels et sincères. En outre, tout ce que l'on a dit par rapport à la fiction on pourrait le dire pour l’authenticité. C’est-à-dire que l’on voit que même s'il s'agit d’un film avec un scénario bien défini, on a l’impression de rentrer dans la vie quotidienne des jeunes. Les personnages sont tellement naturels que l'on se croit vraiment dans la cité du Franc-Moisin où est tourné le film (Site Internet: 2). Contrairement à La Haine qui parle des banlieues en général on a ici l’impression qu’il s’agit d’une cité particulière 64 où un groupe de jeunes à l’initiative de leur professeur ont monté une pièce de théâtre. 6.9.3 Le traitement stylistique du scénario Bien que le thème du théâtre et la caméra à l’épaule soient contrastés on y retrouve aussi une certaine harmonie. Le mouvement de la caméra suit les mouvements des personnages. Quand il y a de l’harmonie, elle est éloignée et calme, alors que les images basculent quand les corps basculent, comme on le voit avec le baiser de Krimo et l’intervention de la police. Les personnages sont souvent filmés de très prés et surtout quand les scènes sont passionnelles, que ce soit avec de l’amour, de la colère ou de la peur. Cela donne le sentiment au spectateur d’être très proche des personnages ce qui donne une dimension affective à l’image. En plus cela met en valeur les personnages eux-mêmes et non leur entourage. Si on ne voit qu’un bloc d’immeuble de temps en temps qui rappelle au spectateur que l’on se trouve en banlieue on le sait aussi à cause de la langue remplie d’argot et de tournures habituelles à la banlieue : On appelle par exemple son ami(e), " mon frère " et on " kiffe une meuf ". Quand on regarde un film sur les banlieues on s’attend automatiquement à un film sur la violence, le trafic de drogues et sur la criminalité en général parce que c’est dans notre habitus commun en participant de la société de voir les banlieues parisiennes ainsi. Mais dans L’Esquive il n’y a rien de tous cela, on ne voit en effet pas beaucoup d’autres choses qu’un groupe de jeunes en train de faire du théâtre filmés dans leur quotidien. L’absence de vedettes et de violence tellement habituels aux spectateurs peut dans l’ensemble contribuer à expliquer pourquoi le film n’a pas connu de succès commercial. 65 66 7. Discussion En comparaissant les deux analyses il est évident que les films se distinguent beaucoup. Nous allons discuter les images qu'ils montrent des deux groupes du conflit. Ces groupes sont les jeunes et la société qui est représentée par la police et le système d'enseignement. Puis, nous allons discuter le rôle que ces films pourraient jouer dans le débat qui concerne les banlieues. 7.1 Les jeunes 7.1.1 L’habitus et le capital des jeunes Les jeunes des deux films respectifs font tous parti de la classe dominée mais il y a une différence entre leurs conceptions de ce contenu. Cette différence peut tenir au fait que les jeunes ont des ages différents mais aussi la distinction entre leurs conceptions des actes qui les importent le capital sociale et donc aussi le capital symbolique au-dedans cette même classe sociale. Pour Fathi et ses amis faire le théâtre c’est pour " les pédés " il est à cet effet évident que cela leur n’apportent aucun capital symbolique bien au contraire. Pour Vinz la possession du pistolet le fait du " Boss " des banlieues dans les yeux de Saïd tandis que pour Hubert c’est un signe de chute morale. Les jeunes de L’Esquive sont moins âgés que ceux dans Le Haine, ils sont toujours à l’école et donc attachés à ce qui peut leur importer le capital culturel. Ils ne sont en quelque sort pas encore tout à fait livrés à eux-mêmes ce qui les aide à garder l’espoir d’un avenir plus glorieux que celui qui les attend. La réunion des filles dans L’Esquive quand elles parlent de la différence entre être comédienne et l’actrice et leurs envies dans la vie en général reflète parfaitement cet 67 espoir toujours présent. Contrairement on voit, dans La Haine, le rêve d’Hubert en tant que boxer brisé physiquement par les émeutes et mentalement par sa reprise de consommation de hachich. C’est évident qu’il ne croit plus à ce rêve qui lui semble presque enfantin à côté des problèmes d’une réalité plus pesante. On peut comparer les situations différentes dans les deux films par la responsabilité qui est imposé aux protagonistes puisque l’habitus d’Hubert est beaucoup marqué par la responsabilité qu’il ressent pour sa famille et ses amis. L’habitus de Vinz englobe aussi une responsabilité mais plutôt celle du groupe fourni aussi par la déception qui a déclenché une colère contre la société. En montrant la responsabilité du groupe à travers Vinz le film met en question s’il existe une véritable responsabilité du groupe, et donc solidarité de la classe sociale, où si l’envie de vengeance est plutôt fondée sur une frustration individuelle Les jeunes dans L’Esquive sont caractérisés par la naïveté et la légèreté qui suivent la jeunesse. C’est la même naïveté qu’on retrouve chez Saïd qui justement ne prend pas la vie très sérieuse en essayant d’ignorer toute sorte de gravité avec de l’humour et de l’ironie. En somme on voit qu’il y a une différence pratiquement opposée de la conception de ce qu’apporte un capital symbolique pour les jeunes des deux films. De même il est souligné que l’habitus est fortement influé de l’âge d’un individu, ce que Bourdieu n’ignore pas non plus. Cela a pour effet que les deux film donnent deux expressions différentes des jeunes: une qui semble plutôt positive comme on le voit dans L’Esquive et une autre plutôt négative représenté par La Haine. 68 7.1.2 La crédibilité des personnages à travers la famille Il y a plusieurs choses dans les films qui renforcent la crédibilité des personnages décrits, accentuant donc que bien que ceux-ci soient fictifs ils représentent pourtant des caractères réels. Un de ces phénomènes est la famille et le respect qui l’entoure. Il est remarquable que cela paraisse plus ou moins pareil dans les deux films tandis qu’ils se distinguent dans plusieurs domaines aussi bien concernant l’action que le traitement stylistique. Ce que représentent les scènes familiales est un autre champ que celui de l’école et surtout de celui qui existe autour des jeunes quand ils se voient et parlent entre eux. Leur façon de se comporter et de s’exprimer quand ils sont avec leur famille contraste beaucoup avec le langage et les règles qui existent entre eux, ce qui démontre comment tous les jeunes sont capables d’adapter leur conduite dépendant du champ en question. D’ailleurs, les scènes mentionnées ci-dessus révèlent un peu de ce qui se cache sous la façade dure des jeunes. En voyant le comportement respectueux et presque détendu des jeunes envers leur famille qui s’oppose à leur comportement le reste du temps, notre attention est attiré sur les conditions qui les obligent de se porter d’une manière brusque : ils ne montrent jamais leur faiblesses ou points sensibles. Ainsi, les deux films font, à travers la famille, paraître un autre aspect de la vie des jeunes des banlieues ; au premier regard, cet aspect n’est pas évident pour le spectateur. Néanmoins il est important pour la vue d’ensemble de ces jeunes. Les scènes avec les jeunes et leurs familles contribuent à composer et nuancer l’image que l’on a de ces jeunes. En comprenant qu’il y des facettes de leur vie auxquelles ils attachent beaucoup d’honneur et que leurs vies ne consistent pas qu’en la criminalité, le hachich, la violence ou tout simplement l’indifférence, le spectateur aurait une plus grande possibilité de s’identifier aux personnages. À cela aide aussi le fait qu’il est fort probable que la plupart des spectateurs reconnaissent et exerce à un certain degré le respect mentionné pour la famille. 69 Ce qui est intéressant est qu’aussi bien Kechiche que Kassovitz ont choisi d’inclure le domaine de la famille et qu’elle apparaît de la même façon. Cela pourrait insinuer que c’est un aspect véritable de la vie des jeunes que les réalisateurs ont trouvé nécessaire d’inclure pour renforcer la crédibilité des personnages et donc de leurs films. Plus le récepteur croit aux personnages, plus il croit au film. 7.1.3 Des archétypes et des personnages complexes Nous venons de parler d’un phénomène qui renforce la crédibilité des deux films, mais d’autre part il y a aussi des éléments qui font le contraire. En ce qui concerne les portraits des personnages, les deux films se distinguent beaucoup. La Haine présente des archétypes et L’Esquive plutôt des personnages authentiques. Cela influe sur la réception des films, ce que nous en allons rendre compte. Les trois personnages principaux de La Haine représentent trois différents groupes ethniques: les blancs, les noirs et les arabes. Ils ont même été appelle " black, blanc, beur " ce qui pourrait être un analogue aux Trois Couleurs " bleu, blanc, rouge " (Site Internet: 5). Cette sorte de marquage peut paraître comme un avilissement confinant au stéréotypage. Néanmoins, il exprime la possibilité naturelle et presque évidente de mettre des étiquettes sur ces personnages. Cette catégorisation contraste avec l’image des jeunes dans L’Esquive qui n’est pas aussi nette. Les protagonistes dans La Haine sont autant définis par ce qu’ils ne sont pas que par ce qu’ils sont ; c’est-à-dire que leurs rôles mutuels sont importants pour les définir. De plus, ils possèdent plutôt l’essence de traits de caractère spécifiques qu’un complexité de traits individuels. De ce fait, La Haine ne présente pas une image de trois individus complexes et composés, mais au contraire une image de trois archétypes facile à catégoriser et identifier. Cela le rend plus facile au spectateur de s’identifier aux personnages, reconnaissant probablement un ou plusieurs des traits de 70 caractère dont est tiré l’essence. En outre, cela a pour effet une généralisation de sorte qu’il ne s’agit pas seulement des personnes spécifiques dans un lieu spécifique. Les personnages de L’Esquive se sont contrairement caractérisés par une complexité. Pourtant, cela aboutit à une difficulté par rapport à prévoir la réaction des jeunes dans les différentes situations. Leur habitus n’apparaît pas assez clair pour que le spectateur aie une vue d’ensemble univoque des jeunes. Ce ne sont pas leurs traits de caractère qui les définissent. Il est vrai que Krimo est timide, mais ce n’est pas sa qualité prédominante – il n’est pas ‘le timide’. Par contre, les spécificités individuelles des trois amis dans La Haine sont soulignées encore et encore, ainsi apparaissant décisives pour comprendre et définir ces jeunes. Somme toute, Kassovitz expose les personnages principaux de son film en détails dans une telle mesure qu’ils deviennent des archétypes tandis que les jeunes de L’Esquive sont plus difficiles à catégoriser. Le profil de Vinz, Hubert et Saïd est sans ambiguïté, ce qui le rend fort probable que le spectateur ne les conçoit que d’une manière spécifique, ainsi contribuant à garantir un message bien défini du film. D’autre part, la présentation des jeunes dans L’Esquive est beaucoup moins distincte que dans La Haine et ainsi plus ouverte pour un décodage individuel de la part du spectateur. 7.2 Les représentants de la société Dans les banlieues il y a deux formes de contrôle social; la forme directe qu'est la police et la forme indirecte qu'est le système d'enseignement. Puisqu'il y a des affrontements et d'autres sortes de problèmes, il est naturel de regarder le rôle que jouent ces instances de contrôle. En fait, les deux films appuient respectivement sur l'un ou l'autre ressort. L’Esquive se focalise sur le système d'enseignement tandis que l'action de La Haine est fondée sur la confrontation entre les jeunes et la police. Afin 71 de contraster avec la forme qui est attribuée la première importance, aussi la forme secondaire apparaît. Il est donc intéressant de discuter les images différentes de chaque forme de contrôle social que proposent les deux films. 7.2.1 La police Dans l'analyse de la police nous avons montré comment les règles qui forment normalement le rapport entre les policiers et les citoyens sont mises de côté. C'est le cas dans les deux films qui sont donc d'accord sur ce point. Le fait que les deux films choisissent de le manifester pourrait indiquer que ce rapport est en effet un problème réel dans les banlieues. Néanmoins, il y a une différence concernant le rôle des acteurs dans le champ. Nous avons vu comment les jeunes dans L’Esquive en gros essayent de respecter les règles jusqu'au moment où la police les enfreint et certains des jeunes tentent de protester. L'image donnée est donc que la situation aboutit à la violence à cause de la police. Par contre, certains des jeunes dans La Haine reposent en quelque sorte leur identité sur le fait qu'ils ne respectent pas la domination de la police comme l'exemple dans l'hôpital nous montre. L'image du groupe des jeunes vis-à-vis de la police a donc une apparence plus innocente dans L’Esquive que dans La Haine. Bien entendu il n'est pas question d'une véritable innocence car dans les deux cas les jeunes violents le code pénal, mais la différence se fait concernant l'infraction des règles du champ. Ce fait souligne qu'il s'agit du rapport entre les deux groupes et pas du crime qu'ont fait les jeunes. On peut faire une allusion à la violence qui, de la même manière, résulte du rapport entre les deux groupes et pas de la délinquance. Les policiers sont plus personnalisés dans La Haine et cela tient probablement au fait que la police joue un plus grand rôle dans ce film. Cela permet une description plus nuancée. Pourtant, dans L’Esquive on aurait pu donner des traits de caractère 72 distinctifs aux policiers, même s'ils n’apparaissent que dans une seule scène. La raison pour laquelle ce film ne le fait pas est que ce n'est pas son but de traiter l'institution de la police. C'est intéressant que le film qui se focalise sur la violence entre les jeunes et la police tout de même montre que les policiers ne sont pas tous pareilles, tandis que l'autre film des banlieues montre que la police comme institution est violente. La Haine traite la violence en disant que ce n'est pas nécessairement un trait de caractère d'un policier alors que L’Esquive nous montre que c'est un trait de caractère de l'institution de la police et donc de tous les policiers. Néanmoins, l'image de la police qu'ont les jeunes, comme par exemple Vinz, est en effet la même que celle qui nous est donnée dans L’Esquive. C'est l'image sans nuances. En quelque sorte La Haine nous montre comment ce regard impose un comportement violent de la part des jeunes. Sans doute ce n'est pas ce comportement que nous voyons dans les caractères des jeunes dans L’Esquive, mais à travers la réaction de Fathi, qui essaye de protester quand la police enfreint les règles, on pourrait supposer qu'après un certain nombre de situations pareilles il obtiendrait les mêmes sentiments envers la police et peut-être le même comportement. Pourtant, ce n'est pas aussi évident qu'un jeune comme Frida parviendrait à cela puisqu'elle se soumette sans proférer un mot. De ce fait, nous voyons les deux représentations montrer que cette forme directe de contrôle social produit de la violence policière. Encore, elle engendre soit de la violence de la part des jeunes, soit une soumission malgré le tort qu'elle leur impose. 7.2.2 Le système d’enseignement Le système scolaire n’est pas représenté de la même manière dans les deux films. La représentation dans La Haine est bref : Hubert veut convaincre Vinz de l’importance de l’éducation scolaire parce que c’est par cela que l’on apprend que la haine attire la 73 haine. Vinz proclame son ‘éducation de rue’, ce qui semble pour lui plus logique que le système scolaire qui ne lui a pas apporté grand chose. Hubert reconnaît contrairement à Vinz l’importance du système scolaire. Pour lui, une formation ou la possession d’un titre scolaire peut donner du capital symbolique. L’importance d’une formation pour arriver à trouver du travail est évidente parce que c’est lui, avec un père apparemment absent, qui soutient la famille. L’école prend donc une place importante pour Hubert et sa famille. Son petit frère, actuellement en prison, souhaite continuer ses études mais il n’a pas les moyens d’acheter les livres. La mère fait appel à Hubert pour trouver de l’argent étant consciente qu’il fera des actes délinquants pour y arriver. Le capital scolaire que Hubert possède lui permet un niveau de réflexion plus élevé que Vinz et Saïd. Mais on comprend tout de même que ce capital est loin d’être suffisant puisque il est incapable d’aider sa petite sœur dans ses devoirs. Tandis que le système scolaire est un élément secondaire dans La Haine il est le véritable pivot de L’Esquive. Non seulement est-il le moyen, à travers la pièce de théâtre, d’obtenir du capital culturel, mais il devient aussi un moyen d’obtenir du capital symbolique. On voit Krimo se combattre pour faire du théâtre et sacrifier pas mal de respect, et donc du capital symbolique, au regard de ses amis. La description plus nuancée du système scolaire dans L’Esquive par rapport à La Haine se manifeste surtout parce que l’école ne représente pas une chose entièrement bonne. Dans l’analyse on a démontré comment Krimo est exposé du violence symbolique fait par le professeur parce qu’il a choisit de participer au pièce de théâtre. Le système scolaire ne favorise donc pas tous les élèves. Les professeurs exerçants l’éducation scolaire ont une tendance inconsciemment à favoriser les élèves qui son le plus proche de leur propre habitus. Cela se voit quand Frida aura finalement raison 74 d’elle après avoir été malmenée par Lydia devant toute la classe. Le professeur n’ignore complètement la bonne compréhension de Frida et utilise ses objectifs pédagogiques pour expliquer à Lydia comment interpréter le rôle de Lisette. En fin de compte on comprend que le système scolaire dans La Haine représente quelque chose uniquement positive et qu’il est aussi le moyen de sortir des banlieues et de la criminalité. En outre, il n’est pas décrit d’une façon nuancée comme il l’est dans L’Esquive. Cela indique aussi que le but de La Haine n’est pas une description du système scolaire qui est seulement un élément secondaire. Les cas particuliers Les jeunes vivant en banlieues rêvent d’une réussite individuelle ce qui est démontré dans les deux films par le rêve d’être actrice de Lydia et le rêve d’Hubert en tant que boxer. Pour Lydia, faire du théâtre c’est réaliser tous ses désirs, être le centre du monde, la vedette de la soirée car elle a le rôle principal de la pièce Les jeunes de banlieues souvent très faible à l’école et soumises par le système d’enseignement pensent que la sortie unique se trouve dans la musique, le sport ou d’autres métiers plutôt créatifs, non conditionné par une réussite scolaire. Ils veulent être indépendants refusant une vie tant qu’ouvrier toujours en manque de l’argent ; une vie qu’ont mené la plupart de leur parents (site Internet : 4). 7.3 Le débat Les analyses sont, comme nous avons expliqué, des analyses des représentations des banlieues. Ainsi ce sont deux images fictives. Pourtant, le sujet traite une problématique réelle et très actuelle. Cela pose la question du rapport entre les représentations et le débat du sujet qu'elles traitent. Un débat qui était actuelle à l'époque où les films sont sortis et qui l'est toujours. Nous n'allons pas juger les films en les comparaissant à ce que l'on pourrait appeler une réalité, mais nous allons 75 discuter les effets qui peuvent être la conséquence d'une représentation fictive. C'està-dire que nous n'examinons pas la réception qui a eu lieu des films car nous nous concentrons sur les films et ce qu'ils préparent. Nous avons expliqué comment aussi bien La Haine que L’Esquive se servent des éléments qui rendent l'expression du film réaliste. En même temps ils font remarquer que ce n'est que de la fiction à travers par exemple de la réflexion de média. Cette ambiguïté est intéressante en raison du rapport entre la forme fictive et le débat du sujet réel. Les descriptions que donnent les films des acteurs et des champs sociaux sont mises dans un cadre qui ressemble à ce que le spectateur reconnaît comme la réalité. Si l'on au débat fait référence aux films ils serviront probablement comme des exemples de ce qui se passe dans les banlieues. Les images données sont fictives, mais elles représentent un extrait de la réalité, défini et mis en oeuvre par le réalisateur. Plus cet extrait est crédible, plus il est possible que le réalisateur fasse passer son message. La représentation du groupe des jeunes est différente dans les deux films. Évidemment, cela nous montre que l'image que fait chacun des réalisateurs n'est pas représentative de tous les jeunes des banlieues. Pourtant, dans les deux cas, les jeunes sont décrits d'une manière réaliste. En conséquence, La Haine pourrait contribuer au débat des banlieues en donnant une image des jeunes désespérés tandis que L’Esquive ajoute l'image des jeunes avec de l'espoir pour l'avenir. Ces deux représentations pourraient donc nuancer le regard qu'ont les spectateurs sur les jeunes des banlieues. En ajoutant les deux films au débat, on ferait le fondement des opinions plus nuancées. La raison pour laquelle une telle image est possible est que c'est de la fiction. Cela donne la possibilité de décrire un groupe d'une manière précise puisque c'est un groupe imaginé. Le réalisateur peut donner aux jeunes des traits de caractère qui accentuent le message qu'il souhait offrir aux spectateurs. 76 Encore, les représentations des deux contrôles sociaux se distinguent. Étant donné que la police sert à maintenir l'ordre elle prend naturellement une place importante au débat concernant les banlieues. De même le rôle du système d'enseignement est important à cause de son effet potentiellement préventif. En donnant des images de ces instances, les films traitent la problématique d'une manière claire, puisqu'ils montrent leur point de vu sur les causes. En plus, les deux traitent ces formes de contrôle d'une manière qui montre que la solution des problèmes n'est pas nécessairement à trouver à travers ces instances. La forme fictive sert à décrire les messages à travers des histoires et des personnes dont le spectateur peut se pénétrer de l'esprit. Toutefois, ces images des jeunes et des représentants de la société sont faites par le réalisateur et ainsi c'est son opinion subjective qui est illustrée. Il est donc possible de les altérer puisque c'est une description à la fois subjective et fictive. Une image comme cela a autant de possibilité d'entrer dans le débat puisque la plupart des spectateurs n'habitent pas dans les banlieues. Cependant, à travers nos analyses, nous pouvons dire que la possibilité d'une altération faite exprès n'est pas très grande concernant ces deux films. Comme nous avons mentionné Kassovitz a habité dans une cité pour essayer de comprendre la mentalité des hommes des banlieues et capter les vrais caractères. Son but est de montrer la problématique réelle, alors il n'est pas évident à penser qu'il a fait une altération exprès. De la même manière Kechiche lui-même est immigrant et on peut donc supposer que sa description est assez proche de la réalité et qu'il n'a de toute façon pas essayé de l'altérer. Pourtant, les deux réalisateurs expriment, à travers leurs films, deux points de vue différents sur la classe dominée. Ils ont des différentes priorités de ce qu'ils souhaitent 77 illustrer. Leurs bases sociales respectives pourraient être la raison de cela. Kassovitz, venant d’un milieu artistique, fait parti de la classe dominante et ne peut à cet effet pas s’empêcher de décrire la classe dominée de ce point de vue même s'il a étudié les banlieues de très près. Selon Bourdieu il y a une tendance de décrire la classe dont on est supérieur d’une façon plus négative que la conception qu’a la classe elle-même (La théorie de Bourdieu: 3.4.3). La seule religion décrite en détailles dans La Haine est celui de Vinz qui, comme Kassovitz, est d'origine juif. Ce fait montre que les réalisateurs emploient dans leur film leurs propres expériences. En tant qu'immigré Keciche est en revanche dans une autre situation. Il montre dans L’Esquive une fascination de la culture multiethnique. On peut dire qu’il dans une certaine manière met en niveau égal la langue de Marivaux et celle des jeunes. "Je trouve qu’il y a une très grande richesse dans ce langage. C’est une culture à part entière. Il n’y a pas une volonté de mettre sur une échelle de valeur une culture par rapport à une autre" (site Internet : 2) Kechiche met en question la culture légitime et essaye d’ouvrir les yeux de la société à une autre culture. Évidemment, le débat et tous les discours politiques concernant les banlieues sont marqués par des exposés subjectifs. Les articles et les films documentaires sont aussi écrits d'un point de vue subjectif. Pourtant ceux-ci ne sont pas de la fiction et ils présentent des faits réels. En conséquence, à un certain degré il y a un consensus sur le fait que ces formes de média exposent la problématique d'une manière plutôt véritable. Au contraire, La Haine et L'Esquive sont des représentations fictives et en plus ils attirent l'attention à l'angle subjectif avec par exemple la réflexion de média. Ainsi, ils n'essayent pas d'apparaître comme 'la vérité des banlieues'. Ils disent en quelque sorte aux spectateurs que ce sont leur point de vue qui est exprimé. Cela a pour résultat que les films peuvent faire partie du débat justement comme des exposés subjectifs auxquels le spectateur peut être d'accord ou pas d'accord. 78 8. Conclusion Tout d'abord, la force motrice du conflit de La Haine est le sentiment de haine tandis que c'est le sentiment d'amour dans L'esquive. De ce fait, les premières images données ont en apparence une ambiance respectivement négative et positive. Pourtant, cette première impression ne suffit pas pour l’impression intégrale des deux films. En effet, il s’agit de deux formes de violence très différentes : la violence physique et explicite entraînée par la haine, et la violence symbolique plus dissimulée exercée par les professeurs. Cette dernière forme de violence n’a pas la même attention du public que la forme directe. Toutefois, le système d’enseignement pourrait jouer un rôle important pour arriver à une solution plus durable dans les banlieues. On voit effectivement à travers le succès commercial qu’a eu La Haine par rapport à L’Esquive qu’aussi bien les spectateurs que les médias sont attires par la violence. Il est donc important d’attirer l'attention sur la violence symbolique puisque ce sont les formations qui peuvent aider les jeunes de banlieues à sortir de la criminalité et de leurs problèmes sociaux. En revanche, il est peu probable que l’on puisse maintenir l’intéresse pour l’école aux jeunes si ce lieu devient un échec personnel pour les jeunes. Il est à cet effet important d’adapter le système éducatif français à un public d’origine modeste et étrangère. Si les Français commencent à apprécier la diversité comme une qualité il est peut-être possible de changer, petit à petit, le sentiment d’exclusion qui domine les banlieues. Cela demande aux Français d’apporter moins d’importance à la culture légitime et ouvrir les yeux à ce que peuvent donner les cultures multiethniques qui règnent dans les banlieues. 79 Les deux films montrent comment la violence explicite dérive du rapport tendu entre les jeunes et la police. Les jeunes sont marginalisés et à cet effet ils se placent en dehors du système. C’est la raison pour laquelle ils ne se soumettent pas complètement à la domination de la police. Au contraire, les policiers sont, en effet, des représentants du système, ce qui devrait impliquer une obéissance aux règles. Pourtant, les policiers les enfreindrent justement à cause de la violence des jeunes. Le fait que les policiers font cela contribue à la marginalisation des jeunes qui encore peut aboutir à la violence. On ne peut donc pas attribuer la raison de la violence à ni la police, ni les jeunes. En revanche, ce sont ces situations violentes qui engendrent la violence des deux parts. En conséquence, il est évident que l’intervention de la police ne facilite pas la situation. En utilisant les notions de Bourdieu nous découvrons comment les réalisateurs représentent, à travers les films, les structures sociales qui sont décisives pour la problématique des banlieues. Une expression fictive peut effectivement contribuer à rendre la représentation des banlieues parisiennes plus nuancées. En effet, la fiction a la possibilité de se concentrer sur un seul problème essentiel et le soumettre à une analyse critique. Cela donne sans doute une image plus nuancée que celle faite par les médias. En outre, le fiction a aussi la possibilité de changer le point de vu habituel et illustrer les banlieues d’un angle inédit. Nous sommes conscientes du fait que même si les médias prétendent d’être objectives, leurs expressions sont souvent influées par l’attitude générale de la société ainsi que celle-ci est formée par les médias. L’avantage de l’expression fictive est qu’elle n’essaye pas de dissimuler sa subjectivité et c’est ainsi qu’elle contribue au débat des banlieues parisiennes. 80 9. Liste littérature Film • Kassovitz, Matthieu, La Haine, 1995 • Kechiche, Abdellatif, L’Esquive, 2004 • La Haine dix ans après. Livres • Bourdieu, Pierre, La Distinction, Les Éditions du minuit, 1979 • Bourdieu, Pierre, Distinktionen, DET lille FORLAG, 1995 (Oversat ved Prieur, Annick og Barth, Theo og indledning ved Østerberg, Dag) • Bourdieu, Pierre, La Reproduction, Les Éditions du minuit, 1970 • Andersen, Heine & Kaspersen, Lars Bo, Klassisk og moderne samfundsteori • Baudin, Gérard & Genestier, Philippe, Banlieues à problèmes – La construction d’un problème social et d’un thème d’action publique, La documentation Française, 2002 • Aziza, Claude, Collognat, Annie Littérature française. Mouvements, modes, manifestes, Pocket 2003 Bezbakh, Pierre: Petit Larousse de l’histoire de France, Larousse 2004 Articles • Bronner, Luc, Deux ans après les émeutes, la situation des banlieues reste fragile, Le Monde, 26 octobre 2007 • Editorial, Banlieues, la fracture, Le Monde, 26 octobre 2007 Memoire • Mørch, Michala Forstadsproblemer 2007 Site Internet (Tous sont accessibles le 19 décembre 2007) 1. http://www.acversailles.fr/PEDAGOGI/ses/outils/films/menu_esquive.html 2. http://www.humanite.fr/2004-01-07_Cultures_-Cette-jeunesse-n-apas-de-place-dans-le-paysage-audiovisuel 3. http://www.monde-diplomatique.fr/2005/12/BONELLI/12993 4. http://www.monde-diplomatique.fr/2002/06/BEAUD/16573 81 5. 6. 7. 8. http://www.dfi.dk/dfi/undervisning/haine/index.html http://www.dfi.dk/dfi/undervisning/haine/index.html http://www.krinein.com/cinema/esquive-l--2268.html http://66.102.9.104/search?q=cache:CEjtT5TgKd0J:suske.its.unimel b.edu.au/116131/pub/Cinema%2520lecture%2520text.pdf+cinema+b anlieues&hl=da&ct=clnk&cd=1&gl=fr&lr=lang_fr 82 10. Abstract Vores projekt tager udgangspunkt i Bourdieus samfundsanalyse La Distinction/Distinktionen. Dette værk er en sociologisk samfundsanalyse, der handler om vores smag, og hvordan denne gør, at vi kulturelt skiller os ud fra hinanden. Vi benytter os af Bourdieus begreber til at analysere henholdsvis L’Esquive og La Haine, to franske film som behandler problemerne i de parisiske forstæder på to vidt forskellige måder. Vi undersøger bl.a. de to respektive films personkarakteristikker, stilistiske virkemidler, form og indhold. Desuden analyserer vi filmene ud fra deres fælles temaer. Vi kommer til den konklusion, at et fiktivt udtryk kan være medvirkende til at nuancere forestillingen om forstæderne i Paris. Fiktionen har mulighed for at fokusere på et enkelt problem og belyse det på en mere nuanceret måde end det billede som medierne tegner. Desuden har fiktionen mulighed for at ændre synsvinklen, så man ser problemerne i forstæderne fra en ny vinkel. Vi er velvidende om, at selvom mediernes skal foregive at være objektive bliver disse ofte præget af den generelle holdning i samfundet. Fordelen ved det fiktive udryk er, at det ikke skjuler sin subjektivitet samtidig med, at instruktørens personlige holdning kan komme til udtryk og dermed medvirke i debatten om problemerne i de parisiske forstæder. 201 ord 83