Douleur du coude chez un tennisman

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Douleur du coude chez un tennisman
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U E S T I O N S
D E
S P O R T
Douleur du coude chez un tennisman
● P.
Le Goux*, X. Chevalier**
Un homme de 45 ans joueur de niveau
classé, se plaint de ce qui a été appelé
une épicondylite et qui lui fait mal depuis
plus de 6 semaines, malgré 3 semaines
d’arrêt total de toute activité.
➤ Quel examen clinique
et comment affirmer le diagnostic ?
✂
L’épicondylite ou tennis elbow est d’une grande fréquence.
On estime qu’elle touche 1 à 5 % de la population générale et 30
à 40 % des joueurs de tennis, soit 1 joueur sur 3, avec un pic de
fréquence entre 35 et 50 ans. La cible habituelle est un joueur de
niveau technique moyen (les bons et très bons joueurs sont a
priori épargnés) qui “force” certains coups, comme le revers ou
en fin de mouvement au service. Deux facteurs favorisent l’apparition de cette tendinopathie d’insertion du tendon commun des épicondyliens : l’hypersollicitation (parfois un choc
direct) et le vieillissement des structures tendineuses avec l’appauvrissement de la vascularisation après 40 ans. Au plan anatomopathologique, l’aspect évolutif des lésions touchant principalement le tendon du 2e radial permet de rendre compte de leur
caractère chronique et de l’évolution naturelle du tennis elbow
sur une longue durée (12 à 18 mois), avec un traitement qui reste
délicat. Les quatre stades anatomiques (infiltrat œdémateux,
déchirure superficielle, rétraction et avulsion, rupture tendineuse)
peuvent s’associer à une atteinte ostéopériostée de l’épicondyle
de type microfracturaire.
Le diagnostic d’épicondylite ne pose pas trop de problème à
l’interrogatoire quant à son contexte d’apparition lors de certains
gestes répétitifs. À l’examen clinique (figures), la contraction
isométrique des muscles épicondyliens (2e radial, extenseur
commun des doigts, cubital postérieur, court supinateur) est plus
douloureuse en course interne qu’en course externe, c’est-à-dire
lorsque le coude est en extension plus que lorsqu’il est fléchi à
90°. La douleur également retrouvée à la palpation de l’épicondyle et à l’étirement des épicondyliens permet de compléter la
triade clinique indispensable pour affirmer le diagnostic.
D’autres étiologies doivent être recherchées dans le cadre d’une
épicondylalgie. Parmi les diagnostics différentiels doivent être
discutés :
– une pathologie intra-articulaire huméro-radiale, avec une douleur de la tête radiale reproduite lors des mouvements de pronosupination (lésions ostéo-cartilagineuses à l’arthroscanner) ;
Schéma anatomique
du coude.
Test des radiaux.
Test extenseur
commun des doigts.
Test du cubital postérieur.
Test du court supinateur.
* Rhumatologue, médecin du sport, médecin de la FFT, attaché à l’hôpital
Ambroise-Paré, Boulogne.
** Chef du service de rhumatologie, hôpital Henri-Mondor, Créteil.
La Lettre du Rhumatologue - n° 307 - décembre 2004
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– une pathologie neurologique soit par une atteinte de la branche
motrice du nerf radial (EMG), soit par une douleur projetée au
coude de type NCB tronquée C6 ou C7 ou encore par un syndrome
cellulo-téno-myalgique d’origine articulaire postérieure, décrit par
Maigne, justifiant une imagerie et une prise en charge cervicale.
Bien souvent, pour une épicondylite classique, un bilan
complémentaire n’est pas nécessaire. En cas de douleur traînante, les radios montrent parfois des calcifications (probables
séquelles d’antécédents de tennis elbow). L’échographie pratiquée par un opérateur entraîné peut mettre en évidence des lésions
de désinsertion tendineuse et l’IRM peut, dans les cas sévères,
montrer un œdème osseux au niveau de l’épicondyle et des anomalies de signal au niveau des tendons extenseurs ainsi que des
lésions articulaires actives du type de la chondropathie.
➤ Quels conseils pratiques donner au patient sur son
tennis, son matériel, son traitement ?
Une analyse précise et détaillée des différents facteurs techniques
s’avère nécessaire devant une épicondylite survenant lors de la
pratique du tennis :
– Il faut d’emblée mettre en cause la technique utilisée en
revers souvent génératrice d’une surcharge de travail sur les
tendons épicondyliens, notamment lorsque le geste est retenu
avec défaut d’accompagnement, défaut d’extension du coude
avec le bras insuffisamment relâché lors de la frappe. Des tests
électromyographiques démontrent que cette situation de déséquilibre entre fléchisseurs et extenseurs du poignet avec des
séquences brutales et agressives de raccourcissement et d’étirement musculaire est très délétère et agit au détriment des extenseurs lors d’un revers mal exécuté. Le joueur doit donc essayer
de terminer son geste en faisant passer son avant-bras et son poignet de façon plus compacte en avant du corps au moment de
frapper la balle. Il faut qu’il évite également de trop serrer son
manche de raquette pour obtenir un meilleur relâchement et un
coup joué plus en rythme. De même, un défaut de prise de
raquette peut être préjudiciable au coude par mauvaise position
du poignet lors de la frappe.
– En ce qui concerne le matériel, un certain nombre de facteurs peuvent intervenir, malgré l’évolution favorable de la technologie, notamment les vibrations transmises par la raquette et
dues souvent à un mauvais centrage de la balle lors de l’impact.
Un cadre de raquette trop lourd et trop rigide augmente la puissance du coup joué, mais diminue la maniabilité de la raquette et
favorise les technopathies. Il en est de même pour une raquette
équilibrée trop en tête. Quant au cordage, idéalement il doit disposer d’une bonne élasticité, d’une bonne tenue de tension et d’une
bonne résistance, ce qui donne un bon confort de jeu. Dans cette
optique, le boyau semble préférable au polyester. La tension du
cordage ne doit pas dépasser 24 à 25 kg pour un moyen tamis.
Enfin, il ne faut pas changer brutalement de matériel et il convient
d’avoir, de préférence, deux raquettes du même type et dont la tension du cordage soit équivalente pour un joueur de compétition.
– Le traitement proprement dit de l’épicondylite reste encore
très aléatoire à l’heure actuelle, l’abondante littérature sur cette
pathologie faisant état des nombreuses thérapeutiques utilisées.
Parmi les protocoles suivis, la rééducation reste pour certains
le meilleur traitement à prescrire en première intention, l’ob38
jectif principal étant d’obtenir la cicatrisation des lésions. Un arrêt
prolongé du tennis de 2 à 3 mois est indispensable et le traitement
kinésithérapique essaiera d’obtenir la diminution de la douleur ou
l’indolence, la conservation de la mobilité articulaire et de l’extensibilité des chaînes musculaires, la restauration de la force de
préhension des doigts et d’extension du poignet, le développement des capacités d’endurance du patient à effectuer des gestes
répétés sollicitant les épicondyliens (renforcement excentrique
type Stanish). La reprise du tennis peut alors se faire de façon progressive, avec port éventuel d’un bracelet antibrachial dont le but
est de shunter et de soulager l’insertion tendineuse. Il faudra rappeler au joueur les conseils d’échauffement, d’étirement musculaire et les précautions d’hydratation.
Les autres traitements, en particulier les AINS et les infiltrations corticoïdes, doivent seulement être utilisés dans un but
précis : celui de soulager le patient qui souffre trop, pour lui permettre d’effectuer son programme de rééducation. L’efficacité
des infiltrations est prouvée à court et à moyen termes, mais
l’étude des séries de la littérature révèle qu’à long terme cette
thérapeutique n’est pas supérieure à une abstention thérapeutique,
voire à la rééducation elle-même. Quant aux traitements développés ces dernières années (ondes de choc extracorporelles,
injection de toxine botulique A ou de sang autologue), ils ne disposent pas de résultats significatifs dans le cadre d’une épicondylite. Enfin, en cas d’échec du traitement médical bien conduit
et suffisamment prolongé, la chirurgie peut donner des résultats
intéressants, mais difficiles à apprécier à distance. La méthode
dite de “ténotomie” consiste en une désinsertion des épicondyliens, qui peut être percutanée, mini open, à ciel ouvert ou associée à un geste intra-articulaire sous arthroscopie.
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Bibliographie
❏ Smith AM, Castle JA, Ruch DS. Arthroscopic resection of the common extensor origin: anatomic considerations. J Shoulder Elbow Surg 2003;12(4):375-9.
❏ Johnson D. Extracorpreal shock wave therapy for lateral epicondilytis.
J Orthop Res 2003;21(5):961.
❏ Assenfeldt W et al. Treatment of tennis elbow: the evidence. Br Med J
2003;327(7410):329.
❏ Cain EL et al. Elbow injuries in throwing athletes: a current concepts review.
Am J Sports Med 2003;31(4):621-35.
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1. L’épicondylite est très fréquente chez le tennisman (30 à 40 %).
2. L’épicondylite est liée soit à un défaut de technique, notamment lors du geste de revers, soit à un changement récent de
matériel, et, par exemple, à une trop grande tension du cordage.
3. Le diagnostic d’épicondylite est en règle générale facile. Il ne
nécessite pas d’explorations complémentaires.
4. Une épicondylalgie traînante doit faire évoquer des diagnostics
locorégionaux : soit pathologie intra-articulaire huméro-radiale,
soit pathologie neurologique de voisinage.
5. Le traitement est difficile et comporte essentiellement de la
rééducation et l’arrêt du tennis pendant 2 à 3 mois.
6. L’utilisation d’anti-inflammatoires par voie générale ou locale
(par infiltrations) a un but antalgique immédiat et à moyen terme.
7. La chirurgie est réservée aux formes résistantes.
La Lettre du Rhumatologue - n° 307 - décembre 2004
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